Vins d’Alsace 2024
LE HORS-SÉRIE
PARTENAIRE - CAISSE D’EPARGNE GRAND EST EUROPE
Laetitia Garnier, l’expertise
Caisse d’Epargne
au sein du vignoble
Laetitia Garnier est tout fraîchement nommée chargée d’affaires agriculture, viticulture à la Caisse d’Epargne Grand Est Europe. Rencontre.
Ses grands-parents sont originaires de Turckheim, sur la route des vins, où ils tenaient un commerce de proximité ; elle est également fille de restaurateurs de Colmar, baignée dans la gastronomie depuis toute petite. Une histoire personnelle qui donne à Laetitia l’envie d’orienter son accompagnent commercial vers un marché spécifique, celui des viticulteurs. « C’est une chance pour moi d’accompagner désormais nos clients viticulteurs afin qu’ils puissent continuer à promouvoir le patrimoine
gastronomique Alsacien auquel je suis tellement attachée.»
Arrivée en Caisse d’Epargne il y a 11 ans à l’agence de Marckolsheim, Laetitia Garnier y occupait le poste de directrice d’agence. « Avec cette expérience de plus de 10 ans, je dispose d’un solide bagage bancaire, que je m’attache désormais à mettre au service du vignoble alsacien.
Vitibanque, une offre ciblée viticulteurs
Déjà bien implantée dans le vignoble champenois grâce à une expertise reconnue de plus de 30 ans, la Caisse d’Epargne Grand Est Europe a pour ambition de développer son implantation auprès des viticulteurs alsaciens.
Chaque domaine est unique, chaque exploitation dispose de ses propres spécificités et la viticulture est une activité extrêmement exigeante qui requiert une compréhension et un accompagnement personnalisés.
Pour y répondre, la Caisse d’Epargne Grand Est Europe dispose d’une offre spécifique, déclinée sous la marque Vitibanque. Cette offre est une réponse concrète aux besoins de
tous les acteurs du monde viticole qu’ils soient vignerons, viticulteurs, négociants, caves coopératives, etc
« Nous sommes conscients que la conjoncture est compliquée pour l’ensemble des vignobles, mais nous savons être présents aussi dans les moments difficiles. Les préoccupations de nos clients sont aussi les nôtres. Ils doivent faire face aux contraintes environnementales, à l’augmentation du prix des matières premières, des coûts de production, etc. Notre large gamme de produits et services (financements spécifiques, outils de paiement, etc.) a été développée pour pouvoir répondre le plus efficacement à leurs contraintes mais aussi à leurs projets d’export, de transmission d’une exploitation, etc.
Nos agences ainsi que nos centres d’affaires se trouvent au cœur du vignoble. C’est une véritable force qui nous permet de décider au plus près des besoins de nos clients. » conclut Laetitia.
VINS D’ALSACE 2024
« Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie. »
L’Alsace, terre millénaire de vigne, est aujourd’hui le théâtre d’une audace renouvelée chez ses viticulteurs et vignerons.
Malgré les défis climatiques et économiques, ces artisans de la terre continuent de redéfinir les contours d’une viticulture d’excellence, en s’engageant avec passion.
C’est à celles et ceux qui ont cet état d’esprit que nous consacrons ce 2e opus d’une série que nous espérons bien longue !
Le courage de ces vignerons alsaciens ne réside pas seulement dans la préservation d’un savoir-faire ancestral, mais aussi dans leur capacité à innover.
Face aux effets du changement climatique, ils expérimentent de nouvelles techniques pour protéger la vigne et préserver la qualité de leurs cépages. La biodynamie, la culture en terrasse, et la plantation de variétés plus résistantes ne sont que quelquesunes des pratiques mises en œuvre pour s’adapter à ce monde en mutation. Ces démarches témoignent d’une vision à long terme et d’un respect profond pour la nature et les terroirs alsaciens.
Les vignerons alsaciens explorent également de nouveaux horizons gustatifs. Vous découvrirez que, loin de se contenter des standards établis, ils revisitent leurs classiques en créant des cuvées atypiques, surprenantes, qui séduisent une clientèle de plus en plus curieuse et avertie. Cet esprit d’innovation les pousse à élaborer des vins nature, à réduire les intrants chimiques et
à chercher toujours plus de pureté dans leurs expressions.
Fier de son terroir et contributeur de la réputation toujours grandissante de ses vins dans le monde, le CIVA a relevé le challenge de participer en 2025 à la prochaine exposition universelle au Japon au sein d’un pavillon France très relevé.
De l’audace, encore de l’audace !
Enfin, comment ne pas s’attarder sur cette Alsace qui est désormais une tête de pont des vins nature alors que les risques liés à la production de ces vins sont toujours importants ?
Malgré ces défis, les vignerons alsaciens persistent, motivés par l’attrait de créer des vins offrant un lien plus intime et plus pur avec la terre. Leur engagement est également une réponse à une demande croissante des consommateurs qui valorisent la durabilité, la transparence et l’authenticité dans ce qu’ils consomment.
Et comment ne pas souligner le soutien d’un chef comme Thierry Schwartz, inlassable combattant de la cause des vins nature depuis tant d’années et dont les inspirations sont aujourd’hui couronnées du succès qu’elles méritent ?
Ce numéro hors-série Vins d’Alsace d’Or Norme, vous incitera, nous l’espérons, à découvrir et savourer le travail, l’authenticité et l’art du vin en Alsace, toujours en complicité avec la beauté et l’imprévisibilité de la nature.
L’ABUS
GEWUZRTARMINER ?
GEWÜZRTRAMINER ?
GEWRUZTARMIREN ?
GREWUZTARMINER ?
GEWURZTRAMINER !
BREf, GEWURZ
Le vignoble alsacien a développé au fil des siècles la culture de cépages très aromatiques se forgeant ainsi sa propre identité. Fruité et généreux, le Gewurztraminer est certainement l’un des plus emblématiques.
D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
08-13
b Maintien de l’acidité Le défi du siècle
b Les Alsace sont devenus de grands vins de garde
22-27
b Néo-vignerons : le défi de passionnés
28-33
b Vins d’Alsace et Japon Kanpai !
76-80
b Mittelbergheim À l’équilibre
82-89
b Et rougir de plaisir
b La révolution orange 14-20
34-37
b Quinze générations d’Adam
38-42
b Rangen
Les vendangeurs de l’extrême 44-49
b Les ventes de crémant d’Alsace atteignent un nouveau record 41 millions de bulles !
50-56
b Le vin d’Alsace enfin prophète en sa région !
58-75
b Portraits
Jeunes vignerons : 25 domaines à suivre en 2025 !
90-95
b Julien et Sophie Schaal Un couple, deux hémisphères
96-100
102-107
b Caves coopératives En pleine concentration 108-113
b L’INRAE
Un siècle et demi de recherches à Colmar
114-117
b Les beaux accords d’Igor
118-121
b Université des grands vins La science des terroirs
122-127
b Thierry Schwartz Grandeur nature
Vendredi 6 décembre 18H
Lundi 9 décembre 18H
Maintien de l’acidité Le défi du siècle
Confrontée au lent mais inexorable déclin des acidités dans les baies de raisin, la viticulture alsacienne dispose de différents leviers pour tenter de les préserver au maximum. Elle compte également sur de nouvelles expérimentations et les progrès de la recherche pour relever ce défi, quitte à bousculer les usages traditionnels.
