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EDITO C’est avec un grand plaisir et une certaine excitation que nous vous présentons le deuxième numéro de NOTHING Magazine. Je tiens à remercier les photographes de cette nouvelle parution pour leur confiance et leur gentillesse. A l’heure de la polémique sur la photographie du Suédois Paul Hansen (ndlr : lauréat du World press 2013 montrant deux enfants palestiniens morts à Gaza) à qui l’on reproche une image trop photoshopée, j’aimerais plutôt que l’on s’intéresse aux raisons de la mort de ces enfants ou aux risques encourus par les photojournalistes pour nous informer des situations dans les zones de conflits. Pourtant, les commentaires et les débats sur la retouche du cliché vont bon train. Cela reflète bien la société du paraître pour laquelle la forme devient plus importante que le fond. Ici, nous aurons une pensée toute particulière pour Olivier Voisin photo-reporter mort en Syrie le mois dernier. Ce mois-ci dans NOTHING, nous nous intéresserons de plus près au travail de Guillaume Poli avec son reportage sur les Kistes. Cette minorité tchétchène de Géorgie est installée dans la vallée du Pankissi. Elle est crainte et mal connue, ses membres sont musulmans dans un pays chrétien. Les sténopés de Patrick Caloz sont à découvrir : des images bluffantes et poétiques de la ville de Zürich en Suisse. Antoine Delcroix, membre du collectif, nous fera partager sa série ‘25 METRES’ qui revient sur une page sombre de notre histoire. Pour finir, nous avons la chance de collaborer, dans ce numéro, avec Denis Dailleux. Ce photographe est membre de l’agence VU’. Avec lui, nous reviendrons sur l’histoire des jeunes martyrs de la révolution p.02 | Edito égyptienne.
Sommaire
Bonne lecture à tous.
p.03 | Qui sommes nous ? p.04 | Photographes p.06 | Guillaume Poli Pankissi, entre peur et oubli.
02# Copyright NOTHING Mag OPTYCOS © 2013 Couv :Guillaume Poli Nous écrire : contact@optycos.fr
p.22 | Patrick Caloz Sténopé. p.34 | Antoine Delcroix 25 Mètre.
p.50 | Denis Dailleux Les martyrs du 28 janvier Mémoire d’une révolution p.63 | Nothing et vous
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Mars - avril // 2013
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Qui somme nous ?
ondé en 2008 à Epinal, dans l’Est de la France, le collectif OPTYCOS est le fruit d’une rencontre entre deux jeunes photographes passionnés par l’image et la découverte de l’autre. Au fil des voyages et du hasard des rencontres, le collectif s’est agrandi et a accueilli de nouveaux membres. OPTYCOS propose chaque année plusieurs expositions à travers la France et met en place des projets autour de la photographie. A travers leurs images, les membres du collectif veulent témoigner des différentes cultures et modes de vie qui nous entourent. OPTYCOS se donne aussi pour mission de faire découvrir des visions photographiques différentes.
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PHOTOGRAPHES Antoine Delcroix
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près des études de gestion d’entreprise et deux ans en tant que chef de projet financier, Antoine décide de mettre tout cela de côté pour se consacrer entièrement à la photographie. Il a longtemps promené son objectif au hasard des rencontres, principalement lors de son année passée en Inde mais aussi lors de ses autres voyages en Asie et Europe de l’Est. À Bucarest, il se lance dans le reportage social, et travaille notamment avec deux ONG ; le Samu Social et Atelier Fara Frontiere. En 2010, il intègre les Ateliers de l’Art de l’Image Le 75, à Bruxelles où il entame une formation de photographe. Aujourd’hui il travaille sur les modes de vie alternatifs en Europe de l’Ouest.
