OMNIVORE MAGAZINE VOLUME_5

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VOLUME_05 5,50 EUrOs

ALI-BAB PIÈGE DIM SUM A L’ÉCOLE DE MARX VINO RINO


Le festivaL De La jeune cuisine

Paris 17-19 mars 2013

MAISON DE LA MUTUALITÉ

david toutain est SAilor et tuNA

informations et réservations sur www.omNivore.com


10 ANS 2003 – 2013. On a beau se pincer, On ne rêve pas. OmnivOre a bien dix ans cette année. ce qui n’était d’abOrd qu’un magazine, avant de devenir un guide de restaurants unique en sOn genre et une série de festivals partOut dans le mOnde, n’est pas né sur un cOup de tête mais sur la certitude que les chOses pOuvaient bOuger en cuisine. 2003 n’était pas fun aux fOurneaux. la cuisine française s’était ratatinée depuis une décennie, percluse d’immObilisme et de certitudes. manger bien signifiait manger cher, peu créatif, limite chiant. mais, avant les autres, OmnivOre a perçu l’émergence d’une nOuvelle génératiOn de chefs et de nOuvelles envies. “Jeune cuisine : ça cOmmence auJOurd’hui !” titrait ainsi le premier magazine, sOrti en septembre 2003. dix ans plus tard, la cuisine Occupe l’espace-temps, du restaurant à la télévisiOn, des JOurnaux aux blOgs. OmnivOre, lui, n’a cessé de faire sOn travail : défricher, décOuvrir et nOurrir. la meilleure recette pOur inventer demain et ne pas sOmbrer dans la nOstalgie. Luc Dubanchet

RéDACTION directeur de la rédactiOn Luc Dubanchet directiOn artistique Dimitri maj cOOrdinatiOn esteLLe haLaDjian rédactiOn et phOtOs PauL bowyer, sébastien DemoranD, Luc Dubanchet, marie-Laure fréchet, kim Levy, stéPhane méjanès, marc schwartz, bruno verjus phOtO de cOuverture venDeuse ambuLante (shanghai, chine) © omnivore www.omnivore.com mARkeTINg & COmmeRCIAl directeur du dévelOppement omar aboDiD tél. : 01 44 31 52 18 • omarabodib@omnivore.fr directeur cOmmercial jean-christoPhe tiraby tél. : 01 44 31 52 18 • jctiraby@omnivore.fr chargé d’affaires guiLhem carLe-roux tél. : 01 44 31 52 18 • guilhemcarleroux@omnivore.fr OmNIVORe WORlD TOUR seniOr prOducer justine Prot tél. : 01 44 31 52 18 • justineprot@omnivore.fr Omnivore magazine est édité par sarl Omnivore au capital de 486,40 euros • rcs paris b 450 370 929 imprimé par rhodimprim - 69680 chassieu • directeur de la publication : luc dubanchet

SOMMAIRE P.04 BOCUSE FRENCH PARADOXE P.08 ALI-BAB PIÈGE P.14 MENU MONET P.20 FRÉDÉRIC LOEB, ENTRETIEN P.26 LE TOUR DES BASES EN 80 GESTES P.30 XIAOLANGBAO, SANG DE SHANGHAI P.36 ASTRANCE, PHOTOS OUBLIÉES P.42 JE SUIS CE QUE JE CUISINE P.44 LA POSSIBILITÉ D’UNE ÎLE P.50 POLÉMIQUE À LA TARTE P.56 LA BULLE ET LA VIGNE P.60 VINO RINO 2013_volume 05

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LA CAVERNE D’ALI-BAB PIÈGE omnivore : comment débute votre histoire avec le livre ? Jean-françois piège : un déclic au tout premier livre ! enfin ce n’était pas mon premier, au sens du premier livre lu mais le premier ouvrage pour la compréhension de mon métier. maman m’offre la france à la carte de gault-millau aux éditions du chêne. J’ai 14 ans, je viens de rentrer à l’école hôtelière. dans ce livre, je découvre la france de la cuisine : des chefs, des vins, des fromages, des gens qui cultivent, des territoires, des artisans. Je me dis : voilà la force de mon pays, voilà les talents de la cuisine.

cet ouvrage exprime parfaitement ce que peut être la france vue de la cuisine. On ouvre le livre, on tourne une page, on découvre le vin... viennent ensuite les grands restaurants parisiens. les acteurs de ces restaurants – les chefs – sont figurés en toutes petites vignettes. une façon d’appréhender l’essentiel : ce qui présente un intérêt, l’œuvre, pas les chefs eux-mêmes. Je suis interloqué par les plats et les recettes. comment peut-on imaginer de tels plats ! Je lis : “le faire à la façon la plus agréable à l’œil possible”. une révélation ! la vraie chance, ce ne sont pas les recettes mais la conjonction de ce territoire, des hommes et des ingrédients autour d’un certain savoir-faire. pour exemple, le “saint-pierre au plat et au four comme une surprise” d’alain chapel. à propos des filets

de saint-pierre : “c’est leur rapide cuisson au four qui fait la surprise”. cette petite phrase donne l’essence de la recette. ce livre offert par ma maman fonde et déclenche mon goût pour la cuisine et pour les plats. le soir, seul dans ma chambre, je prends des feuilles de papier blanches, les dépose sur les photos des recettes et fais comme un calque pour redessiner les plats. ils deviennent mes personnages idéaux, mes héros. Je rêve des mets de maximin, blanc, bocuse, gagnaire, chapel, chiboit, troisgros, trama, rostang, loiseau, haeberlin...

C’EST AVEC SON GRAND-ONCLE ET SON GRAND-PÈRE QU’IL SE DÉCOUVRE UNE PASSION POUR LE JARDIN ET LE GOûT DES LÉGUMES ET DES FRUITS. MAIS C’EST SA MAMAN QUI L’EMMÈNE DÎNER CHEz JACQUES PIC À VALENCE ET LUI OFFRE SES PREMIERS LIVRES DE CUISINE. ILS N’ONT DEPUIS PLUS QUITTÉ UNE BIBLIOTHÈQUE QUI N’A CESSÉ DE GRANDIR AU FIL DES ANNÉES ET DES ACHATS COMPULSIFS CHEz LES BOUQUINISTES. LA BIBLIOTHÈQUE DE JEAN-FRANçOIS PIÈGE OCCUPE MêME UNE PIÈCE ENTIÈRE À L’ÉTAGE DE THOUMIEUX. UNE PIÈCE/BUREAU RÉSERVÉE À QUELQUES INVITÉS DÉSIREUX DE DÎNER DANS CE CADRE TRÈS INTIME, CHALEUREUX ET STUDIEUX. C’EST ICI QUE LE QUADRA FORMÉ CHEz DUCASSE AVANT DE S’ÉMANCIPER AU CRILLON ALIMENTE QUOTIDIENNEMENT SA MÉMOIRE EN MOUVEMENT QUI LUI PERMET DE PUISER COMME PEU D’AUTRES CHEFS DANS UNE CULTURE AGILE, DOUBLÉE D’UNE CURIOSITÉ INNÉE. IL FEUILLETTE POUR OMNIVORE SES OUVRAGES TExTE bruno VerjuS PRÉFÉRÉS, PARMI LES MILLIERS QU’IL POSSÈDE. 2013_volume 05

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MENU MONET

ÉRIC GUÉRIN N’ÉTANCHERA PEUT-êTRE JAMAIS SA SOIF D’ENTREPRENDRE. APRÈS LA “MARE AUX OISEAUX” ET LE “SEASON’S”, LE CHEF DE SAINT-JOACHIM S’INSTALLE CHEz CLAUDE MONET, À GIVERNy.

TExTE StéPhane méjanèS

folie, n.f. : autrefois, riche maison de plaisance (Larousse). cette définition moins connue offre un jeu de mots facile pour la nouvelle aventure d’éric guérin à giverny. une folie. le vilain petit canard de la gastronomie, déjà patron de la mare aux Oiseaux (saint-Joachim, 44), ou maO pour les initiés – et ils sont nombreux – , et du season’s (la baule, 44), s’est offert une vaste demeure centenaire en pierre de vernon, au milieu d’un parc, en contrebas de la maison et des jardins de claude monet, que l’on peut atteindre à pieds en quelques minutes, par la sortie des artistes. il l’a baptisée “le Jardin des plumes” (Jdp), histoire de continuer à filer la métaphore ornithologique. franchement, en quittant les lieux, peu de temps après l’ouverture, par un brumeux après-midi de décembre, on pensait davantage à zizi Jeanmaire. “un truc en plumes, ça vous caresse, avec ivresse, tout en finesse.” c’est un peu normal d’être impressionné à giverny mais, pour tout dire, on ne s’attendait pas à se faire chatouiller

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à ce point la corde sensible en débarquant chez nadia et Joackim. nadia socheleau a planifié son départ de l’arpège, où elle officiait en salle, dès qu’éric guérin, son ancien patron à la maO, lui a dévoilé son projet fou, deux ans plus tôt. Joackim salliot, qui fit également ses classes en cuisine à saintJoachim, mais aussi chez philippe vétélé (anne de bretagne, la plaine-sur-mer) et alexandre couillon (la marine, noirmoutier), deux très sérieux des bords de mers, n’a pas hésité plus de cinq minutes avant de toper là. ils sont désormais maîtres des lieux et leur bonheur est communicatif. les parents d’éric guérin ne sont jamais très loin. On les a croisés ce jour là avec monette, la grand-mère courbée au pas mal assuré, venue poser son œil malicieux sur l’œuvre de sa progéniture. giverny, ce n’est pas n’importe où. éric a traîné ses guêtres dans le vexin durant toute son enfance. tandis que son père arpentait les routes en tonitruant vrp multicartes, il s’échappait de la galerie de sa mère, à 1 km de giverny, à limetz-villez. c’est tout naturellement à elle qu’il a confié la décoration du Jdp. bien joué car le premier choc est visuel. passé le jardin en cours d’aménagement et qui renaîtra au printemps, monté les quelques marches

vers la grande porte d’entrée, dès le hall, on prend un solide coup de flash back dans les mirettes. érigée en 1912, la vieille bâtisse n’attendait qu’un soigneux lifting art déco pour retrouver sa jeunesse. “On a eu tout de suite le coup de foudre, se souvient Joackim. mais la maison s’essoufflait, elle était en fin de vie. il y avait de la moquette rouge partout, le mauvais goût typique des années 70.”

AUX POLLUEURS DE L’âME

chaque meuble a été chiné par madame guérin, ou fabriqué sur mesure par un génial ébéniste du cru, emmanuel hellot, à villersen-arthies. chaque luminaire, dont deux énormes lustres de paquebot aux grosses pampilles en forme de plumes, a trouvé sa place, comme un fantôme du passé. il y a aussi ce tableau, accroché au mur d’un petit salon cosy cuir et marqueterie, près du bar. une huile représentant un genre de suffragette aux cheveux courts (ou attachés ou chapeautés, on ne sait plus) et au corsage déboutonné laissant échapper deux



“ LA CUISINE e DU XXI SIECLE DOIT SE COMPRENDRE IMMEDIATEMENT ” 300 EXPERTS EUROPÉENS DE L’ALIMENTATION INTERROGÉS, DEUX ÉTUDES DE 200 PAGES SUR LES TENDANCES DE LA FOOD MONDIALE, DES DIzAINES DE PISTES POUR LA RESTAURATION DE DEMAIN : TELLE EST LA SOMME RECUEILLIE PAR L’ORGANISATION DU PREMIER SIRHA WORLD CUISINE SUMMIT. ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC LOEB, SON DIRECTEUR GÉNÉRAL.


omnivore : Qu’est ce qui a prévalu à cette étude mondiale sur l’alimentation et la restauration ? frédéric Loeb : c’est une base de travail et de réflexion logique pour l’organisation d’un événement tel que le sirha World cuisine summit, le premier du genre dans le monde. c’est une étude qui a l’ambition d’être annuelle, une sorte de loupe, de lunettes grossissantes pour la restauration qui est en pleine mutation dans le monde entier. après plusieurs mois d’enquête, des centaines d’experts interrogés, nous exposons tous les indices pour étayer les futurs probables. et le moins qu’on puisse dire, c’est que dans une époque de doute, il semble temps de faire la révolution des palais ! Quels sont ces bouleversements ? nous sommes par exemple en france dans une époque où le premier restaurateur est mc donald, où ce que j'appelle la “fine cuisine” ne représente que 1 % du marché. nous sommes dans une époque où la voiture n’est plus un véhicule d’évasion mais statutaire, de fonction, où il n’y a donc plus besoin de guide pour se repérer. la critique elle-même est bouleversée par les photos de plats qui sont tout de suite publiées par les mangeurs sur instagram… de la production au commentaire, en passant par le mangeur lui-même, tout est remis à plat. et c’est pareil dans tous les pays. dans ce contexte là, il faut donner à tout le monde les outils pour comprendre, c’est l’ambition de cette étude et du sirha World cuisine summit. On ne prend pas parti mais on met autour de la table l’ensemble de la cuisine, de Joël robuchon à carlo mirarchi, en passant par mccain et mc donald… Quelle vue d’ensemble peut-on tirer de l’étude ? bien entendu il y a des tas de tendances. mais nous les avons regroupées en trois pôles fondamentaux. le pôle développement durable, ce que les anglais appellent le “sustainability” qui est intraduisible mais qui allie à la fois des notions de durabilité, de santé et de bien être. ce pôle est tiré en tension avec le “healthfulness”, le mieux être, qui lui même est en tension avec l’expérience, le plaisir sensoriel. tout cela étant sous-tendu par l’unicité, c’est à dire le fait que chacun d’entre nous est unique, en quête d’une expérience qui lui est propre. pour revenir sur le territoire du restaurant, nous ne sommes plus au niveau mondial dans l’ère du “on s’éclate toujours plus” mais dans l’équilibre général entre santé, divertissement et sensorialité qui représente chacun 30 % du total.

et en france ? comme souvent, c’est le vrai french paradoxe. nous qui pensons faire les tendances de la restauration, sommes totalement à côté de la trilogie. la convivialité domine à 60 % et la santé qui, en moyenne est à 50 % dans le monde entier, n’est qu’à 20 % en france. Quelle conclusion en tirez-vous ? globalement que la france se voile la face, vit toujours dans une grandeur passée qui n’est plus en adéquation avec le monde. On inscrit notre repas au patrimoine mondial de l’humanité, on fait un réseau de cités gastronomique, mais on ne s’intéresse qu’au passé. On vit dans la nostalgie d’un monde qui n’existe plus. certains chefs sont partis ailleurs et ont parfaitement adapté leur offre au pays où ils sont – l’exemple même étant daniel boulud où Jean-georges vongerichten aux états-unis –, d’autres comme yannick alleno ou Jean-françois piège mettent en place leur vision, mais globalement la france reste trop dans les traditionalismes, la tradition. vous semblez pessimiste pour l’avenir ? non je reste optimiste car nous avons une formidable capacité à recycler et à rendre meilleur les systèmes qui, ailleurs, sont très fermés. c’est en france par exemple que mc donald a développé l’ancrage dans la culture locale avec les fournisseurs (80 % des ingrédients viennent du local), qu’il a également réformé l’image du quick service en améliorant le service en salle – parce que la culture française l’y incitait… dans la “fine cuisine”, toutes les révolutions en cours ont trouvé leur fondement en france. la culture récente de la cuisine nordique sur le local, c’est français. l’aspect santé de la cuisine américaine, c’est également français avec michel guérard, l’aspect universel de la cuisine, c’est paul bocuse qui l’a initié… la france est donc un creuset formidable mais l’élite doit se secouer, la province arrêter de complexer par rapport à paris et paris arrêter de mépriser la province. il faut globalement qu’on accepte de regarder ailleurs 5 minutes pour pouvoir rebondir, remettre la machine à digérer les idées en marche pour relancer la créativité.

au plan international qu’est ce qui se dégage de l’étude ? les deux pays de cocagne de la gastronomie à venir sont le brésil et la chine. brésil parce que tout y pousse, les brésiliens n’ont pas encore exploité leur formidable terroir, notamment le nord avec l’amazonie. leur point faible est qu’ils n’ont pas de patrimoine culinaire. la chine parce que son patrimoine culinaire, les huit grandes cuisine régionales, est unique, exceptionnel. les chinois sont en pleine réinvention de leur monde – la france a d’ailleurs un rôle à jouer car elle représente le luxe. leur point faible demeure la sécurité alimentaire. l’autre leçon de cette étude est que contrairement à ce qu’on écrit, la scandinavie et le moléculaire ne sont pas considérés par les experts comme l’avenir. le courant de la cuisine comme mode de vie contemporain, du quotidien, est incarné par les états-unis et l’italie, la seconde étant d’ailleurs la base d’alimentation de la première. le pôle de l’exception se situe toujours entre la france, le Japon et l’espagne. Qu’est ce qui différencie la perception entre la cuisine italienne et la cuisine française ou espagnole ? l’italie a la côte car sa cuisine, schématiquement la pasta, même si c’est évidemment plus complexe, est lisible. l’étude montre que les cuisines de modification structurelle de la matière – et c’est le cas des cuisines française, espagnole ou japonaise – peuvent créer un sentiment d’insincérité. l’enjeu pour la cuisine française est qu’elle parvienne à rendre sa cuisine plus lisible : moins apprêtée, plus naturelle. la cuisine du xxie siècle doit se comprendre immédiatement. est ce que ce n’est pas la fin de la fine cuisine ? On est clairement en tout cas dans un tournant, à la fin d’un grand cycle où toutes les cuisines se sont inspirées de la cuisine française. mais nous avons des atouts certains : une capacité à recycler le moderne, une base de produits et de terroirs exceptionnelle, un mouvement “off”, de créateurs, qui a été structuré et une capacité à saisir ce qui commence sans compter la puissance du design et de la pâtisserie dont les techniques de pointe peuvent être transposées dans le salé pour l’alimenter. Pour acheter le rapport et l’étude du sirha world cuisine summit www.sirha-world-cuisine-summit.com/fr

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LA PALETTE DES TENDANCES 2013-2018 L’ÉTUDE DU WORLD CUISINE SUMMIT PRÉSENTE ENTRE AUTRES UNE TRENTAINE DE DOUBLE PAGES PHOTOS LAISSANT LIBRE COURT À L’INTERPRÉTATION, À LA PROJECTION DES IDÉES DE CHACUN. DE TOUT POUR FAIRE UN MONDE CULINAIRE COMPLEXE. FRÉDÉRIC LOEB EN COMMENTE QUELQUES-UNES POUR NOUS.

