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Annexe 5 : Retranscription d’entretien avec Claudine Khamkhing -Beruti, 1h30

Claudine Khamkhing-Beruti

repésentante de la SCI Auger pour le projet Petit H entretien 1h30

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J’ai préparé plusieurs questions, et puis après le format est très libre, nous verrons où va la discussion. La première est : Depuis quand travaillez vous chez Hermès, pouvez-vous raconter un peu votre parcours ? Comment êtes-vous arrivée à la maîtrise d’ouvrage ?

Je suis sortie de l’école en 1995 et ce que je voulais faire c’était du chantier. Ça faisait depuis 1990 que je travaillais en agence d’archi, pendant mes études à l’époque où on pouvait. Et vos études ont duré combien de temps ?

Je suis rentrée en 1987 et j’ai terminé en 1995. Et en réalité le diplôme je l’ai eu en 1997, parce qu’il fallait un stage sur chantier pour valider un UV et le chantier ne s’est pas fait avant 1995. J’ai voulu garder ce chantier parce que c’était des maisons à ossature bois sur lesquelles j’avais travaillé en agence jusqu’au au dossier de consultation et au moment où le chantier devait commencer il n’y avait plus de fonds le maître d’ouvrage a annulé - a suspendu – donc j’avais le choix de chercher un autre chantier et d’en faire juste le chaniter, mais ça ne m’intéressait pas je voulais voir l’aboutissement de mon travail. Et pour moi j’avais travaillé depuis l’APD dessus et je voulais vraiment continuer et réaliser ce que j’avais dessiné, j’étais déjà dans cet esprit là où j’avais aussi la solution de travailler dans un chantier de 4 mois et juste valider l’UV. Mais à ce moment-là j’avais besoin de sens pour avancer, donc j’ai dit non tant pis, de toute façon {l’absence de diplôme} ne m’empêchait pas de travailler, et je n’avais pas envie de monter tout de suite mon agence donc ça ne me gênait pas d’attendre. J’ai fait les deux premières années à l’école « normal » et à partir de la troisième année je travaillais à mi-temps, où j’ai fais une année scolaire en deux ans. Donc j’ai pris mon temps, j’ai pris mon temps pour voir ce que c’était que ce métier, ne venant pas de ce milieu d’archis. En fait je suis rentrée en archi pour faire de l’urbanisme ce qui était très bizarre comme raisonnement, et très vite j’ai compris que l’urbanisme c’était pas pour moi. Pourquoi ?

Pas assez concret, une échelle de temps importante : le moyen terme en urbanisme c’est 10 ans et encore faut viser entre deux élections, en gros. Donc c’est très politique, il y a pas mal de juridique. Alors ce qui m’intéressait au départ c’était la variété d’interlocuteurs et de disciplines mais après j’ai vu que ça limitait dans la réalisation des choses. C’est pour ça que j’ai travaillé en agence d’urbanisme pendant le premier été après la deuxième année.

C’était chez qui ?

C’était chez Ville Ouverte. C’est des architectes-urbanistes qui sont à Chartres. Ils avaient gagné le concours de développement du centre-bourg de la commune où j’habitais. Donc j’ai travaillé sur ce projet et aussi sur ceux de banlieue 89 qui étaient assez intéressants sur la banlieue parisienne, sur Epernay, La Courneuve et plusieurs communes du 93 et j’ai bossé pendant un an chez eux et de temps en temps je faisais des charrettes. Mais je voyais bien que c’était pas satisfaisant en terme de chantier.

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Vous voulez dire que l’idée était hyper intéressante mais la réalité du métier était trop diférente de ce que vous imaginiez ?

Oui l’idée est super intéressante, mais le métier est pas assez concret pour moi, très politique et je voyais pas la fnalité. Quand on voit le développement des villes nouvelles, qui était décidé fn 60 et dans les années 70 et maintenant on voit ce que ça donne. C’était trop de paramètres qu’on ne maitrisait pas nous architectes, urbanistes dans ces opérations. C’était ça qui ne m’allait pas donc je suis partie dans les agences d’archi. Dnc j’ai fait trois agences d’archi pendant mes étues, de la petite échelle surtout, parce que les grandes il fallait quand même que je paie mes études donc je ne pouvais pas aller en stage dans de grandes agences. À l’époque j’avais contacté Archi Studio pour un stage et ils m’avaient répondu « oui, oui y a pas de soucis pour un stage mais on ne vous paie pas. À d’accord ok, et bien non merci. (rires) Ça n’a pas vraiment changé.

Donc je ne pouvais pas. C’est donc dans des petites agences que j’ai appris notre métier. Et je voulais faire du chantier. Et 1995 il n’y avait pas de chantiers parce que c’était la crise. Donc en deux ans j’ai travaillé 12 mois et là je me suis dite que c’était pas possible. C’était soit je changeais de métier soit autre chose. Donc je suis partie au Laos ! Et c’est là que j’ai travaillé dans deux agences d’architecture : un français et un laotien où j’ai pu voir une autre pratique du métier, des agences d’archi laotiennes sont archis et ingénieurs c’est, en gros, le même tronc commun dans la formation et après au deuxième cycle ils se diversifent, soit archis soit ingénieurs. Donc ils ont tous une base scientifque et technique commune ? C’est ça ? Et une culture architecturale commune aussi du coup ?

Aussi, mais c’est assez basique. Archi, mais très mêlé Beaux-Arts aussi. C’était autre chose mais c’était très intéressant, sauf que moi je voulais faire du chantier, toujours ce fl rouge, et une femme, jeune femme en plus laotienne ne peut pas faire de chantier, c’est pas possible, c’est juste inenvisageable. Donc pendant deux ans je suis restée au Laos. J’ai travillé 5 mois chez les uns et 5 mois chez les autres et je me suis dite que c’était pas pour moi là-bas. Et j’ai travaillé dans une ONG, dans l’administartion d’une ONG locale et donc j’ai vu qu’il y avait une autre vie en dehors de l’architecture aussi.

Parce que là vous n’aviez pas du tout une fonction en rapport avec l’architecture ?