Patrick Caloz
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hotographe passionné par l’argentique et plus particulièrement par le noir et blanc, J’ai eu l’occasion de réaliser plusieurs projets photographiques de proximité comme des reportages sur la vie de quartier, la couverture d’évènements (défilés, mariages, fêtes), ou des travaux d’inventaires de lieux. Actuellement, je me concentre quasi exclusivement sur le sténopé. Mon projet est de réaliser chaque année des images sur une autre ville du continent européen pour, in fine, créer une ville imaginaire composée de morceau(x) de chacune d’entre elle(s). J’ai eu l’occasion de parcourir Amsterdam, Venise, Istanbul, Berlin, Paris, Fribourg et Zürich. J’apprécie également partager ma passion avec d’autres personnes et profite de ma fonction d’enseignant et d’éducateur pour transmettre un savoir-faire photographique à des personnes en réinsertion».
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Denis Dailleux
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rançais. Né en 1958 à Angers. Vit au Caire. “Avec la délicatesse qui le caractérise, il pratique une photographie apparemment calme, incroyablement exigeante, traversée par des doutes permanents et mue par l’indispensable relation personnelle qu’il va entretenir avec ce et ceux qu’il va installer dans le carré de son appareil. Sa passion pour les gens, pour les autres, l’a naturellement amené à développer le portrait comme mode de figuration privilégié de ceux dont il avait l’envie, le désir d’approcher davantage ce qu’ils étaient. Et il l’a fait, avec Catherine Deneuve comme avec des anonymes des quartiers populaires du Caire, avec cette même discrétion qui attend que l’autre lui donne ce qu’il espère, sans le revendiquer, en espérant que cela adviendra. Alors, patiemment, il a construit un portrait inédit de la capitale de cette Egypte avec laquelle il entretient une relation amoureuse, voire passionnelle, pour mêler, entre des noirs et blancs au classicisme exemplaire et des couleurs à la subtilité rare, une alternative absolue à tous les clichés, culturels et touristiques, qui encombrent nos esprits. A sa manière discrète, Denis Dailleux un photographe classique auquel on a terriblement envie de dire qu’on le remercie de son regard généreux et hors temps.” Christian Caujolle
Guillaume Poli
A
près un troisième cycle en sciences humaines, j’ai eu l’opportunité de collaborer dans une agence de presse parisienne. J’ai alors découvert les “news” et réalisé des reportages dans un contexte professionnel. A présent, je réalise des reportages sur des sujets de société et porte une attention particulière envers les minorités et les phénomènes migratoires, en France mais aussi en Angleterre, Turquie, Géorgie…
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PANKISSI
ENTRE PEUR ET OUBLI par Guillaume Poli Texte: Sophie Tournon
La vallée du Pankissi s’étend sur une longueur d’environ dix kilomètres et sur cinq kilomètres de large. Elle est constituée d’une dizaine de villages situés dans les contreforts du Caucase. Il faut plusieurs heures de route pour y parvenir de Tbilissi, malgré une distance de moins de 100 km. Tout Tchétchène est, dans l’imaginaire populaire, un fier guerrier caucasien ou un terroriste potentiel...
C
es clichés qui proviennent de la littérature russe et des guerres de Tchétchénie, altèrent l’image des Kistes, ces tchétchènes de Géorgie. Minorité autant crainte que mal connue, car musulmans en pays chrétien et trop proches de la turbulente Tchétchénie, ces géorgiens sont considérés comme des citoyens de seconde zone. L’histoire de leur arrivée en Géorgie prend place dans les années 1820-1870. Les Kistes sont des tchétchènes qui fuient l’armée tsariste conquérante et les strictes lois musulmanes de
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l’imam Chamil vers des terres plus paisibles. Une légende évoque ce passage au sud du grand Caucase de manière idyllique “Un jeune tchétchène, parti à la recherche d’une brebis perdue, s’était égaré dans une forêt de l’autre côté de la montagne, en Géorgie. Son père le retrouva, mais épuisés par leur périple, ils passèrent la nuit sur place. Le lendemain matin, ils virent que de leurs bâtons plantés en terre, jaillissait une source d’eau près de laquelle des hirondelles avaient fait leur nid. Ils décidèrent alors de s’installer en ce lieu béni.”
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ujourd’hui, les quelques huit mille Kistes considèrent toujours la Géorgie comme leur patrie. Ils vivent dans six villages le long de la rivière Alazani, dans la vallée du Pankissi, à 60 km de la Tchétchénie.
réfugiés tchétchènes, principalement des victimes craignant pour leur vie.
