Gazette4 21 10 2013 hd

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LA CriTiQuE dE LA CriTiQuE

La gazette # 4 lundi 21 octobre 2013

4e édition

Le deuxième épisode des rencontres du FIF autour de la critique à l’ère du numérique s’est notamment attardé sur un point : l’interaction entre les auteurs et leurs lecteurs ◆

Le critique de film est désormais un super critique 2.0 chargé d’assurer le « service après vente » de ses articles auprès des internautes. À l'ère du numérique, le contact entre le critique et ses lecteurs n’a jamais été aussi facile et direct. Isabelle Regnier, journaliste au Monde et blogueuse, en fait fréquemment l'expérience : compliments, désaccords, mais aussi parfois messages haineux au point de l’amener à fermer l’espace de commentaire de son blog dédié au Festival de Cannes. Du côté du webmagazine Blow Up, les interventions des utilisateurs sont rares et quand il y en a, elles sont pauvres en qualité. « J'ai toujours fantasmé sur l'utilisation des commentaires », raconte Luc Lagier, réalisateur de Blow Up. « C'est fantastiquement utile et complémentaire, mais je suis déçu : j'aurais aimé plus de spontanéité ». Or la critique sur Internet ne peut pas ou ne peut plus se suffire à elle-même. Elle doit vivre de l’interaction avec les lecteurs et utilisateurs, afin de continuer à éveiller la curiosité.

festival international du film « Je Laisse mon instinct me guiDer »

© Philippe Bertheau

Louis Garrel était présent à La Rochesur-Yon, à l’occasion de l’avant-première de La Jalousie, avec son père et réalisateur Philippe Garrel, sa sœur Esther et l’actrice Anna Mouglalis. « J'ai essayé de créer une histoire d'amour entre deux intellectuels », a

expliqué Philippe Garrel au sujet du couple qu’il met en scène : deux acteurs aux fortunes diverses, qui s'aiment, se cherchent, se trouvent, dans un perpétuel jeu du chat et de la souris dont les règles sont déterminées par la jalousie.

casanova, DracuLa, serra En août dernier, le festival de Locarno (Suisse) décernait le Léopard d’or à Albert Serra pour son film Histoire de ma mort. Ce « trip psychédélique » réalisé « un peu par hasard », selon le cinéaste, réunit deux figures aussi célèbres qu’inattendues : Casanova le libertin et Dracula le vampire ◆

Par Marie Terhondat

© Émilie Rabiller

Encadrement éditorial : Christophe Beney Rédaction : étudiants de l’IUT de La Roche-sur-Yon, département Information et communication Impression : Belz, La Roche-sur-Yon

www.fif-85.com

« C’est une expérience. Il faut rester calme », prévient Albert Serra avant la projection de son film. Ses mots prennent tout leur sens à la fin de la séance… Un somptueux château suisse du XVIIIe siècle, une ambiance libertine, des festins, de la chair : un Casanova gargantuesque savoure les derniers instants de sa vie aux côtés de son serviteur. Quittant son quotidien de débauche pour écrire ses mémoires au calme, à la campagne, il découvre alors les terres pauvres des Carpates. Bien loin des mondanités et de son confort habituel, il continue, malgré tout, de profiter des jouissances de la vie en compagnie de trois femmes, à la fois « sauvages et innocentes », selon Albert Serra. Des plaisirs simples sont dépeints dans leurs détails les plus infimes. Le « réel organique » du cinéaste dérange et intrigue. Petit à petit, la luminosité et le rationalisme du séducteur sombrent face à une force violente, primitive et imaginaire représentée par Dracula. « Un monde disparaît dans l'autre. Histoire de ma mort est un film sur l’ironie : on ne sait jamais où finissent les vrais désirs et où commencent les faux, où sont les calculs », explique Serra. La séduction devient une arme, la corruption représente le vrai désir et le sang, une gourmandise. Les paysages verdoyants s'assombrissent. La nuit tombe. Les plans fixes se multiplient. À l’univers de luxure infinie succède alors une attente angoissante et menaçante, et une question lancinante : que va-t-il bien pouvoir se passer ? Par Elise Poyet-Corre

Amira Casar parle avec enthousiasme de son expérience de présidente du jury, de son amour pour le cinéma, de son admiration pour Philippe Garrel et de sa joie de participer au Festival international du film de La Roche-sur-Yon ◆