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Café & chocolat Caramel & Noisettes

Barrista culture Coffee & Chocolate Caramel & Hazelnuts

“La cuisine c’est La main, La main c’est L’humain. iL y a un ParaDoxe entre La brutaLité et L’extrême finesse. faire 67 un chocoLat rePrésente un travaiL terribLe, De La séLection Des fèves au conchage, c’est La même chose Pour Le café. La cuisine De Demain est Le raPPort entre L’ouvrier et Le cuisinier D’éLite. sous Les vestes, se cachent Des artisans tatoués.”

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Le tour des bases en

80 GESTES TROIS ANS APRÈS L’OUVERTURE D’UNE ÉCOLE DE STREETFOOD À BLANQUEFORT, THIERRy MARX A INAUGURÉ CET ÉTÉ UNE FORMATION PARISIENNE, “CUISINE, MODE D’EMPLOI(S)”, DANS LE VINGTIÈME ARRONDISSEMENT. BRIEFÉES EN DOUzE SEMAINES, DEUX PROMOTIONS D’ASPIRANTS CUISINIERS ONT DÉJÀ DÉCOUVERT LES BASES DE LA CUISINE. PLONGÉE AU CœUR DE LA FORMATION. TExTE ET PhOTOS Kim LeVy “caroline, adrien, andres, sarah... bravo, la porte est ouverte, c’est le pied sur la marche. vous portez maintenant les couleurs de la gastronomie. Je vous souhaite bon vent !”. thierry marx donne leur diplôme aux six élèves de la promotion sortante, et se tourne vers les huit nouveaux entrants. “franckline, tiphaine, yann, etienne, flora... il n’y a pas de plan b : une fois entrés, vous allez jusqu’au bout. il faut être bien sur ses jambes. ça va être une très belle aventure.” le discours d’inauguration de l’école, retardé de six mois pour cause d’année électorale, a lieu dans le pavillon carré de baudoin, au coin de la rue de ménilmontant et de la rue des pyrénées, là où le petit marx a passé une grande partie de son enfance. les serveurs débouchent des bouteilles, les hôtes se tournent vers le buffet de gougères, amuse-bouche au saumon, feuilletés à la sauce mornay et estouffade de bœuf, une version traiteur sur nappes amidonnées du restaurant d’application à six couverts de l’école. en veste blanche estampillée “cuisine, mode d’emploi(s)”, pantalon pied-de-poule et chaussures de sécurité, sarah attrape entre deux torchons une marmite en fonte déjà vide, et sort du pavillon. elle traverse la rue de ménilmontant en quête de la nouvelle

livraison d’estouffade, mijotée en cours dans l’après-midi dans le fond de veau clair préparé le matin. coup de pied dans une porte taguée du côté des numéros pairs. derrière, c’est une cuisine professionnelle aménagée par la caisse des écoles du xxe arrondissement, que les apprentis partagent parfois avec une brigade de restauration collective. à 25 ans, elle a appris les bases de la cuisine entre ces murs, sur ces plans de travail, autour du piano central. elle avait commencé par travailler dans l’audiovisuel, à la production, et de fil en aiguille sur des tournages et des festivals “pour le catering. en mode démerde”. quand les candidatures se sont ouvertes pour l’école, elle a “décidé de tenter le coup”, elle qui n’est jamais restée indifférente à la cuisine familiale, à l’univers d’un oncle restaurateur. “Je commence. J’ai besoin de travailler la rigueur”. c’est l’une des seules à avoir décidé de rempiler sur huit mois de cap en alternance. les autres travaillent chez les frères blanc, ou en traiteur, deux ont abandonné, et un autre a pris un poste de cuisinier de nuit dans un grand hôtel parisien. “l’enjeu, c’est de former des commis”, explique thierry marx. “On ne prétend pas former de grands chefs, ni faire jeu égal avec les formations longues des autres

écoles de cuisine.” l’enjeu, c’est aussi de “ne pas former des esclaves, corvéables à merci”, insiste frédérique calandra, maire de l’arrondissement qui rappelle les 54 000 emplois à pourvoir dans les cuisines, où chacun commence au bas de l’échelle. “nous avons reçu encore 400 candidatures pour la prochaine session, c’est un succès parce que les gens trouvent un emploi à la sortie”.

LA MAïEUTIQUE EST UN COMMANDO

l’apprentissage commence par un mois de pratique des 80 gestes et recettes de base, les quatre grandes cuissons d’œuf, de viande, de poisson sous la direction du chef gérard cagna, retraité de ses fourneaux du relais sainte-Jeanne à cormeilles-en-vexin depuis quelques années, et quelques cours de pâtisserie. ensuite, il y a deux semaines de stage, un mois de révision des bases, et à nouveau deux semaines de stage. en tout, “douze semaines de commando”, se rappelle sarah. d’ailleurs gérard cagna, comme thierry marx, est un ancien parachutiste. “ce n’est pas une école de cuisine, mais une instruction. Je vois tout de suite les mauvaises postures, une épaule qui tombe. J’apprends

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XIAOLANGBAO, SANG DE SHANGHAI LE DUMPLING. C’EST, AVEC LA SOUPE, CE QUI TIENT LE SHANGHAIEN, LUI DONNE DU COURAGE DANS SA SEMAINE DE 72 HEURES. MAIS, COMME À PARIS, TROUVER LE BON RAVIOLI S’AVÈRE DÉSORMAIS PLUS COMPLIQUÉ QUE D’y ACHETER UNE FAUSSE ROLEX. PLONGÉE EN XIAOLANGBAO, LE RAVIOLI “À LA SOUPE”, SI DIFFICILE À TROUVER, y COMPRIS EN CHINE. TExTE ET PhOTOS Luc Dubanchet Paris. à force de fréquenter les restaurants asiatiques de la capitale, on a bien du se rendre à l’évidence : dim sum année zéro, dumpling en absence. les images volées des caméras de télévision ont définitivement scellé le sort de ces maudites bouchées vapeurs. viande décongelée puis recongelée, conditions sanitaires dignes de calcutta… un seul reportage sur m6 a fait plonger le commerce de 20 à 30 % durant plusieurs mois. avant de reprendre, mémoire courte et appât du pas cher. innocemment, on pensait tout de même que le meilleur chinois de paris, au coin de notre rue – non, vous ne saurez pas – s’en tirait pas si mal niveau vapeurs. Jusqu’à ce que shanghai révèle le sino saint graal. shanghai. On est déçu d’abord. la ville reconstruite abrite un tas de restaurants bidons ou de très grande consommation. bien sûr, il y a les soupes, les fritures et les plaques brûlantes dans les quartiers populaires. bouffe de rue qui porte bien son nom, ni mauvaise ni très bonne, souvent grasse et écœurante. les pattes de poulet se vendent comme des petits pains mais rien dans l’ensemble de très remarquable. dans le centre ville, les mall offrent l’excitation d’une multitude de cuisines regroupées dans un espace confiné, sans fenêtre. On étouffe pour un

bol de riz accommodé d’un peu de porc frit, roboratif et réconfortant quand le brouillard froid fond sur la ville. mais le ravioli, le vrai, le fantasmé depuis des années, entraperçu dans les chinatown de new york et de montréal, dans l’excitation du voyage, où est-il ? aucun chef expat’, aucun journaliste sur place capables d’indiquer la route. trop pressés de découvrir d’autres cultures que celle du pays où ils vivent. un soir, on croit quand même le toucher du doigt, le dumpling, quand on nous indique the place : din tai fung. “le meilleur endroit de la ville, tout le monde va la bas”. c’est parfois un signe, une preuve. la déception est immense quand on fait la queue dans un centre commercial ultra chic où cartier, audemars-piguet et breitling vendent sans doute plus de montres que de raviolis dans une journée. quoique. din tai fung est une chaîne. de shanghai à séoul, de singapour à hong Kong – ils ont même une étoile michelin là-bas ! –, des raviolis

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LA POSSIBILITÉ D’UNE ÎLE

ALEXANDRE COUILLON, INSTALLÉ À NOIRMOUTIER DEPUIS PLUS DE 13 ANS, A ÉTÉ DE TOUTES LES CONVERSATIONS EN 2012. OMNIVORE, QUI N’A PAS ATTENDU LE BUzz, VOUS AVAIT PRÉVENUS. LE CHEF DE LA MARINE EST UN VISIONNAIRE QUI N’OUBLIE JAMAIS D’Où IL VIENT. PORTRAIT. TExTE ET PhOTOS StéPhane méjanèS

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ASTRANCE

PHOTOS OUBLIÉES AU MOMENT Où LES ÉDITIONS DU CHêNE LUI CONSACRENT UN LIVRE – LE PREMIER EN TREIzE ANS D’AVENTURE RUE BEETHOVEN ! – , OMNIVORE RETROUVE DANS SES ARCHIVES UNE SÉRIE DE PHOTOS JAMAIS PUBLIÉES DE L’ASTRANCE. PHOTOS RARES PUISQUE PRISES MIRACULEUSEMENT PENDANT UN SERVICE, DANS UNE CUISINE SANCTUAIRE RAREMENT OUVERTE AUX JOURNALISTES. TExTE ET PhOTOS Luc Dubanchet c’est en feuilletant le livre de chihiro masui que je me suis souvenu du petit trésor : une série de photos prise en 2009 de manière totalement fortuite dans les cuisines de l’astrance. un jour d’été, le brillant rédacteur du new york times, Oliver strand, passe au bureau pour prendre un café. il a rendez-vous avec pascal barbot et christophe rohat pour une interview arrachée de haute lutte. il n’a pas de photographe, pense pouvoir tout de même en envoyer un plus tard. Je rigole en lui rappelant le côté poli mais sauvage du duo de la rue beethoven. une force de résistance à toute épreuve contre la sur médiatisation et l’encombrement d’espace intempestif. devant la mine déconfite du confrère, surgit l’idée naturelle – mais avec le recul pas si réaliste de débarquer à l’improviste : “si tu veux j’ai mon appareil, je t’y emmène en scooter et je pourrais shooter pendant que tu leur parles.” c’est ainsi qu’on est parti sur les quais ensoleillés. bien sûr, le rendez-vous avait été oublié, l’heure du service avait déjà sonné. et l’on s’est retrouvés soudain emprisonnés dans les vingt mètres carrés (à peine) d’une cuisine en pleine préparation pour le déjeuner. Oliver coinçant sa grande carcasse entre la porte de la cour et le mur carrelé, moi au milieu,

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entre porte battante et passe de fortune installé au niveau de la pâtisserie, à l’avant de la cuisine. nikon en main, je mitraille pascal et christophe sans avoir ni sujet, ni objectif en tête, simplement donner à mon camarade américain, un lot de photos pour son article. J’ai pris 200 clichés, sans préparation, dans une lumière impossible, tentant vainement de ne pas avoir un barbot flou dans le viseur, lui qui bouge en permanence, guet chargé de tout contrôler. il se met surtout à faire l’andouille, chausse des lunettes noires, danse avec le thermomix. christophe rohat, l’alter ego, l’essentiel complice en salle, ne se prive pas de bons mots pour souligner l’incongruité de notre présence. la séance dure à peine vingt minutes, c’est un tourbillon, presque une ivresse de se retrouver dans la machine astrance en train de vrombir, de monter en puissance pour le service quotidien des vingt couverts. un premier shot sort, un plat de langoustines suit. christophe nous conduit gentiment vers la sortie… sur le trottoir, Oliver est dérouté. le résultat du shoot est lui déroutant : sur le vif, pas toujours net, mal cadré, souvent flou, trop de grain, trop de plans… le new york times magazine refuse poliment les planches envoyées.

Je les oublie. Jusqu’à ce que le livre de chihiro masui me les remémore. quatre ans plus tard ces instants captés sur le vif émeuvent le journaliste que je suis. car je sais qu’il s’agit là de moments rares, autorisés par une complicité des tous premiers jours. cherchez ailleurs sur internet, dans les journaux, les magazines… vous ne verrez jamais de photos de l’astrance en pleine cuisine, pascal et christophe côte à côte pour préparer les ultimes instants avant que les clients n’arrivent. pour célébrer leur premier livre, le travail colossal accompli par l’auteur et le photographe, il semblait logique qu’Omnivore les publient.

astrance chihirO masui, phOtOgraphies richard haughtOn, éditiOns du chêne 420 pages, 68,90 €


“il m’a fallu trois ans Pour convaincre Pascal et christoPhe qu’un livre sur l’astrance s’imPosait. la Première fois que j’en ai Parlé à christoPhe, il a dit : “Pourquoi Pas ? il faut voir avec Pascal”, tout en sachant que le chef m’enverrait Promener. et ça n’a Pas manqué : “ah non ! je n’ai Pas le temPs ! ” devant ma mine déconfite, car c’est quelqu’un de très gentil, il a ajouté dans un murmure : “Peut-être dans cinq ans…” CHIHIRO MASUI, L’ASTRANCE 2012

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Par s

BOCUSE LE FRENCH PARADOXE

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le modèle, bâti de toutes pièces dans les années 60, à grand renfort de drapées et de laiton brossé, de produits haut de gamme et de bataillons de serveurs, le modèle périclite. bocuse et quelques autres ont sorti de sa léthargie le restaurant français des années soixante, ont fait d’une bonne popote des familles la grande machine ronflante de la “haute gastronomie”. et c’est cette même machine qui crachote aujourd’hui, entourée de quantité d’enfants clones qui, tous, un jour, ont caressé l’espoir de devenir bocuse. bocuse est le paradoxe français, le catalyseur de toute une cuisine dans ses avancées et ses renoncements, ses succès et ses échecs.

IL A FAIT LA GRANDEUR DE LA CUISINE FRANçAISE, LÉGITIMÉ LA GRANDE CUISINE DU XXE SIÈCLE. MAIS CETTE DERNIÈRE POURRA-T-ELLE SURVIVRE AU MyTHE ?

il y a neuf ans, quasiment jour pour jour, omnivore prenait le chemin de collonges pour interviewer celui sans qui la cuisine française n’aurait pas été celle qu’elle fut au xxe siècle. un dossier sur la transmission des savoirs nous mettait sur la piste logique de Paul bocuse, par qui la nouvelle cuisine puis son exportation dans le monde entier étaient arrivées. nous étions un peu intimidés, il nous attendait dans le grand salon du restaurant mythique, avait lu de a à z les premiers numéros de notre jeune revue et avait les idées très claires sur ce qu’il convenait de penser de la cuisine et des cuisiniers. L’entretien fut à la fois chaleureux et âpre, le déjeuner qui suivit pantagruélique. “vous ne mangez pas plus ?”, questionnait monsieur Paul en roulant ses yeux malicieux vers des plats prévus pour dix alors que nous n’étions que quatre. Le retour vers Paris fut flou, incertain. Le souvenir, lui, reste intact. omnivore publie en forme de clin d’œil, à l’occasion du sirha, l’intégralité de cet entretien qui avait eu la chaleur et la passion escomptée. luc dubanchet

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collonges, décembre 2003. “vous savez, j’ai 80 ans... (on proteste) bon, disons 78. et je vais vous dire: aujourd’hui, bocuse met la pédale douce.” d’où vient soudain cette étrange impression qu’il n’est pas tout à fait sincère, qu’il ne saura pas s’arrêter, qu’il ira au bout de lui-même et de l’étoffe de cuisinier ? il le dit d’ailleurs, quelques minutes plus tard : “mais que voudriez-vous que je fasse, que je passe mon temps à regarder la télé et à changer de chaîne ?” non, bien sûr. bocuse ne s’envisage que dans l’action, l’activation quotidienne de réseaux, la pêche innée à l’information et à l’anecdote croustillante, téléphone crépitant dans le monde entier pour savoir ce qui peut bien s’y passer. voudrait-il prendre une retraite amplement méritée qu’il ne le pourrait pas : les mythes ont la vie dure, dépassent le plus souvent la simple personnalité de celui qui le porte, ses simples envies personnelles.