Un passé tumultueux. Musulmans soufis, les Kistes parlent un dialecte tchétchène et le géorgien. Epargnés de la déportation massive des Tchétchènes en 1944 et de l’assimilation géorgienne, ils ont su préserver leur langue, et leurs traditions.
A la fin des années 90, l’instabilité de la région profite à des clans qui prennent en étau la population Kiste. Pankissi échappe alors au contrôle de l’Etat géorgien.
Une minorité la région une Tchétchène et vente d’armes
de combattants font de base arrière du conflit une plaque tournante de et de drogue.
Suite aux deux guerres de Tchétchénie (1994-1996 et 1999), la vallée du Pankissi voit affluer des milliers de
Chaque vendredi, les fidèles soufis se réunissent à la mosquée historique de Duissi pour la grande prière. C’est aussi l’occasion d’aborder les préoccupations quotidiennes lors d’un débat entre fidèles.
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Si la Géorgie est un pays rural, cette vallée en est le plus parfait exemple. Ici pas d’usine, pas de grande entreprise. Les plus chanceux ont un travail, voire un commerce. Les autres, les plus nombreux, subsistent avec l’élevage et produisent leur nourriture : viande, fromage, pain, lait...
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Préparation de Khinkalis, ces raviolis géorgiens farcis à la viande. Si les Kistes ont su préserver leurs traditions, ils se sont ouverts aux coutumes géorgiennes.
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utter contre l’abandon. Perchée au Nord-est de la Géorgie, enclavée et sousdéveloppée, cette région pauvre vit en quasiautarcie. Le quotidien des Kistes est particulièrement rude à Pankissi, le chômage y dépasse les 50% et si la criminalité galopante des années 90 semble désormais lointaine, bien des problèmes demeurent sans solution. De fait, les quelques commerces locaux bénéficient du soutien financier et des conseils d’ONG internationales, dont l’UNHCR. Et pour subvenir à leurs besoins, beaucoup de foyers kistes ont un parent émigré, la plupart saisonniers en Turquie. Quel avenir pour les Kistes de Pankissi ? Au final, les questions économiques ont été négligées au profit de la géopolitique, obérant les chances de désenclaver cette région périphérique méprisée et caricaturée.
Sophie Tournon
Rédactrice à Regard sur l’Est
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A cause de revenus insuffisants, cette jeune mère de famille est contrainte d’habiter dans la maison de ses parents avec ses propres enfants.
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Alexander est Kiste, il vit avec sa famille dans le village de Duissi. Converti au wahhabisme il y a 10 ans, il pratique un islam strict et fréquente la nouvelle mosquée où les musulmans soufis ne vont pas.
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Les filles participent aux tâches domestiques. La différenciation des sexes est importante. Les garçons seront mis à contribution bien plus tard pour les travaux de force et les réparations.
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Grande prière du vendredi dans la mosquée soufie de Duissi. Si les autres jours, les prières se pratiquent souvent à la maison, le vendredi les fidèles soufis se réunissent dans la mosquée historique du village.
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Au delĂ du symbole fraternel, les embrassades chaleureuses traduisent les liens forts qui unissent les villageois de la vallĂŠe.
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Issa est un grand croyant soufi. Il vient tous les jours dans ce petit enclos, qu’il a construit de ses mains, pour prier et contempler la vallée.
Deux femmes lavent des viscères dans la rivière Alazani qui prend sa source dans les montagnes du Caucase. 18
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Dans l’arrière salle d’une épicerie, le drapeau tchétchène est apposé au mur. Le vert symbolise l’islam. Le rouge, le sang versé pour la liberté et le blanc, l’espoir d’un avenir meilleur.
Jeunes filles habitant dans la maison attenante à la petite mosquée d’Omalo.
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Après plusieures semaines de jeûne, le Ramadan touche à sa fin. En cette période, les musulmans commémorent la révélation de la parole de Dieu au prophète.