Comment voyez-vous votre rôle de présidente du jury ? Entre jurés, on apprend des choses, on se confronte, on peut se faire influencer. Il faut se donner le droit de laisser le film vivre en nous. Je suis en situation d’ouverture. Je n’ai pas d’enjeu. Je ne veux rien savoir d’un film avant qu’il ne commence, ça me mettrait dans une position d’anticipation. Je veux découvrir, je ne veux pas être prévenue, je préfère être surprise. Le but est de toujours rester soi-même et d’assumer ses goûts, en se laissant submerger par l’œuvre. Qu’est-ce que ce statut de présidente du jury représente pour vous ? Je n’ai pas vraiment de statut. C’est totalement démocratique. Je suis là au même titre que les autres jurés. Je suis d’ailleurs très heureuse d’être ici. C’est un festival pointu, avec une sélection pointue et des invités dont j’aime le cinéma. Quel est votre film préféré ? Il est très difficile de répondre. Mes goûts sont très éclectiques. J’aime beaucoup les films de Pasolini, de Kelly Reichardt, mais aussi Voyage en Italie de Rossellini. J’adore également Naissance d’une Nation de Griffith avec Lillian Gish, une des actrices que j’admire le plus. Vous avez assisté à l’avant-première de La Jalousie. Quelles sont vos impressions ? J’ai été bouleversée par ce film, son noir et blanc et sa pureté. C’est une œuvre très sen-

© Philippe Bertheau

sible qui parle très bien de l’absence, du manque, de l’amour. J’ai adoré Anna Mouglalis, sa beauté, sa grâce et sa vérité. Avez-vous une anecdote à nous raconter depuis votre arrivée sur le festival ? J’étais en voiture avec Philippe Garrel et il m’a donnée une sorte de cours d’économie et de politique. C’était génial. C’est quelqu’un qui vous inspire, qui vous tire vers le haut. J’adorerais être dirigée par Philippe Garrel. Il a une vraie science des acteurs. J’adore l’amour qu’il a pour les acteurs professionnels, sa reconnaissance de leur travail, son œil aigu qui chope la vérité. Son cinéma est tellement poétique et hors du temps… Par Camille Peltier, Léonore Freidin

Amira Casar et ses jurés dévoileront le palmarès de cette 4e édition lors de la cérémonie de clôture à partir de 19 h 30 au Manège.

DoUBLement

pAsoLini

Le FIF proposait samedi deux séances consacrées au cinéaste italien Pasolini, chacune suivie d'une conférence ◆

« Le destin qui nous a fait nous rencontrer n'a pas deux têtes » : spécialiste de Pasolini, Hervé Joubert-Laurencin ne manque pas de rappeler cette réplique de Porcherie (1969), afin de justifier l’unité peu évidente de ce long-métrage. Le film repose en effet sur un vaste dialogue entre deux mondes : un XVIe siècle primitif et l’Allemagne d’après la Seconde Guerre mondiale. Moins complexe en apparence, La Ricotta (1963), lui, n'est pas seulement une satire burlesque du cinéma et de la religion, explique Stéphane Bouquet, l’autre invité de La Roche-surYon. Ce film a beau être court, il n’en demeure pas moins complexe. Avec son personnage de réalisateur s’identifiant fortement à la figure de martyr du Christ qu’il met en scène, le film s’impose comme une critique d’un peuple italien jugé « analphabète », ainsi que des « puissances ogresques du cinéma ». C’est beaucoup pour une création de quarante minutes. Par Héloïse Soulas, Jade Vincent, Roman Grolleau


FESTIVAL

10 h 30 La Valse des pantins M

M. Scorsese

• Ma Maman est en Amérique, elle a rencontré C1 Buffalo Bill

T. Chatel

11 h 00 I used to be darker

C2

M. Porterfield

13 h 15 Emperor visits the hell L. Li 13 h 30 Mille soleils

En présence de M. Diop

V. Gérard, C. Laty

14 h 00 L'Homme-fumée

C1 C2 C

14 h 30 La Bataille de Solférino J. Triet, en présence de L. Dosch

M

15 h 15 erevan - moscou

C1

D. Vallet Kleiner

En présence de J.-C. Bailly

Suivi de Conférence d'une zone l'autre

• L'étrange créature

du lac noir

Laetitia Dosch en première ligne

Croyances, sexualité, torture, humour noir, extrémismes : Roee Rosen mêle tout cela à la fois dans ses courts-métrages présentés au festival cette année ◆