Les chiffres en disent parfois bien plus long que les mots. Entre 1976 et 2016 et sur la base de mesures effectuées chaque année à la même date –le 15 septembre – sur un total de 150 parcelles, le riesling alsacien a gagné 5,2 degrés d’alcool et perdu 11,4 g/l d’acidité totale. Un gouffre !
Or, l’acidité constitue un paramètre essentiel dans la perception sensorielle et l’équilibre du vin. Elle en est la colonne vertébrale et l’élément principal qui détermine sa fraîcheur, ou tout du moins la sensation qui l’accompagne. Si sa teneur est trop faible, le vin apparaît plat et mou, alors qu’il se montre agressif en cas d’excès. L’acidité participe également à sa stabilité et à son potentiel de garde. Dans ce contexte, le maintien et la préservation de l’acidité dès la phase de maturation des baies s’avèrent primordiaux pour obtenir en bout de course des concentrations satisfaisantes.
La
« fonte »
de l’acide malique
Mais de quoi parle-t-on exactement lorsqu’on parle d’acidité dans un grain de raisin ? « Il est nécessaire d’en distinguer
Création d’un « tunnel » de vignes par réunion des apex de deux rangs voisins, afin d’apporter de l’ombre.
les différentes composantes », explique Éric Duchêne, ingénieur de recherches à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) de Colmar et directeur de l’unité santé de la vigne et de la qualité du vin. « Il faut prendre en compte les acides organiques, principalement l’acide tartrique et l’acide malique, mais aussi les minéraux, notamment le potassium qui neutralise les acides. » « Dans les moûts », complète Arthur Froehly, responsable du pôle technique au Conseil interprofessionnel des vins d’Alsace (Civa), « le potassium précipite l’acide tartrique et contribue ainsi à une élévation du pH ».
Sous l’effet du réchauffement climatique et de la hausse des températures, ce petit monde-là va évoluer dans différentes directions. « Après la véraison*, la quantité d’acide tartrique va rester stable quelles que soient les conditions climatiques », explique Éric Duchêne. « En revanche, on
observe une dégradation de l’acide malique à ce stade qui sera d’autant plus forte si la température augmente. Quant au potassium, sa concentration est corrélée avec celle des sucres, de sorte que l’augmentation de l’une entraîne celle de l’autre, sans que l’on sache d’ailleurs laquelle des deux agit sur l’autre. »
Une conduite de la vigne à adapter
Dans ce méli-mélo métabolique, il s’agit donc notamment de limiter la dégradation de l’acide malique en protégeant du mieux possible les grappes de la chaleur et du rayonnement solaire. Un objectif qui passe non seulement par une gestion adaptée de l’effeuillage autour de la grappe, mais aussi par des systèmes plus ou moins sophistiqués, comme la création d’un « tunnel » de vignes entre deux rangs, leur conduite en pergola – les raisins pendants étant alors
protégés par le couvert végétal –, l’installation de panneaux photovoltaïques ou encore la pulvérisation de kaolin, une argile blanche capable de former un film protecteur sur les baies, évitant ainsi leur échaudage. Par ailleurs, des expérimentations sont en cours sur des porte-greffes qui permettraient une moindre absorption du potassium dans le sol pour tenter de limiter l’assimilation de ce même potassium par la plante afin de préserver l’acidité des baies. En Alsace, les essais portent davantage aujourd’hui sur la pose de filets d’ombrage (aujourd’hui interdite par le cahier des charges de l’AOC). « On a testé différents filets, avec plus ou moins d’ombrage, sur différents cépages avec plus ou moins de réussite », résume Arthur Froehly. « On a par exemple obtenu de bons résultats sur le gewurztraminer avec des filets qui filtrent à 50 %, alors que le pinot gris réagit mieux avec 30 % d’ombrage », détaille-t-il. « Mais c’est une solution qui reste onéreuse
puisqu’il faut compter entre 10 000 et 15 000 euros pour couvrir un hectare ».
La question centrale de l’encépagement
La sélection d’un matériel végétal mieux adapté aux nouvelles conditions climatiques constitue une autre piste à étudier. « On dispose aujourd’hui de huit clones différents pour le riesling », rappelle Arthur Froehly. « On a longtemps considéré que le n° 49, agréé en 1971 et qui fut longtemps le seul sur le marché, était trop productif, ce qui a conduit à la sélection d’autres clones. Mais en conditions chaudes, on s’aperçoit aujourd’hui qu’il se défend plutôt bien côté acidité. » On ne fera toutefois « pas de miracles à ce niveau-là », prévient le technicien. « Le riesling, tout comme le pinot gris ou le gewurztraminer, restent adaptés à un climat frais, intermédiaire.
« Le riesling, tout comme le pinot gris ou le gewurztraminer, restent adaptés à un climat frais, intermédiaire. »
Arthur Froehly
Suite page 14
Pierre Wach
L’acidité, coûte que coûte
L’acidité, c’est son cheval de bataille, son obsession, celle qu’il recherche avant tout dans ses vins. À la tête du domaine qui porte son nom, à Andlau, Pierre Wach ne jure que par elle.
Depuis deux ans, il produit d’ailleurs une petite quantité de verjus à des fins culinaires pour notamment remplacer le vinaigre dans les sauces ou pour le déglaçage. « J’ai toujours été attiré par l’acidité », avoue-t-il. « Même lorsqu’il s’agit de boire un verre d’eau, si je peux y ajouter du jus de citron, je le fais ! »
Avec la moitié de son parcellaire dédié au riesling, Pierre Wach conduit ses vignes avec la seule optique de conserver un maximum d’acidité.
« J’aime les vins vifs, avec des acidités précises. Ils ont un côté salivant qui les rend très gastronomiques. » À l’approche des vendanges, il laisserait presque son réfractomètre au placard.
« Je l’utilise juste pour me faire une petite idée sur la quantité de sucres, mais ce que je contrôle vraiment au plus près sur mon parcellaire, avec près de 80 analyses en laboratoire entre J-7 et J-1 de la date de la récolte, c’est d’abord et avant tout l’acidité. »
S’il est possible d’acidifier les moûts pour rectifier l’acidité – une pratique qui est « entrée dans les mœurs en Alsace », selon Arthur Froehly –, Pierre Wach, de son côté, préfère vendanger tôt pour préserver le potentiel acide de ses baies, quitte à ensuite chaptaliser, c’est-à-dire ajouter du sucre dans le moût. « La gestion de l’acidité se joue à 90 % dans les vignes. Le reste, c’est du maquillage », tranche-t-il. O.M.
Au cours du développement de la grappe, la véraison marque le changement de couleur des baies.
« Bien
d’autres variétés vont voir le jour dans les prochaines années, que l’on pourrait utiliser en pur ou en assemblage. »
C’est dans ces conditions qu’ils s’expriment le mieux en termes d’équilibre sucres/acidité. » Force est de constater que l’on s’en écarte, année après année, même si le millésime 2024 vient de marquer une pause dans cette déviance caniculaire.