UNE SALADE DE HARICOTS VERTS

parlons d’abord des succès : il y a eu un avant bocuse, où une france rurale s’attablait tranquillement le dimanche en famille à manger du cochon et boire du vin tiré le matin même de la cave. c’était encore ça, après la guerre. bocuse avait 19 ans, était né au-dessus de la cuisine, ici même à collonges. il faisait ses premiers pas chez la mère brazier, “où il fallait savoir traire les vaches et faire le jardin” ou encore chez fernand point “qui aimait la précision et la qualité, qui a amené un certain luxe, le baccarat sur les tables et les verres fins.” mais à l’époque, ces institutions-là n’étaient qu’une poignée. elles se multiplièrent quelques années après. c’est qu’entre-temps, bocuse était passé par là. Ou plutôt n’avait pas cessé d’être là, dans ce qui, à l’époque, s’appelait encore l’auberge du pont de collonges, une table à la campagne, des bords de saône, où 200 couverts pouvaient parfois s’entasser dans la cour pour manger une cuisine franche et bonhomme faite de saucisson chaud et de poulet sauté chasseur. une cuisine, deux étoiles octroyées dès 1962 par michelin, “parce qu’on avait des broches, qu’on faisait de la volaille de bresse et que je m’étais remis à faire de la cuisine classique, foie gras, pâté de grives, terrines et pâtés en croûte...” c’est dans cette même maison, quelques années plus tard, un soir suivant un déjeuner particulièrement copieux, que commença à germer l’idée de la nouvelle cuisine : “gault et millau, qui travaillaient à l’époque à paris-soir me demandent de leur faire un re-

bocuse est un mythe français dans le monde entier, le pèlerin de la bonne humeur et des grandes bouffes, le porte-étendard de la “grande cuisine”. ce jour-là, il revient de shanghaï où, en compagnie de pierre troisgros, georges blanc et Joël robuchon, il a fait, d’une manière ou d’une autre – c’est en tout cas ainsi que le relatent les journaux – avancer les relations sino-tricolores. auparavant, il était aux états-unis. demain ? sur le terrain, comme toujours depuis plus de cinquante ans. alors s’arrêter... il préfère embrayer sur les questionnements de l’époque, les services véto de plus en plus exigeants, le système des ordures qu’il faut dorénavant payer et tous ces petits détails “qui engendrent de plus en plus de frais. mais qui sont nécessaires. il faut rester dans les clous, ne pas se dérober. mais nos maisons deviendront de moins en moins rentables. d’autant que les midis deviennent très calmes. moi je ne ferme pas, suis contre la fermeture. Je compense par l’abbaye qui assure les repas d’affaires (un groupe y présente aujourd’hui ses computers). Je joue avec l’équipage, avec les différents lieux du groupe. il faut s’adapter à tout cela et tout cela, pour moi, est assez compliqué.” et voilà résumé en quelques minutes le grand paradoxe de la cuisine française, de la bouche même de celui qui l’a quasiment inventée.

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omnivore : comment débute votre histoire avec le livre ? Jean-françois piège : un déclic au tout premier livre ! enfin ce n’était pas mon premier, au sens du premier livre lu mais le premier ouvrage pour la compréhension de mon métier. maman m’offre la france à la carte de gault-millau aux éditions du chêne. J’ai 14 ans, je viens de rentrer à l’école hôtelière. dans ce livre, je découvre la france de la cuisine : des chefs, des vins, des fromages, des gens qui cultivent, des territoires, des artisans. Je me dis : voilà la force de mon pays, voilà les talents de la cuisine.

cet ouvrage exprime parfaitement ce que peut être la france vue de la cuisine. On ouvre le livre, on tourne une page, on découvre le vin... viennent ensuite les grands restaurants parisiens. les acteurs de ces restaurants – les chefs – sont figurés en toutes petites vignettes. une façon d’appréhender l’essentiel : ce qui présente un intérêt, l’œuvre, pas les chefs eux-mêmes. Je suis interloqué par les plats et les recettes. comment peut-on imaginer de tels plats ! Je lis : “le faire à la façon la plus agréable à l’œil possible”. une révélation ! la vraie chance, ce ne sont pas les recettes mais la conjonction de ce territoire, des hommes et des ingrédients autour d’un certain savoir-faire. pour exemple, le “saint-pierre au plat et au four comme une surprise” d’alain chapel. à propos des filets

Les assiettes des chefs vous ont fait rêver, les chefs vous font-ils rêver tout autant ? Oui ! prenez michel bras. J’achète son livre “essentiel cuisine”, le jour même de sa sortie en librairie. en mai 92, ce sont mes parents de passage dans l’aubrac qui, sur mes indications, se rendent à laguiole et me font dédicacer le livre. michel bras écrit : “des images sensibles pour une invitation à la rencontre de l’univers des simples, si souvent oubliés en cuisine”. un vrai choc des mots sublimés par la qualité des photos. pour moi, le livre constitue la découverte d’un univers inconnu. une seule phrase, quelques mots, une photo et mon esprit s’envole. comme avec le livre de marie-pierre et michel troisgros et de bénédict beaugé sur la colline du colombier. le gratin de tripes et œufs durs... un livre c’est ça, une ellipse, une nourriture étrangère que le livre et son auteur m’aident à apprivoiser. un bon livre laisse pénétrer l’univers d’un chef. les recettes pour les recettes ne m’intéressent pas. en revanche, je m’embarque sur un détail et je voyage au travers des pages au gré de la sensibilité de l’auteur et du chef. un livre borde la pensée.

de saint-pierre : “c’est leur rapide cuisson au four qui fait la surprise”. cette petite phrase donne l’essence de la recette. ce livre offert par ma maman fonde et déclenche mon goût pour la cuisine et pour les plats. le soir, seul dans ma chambre, je prends des feuilles de papier blanches, les dépose sur les photos des recettes et fais comme un calque pour redessiner les plats. ils deviennent mes personnages idéaux, mes héros. Je rêve des mets de maximin, blanc, bocuse, gagnaire, chapel, chiboit, troisgros, trama, rostang, loiseau, haeberlin...

omnivore : s’il y a un grand chef qui a bordé la pensée tout en repoussant toutes les frontières de la cuisine, c’est alain chapel… Justement, ma seconde révélation surgit avec “la cuisine c’est beaucoup plus que des recettes”, chez robert laffont, d’alain chapel et Jean-françois abert, paru en octobre 1980. Jean-françois abert, malheureusement disparu, a su, comme personne, ou plutôt comme un ogre des sentiments et du savoir, parler de la cuisine. il faut lire ce qu’il a écrit sur pierre gagnaire dans “lucide et ludique” paru en 2006 aux éditions de la martinière... un chef-d’œuvre. avec alain chapel, Jean-françois abert offre un texte incroyable. J’ai relu, il n’y a pas très longtemps, cette préface intitulée “textes à la carte - i - les modes du temps, le menu-

C’EST AVEC SON GRAND-ONCLE ET SON GRAND-PÈRE QU’IL SE DÉCOUVRE UNE PASSION POUR LE JARDIN ET LE GOûT DES LÉGUMES ET DES FRUITS. MAIS C’EST SA MAMAN QUI L’EMMÈNE DÎNER CHEz JACQUES PIC À VALENCE ET LUI OFFRE SES PREMIERS LIVRES DE CUISINE. ILS N’ONT DEPUIS PLUS QUITTÉ UNE BIBLIOTHÈQUE QUI N’A CESSÉ DE GRANDIR AU FIL DES ANNÉES ET DES ACHATS COMPULSIFS CHEz LES BOUQUINISTES. LA BIBLIOTHÈQUE DE JEAN-FRANçOIS PIÈGE OCCUPE MêME UNE PIÈCE ENTIÈRE À L’ÉTAGE DE THOUMIEUX. UNE PIÈCE/BUREAU RÉSERVÉE À QUELQUES INVITÉS DÉSIREUX DE DÎNER DANS CE CADRE TRÈS INTIME, CHALEUREUX ET STUDIEUX. C’EST ICI QUE LE QUADRA FORMÉ CHEz DUCASSE AVANT DE S’ÉMANCIPER AU CRILLON ALIMENTE QUOTIDIENNEMENT SA MÉMOIRE EN MOUVEMENT QUI LUI PERMET DE PUISER COMME PEU D’AUTRES CHEFS DANS UNE CULTURE AGILE, DOUBLÉE D’UNE CURIOSITÉ INNÉE. IL FEUILLETTE POUR OMNIVORE SES OUVRAGES TExTE bruno VerjuS PRÉFÉRÉS, PARMI LES MILLIERS QU’IL POSSÈDE. P. 8

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dégustation”, et, je ne résiste pas à en donner lecture à nouveau : “la mode d’aujourd’hui est à ce que l’on nomme le menudégustation. une longue déclinaison de mets dissemblables, en un ordre capricant et que bouleverse encore la nomenclature des appellations, la variété surtout est sensée faire impression. un chipotage qui n’est pas sans rappeler celui du service dit “à la française” au xviie siècle et qui oblige le consommateur à une étonnante gymnastique des papilles gustatives. comment réamorcer sans cesse ces saveurs changeantes, ces plats superficiels et allusifs, cet étrange jeu de passez muscade où le plat, comme un lapin dans un gibus, disparaît sitôt qu’il a été entrevu ? pour le client ébloui par le spectacle de toute ces saveurs, il s’agirait donc de connaître telle ou telle maison de a à z, comme on souhaiterait lire les œuvres complètes d’un écrivain, en épelant brièvement chacune de ses spécialités. le menu-dégustation répondrait donc à ce fantasme : épuiser tous les possibles d’un restaurant, d’un seul coup, comme on épuiserait les mérites d’un livre par son prière d’insérer. étrange goût du bref, du condensé, du digest et qui s’allie fort bien à la valeur éminemment gratifiante que la cuisine d’aujourd’hui trouve dans l’adjectif court. cuissons courtes, sauces courtes, etc. avec encore comme radical illusoire du mot, le verbe courir. le menu-dégustation court ainsi d’une cuisson courte à une sauce courte...” c’est un texte écrit dans les années 80... d’une modernité ébouriffante. voilà ce que j’apprécie dans les livres, revenir à l’essentiel, garder en tête une diachronie.

(1) “La littérature sans estomac” de pierre Jourde, éditions l’esprit des péninsules.

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ce sont les erreurs. pourquoi ai-je pris cet ouvrage en main ? ce n’est pas un hasard, il y a une page erratum. mais il y aussi la recette de la brandade de morue. le cuisinier durand, “cuisine du midi et du nord” paru en 1865 à nîmes et vendu chez l’auteur. J’ai ici l’édition originale de 1930. dans ce livre, on peut aussi se purger des erreurs communes. la brandade de morue c’est quoi ? quand on dit brandade, aujourd’hui, on pense pomme de terre, or pour la recette originelle, la morue est montée simplement à l’ail et à l’huile d’olive. la pomme de terre est arrivée, par économie, bien plus tard. il faut accepter ses erreurs et en commettre. les livres sont de précieux compagnons pour les corriger.

votre culture se puise dans le passé, quid du présent ? il y a une semaine j’ai été bouleversé par “Origin”, le livre du chef néo-zélandais ben shewry (voir Omnivore vol_4 de décembre, ndlr), paru chez murdoch books en novembre 2012. “Origin” m’a bluffé par la qualité de l’édition, la puissance de l’évocation associée à une mise en page unique avec fac-similé et photographies majeures en double page. ce livre est à rapprocher de celui de christophe rohat, chihiro masui, pascal barbot et richard haughton – “l’ astrance” (voir également p.34). On y retrouve ce qui sait m’émouvoir : le partage d’une expérience et d’un territoire. pour moi, le territoire, c’est le terroir et l’homme, indissociables.

Dans un livre, vous cherchez un exercice de sincérité. L’auteur est face à son écriture et face à sa transmission, non ? les livres sincères habitent une histoire, un moment d’achat, une dédicace, un instant de vie figé. Je rêvais d’un incroyable livre. J’en connaissais le prix, tout aussi incroyable : 10 à 12 000 €. il y a de nombreuses années, je le trouve chez un libraire près du luxembourg. il est proposé à 2 000 €. c’est, bien sûr, audelà de ce que je peux payer. à l’époque, c’est ce que je gagne par mois... ce livre, c’est “les dons de comus” ou l’art de la cuisine réduit en pratique paru en 1739. en ce temps-là, les ouvrages disposent d’un titre et d’un frontispice, l’auteur est anonyme. On connaît le nom de l’auteur quelques années plus tard lorsqu’une suite au livre est éditée. voici ce que l’on peut lire sur le frontispice : “Ouvrage non seulement utile aux officiers de bouche pour ce qui concerne leur art mais principalement à l’usage des personnes qui sont curieuses de savoir donner à manger. d’être servi délicatement tant en gras qu’en maigre, suivant les saisons et dans le goût le plus nouveau.” cela pourrait être la profession de foi d’un groupe de jeunes chefs, aujourd’hui. cela n’a pas pris une ride, voilà un texte d’une grande modernité. Or ce n’est pas un livre de recettes mais un guide exhaustif pour accommoder les produits. l’origine du livre de recettes, ce sont les almanachs royaux de louis xiv, tout y est codifié pour donner une cuisine régulière.

est-ce que le livre est un déclencheur comme le cuisinier est un passeur ? le livre, qui est l’ouvrage référent d’alain chapel et l’un des miens, est celui de lucien tendret : “la table au pays de brillat-savarin”. lucien tendret, avocat du belley, capitale du pays de bugey est le neveu de brillatsavarin. ce livre démontre que le cuisinier n’est pas seul détenteur du savoir culinaire. dans l’univers des officiers de bouche, il est important qu’il n’y ait pas que des cuisiniers. sortir de l’académisme, c’est quitter l’univers purement technico-culinaire et aller vers l’émotion. l’émotion constitue une forme de poésie. cette poésie se transmet à travers les sensations et une culture. voilà ce que disait aussi alain chapel. Le livre et ses enseignements constituentils une belle façon de lutter contre l’ego du cuisinier, contre ce que je nomme la cuisine pronominale ? le meilleur enseignement dans la cuisine, ce sont les erreurs. On parle de la transmission, mais ce qui fait le plus progresser,

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Trois questions à William Ledeuil, chef de “Ze Kitchen Galerie”

obus de la première guerre diaboliquement hypnotiques. On en est persuadé, si elle avait enlevé le bas 50 ans plus tôt, on aurait vu l’origine du monde. les quatre chambres situées dans les étages respectent elles aussi le credo du genre, édicté par andré vera : “simplicité volontaire”, “matière unique”, “symétrie manifeste”. ici, tout n’est que clarté, ordre et harmonie. la salle du restaurant joue la transparence absolue, des étagères en verre faisant office de mini cloisons, l’air de rien, et de grandes fenêtres invitant le jardin à venir s’attabler, la lumière à occuper l’espace. Jusque là, on est comme envoûté, c’est dur à admettre mais c’est ainsi. le gastronome exigeant a aussi ses abandons. On est d’autant plus stupéfait qu’en octobre, lorsqu’on l’avait attrapé dans son petit bureau en désordre à la maO, éric guérin n’avait que des images de chantier à montrer sur son smartphone, et que des brouillons de plats, dessinés comme toujours, mais encore en gestation sur les fourneaux de son office de brière. rien n’était bouclé. les banquiers du vexin s’étaient pincé le nez et avaient gardé leurs précieux euros, avant d’organiser plus tard un déjeuner de fin d’année au Jdp, reçus avec tact mais sans

vers la grande porte d’entrée, dès le hall, on prend un solide coup de flash back dans les mirettes. érigée en 1912, la vieille bâtisse n’attendait qu’un soigneux lifting art déco pour retrouver sa jeunesse. “On a eu tout de suite le coup de foudre, se souvient Joackim. mais la maison s’essoufflait, elle était en fin de vie. il y avait de la moquette rouge partout, le mauvais goût typique des années 70.”

