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Fondation Beyeler

MONDRIAN… AVANT

MONDRIAN De Piet Mondrian (1872-1944), on connaît (presque par cœur, croit-on…) le puriste de l’abstraction avec ses quadrillages parfaits et ses éclatantes couleurs primaires séparées de filets noirs. Mais comment un artiste né à l’orée du dernier quart du xixe siècle en est-il arrivé à ce génial dépouillement et cette abstraction créatrice quasi parfaite? C’est ce que Mondrian Evolution, l’expo d’été de la Fondation Beyeler, nous propose de découvrir avec, comme à l’habitude, une floraison d’œuvres (89 exactement) provenant de collections privées et publiques en Europe Tableau n°I, 1921–1924 et aux États-Unis…

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«IL CONCEVAIT L’ABSTRACTION COMME UN PROCESSUS DE RAPPROCHEMENT D’UNE VÉRITÉ ET D’UNE BEAUTÉ ABSOLUES (...).»

Bosch, 1908

M

ondrian Evolution retrace le parcours unique de l’artiste, de son statut de peintre paysagiste du xixe siècle à celui d’un des protagonistes majeurs de l’art moderne. Une légende de plus dans cette galaxie de peintres qui, à l’orée du xxe siècle et pendant les deux décennies suivantes initièrent un des plus prolifiques et incroyables épisodes de l’histoire de l’art, la naissance de l’art moderne. Dans le cas de Mondrian, ce sont même des pans entiers de la création artistique qu’il aura influencés, du design à l’architecture, en passant par la mode et la culture pop – à sa mort en 1944, ce concept n’avait même jamais encore été formulé…

UN LONG PROCESSUS DE RÉFLEXION ARTISTIQUE

La collection permanente de la Fondation Beyeler comprend surtout des œuvres des périodes plus tardives de Mondrian, mais l’exposition Mondrian Evolution se concentre principalement sur les œuvres des débuts de l’artiste, dont le développement est influencé non seulement par la peinture de paysage hollandaise de la fin du xixe siècle, mais aussi par le symbolisme et le cubisme. Ce n’est qu’au début des années 1920 que Mondrian passe à un langage pictural pleinement non figuratif, restreint à des agencements orthogonaux de lignes noires et d’aires de blanc et des trois couleurs primaires bleu, rouge et jaune. Les tableaux abstraits de Mondrian sont l’aboutissement d’un long processus de réflexion artistique en tension entre les pôles de l’intuition et de la précision, ainsi que d’une remise en question personnelle intense et incessante. Il concevait l’abstraction comme un processus de rapprochement d’une vérité et d’une beauté absolues, vers lesquelles il tendait en tant qu’artiste.

L’ÉCLAT ET LE RAYONNEMENT DE LA COULEUR

L’exposition est conçue de manière chronologique, mais elle tire son expressivité de la confrontation d’œuvres précoces et tardives, qui met en lumière les forces de transformation à l’œuvre dans le travail de Mondrian.

Au fil de neuf salles d’exposition, on retrouve des motifs récurrents tels les moulins à vent, les dunes, la mer, les bâtiments de ferme se reflétant dans l’eau et les plantes, représentés à des degrés divers d’abstraction. Dans ses paysages, Piet Mondrian explore l’éclat et le rayonnement de la couleur – ce qui donne à ces tableaux leur apparence extraordinairement lumineuse et vive – ainsi que l’influence de la lumière et l’expérience de l’espace, de la surface, de la structure et des reflets.

Dans le cadre de l’exposition, la Fondation Beyeler présente le film  Piet & Mondrian, un court-métrage de Lars Kraume, l’un des cinéastes les plus renommés de langue allemande. Le film prend pour point de départ l’essai Réalité naturelle et réalité abstraite, formulé par Mondrian en 1919/1920 sur le mode du dialogue pour y exposer ses considérations et ses réflexions sur l’abstraction dans l’art. a

FONDATION BEYELER

Jusqu’au 9 octobre 2022 Baselstrasse 101 – Riehen/Bâle Riehen est une petite commune limitrophe de Bâle facilement accessible en tram (20 mn) depuis la gare ferroviaire SBB de Bâle. Lignes 1 + 8

Horaires d’ouverture Du lundi au dimanche de 10h à 18h – le mercredi jusqu’à 20h Ouvert tous les jours de l’année, y compris jours fériés

ART BASEL 2022 L’ŒIL ET L’ESPRIT

Du 16 au 19 juin prochain se tiendra Art Basel, célèbre salon du marché de l’art international, avec plus de 250 exposants présentant des œuvres du XXe et du XXIe siècle. Un musée éphémère qui attire un grand nombre de collectionneurs. Discussion avec l’un d’eux (qui a souhaité conserver l’anonymat) sur une activité qui, au-delà du marché, est une affaire d’œil et de sensibilité.

Jean-Michel Basquiat (1960-1988), A Panel of Experts, 1982. MMFA, gift of Ira Young.

Qu’est-ce qu’être collectionneur d’art?