On n’arrête pas le réchauffement climatique d’un coup de baguette magique et tous les leviers exposés plus haut pour en combattre les effets font plus figure de pansements que de solutions à long terme. La voie qui semble la plus prometteuse concerne l’intégration dans le paysage viticole de cépages plus tardifs, donc moins soumis aux fortes chaleurs estivales, et celles de nouvelles variétés, issues de sélections et de croisements. C’est tout le sens de différents programmes qui sont en phase de test. Le 25 juin dernier, le Comité national des appellations d’origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des boissons spiritueuses (Cnaov) a validé pour expérimentation l’intégration des cépages nebbiolo (Italie), chenin (Loire), vermentino (Corse/Provence/Italie) et syrah (vallée du Rhône) dans le cahier des charges de l’AOC Alsace. Ils pourront, les dix prochaines années et sous couvert d’une convention, couvrir 5 % de la surface des exploitations et entrer à hauteur de 10 % maximum dans l’assemblage d’une cuvée. Par ailleurs, de nouvelles variétés, qui découlent des travaux de l’Inrae et de l’Institut français de la vigne et du vin (IFV), apparaissent régulièrement au catalogue depuis quelques années. Historiquement élaborées pour résister au
mildiou et à l’oïdium, elles sont aujourd’hui également sélectionnées pour faire face au réchauffement climatique, mais aussi correspondre aux critères de typicité régionale. « Franchement, avec la variété exelys, nouvellement inscrite au catalogue, on est très proche du profil aromatique des alsaces », constate Arthur Froehly. « Mais bien d’autres variétés vont voir le jour dans les prochaines années, que l’on pourrait utiliser ici en pur ou en assemblage », promet-il encore.
Reste à savoir si les viticulteurs alsaciens, très attachés à leurs sept cépages –qui sont en réalité treize à figurer dans le cahier des charges –, s’empareront de ces nouvelles variétés et celles venues d’ailleurs pour booster l’acidité parfois défaillante de leurs cuvées. « Les choix politiques d’aujourd’hui engageront la viticulture alsacienne pour plusieurs décennies », souligne Arthur Froehly.
Par le passé, la viticulture alsacienne a déjà été confrontée à des choix difficiles. Puisse-t-elle adopter la ou les meilleures stratégies pour assurer son avenir, sans perdre toutefois son ADN qui la différencie de tous les autres vignobles de France et du monde.
L’équation reste complexe, d’autant qu’elle intègre de multiples inconnues et un véritable changement de paradigme quant à la nature même de son encépagement. b
*C’est-à-dire après le changement de couleur des baies, qui passent du vert au rouge pour les raisins noirs et du vert au jaune pour les raisins blancs.
Moment : rayons du soleil à travers les feuilles de vigne.
Des découvertes génétiques prometteuses
La recherche scientifique autour de la question de l’acidité des baies de raisin ne se limite pas à des considérations biochimiques et métaboliques. Elle concerne également la génétique. À Colmar, Éric Duchêne a déterminé en 2020, à partir d’un croisement entre riesling et gewurztraminer, qu’une quinzaine de génomes pilote l’acidité des baies. Le rapport entre quantité d’acide tartrique et acide malique dans les grains se joue notamment sur les chromosomes 6 et 8, alors que ce sont les chromosomes 10, 11 et 13 qui entrent en jeu dans le ratio acide tartrique/potassium. Sur cette base, on pourrait imaginer des croisements et des sélections qui permettent de maximiser le potentiel acide de la vigne. « Mais la quantité de pépins à manipuler pour obtenir la descendance souhaitée est trop élevée pour qu’on puisse les mettre en pratique », admet le chercheur. Toutefois, ce champ de recherches offre de nouvelles perspectives et ouvre la porte à de nouvelles avancées sur le plan génétique. O.M.
Les Alsace sont devenus de grands vins de garde
À l’exception de quelques très grands crus parfaitement identifiés, la majorité des vins d’Alsace a longtemps hérité de la réputation de vins à boire jeunes, après une conservation dépassant rarement le terme de quatre ou cinq ans de garde. En l’espace de quelques décennies, tout a changé, avec le renouvellement des générations de vignerons de mieux en mieux formés et innovant considérablement dans leur stratégie de vinification. Aujourd’hui, à l’instar des légendaires bordeaux ou bourgogne, le meilleur des vins d’Alsace est reconnu comme produisant de grands vins de garde…
Nous avons questionné l’ensemble de nos interlocuteurs sur ce qui fut longtemps la caractéristique attribuée à la majorité des vins d’Alsace : des bouteilles à ouvrir et à consommer rapidement. Avec, pêle-mêle, des arguments comme : un vignoble qui a mis des années à bénéficier des techniques de culture et de vinification en cave, une maturité des raisins loin de celle enregistrée de nos jours – y compris avec le réchauffement climatique –, un apport de sulfites jugé quelquefois trop important, d’autre fois pas assez (combien de fois avons-nous entendu parler du trop fameux mal de tête observé après avoir bu du vin d’Alsace ?). Ou encore, plus prosaïquement, nous pouvions avoir l’image de vins de piètre qualité, de quasi-vins de table, destinés à être vendus le plus vite et souvent possible…
Tout cela représente heureusement un passé révolu, souvent à la faveur d’un renouvellement de génération de ces véritables artisans du vin que sont les vignerons. Les techniques de vinification et d’élevage se sont affinées et le vin d’Alsace se garde désormais, comme le confirment ici Guillaume Bauer, secrétaire général de la Confrérie Saint-Étienne, Philippe Blanck, vigneron à Kaysersberg et héritier d’une maison depuis longtemps innovante en matière de vins de garde, et Serge Dubs, le sommelier alsacien auréolé de son titre de Meilleur sommelier du monde obtenu à la fin des années 80.
Confrérie
Saint-Étienne :
une œnothèque unique au monde
Les œnologues rêvent tous de visiter cette poignée de lieux proprement incroyables qui jalonnent l’histoire du vin. Et parmi ces lieux, la Confrérie Saint-Étienne, sise au Château de Kientzheim, dans le Haut-Rhin, s’enorgueillit de posséder une mythique œnothèque de plus de 60 000 bouteilles de grands vins d’Alsace.