AUX POLLUEURS DE L’âME

chaque meuble a été chiné par madame guérin, ou fabriqué sur mesure par un génial ébéniste du cru, emmanuel hellot, à villersen-arthies. chaque luminaire, dont deux énormes lustres de paquebot aux grosses pampilles en forme de plumes, a trouvé sa place, comme un fantôme du passé. il y a aussi ce tableau, accroché au mur d’un petit salon cosy cuir et marqueterie, près du bar. une huile représentant un genre de suffragette aux cheveux courts (ou attachés ou chapeautés, on ne sait plus) et au corsage déboutonné laissant échapper deux

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complaisance par m. guérin père, remonté comme une pendule art déco. les fidèles soutiens de la maO ont finalement pallié cette frilosité, mais c’était moins une et ce n’est pas encore tout à fait gagné. une folie, on vous dit. dont éric guérin n’est pas sorti tout à fait indemne. avant de s’envoler pour l’afrique où il se recharge les batteries chaque début d’année, cet adepte de facebook a posté des vœux doux amer sur son mur : “2012 est partie, belle année mais durant laquelle il m’a fallu combattre quotidiennement, non pas contre mon métier - lui non, heureusement il est plus fort que jamais et je crois y avoir trouvé une certaine sérénité - mais contre tous ces pollueurs de l’âme, ces sangsues briseuses de rêves, qui vous crucifient sur place, au détour du chemin.” et pan sur le bec des oiseaux de mauvaise augure ! pour les habitués de la maO, au Jdp, la surprise est aussi dans l’assiette. en collaboration très étroite avec Joackim, qui tient la boutique au quotidien, éric guérin s’affranchit de certains de ses tics ultra graphiques et un peu démonstratifs. la carte met en avant les produits de la région, à cheval sur l’Île-de-france et la normandie, sans effet de manche. à l’image de ce poulet vallée d’auge, avec ses pommes et son jus au calvados, sa crème fraîche fermière et ses frites de rutabaga. la cuisson est juste, l’équilibre est parfait entre la tendreté soyeuse du jeune gallinacé et l’acidité des pommes. On retient aussi ces saint-Jacques à l’émulsion de lard, accompagnées de panais, frit et en purée, mais surtout enlacées par un morceau viril

lA RECETTE DE williAM lEDEuil POuR ASAhi

Bouillon de canard, ravioli de foie gras, condiment coing-betterave InGréDIenTS pour 4 perSonneS POuR lE bOuillOn DE CAnARD (2 liTRES) : 4 cuisses de canard • 200 g d’ailerons de volaille • 100 g de poitrine de porc • 3 carottes • 1 branche de céleri • 6 tiges de citronnelle • 1 piment oiseau • 2 bulbes de galanga • 2 litres de bouillon de volaille • 10 cl de vinaigre de riz • 10 cl de mirin • 3 c.a.s d’huile d’olive POuR lES léGuMES : 1 pièce moyenne de betterave rouge • 1 pièce moyenne de betterave chioggia • 1 pièce moyenne de betterave jaune • 1 pièce moyenne de betterave blanche • ½ daikon • 2 tiges de basilic thaï • 1 tige raoram • 2 tiges de coriandre • 1 tige de cive chinoise Pour le condiment coing : 1/2 coing • 1 tige de citronnelle • ¼ de piment oiseau • 40 g de gingembre • 10 cl de vinaigre de pomme • 1 dl de sirop (à 30 g de sucre) • c.a.c d’huile de sésame • 40 g de mostarda di cremona • 1 jus de citron jaune POuR lE RAviOli DE fOiE GRAS : 8 feuilles de pâte à ravioli • 300 g de foie gras • 16 feuilles de basilic thaï • mélange de poivre du Népal et poivre sauvage de Madagascar • fleur de sel

William Ledeuil créé depuis dix ans à Ze Kitchen Galerie une cuisine en équilibre entre la France et les influences mondiales. Son style intègre à la fois une grande puissance et une délicatesse unique de dressage, se jouant des accents pointus des épices et des tours de main à la Française. Il s’est livré à l’exercice de l’association entre l’Asahi Super Dry et un plat représentant sa cuisine sophistiquée et identifiable entre toutes.

Quel est votre rapport à la bière ? J’aime beaucoup, je suis très fan ! J’aime la sensation de fraîcheur, de désaltération, de convivialité qu’elle procure. Car c’est un breuvage qu’on boit rarement seul, c’est un acte de partage. Mais au-delà ce ça, la bière correspond à une sensation de bien-être. J’aime l’accompagner d’un bouillon, d’une soupe, l’associer en tout cas à quelque chose de limpide. Ce que je recherche dans une bière, c’est un équilibre, une fluidité. Par essence, le cuisinier que je suis ne cherchera pas à l’intégrer dans un plat, justement pour ne pas perdre cette fraîcheur. Ou alors il faut l’intégrer à la toute dernière minute, ne pas la cuire pour ne pas la réduire et créer des notes d’amertume. Justement, comment avez-vous élaboré cette recette avec l’Asahi Super Dry ? J’ai évidemment commencé par la dégustation de la bière. Asahi Super Dry est une bière douce, légère, elle provoque cette sensation de bien-être réel, cette sensation que j’aime. Et c’est pour cela que je l’ai combinée avec ce plat, un bouillon doux et légèrement vinaigré. Au premier abord il n’est pas très complexe, légèrement acidulé, mais tout se combine en

de colonnata qui ne mégote pas sur l’épaisseur de la tranche, apportant la mâche qui manque parfois à ce bout de gras vu, revu et corrigé partout. quant au pain, fait maison, c’est un véritable piège à grignotage. l’arrivée récente d’un “vrai” sommelier va muscler la carte, courte et classique lors de notre passage, et tout sera quasi parfait. reste à gagner le pari très audacieux de travailler toute l’année alors que la saison touristique est circonscrite à l’ouverture des grilles des Jardins de monet, d’avril à octobre. en ouvrant en plein hiver, nadia et Joackim ont choisi d’aller à la rencontre des locaux. au bout d’un mois, ils avaient déjà des habitués. Le jarDin Des PLumes 1 rue du milieu - 27 620 giverny tél. : 02 32 54 26 35 www.lejardindesplumes.fr fermé mardi et mercredi. menus à partir de 29 € au déJeuner, carte 50 €. chambres à partir de 180 €.

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“L’Asahi Super Dry prolonge la dégustation de mon plat” bouche : l’amertume du canard, les notes terreuses et douces tout à la fois des betteraves, le sucre et l’acidité mesurée du coing... une fois la première bouchée dégustée, on prend une gorgée d’Asahi et elle vient jouer le prolongement du plat, lui assurer une forme de profondeur, de longueur en bouche. vous êtes en train de nous décrire un vin ! Mais cette bière Asahi joue dans ce cas précis le rôle d’un support au plat comme un joli blanc d’Alsace ou du languedoc. bien sûr, elle n’est pas aussi complexe qu’un vin, mais

son équilibre, sa grande lisibilité lui donnent les mêmes qualités gustatives. Elle prolonge la dégustation. Pour moi, en tout cas, la bière Asahi peut largement accompagner un plat et je n’hésiterai pas à la servir avec un bouillon limpide et puissant comme je les aime.

Ze KITchen GALerIe 4 rue des Grands-Augustins - 75006 paris Tél. : + 33 (0)1 44 32 00 32 www.zekitchengalerie.fr

“ LA CUISINE DU XXIe SIECLE DOIT SE COMPRENDRE IMMEDIATEMENT ” 300 EXPERTS EUROPÉENS DE L’ALIMENTATION INTERROGÉS, DEUX ÉTUDES DE 200 PAGES SUR LES TENDANCES DE LA FOOD MONDIALE, DES DIzAINES DE PISTES POUR LA RESTAURATION DE DEMAIN : TELLE EST LA SOMME RECUEILLIE PAR L’ORGANISATION DU PREMIER SIRHA WORLD CUISINE SUMMIT. ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC LOEB, SON DIRECTEUR GÉNÉRAL.

omnivore : Qu’est ce qui a prévalu à cette étude mondiale sur l’alimentation et la restauration ? frédéric Loeb : c’est une base de travail et de réflexion logique pour l’organisation d’un événement tel que le sirha World cuisine summit, le premier du genre dans le monde. c’est une étude qui a l’ambition d’être annuelle, une sorte de loupe, de lunettes grossissantes pour la restauration qui est en pleine mutation dans le monde entier. après plusieurs mois d’enquête, des centaines d’experts interrogés, nous exposons tous les indices pour étayer les futurs probables. et le moins qu’on puisse dire, c’est que dans une époque de doute, il semble temps de faire la révolution des palais ! Quels sont ces bouleversements ? nous sommes par exemple en france dans une époque où le premier restaurateur est mc donald, où ce que j'appelle la “fine cuisine” ne représente que 1 % du marché. nous sommes dans une époque où la voiture n’est plus un véhicule d’évasion mais statutaire, de fonction, où il n’y a donc plus besoin de guide pour se repérer. la critique elle-même est bouleversée par les photos de plats qui sont tout de suite publiées par les mangeurs sur instagram… de la production au commentaire, en passant par le mangeur lui-même, tout est remis à plat. et c’est pareil dans tous les pays. dans ce contexte là, il faut donner à tout le monde les outils pour comprendre, c’est l’ambition de cette étude et du sirha World cuisine summit. On ne prend pas parti mais on met autour de la table l’ensemble de la cuisine, de Joël robuchon à carlo mirarchi, en passant par mccain et mc donald… Quelle vue d’ensemble peut-on tirer de l’étude ? bien entendu il y a des tas de tendances. mais nous les avons regroupées en trois pôles fondamentaux. le pôle développement durable, ce que les anglais appellent le “sustainability” qui est intraduisible mais qui allie à la fois des notions de durabilité, de santé et de bien être. ce pôle est tiré en tension avec le “healthfulness”, le mieux être, qui lui même est en tension avec l’expérience, le plaisir sensoriel. tout cela étant sous-tendu par l’unicité, c’est à dire le fait que chacun d’entre nous est unique, en quête d’une expérience qui lui est propre. pour revenir sur le territoire du restaurant, nous ne sommes plus au niveau mondial dans l’ère du “on s’éclate toujours plus” mais dans l’équilibre général entre santé, divertissement et sensorialité qui représente chacun 30 % du total.

et en france ? comme souvent, c’est le vrai french paradoxe. nous qui pensons faire les tendances de la restauration, sommes totalement à côté de la trilogie. la convivialité domine à 60 % et la santé qui, en moyenne est à 50 % dans le monde entier, n’est qu’à 20 % en france. Quelle conclusion en tirez-vous ? globalement que la france se voile la face, vit toujours dans une grandeur passée qui n’est plus en adéquation avec le monde. On inscrit notre repas au patrimoine mondial de l’humanité, on fait un réseau de cités gastronomique, mais on ne s’intéresse qu’au passé. On vit dans la nostalgie d’un monde qui n’existe plus. certains chefs sont partis ailleurs et ont parfaitement adapté leur offre au pays où ils sont – l’exemple même étant daniel boulud où Jean-georges vongerichten aux états-unis –, d’autres comme yannick alleno ou Jean-françois piège mettent en place leur vision, mais globalement la france reste trop dans les traditionalismes, la tradition. vous semblez pessimiste pour l’avenir ? non je reste optimiste car nous avons une formidable capacité à recycler et à rendre meilleur les systèmes qui, ailleurs, sont très fermés. c’est en france par exemple que mc donald a développé l’ancrage dans la culture locale avec les fournisseurs (80 % des ingrédients viennent du local), qu’il a également réformé l’image du quick service en améliorant le service en salle – parce que la culture française l’y incitait… dans la “fine cuisine”, toutes les révolutions en cours ont trouvé leur fondement en france. la culture récente de la cuisine nordique sur le local, c’est français. l’aspect santé de la cuisine américaine, c’est également français avec michel guérard, l’aspect universel de la cuisine, c’est paul bocuse qui l’a initié… la france est donc un creuset formidable mais l’élite doit se secouer, la province arrêter de complexer par rapport à paris et paris arrêter de mépriser la province. il faut globalement qu’on accepte de regarder ailleurs 5 minutes pour pouvoir rebondir, remettre la machine à digérer les idées en marche pour relancer la créativité.

au plan international qu’est ce qui se dégage de l’étude ? les deux pays de cocagne de la gastronomie à venir sont le brésil et la chine. brésil parce que tout y pousse, les brésiliens n’ont pas encore exploité leur formidable terroir, notamment le nord avec l’amazonie. leur point faible est qu’ils n’ont pas de patrimoine culinaire. la chine parce que son patrimoine culinaire, les huit grandes cuisine régionales, est unique, exceptionnel. les chinois sont en pleine réinvention de leur monde – la france a d’ailleurs un rôle à jouer car elle représente le luxe. leur point faible demeure la sécurité alimentaire. l’autre leçon de cette étude est que contrairement à ce qu’on écrit, la scandinavie et le moléculaire ne sont pas considérés par les experts comme l’avenir. le courant de la cuisine comme mode de vie contemporain, du quotidien, est incarné par les états-unis et l’italie, la seconde étant d’ailleurs la base d’alimentation de la première. le pôle de l’exception se situe toujours entre la france, le Japon et l’espagne.

Le BouILLon Épluchez tous les légumes, épépinez le piment oiseau, coupez les tiges de citronnelle en deux et pelez le galanga. Émincez finement tous les ingrédients. Coupez en petits morceaux les cuisses de canard, les ailerons de volaille et la poitrine de porc. Dans une poêle chaude, faites dorer la volaille et le porc, retirez puis égouttez. Dans une grande casserole, chauffez l’huile d’olive et faites suer tous les légumes pendant 10 minutes à couvert. Ajoutez les viandes, le piment, la citronnelle, le vinaigre de riz et le mirin, portez à ébullition. Cuisez pendant 10 minutes. Versez le bouillon de volaille, portez de nouveau à ébullition et écumez : le bouillon doit être très clair. Laissez mijoter à feu doux pendant une 1h30. Laissez reposer pendant 30 minutes et filtrez. Infusez deux bâtons de citronnelle coupés en deux. Le conDImenT coInG Épluchez le coing, taillez-le en petits dés, émincez la citronnelle, réunissez le tout dans une petite sauteuse avec le piment, la mostarda, la citronnelle, le vinaigre de riz et le sirop. Portez à ébullition et cuisez à feu très doux pendant 20 minutes jusqu’à ce que le coing soit fondant. Mixez et ajoutez ½ cuillère

à café d’huile de sésame et un jus de citron jaune. Mixez et filtrez. LeS LéGumeS Cuisez sans les éplucher les betteraves à la vapeur pendant 45 minutes. Pelez-les et détaillez-les en petits quartiers, en tubes et en cubes pour jouer sur les formes. Coupez le daikon en rondelles de 2 mm. Effeuillez la tige de basilic thaï, la coriandre et le raoram. Taillez en biseau la cive chinoise. LeS rAvIoLIS Assaisonnez le morceau de foie gras sur toutes les faces avec les poivres et la fleur de sel. Laissez reposer pendant 1 heure. Essuyez le foie gras, taillez en cubes de 30 grammes. Façonnez les raviolis en déposant sur la pâte à ravioli deux feuilles de basilic thaï et le foie gras. Repliez en rectangle. Cuisez les raviolis dans un panier vapeur 2 minutes. Le DreSSAGe Chauffez les betteraves dans un peu d’huile d’olive. Dans une assiette creuse, déposez une belle cuillère de condiment coing, disposez les betteraves de couleur, les raviolis. Parsemez des différentes herbes. Versez pour finir le bouillon fumant.

LeS SecreTS QuI FonT Le cArAcTère unIQue D’ASAhI Super Dry, LA premIère BIère Au JApon mALTAGe le mélange très sophistiqué de trois types de malts brun, cristal et Münich lui confère richesse de goût et douceur subtile. houBLonnAGe la sélection rigoureuse des meilleurs houblons aromatiques, liée à un dosage généreux, lui donne ce goût sec et incisif. LevurAGe Sa levure extrêmement rare - Asahi n°318 - aux arômes riches et élégants, génère une fermentation exceptionnelle. FermenTATIon A cette étape, c’est la réduction du taux de sucre et de dérivés soufrés dans le moût qui crée la sensation de fraîcheur intense au palais. FILTrATIon Sa clarification naturelle “Dream Technology”* préserve délicatement tous les arômes et les goûts des ingrédients d’origine. unIcITé il en résulte ainsi une bière de sophistication unique, capable de créer des mariages de saveurs parfaits avec toutes sortes de mets. * Technologie naturelle “de rêve”

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l’AbuS D’AlCOOl EST DAnGEREuX POuR lA SAnTé. À COnSOMMER AvEC MODéRATiOn.

l’AbuS D’AlCOOl EST DAnGEREuX POuR lA SAnTé. À COnSOMMER AvEC MODéRATiOn.

Santé

Café & chocolat

Entertainment Informal Off

Healthful kids’meals Gluten-free Breakfast

Caramel & Noisettes

Barrista culture

LA PALETTE DES TENDANCES 2013-2018

Coffee & Chocolate Caramel & Hazelnuts

L’ÉTUDE DU WORLD CUISINE SUMMIT PRÉSENTE ENTRE AUTRES UNE TRENTAINE DE DOUBLE PAGES PHOTOS LAISSANT LIBRE COURT À L’INTERPRÉTATION, À LA PROJECTION DES IDÉES DE CHACUN. DE TOUT POUR FAIRE UN MONDE CULINAIRE COMPLEXE. FRÉDÉRIC LOEB EN COMMENTE QUELQUES-UNES POUR NOUS.