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Avec un taux de chômage supérieur à 50%, quel avenir pour les enfants de la vallée ? Certains partiront en Turquie, en Ukraine et parfois en Russie, accentuant la désertification et l’enclavement de la région.
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Patrick Caloz / ZÜRICH
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our réaliser ses images, Patrick Caloz utilise « une boîte sans objectif et muni d’un simple trou pour la prise de vue » et du papier baryté pour les tirages qu’il réalise de façon artisanale au labo argentique. L’utilisation de ces deux techniques est intimement liée à sa démarche artistique qui essaie de saisir et de profiter du temps appelé KAIROS par les grecs, différent du CHRONOS qui est le temps linéaire. Le KAIROS peut être considéré comme une autre dimension créant de la profondeur dans l’instant, une porte sur une autre perception de l’univers, de l’évènement, de soi. Ses images tendent à la préhension de cette dimension contemplative, de la prise de vue au tirage. Chaque prise de vue est le résultat d’un lien intime et profond d’un moment passé avec la lumière dans le temps. Chaque moment est unique et non reproductible.
NM: Parle-nous de ta “BOITE”, depuis combien de temps tu l’utilises? J’utilise une boîte Zeroimage 6X9, je m’en suis procuré une non seulement pour faire du sténopé, mais aussi pour avoir entre les mains un bel objet agréable au toucher et léger. Son avantage est qu’elle peut accueillir un film 120 et permet donc de faire plusieurs images sans avoir à charger entre chaque prise de vue un nouveau support. Comme tout appareil sténopé, elle ne possède pas d’objectif ni de viseur, mais un minuscule trou permettant d’y laisser rentrer la lumière.
NM: Photographie-t-on de façon avec un tel outil ?
la
même
Dans la pratique, je peux dire que la façon de photographier reste identique à n’importe quel appareil... Il faut chercher un sujet, décider d’un point de vue, évaluer la lumière, le temps de pose et exposer le film. C’est un outil qui permet de photographier avec une simplicité poussée à l’extrême. Il suffit de positionner la boîte, d’ouvrir et fermer un trou ! Je dirais que la différence se situe dans une notion de mesure...les temps sont plus lents (la plupart de mes images se situent
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entre 10 minutes et 1 h 1/2) l’angle de prise de vue grand, tout ce qui est en mouvement, disparaît. La profondeur de champ est infinie (f/235) et seul le regard permet de juger du point de vue (sans la nécessité de placer le regard dans un viseur). Le processus photographique reste donc identique, mais l’attitude est modifiée par les «contraintes»...
LE VELOUTÉ DES IMAGES... UNE MATIÈRE INCOMPARABLE À TOUT CE QUE J’AVAIS CONNU JUSQUE-LÀ. on prend son temps, on pense l’image et on réalise la prise de vue seulement une fois que tout ce que l’on souhaite rentre dans la boîte... C’est quelque part une façon économique de faire de la photo, la production d’image est limitée et les déchets sont moindres.
Hardbr端cke
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Z端richsee
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NM: Comment en est-tu arrivé à faire des Sténopés ? Depuis plus de 15 ans de pratique photographique, j’ai toujours apprécié de pouvoir utiliser différents appareils photographiques, je choisis tel ou tel boîtier selon le sujet que je souhaite traiter. J’ai utilisé un rolleiflex depuis de nombreuses années et plus je faisais des images avec, plus j’avais envie de faire du carré en grand angle et avec des temps de pose plus longs j’ai d’abord recherché un rolleiflex wide, mais sa rareté et son prix m’ont rapidement désenchanté. En parcourant le net, j’ai découvert le sténopé il m’offrait exactement ce que je cherchais et m’a fait découvrir quelque chose que j’ignorais auparavant : le velouté des images une matière incomparable à tout ce que j’avais connu jusque-là. NM: Quelle est ta démarche photographique ? Que recherches-tu ? Il est difficile pour moi de parler de démarche photographique... La photographie au sténopé est pour moi intimement liée à la notion de voyage et de rencontres. C’est une parenthèse que je fais dans ma vie lorsque je quitte mes routines et que je déambule dans une ville ou m’enferme dans mon labo. J’aime tourner autour d’un sujet, voir l’image que je désire se former dans mon imagination, envisager une façon de la travailler sous l’agrandisseur. Photographier une ville de cette manière, me permet d’en saisir l’atmosphère et l’ambiance, prendre du temps pour profiter de ce que l’endroit choisi m’offre. Je pars à la découverte d’une ville par année, toujours autour du mois de novembre. Je cherche des lumières diffuses, surtout par mauvais temps, afin de pouvoir exploiter librement les masquages et créer des jeux d’ombres et de lumières sans contrainte.
