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Une fontaine de jouvence : la création à l’Opéra de Montréal

Being, création de René-Daniel Dubois et Blair Thomson (lecture avec les artistes en résidence de l’Atelier lyrique)

Une fontaine de jouvence : la création à l’Opéra à Montréal

Depuis une dizaine d’années, l’Opéra de Montréal fait de plus en plus de place à la création et à des œuvres nouvelles dans sa programmation. D’où provient ce vent de fraîcheur ? Qu’apporte-t-il à la compagnie, au public et aux artistes ? Patrick Corrigan, directeur général de l’Opéra de Montréal, et Michel Beaulac, directeur artistique, s’expriment sur cette avenue emballante et prometteuse pour la pérennité de la compagnie.

L’opéra de demain passe par la création

Depuis environ 20 ans, le milieu lyrique a profondément changé. Tant en Europe qu’en Amérique du Nord, les grandes compagnies s’engagent dans la voie de la création et l’Opéra de Montréal ne fait pas exception. Pourquoi ? «  C’est au départ une question de nécessité  », explique Patrick Corrigan. « La forme de l’opéra était devenue calcifiée par sa structure : toujours d’énormes spectacles avec grand orchestre, sur une grande scène, dans de gros décors. » La venue du numérique, qui permet à tous d’avoir accès à ce qui se fait à travers le monde, est venue mettre en lumière les inégalités financières des maisons d’opéra et a précipité l’urgence de se diversifier pour se distinguer. Et puis il y a le public, désireux d’assister à du nouveau répertoire auquel il peut s’identifier.

Pour Michel Beaulac, il fallait trouver une identité à la compagnie propre aux Montréalais·es. « J’appelle ça “montréaliser” la compagnie, c’est-à-dire présenter des œuvres dans lesquelles notre public se reconnaît, des œuvres permettant de positionner l’Opéra de Montréal à la fois chez nous et à l’échelle internationale. »

Y goûter, c’est y prendre goût !

Pour son grand plongeon dans la création, Michel Beaulac choisit en 2012 d’approcher Michel Marc Bouchard pour adapter à l’opéra sa pièce de théâtre Les Feluettes, déjà bien connue et appréciée du public. Une entreprise couronnée de succès en 2016. Après ce baptême fort concluant, il ne souhaite qu’une chose : récidiver. « On a eu la piqûre. La création, c’est une véritable passion, une intoxication ! C’est comme une fontaine de jouvence qui dynamise la relation public-compagnie et toute l’équipe de l’Opéra de Montréal. » De nouveaux processus se mettent en place pour accueillir d’autres projets du genre, ce qui ne va pas sans certains défis. « On avait un mode de fonctionnement, de financement et d’organisation du travail bien établi avec les œuvres de répertoire », expose Patrick Corrigan. « Là, il fallait tout revoir. Développer des créations prend des années, on a donc besoin de liquidités. On a dû déconstruire notre structure financière pour pouvoir s’adapter », raconte le directeur général. Diversifier les formats de diffusion pour élargir son public D’après le directeur artistique, présenter des créations en variant leur format, en sortant du cadre traditionnel, en utilisant l’instrumentation et la voix autrement et en visitant différentes grandeurs de salle amène un nouveau public à l’opéra. « On a brisé les frontières et on a développé toute une palette de couleurs », affirme-t-il. « Ça a été notre moyen de passer au 21e siècle. » Patrick Corrigan est d’avis que c’est cette diversification des formats qui assurera la pérennité de la maison d’opéra et qui changera la perception erronée qu’entretient une certaine tranche de la population face à l’art lyrique. « L’opéra ne se limite pas à ce qui se faisait au XIXe siècle. C’est une forme d’art très actuelle et pertinente. Notre stratégie est de trouver un équilibre entre les œuvres de répertoire et les nouvelles œuvres, ainsi qu’entre les productions à grand déploiement et les productions plus intimes. »

Une île de passions, création de Marie-Claire Blais, Hélène Dorion et Éric Champagne. (De gauche à droite : Michel Beaulac, Éric Champagne, Jean-François Lapointe, Stéphanie Pothier, Hélène Dorion)

Quand les étoiles s’alignent

Comment les créations sont-elles sélectionnées ? Si le directeur artistique approche lui-même des créateurs avec lesquels il souhaite travailler, il reçoit également beaucoup de propositions de projets. « Je suis sensible au public qu’on doit desservir et aux circonstances dans lesquelles une proposition se présente à moi. Pour décider si on va de l’avant ou non, je dois évaluer de quel budget on dispose, à quelle étape de création est rendu le projet soumis, si les thèmes abordés cadrent bien avec la programmation, etc. Au-delà de la qualité et de l’intérêt de l’œuvre, plusieurs critères interviennent dans mes choix. Il faut que la conjoncture soit parfaite. »

La beauté du monde, création de Michel Marc Bouchard et Julien Bilodeau (Esquisse de décor, Prologue)

Un éventail de collaborateurs aguerris

Comme ce fut le cas avec Michel Marc Bouchard, Olivier Kemeid, Hélène Dorion et Angela Konrad, l’Opéra de Montréal collabore régulièrement avec des créateurs accomplis qui ont une démarche bien ancrée dans une autre discipline artistique. Un grand atout selon Patrick Corrigan.

« En faisant appel à eux, on va chercher une nouvelle et solide expertise, mais aussi un regard neuf sur une forme d’art qu’ils connaissent peut-être moins. C’est rafraîchissant. Même chose pour les jeunes compagnies avec qui on collabore et qui ne nous ressemblent pas, comme Ballet Opéra Pantomime (BOP) et Musique 3 Femmes. Ça enrichit notre offre, et plus on va accorder de place aux jeunes artistes à l’opéra, plus notre milieu sera vivant et en santé. C’est là que se trouvent tout le renouveau et l’effervescence. » La création : tout un sport d’équipe

Parmi les critères de sélection des collaborateurs figure la capacité à travailler en équipe. « C’est un art collaboratif, il faut arriver à créer des matchs créatifs et Michel [Beaulac] est ceinture noire en la matière », assure Patrick Corrigan.

« Il faut tout harmoniser : la musique, les idées, les ego, les intentions. Ce sont des projets pharaoniques ! », ajoute Michel Beaulac qui agit comme guide et facilitateur tout au long du processus. « La première chose que je fais, c’est écouter. Je suis le premier public, le premier écho que les créateurs reçoivent de leur œuvre. J’interviens dans des ajustements de livrets, de courbe dramatique, de structure. Je pose des questions. Je m’assure que l›œuvre et les artistes puissent atteindre leur but artistique. »

Récolter le fruit d’un long travail

Il faut en général entre trois et cinq ans pour qu’une œuvre voie le jour, mais chaque projet est différent. En ce moment, le directeur artistique accompagne pas moins de cinq-six projets. Une démarche très exigeante, mais extrêmement gratifiante. Patrick Corrigan en témoigne : « Voir quelque chose prendre forme à partir d’une simple idée qui a trouvé son chemin, que les artistes ont porté avec leur énergie, leur volonté et leur passion, c’est tellement émouvant. »

« On assiste à une renaissance, au printemps de l’opéra », illustre Michel Beaulac. « Même si c’est une fleur dont on connaît l’espèce, c’est une nouvelle fleur qui est en train de pousser. »

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