Qu’est ce qui différencie la perception entre la cuisine italienne et la cuisine française ou espagnole ? l’italie a la côte car sa cuisine, schématiquement la pasta, même si c’est évidemment plus complexe, est lisible. l’étude montre que les cuisines de modification structurelle de la matière – et c’est le cas des cuisines française, espagnole ou japonaise – peuvent créer un sentiment d’insincérité. l’enjeu pour la cuisine française est qu’elle parvienne à rendre sa cuisine plus lisible : moins apprêtée, plus naturelle. la cuisine du xxie siècle doit se comprendre immédiatement. est ce que ce n’est pas la fin de la fine cuisine ? On est clairement en tout cas dans un tournant, à la fin d’un grand cycle où toutes les cuisines se sont inspirées de la cuisine française. mais nous avons des atouts certains : une capacité à recycler le moderne, une base de produits et de terroirs exceptionnelle, un mouvement “off”, de créateurs, qui a été structuré et une capacité à saisir ce qui commence sans compter la puissance du design et de la pâtisserie dont les techniques de pointe peuvent être transposées dans le salé pour l’alimenter.

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Pour acheter le rapport et l’étude du sirha world cuisine summit www.sirha-world-cuisine-summit.com/fr P. 22

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“La cuisine c’est La main, La main c’est L’humain. iL y a un ParaDoxe entre La brutaLité et L’extrême finesse. faire 67 un chocoLat rePrésente un travaiL terribLe, De La séLection Des fèves au conchage, c’est La même chose Pour Le café. La cuisine De Demain est Le raPPort entre L’ouvrier et Le cuisinier D’éLite. sous Les vestes, se cachent Des artisans tatoués.”

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“Dans un monDe où L’on est ce Que L’on mange, La santé est Le véritabLe enjeu. La santé Passe Par L’aLimentation. mais L’iDentité Passe aussi Par une Projection De La cuisine au restaurant. c’est cet oxymore Qu’on Doit gérer : L’ambivaLence entre Le sPectacLe, Le too much et L’ingestion D’aLiments Qui font Du bien.”

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Spectacle Informel Off

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X AOLANGBAO SANG DE SHANGHA

Le tour des bases en

80 GESTES TROIS ANS APRÈS L’OUVERTURE D’UNE ÉCOLE DE STREETFOOD À BLANQUEFORT, THIERRy MARX A INAUGURÉ CET ÉTÉ UNE FORMATION PARISIENNE, “CUISINE, MODE

“caroline, adrien, andres, sarah... bravo, la porte est ouverte, c’est le pied sur la marche. vous portez maintenant les couleurs de la gastronomie. Je vous souhaite bon vent !”. thierry marx donne leur diplôme aux six élèves de la promotion sortante, et se tourne vers les huit nouveaux entrants. “franckline, tiphaine, yann, etienne, flora... il n’y a pas de plan b : une fois entrés, vous allez jusqu’au bout. il faut être bien sur ses jambes. ça va être une très belle aventure.” le discours d’inauguration de l’école, retardé de six mois pour cause d’année électorale, a lieu dans le pavillon carré de baudoin, au coin de la rue de ménilmontant et de la rue des pyrénées, là où le petit marx a passé une grande partie de son enfance. les serveurs débouchent des bouteilles, les hôtes se tournent vers le buffet de gougères, amuse-bouche au saumon, feuilletés à la sauce mornay et estouffade de bœuf, une version traiteur sur nappes amidonnées du restaurant d’application à six couverts de l’école. en veste blanche estampillée “cuisine, mode d’emploi(s)”, pantalon pied-de-poule et chaussures de sécurité, sarah attrape entre deux torchons une marmite en fonte déjà vide, et sort du pavillon. elle traverse la rue de ménilmontant en quête de la nouvelle

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comment dénichez-vous vos livres ? en furetant et parfois en laissant le hasard faire les choses. prenez un de mes auteurs préférés, prosper montagné qui a écrit avec son ami prosper sales, “la grande cuisine illustrée”, publié en 1900 et imprimé à monaco. ils débutent l’ouvrage par cette profession de foi : “nous n’avons que l’ambition de planter un jalon, de fixer le genre d’une époque, et d’apporter notre pierre à l’impérissable monument de la cuisine française.” le grand livre de la cuisine de 1923 des mêmes auteurs a une incroyable histoire. le jour où j’entre au crillon comme chef de cuisine, un petit papier dans le monde y annonce mon arrivée. quelqu’un que je ne connais pas, mais qui lit le monde et connaît mon goût des livres, acquiert la maison de prosper sales. il y trouve l’exemplaire numéro 1 du “grand livre de la cuisine”. il m’adresse une lettre pour me dire : j’ai deux ouvrages, faites-moi une proposition. à cette époque, pas de portable, pas de mail. Je reçois la lettre et je réponds aussitôt par l’expédition d’un chronopost. J’ai reçu le livre avant d’envoyer son règlement.

et si vous deviez ne garder qu’un seul ouvrage ? ce ne serait en tout cas pas “modernist cuisine” qui prétend avoir fait le tour complet de la cuisine ! un livre, c’est exactement le contraire, il doit ouvrir et ne jamais clore. ce serait sans doute l’“heptameron des gourmets”, d’edouard nignon édité en 1919. Je dispose de l’exemplaire numéro 9 dédicacé au docteur rené ledoux. preuve en passant que ce ne sont pas que les cuisiniers qui achètent les livres de cuisine. dans ce livre je me régale de la lecture des recettes. prenez la recette de la carpe à la pontréanaise : “dans un petit village fort peu connu de bretagne où l’on trouve de merveilleuses carpes que les habitants de la contrée préparent de la manière suivante, que je vais vous décrire. tuez la carpe en lui assénant un coup sur la tête, écaillez-la et videz-la bien par les ouïes, puis préparez une farce en faisant revenir au beurre 250 g de chair à saucisse avec une poignée d’oseille ciselée, deux échalotes finement hachées, du persil, de la laitance, trois jaunes d’œufs durs hachés et deux cuillerées d’une très bonne crème. farcissez-en votre poisson, que vous mettez au four dans un plat allongé. après l’avoir ciselée, versez sur la carpe 500 g de beurre fondu et cuisezla en l’arrosant autant que possible. à point, elle sera fondante, vous la saupoudrerez alors d’une mie de pain fraîche, la laisserez bien gratiner et la servirez bien chaude.” dans ces recettes, la conjugaison linguistique et culinaire se marie à un bel univers. la recette évoque l’esprit d’un petit village. mais je me rends compte que je garderais bien un deuxième livre, le premier livre ancien que j’ai acheté. un livre de raymond Oliver, trouvé à la librairie gourmande. à l’époque, ce livre, c’était trois salaires… c’est un étonnant et sublime ouvrage imprimé sur tissu avec les illustrations et la préface de Jean cocteau. pour moi, tout est dit dans le titre : “recette pour un ami”. la cuisine ne prend sens que si elle est conçue comme celle du cœur, comme une offrande aux amis. la technique, le savoir et le savoir-faire n’ont de sens que si tout cela est enrobé de beaucoup d’amour.

communiqué

TExTE StéPhane méjanèS

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Quel est votre ouvrage le plus ancien ? en terme de date, celui de denis papin, l’inventeur de la machine à vapeur ! réfugié à londres, il créé des planches pour la dessiccation et une machine pour obtenir de la gélatine à partir des os : le digesteur. ce livre s’intitule “l’art d’amollir les os”, édition originale de 1638. Je suis fasciné par le génie des hommes de cette époque. il semble n’y avoir aucune limite à l’exploration des sciences. les savoirs quasi universels autorisent ces tissages horizontaux et offrent le meilleur de l’homme.

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“SI JE DEVAIS GARDER UN SEUL OUVRAGE, CE NE SERAIT EN TOUT CAS PAS MODERNIST CUISINE QUI PRÉTEND AVOIR FAIT LE TOUR COMPLET DE LA CUISINE ! UN LIVRE, C’EST EXACTEMENT LE CONTRAIRE, IL DOIT OUVRIR ET NE JAMAIS CLORE.”

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ÉRIC GUÉRIN N’ÉTANCHERA PEUT-êTRE JAMAIS SA SOIF D’ENTREPRENDRE. APRÈS LA “MARE AUX OISEAUX” ET LE “SEASON’S”, LE CHEF DE SAINT-JOACHIM S’INSTALLE CHEz CLAUDE MONET, À GIVERNy.

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PAr Luc Dubanchet ET anDrea Petrini PhOTOS Laurent SemineL

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alors l’histoire des mets et des mots s’offre en bouche. la cuisine, c’est de la culture et la culture se trouve dans les livres. seuls les livres ouvrent à ce point nos esprits et nous permettent de décloisonner notre pensée, nos sentiments. On abandonne ainsi nos certitudes pour une aspiration du savoir.

MENU MONET

folie, n.f. : autrefois, riche maison de plaisance (Larousse). cette définition moins connue offre un jeu de mots facile pour la nouvelle aventure d’éric guérin à giverny. une folie. le vilain petit canard de la gastronomie, déjà patron de la mare aux Oiseaux (saint-Joachim, 44), ou maO pour les initiés – et ils sont nombreux – , et du season’s (la baule, 44), s’est offert une vaste demeure centenaire en pierre de vernon, au milieu d’un parc, en contrebas de la maison et des jardins de claude monet, que l’on peut atteindre à pieds en quelques minutes, par la sortie des artistes. il l’a baptisée “le Jardin des plumes” (Jdp), histoire de continuer à filer la métaphore ornithologique. franchement, en quittant les lieux, peu de temps après l’ouverture, par un brumeux après-midi de décembre, on pensait davantage à zizi Jeanmaire. “un truc en plumes, ça vous caresse, avec ivresse, tout en finesse.” c’est un peu normal d’être impressionné à giverny mais, pour tout dire, on ne s’attendait pas à se faire chatouiller

le reste n’est que conquêtes, voyages au Japon – “tous les mois d’août, pendant des années, je donnais des cours de cuisine làbas” – travail forcené et consécration. bien belle histoire en vérité, que monsieur paul a visiblement du plaisir à conter avec toute sa malice, ses coups de niaque portés ça et là (“millau était trop intellectuel, moi j’aime les gens du peuple”) et ses coups de chapeau

« “LA FRANCE À LA CARTE”, D’HENRI GAULT ET CHRISTIAN MILLAU OFFERT PAR MA MAMAN FONDE ET DÉCLENCHE MON GOûT POUR LA CUISINE ET POUR LES PLATS. LE SOIR, SEUL DANS MA CHAMBRE, JE PRENDS DES FEUILLES DE PAPIER BLANCHES, LES DÉPOSE SUR LES PHOTOS DES RECETTES ET FAIS COMME UN CALQUE POUR REDESSINER LES PLATS. ILS DEVIENNENT MES PERSONNAGES IDÉAUX, MES HÉROS. JE RêVE DES METS DE MAXIMIN, BLANC, BOCUSE, GAGNAIRE, CHAPEL, CHIBOIT, TROISGROS, TRAMA, ROSTANG, LOISEAU, HAEBERLIN... »

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à ce point la corde sensible en débarquant chez nadia et Joackim. nadia socheleau a planifié son départ de l’arpège, où elle officiait en salle, dès qu’éric guérin, son ancien patron à la maO, lui a dévoilé son projet fou, deux ans plus tôt. Joackim salliot, qui fit également ses classes en cuisine à saintJoachim, mais aussi chez philippe vétélé (anne de bretagne, la plaine-sur-mer) et alexandre couillon (la marine, noirmoutier), deux très sérieux des bords de mers, n’a pas hésité plus de cinq minutes avant de toper là. ils sont désormais maîtres des lieux et leur bonheur est communicatif. les parents d’éric guérin ne sont jamais très loin. On les a croisés ce jour là avec monette, la grand-mère courbée au pas mal assuré, venue poser son œil malicieux sur l’œuvre de sa progéniture. giverny, ce n’est pas n’importe où. éric a traîné ses guêtres dans le vexin durant toute son enfance. tandis que son père arpentait les routes en tonitruant vrp multicartes, il s’échappait de la galerie de sa mère, à 1 km de giverny, à limetz-villez. c’est tout naturellement à elle qu’il a confié la décoration du Jdp. bien joué car le premier choc est visuel. passé le jardin en cours d’aménagement et qui renaîtra au printemps, monté les quelques marches

“POURQUOI ALLER CONTRE LES PRINCIPES D’ESCOFFIER ?”

discrets (“ducasse aussi n’avait plus rien à perdre après son accident d’avion”). mais on ne peut s’empêcher d’y voir s’y inscrire en négatif la dernière décennie d’autant de grandes maisons, nées de l’ère bocuse et peu sûres finalement de lui survivre. car peut-on survivre au modèle ? est-il possible de résister au mythe ? l’ère bocuse fut celle des trente glorieuses, de l’enthousiasme général, du restaurant comme valeur sociale. et même si, pour lui, aujourd’hui, rien n’a changé, si la cuisine doit être simple, identifiable, avec des os et des arêtes – “pourquoi aller contre les principes d’escoffier ?” – on ne peut s’empêcher de projeter collonges dans un autre espacetemps, de le rapporter aux attentes (certes parfois confuses ou encore mal formulées) de jeunes cuisiniers qui savent, instinctivement, mais aussi pour avoir assisté au déclin de nombre d’institutions, que leur avenir ne passe sans doute plus dans la stratosphère de la haute cuisine. cette belle invention des années 60 où la révolution naissait en même temps que l’opulence. Qu’est-ce que vous pensez avoir apporté à la cuisine française ? - Je me suis pas mal démerdé, ma maison travaille bien. mais ça, c’est ce que vous vous êtes apporté à vous ! - Oui mais d’abord, je travaille pour moi. J’ai connu des choses fantastiques que je n’aurais jamais vues dans ce métier. qu’est-ce que j’aurais apporté ? qu’on forme ici des ouvriers qui vont à travers le monde. une fondation paul bocuse va voir le jour pour transmettre le travail bien fait, les meilleurs produits. Je n’ai besoin de plus rien, je peux laisser cette maison dans la fondation. et puis il y a aussi l’école des arts culinaire d’ecully, 42 nationalités différentes qui commencent à être à la hauteur, des élèves que je retrouve à los angeles ou au Japon. l’important c’est de transmettre, d’envoyer les gens à travers le monde. aujourd’hui vous ne regrettez rien ? - rien. en sortant, une jolie phrase vient à l’esprit, lue récemment dans un livre hautement subversif de pierre Jourde sur la littérature française(1) : “si un grand artiste est toujours plus grand que son temps, c’est aussi dans la mesure où il en concentre les contradictions.”

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LA CAVERNE D’ALI-BAB PIÈGE

pas léger. Je leur prépare une salade de haricots verts. ils la trouvent formidable. mais je leur dis qu’il y a mieux, à roanne, chez troisgros. c’est moi qui les ai mis sur la route...” Où comment, à l’entendre, la nouvelle cuisine naît d’une erreur, d’un autre paradoxe : une salade de haricots verts dans un repaire de ripailles ! mais cela fait aussi partie d’une philosophie de la vie, d’un karma à la monsieur paul : “c’est vrai que ma vie est faite de chances. parce que j’ai d’abord eu la chance de rentrer sain et sauf de la guerre. à 19 ans, j’ai été mitraillé, blessé là, là et là (il montre les points d’impacts). quand je suis rentré de la guerre, que pouvait-il m’arriver ? rien ! tous mes copains avaient été blessés, tués. le reste est une question de bricolage et d’opportunités.” la première est la suite logique d’un coup de fil passé par henri gault proposant un voyage aux états-unis : “les organisateurs voulaient savoir si, avec des produits américains, on pouvait faire la même cuisine qu’en france. J’avais pris deux fois l’avion entre paris et lyon. mais nous y sommes allés. pour le premier repas, j’ai fait un mâchon lyonnais, saucisson chaud, maquereaux au vin blanc avant un grand dîner avec loup en croûte, truffes, foie gras et volaille en vessie. et voilà comment les choses ont été lancées.” la deuxième opportunité se présente sous les traits de melwin master, de la famille guinness. il propose de créer les “vins bocuse” avec les crus du beaujolais venant de chez dubœuf qui, tenu par un contrat, ne pouvait exporter en son nom aux états-unis. “et nous faisons deux ou trois grands voyages chaque année. On part avec truffes et foie gras, on fait le marché là-bas, où à l’époque, il n’y avait rien. et on prépare le repas chez un milliardaire qui invite un ou deux journalistes, bien choisis.” c’est ainsi que se crée l’image bocuse, à raison de quelques dîners par an, de hamburger marchand de vin avec une sauce au pétrus “peut-être des 29 ! forcément, on tapait les médias avec ça...”

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ASTRANCE

PHOTOS OUBLIÉES

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JE SUIS

CE QUE JE CUISINE LE PROJET EST NÉ EN 2009 GRâCE AU PRIX DÉCERNÉ PAR LA BOURSE BADOIT DE LA CRÉATION. UNE “BOITE À CUISINER” IMAGINÉE PAR LES DESIGNERS ANNE XIRADAkIS ET PIERRE HOURQUET. OMNIVORE VOUS LA PRÉSENTE EN AVANT-PREMIÈRE.

