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Jean-Louis Steffen
LA CUISINE EN HÉRITAGE
Engagé en faveur de l’apprentissage et de la formation, Jean-Louis Steffen, ancien enseignant du Centre Européen de Formation et de Promotion Professionnelle par Alternance pour l’Industrie Hôtelière (CEFPPA) et président de la Fraternelle des Cuisiniers d’Alsace, s’est éteint en octobre dernier. Retour sur une carrière dédiée à la gastronomie et à sa transmission, avec son successeur et ami, Jean-Christophe Karleskind.
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Jean-Louis Steffen (à gauche) et Jean-Christophe Karleskind.
Vous avez rendu hommage à Jean-Louis Steffen en parlant de lui comme d’un ami, un parrain. Pourriez-vous nous parler de cette relation ?
Jean-Christophe Karleskind : J’ai connu Jean-Louis Steffen dans les années 1990, lorsqu’il était Chef des travaux du CEFPPA d’Illkirch-Graffenstaden. À l’époque, c’est Armand Weidmann qui était président de la Fraternelle des Cuisiniers. Monsieur Steffen et lui étaient très proches. Quand Monsieur Weidmann est décédé, en novembre 1998, c’est Jean-Louis Steffen qui a pris la présidence de cette association au pied levé. Monsieur Steffen était déjà un nom dans la profession, il est à l’origine du développement de nombreuses formations et a accompagné des milliers de jeunes cuisiniers. Jean-Louis Steffen et son épouse Danielle ont toujours été très disponibles pour la Fraternelle. Avec Jean-Louis nous avons tissé des liens forts pendant ses vingt ans de présidence. Par exemple, lorsque j’ai eu la chance d’être intronisé chez les Maîtres Cuisiniers de France en 2013, Jean Louis Steffen a été l’un de mes parrains, avec Anne Ernwein. Lors de ce congrès d’intronisation, nous avons partagé des moments d’amitié très forts qui ont forgé des liens fraternels à vie. En 2018, il a passé le relais de la présidence de la Fraternelle des Cuisiniers et j’ai alors été élu à ce poste. Nous avons officialisé cela lors de la remise du dernier trophée Henri Huck, en 2018, sur le stand d’égast. Ce fameux trophée culinaire Henri Huck s’organisait par le passé au Lycée Hôtelier, à huis clos, c’était un concours interne. Depuis 2016, nous avons la chance, grâce au soutien de Josiane Hoffmann et de GL Events, de pouvoir décerner ce trophée sur le podium des concours égast.
Dans votre hommage, vous avez dit de Jean-Louis Steffen qu’il incarnait les valeurs de partage, de transmission et de fraternité propres à la Fraternelle. Vous-même président de cette association depuis 2018, comment portez-vous ces valeurs au quotidien ?
La Fraternelle des Cuisiniers est ouverte à tous. Il ne faut pas nécessairement être restaurateur pour en faire partie. C’est la seule association où l’on peut retrouver un pâtissier, un cuisinier de collectivité, un cuisinier patron, un cuisinier employé… Lorsque l’on est ensemble, nous sommes tous sur un même pied d’égalité.
Danielle et Jean-Louis Steffen
C’est une belle association avec des personnes soudées. Il ne s’agit pas simplement de se réunir autour d’une table, ça va plus loin. Si l’un de nous a besoin d’aide, nous sommes là pour lui : c’est un réseau. Ensuite, la transmission, c’est à nous de l’assurer en tant que personne, avec nos équipes, nos employés, nos extras, dans notre façon de faire au quotidien. On essaye de donner une image moderne du métier de cuisinier.
Vous êtes Maître Cuisinier de France, tout comme l’était Jean-Louis Steffen. À ce titre, l’une de vos missions est d’inscrire l’art culinaire de demain dans une démarche durable et respectueuse de l’environnement, un thème cher à l’édition 2022 d’égast. Comment penser l’avenir des métiers de bouche et concilier gastronomie, écologie et ressources humaines ?
C’est avant tout miser sur les circuits-courts, les produits de saison, travailler avec ce que l’on a à disposition et ne pas faire de l’asperge au mois de janvier ! Ensuite, il faut intégrer tout ce que l’on peut pour faciliter les démarches écologiques. Pour ma part, les déchets, je les donne à un paysan qui a des poules. La bouteille plastique est exclue, tout est consigné. Ce sont des petites choses, mais qui ont un grand impact. D’un point de vue humain, nous mettons en place des horaires aménagés pour nos employés. La cuisine moderne, c’est ça aussi. Travailler en linéaire, sans coupures. Cela participe aussi à la bonne entente. Il faut toujours évoluer dans une démarche responsable, transparente, en toute honnêteté, vis-à-vis de ses équipes, de ses clients et de ses fournisseurs. Enfin, il faut travailler de façon équilibrée. Au sein de mon atelier de production culinaire, nous n’allons pas faire dix mariages le même week-end, l’idée est plutôt d’en faire le bon nombre en les gérant au mieux. Au lieu de privilégier le volume, nous privilégions toujours la qualité.
Cuisinier traiteur, votre activité de chef à domicile fêtera ses 20 ans en 2024. Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté votre entreprise ? Comment avezvous réagi, quelles leçons en tirez-vous ?
Ces deux dernières années ont été difficiles. Quand on a dû fermer les salles et reporter les mariages, je l’ai mal pris. On ne m’avait jamais interdit de travailler. Quand vous êtes traiteur, faire du Click & Collect du jour au lendemain, sans en avoir jamais fait, ce n’est pas simple. Ce n’est pas comme un restaurant qui dit à tous ses clients : « au lieu de manger sur place, venez chercher votre plat. » Cette clientèle, nous, on ne l’avait pas. On a donc été obligé de se réinventer. J’ai refait des repas à domicile, et surtout les aides nous ont sauvés. La prime de solidarité, heureusement qu’elle était là, sans elle, je pense qu’on serait fermé. J’avoue qu’aujourd’hui on vit avec cette crainte : on a peur que ça retombe. Actuellement, nous avons 50 mariages prévus. Si on les fait, ce sera une année exceptionnelle. Si on ne les fait pas, on devra les décaler pour la 3e ou 4e fois peut-être… Il faut savoir qu’au-delà de l’aspect économique, l’impact est aussi humain, j’ai au téléphone des maries en pleurs… J’espère que l’on va pouvoir enfin retravailler normalement, sereinement. a