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c o n s o m m e n t
n° 10/2003 80 /an d i r ec t i o n : L u c d u b a n c h e t e t l a u r e n t s e m i n e l
Éditorial Les plus beaux métiers du monde Omnivore, ce sera chaque mois, le bonheur de la
jeune cuisine française: ça commence aujourd’hui
gourmandise, l’extase des sens et… Non franchement, on aimerait beaucoup écrire ça, au moins une fois. Continuer encore quelques lignes. Mais difficile d’aller plus loin avec des mots qui pèsent leur petite tonne. On préfère laisser ça à d’autres, qui le font tellement mieux et depuis si longtemps. Omnivore ne sera donc pas le journal du bonnement beau, du bêtement bon. Nous avons, au contraire, pensé ce mensuel - « tout en couleur » comme on le disait avant – comme un vrai journal d’information, d’opinion, de débats. Pourquoi ? Pour tenter de répondre, ou tout du moins d’accompagner, les questions qui taraudent des professions en pleine mutation. La cuisine, la viticulture et la culture de la terre sont aujourd’hui des enjeux fondamentaux de notre société. Parce que rien n’est gagné dans la bataille du goût, parce que la qualité a encore du mal à s’imposer et que le monde quelque peu rigide et codifié de la cuisine ne permet pas à une nouvelle génération d’émerger. C’est cette culture en mouvement qu’Omnivore se fait fort de capter, de suivre d’un œil critique, loin du militantisme et ou des idées étriquées. En général, chaque éditorial de chaque nouveau journal se termine immuablement par les mêmes mots : considérez que ce journal est le vôtre. Omnivore, plus que d’autres, est porté depuis fort longtemps par les têtes bien faites de chefs qui incarnent la relève, par les discussions enflammées avec les vignerons et les producteurs. Qu’ils en soient tous remerciés et trouvent dans ces pages le résultat de leurs efforts.
12 plat d’émoi
Le chabrot chic de barbot
Ils ont trente ans, la vie devant eux mais le talent entre les dents. Ils sont prêts à en découdre avec ce métier de cuisinier, réputé si difficile et qu’ils ont pourtant choisi, comme on embrasse une grande carrière. Ils attendent simplement qu’on leur laisse une petite place. Pour une reconnaissance légitime. (Dossier p. 4)
2 6m Ducasse : « Faites une cuisine de cuisine
qui vous ressemble ! »
I
l arrive dans son costume impeccable. Stature imposante, sourire doux du tueur. Difficile de faire plus présent, plus investi dans un espace donné qu’Alain Ducasse, qu’on ne présente plus. Mais qui continue de se présenter ! - « Alain Ducasse » avec cette imperceptible pointe d’accent héritée de Castelnaudary, en tendant une main ferme. Et l’interview, la parole, commencent tout de suite, sans temps mort. Difficile de couper, de questionner. Mieux vaut l’interjection (« Ah ? », « Oh ! »), le bout de phrase avortée (« mais
en même temps… ») qui s’adaptent mieux, dresse un lit à la pensée mitraillette du « chef mondial ». Avec lui, mieux vaut pour l’intervieweur se concentrer sur les réponses que sur ses propres questions. Mieux vaut tendre l’oreille, comprendre entre les lignes… et réécouter la bande enregistrée pour bien décrypter une pensée touffue, entre conservatisme provocant et avant-garde prédigérée. On en ressort parfois agacé, souvent plus ouvert. Toujours ébranlé par ce talent hors norme de synthèse prospective. (suite p. 5)
7hors-limites
l’Italie fait la boulette
8 portrait
Nicolas vagnon
par
Sonia Ezgulian
Q
uand j’ai poussé la porte battante des cuisines de la Villa Florentine, j’étais aussi impressionnée que pour ma première journée en classe de sixième, le monde des grands. Vêtue de mes beaux habits tous neufs – un horrible pantalon pied-de-poule bleu marine et une veste rêche, trop ample à mon goût –, j’ai fait mon entrée dans la « cour de récré des garçons », le petit périmètre autour de la machine à café, en affichant une décontraction feinte qui s’est maladroitement traduit par un très large sourire figé. (suite p. 3)
9 de la terre
Faut-il aimer le terroir