Pascal demandait “mais Pourquoi Prenez-vous tant de Photos ?”, d’un air innocent. en fait, les deux garçons de l’astrance n’ont jamais été duPes. alors que j’évitais toute allusion au livre, ils me Parlaient d’un éditeur qui leur ProPosait de PuBlier le Plus Bel ouvrage de tous les temPs, d’un autre installé aux antiPodes et qui leur avait écrit le matin même. comme Par hasard !” CHIRIHO MASUI, L’ASTRANCE 2012

“Bien qu’à contrecœur, Pascal avait accePté l’idée des Prises de vue Parce que je lui avais Promis qu’elles ne dureraient Pas Plus d’une heure et demie, tous les deux mois. je crois que richard haughton n’a jamais travaillé aussi vite. trois Plats et tous les Produits du jour, PhotograPhiés en quatre-vingt-dix minutes. chaPeau ! trois longues années Pendant lesquelles richard a fait le Plein d’images. Parfois,

TExTE Luc Dubanchet

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- RCS 380 552 976 Lyon. Crédits photos : Laurence Jeanson. Facebook, Twitter et YouTube sont des marques déposées.

LANGOUSTINE, BOUILLON, PâTE DE CACAHOUÈTE, BOURRACHE “deux grosses langoustines, à Peine cuites, sont déPosées au fond d’une assiette calotte, on verse un Bouillon dessus, ça réchauffe à Peine le crustacé qui reste filandreux, charnu, limPide. le Bouillon très doré est simPlement exPlosif sans en rajouter toutefois dans l’excentricité. il taPe juste dans la Profondeur légumière agrémentée de cive, de fleur de Bourrache et de PulPe de PamPlemousse à cru. mais c’est de la Pâte de cacahouète que Provient l’étonnement. d’une onctuosité extrême, juste Beurrée, elle Parvient dans la légèreté à naPPer en Bouche la langoustine Pour lui donner des notes encore Plus Pommadées.” LUC DUBANCHET

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c’est une boîte. On pourrait dire un monolithe d’acier inox adouci par une touche de bois brut. elle n’a pas l’air fragile, pèse même un peu lourd dans la main. et dégage du coup quelque chose de rassurant et de chaleureux. l’avantage, c’est qu’on peut l’emporter partout et qu’une fois déployée , elle se transforme en mini cuisine pour déjeuner improviser. anne xiradakis s’est fait connaître pour ses “cafés éphémères” où elle aime présenter les objets de porcelaine qu’elle dessine pour mieux les confronter au regard du public, au regard de ceux simplement qui vont les utiliser. pierre hourquet est graphiste et imagine également du mobilier. il est passionné de cuisine. anne, elle, est fille de restaurateur. “c’est cette passion de la cuisine qui nous a amené à travailler ensemble sur cet objet”, explique-t-elle en s’excusant de ne présenter que trois ans plus tard ce prototype réalisé grâce à l’obtention de la bourse badoit de la création décernée durant le Omnivore food festival de 2009. “nous avons imaginé un ensemble d’outils de cuisine, pour une personne, conçu autour d’une série de recettes pour un repas. il fonctionne comme extension de l’idée du pique-nique. On part le matin avec sa boîte.

www.sirha.com www.sirha-world-cuisine-summit.com

ET RETROUVEZ LE SIRHA À L’INTERNATIONAL 7-9 mars 2013

23-25 avril 2013

26-28 janvier 2014

2e trimestre 2014

Sous le Haut patronage de

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LA POSSIBILITÉ D’UNE ÎLE

ALEXANDRE COUILLON, INSTALLÉ À NOIRMOUTIER DEPUIS PLUS DE 13 ANS, A ÉTÉ DE TOUTES LES CONVERSATIONS EN 2012. OMNIVORE, QUI N’A PAS ATTENDU LE BUzz, VOUS AVAIT PRÉVENUS. LE CHEF DE LA MARINE EST UN VISIONNAIRE QUI N’OUBLIE JAMAIS D’Où IL VIENT. PORTRAIT.

il plisse les yeux face au vent, agite les mains en tout sens et parle. beaucoup. comme un naufragé qui n’a pas vu âme qui vive depuis des années. sur le lieu de son exil volontaire, au bout du bout, dans le port de l’herbaudière, à noirmoutier, alexandre couillon est plein de mots. des mots pour expliquer son engagement et ses responsabilités de fils, de père, de patron. des mots pour décrire sa passion envahissante de la cuisine. des mots pour le dire, des mots pour le faire. des mots pour couvrir le souffle incessant venu du large qui fait claquer les drisses et les balancines contre les mâts des bateaux ancrés là pour l’éternité, des petits, des gros, des beaux, des laids, des plaisanciers, des besogneux. des mots pour contrarier les taiseux. “On sait que la pêche a été bonne quand on entend les flasques de whisky s’entrechoquer le matin dans les bars”, souffle alexandre. hormis ses cabines de cartes postales sur la plage de luzéronde, l’endroit est sans charme particulier. la pointe de l’île n’a pas les grâces du bois de la chaise, à l’est, avec ses chênes verts et ses mimosas. ici, les hangars semi industriels côtoient les villas sans apprêt posées sagement sur la dune. les ombres des vacanciers d’été hantent les rues désertes neuf mois sur douze, distraites seulement par les enseignes ambiance vermot des crêperies du cru, au crêp’uscule ou crêp’chignon. planté au beau milieu, juste au-dessus d’un parking, comme un phare dans la nuit, une façade épurée se dresse, blanc et bleu, à l’enseigne de la marine, comme il se doit. c’est la maison d’alexandre. depuis toujours. enfin, c’est encore la maison de ses parents, à qui il verse consciencieusement un loyer depuis 1999. “mon père a travaillé dur pour ça, explique-t-il. Je paye, c’est normal. Je me sens plus à l’aise dans mes baskets comme ça. et puis, on vient d’acheter la maison d’à côté, c’est un gros investissement.” l’ancien restaurant familial est lui toujours là, entre le nouveau vaisseau

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On va acheter les deux ingrédients, et on se prépare sur place, où qu’on soit, son plat du déjeuner, loin des plats cuisinés.”

LE PLASTIQUE, C’EST TRÈS LAID

c’est la cérémonie du thé au Japon qui a inspiré anne. “Je passe beaucoup de temps là-bas et j’ai fait un travail sur le geste dans la préparation des repas. ce qui m’intéresse dans la cérémonie du thé est ce même moment où l’on regarde quelqu’un qui le prépare pour vous et le moment de consommation qui est en parallèle.” l’idée était d’avoir un objet assez simple, robuste, pour le plaisir de cuisiner même dans un moment où l’on n’a pas le temps. un petit livre de cuisine est livré avec pour réaliser des préparations

sans cuisson. et si le premier prototype présente, en plus de la planche à découper, de la fourchette et des deux couteaux une mandoline, rien n’interdit de penser qu’une série pourrait décliner d’autres outils comme une râpe ou un mini laminoir. “pour une fois, j’ai travaillé avec autre chose que de la porcelaine, qui ne marche évidemment pas. le bois s’est imposé pour la planche car j’ai beaucoup de mal avec des matériaux plastique. ça devient très laid quand on coupe dessus. la planche en bois est un matériau naturel . On peut aussi imaginer que c’est un élément sur lequel on peut directement manger, la planche devient support à une tranche de pain, directement à la nourriture.” ce n’est pas parce que cette boîte à cuisiner est un peu née grâce à Omnivore et à badoit, mais nous, on la trouve insolemment craquante. On attend surtout qu’elle soit produite en grande série. avis aux éditeurs… www.annexiradakis.com

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extraordinaire. graphiquement, il avait vachement d’avance, à l’époque de Jacques thorel et avant Olivier roellinger. c’est lui qui a lancé la nouvelle cuisine en bretagne.” le jeune homme effectue une dernière halte, chez michel guérard, à eugénie-les-bains, sous la férule d’Olivier brulard, l’un des mentors d’alexandre gauthier (la grenouillère, la madelaine-sous-montreuil). tiens tiens. “J’y ai découvert que l’humain était super important, souligne-t-il. et j’ai compris ce qu’était mettre de l’émotion dans une assiette.”

amiral et le futur hôtel. il s’appelle désormais la table d’élise, en souvenir du prénom de la première patronne de l’estaminet racheté par ses parents. un clin d’œil aussi à celui de la grand-mère de céline, femme d’alexandre, jadis cuisinière dans un restaurant ouvrier à cholet. On n’échappe pas à son destin.

PARFUMS D’EBÈNE

alexandre est un noirmoutrin pure origine. son père est de l’epine, sa mère du vieil. lui mécanicien sur les bateaux du port de l’herbaudière, elle couturière à la rochesur-yon. papa pique et maman coud. mais les îliens ont souvent des rêves d’ailleurs, le regard aimanté par l’horizon. ce sera l’afrique pour le père d’alexandre, enrôlé à 19 ans comme matelot pour voguer jusqu’au sénégal. honnête, droit et travailleur, le père ne débarque pas là-bas comme un vulgaire blanc bec. “il travaillait comme un acharné, raconte alexandre. il était rarement à la maison et, quand il rentrait, il empestait le gasoil à force de vider les cuves des bateaux. mais il s’est intégré à 100 % en apprenant le wolof.” né sur place, comme son frère, alexandre a passé la plus grande partie de son enfance à dakar. “de l’afrique, j’ai notamment gardé des odeurs fortes, assure-t-il. ma mère nous emmenait sur les marchés, c’était raide, la viande à l’air libre, boucanée, la marchande qui dort sur son étal au milieu des poissons et des mouches. sur la plage, aussi, avec les cochons qui courent. le soir et les weekends, on allait se balader à la sortie de dakar, en pleine chaleur, c’était déjà presque la brousse. les sculpteurs de statues pour touristes faisaient brûler les copeaux d’ébène, il y avait un côté nougatine. ces parfums de grillé, de fumé, m’ont construit en partie.” son maquereau au café torréfié, en trompe-l’œil de truffe, son bouillon lard et encornet sur l’huître (on en reparle plus loin), et même son amuse-bouche au mulet et sa peau, sur du yaourt mentholé, en sont quelques-unes des réminiscences. l’été, toute la famille rentre à noirmoutier, pour constater qu’elle n’a rien à elle. le bistrot d’élise sera leur placement. un an avec un cuisinier catastrophique, d’abord, avant

THUNDERBIRDS

à l’instar de Kobe desramaults (voir Omnivore vol_3), un coup de fil parental fait basculer alexandre et céline dans l’entreprenariat : “les gérants vont quitter le restaurant, êtesvous intéressés ?” banco. à 22 ans. “au début, on n’avait pas d’enfant, on habitait au-dessus, où on habite toujours, et on fermait le mercredi, se souvient alexandre. ce jour là, je me levais vers 8h-8h30, je disais à céline que j’allais chercher le fax pour les commandes de poisson. à la descente de l’escalier, j’appuyais sur un premier interrupteur, puis sur le bouton du fourneau, je me baissais, j’allumais le four, et là seulement, je prenais le fax. vers 10h, il y en avait partout, je faisais la mise en place pour le lendemain, de peur de ne pas avoir le temps. quand emma, notre première fille, est arrivée, en 2002, on a levé le pied.” et céline est toujours là, apaisante pour lui comme pour les convives, aussi discrète qu’il est bavard. loin des circuits balisés, des sentiers battus et rebattus par la critique gastronomique, alexandre couillon construit depuis, dans un mélange de patience et d’effervescence, un univers à la fois totalement à lui mais qui fait aussi écho aux recherches menées ici ou là par les plus créatifs des cuisiniers du xxie siècle. comme plusieurs équipes de scientifiques qui réussiraient à atteindre le même objectif sans s’être jamais concertées et par des voies différentes. par envie et par nécessité, il est ultra connecté, à distance, avec la planète gastro. livres, sites internet, blogs, réseaux sociaux, rien n’est de trop pour alimenter sa boulimie. et ses apprentis, qu’il ne ménage pas tout en

que la mère d’alexandre ne décide de passer le tablier. le sort en est jeté. alexandre donne un coup de main pour ouvrir les fruits de mer. élève doué mais détaché, il a la bougeotte, mais ne s’imagine pas quitter l’île. par chance, elle abrite à l’époque une école hôtelière, les sorbets. il signe. rebelle à l’autoritarisme, il se fait virer d’un cours de travaux pratiques quand il dégoupille machinalement les quatre seules pauvres huîtres cobayes posées là, ou quand il fait remarquer à un professeur, en plein cours sur la notion de respect, qu’il a les deux pieds sur le bureau. en sortant du bep, il est mûr pour rejoindre un compagnon du tour de france à la baule. “lui m’a appris le respect, confie alexandre. après une demijournée d’affrontement, il m’a remis à ma place. il a su me parler non seulement de cuisine, mais de ses affaires, des chefs qu’il avait rencontrés, comme pierre troisgros ou bernard loiseau. il me prêtait des livres. J’ai passé deux ans chez lui, ça a été un gros déclic. il m’a ouvert les yeux sur des choses construites, qui tiennent la route.” chez pierre lecoutre (l’atlantide, nantes), il ne résiste pas plus de trois mois. « tout le monde se tirait dans les pattes, tout le monde l’insultait, il était super dur, regrette-t-il. Je lui ai dit : la rigueur doit être justifiée, sinon ça ne me convient pas.” en revanche, chez feu georges paineau (le bretagne, questembert), il prend racines, deux ans et demi. “il avait fait les beaux arts et il était daltonien, sourit alexandre. c’était un homme

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pomelos, ou ce cabillaud étuvé, tombée d’épinards, combava, coriandre, livèche et bouillon de coco en émulsion. c’est élégant, aérien, plein de saveurs et de fraîcheur, avec ces délicates impressions d’asie rapportées du restaurant qu’il a lancé pour michel bras, à toya. et la pascade, dans tout cela ? c’est d’abord une prouesse quotidienne. dans une lettre à l’un de ses détracteurs, le site atabula.com, alexandre bourdas en dit un peu plus : “il m’a fallu sept ans pour comprendre comment montait et soufflait une pascade. aujourd’hui encore, quelques fois, nous en ratons sans que je comprenne pourquoi. c’est une recette au millimètre, des produits irréprochables, des moules sur mesure et une technique de fabrication que je garde secrète encore un peu.”

verre, que le concept était peut-être un peu trop répétitif, et, pire, qu’il avait oublié de cuisiner, son sang n’a fait qu’un tour. “c’est quand même moins sucré qu’un hamburger avec une sauce tomate de merde ! le problème, c’est que j’ai créé un restaurant, une façon de se nourrir qui n’existent pas. certaines personnes ont besoin de points de repère.” à force de garder secrets le concept, le lieu et la date d’ouverture, alexandre bourdas a sans doute tendu les rouleaux à pâtisserie pour se faire aplatir. “On aurait dû mettre les pieds dans le plat en l’appelant “restaurant de pascade”, voire “pascaderie”, pour faire un parallèle avec la pizza ou la crêpe. On le fait aujourd’hui. dès que l’on a mis en avant l’idée de grosse crêpe soufflée légèrement caramélisée, que l’on garnit avec de vrais légumes, de la viande, du poisson, frais du matin et de saison, et qu’on l’a montrée en vitrine, les gens ont compris.” On peut en effet adhérer ou pas au parti pris mais, indéniablement, dans la pascade, contenant hautement comestible, c’est bien la bourdas’touch que l’on retrouve, avec ses associations pertinentes, comme ce ragoût de gigot d’agneau, chou pak-choi, fromage blanc, cardamome noire du vietnam,

ABANDONNER LE REFLEX GASTRO

au final, grâce à sa texture, entre fondant et croustillant, et à son goût sucré (différent entre les plats et les desserts), les recettes accèdent à une autre dimension. les bouchées sont plus chaleureuses, plus rassurantes, quasi régressives. un parfum d’enfance accentué par la déco qui évoque les bureaux d’écoliers à l’ancienne, avec le trou pour l’encrier qui sert ici à accueillir un pot rempli par les couverts et le menu roulé que l’on peut glisser dans sa poche ou dans son sac avant de partir. côté addition, après une petite révision de la politique des prix du vin au verre (à partir de 5 € au lieu de 8 €, et jusqu’à 14 €), le ticket moyen observé est de 30 € le

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UN RESTAURANT QUI N’EXISTE PAS

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RECETTE OliviER DuPART POuR MÖvEnPiCK® LéGumeS D’éTé conFITS Au SIrop D’érABLe, GLAce mövenpIcK® rIcoTTA & pInK pepper, réDucTIon AIGre-Douce eT ArLeTTe cArAmeLISée

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midi et de 35 € le soir. ce n’est finalement pas plus cher que pas mal d’établissements du quartier qui facturent le steak frites (décongelées) à 22 € ou le hamburger (basique) à 25 € (alexandre bourdas a fait lui-même un petit benchmark de la concurrence). passé ces débats largement microcosmiques, la sanction la vraie, c’est le taux de remplissage. avec une moyenne de 80 couverts par jour, y compris pendant les fêtes, et une pointe à 130 le vendredi 11 janvier dernier, le pari d’alexandre bourdas semble en passe d’être gagné. fermé au départ de 17 h à 19 h pour rafraîchir le lieu, il est désormais ouvert de 12 h à 23 h non-stop. l’homme de l’aubrac, parfois rude, reste toujours courtois, et se remet aussi en question. “nous avons amélioré le service. J’ai dû faire un travail sur moi et avec l’équipe pour acquérir des réflexes de brasserie, de bistrot, mettre du rythme, de la dynamique.” restauration rapide, instinctive, certes, mais de qualité, ce sont les confrères qui en parlent le mieux. christophe michalak (chef pâtissier de l’hôtel plaza athénée, ndlr) a dévoré toute la carte des desserts. “il m’a dit que j’avais une longueur d’avance, que l’on

allait en ouvrir partout dans le monde”. Jeanfrançois rouquette (chef aveyronnais du restaurant pur’, de l’hôtel park hyatt, ndlr), est déjà venu trois fois, thierry marx (sur mesure) est passé, et christopher hache (chef du restaurant les ambassadeurs, de l’hôtel de crillon) a commandé 35 pascades pour 10 personnes. le succès, il passe aussi par les femmes, littéralement accros à l’endroit, et que beaucoup fréquentent déjà plusieurs fois par semaine. du coup, les sceptiques évoqués plus haut, qui ne sont pas du genre à en démordre, se demandent si alexandre bourdas n’aurait tout simplement pas dû, pour s’éviter quelques déconvenues, disparaître derrière le concept. à ça, il a une réponse tout prête : “avec un investissement de 1,2 millions d’euros et un loyer délirant de plus de 10 000 € par mois, vous pensez qu’un seul banquier m’aurait suivi sans que je mette mon nom en avant ?” c’est sans doute cela, le bon sens provincial.

