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POESIE
POÉSIE Ne mettez pas les poètes en pots !
C’est la période du Printemps des poètes, grande manifestation nationale. Aux cérémonieux qui font pousser les poètes en pots, nous préférons le printanier qui fait rempoter les fleurs.
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Les saisons ont toujours inspiré les poètes, puisqu’elles font partie de la Nature, cette muse par excellence. Bien que souvent d’humeur mélancolique, le poète ne demeure pas insensible au charme infini de la première saison du calendrier. Le vent doux, l’air tiède et l’apparition des premières fleurs ne doivent jamais cesser de nous émouvoir.
« Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri » écrit Victor Hugo.
« Le ciel est joli comme un ange. L’azur et l’onde communient. Je sors. Si un rayon me blesse Je succomberai sur la mousse »
C’est Arthur Rimbaud, oui bien sûr, le poète aux semelles de vent qui court la campagne de Roche, son village natal, à la recherche de « ce petit val qui mousse de rayons », toujours ivre de parfums et de sensations.
En voulant faire une toute petite anthologie, on peut trouver la « Nuit de mai » de Musset et son redoutable « Poète Prends ton luth et me donne un baiser » (hum, redoutable, je vous l’avais dit), Châteaubriand qui écrivit, le sait-on, des vers : « je ne sais quoi de profond et de doux/ vient s’emparer de mon âme attendrie » (c’est déjà un peu mieux) , ou « le mai le joli mai en barque sur le Rhin » de Guillaume Apollinaire (ah voilà qui nous est déjà plus proche !), et qui a pu oublier l’explosion de fleurs à la sortie de l’Oural, en route vers Varykino dans le Dr Jivago de Boris Pasternak…
Le printemps rend les battements du cœur plus rapides, fait lever les yeux vers les hirondelles revenues, et se pencher vers les merveilleuses primevères. Les feuilles, encore petites et d’un vert tendre, tremblent dans l’air. La ville semble renaître, tous s’affairent, nettoient, rangent, repeignent, on est presque à l’Osterputz à partir duquel s’annonce en effet les floraisons et les rires des enfants dans les jardins, les ballons oubliés et les gilets enfilés avant la fin de l’après-midi. L’eau de l’Ill se pare de longs cheveux verts qui ondulent, les ponts sont couverts de géraniums, on ira voir une exposition sur Goethe qui vécut à Strasbourg et y fit la cour à Frédérique Brion, la toute jeune fille de Sessenheim qui ne se maria jamais après avoir aimé le grand homme (un peu âgé mais toujours vert !), on prendra un café en fermant les yeux sous le grand tilleul protecteur.
Le printemps se regarde et se respire, il court en frissons sur les premiers bras dénudés, fait voler des cheveux des demoiselles en vélo, sortir les premières jardinières (parfois trop tôt) et s’épanouir les jeunes amours enfantines (et les autres aussi…).
Quel est alors le rôle du poème ? Comme d’habitude il ne sert à rien. C’est cela justement qui fait sa valeur. Pensez, il vous donne quelque chose qui n’a pas d’utilité marchande, sociale ou mondialiste, ni à manger léger, ni à arrêter de fumer, ni à commander sur une plate-forme un petit déjeuner arrivé avant d’avoir été préparé ou à peu près, ni à compter vos pas quand vous courez à l’Orangerie. L’image du poète le nez en l’air n’a plus cours, bien sûr, le poète aussi monte sur le tonneau comme le philosophe
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le soleil les balayer la minute suivante, ça peut aussi tout simplement ne pas oublier de vivre.
pour la bonne cause (choisissons-les bien, pensons aux autres plus qu’à nous-mêmes…), il travaille le plus souvent et ne s’enivre plus avec Verlaine, quoique le vin reste un bastion poétique en activité.
Mais écoutez ceci :
« Le vent qui secoue Les vergers flottants, Fait sur notre joue Neiger le printemps »
Ces quatre vers de Lamartine dansent, les trottoirs vont se couvrir des pétales fleurs de magnolias puis de prunius, bien après les cerisiers du Japon et les amandiers du sud. Savoir encore s’arrêter, regarder cela, en ramasser un (définitivement, le pétale est au masculin), et le faire respirer à un petit enfant, regarder avec lui les giboulées folles battre la vitre et Un homme lit sur un banc, il aime réfléchir, il aime le campus et traverser la ville à pied, il lit les anciens. Je me demande souvent où sont nos anciens, dans la ville trop dangereuse pour eux. Je m’arrêterais bien parler un peu avec la petite dame qui traverse trop lentement avec sa canne et se fait houspiller par un automobiliste furibond que je fusille à mon tour du regard. « Ralentir travaux » s’exclamaient André Breton, René Char et Paul Eluard, ralentir petite dame, petit monsieur, ralentir poussette, ralentir canards, grenouilles et scarabées, ralentir fleurs, ralentir pourvoir passer le faiseur de vers, celui qu’on ne met pas en pot sinon il meurt. Le printemps tout entier bien sûr est mouvement, « assez dormi ! » se secouent l’ours la marmotte et le renard, allons gambader !
Et si eux font les fous dans le thym et le serpolet : « Primus temps », temps premier, nous voici courant ouvrir la porte sur le soleil : « Printemps, tu peux venir ! » (Théophile Gautier).