Laetitia Dosch, jurée du FIF, interprète une jeune journaliste en plein combat personnel, sentimental et professionnel dans La Bataille de Solférino, réalisé par Justine Triet. Elle revient sur ce film survolté et surprenant, tourné clandestinement au cœur de la foule des sympathisants PS au soir de l’élection de François Hollande, et projeté à 14 h 30 au Manège ◆

« Se confesser, c’est montrer sa faiblesse », selon Roee Rosen, qui voit dans ce rituel religieux ni plus ni moins qu’un moyen facile de se faire pardonner. Dans son court-métrage justement nommé Confessions, trois femmes lisent face à la caméra des confessions au nom de Roee Rosen. ­L’artiste révèle son intimité, mais avec autodérision : ses porte­paroles ne comprennent pas ce qu’elles lisent puisqu’elles ne parlent pas hébreu. Elles décomposent les mots en syllabes, bafouillent à la lecture et donnent à leur rituel des airs rébarbatifs et protocolaires. Si la confession est un moyen de chasser le démon, l’exorcisme en est un autre. C’est ce que Roee Rosen démontre dans Out où deux jeunes femmes, après avoir exprimé à tour de rôle leur dégoût de la droite dure israélienne, représentée par son leader Avigdor Lieberman, s’adonnent à un jeu sadomasochiste pour chasser le démon sioniste qui tente de © Philippe Bertheau les posséder. Dans tous ses courts-métrages, Roee Rosen laisse la part belle aux actrices. Ces dernières dénoncent certaines dérives politiques, pas seulement en Israël, et libèrent leur corps. Il rend ainsi hommage aux mouvements féministes et aux femmes qui sont les premières à dénoncer les abus de pouvoir, souvent synonymes d’abus sexuels. Par Maxime Rolland

C2

A. Tarkovski

19 h 30 21 h 15

Cérémonie de clotûre AVP Inside M Llewyn Davis

S. Clarke

E. & J. Coen

C Cinéville M Manège

C1

C1 Concorde 1 C2 Concorde 2

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 Le FIF

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Par Marie Terhondat

Que représente pour vous votre rôle de jurée ? C'est une énorme responsabilité. Un prix, c’est très important. Je le sais parce que Vilaine fille mauvais garçon en a remporté un en 2011, et c’est ce qui nous a permis de réaliser La bataille de Solférino. Je sais à quel point ça peut aider un cinéaste. Je reste bien concentrée pour remplir ma mission. Par Camille Peltier et Léonore Freidin > La Bataille de Solférino, Manège, 14 h 30

La fille qui n'avait pas froid aux yeux Du haut de ses 30 ans, Maroussia Dubreuil a déjà un CV impressionnant : actrice, réalisatrice, chercheuse, critique et aujourd'hui membre du jury de la presse au FIF ◆

Montrer les choses telles qu'elles sont, sans détours : ce principe, le réalisateur Nicolás Pereda l’incarne même physiquement quand il s’adresse aux spectateurs de La Roche-sur-Yon, préférant la proximité, à la position surplombante de la scène ◆ Entretien avec la terre et L'été de Goliath mélangent fiction et réalité. Pereda joue avec elles. Il utilise les outils du documentaire pour mettre en scène la fiction, et ceux de la fiction pour filmer la réalité. « Ce n'est pas un film sur le tiers monde, mais un film de quelqu'un qui vient du tiers-monde », raconte le jeune réalisateur de 31 ans. Ce dernier tente d’expliquer à un public © Philippe Bertheau qu'il qualifie de « touristique », en terme de regard anthropologique, que la vérité ne tient pas aux actions montrées à l’écran, mais bel et bien au regard posé sur celles-ci. « J'ai peur de faire des films sur d'autres personnes car j'ai l'impression de ne comprendre que moi. Alors j'essaie de faire des films sur la manière dont je comprends le monde, avec ma perception de la mise en scène. » La violence constitue le thème central de L'été de Goliath. Elle alimente une tension ressentie du début à la fin du film, sans jamais être montrée. « J'ai voulu faire un film de guerre sans montrer la guerre », déclare Nicolás Pereda. « En ce moment, le Mexique subit la guerre civile. Quand je suis à Mexico, je vois l'armée, les cartels de drogue : je ne vois pas la violence, je ne peux que la ressentir. » Et nous avec lui.