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la carte : - 6 pascades salées : 7 € pour l’originelle, de 16 à 21 € pour les 5 autres - 4 pascades sucrées : de 9 à 11 € - chocolats de pierre marcolini / vin au verre : de 5 à 14 € / eau gratuite et à volonté.

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et de manière générale, comment vous viennent les idées de plats ? À partir d’un produit simple, on réfléchit, on s’imagine des choses. Je me souviens qu’à une époque, pour créer des cartes, je me mettais à jeun. la sensation de faim décuplait ma créativité. C’est un truc qu’un ancien grand

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FRANCESCA TRADARD EST ITALIENNE ET MANIE LE BILAME CHEz GIOVANNI PASSERINI (RINO, PARIS). ANCIENNE ÉLÈVE INGÉNIEUR, ELLE A PRIS UNE AUTRE VOIE, PAR AMOUR DU VIN. DIPLôMÉE EN ITALIE, C’EST EN FRANCE QU’ELLE S’ÉPANOUIT AUJOURD’HUI. ELLE NOUS LIVRE SES COUPS DE CœUR... TExTE stePhane méjanès // PhOTOS marc schwartz

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Le vigneron “gabrio bini est un personnage totalement excentrique. c’est un architecte milanais qui est tombé amoureux de la petite île volcanique de pantelleria (on dit aussi pantalarée en français, ndlr), au sud-ouest de la sicile, il y a près de 20 ans. pantelleria est très célèbre pour son moscato passito, vin liquoreux produit avec des raisins passerillés. On la surnomme aussi “fille du vent”, celui-ci soufflant fort et de façon incessante. c’est une île magnifique mais très sauvage, sur laquelle il est difficile de vivre. On pourrait penser que la mer est l’élément principal mais, en fait, curieusement, c’est la terre. et tout cela se sent dans le vin. gabrio bini y a acheté un morceau de terre (un peu moins de 6 ha), le domaine serragghia, et une maison où il séjourne quand il n’est pas à milan. là-bas, il a été l’un des premiers à faire un moscato sec (muscat), en amphores. il a commencé par acheter de vraies amphores en terre cuite espagnoles mais il va désormais se fournir au… Japon. il a en effet étudié les théières japonaises et a découvert que leur terre cuite favorisait l’oxydation, les échanges entre l’extérieur et l’intérieur, d’une façon encore plus raffinée. entre nous, on dit souvent qu’il fait des jus de fruits alcooliques. ce sont des vins particuliers, explosifs, archaïques, un condensé de sicile. ses vins ne ressemblent à rien d’autre.

ANTONIO DI GRUTTOLA, “GAIA” 2010 Le vigneron “J’aime beaucoup le projet de ce producteur que j’ai connu quand je travaillais en italie. il est œnologue et il était consultant sur divers domaines. quand il a commencé à faire du vin, en campanie, l’une des plus belles régions viticoles d’italie, il y a 10 ans, il n’avait pas de vignobles. il a rencontré de petits vignerons qui entretenaient de vieilles vignes de fiano di avellino (vin blanc sec), vieilles de 40 ans et 100 ans, parce que c’était la tradition, pas pour faire du commerce. ils le faisaient très proprement, sans produits chimiques, sans intrants, à l’ancienne. en visitant ces vignes, antonio a compris tout leur potentiel. il a fait venir lydia et claude bourguignon, respectivement maître ès sciences et ingénieur agronome, fondateurs du laboratoire d’analyse microbiologique des sols (lams). ils ont découvert un patrimoine ampélographique énorme. l’italie, qui possède une aussi grande diversité de cépages que la france, a connu les mêmes ravages, d’abord à cause du phylloxéra puis de l’arrachage et de la chimie. antonio a commencé à acheter du raisin et à faire le vin en étant l’un des premiers à expérimenter l’élevage en amphores. récemment, il

L’accorD “c’était parfait sur une anguille, crème d’oignons brûlés, épinards et compote d’oranges amères. le champagne réussit à contrebalancer les différentes saveurs du plat, le gras de l’anguille et l’amertume des oignons fumés et des oranges amères. d’une manière générale, je trouve que les bulles du champagne et sa minéralité, aident à nettoyer la partie grasse d’un plat mais aussi à arrondir la bouche pour atténuer le fumé et l’amertume.” chamPagne georges LavaL 16 ruelle du carrefOur 51480 cumières tél. : 03 26 51 73 66 email : champagne@georgeslaval.com www.georgeslaval.com

a acheté 2 ha à lui, en aglianico del taburno (rouges et rosés). ce qui est intéressant, c’est qu’antonio di gruttola fait du vin avec sa vision bien à lui, dans une italie du sud très conservatrice. et c’est un peu ça, le vin nature, une modernité à l’ancienne.” La bouteiLLe “au nez, ce vin est proche du riesling, avec un côté fumé, pétrolé. en même temps, il est typique du fiano, fleurs jaunes, pamplemousse, agrumes. en bouche, c’est vif grâce à une grande minéralité. un peu austère au début, il s’ouvre sur une palette très aromatique. c’est l’un de ces vins parfaits pour accompagner un repas. il possède une grande buvabilité et il y a de la matière. il est à la fois complexe et direct. que l’on soit expert ou amateur, tout le monde l’aime, j’ai souvent fait ce constat.” cépage : fiano di avellino. L’accorD “Je ne l’ai pas encore testé mais je sais que ça fonctionnerait très bien avec un vieux plat de giovanni, brochette de rognons de lapin, escargots, soupe de panais et herbes aromatiques. ce serait un mariage parfait.” antonio Di gruttoLa cOntrada petrara, 21/b 83031 arianO irpinO tél. : +39 0825 873084 email : info@cantinagiardino.com www.cantinagiardino.com

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il expérimente tout le temps. il est très copain avec pierre Overnoy qui lui a confié quelques plants de savagnin. il va aussi tester un cépage géorgien. c’est un visionnaire gourmand.” La bouteiLLe “il n’a fait que deux millésimes de ce passito, en 2006 et 2007, mais n’a commercialisé que le second (je n’en ai que trois bouteilles). tout le monde fait du passito, il ne veut pas être comme tout le monde. au nez, on a les odeurs classiques du vin passerillé, fruits secs, dattes, figues, abricots, fruits mûrs. c’est plein de soleil et en même temps, il y a un côté salin, iodé, que l’on retrouve en bouche. On sent aussi le parfum de la plante de câpre, que gabrio bini produit là-bas, salé au sel de guérande. en bouche, c’est doux, sucré, très riche. mais, contrairement à d’autres vins liquoreux, on peut en boire plusieurs verres grâce à ce côté minéral, ce sel dans l’air apporté par le vent de pantelleria. On sent aussi le volcan, la roche, mais avec une minéralité différente de celle des vins de richard leroy, par exemple, plus fine.” cépage : zibibbo ou moscato. L’accorD “c’est vraiment un vin de dessert. Je le propose avec une salade d’agrumes, semifredo de citron et fruits secs. c’est un mariage à 100 % en assonance, tout ce qui est dans le vin est aussi dans le plat.” gabrio bini via aribertO 21 – 20123 91017 milanO tél. : +39 3356 563152 email : gabrio.bini@tiscali.it www.serragghia.it

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Le brasseur “Je voulais introduire une bière dans mes choix car en italie, à partir de la fin des années 90, on a assisté à l’arrivée d’un très grand nombre de micro brasseries artisanales. il y en a aujourd’hui plus de 400. c’est un peu le même phénomène que pour le vin nature en france. et d’ailleurs, en goûtant beaucoup de bières, je me suis rendu compte qu’il y avait pas mal de similitudes avec le vin nature, liées sans doute à la fermentation spontanée et aux levures indigènes. il y a aussi la même acidité. On peut parfois confondre bière et vin pétillant naturel, voire vin du Jura, surtout si on garde un peu la bière qui perd alors en partie son perlage. cette brasserie, créé en 2005 par leonardo di vincenzo, dans le latium, à 50 km de rome, a la particularité de faire de nombreuses expériences. l’une de ses gammes s’appelle d’ailleurs “le bizzarre”. la “caos” est un assemblable de moût de bière (75 %) et de moût

de raisin du cépage malvasia (25 %), ou malvoisie en français. c’est l’avantage de la bière, il n’y a pas de règle fixe, le brasseur est comme un cuisinier qui peut utiliser tout un tas d’ingrédients et réussir à conserver un certain équilibre. leonardo a par exemple testé une bière à l’huître et une autre au tabac. il faut dire que c’est un vrai passionné, qui faisait déjà de la bière dans la salle de bain de ses parents, et qui a abandonné ses études de biologie pour se consacrer à la bière. il a aujourd’hui 15 salariés et vend aux états-unis comme dans le nord de l’europe. le plus surprenant, c’est que, pour moi, la bière parvient à composer des accords avec les plats là où le vin échoue. selon moi, le boum de la bière observé en italie devrait arriver bientôt en france.”

STEFANO AMERIGHI, “SyRAH 2009” Le vigneron “comme tous les hommes de cette sélection, et même comme moi, stefano amerighi, qui a aujourd’hui une quarantaine d’années, a décidé un jour de changer de vie. lui, il était étudiant en sciences politiques. mais son grand-père possédait des vignes en toscane, à cortona

La cannette “la caos présente une couleur blonde, un peu tourbée, trouble. au nez, on y trouve les mêmes parfums que dans le vin. la malvasia apporte un côté fruité, pêche, abricot, et, en même temps, un aspect résine de sapin, une odeur un peu miellée et presque balsamique. en bouche, il y a une sécheresse incroyable, comme dans toutes les bières, mais, grâce au raisin, la finale est un peu plus ronde, plus aromatique.” L’accorD “J’associe cette bière avec un plat très puissant, tortellini de céleri rave, pignons, romarin et boutargue. il est très difficile de trouver un accord avec la boutargue qui garde un côté ferreux, amer. en italie, on la mange avec un vin sarde, le vernaccia di Oristano, qui sent un peu le rance des anchois laissés dans leur jus. le côté iodé fait passer le tout. avec son assemblage bière-vin, la caos fonctionne donc très bien avec la boutargue mais aussi avec le céleri rave, plus doux, et les pignons un peu fumés, torréfiés.” birra DeL borgo piana di spedinO 02021 bOrgOrOse (ri) tél. : +39 0746 31287 email : info@birradelborgo.it www.birradelborgo.it

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partage, de rencontre. la psychologie est très importante. il y a des clients qui ne buvaient pas de vin nature et qui ne boivent que ça aujourd’hui. Je les ai amenés à ça en douceur.” marquée à vie par les vins de loire, et notamment ceux de richard leroy, elle rêve aujourd’hui de construire une carte spécial chenin avec différentes appellations, différents vignerons. “c’est un cépage d’une incroyable flexibilité qui permet de faire du sec, du liquoreux, du pétillant et même des vins de garde”, souligne-t-elle. On le verra dans sa sélection, elle défend surtout des vins solaires et lumineux. comme elle.

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RICHARD LEROy, “NOëL DE MONTBENAULT” 2010 Le vigneron “c’est l’un des premiers vins natures que j’ai goûté à paris, au verre volé. J’ai été étonnée qu’un tel vin puisse être aussi cristallin, net, propre et long en bouche. Jusque là, je trouvais que les vins natures n’étaient pas assez amples. c’est le premier vin qui m’a fait comprendre le vin nature et en particulier le chenin. depuis, j’ai rencontré richard leroy (voir également p.52) au salon “renaissance des appellations”, en janvier 2012 à angers. Je lui ai parlé de mon coup de cœur pour ses vins. en discutant avec lui, j’ai compris la précision et le rationalisme que l’on retrouve dans ses bouteilles. il a une capacité à analyser le terroir, à expliquer le fait qu’il faut très bien connaître ses vignes, les aimer. son terroir est particulier, sur une roche d’origine volcanique, avec un peu de calcaire, qui donne de la minéralité, et une exposition au sud qui apporte de la densité. J’ai compris avec lui qu’il était possible de faire des vins natures avec une grande profondeur, de la minéralité, de l’acidité, de l’élégance et de la subtilité, mais aussi avec de la densité. en plus, c’est un grand amateur de vin, il en a goûté beaucoup. parfois, les vignerons ne connaissent que le leur. à angers, on a aussi parlé des vins italiens. il a très peu de vin disponible mais, à la fin de la conversation, il m’a dit : “écris-moi un email après le salon et on verra”. quatre mois plus tard, sans être prévenue, j’ai reçu 24 bouteilles, j’étais super contente. ses vins sont vibrants, parfaits pour

faire des accords, que ce soit le “clos de rouliers” ou le “noël de montbenault”. ça marche très bien avec la cuisine de giovanni.” La bouteiLLe “au nez, il y a une grande richesse, des parfums de fruits frais et de fleurs fraîches, mais aussi de fruits secs. c’est minéral, droit comme une lame de couteau, long, et en même temps très riche. On la retrouve en bouche, sur le bout de la langue comme en finale. c’est vibrant, expressif, explosif, volcanique. la cuvée, qui a passé un an en barrique, est un peu jeune, mais cette jeunesse est bien gérée. richard leroy n’utilise que des fûts neufs, qu’il change tous les 4 ou 5 ans. d’habitude, il est difficile de gérer le bois neuf mais là, il parvient à un incroyable équilibre entre la matière et l’acidité.” cépage : chenin blanc. L’accorD “Je l’ai servi avec un ris de veau, topinambour, menthe et lait fermenté. pour balancer le gras du ris de veau, il faut de la richesse, de l’acidité, et ce vin les possède. avec la menthe et le topinambour, on est plus sur un accord en assonance. ce vin réussit à accompagner chaque ingrédient. Je l’ai aussi proposé avec un cabillaud, poireau et émulsion de radis. comme beaucoup de vins de loire, cette cuvée permet d’arrondir la bouche sur des notes d’amertume.” richarD Leroy 52 grande rue 49750 rablay sur layOn tél. : 02 41 78 51 84 2013_volume 05

BIRRA DEL BORGO, “CAOS”

GABRIO BINI, “SERRAGGHIA MOSCATO DI PANTELLERIA PASSITO” 2007

La bouteiLLe “ce rosé a une couleur magnifique, assez sombre, rubis. il est lumineux. au nez, on est sur une palette de parfums de sous-bois, de torréfaction, de café, de tabac, des fruits rouges, aussi. à l’aveugle, avec un verre noir et juste au nez, on pourrait croire que c’est un rouge. en bouche, il est chaleureux, charnu, et possède la structure d’un grand vin. dans la tête des gens, les rosés sont légers mais là, il y a une salinité, une acidité forte, et en même temps une harmonie entre un côté riche, charnu, et rond à la fois. en italien, nous disons “morbido” (littéralement : doux, moelleux). c’est à la fois rustique et élégant, un peu animal mais subtil. Je ne sais pas comment il arrive à faire ça.” cépages : chardonnay, pinot noir, pinot meunier.

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j’ouvre les bouteilles en salle, je lui pose un verre en cuisine et je lui dis : “c’est quoi ?”. il lui arrive de deviner.” depuis qu’elle est arrivée en france, sa vision du vin a changé. “ici, il y a des salons super intéressants, raconte-t-elle. du coup, j’ai compris ce qu’il y a derrière la profession de vigneron et j’ai été frappée par la solidarité qui existe entre eux, beaucoup plus qu’en italie.” son credo : “que les gens passent un bon moment”. elle ne se fixe aucune règle, alterne les vins pétillants, blancs, rouges, et même la bière ou les alcools distillés. “Je ne suis pas rigide, je n’aime pas imposer mon goût, précise-t-elle. le vin, c’est le deuxième élément de la table. c’est un moment de

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VINCENT LAVAL (CHAMPAGNE GEORGES LAVAL), “CUMIÈRES ROSÉ BRUT NATURE”

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lorsqu’elle est arrivée à paris, en mars 2010, elle ne connaissait que trois mots en français : champagne, bourgogne et riesling. aujourd’hui, francesca tradard jongle avec les termes abnégation, ampélographique et assonance (c’est un hasard, elle n’a pas ouvert le dictionnaire qu’à la lettre a). après trois mois de “gym”, comme elle dit, chez saturne, dont elle a fait l’ouverture et qui l’a marquée profondément, elle s’est installée rue trousseau, chez giovanni passerini (rino). entre romains, le courant passe. “pour moi, un bon cuisinier doit aussi connaître un peu les vins, insiste-t-elle. “gio” - giovanni passerini - a un bon nez et un bon palais. il goûte bien. souvent, quand

DavoDeau© Futuropolis, 2011

DavoDeau© Futuropolis, 2011

Les ignorants, étienne davOdeau planches reprOduites avec l’aimable accOrd des éditiOns futurOpOlis.