Non j’étais administratrice du bureau, j’avais dans mon équipe des laotiens, et on était le support logistique de la partie gestion des projets, il y en avait 5. Et ça j’ai bien aimé, mais je n’ai pas pu rester parce que c’était un poste local, pas pour des étrangers et moi je n’avais qu’un passeport français, malgré mes origines laotiennes. On ne peut pas avoir la double nationalité chez les laotiens. Donc j’ai fni par revenir en France en 1999. Et là je me suis dite, mais qu’est-ce que je vais faire en France ? J’ai rappelé mes anciens patrons et les gens avec qui j’avais travaillé avant. Il se trouve qu’un responsable de la RATP, un maître d’ouvrage pour lequel j’avais travaillé, un petit chantier d’installation de vestiaires pour les chauffeurs de métro de la ligne 6, m’a rappelé. Entre temps il était devenu directeur de l’immobilier et des services généraux à Canal + et m’a dit « Est-ce que tu veux faire de la maîtrise d’ouvrage ? » « Je ne sais pas ce que c’est ! Je veux travailler mais je ne sais pas ce que c’est. » Il me dit « Y a du chantier, etc. et tu représentes le client. » « Bon, bah ok, essayons ! » Il avait besoin de quelqu’un très vite donc c’était fn juin et j’ai commencé début juillet 1999 jusqu’à avril 2003. J’étais chef d’opérations, ils appelaient ça chef de projet bâtiment, et on avait la conduite d’un chantier en site occupé, l’ancien siège de Canal +, le bâtiment de Richard Meier, des études de faisabilité jusqu‘à la réception et les interfaces avec les services techniques télé et les services généraux, donc j’étais complètement autonome

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et ça a été énorme apprentissage. Sur le tas ou vous avez fait une formation ?

Ah non sur le tas ! Moi on m’a dit : « voilà il y a une régie à faire pour cet été, on est en juillet faut le livrer mi-août parce qu’il y a la Champion’s League (ils avaient gagné les droits en juin et il fallait diffuser en octobre) Donc la première se fera peut-être avec une régie déportée mais après à la rentrée faut que ça marche. » Donc vous aviez de grosses responsabilités pour quelqu’un qui n’avait jamais fait de la maîtrise d’ouvrage !

Oui, mais il y a des gens qui ont cru en moi et il y avait tout un support technique. Et c’était une opération par exemple, comme si on transformait cette cafétéria en régie, donc il faut tout démonter en deux mois, un mois et demi de chantier. Une bonne connaissance du chantier et de notre métier c’était ma base, et du reste je ne savais rien, donc j’ai tout appris. J’y ai passé beaucoup de temps - je passais tous les jours, tous les matins sur le chantier, parce que les entreprises étaient là et elles avancaient donc il n’y avait pas intérêt à ce qu’on leur fasse démonter quelque chose dans la journée, donc il fallait être très très présente et c’est là que j’ai appris le chantier et la coordination. Je faisais du pilotage en réalité pour ces opérations là. C’est ce que j’allais dire ! Ça ressemble plus à un travail d’OPC que…

C’est de l’OPC, mais ça c’était le premier chantier qui durait 3 mois et ensuite j’en ai eu des plus longs où je faisait autre chose. Canal + était une maîtrise d’ouvrage particulière parce qu’il y avait des règles et des process et des contrats à mettre en place etc, avec tout une équipe de juristes – il y avait quand même une grosse artillerie derrière ! Il fallait faire les choses donc c’était très opérationnel et c’est comme ça que j’ai appris toute la partie électrique, courants faibles… toutes ces choses qu’on n’apprend pas en archi et qui font un bâtiment maintenant, puisque maintenant c’est pas que la charpente, le gros-œuvre et le second œuvre, il y a tout le reste qui a un gros impact ! Donc toute la partie clim, chauffage, ventilation je l’ai appris à Canal +. Je voudrais juste revenir sur un truc : quand vous disiez que vous étiez rentrés dans la maîtrise d’ouvrage, vous êtes rentrés comme OPC ?

Non, je suis rentrée comme chef de projet bâtiments ! Mais vous aviez ce double rôle ?

Oui je passais les commandes, j’étais pas que pilote. Il y a plusieurs formes de maîtrise d’ouvrage en fait. Il n’y a pas que les promoteurs immobiliers qui font de la maîtrise d’ouvrage. À l’époque, c’était avant les années 2000, en maîtrise d’ouvrage à proprement parler dans le public il y avait la caisse des dépôts, qui faisait beaucoup et les institutionnels et en maîtrise d’ouvrage privée, les sociétés comme la SNCF, la RATP et ADP – et encore c’était bien mélangé maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre chez eux – et les régies HLM. Pour les autres grandes sociétés, à l’époque c’était pas structuré comme ça. Il y avait un service bâtiments et un service régie en gros. Chez Canal + c’était comme ça, chez Hermès à l’époque c’était aussi comme ça, c’était les services généraux. La maîtrise d’ouvrage étant le client. Aujourd’hui on a tendance à dire que l’OPC est dans le groupement de maîtrise d’œuvre, -

Ça dépend il peut être indépendant ! Oui il est indépendant et missionné par la maîtrise d’ouvrage comme nous tous, mais quand on fait des organigrammes et qu’on essaie d’expliquer le rôle de chacun, vu que l’OPC c’est une mission que peut aussi prendre l’architecte, on a tendance à

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mettre le rôle dans celui de la maîtrise d’œuvre donc pour le moment je trouve ça un peu ambiguë que la maîtrise d’ouvrage ait aussi, -