« La Confrérie a été créée en 1561 », confirme son actuel secrétaire général Guillaume Bauer. « À l’origine, c’était une société de notables gourmets qui s’étaient fixé l’objectif de contrôler la qualité des vins mis sur le marché. Ils avaient l’habitude de se retrouver pour un grand banquet chaque 26 décembre de l’année, jour de la Saint-Étienne, d’où le nom choisi pour la Confrérie. Cette société a perduré jusqu’en 1848 avant de s’éteindre pendant une centaine d’années pour finir par renaître en 1947 sous l’impulsion de Joseph Dreyer, un professeur de physique et chimie très connu dans le bassin colmarien. La Confrérie SaintÉtienne s’est alors structurée en association de viticulteurs dont le but premier a été de faire découvrir et aimer les vins d’Alsace. L’œnothèque que vous évoquez s’est alors peu à peu étoffée. Unique au monde, elle est constituée de vins sigillés, terme propre à la Confrérie, le sigille (sigillum en latin) étant le sceau, une distinction que tous les producteurs alsaciens peuvent obtenir en participant au concours annuel organisé par la
Confrérie. On y retrouve bien sûr le critère traditionnel de qualité, mais, et c’est tout à fait particulier à notre concours, intervient également le critère de typicité. Cela veut dire tout simplement qu’à la dégustation, si le jury estime que le vin répond aux critères de qualité, mais ne possède pas le caractère typique de son cépage, de son millésime et éventuellement de son terroir, il ne recevra pas la distinction du sigille de qualité de la Confrérie. L’œnothèque ne contient donc que des vins de très grande qualité, parfaitement en adéquation avec leur terroir et leur origine. De plus, nos dégustateurs font figurer sur la fiche de chaque vin sigillé un exemple d’accord mets et vin parfait, ainsi que le temps de garde qu’ils imaginent pour chaque vin. Nulle part ailleurs au monde on ne trouve ces exigences-là… »
C’est ainsi qu’au fil des années depuis 1957 s’est constituée cette prestigieuse œnothèque, chacun des viticulteurs primés lui offrant les vins distingués par lots de douze bouteilles. « À la Confrérie, nous sommes donc évidemment les premiers à savoir que les vins d’Alsace vieillissent merveilleusement bien… après les producteurs concernés, bien sûr » poursuit Guillaume Bauer. « Nous savons que les vins blancs d’Alsace, tout autant que les grands vins rouges des autres régions, méritent d’être considérés comme de grands vins de garde… »
« L’œnothèque ne contient donc que des vins de très grande qualité, parfaitement en adéquation avec leur terroir et leur origine. »
Domaine Paul Blanck & Fils :
« Des vins à qui on peut parler… »
Philippe Blanck, qui avec son cousin Frédéric est le digne héritier du grand Marcel Blanck, élève des vins d’exception dans sa cave de Kientzheim. Incollable sur l’art du vieillissement des vins d’Alsace, il se souvient : « Avec un rendement exceptionnellement généreux en quantité comme en qualité, c’est le millésime 1982 qui a marqué le début de la prise de conscience au sein des vignobles alsaciens, révélant que les vins de cette région pouvaient également devenir de grands vins de garde. »
« On sortait de très longues années durant lesquelles la demande était tellement forte que la viticulture alsacienne produisait quasiment autant qu’elle voulait. À partir du début des années 80, un rééquilibrage s’est opéré entre l’offre et la demande, les vignerons ont donc été obligés de travailler différemment et de produire un vin susceptible de conquérir de nouveaux marchés. C’est ainsi qu’on a laissé se développer les arômes secondaires, juste parce qu’on avait permis au vin de vieillir trois ou quatre années de plus. C’est le cas pour tous les vins de terroir comme on les appelle. Quand ils sont jeunes, ils sont fermés » explique le vigneron.
Là où sa passion se révèle vraiment, c’est quand Philippe Blanck en arrive à ces vins de garde, qui représentent aujourd’hui un peu plus de la moitié de sa production, le reste étant des vins dits classiques, mais qui présentent néanmoins une bonne structure.
« On est parvenu à structurer notre vin pour le vieillissement ; on commercialise aujourd’hui des vins qui datent du début des années 2000, ce qui nous permet de rentrer ainsi dans ce que l’on nomme les arômes tertiaires », poursuit-il. « On parle alors du bouquet du vin : c’est un peu
« On infuse vite tout ça dans une dégustation. »
Féru d’innovation, passionné de recherche dans tous les domaines, Philippe Blanck révèle volontiers également pratiquer l’art chinois du qi gong, dont les techniques ont la réputation d’enrichir notre énergie vitale. Il propose une initiation à cette pratique dans les vignes.
« Chaque année, entre 300 et 400 personnes viennent du monde entier pour découvrir cet univers et on infuse vite tout ça dans une dégustation. On partage tout. Et ça fait des émules : je vais bientôt animer un séminaire chez des vignerons propriétaires de châteaux bordelais. On va travailler sur le ressenti et l’espace intérieur. Je tiens à partager ma pratique, tout ce que j’ai expérimenté et découvert par moi-même… » J-L.F.
comme un feu d’artifice à détente lente. Ces arômes-là se retrouvent dans les blancs comme dans les rouges, mais l’Alsace peut se vanter de posséder ces grands vins blancs de garde comme on les trouve dans toutes les grandes régions de France dès qu’il y a cette idée d’allier la passion du vigneron d’élever des vins de terroir avec des vieilles vignes et de petits rendements. Au-delà des problématiques purement techniques, il est impératif d’éduquer le consommateur pour qu’il soit pleinement en mesure d’apprécier le produit. Mais ce qui est impératif, c’est que le vigneron partage sa connaissance avec les dégustateurs afin qu’ils puissent pleinement ressentir par eux-mêmes l’exceptionnalité de ce qu’ils boivent. C’est une vraie initiation, avec ses rituels. On est vraiment et complètement dans l’idée d’une transmission. J’ai aujourd’hui la chance de travailler avec mon cousin germain Frédéric. C’est un artiste, il crée avec précision des vins authentiques, des vins avec qui on peut parler. Moi, je ne suis que l’impresario de cet artiste. Mais, blague à part, on est bien là dans le lien social quand on déguste et qu’on partage avec les gens : il y a l’idée de transcendance, d’élévation, il y a l’énergie de la terre et celle du ciel, celle de la nature qui te nourrit. On reste sur cette même finalité du vin : c’est affaire de culture. Monseigneur Doré (qui fut archevêque de Strasbourg de 1997 à 2006 – ndlr) disait toujours : “Il n’y a pas de grands vins sans grands vignerons”. »
« L’Alsace peut se vanter de posséder ces grands vins blancs de garde comme on les trouve dans toutes les grandes régions de France. »
Philippe Blanck
Serge Dubs :
« De fabuleux vins de garde… »
Trente-cinq ans après son titre de Meilleur sommelier du monde obtenu en 1980, Serge Dubs, jeune septuagénaire, est toujours sur le pont de l’Auberge de l’Ill, à Illhaeusern. « Seulement les week-ends » se hâte-t-il de préciser avec le rire dans la voix. Et il reste intarissable sur les progrès incroyables des vins d’Alsace dont il fut le témoin privilégié : « Tout est affaire de changement de génération. Les jeunes vignerons alsaciens des années 80, qui eux-mêmes, soit dit entre parenthèses, ont depuis passé la main à une nouvelle génération, se sont mis à parcourir le monde en quête de nouvelles techniques de vinification et d’élevage du vin. Ils les ont rapportées ici, les ont expérimentées et affinées pour qu’elles s’adaptent bien à nos terroirs et la qualité de nos vins a alors énormément et assez vite progressé. Il y a trente ou quarante ans, on avait vingt, peut-être trente vignerons capables de produire des vins d’exception connus nationalement ou internationalement. Et soudain, plein d’autres ont émergé, reprenant les domaines avec des idées précises, en quête d’une signature originale basée sur leur caractère et l’originalité de leur démarche. De nos jours par exemple, c’est la biodynamie qui perpétue cette volonté d’innover. Je les admire tous énormément, ces jeunes, car financièrement, c’est évidemment beaucoup plus difficile pour eux. Mais, pour revenir à votre interrogation sur les vins d’Alsace devenus aujourd’hui de grands vins de garde, je confirme cet état de fait. Bien sûr la priorité reste de produire des vins de soif très bien vinifiés, mais effectivement on a aujourd’hui la possibilité et la volonté de laisser certains terroirs s’exprimer complètement et prendre le dessus sur le côté variétal pour produire de fabuleux vins de garde. » b
Quid du réchauffement climatique ?