NM: Tu réalises toi-même tes tirages, comment ça se passe au labo? Le travail sous l’agrandisseur est pour moi indispensable. La «réalité» saisie dans ma boîte n’est qu’une matière première qui me permet in fine de pouvoir exprimer ma créativité. C’est là que je modèle l’image, que je joue avec la lumière et les filtres. J’ai commencé la photo en tirant des images avant de faire moi-même mes propres prises de vue. C’est l’équilibre entre le monde extérieur (prise de vue ) et l’expression d’un ressenti (labo) qui fait la richesse de la photographie. Le travail au labo est une occupation de longue haleine qui me prend souvent tout l’hiver pour aboutir à une série cohérente.
NM: Que penses-tu des applications smartphone du style “Instgram” qui simule parfois des effets de type photo argentique ? C’est un moyen comme un autre de saisir le monde qui nous entoure, en voyant le succès de ces applications, je me dis que le passage au numérique n’a pas encore permis la création de quelque chose de nouveau, un peu comme les livres numériques qui simulent les pages qui tournent. C’est ludique, on peut rapidement partager et pour quelqu’un qui utilise ces images pour communiquer, cela devient intéressant. Je crois qu’il est entrain de se développer un véritable discours par l’image et cela de manière massive et populaire. Peu importe la durée de vie de ses images, on ne fige pas non plus tout nos discours sur papier. C’est un peu comme les gens qui passe devant ma boîte, mon regard les voit mais ils passent tellement vite qu’ils ne laissent que quelques traces évanescentes sur le négatif qui est un peu ma mémoire.
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Universit채t
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Bahnhof Hardbr端cke
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Maag Music Hall
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M端nsterbr端cke
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Hรถschgasse
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« Vendredi 18 Mai Ma georgette, (…) La main n’a que le seul contact du suaire suintant de la terre ; le front, la butée au mouvement trop brusque ; l’idée, au livide du lieu ; la menace comme un clou a vif dans les chairs. Le corps n’a qu’une sensation de froid, de cassures, de dislocation des membres, de l’attouchement de la matière. Maurice Drans »
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« 26 avril Des copains sans nombre ont été éclabousés, mis en miettes, un vrai désastre, gradés, hommes, ça tombait comme les semences. Arthur Mihalovici »
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« Christian Bordeching 21 Mai À gauche se dessine « l’Homme mort » et à droite la « colline 304 » La position de batteries allemandes se situe avant l’étang de Forges, où commence, derrière, l’enfer de 304. Je ne dis pas enfer à tort car c’est ici que commence le royaume des tirs de barrage. Des odeurs de cadavres qui n’ont pas encore pu être enterrés s’élèvent des anciennes tranchées françaises ravagées. (…) Les dernières étendues d’herbe sont déjà bien loin derrière nous, on ne voit qu’un désert entièrement et violemment labouré par les grenades. Les cratères les uns contre les autres témoignent de l’horreur des tirs d’artillerie allemands qui nous ont précédés et des actuels tirs de barrage français. Il relèvera bientôt du miracle de traverser ce domaine accidenté, mais nous y sommes obligés car c ‘est le seul chemin vers nos positions arrière, le nerf de la victoire sur le front. »
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25 mètres 25 mètres, à peine une trentaine de pas. 25 mètres, la grandeur d’un terrain de tennis. 25 mètres, la distance séparant le front Allemand du front Canadien lors de la bataille de Vimy pendant la première guerre mondiale. 25 mètres d’enfer à traverser pour attaquer l’ennemi. Il a fallu une journée et une nuit aux 30000 soldats Canadiens pour traverser ce No man’s land et repousser les Allemands. 11000 y ont été blessé, 3600 y sont morts. Plus d’un million d’obus ont martelé le terrain la semaine précédant l’attaque. Un million d’obus ont créé ce paysage lunaire. Zone de guerre, autrefois macabre. Aujourd’hui lieu de recueillement, seul le silence règne. Un cimetière sans tombe, une terre vierge depuis bientôt 100 ans. Plus de barbelés mais cet espace ne m’est pas autorisé, les dernières personnes à avoir foulé cette terre sont les soldats y ayant combattu. Antoine Delcroix
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Textes issus de Paroles de Poilus, lettres et carnets du front 1914-1918
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Denis DAILLEUX // VU’
LES MARTYRS DU 28 JANVIER Mémoire d’une révolution
Tarek, 24 ans, au chômage.