Non parce que c’est du pilotage de chantier et c’est une fonction. Ça peut être pris dans la maîtrise d’œuvre et dans ce cas là le maître d’œuvre est mandaté et dans ce cas là c’est un groupement comme pour les bureaux d’études mais nous dans nos opérations par exemple chez Hermès, on aime bien que l’OPC soit indépendant de la maîtrise d’œuvre. Parce que ça permet aussi de challenger la maîtrise d’œuvre. Chez Canal, c’était des projets en site occupé, qui ne supportait ni la poussière ni le bruit, on ne pouvait pas prendre un pilote externe qui n’aurait pas fait l’affaire. Donc j’avais deux casquettes : j’étais pilote et j’avais des équipes, quand il y avait un programme de nouvelle régie ou d’aménagement d’un bureau, je faisais les pré-zoning avec eux et ensuite soit on faisait appel à un archi d’intérieur qui faisait le chantier et il fallait cadrer au niveau contrat avec eux. À l’époque on avait un budget no limites, mais en 2003 il y a eu un plan social et je suis partie, pour un bureau d’études de géotechniciens pour les lignes TGV et les autoroutes. J’étais pilote et toute la partie technique m’intéressait beaucoup. En 2006 je m’ennuyais et je ne voyais pas d’évolution possible, donc j’ai commencé à chercher autre chose. Un cabinet de recrutement qui avait mon CV depuis mon départ de Canal + m’ont appelé et je suis arrivée chez Hermès. La défnition du poste était le même qu’à Canal +, une maîtrise d’ouvrage privée pour des utilisateurs et à l’issu de l’entretien que le recruteur m’a dit que c’était pour Hermès, je ne connaissais pas du tout ! J’ai été sur internet à l’époque il y avait 4 articles ! J’ai commencé en janvier 2007, donc ça va faire onze ans et demi que je travaille sur les sites de production et le tertiaire. Depuis 200è je m’occupe de la construction, la restructuration ou l’extension des sites de production pour tous les métiers donc ça peut être les maroquineries, comme le parfum, comme la cristallerie Saint-Louis ou Hermès Maison aussi. Quand c’est pas du neuf c’est des sites existants qu’il faut restructurer en site occupé. Je ne fais plus de pilotage, puisqu’on a des OPC, on a des maîtres d’œuvre, faut pas non plus éxagérer, mais on ne reste pas dans nos bureaux avec les papiers et l’administratif. Vous allez sur le chantier ?

Ah oui ! Je vais en réunion de chantier parce que sinon on n’a pas de contact avec le chantier. Si on est trop déconnectés au niveau suivi ça ne va pas, parce qu’on perd la réalité de la situation et on perd la compétence. Est-ce que vous pensez que c’est votre bagage d’architecte qui vous permet cette position là ou vous avez d’autres personnes avec qui vous travaillez qui font pareil ?

Non j’ai ma collègue qui est ingénieure des arts et métiers qui a la même philosophie. JE pense qu’on ne m’aurait pas prise si je faisais autrement. Il y a une cohérence dans la manière de travailler. Après on nous demande de ne pas être trop opérationnels parce que ce n’est pas vraiment notre fonction. Sur les chantiers qui sont en province, où il y a très peu de coactivité, c’est assez tranquille, mais quand c’est à Paris ou Pantin j’y vais une fois par mois, et pour le projet qu’on fait avec APA j’irais une fois tous les 15 jours. C’est trop important et il y a beaucoup d’impacts sur le voisinage, qui est nous {l’espace Jean-Louis Dumas} en plus ! L’information en direct est essentielle.

Donc c’est un peu particulier en maîtrise d’ouvrage. Il y a plusieurs métiers. La maîtrise d’ouvrage je ne l’ai connu que sous cet aspect. Il y a d’autres directions immobilières qui ne sont pas du tout comme ça. Ils font de la promotion immobilière ou ils ont un actif qu’ils développent, comme des bureaux qui sont loués par d’autres organismes. Il y a la maîtrise d’ouvrage qui est aussi promotion comme Nexcity ou Gecina, qui eux construisent ses bâtiments et les commercialisent. Et ça ça ne m’intéresse pas. Parce que là il y a des usagers défnis, des problématiques à prendre en compte…

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Oui. Dans les autres cas pas besoin d’être architecte ou ingénieur pour faire le métier. D’ailleurs il y a beaucoup de personnes qui sont juristes, gestionnaires ou sorties d’écoles de management ou des commerciaux, etc. qui ont ce genre de poste. Ce sont les responsables immobiliers dans les grosses boites. Vous venez de dire qu’il n’y avait pas besoin d’être architecte pour faire de la maîtrise d’ouvrage de promoteur. Du coup vous pensez qu’être architecte c’est essentiel our exercer votre métier aujourd’hui ? Vous considérez vous architecte ?

Oui ! Je suis architecte, j’ai eu mon diplôme d’archi ! Il y a des personnes qui ne sont pas architectes qui ont une sensibilité esthétique, un regard, une attention et le sens du détail. Après être architecte et être de l’autre côté de la barrière, ça permet aussi de faciliter les contacts et les explications. Ça me permet de « liaisonner ». Au départ je ne disais pas que j’étais archi, pour préserver la distance qu’il faut entre le client et l’architecte. Mais après en discutant etc… Je sais que je suis presque adoptée par les archis quand je dis que je suis architecte. (rires)

Vous dans mon équipe ! (rires)

C’est ça ! Moi, ma conception de l’opération, c’est un travail d’équipe. Je ne peux pas travailler avec des personnes qui se protègent toutes les cinq minutes, que ce soit des archis, des ingénieurs ou des entreprises. Où on commence à peine le chantier qu’on nous a déjà écrit dix lettres. Ça c’est pas possible. Je préfère qu’on se dise les choses franchement, mais ça c’est mon caractère et ça se ressent dans mon travail aussi. Après la question « est-ce que vous vous sentez architecte ? » est intéressante parce qu’il y a aussi quand j’ai commencé fn 90 j’avais des copains archis, des copains d’école, qui considéraient qu’en tant qu’en maître d’ouvrage dans la privé, dans le public c’était différent, mais dans le privé je faisais de l’entretien pour eux. Je leur répondais « si tu veux ! ». C’était péjoratif à l’époque ! Ça l’est encore !

« Mais qu’est-ce que je m’éclate ! Mais oui oui je fais de l’entretien ! Viens voir l’etretien que je fais !» Donc c’est plus le regard des autres confrères qui interogaient votre identité d’architecte.

