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Annexe 4 : Architectes maîtres d’oeuvres, architectes maîtres d’ouvrage ou architectes tout court ? Olivier Herbemont et Bertrand Lemoine, lemoniteur.fr, 25 mars 2015

Architectes maîtres d’œuvre, architectes maîtres d’ouvrage ou architectes tout court?

Olivier Herbemont et Bertrand Lemoine lemoniteur.fr

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La récente menace de radiation du tableau de l’Ordre de dix-huit architectes-maîtres d’ouvrage révèle un dysfonctionnement dans le contrôle de la qualifcation et de l’exercice de la profession d’architecte dans le cadre d’une mission d’intérêt public telle que défnie par la loi du 3 janvier 1977. Pour le Conseil d’administration de l’association “Architecture et Maîtres d’ouvrage” (AMO), Olivier Herbemont, son président; et Bertrand Lemoine, membre du CA, réagissent par une tribune à cette situation... Le port du titre d’architecte et l’exercice de cette profession sont régis par des textes qui, tout à la fois, protègent le titre et encadrent les activités professionnelles liées à l’architecture. La loi impose, comme ailleurs en Europe, une inscription à un tableau géré par un ordre professionnel qui s’assure des compétences des architectes inscrits. Personne ne trouve à redire à ces dispositions prises dans l’intérêt général, afn de garantir la qualité des productions architecturales, bien que la nécessité de disposer d’une “Habilitation à exercer la maîtrise d’œuvre en son nom propre” (HMONP) soit récemment venue affaiblir la valeur du diplôme d’architecte diplômé par le gouvernement (DPLG). Mais, une évolution récente des modalités d’inscription à l’Ordre met en lumière une ambiguïté sur la défnition des métiers liés à l’architecture et à la qualifcation d’architecte. En effet, différents modes d’exercice de la profession d’architecte sont prévus par la loi. Le plus classique est celui d’un exercice en mode individuel sous forme libérale, et son corollaire, celui de salarié d’une agence ou d’une société d’architecture. D’autres statuts sont également défnis, tels que ceux d’architecte fonctionnaire ou au service de l’État ou de collectivités locales.

Diversifcation des métiers

Or les architectes diplômés se retrouvent aujourd’hui dans bien d’autres situations, qu’elles soient directement liées à la conception de projets ou à d’autres activités en lien avec le monde du bâtiment. Cette diversifcation des métiers ne correspond pas seulement à une réalité professionnelle pour nombre de diplômés. Elle est encouragée par les écoles elles-mêmes, en tant que source d’élargissement des débouchés, constamment soutenues en cela par le ministère de la Culture, tutelle des architectes. Cela s’est aussi traduit par la mise sur pied de coopérations avec d’autres établissements d’enseignement supérieur, par l’intégration des écoles dans des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) universitaires, par des équipes et laboratoires de recherche aux champs d’investigation diversifés, voire à la création de flières de double formation, comme celle de l’Ensa de Paris-La-Villette avec l’Ecole spéciale des Travaux publics (ESTP) et l’Ecole des ingénieurs de la Vile de Paris (EIVP) qui forme chaque année une centaine d’étudiants en vue d’un double diplôme d’architecte et d’ingénieur, et dont tous ne travailleront pas dans la maîtrise d’œuvre architecturale.

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Dénominations restrictives

Cette propension des architectes à déborder du cadre libéral a conduit depuis 1977 à un essaimage fécond dans quantités de situations où ils peuvent apporter un regard et une expertise précieux, orientés vers les exigences de la conception et de l’objet architectural, urbain ou paysager, de la synthèse interdisciplinaire, de l’attention au contexte, du dialogue entre les acteurs de l’acte de construire, etc. Retrouver des architectes dans l’administration, les CAUE, les collectivités territoriales, la maîtrise d’ouvrage publique et privée, les bureaux d’études, les métiers connexes à la maîtrise d’œuvre, le design de meubles ou d’objets, les entreprises et les industries de la construction, les métiers du transport et de la ville, les organismes d’enseignement et de recherche, la presse et la communication etc. ne peut être que systématiquement encouragé. Or si un architecte dûment diplômé peut s’inscrire à l’Ordre sous la rubrique “Exercice d’une autre activité liée à l’architecture à titre individuel ou associé” ou encore “Exercice d’une autre activité liée à l’architecture en tant que salarié(e) non associé(e)” et qu’à ce titre ces statuts “interdisent l’établissement de projets architecturaux faisant l’objet de demandes de permis de construire et l’exercice de missions de maîtrise d’œuvre”, il apparait que ces dénominations sont pour le moins restrictives. En effet dans le premier cas, les impétrants sont invités à préciser dans le formulaire d’inscription les activités qu’ils exercent “à titre exclusif” : “conseil, programmation, formation, assistance à la maîtrise d’ouvrage, SPS, diagnostics immobiliers, expertise ou autre à préciser”. Bien entendu, il faut dans ce cas “n’exercer aucune mission relevant du recours obligatoire à l’architecte et n’exercer aucune mission de maîtrise d’œuvre”, sinon il serait nécessaire d’être inscrit à titre libéral ou salarié d’un architecte… Jusque-là pas de problème.

Ambiguïtés et contradictions

Les choses deviennent en revanche beaucoup plus ambiguës lorsqu’il est précisé qu’il ne faut pas “exercer de fonction commerciale”. Par ailleurs dans le cas des salariés, l’employeur ne doit pas avoir “pour activité le fnancement, la construction, la restauration, la vente ou la location d’immeubles ou l’achat ou la vente de terrains, ou de matériaux et éléments de construction”. Ces restrictions très fortes sont en contradiction avec la diversité et la nature des fonctions aujourd’hui exercées par quantité d’architectes, par exemple dans la maîtrise d’ouvrage, dans des entreprises de construction, dans l’industrie ou dans la promotion immobilière. On ne voit pas pourquoi, à partir du moment où l’on n’exerce pas de mission de maîtrise d’œuvre, qui doit rester encadrée par la loi, on ne pourrait pas avoir de fonction commerciale. Les activités citées plus haut (conseil, programmation, etc.) possèdent d’ailleurs toutes une dimension commerciale.

Dans l’intérêt de l’architecture

Plutôt que d’exclure les architectes dont l’activité ne correspond pas stricto sensu à ces critères étroits, bien que défnis par la loi, l’Ordre devrait plutôt songer à aménager les différents statuts pour précisément permettre à des architectes d’investir tous les métiers de la construction. Dans l’intérêt même de l’architecture et de sa promotion, il est grand temps de porter un regard nouveau sur le titre d’architecte. Il nous faut sortir de la vision restrictive qui oppose le droit d’exercice et le port du titre d’architecte à toute action commerciale. Il faut permettre d’affcher fèrement le diplôme d’architecte comme garant d’une formation spécifque et spécialisée, plutôt que s’en cacher. Il serait contraire à une stratégie de promotion de l’architecture et de dissémination des architectes dans tous les métiers de la construction et de l’immobilier de récuser les architectes diplômés qui peuvent être des partenaires dans l’acte de construire, et donc support de l’architecture, et donc des architectes!

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