POÉSIE
Ne mettez pas les poètes en pots !
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OR NORME N°36 Séduction
OR BORD
Texte : Isabelle Baladine Howald
Photo : DR
C’est la période du Printemps des poètes, grande manifestation nationale. Aux cérémonieux qui font pousser les poètes en pots, nous préférons le printanier qui fait rempoter les fleurs. Les saisons ont toujours inspiré les poètes, puisqu’elles font partie de la Nature, cette muse par excellence. Bien que souvent d’humeur mélancolique, le poète ne demeure pas insensible au charme infini de la première saison du calendrier. Le vent doux, l’air tiède et l’apparition des premières fleurs ne doivent jamais cesser de nous émouvoir. « Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri » écrit Victor Hugo. « Le ciel est joli comme un ange. L’azur et l’onde communient. Je sors. Si un rayon me blesse Je succomberai sur la mousse » C’est Arthur Rimbaud, oui bien sûr, le poète aux semelles de vent qui court la campagne de Roche, son village natal, à la recherche de « ce petit val qui mousse de rayons », toujours ivre de parfums et de sensations. En voulant faire une toute petite anthologie, on peut trouver la « Nuit de mai » de Musset et son redoutable « Poète Prends ton luth et me donne un baiser » (hum, redoutable, je vous l’avais dit), Châteaubriand qui écrivit, le sait-on, des vers : « je ne sais quoi de profond et de doux/ vient s’emparer de mon âme attendrie » (c’est déjà un peu mieux) , ou « le mai le joli mai en barque sur le Rhin » de
Guillaume Apollinaire (ah voilà qui nous est déjà plus proche !), et qui a pu oublier l’explosion de fleurs à la sortie de l’Oural, en route vers Varykino dans le Dr Jivago de Boris Pasternak… Le printemps rend les battements du cœur plus rapides, fait lever les yeux vers les hirondelles revenues, et se pencher vers les merveilleuses primevères. Les feuilles, encore petites et d’un vert tendre, tremblent dans l’air. La ville semble renaître, tous s’affairent, nettoient, rangent, repeignent, on est presque à l’Osterputz à partir duquel s’annonce en effet les floraisons et les rires des enfants dans les jardins, les ballons oubliés et les gilets enfilés avant la fin de l’après-midi. L’eau de l’Ill se pare de longs cheveux verts qui ondulent, les ponts sont couverts de géraniums, on ira voir une exposition sur Goethe qui vécut à Strasbourg et y fit la cour à Frédérique Brion, la toute jeune fille de Sessenheim qui ne se maria jamais après avoir aimé le grand homme (un peu âgé mais toujours vert !), on prendra un café en fermant les yeux sous le grand tilleul protecteur. Le printemps se regarde et se respire, il court en frissons sur les premiers bras dénudés, fait voler des cheveux des demoiselles en vélo, sortir les premières jardinières (parfois trop tôt) et s’épanouir les jeunes amours enfantines (et les autres aussi…). Quel est alors le rôle du poème ? Comme d’habitude il ne sert à rien. C’est cela justement qui fait sa valeur. Pensez, il vous donne quelque chose qui n’a pas d’utilité marchande, sociale ou mondialiste, ni à manger léger, ni à arrêter de fumer, ni à commander sur une plate-forme un petit déjeuner arrivé avant d’avoir été préparé ou à peu près, ni à compter vos pas quand vous courez à l’Orangerie. L’image du poète le nez en l’air n’a plus cours, bien sûr, le poète aussi monte sur le tonneau comme le philosophe