Oui parce qu’ils ne connaissaient pas le métier. J’ai une amie qui a fait le cycle d’urbanisme à Sciences Po et qui aujourd’hui travaille chez Vinci Immobilier, tout le monde s’est moqué d’elle. Moi non parce que c’est un parcours que je voulais faire. Je me disais « regardez on est archis, on a envie de construire mais il y a plein de rôles à tenir » mais la réaction était en rigolant « oh la traitresse ! regardez elle est partie de l’autre côté de la barrière! »

Alors que justement il faut les faire tomber ces barrières ! Regardez dans notre métier, il y a très peu d’archis maîtres d’ouvrage. Il y a pas mal d’ingénieurs maîtres d’ouvrages, mais moi je suis là et il ne faut pas laisser la place qu’aux ingénieurs c’est pas possible ! (rires) Sinon, même s’il y a des ingénieurs qui ont le sens du « beau » faut pas leur laisser sinon c’est mort. C’est justement un atout d’avoir un architecte de l’autre côté. Parce que c’est lui qui peut porter le projet. C’est pas parce que je travaille pour Hermès que c’est budget open bar. Donc quand mes architectes dépassent le budget on va travailler ensemble pour trouver des économies. Pour moi l’économie c’est pas « qu’est-ce qu’on enlève ? » C’est pas ça. C’est qu’est-ce qu’on fait pour garder la même image et le même espace, sans

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dégrader la qualité des choses, mais en changeant certaines choses. Par exemple sur un site de production, l’architecte s’est fait plaisir et je ne l’avais pas vu et je m’en veux encore, mais c’est comme ça. On faisait l’isolation par l’extérieur d’une façade puisque le bâtiment n’était ni étanche à l’air ni à l’eau, il avait trente ans. Il fallait le faire en site occupé sur le seul site de parfums qu’on avait. Il y avait un édicule au dessus de ce bâtiment qui était la chaufferie. C’était de la brique avec des poteaux métalliques, il y avait une dilation entre les poteaux et la brique donc l’eau rentrait. Et cet édicule, l’architecte l’a enveloppé d’un bardage en cuivre. Un bardage en cuivre ! Je ne l’ai pas vu sur un bâtiment qui faisait plus de 10 000 m2 et j’avais quatre autres chantiers en même temps, et j’ai pas vu ce détail là. Et au moment du chantier, je vois au niveau des études d’exécution… C’était signé donc voilà… Et quand j’ai vu la patine du cuivre quand ils l’ont installé c’était super beau, mais 6 mois après c’était marron. L’architecte est de nouveau intervenu sur le même site et à voulu traiter les petits édicules des autres bâtiments de la même manière et là j’ai dit non, vous ne m’aurez pas deux fois ! On a mis un bardage en cassettes de la même couleur, et ça restera, et c’était très beau et c’était des cassettes de qualité. On ne dégradera jamais un projet, parce qu’on est chez Hermès et qu’on se doit d’apporter de la qualité dans les espaces. Aujourd’hui qui sait que cet édicule est en cuivre ? Moi, l’architecte, l’entreprise et mon patron et c’est tout ! C’est rendre les dépenses pertinentes c’est tout. Je préfère mettre l’argent ailleurs. Si j’avais su on aurait fait une étanchéité plus importante, ce genre de choses. Où est l’essentiel et vers quoi on se concentre ? Et ça je peux avoir cet discussion avec les architectes parce que je suis aussi architecte. Enfn ils me laissent plus la parole. Je pense qu’avec un ingénieur ils se seraient plus braqués. Ils n’ont pas le même langage. En efet, je pense que c’est intéressant côté maîtrise d’œuvre, quand on a des archis qui travaillent dans les mairies ou les bureaux d’études aussi. Ce qui est drôle c’est que comme il y a une culture commune, une envie commune qui nous anime, on sent libre de parler parce qu’on peut être compris.

Bien sûr. C’est qu’on a un niveau de langage équivalent, mais je ne le dis pas tout de suite pour ne pas qu’il y ait d’a priori aussi. C’est aussi pour cela que je voulais vous interviewer, parce qu’il y a cette histoire, comme vous êtes aujourd’hui dans la maitrise d’ouvrage, comment on se situe en tant qu’architecte quand on est en efet, de l’autre coté de la barrère symboliquement.

Là, en effet, il y a 15 ans, j’aurai dit je ne suis pas bien -- il fallait toujours se justifer, à Canal + clairement c’était ça, vis-à-vis de mes copains, ou d’autres confrères, et surtout je m’interdisais de dessiner, c’est-à-dire, je ne suis pas là pour prendre votre place. Il y a aussi cela, c’est-à-dire cette peur, la crainte des archi, et d’aileurs je ne me l’autorise pas. Autant j’ai des collègues qui ne sont pas du tout archi qui dessinent, et qui disent : « ah oui, mais le plan… » ; moi, je dis ce que je veux et l’architecte dessinera. C’est un beau respect du métier !

Eh oui ! car je sais ce que cela prend comme temps et comme energie. Je suis plutôt à me demander pourquoi un tel a fait les choses comme cela ou à dire, au niveau des fux industriels ce sera mieux, alors je l’explique, je ne le dessine pas. Après on me dit que je ne dessine plus, que je ne sais plus dessiner. Oui c’est vrai, mais est ce que c’est un problème pour les projets que je mène? Je ne pense pas. En même temps, quand on est en agence, le nombre de grands architectes qui gèrent et ne desssinent plus et regardent ce qu’amène le chef de projet, c’est juste autre chose, mais le sens et l’intérêt sont les même. Du coup, quand vous êtes avec d’autres maîtres d’ouvrages, soit que vous connaissez, pas forcément chez Hermes, parce que là, il y a une philosophie du travail particulière qui semble somme toute proche de celle de l’architecte d’une manière générale, mais quand vous rencontrez d’autres maîtres d’ouvrages, est-ce que ceux qui ne sont pas architectes sont vraiment très diférents de vous, est-

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ce que c’est quelque chose qu’on apprend dans la maitrise d’ouvrage ? c’est-à-dire, est ce que le fait de construire, est-ce qu’on a naturellement envie de faire de la qualité, ou est que c’est votre bagage en tant qu’architecte qui vous donne cette envie là ?