Avec son un recul de cinq décennies passées au plus près des vignerons de la région, Serge Dubs est sans doute le mieux placé pour jauger les conséquences du réchauffement climatique. « Cette tendance est plutôt un avantage chez nous en Alsace, du moins pour l’heure. Prenez le cas du pinot noir, il arrive aujourd’hui à maturité comme en Bourgogne. Du coup, trois terroirs ont obtenu le label grand cru. Nos blancs à l’inverse sont peut-être un peu plus charpentés, mais, s’ils sont bien vinifiés, deviennent facilement de très grands vins de garde. C’est selon moi le signe qu’il reste une marge de manœuvre supplémentaire pour proposer encore plus de vins de très haut vol. Nous pouvons compter pour cela sur les récentes innovations et surtout sur l’incroyable vitalité des plus jeunes de nos vignerons. Je peux en témoigner : même parmi ceux qui ne sont pas connus – pas encore – il y en a qui sont vraiment remarquables. Ce sont eux qui seront en pointe pour vinifier les vins des plus grands millésimes qui pourront se garder dix ans, vingt ans, voire trente ans. » J-L.F.
Néovignerons : le défi de passionnés
Ils ont longtemps été une exception dans un vignoble alsacien où la transmission des domaines de génération en génération était la règle. Ce modèle change depuis quelques années et ils sont de plus en plus nombreux, détachés des pratiques de leurs parents vignerons ou à la recherche de leurs propres terres pendant de longues années, à se lancer. Avec une ambition commune qui bouleverse le vin d’Alsace : révéler l’essence pure du terroir dans chaque bouteille.
C’est une bande de copains toujours prêts à s’entraider. De jeunes vignerons embarqués dans l’aventure de leur vie, animés par une folle passion pour le terroir. Et bien décidés à bousculer les codes, à tester de nouvelles expériences, « un peu comme des enfants qui explorent et trouvent toujours des choses marrantes à faire », sourit Léonard Dietrich, 29 ans. Comme lui, les deux Julien, Malik, Florence, Romain, les néo-vignerons que nous avons pu rencontrer, s’amusent autant dans leurs vignes qu’ils font preuve d’un sérieux sans faille dans la conduite de leur exploitation où ils ne comptent pas leurs heures. Pas question de rater une récolte : la crise de la filière viticole mondiale depuis un an, la déconsommation et les aléas climatiques laissent peu de marges de manœuvre.
Malik Oudni, installé depuis trois ans dans sa « Ferme sans nom » à Colmar, en fait les frais cette année. « Les oiseaux ont mangé 75 % de mes raisins, c’est catastrophique », confie-t-il. Ce passionné, qui a bataillé pendant cinq ans avant de trouver des terres, n’est pour autant pas prêt à baisser les bras. « On apprend de ses erreurs… J’avais des raisins magnifiques : une telle biodiversité sur nos parcelles, c’est le paradis pour les oiseaux. Je cherche une solution équitable pour tout le monde avec la LPO (Ligue de protection des oiseaux). »
À 29 ans, il sait que les métiers de la vigne exigent une grande faculté d’adaptation : « Pour faire du bon vin, il faut de beaux raisins et pour cela il faut comprendre les vignes. J’observe, je regarde, je sens les sols avec la vibration de la charrue. Vizir et Atalante, mes deux chevaux de trait, sont bien formés ! La vigne, il faut la ressentir. La situation est compliquée, les gens ne se rendent pas compte du travail qu’il y a derrière une bouteille. Je vais peut-être devoir prendre un second boulot. Mais il suffirait d’une belle commande pour que cela reparte. »
Un métier chronophage qui nécessite une belle solidarité
Malik Oudni a décidé de prendre son bâton de pèlerin pour présenter ses vins sur les routes de France. « J’envisage aussi un peu d’export, mais pas plus de 10 %, sinon cela serait contraire à mes convictions. On pense aussi à développer un système d’approvisionnement des États-Unis par voilier avec d’autres vignerons. Je m’entends bien avec tout le monde, on s’entraide, on échange. »
Une belle solidarité qui se ressent, comme en témoigne Julien Boehler ( domaineboehler.com , co-responsable du groupe jeunes du SYNVIRA). « Notre génération aime échanger, car la première difficulté quand on démarre dans ce métier, c’est la découverte de l’ampleur administrative : comment reprendre un domaine, gérer les douanes, comment se faire connaître, car finalement, c’est ça le nerf de la guerre. Mais c’est chronophage. Être ensemble permet d’organiser des événements d’envergure pour attirer une clientèle professionnelle qui recherche des vins de terroir et de lieux. »
Terminés les traditionnels salons, « complètement démodés », selon lui. Les jeunes vignerons misent sur des événements conviviaux type masterclasses assez courtes pour faire découvrir leurs vins aux professionnels et au grand public, comme tout récemment à l’Art Café du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. « On classe les bouteilles par terroir, chacun discute à son rythme, précise Julien Boehler. Les styles de vin évoluent. La clientèle recherche moins de sucre, les jeunes vignerons produisent des vins plus secs, plus gras, avec des élevages plus longs. »
Des néo-vignerons qui travaillent les vins d’assemblage plus que les cépages qui leur parlent peu. Une nouvelle génération qui bouleverse les codes, prête à renoncer à des terres familiales pour concocter des vins à son image. Léonard Dietrich en est la parfaite illustration. De retour dans le domaine familial à Dambach-la-Ville après avoir sillonné la France et le monde, de la Bourgogne à la Nouvelle-Zélande, il comprend vite que travailler en famille ne correspond pas à ses aspirations. « Un grand domaine a ses avantages et ses inconvénients. Pour ma part j’avais envie de bosser sur de plus petites parcelles avec moins de mécanisation. J’ai arrêté de travailler chez mes parents en 2020. Nous nous entendons bien malgré nos points de vue divergents. Mais j’avais envie de m’occuper des vignes, de la cave, du commerce, des étiquettes, du marketing. J’aime tout faire ! Travailler dans une petite structure est important pour moi. »
Il cherche alors des vignes et dégotte 1,5 hectare, dont les deux tiers en location. S’il a commencé par travailler à mi-temps dans un autre domaine, il se consacre à 100 % à son entreprise depuis septembre. « D’ici cet hiver, j’aurai trois hectares que je vais exploiter de manière plus “paysanne”. J’ai commencé par le vin, mais j’aimerais aussi faire du miel, du cidre, travailler avec mon cheval que j’ai depuis deux
« Mais j’avais envie de m’occuper des vignes, de la cave, du commerce, des étiquettes, du marketing. J’aime tout faire ! Travailler dans une petite structure est important pour moi. »
Léonard Dietrich (ci-dessous)
ans pour qu’il laboure les vignes… J’ai investi 135 000 € tout seul, j’ai commencé de zéro. Je viens d’un village où règne une belle entraide entre vignerons. Beaucoup m’ont aidé, prêté du matériel, en échange de quelques flacons ! Être entouré reste le plus important. » À l’instar de sa compagne, Romane, sommelière de 26 ans, fascinée par le travail de la vigne jusqu’à la bouteille.