Mon personnage était difficile à jouer mais je l'ai tout de suite beaucoup aimé. Cette femme a tout pour être active mais se laisse bouffer par son univers. En lisant le scénario, on savait qui étaient les personnages masculins, alors que le personnage féminin restait opaque, mystérieux. Comme elle ne s'exprime pas, on ne sait pas si elle ment ou si elle dit la vérité. Justine Triet,

la réalisatrice, en parlait comme d'un fantôme du film qu'on avait fait en 2012, Vilaine fille mauvais garçon, où j’interprétais un personnage très libre. C'est comme si ce personnage avait tout perdu, surtout sa liberté.

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« Du » et pas « sur » le tiers-monde

C1

The Cool World

Comment avez-vous vécu les scènes violentes avec Vincent Macaigne, votre partenaire ? C'était génial. J'avais l'impression qu'on faisait du catch. La scène d'engueulade a quand même été dure à tourner…

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J. Arnold

17 h 45 Stalker

Comment s'est déroulé le tournage de La Bataille de Solférino ? On s’est beaucoup préparé à l'avance pour travailler de façon stratégique, comme une bataille. C'était l'expérience la plus dingue de ma vie : on a fait une blague à dix mille personnes ! Mais tout était dur. Les enfants qui devaient rester calmes et rire ont pleuré pendant quatre jours. Pour la scène finale, on tournait en nuit américaine, on était vingt dans une pièce et il faisait très chaud. On a passé le tournage dans une espèce de transe.

© Margot Pignon-Lailler

Enfant, Maroussia Dubreuil suit des cours de théâtre et prend vite goût à la scène et à l'improvisation. Le jeu d'acteur lui ouvre une fenêtre sur le monde du cinéma puisqu'elle commence à se plonger dans les films, en même temps qu’elle devient actrice professionnelle, à l'âge de 17 ans. C'est à cette époque qu'elle découvre Délits

Flagrants de Raymond Depardon. Ce documentaire accentue encore sa curiosité pour le Septième art. Fascinée par les plans en caméra fixe et la puissance dégagée par les personnes filmées, ce long-métrage lui apparaît comme « un parti pris très fort de cinéma ». En 2007, Jean-Claude Brisseau lui propose un rôle dans ses Anges exterminateurs. Ce film à l’érotisme prononcé explore le désir féminin au cinéma et se retrouve sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes. Grâce au réalisateur, pour lequel elle éprouve beaucoup de respect, elle s'inscrit en cinéma à l'université Paris I. Il y a deux ans, elle commence le tournage de son premier long-métrage avec l'acteur­réalisateur Alexandre Zeff. Le montage s'est achevé il y a deux mois. Tourné en caméra fixe, Rencontres est une succession de

Les films en compétition I used to be darker

Emperor visits the hell

Taryn, jeune irlandaise en fugue, trouve refuge aux états-Unis, auprès de son oncle et sa tante. Tous deux sont sur le point de rompre, et ont déjà cessé de vivre ensemble. Leur fille Abby vit très mal cette séparation et Taryn est porteuse d’une nouvelle susceptible d’aggraver encore la situation… Le retour du réalisateur Matt Porterfield à La Roche-sur-Yon après Putty Hill en 2010.

Luo Li adapte un poème épique chinois, avec une équipe de tournage sino-canadienne. Il déplace les intrigues typiques de la dynastie Ming à l’époque moderne, avec ses bureaucrates, ses gangsters et ses politiciens. Ils critiquent de manière sous-jacente la Chine d’aujourd’hui.

« moments singuliers de la rencontre, où on ne dévoile pas tout, tout de suite » entre des individus qui ne sont pas interprétés par des acteurs professionnels. Aujourd'hui, son travail de journaliste et de critique a mené Maroussia Dubreuil à La Roche-sur-Yon, en tant que membre du jury de la presse. Une occupation presque inédite pour elle, qu'elle perçoit comme une expérience collective. Lorsque nous lui demandons si cette nouvelle casquette change sa façon d'appréhender les films, elle répond, assez justement : « Tout se combine, tout est lié. Je ne crois pas avoir regardé le cinéma de manière différente à chaque fois ». Et Maroussia Dubreuil de conclure avec malice, sans la moindre trace de regret dans les yeux : « je fais les choses qui me plaisent, j'essaye, je tente quoi ! ».

Par Camille Peltier et Léonore Freidin

© I used to be darker, Matt Porterfield

au

ROEE ROSEn, court mais trash

© La Bataille de Solférino, Justine Triet

Aujourd'hui


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