Non, ce n’est pas mon bagage d’archi. Je fais partie d’une association qui s’appelle « le Club des Femmes du Batiment », où il y a des maîtres d’œuvres, des maîtres d’ouvrage, des entreprises, des responsables de sociétés qui font de la maintenance. Et dans les maîtres d’ouvrage, en fait, il y a plusieurs maîtres d’ouvrage ; il y a du Next City et des Cogedim en gros, souvent, ce genre de maître d’ouvrage, ce sont des ingénieurs en fait, par exemple il y a une consoeur qui est à la banque de France. Là, on est assez proches au niveau des moyens et de la qualité des ouvrages. Elle a beau etre ingénieur fuide, elle travaille sur des batiments patrimoniaux, donc il y a aussi un respect de la qualité. En fait, on aime le batiment, ça c’est le point commun, sinon, on ne reste pas trop longtemps dans ce métier. Enfn je pense, ou bien, on prend une autre casquette, c’est de la maitrise d’ouvrage aussi, des collègues par exemple qui étaient avec nous et qui sont partis, hommes, il y a en un maintenant qui travaille chez Cogedim et il fait de grandes surfaces commerciales, et ça c’est son truc. Après pour autant, ce n’est pas de la qualité, des chantiers commerciaux type Millenium ; oui, ce sont des chantiers qui intègrent le dévelopement durable, mais c’est un autre aspect…. Mais moi j’aime bien les petits détails. En fait, l’échelle me convient ici. Et ça, la maitrise des détails - je pose un peu une fausse question – ce n’est possible que si il ya des moyens ?

Oui. Bon après nous, on construit pour notre personnel, et donc la philosophie chez nous, est qu’ on ne peut pas fabriquer des belles choses dans un environement qui n’est pas bien, pas joli, confortable ou lumineux, ce genre de chose. Sur les magasins, on ne peut pas vendre des beaux produits si l’écrin est moche. Ca fait partie des standards philosophiques, c’est aussi tourné autour du collaborateur, du vendeur, de l’empoyé, de l’artisan. Ca c’est la philosophie d’ici. Chez Canal + il y avait les moyens pour faire la télé, dans le bureaux c’était autre chose. Donc c’est vraiment ce couple : moyens plus philosophie qui permet de faire de la qualité ?

Ah oui, oui, oui. Après, ça dépend où on met la qualité. Chez Canal +, à un moment, on a mis la qualité sur la télé. Maintenant, j’y suis retournée, car j’ai encore des amis là-bas ; quand je vois leur dernier studio, même le back-offce, il y a le plateau où on fait le tournage, les émissions, et l’accueil du public, même ça, c’est dégradé, et à l’intérieur des locaux techniques, les régies et autres, c’est hyper dégradé. Je ne sais pas où ils mettent l’argent maintenant. Ils en perdent beaucoup certes. Il y a aussi le fait que j’ai connu Canal + au haut de la vague. A un moment au très haut de la vague où là où ils ne maitrisaient pas trop, il y avait un gaspillage terrible. Moi, quand je suis arrivée on resserait les boulons d’un peu partout pour rester en haut. Et puis par la suite, il y a eu des coupures nettes. Oui, avec l’arrivée d’internet, beaucoup de choses ont changé pour Canal +. Et donc, ils ont changés de paradigme. L’environnement a changé et et ils n’ont plus les meme moyens. Les collègues avec qui je parle essaient de faire de la qualité avec les moyens qu’ils ont, mais n’y arrivent pas. Et c’est diffcile. Vous connaissez encore des personnes à la maitrise d’ouvrage ?

Non, il n’y a plus personne à la maitrise d’ouvrage, ça n’existe plus. La direction immobilière n’existe plus, c’est les services généraux maintenant. C’est-à-dire que dans mon service à l’époque, on était quatre chefs de projets, un directeur et 3 assistantes, maintenant, il n’y a plus personne. Tout a été externalisé. Quand ils ont besoin de faire des travaux, ce sont les moyens généraux qui démarchent des entreprises, des architectes. Donc plus d’opérations de grande envergure.

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Et dans la meme veine, chez Hermes, vous êtes combien ?

On est 3 plus le directeur qui fait aussi de l’opérationel. Donc 4 sur la partie site de production qui sont en opposition avec les sites de distributions, qui sont les magasins. Et sur les sites de distribution, vous savez combien ils sont?

Ils sont 4.

-Pour la France ou aussi pour l’international?

En fait, c’est au niveau de la holding, ils ont une manière de travailler qui est différente de la notre. Nous on fait de la conduite directe, avec quelquefois de la maitrise d’ouvrage déléguée, mais on pilote directement ; alors que eux ont des relais dans les pays avec des responsables immobiliers, en Europe, aux Etats-Unis, ainsi qu’en Asie du Nord, Asie du Sud, et au Japon avec des relais dans ces endroits là. Et pas en Amérique du Sud ?

Non, pourquoi avez-vous des origines là-bas ? Non, mais j’ai passé du temps au Chili, j’ai beaucoup aimé ce pays, du coup je n’ai pas entendu l’amérique du sud et trouvais cela bizarre.

Non, il n’y a personne. Ben justement, c’est eux qui pilotent directement car dans certaines zones, il n’y a pas assez de magasins pour avoir un relais local. Vous venez d’où ? Je suis Américaine, d’Amérique du Nord, et c’est bon vous en avez parlé. (rires) Et combien de projets gérez vous ? Car 4 personnes ne me parait pas beaucoup.

À la direction des projets immobiliers qui dépendent de Philippe Lallemand, en début d’année, on avait une trentaine de projets. Et on était que 3 car une des collaboratrices venait d’arriver. Donc moi, j’avais 10 projets. En fait, c’est des projets qui s’étalent dans le temps. Par exemple, sur un site de production de maroquinerie, on met 3 ans après le top départ. Concours d’archi compris jusqu’à la livraison. Mais il y a aussi des opérations qui sont comme la Halle, où il y a 6-7 millions de travaux en gros, il y a des projets de tailles variables. En fait, mes projets font de 350 mille à 15 millions d’euros. Donc on peut être à différentes phases. Il y a aussi des opérations où on est là en conseil, en AMO en fait. Sur les sites, on assiste les chefs d’établissement, quand ils ont des travaux, on veille à ce que les marchés soient fait dans de bonnes conditions juridiques, et on veille à représenter une bonne garantie des risques, sur les risques fnanciers, les risques de planning ou de la productions, ou de sécurité, on en est les garants de tout cela, on a ce role vis-à-vis de la holding. Si je résume, en opérationnel, pour moi, on a 3 chantiers en cours, deux opérations sur lesquelles on a déposé les permis qui devraient débuter en septembre, et la Halle qui devrait débuter en Septembre. Donc là, j’ai 6 opérations en direct, études ou gros projets qui m’ont demandé du chantier. En faisabilité, j’en ai 4 qui vont sortir, et en assistant MO j’en ai 3. Et puis il y a ce que j’appelle des petits serpents de mer, parce que ce sont des sites de production où il y a eu des problèmes du genre à chaque orage, on a eu de l’eau de pluie qui refoule, des choses comme ça, alors on a fait des disgnostics et j’ai fait faire des études. Donc ça fait 13 en tout, mais en réalité, 6 sont opérationels, sur le papier. Et les autres, on les fait… ben en fait, il n’y a que 5 jours dans la semaine.