En Alsace, le foncier reste difficilement accessible
Julien Klein, à Kintzheim, a lui repris un petit bout de terre de ses parents qu’il a arraché et replanté avec une sélection de vignes qui lui parlait davantage en 2006. « Dès mes 15-16 ans, j’ai voulu faire du vin. Mes parents sont coopérateurs, mais mon rêve a toujours été d’être un artisan du vin – même s’ils travaillent très soigneusement, ne vous méprenez pas ! Et puis je voulais mon nom sur l’étiquette », s’amuset-il. Cette année, le « néo-vigneron » qui a
patienté dix ans pour sortir sa première cuvée en 2017 en est à son sixième millésime. En 2022, sa production a atteint les 12 000 bouteilles. Cette année, il fait une entrée remarquée dans le Guide vert de la Revue des vins de France, directement couronné d’une étoile. « Cela me fait penser que je suis dans le vrai puisque ce que je fais est reconnu. J’essaie de transmettre l’âme du terroir à travers mes vins qui ont chacun leur personnalité. C’est une belle reconnaissance, même si je ne cours pas après les récompenses. » Et c’est seul, malgré une maladie auto-immune déclarée il y a deux ans, qu’il gère son domaine de trois hectares. « Des copains m’aident au pressoir, j’ai une super équipe de vendangeurs. Les vignerons indépendants sont un bon groupe, et mes parents restent derrière moi. »
En revanche, pour ceux qui n’ont pas de connexion dans le milieu viticole, obtenir des terres peut s’apparenter au parcours du combattant. « C’est un métier-passion qui attire pas mal de monde, mais moins en Alsace, car le foncier est très cher, et
les gens qui n’ont pas d’exploitation familiale ont plus de difficultés, appuie Julien Boehler. Il faut compter environ 100 000 à 200 000 € par hectare, et avoir minimum cinq-six hectares pour en vivre… Ce qui est complètement déconnecté par rapport au prix de la bouteille. On espère que cela va baisser. »
La révolution du terroir
Florence Kachelhoffer a pu en faire l’expérience. Ancienne coordinatrice du réseau de périnatalité de l’hôpital de Thann, elle décide de se reconvertir dans la vigne en 2013 aux côtés de son mari, Boris, chef de culture passé chez Jean-Michel Deiss, André Ostertag et aujourd’hui Céline Metz. « C’est un milieu que j’ai découvert avec plaisir, j’ai donc suivi une licence professionnelle vin et commerce à Colmar avant d’obtenir un brevet professionnel en maraîchage bio, un diplôme qui permet de s’installer, car c’était le rêve que nous caressions avec mon mari. Mais accéder
au foncier n’est pas facile. » Jusqu’au jour où un ami vigneron, Jean-Paul Schmitt à Scherwiller, lui propose de lui louer un hectare : « Cela ne se refuse pas et cela m’a mis le pied à l’étrier, reconnaît Florence. Mais pour s’installer en viticulture, il faut 1,5 hectare. J’ai donc cherché une autre petite parcelle à Blienschwiller et Nothalten, et j’ai pu me déclarer à la Chambre d’agriculture en 2021. » Leur réseau lui permet aussi de louer une cave durant l’été 2022 pour les premières vendanges de son Domaine Exeterra. « J’ai sorti 4 000 bouteilles pour mon premier millésime, c’était très formateur. » Elle achète alors un autre hectare en 2022 et complète son stock par des raisins achetés chez un ami viticulteur, « qui travaille la vigne selon mon cahier des charges ». Soit l’équivalent de 3,5 hectares qu’elle façonne seule en cave. « On est passé à 20 000 bouteilles en biodynamie, mon mari étant formé comme cela. On intervient très peu sur les sols, on observe les signaux fins de la vigne pour savoir ce dont elle a besoin. Mais j’utilise parfois un tout petit peu de soufre si cela s’avère nécessaire, je
ne veux pas en faire une religion. » Et le résultat dans la bouteille reste sa plus belle récompense : « Je prends beaucoup de plaisir en cave alors que mon mari préfère de loin la vigne ! On cherchait à exprimer la typicité de ces parcelles, et on y est arrivé. » Si le démarrage a été plus long qu’espéré, elle ne regrette rien : « C’était compliqué, mais on jouit d’une certaine liberté : un héritage peut vite être un poids, avec une clientèle ou des vignes qui ne nous correspondent pas. »
Et puis il y existe aussi des histoires dignes d’un conte de fées, comme celle de Romain Flühr-Ohlenburg, 28 ans. « Quand j’étais responsable du marché aux fleurs à Rouffach, un couple de retraités m’a demandé de l’aide pour porter des livres chez eux. Très vite, nous nous sommes liés d’amitié. Et ils m’ont désigné comme héritier de leur maison et de leurs huit ares de vignes… C’est une sacrée histoire tout de même ! », raconte ce passionné du monde végétal. « On aurait pu croire à une histoire qui allait mal tourner, mais nous nous sommes bien trouvés. En revanche, quand
j’ai hérité des vignes, j’ai voulu faire la révolution, changer la manière de la cultiver. »
Romain s’est lancé en décembre 2023 et a pu sortir une cinquantaine de bouteilles en vin nature. Convaincu d’être à sa place – même s’il poursuit en parallèle des études en sciences de l’environnement – il vient d’acquérir un demi-hectare : « Il a quand même fallu partir proche de zéro : je n’avais pas de cuverie, d’égouttoir, d’ustensiles… C’est un bel investissement malgré ce beau coup de pouce, car le foncier est cher en Alsace. Mais mon ambition ne va pas au-delà de quatre hectares, car je veux tout faire à la main. »
À l’image de sa génération, Romain veut casser les codes : « Ma philosophie, c’est de proposer quelque chose d’unique, j’ai horreur des cahiers des charges qui restreignent la créativité. Je fais partie de cette génération qui éprouve une attirance pour le végétal, et veut chouchouter la vigne. Et pour cela, le meilleur outil c’est la main. »
Une jeune génération prête à faire la révolution tout en relevant le défi du retour à la tradition. b
Métral CEEJA – Olivier Métral – COFREX – DR
Vins d’Alsace et Japon Kanpai !*
* « Santé ! » en japonais
Partenaires majeurs du Pavillon France à l’Exposition universelle d’Osaka 2025, les vins d’Alsace entretiennent depuis longtemps des relations fortes et privilégiées avec le Pays du Soleil levant. Et la flamme ne semble pas prête de s’éteindre.
Le concept de marche gourmande s’est exporté au Japon sous le nom de Fureai walk. En 2016, une Fureai walk a été organisée à Ammerschwihr dans le cadre du 15e anniversaire du CEEJA.
Le 13 avril prochain, l’Exposition universelle 2025 ouvrira ses portes à Osaka pour une durée de six mois. Une période durant laquelle les vins d’Alsace brilleront de mille feux sous les rayons du soleil levant, puisqu’ils figureront, sous la bannière du Conseil interprofessionnel des vins d’Alsace (Civa), parmi les quatre partenaires majeurs du Pavillon France, aux côtés d’AXA, LVMH et Ninapharm.