Mustapha, 18 ans, étudiant. 50
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Egypte, le Caire, 2011-2012
L
e 5 avril 2008, au Caire, un de mes amis français m’a téléphoné en me disant : “ ne sors pas demain, il y a un appel à la grève via les réseaux sociaux “. Le 6 avril, je suis sorti quand même pour me rendre sur la place Tahrir. Il n’y avait aucun manifestant mais des policiers par centaines qui arrêtaient arbitrairement des égyptiens sortant de la bouche du métro, semant ainsi la panique. Ce jour-là, les policiers ont entrevu la possibilité d’une révolte qui n’a pas eu lieu. Ce jour-là aussi, je me suis dit qu’il faudra que les égyptiens aient le courage de mourir pour la Révolution. Le 28 janvier 2011, vers 16 heures, je me suis dirigé à pied vers la place Tahrir avec un ami. En chemin, nous avons constaté les traces des combats : des grilles arrachées, le sol jonché de détritus et l’odeur du gaz lacrymogène. Quand nous sommes arrivés sur le pont Kasr el Nil, des jeunes gens couraient dans tous les sens, certains portaient des blessés. J’ai vu ces jeunes garçons dans la fleur de l’âge se motiver en criant pour trouver le courage d’aller combattre des policiers armés jusqu’aux dents, eux n’avaient dans leurs mains que des pierres, certains n’avaient pour toute arme que leur rage. Nous ne le savions pas encore, mais au même moment, l’insurrection avait lieu dans tout le Caire. Partout, des jeunes gens descendaient pour exprimer leur colère contre la police en ralliant les manifestations. Ce n’étaient pas des activistes, mais de simples citoyens. Un grand nombre d’entre eux ont été abattus par les policiers qui tiraient depuis les toits. Deux jours après, les photos des martyrs circulaient sur la place, brandies par leurs amis. C’est à cet instant précis que j’ai décidé que je rendrai un jour hommage à ces jeunes héros égyptiens en photographiant leurs parents et leur lieu de vie pour que les disparus ne deviennent pas des oubliés.
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Sa誰d, 32 ans, serveur.
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Kaled, 14 ans, ĂŠtudiant.
Kaled, 18 ans, ĂŠtudiant.
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Ossama, 44 ans, homme d’affaire.
Saïd, 27 ans, chauffeur. 54
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Mahmoud, 30 ans, ĂŠlectricien.
Ibrahim, 28 ans, travaillait le mĂŠtal.
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Mustapha, 26 ans, venait juste de terminer ses études de commerce à l’université.
Mariam, 16 ans, étudiante.
Ahmed, 38 ans, peintre en bâtiment.
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Omar, 20 ans, était à l’armée.
Girgis, 30 ans, chauffeur.
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Mahmoud, 19 ans, etudiant.
Hadir, 14 ans, collĂŠgienne.
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Mohamed, 19 ans, etudiant.
Islam, 18 ans, ĂŠtudiant. 60
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Wala, 33 ans, garçon de café.
Yeryer, 18 ans, étudiant.
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Guillaume Poli http://www.guillaumepoli.com Patrick Caloz http://www.stenopes.com Antoine Delcroix http://www.snokphotography.com Denis Dailleux http://www.denisdailleux.com
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