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Oui en efet seulement 24 heures dans une journée, dont 6 à dormir on espère (rires). C’est impressionant.

Oui, et mon patron est aussi chargé, en plus, lui il a la partie stratégique. Donc, vous êtes tous chargés comme cela.

Oui, il y a ma nouvelle collègue qui vient d’arriver en juin qui a 10 ans de métiers dans le batiment, mais ma nouvelle collaboratrice, elle est nouvelle dans le métier, donc je la forme en même temps. Mais c’est un métier qui s’organise. Quand je suis arrivée, il n’y avait que deux écoles qui formaient à la maitrise d’ouvrage. Il y avait les Ponts-et-Chaussée et l’ESTP. Et maintenant, je ne saurai même plus dire, on peut même se former par alternance. Je sais qu’il y a les Ponts de Marne la Vallée qui le fait par exemple. L’ESTP je ne sais pas…. Et vous, qu’est ce qui vous intéresse dans la maitrise d’ouvrage ? En fait, je la connais mal. Donc, c’est peut etre comme vous le disiez, urbanisme maitrise d’ouvrage, peut-être que je m’imagine quelque chose qui n’existe pas. Ce que j’ai pu voir avec mon amie qui travaille chez Vinci, c’est justement ce coté pilotage, le chantier. C’était les deux échelles : Soit le coté organisation-production, j’aime beaucoup tout ce qui est faire la synthèse de beaucoup de données compliquées, je suis très matheuse, alors, je pars dans le système en fonction, ça me parle complètement, et à la fois, le chantier, le détail, comment est-ce qu’on fait.

C’est pour cela que c’est passionant sur le chantier avec Pierre-Alexis, parce que on a contacté des entreprises, on s’envoie les détails, on les critique, on voite leur mise en œuvre, j’apprends, c’est ça qui m’intéresse.

Ce que je trouve hyper intéressant dans la maitrise d’ouvrage, c’est cette fonction qui est de faire sortir le projet de terre, avec des composantes économiques, des composantes techniques avec une réalité politique d’entreprise, ou politique en général ; et c’est une vraie synthèse de tout un tas d’enjeux que je trouve hyper intéressants.

Après, à voir si la profession ressemble à l’idée que je m’en fais. J’ai travaillé dans plusieurs agences avec à chaque une nouvelle facette et j’ai du mal à voir ce que je voulais faire. C’est-à-dire que, pousser une souris ou décaler les gaines, ça ne me fait pas rêver et ça ne me fait pas lever le matin. Par contre, réféchir à d’autres aspects, tel que, il faut qu’on atteigne une certaine qualité, ou la considération des enjeux avec un maire, le relationnel par exemple me parait très intéressant. Je me retrouve plus en fait dans la maitrise d’ouvrage où on porte le projet plutôt que dans la maitrise d’œuvre, où on est tributaire de ce que porte la maitrise d’ouvrage, il me semble. C’est peut etre mon côté mégalo ou j’aime avoir le pouvoir, et avoir la main mise sur les choses, le contrôle. Si j’ai vraiment envie de quelque chose, mais que de l’autre coté on me dit, non, je ne paye pas, je ne peux pas porter mon projet. Alors que la maitrise d’ouvrage permet de pousser la qualité.

Oui, elle le peut. Mais, un jour, un prof d’archi en première ou deuxième année m’avais dit : « votre métier, c’est de savoir parler au prince comme à l’ouvrier. Si tu ne sais pas parler au prince, tu n’auras pas de commande, si tu ne sais pas parler à l’ouvrier, ton mur, tu vas le monter toi-même ». Donc il faut savoir intégrer tout cela et en faire la synthèse. Ce qui est intéressant, certes on doit rendre des comptes, mais dans ce cadre là, on a de la liberté. Des libertés qui viennent avec des responsabilités. C’est-à-dire, est ce que je mets tout mon argent dans une façade en cuivre que personne ne va voir, ou est ce que je la mets dans une étanchéite qui ne va pas fuir au bout de 5 mois ? c’est peut etre basique ce que je dis, mais c’est ça. Mais c’est une maitrise d’ouvrage toute particulière là ici. Tout le monde n’est pas comme ça. Et d’ailleurs si ça vous intéresse, je peux vous donner les contacts d’un copain de la meme école qui a fait des années de maitrise d’œuvre, qui s’est mis à son compte et qui s’est cassé la fgure et qui est reparti en agence, et qui s’est dit à un moment, ce n’est pas possible, donc il a fait une formation peut etre à l’ESTP et maintenant, il travaille aux Orphelins d’Auteuil, c’est une fondation avec un patrimoine immobilier énorme. C’est un archi qui dessine super bien. (rires) Lui, il a complètement arrêté sa pratique en tant qu’architecte, il l’a mise entre parenthèse.

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Je vous l’enverrai par mail. Oui, en efet, ça me permettrait d’avoir un autre regard.