Les liens qui unissent l’Alsace et le Japon sont anciens et solides. « L’histoire nous enseigne que les premiers échanges commerciaux datent de 1863, grâce au savoir-faire de l’industrie textile mulhousienne », rappelle Virginie Fermaud, directrice du Centre européen d’études japonaises d’Alsace (CEEJA). « Des commerçants d’Osaka, justement, avaient alors démarché la manufacture Thierry Mieg pour imprimer des motifs japonais sur des tissus en mousseline de laine, en vue de la confection de kimonos et de vêtements d’hiver. Depuis, les échanges entre la région et l’archipel ne se sont jamais interrompus. »
Les années 1980 marquent un tournant dans les relations alsaco-japonaises, sous l’impulsion notamment d’André Klein, alors directeur du Comité d’action économique du Haut-Rhin. Le Bureau de représentation de l’Alsace est ouvert à Tokyo en 1982, Sony implante une usine
de fabrication de caméscopes et de lecteurs CD à Ribeauvillé en 1986, alors que l’Institut Seijô, école japonaise destinée à accueillir des enfants d’expatriés des entreprises nippones, ouvre ses portes la même année à Kientzheim. Mais c’est la diffusion de la série télé Le Ciel bleu d’Alsace , en 1985, qui va véritablement populariser le vignoble alsacien, ses paysages, sa gastronomie et ses vins au Japon. Produite par la chaîne Fuji-TV, la bluette suit le parcours d’un petit entrepreneur japonais qui, après des déboires commerciaux et familiaux en Allemagne, pose un peu au hasard ses valises à Niedermorschwihr où, peu à peu, au contact de ses habitants, il va retrouver goût à la vie, entre travaux à la vigne et management de l’équipe de football du village. Sans doute cette « intrusion » alsacienne sur les écrans des foyers japonais a-t-elle fortement contribué à l’essor du tourisme nippon en Alsace et à la découverte de ses vins et de ses cépages.
Un mariage parfait avec la gastronomie japonaise
« L’Alsace est aujourd’hui une appellation incontournable au Japon », se réjouit Christophe Mittnacht, vigneron à la tête
Christophe et Yuka Mittnacht en train de trinquer dans leur domaine Terre d’étoiles, à Ostheim (Kanpai !).
Étiquette de la cuvée « Gyotaku » du Domaine Terre d’étoiles.
du Domaine Terre d’étoiles, à Ostheim. « C’est un hasard, mais le fait est que les vins d’Alsace, tout en croquant et en acidité, se marient à merveille avec la gastronomie japonaise qui s’appuie sur la délicatesse des saveurs. » Christophe, qui partage sa vie avec son épouse Yuka, ancienne grande cheffe cuisinière à Tokyo et toujours à la manœuvre dans sa table d’hôtes à Hunawihr, sait de quoi il parle. Au printemps dernier, tous deux ont organisé leurs premières rencontres gastronomiques alsaco-japonaises, sur les lieux mêmes du domaine, avec la collaboration d’une demi-douzaine d’autres chefs nippons. Plus de 400 personnes s’y sont pressées pour vérifier la parfaite concordance entre mets japonais et vins alsaciens. L’occasion pour Christophe Mittnacht de déboucher quelques bouteilles de sa cuvée « Gyotaku », un assemblage qu’il a spécialement conçu pour sublimer les sushis. « Lors d’un voyage à Sapporo, mon beaupère m’avait servi un saké tiède pour les accompagner. J’avais été surpris par cette association et je me suis dit qu’on pouvait faire beaucoup mieux que ça. Alors, en rentrant, Yuka a préparé des sushis et j’ai vite compris que la solution ne résidait pas en un vin monocépage, mais qu’il fallait
passer par un assemblage pour répondre aux différentes textures qui les composent et aux différentes saveurs qu’ils associent. » Sa recette ? Sur un fond de pinot blanc, ajoutez du gewurztraminer pour faire face au gingembre et au wasabi, du riesling pour son acidité, du pinot gris pour répondre à la sauce soja et du muscat pour porter le vinaigre de riz. Embouteillez et servez frais. « Un jour, mon importateur au Japon m’a appelé. Il était submergé de coups de fil. L’étiquette de “Gyotaku” figurait en pleine page du tome 4 de la série Mariage du manga Les Gouttes de Dieu qui venait tout juste de sortir. Dans ce numéro, notre cuvée y remportait un concours d’accords mets-vins avec les sushis. » Peut-on rêver meilleure reconnaissance ?
Aujourd’hui, le Domaine Terre d’étoiles exporte 20 000 bouteilles de sa production sur l’archipel et participe au succès croissant des alsaces sur le continent asiatique. En dix ans, leurs ventes ont bondi de 40% au Japon, ce qui le place aujourd’hui au 6e rang des pays importateurs de vins d’Alsace en termes de valeur.
Jérôme Finck a lui aussi œuvré pour la notoriété des vins d’Alsace au Japon. En 2015 et déjà installé depuis dix ans sur l’archipel, ce représentant de la banque
Rothschild fonde l’Alsace Wine Club à Tokyo. « J’avais – et j’ai toujours – l’amour des vins d’Alsace et la fibre entrepreneuriale », explique-t-il. « À l’époque, les alsaces étaient très présents dans les restaurants, mais finalement rares dans les supermarchés. À la base, mon idée était de proposer, via un site internet, des sélections aux particuliers pour qu’ils puissent accéder aux références qu’ils trouvaient dans les établissements gastronomiques. »
Une expérience malheureuse, mais de solides perspectives
Pour ce faire, Jérôme Finck emploie les grands moyens. Il embauche quatre personnes, qu’il rencontre chaque matin entre 8 et 9 heures pour faire le point avant de rejoindre son bureau, s’adjoint les services de l’ancien meilleur sommelier du monde Serge Dubs pour le choix des cuvées, organise des événements à tout-va et lance une campagne publicitaire d’envergure pour générer des abonnements. « Nos opérations dans les salons et dans d’autres manifestations ont toujours été couronnées de succès, mais je ne suis pas parvenu à transformer l’essai auprès du consommateur lambda. À l’époque, les bouteilles étaient sans doute trop chères pour une consommation quotidienne et pas assez pour constituer une offre concurrentielle face aux champagnes, bourgognes et bordeaux dans une démarche de vin-cadeau. »
Peut-être Jérôme Finck a-t-il été trop en avance sur son temps, alors que le marché était encore balbutiant et que les taxes douanières entre l’Union européenne et le Japon, supprimées au 1er février 2019, plombaient les importations.
De retour en 2022 au Japon après avoir passé deux ans à Hong Kong, l’Alsacien, originaire de Chalampé, n’éprouve aucun regret sur cette aventure avortée. Il porte aujourd’hui un regard détaché sur son ancienne activité et confirme la progression actuelle des vins d’Alsace sur l’archipel. « Moi qui n’étais pas du métier, j’ai été beaucoup soutenu par les vignerons et aussi par le Civa auquel il faut reconnaître l’énorme boulot pour faire entrer les alsaces dans les restos. Aujourd’hui, leur carte de vins pullule de cuvées alsaciennes. Il y a plus
« Sa recette ? Sur un fond de pinot blanc, ajoutez du gewurztraminer pour faire face au gingembre et au wasabi, du riesling pour son acidité, du pinot gris pour répondre à la sauce soja et du muscat pour porter le vinaigre de riz. Embouteillez et servez frais. »
Au Domaine Terre d’étoiles, lors des premières rencontres gastronomiques alsaco-japonaises.