C’est investir dans le domaine de l’art est généralement la dernière étape, quand on a de l’argent. Je connais une galerie en Suisse dont le patron, un jour, a reçu un jeune homme qui lui a dit : « j’ai 200 millions d’euros, je n’y connais rien, je compte sur vous pour me monter une collection. » Le patron de la galerie lui a répondu : « Pas de problème, revenez dans 2 ans ! Pendant ce temps, allez dans des musées, lisez, faites le tour du monde… Ensuite on se mettra autour d’une table et vous me ferez part de votre expérience. »

Collectionner c’est avant tout trouver un objet qui vous plaît ! Après c’est vous qui mettez une valeur sur ce produit par rapport à l’image que vous vous en faites, et peut-être qu’un jour ça vaudra dis fois, vingt fois, cinquante fois, cent fois la valeur que vous l’avez acheté ou alors ça ne vaudra jamais plus rien. À ce moment-là vous n’avez plus que vos yeux pour pleurer sur le plan financier, mais vos yeux peuvent continuer à vous dire que ça vous plaît toujours. L’art fait partie de notre vie, l’art ça peut être une architecture, ça peut être un jardin, ça peut être une photo, un tableau, une belle voiture… tout ce qui est beau est art ! Je connais des gens qui se sont endettés auprès de leurs familles et de leur banque pour pouvoir acheter des pièces. Je pense que si votre œil vous dit : « stop, ça me plaît », et que les signaux sont positifs, il ne faut pas hésiter à acheter ! Le meilleur conseiller au monde c’est vous-même. Et le meilleur collectionneur c’est vous-même aussi.

Que pensez-vous des célèbres collectionneurs français?

La différence entre Bernard Arnault et François Pinault, c’est que le premier fait appel à des conseillers artistiques pour constituer sa collection, alors que le second, à force de s’impliquer personnellement dans le domaine de l’art, a acquis une capacité à gérer lui-même ses achats. Un homme comme lui achète deux à trois tableaux par jour !

En quoi Art Basel est-il un événement remarquable pour les collectionneurs?

Art Basel, c’est LE rendez-vous incontournable de l’art contemporain dans le monde, un endroit où vous pouvez voir des tableaux que jamais de votre vie vous ne verrez, que ce soit des tableaux muséaux,

ou des pièces de galeries. Ça peut être des Picasso, des Warhol, des Basquiat… Vous avez aujourd’hui entre 4000 et 5000 énormes collectionneurs dans le monde, qui sont capables de mettre plus d’un million sur une pièce.

Mais Art Basel c’est aussi la mise en avant d’artistes émergents, avec des pièces à 500 ou 1000 €.

Y a-t-il des médiums, des artistes que vous affectionnez particulièrement? Comment faites-vous vos choix?

Aujourd’hui, quand on est collectionneur, on ne peut pas s’intéresser à la fois à la porcelaine, à la peinture et aussi à la sculpture… Personnellement, ma lubie c’est l’art contemporain. Il ne faut jamais oublier que l’art contemporain s’inspire de nos maîtres, que ce soit du XVIe, du XVIIe, du XVIIIe, ou du XIXe ! Concernant les artistes, à mon humble avis, on s’intéresse nécessairement aux artistes établis. Enfin, pour ce qui est du choix, il n’y a pas photo entre une belle peinture et une mauvaise peinture ! Il ne faut pas avoir fait l’École des Beaux Arts ou du Louvre pour savoir qu’une œuvre est plus belle qu’une autre.

Qu’est-ce qu’une collection réussie?

Le beau est affreux, l’affreux est beau ! Objets, peintures, sculptures, une collection réussie c’est tout ce qui m’interpelle ! Le véritable problème c’est de choisir le meilleur de l’œuvre, le meilleur de l’artiste… Basquiat par exemple a fait énormément de tableaux pas très bons... Il y a des périodes dans sa vie où un artiste est plus créatif et produit bien. Il faut aussi savoir que beaucoup d’œuvres ne sont pas directement créées par l’artiste luimême. Des gens comme Jeff Koons ont des entreprises de cent personnes qui travaillent pour eux. Tous les artistes sculpteurs, Giacometti, Arman, Moore, Rodin… ont fait appel à des fondeurs. L’artiste ne crée ici en réalité que l’œuvre en plâtre qui servira de modèle au moule. L’art, c’est le dessein de départ, après la fabrication n’est pas forcément maîtrisée par l’artiste, mais par un fabricant.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite commencer à collectionner?

D’acheter au départ des œuvres qui lui plaisent, et s’il s’intéresse de plus en plus à l’art, cinq ans après, ce qu’il aura acheté, il ne le regardera même plus ! J’ai démarré en achetant ce qu’on appelle de la peinture facile, c’est par exemple l’art figuratif. C’est agréable à voir, c’est

Jean-Michel Basquiat (1960-1988), Anybody Speaking Words, 1982 même un peu décoratif. Aujourd’hui, c’est quelque chose que vous ne mettez plus dans votre maison parce que vous passez à autre chose.

Cela veut-il dire qu’il faut être capable de se séparer de sa collection au fur et à mesure?

Absolument, elle évolue, c’est ce qu’on appelle une collection vivante. Pour les gens qui aiment s’intéresser aux nouveaux projets, aux nouveaux artistes, plus vous avancez, plus ce que vous avez acheté ne vous plaît plus, parce que vous progressez, parce que vous êtes plus exigeant, parce que vous savez plus ou moins distinguer une belle œuvre d’une œuvre un peu pauvre. Il y a des pièces dont on se lasse… Heureusement, ce n’est pas forcément vrai pour les personnes ! a

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