Oui, lui il est passé par l’école. Moi, j’ai appris dans les sociétés où j’ai travaillé. J’ai également appris des autres AMO que j’ai connu. C’est plus un savoir concret, mais il me manque peut-être une structure que l’école donne. J’ai eu ce choix en quittant Canal+ de me former à une maitrise d’ouvrage pure. Mais je n’avais pas envie de retourner à l’école, dix ans d’études, c’est dèjà bien. (rires). Après j’ai fait des formations professionnelles, responsabilité de la maitrise d’ouvrage, responsabilité pénale, chantiers en sites occupés, plus adaptés à ma fonction actuelle. Peut-être quand je serai plus vieille, j’aurai envie de retourner à l’école….(rires). Et vous, vous êtes passées directement du bac aux études d’archi ? -Oui, moi j’ai pris du temps dans mes études. J’étais la première de ma famille à faire de longues études, pas d’archi dans ma famille. Mon grand-père a été chef de chantier longtemps, en travaillant notamment avec Jean Prouvé, et il a fni dans la maitrise d’ouvrage d’ailleurs, donc ça me permet d’en parler un petit peu. Il a été pour moi d’une culture constructive. Il m’a dit quand j’ai commencé, de ne pas étre de ces archi « con » qui ne savent pas construire mais qui demandent de construire n’importe quoi. Donc une pression de faire bien tout de suite. Donc oui tout de suite les études, mais pendant, je me suis donnée du temps. J’ai fait des pauses pour voyager et lire, je suis allée au Chili, j’ai beaucoup lu, fait plusieurs stages et workshop. Je ne suis pas très scolaire donc ça me convenait. J’ai essayé de faire de l’humanitaire, mais ils voulaient un ingénieur sans comprendre le métier d’archi. Alors il faut re-expliquer la valeur de notre métier.

Oui, en effet, beaucoup ne connaissent pas. Ils parlent d’architecte d’intérieur ou d’extérieur. Mais je me rends compte que même bien des années plus tard, les meme questions se posent encore. Oui chacun se pose des questions, comme c’est un métier passion, quand on arrive vraiment dans la profession, je me suis rendue compte que ce n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais, alors comment on fait pour retrouver ce que j’avais envie de faire au départ ?

Moi, quand j’ai eu des doutes, je me suis arrêtée pour penser à ce que je sais faire, à ce que j’aime vraiment faire. C’est comme vous le disiez, tout à l’heure, qu’est ce qui me fait lever le matin ? On passe tellement de temps dans ce travail, que c’est vraiment important.

Pour moi aussi.

-Je dois aller rejoindre mon prochain rendez-vous mais vous m’enverrez une copie de votre travail ? De toute façon nous nous reverrons certainement pour le projet Petit h ! Oui avec plaisir ! Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à toutes ces questions !

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Petit manuel de « savoir-survivre » à l’usage des architectes

Marie-Douce Albert avec Nathalie Moutarde lemoniteur.fr

Pour les architectes, 2015 arrive avec son lot d’incertitudes. Avec une commande publique quasi nulle et des programmes de logements privés en berne, 2014 a été une année sinistrée. Sans parler des abandons de projets décrétés dans la foulée des élections municipales. Alors, la profession y va de ses pronostics. Certains fondent des espoirs sur le choc de simplifcation, la réforme territoriale, voire la « stratégie nationale pour l’architecture » promise par Fleur Pellerin, ministre de la Culture. Mais l’optimisme n’est pas la règle. Les agences, petites ou grandes, à Paris ou en région, tentent néanmoins de pallier la situation par une organisation optimisée. Pour Xavier Gonzalez, de l’agence Brenac & Gonzalez, « le maître mot est adaptation. » Il n’est pas de solution miracle, ni de réponse immédiate. Cela se saurait. Mais quelques stratégies engagées sur le long terme peuvent aider.

Unir les forces

« Un architecte ne peut plus travailler seul dans son coin. Nous leur adressons donc ce message : mettez-vous en société, groupez-vous, structurez-vous, vous serez plus forts, plus effcaces », lance Jean-Michel Daquin, le président du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France (Croaif). Dans un pays où seulement 8 % des agences comptent sept salariés et plus (voir ci-dessous), la mise au pot commun des idées et des moyens a justement tendance à se développer, au moins pour des projets ponctuels. Peut-être davantage que le regroupement en société, qui nécessite d’avoir une même conception de l’architecture dans la durée, les architectes privilégient les associations sur des projets spécifques. Par exemple, les agences parisiennes Air et Laps, ainsi que l’atelier de design ADN, qui partageaient déjà leurs bureaux, ont créé le collectif Hyperuranium pour collaborer sur certains projets. Pour Olivier Leclercq, d’Air Architectures, « la crise provoque cette ouverture d’esprit qui nous amène à travailler avec d’autres ». L’union permet d’atteindre la masse critique qui ouvre l’accès à des programmes de plus grande ampleur… Et donc plus rémunérateurs. Chacun apporte ses compétences, mais aussi ses références. En s’associant à des confrères qui ont déjà réalisé des lycées, des piscines ou des logements, on peut être admis à concourir pour des programmes auxquels on avait jusqu’alors jamais touché. Un « plus » indéniable quand on sait que la polyvalence prime désormais.

Sortir des cases

Xavier Gonzalez pointe un défaut bien français : « Nous adorons mettre les gens dans des pots. Il est ensuite diffcile d’en sortir. » Or, la survie des agences tient désormais à leur capacité à se diversifer. L’agence Gautier + Conquet, installée entre Paris et Lyon, est de longue date « à la fois sur les domaines de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage, explique l’architecte Dominique Gautier. Quand la commande se restreint dans l’espace public, mais reste assez stable en architecture, cette non- spécialisation est assurément un atout. L’agence renforce à présent son pôle urbanisme pour

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approcher des maîtres d’ouvrage publics qu’on ne connaissait pas ». De nouveaux donneurs d’ordre, les architectes en cherchent aussi du côté du privé. Ils sillonnent sans doute davantage les allées de salons de l’immobilier, comme le Simi ou le Mipim, ou tentent le contact direct. « Nous sommes assez sollicités, en particulier par de jeunes agences, note Pauline Brossard, à la direction du programme Rehagreen chez Bouygues Immobilier. C’est aussi parce que les promoteurs portent plus attention à l’architecture, surtout depuis que l’on reparle de qualité d’usage. » Parce qu’elle souhaitait de longue date dessiner du mobilier, Sandra Planchez, qui a créé l’agence Splaar en 2013, vient, elle, de concevoir un modèle de lit modulable. « Cela permet aussi de diversifer les sources de revenus », remarque-t-elle. L’appel du large, enfn, peut se faire ressentir. Néanmoins, travailler à l’export relève de la stratégie de longue haleine. L’agence parisienne AW², créée en 1997, fait 80 % de son chiffre d’affaires à l’étranger, « mais c’est dans l’ADN de l’agence depuis le début », explique Stéphanie Ledoux, une des deux associés. Et quand Jean-Paul Viguier, qui est à la tête d’une des rares agences françaises employant environ 100 personnes, dit « intensifer la prospection à l’international », il a pour lui d’y être déjà connu.