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Le vigneron “J’ai découvert le champagne rosé de vincent laval par hasard dans une cave à vin, à rome. J’ai été bouleversée. c’était comme un vin rouge pétillant. c’est l’un des premiers vignerons que je suis allée voir lorsque je suis arrivée en france. pour nous, en italie, champagne = grande maison. là, j’ai découvert un homme hyper ouvert, à l’inverse de ce à quoi je m’attendais. il m’a fait goûter tous les échantillons, c’était la première fois que je découvrais le champagne avant qu’il soit champagne. les vignerons de champagne sont comme des designers. il faut comprendre le millésime, les caractéristiques des différents raisins, avant de créer la cuvée. cela a été un moment important dans ma formation de sommelière. vincent laval est un peu moins cérébral que richard leroy, plus direct, plus instinctif. mais, ils partagent la même philosophie. pas de chimie. il dose juste un peu quand il embouteille. son père, avec qui il a commencé, a été l’un des premiers champenois à travailler en bio, dans les années 70. pour préserver son vignoble, vincent s’est même occupé gratuitement des vignes de ses voisins et ainsi s’assurer que son raisin ne serait pas contaminé. en même temps, il n’est pas radical. il explique juste que c’est son chemin. et c’est pour moi un bon chemin. J’ai vu l’abnégation, la dévotion, qu’il a pour ses vignes. il n’a que 2,5 ha mais exposés au sud, dans un amphithéâtre bien protégé. il est sur de la craie, typique de la champagne, qui garde la chaleur la nuit. le vignoble ne souffre donc pas trop du gel.”

comment s’exprime cette créativité au Drugstore publicis ? Dans cette maison, on a 300 couverts au total. le midi, il y a un paroxysme du service qui est incroyable. Ce n’est même plus un coup de feu, c’est un coup de canon. il faut que ce soit super huilé en cuisine, super huilé en salle. le moindre grain de sable enraye la machine. On ne peut donc pas aller trop loin dans la complexité créative. On travaille de beaux produits, du poisson frais, de belles viandes, sans les embarquer trop loin, sans les travestir.

VINO RINO

ce type à sa vigne”, et s'étonne de “la singulière fusion entre un individu et un morceau de rocher battu par les vents”. ainsi se résume joliment dans la concrétion du temps et de l’humain, l’aventure sauvage et douce portée par le dessin.

davodeau peine forcément dans la vigne, se laisse distancer par un ogre de travail capable de tailler plus vite que son ombre. richard leroy, lui, a du mal à se sentir à l’aise dans le bureau de l’éditeur qu’ils vont rencontrer une fois à paris. l’ouvrage raconte ainsi l’absence de certitudes, l’impression de ne jamais tout à faire être à sa place… en creux, l’histoire d’un vin qui se mûrit en suivant les aléas du temps, en acceptant l’humilité et les défaites. et c’est bien parce que davodeau, humble assistant d’un vigneron glabre qui se transforme peu à peu sous sa plume en ermite chevelu et barbu, n’en rajoute pas dans la pédagogie, laisse de côté le didactisme pour laisser affleurer l’émotivité, la sensibilité, le partage des cultures (littérature, musique, tout s’échange entre deux coups de sécateur, deux dégustations, deux impressions sur un dessin) que le lecteur plonge charnellement dans le vin. composition complexe et instable, née de la terre et de l’homme, pris au piège des sentiments, des états d’âmes, des savoirs et des renoncements. après 272 pages parcourues d’une seule traite, on comprend définivement que les ignorants n’est pas qu’un beau titre. c’est aussi l’un des meilleurs écrits jamais dessiné sur la vigne.

chef m’avait confié, le regretté Alain Chapel. Au-delà de la technique, que tous les bons cuisiniers maîtrisent, la créativité, ce sont aussi des souvenirs d’enfance, de ses parents, d’une grand-mère, c’est un vécu, c’est ce que l’on a dans les tripes. C’est enfin le fruit d’une curiosité personnelle. il faut se balader sur les marchés, dans la nature, s’intéresser à ce qui se fait ailleurs.

1. préchauffer le four (90°C). Cuire les légumes séparément à feu doux (2 h) avec du sirop d’érable, en les enveloppant dans du papier d’aluminium (comme une papillote). Réserver à température ambiante. 2. Faire réduire doucement le vinaigre de Cabernet Sauvignon avec un peu ce sucre jusqu’à ce qu’il devienne presque sirupeux, puis le mettre de côté pour la décoration finale. 3. éplucher les mangues et les bananes, les passer au mixeur ensemble et ajouter à la fin quelques feuilles de basilic. Mettre au frais. 4. élaboration de l’arlette. étaler le feuilletage et le travailler au sucre glace (pas de farine). une fois bien étalé, lui donner une forme rectangulaire (en le taillant avec un couteau), l’enduire avec du beurre clarifié puis le rouler en faisant attention à bien le serrer. Réserver au congélateur. une fois durci, couper le rouleau de feuilletage en morceaux. les poser dans le sens de la largeur et les aplatir (travailler toujours avec du sucre glace). Les passer au four très chaud (250°C) pour les caraméliser. les sortir du four et, sur un plan de travail préalablement graissé (bombe à graisse de préférence), les aplatir le plus rapidement possible avec une casserole. Réserver à température ambiante. 5. Dresser les légumes et les olives dans une assiette. Dans une coupe faire des quenelles de glace. Au dernier moment, poser l’arlette afin de donner du volume à l’assiette. Servir le smoothie de fruits et basilic dans un verre.

LA VINOTHÈQUE DE… FRANCESCA TRADARD

ETIENNE DAVODEAU ET RICHARD LEROy SONT VOISINS. L’UN EST UN AUTEUR DE BANDE DESSINÉE RECONNU, L’AUTRE L’UN DES GRANDS VIGNERONS DE LA LOIRE. QUAND LE PREMIER PROPOSE AU SECOND DE LE SUIVRE PENDANT UN AN, IL NE SE DOUTE PAS TOUT À FAIT DU TRAVAIL QUI L’ATTEND. MAIS IL VINIFIE DÉJÀ LES IGNORANTS.

c’est un belle bande dessinée, longue comme un film des frères cohen, aussi trépidante qu’un de leur road movie un peu déglingué qui ferait du surplace, se contentant de suivre l’action dans une saisonnalité aussi implacable qu’imprévisible. nous sommes en anjou et le temps n’y rate aucun homme. surtout dans la vigne, pluie battante, hiver de torpilleur, soleil de cogneur au moment des vendanges. etienne davodeau, lui, est plutôt un oiseau de studio. il dessine à l’abri, peu troublé par les soubresauts météorologiques. que lui prend-il de vouloir saisir la vie d’un forçat de la vigne ? richard leroy. son voisin est plutôt taiseux mais reconnu comme l’un de ceux qui font l’anjou, lui redonne depuis des années des lettres de noblesse. c’est parce qu’ils sont amis que tout commence. l’idée folle de suivre pendant un an un vigneron inépuisable, levé tôt, couché tôt hors soirées amicales. mais au delà de l’amitié, c’est sans doute la rigorisme conduisant l’un et l’autre dans leur métier respectif qui les réunit. le dessinateur aime le noir et blanc, le trait clair, l’absence de surcharge. le vigneron plaide pour un respect absolu de la nature et de la vigne, l’ajout très mesuré de barrique dans la vinification de vins devenus des références. “par un beau temps d'hiver, les deux individus, bonnets sur la tête, sécateur en main, taillent une vigne. l'un a le geste et la parole assurés. l'autre, plus emprunté, regarde le premier, cherche à comprendre “ce qui relie

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Trois questions à olivier Dupart, Chef Exécutif Publicis Drugstore racontez-nous votre recette à base de glace mövenpIcK® ricotta & pink pepper la ricotta, c’est un fromage tout en subtilité, dont la saveur se révèle grâce aux associations, aux assaisonnements. Combiné aux baies roses qui lui apportent un coté très doux, il faut jouer avec les évocations. Et pour moi, la ricotta, c’est surtout l’italie, la Méditerranée. Alors, je suis parti sur des légumes du soleil confits, poivrons rouges, fenouil, olives confites au sirop d’érable et sur une petite arlette, une pâte feuilletée roulée typiquement méridionale. J’ai complété avec un smoothie fraise, basilic, banane pour apporter un petit peu de douceur tout en donnant du punch.

PascaDe 14 rue daunOu - 75002 paris www.pascade-alexandre-bourdas.com tél. : 01 42 60 11 00

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Ingrédients pour 4 personnes 4 mini fenouils • 4 mini poivrons rouges • 2 mangues • 2 bananes • 1 botte de basilic • Olives de Nice dénoyautées • Feuilletage • Sirop d’érable • Sucre semoule • Sucre glace • Vinaigre de Cabernet Sauvignon • Beurre clarifié • Glace MÖvEnPiCK® Ricotta & Pink Pepper

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LA BULLE ET LA VIGNE TExTE Luc Dubanchet

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© Annabelle Schachmes

TExTE StéPhane méjanèS

mais certains n’ont pas voulu croire à cette fable. c’était bien le second restaurant d’alexandre le grand qu’ils attendaient, l’annexe d’un sa.qua.na toujours complet et couvert d’honneurs, le résultat d’un glissement de terrain qui aurait déplacé le port de honfleur sur la place vendôme. “ils ont tout de suite placé la barre très haut, s’étonne alexandre. J’ai sans doute été trop naïf. paris, ce n’est pas ma ville, je viens de la campagne.” le chroniqueur ubiquitaire du figaroscope a, de ce point de vue, poussé le contresens à son paroxysme en écrivant : “On se retrouve du côté de cette gastronomie de l’enveloppe, du paquet surprise et du fourre-tout qui, de la fouace à la focacce, n’évite pas toujours les pesanteurs. On attendait peut-être un bourdas plus direct.” alors, quand il aussi lu ou entendu, ici ou là, que la pascade était trop sucrée et l’addition trop salée, notamment à cause du prix du vin au

La marine 5 rue marie lemOnnier 85330 nOirmOutier en ile tél. : 02 51 39 23 09 restaurantlamarine.blogspot.com fermé dimanche sOir, mardi et mercredi. menus de 58 à 97 €

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photo aragorn

ALEXANDRE BOURDAS (SA.QUA.NA, HONFLEUR), A OUVERT “PASCADE”, EN NOVEMBRE DERNIER À PARIS. UN RESTAURANT CONCEPT AUTOUR DE LA CRêPE SOUFFLÉE DE SON ROUERGUE NATAL. UNE OCCASION BIEN TROP TENTANTE POUR CERTAINS GASTROPATHES DE SE PAyER UN TOP CHEF. DÉCRyPTAGE.

“alexandre, vous allez voir, ils vont vous fusiller”. l’avertissement à alexandre bourdas était ainsi formulé par anne lardeur, attachée de presse expérimentée. nous étions quinze jours avant l’ouverture de “pascade” (16 rue daunou, paris 1er), l’adresse parisienne du chef de sa.qua.na (honfleur, 14), consacrée à la crêpe soufflée à rebords de son enfance aveyronnaise. la patronne de l’agence aragorn venait de vivre d’assez près l’arrivée de la valentinoise anne-sophie pic dans la capitale (“la dame de pic”), saluée par son cortège habituel de critiques élogieuses mais aussi de réflexions vachardes : sur le principe des menus en odorama, sur le décor clinique, sur le service distancié et sur les tarifs gonflés. à l’instar de l’automobiliste, le mangeur parisien n’est jamais en panne de sarcasme à l’endroit de l’oncle fernand quittant son négoce de machines agricoles à montauban pour monter à la ville. un cuisinier averti en vaut deux, mais alexandre bourdas n’a pas vraiment vu venir le coup. “Je me disais : ils ne vont pas me flinguer pour quatre pascades salées et

sans esbroufe, les plats arrivent comme autant d’œuvres d’art minimalistes, comme ce blanc de seiche aux navets et à la noix de coco, monochrome mais pas monotone. intelligence et connaissance des matières premières plus qu’avant-garde. “Je suis pour la technique, sauf quand ça n’apporte rien, précise-t-il. un jour, Jordi roca a fait un plat tout blanc, aussi, mais tout était distillé, sorbet chocolat, sorbet café, ça faisait un peu peur. avant tout, on a des palais. même si c’est super créatif, si ce n’est pas bon, ce n’est pas bon, ça ne marche pas.”

à l’herbaudière, on vient (forcément) de loin pour goûter les plats d’alexandre. mais pas forcément pour vivre une expérience extrême. “des clients m’ont déjà renvoyé l’assiette de l’huître”, s’amuse-t-il. cette fameuse huître est pochée dans un bouillon de lard et encornet avant d’être planquée sous de l’encre de seiche, accompagnée d’un tapioca à l’eau des huîtres et au citron, surmontée d’une poudre d’huile de lard et d’une pastille de sucre, telle la nacre d’un coquillage perlier. en une bouchée animale, l’ensemble pousse les saveurs salines vers des horizons plus terriens. nous, on ne l’a pas renvoyée. mais ne pas croire qu’alexandre retienne ses rêves de grandeur pour faire dans le consensuel. c’est sa nature, son histoire. surdoué, surinformé, il reste un petit provincial. “quand les gens vont manger dans un grand restaurant, ils se préparent, se toilettent, le bonheur est aussi là, insistet-il. Je suis pour une cuisine et une salle décomplexées mais sans oublier les notions de plaisir et de moment privilégié. il est important de s’habiller un peu. chez quique dacosta, certains clients sortent de la plage et arrivent en claquettes, ça me choque.” il ne faut donc pas s’attendre à une révolution, à l’avenir, et surtout pas à de la surenchère. “pour être davantage reconnu, faut-il graver à son nom les verres et le papier toilette, servir en gants blancs et mettre de grosses quenelles de caviar partout ? moi, ça ne me passionne pas.” ça tombe bien, nous non plus.

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POLÉMIQUE À LA TARTE quatre pascades sucrées. et bien si.” bien sûr, le bilan critique reste globalement positif, mais il a suffi de deux ou trois commentaires caustiques pour agacer celui qui n’est pourtant pas un perdreau de l’année avec son parcours sans faute, de michel guérard à régis marcon puis michel bras. “Je ne m’attendais pas à cela, confie-t-il. Je suis monté sans pression, avec ma bite, mon couteau et ma pascade sous le bras. c’était un bon pavé dans la mare des mauvais sandwiches, steaks frites, et pizzas.”

étant juste, bienveillant et jamais rancunier (“je suis dur en cuisine mais je les amène à la réflexion, ce n’est jamais gratuit”), sont sommés d’aller fouiner pour savoir qui sont magnus nilsson, alex atala ou david chang. ces maîtres à lui s’appellent alain passard (“si je revenais en arrière, j’irais faire un tour chez lui”) et michel bras, dont il avait dévoré les livres avant de le croiser dans un escalier, à deauville, au cours d’un Omnivore food festival (il possède une collection du magazine Omnivore première formule), et de recevoir au débotté une leçon de cuisine sur l’agastache. en 2012, prélude à une année durant laquelle beaucoup lui prédisent quelques belles récompenses, la cuisine d’alexandre a atteint une forme de plénitude. il est sur orbite. le restaurant réinstallé depuis plusieurs années dans le bâtiment jouxtant la table d’élise a d’ailleurs des allures de capsule spatiale sortie des “thunderbirds”. ce qui ne l’empêche pas d’avoir les pieds sur terre. “dès le début, j’ai voulu faire de la cuisine pour faire quelque chose de bon, résumet-il. On avait une carte où on vendait du bar de ligne à perte, mais c’était du bar de ligne. On faisait notre propre soupe de poissons dans de grosses casseroles de 20 litres, ça débordait de partout, c’était l’enfer. On était des fous, des tarés, personne ne faisait ça autour de nous.” en maintenant ce cap du produit frais de qualité, et bien que les terres de noirmoutier soient de moins en moins cultivées, il a mis au point, au fil des années, des techniques de déshydratation des fruits et légumes, des réductions, et, surtout, des cuissons diaboliques, au degré près. On garde longtemps en mémoire son cabillaud nacré, cuit 10 minutes à 48° et accompagné de courge, châtaignes et lait de chèvre. entre voluptueuse douceur et légère acidité flirtant avec l’astringence.

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DavoDeau© Futuropolis, 2011

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RENDEZ-VOUS À LYON DU 26 AU 30 JANVIER 2013

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