Affûter les outils

A devoir être polyvalents, les architectes sont donc censés savoir tout faire, et être parfaitement au point y compris sur les grands enjeux les plus récents que sont la qualité environnementale, la réhabilitation, l’accessibilité, etc. Et, bien évidemment, cet outil de conception numérique qu’est le BIM (Building Information Modeling). La formation continue en devient un passage recommandé, voire obligé. Organisme de formation pour les architectes créé en 1968, le Gepa a notamment constaté ces derniers mois une forte demande au sujet des Agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP). « C’est un marché nouveau. Du coup, pour l’offre mise en ligne depuis octobre dernier, 600 personnes sont déjà inscrites. Et nous avons drainé un public qui habituellement ne se forme jamais, comme les architectes libéraux. C’est très révélateur d’une recherche de nouveaux débouchés », remarquait récemment Bernard Coudert, son président. Quant au fameux BIM, si l’ensemble de la chaîne de la construction n’est pas encore engagé dans cette révolution numérique, certains aiguisent déjà leurs connaissances. Depuis un an et demi, les équipes de Jean-Paul Viguier se sont ainsi formées à l’utilisation du logiciel Revit. Pour l’architecte, « la crise nous oblige à faire la différence par rapport à nos concurrents. Celle-ci peut tenir à notre maîtrise de la 3D ».

Tenir les comptes

« Je ne sais pas gérer. » Quand Jean Nouvel fait cet aveu au journal « Le Parisien Magazine », en décembre 2014, il entretient le mythe de l’architecte-artiste qui œuvre pour la postérité, mais qui a les poches percées. La profession a cependant conscience aujourd’hui que les agences sont des entreprises comme les autres, et beaucoup mesurent leur responsabilité à tenir les cordons de la bourse. L’architecte Xavier Gonzalez souligne l’importance accrue de la gestion « en période de crise, quand on est dans l’hypernégociation. Il faut être rigoureux et nous ne sommes pas formés pour ça ». Les agences ont bien compris qu’il fallait confer ces missions d’administration, de comptabilité ou de gestion des ressources humaines à des professionnels. Quand leur taille le leur permet, elles y consacrent un poste en interne. Mais de petites agences, comme celle de Sandra Planchez, font appel à un prestataire extérieur. Avec Fages Conseil, Michelle Lobjois propose depuis vingt ans aux maîtres d’œuvre des services de secrétariat général externalisé. Et elle observe aujourd’hui que « les architectes de moins de 40 ans sont soucieux

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de ces questions. Finalement, nous parvenons aussi à faire comprendre à leurs aînés que gérer c’est anticiper. Et que tout ça, c’est autant de temps de gagné pour faire de l’architecture ».

Soigner l’image

La crise, pour le moment, le photographe d’architecture nantais Stéphane Chalmeau n’en ressent pas complètement les effets. « Avec le temps du chantier, les projets gagnés il y a cinq ans sortent de terre, alors j’ai du travail et même un peu plus qu’habituellement. Quand, sur un concours, les architectes doivent se battre à 500 et non plus à 50 comme avant, leur réfexe est en effet de soigner leur book, constate-t-il. Mais ils sont aussi plus vigilants sur les devis qu’ils nous demandent. » Ce souci de la promotion, les deux fondatrices de l’agence de communication Metropolis, Olivia du Mesnil du Buisson et Chloé Habig, l’ont constaté : « tout le monde est concerné, y compris des architectes de province qui jusqu’ici ne s’étaient pas posé la question, parce qu’ils jouissaient d’une bonne assise locale. Maintenant que les agences parisiennes viennent prospecter sur leur territoire, ils veulent user des mêmes outils de communication ». Pour se faire connaître des médias autant que des maîtres d’ouvrage, les architectes donnent aussi davantage de leur personne. Ils sortent plus dans les cocktails et les conférences, serrent plus de mains… Mais l’agence Metropolis met en garde contre la tentation de l’ultracommunication : « Se faire connaître n’est pas une fn en soi, cela doit rester un support. » Un architecte prévient encore : « Il faut doser. Quand une agence communique trop, on pourrait imaginer qu’elle a déjà beaucoup de travail. »

Activer les méninges

Ce temps de crise, fnalement, ne pourrait-il pas être vu comme un moment de pause, un temps utile pour prendre du recul et tenter de nouvelles approches ? Et ce, même si la baisse d’activité dans les agences reste relative, puisque les effectifs ont souvent baissé et que les journées de travail ont rallongé. L’agence Vallet de Martinis, par exemple, a mis à proft « un creux » pour participer, en association avec ses confrères de Diid, à un concours international ouvert lancé par le musée des Beaux-arts de Budapest, en Hongrie. Heureuse initiative, puisque leur projet pour le musée d’Ethnographie a été désigné lauréat par le jury en décembre dernier. De son côté, l’agence Moreau-Kusunoki est l’une des six équipes fnalistes, sur 1 715 participants, pour le projet du futur musée Guggenheim d’Helsinki (Finlande). Pour Olivier Leclercq, de l’agence Air Architectures, il est temps aussi de « réinventer notre métier. On ne peut plus tabler sur un retour de la croissance. Il faut donc commencer à travailler sur une économie plus solidaire, fondée sur des fnancements alternatifs ». C’est peut-être aussi cette envie de nouveaux modèles qui explique le succès rencontré au cours des derniers mois par l’exposition « Matière Grise » au pavillon de l’Arsenal, à Paris (voir notre article du 26 décembre 2014), qui vante les vertus d’un usage plus raisonné des matériaux et de leur réemploi. Olivier Leclercq est de ceux qui veulent croire en « la résilience », cette capacité à ressortir d’une situation de crise par le haut.

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