Étiquette de la cuvée
Seijo du Domaine
Marc Tempé, issue d’une parcelle de pinot auxerrois proche de l’ancien lycée japonais Seijô.
Image d’architecte vue de l’intérieur du Pavillon France pour l’Exposition universelle d’Osaka 2025.
de références en supermarché et le crémant y est facilement disponible. C’est peut-être encore difficile pour les petits vignerons indépendants, mais certains, comme Marc Tempé à l’époque, ont su construire une image de marque. Les Japonais sont très attachés au côté artisanal, au petit vigneron du coin qui élabore ses cuvées au fond de sa vieille cave. Raison pour laquelle les vins bio et nature, qui font corps avec l’homme ou la femme qui les ont créés, ont actuellement le vent en poupe. En passant par une simplification des étiquettes, un marketing simple et identifiable et le concours d’influenceurs, les vins d’Alsace ont encore ici une belle marge de progression. »
En octobre dernier et à l’occasion de sa traditionnelle mission économique au Japon, le CEEJA a embarqué avec lui des représentants du Civa, afin de l’introduire dans son réseau et préparer au mieux le rendez-vous d’Osaka. Ça tombe
bien : les deux structures seront bientôt voisines. Le CEEJA va en effet prochainement s’emparer de ses locaux, sur le site de la Maison des vins d’Alsace à Colmar, pour y installer en 2027 son Musée européen du manga et de l’anime (MEMA), alors que le Civa fera juste un pas de côté pour son déménagement. De quoi resserrer encore un peu plus les liens entre les vins d’Alsace et le Japon. a
« Les Japonais sont très attachés au côté artisanal, au petit vigneron du coin qui élabore ses cuvées au fond de sa vieille cave. »
Le Japon et l’Alsace, chemin faisant
Formellement initiées en 1863, dans le cadre des relations industrielles liées à l’impression à Mulhouse et dans ses environs de tissus à motifs japonisants, les relations entre l’Alsace et le Japon ont rapidement débordé du cadre de l’industrie textile pour s’étendre au domaine universitaire.
Créée en 1872 par les nouvelles autorités allemandes et voulue comme la nouvelle vitrine du génie allemand, donc à ce titre dotée de moyens extrêmement conséquents et d’un corps professoral de très haut niveau, la Kaiser-Wilhelms-Universität de Strasbourg a vite acquis une réputation d’excellence. Attirant des étudiants du monde entier, japonais aussi donc.
Le professeur Jean-Marie Le Minor rappelle ainsi, dans un passionnant article publié en août 2021 dans le n°89 des Saisons d’Alsace consacré aux 500 ans de l’Université de Strasbourg, qu’on trouve trace dès 1878 d’étudiants nippons sur les registres de la fac. 72 très exactement, pour l’immense majorité inscrits en médecine (48), mais aussi en droit (10), en philosophie (8), en mathématiques (5) et en pharmacie (1).
Une présence importante pour l’époque, et a priori sans équivalent ailleurs, que Jean-Marie Le Minor explique par la restauration de l’ère Meiji en 1868. « Le pays s’ouvrit désormais vers l’extérieur et, en 1868, le nouveau gouvernement signait un traité d’amitié, de commerce et de navigation avec la Confédération de l’Allemagne du Nord avant de ratifier, en 1870, un accord de coopération universitaire », écrit-il.
Après la proclamation du premier empire allemand en 1871, le Japon étudia de très près le fonctionnement des institutions du Reich, dont l’Alsace faisait désormais partie, en envoyant notamment une délégation en Allemagne en 1882, et s’en inspira largement pour élaborer sa première Constitution en 1889. La guerre de 1914 mit fin à cette première collaboration universitaire, qui fit pourtant racine. A.L.
LA MAGIE DES FÊTES
À
LA VILLA RENÉ LALIQUE
Offrez une escapade féérique dans le cadre prestigieux de notre hôtel 5 étoiles ultra raffiné, ou un instant gastronomique dans notre restaurant 2 étoiles au Guide Michelin, doté de l’une des plus belles caves d’Europe.
COFFRETS CADEAUX
Quinze générations d’Adam
410 ans ! Le domaine
Jean-Baptiste Adam à Ammerschwihr peut se targuer de quatre siècles d’histoire
où chacune des générations à la tête du domaine a apporté sa pierre à l’édifice. Rencontre avec
Jean-Baptiste Adam et sa fille Laure qui incarne la 15e génération de l’un des plus anciens vignobles d’Alsace.
Ce n’est pas un cadeau que j’ai fait à Laure, c’est lourd ! », sourit JeanBaptiste Adam, cinquième « JB » de la lignée Adam démarrée en 1614. « Être vigneron, c’est un très beau métier, mais difficile, car il est dépendant de la nature, il ne faut jamais se décourager. Chaque millésime est une nouvelle naissance, rien n’est jamais acquis. »
Ce 7 octobre 2024 s’achèvent enfin les vendanges du domaine, démarrées le 2 septembre. « Ce sont mes 34e vendanges, et je dois dire qu’elles ont été compliquées en raison des conditions climatiques, avec de la pluie un jour sur deux », confie-t-il. Pas de quoi entacher la bonne humeur des vendangeurs, grands fidèles de la maison, en passe de terminer, à la main, la récolte des grains du grand cru Kaefferkopf en cette journée entre pluie et timides rayons de soleil. « On ne vendange jamais quand il fait ce temps, mais la semaine s’annonce catastrophique », appuie Laure. « Chaque journée de vendanges s’est programmée à la dernière minute, mais on en vient à bout. »
En choisissant de basculer en biodynamie il y a vingt ans, Jean-Baptiste n’a pas choisi la facilité. « Mon père Jean m’avait dit à l’époque “Mais pourquoi revenir en arrière et travailler avec une pioche !” Ce n’était pas gagné d’avance... Même moi je n’étais pas sûr de mon affaire. La vigne est une plante résiliente, il lui faut cinq-six ans pour que ses racines cherchent le terroir. Pour faire un bon vin, la plante doit souffrir et aller chercher le terroir le plus profond, là où se trouvent les oligo-éléments, les éléments salins... J’ai vraiment flippé, il faut être très patient dans ce métier. Mais depuis dix ans, nous voyons le résultat dans la bouteille... Et mon père, lui qui avait un œil critique au départ, a été le premier à aller voir ses copains, fier de mes résultats. »
L’innovation dans la tradition pour chaque génération
Si aujourd’hui être en biodynamie « n’est plus un argument de vente, car en Alsace, c’est un minimum », estime Laure, le domaine fait partie des précurseurs. C’est d’ailleurs ce qui jalonne l’histoire des quinze générations du domaine : toujours apporter un souffle nouveau, tout en respectant la tradition. « Nous proposons de la grande gastronomie, nous avons une conviction et ensuite nous faisons les meilleurs vins possible qui expriment notre terroir », appuie-t-elle.
Extraire le meilleur des vignes nécessite un travail de longue haleine. « En passant en biodynamie, nous avons réduit notre production de 30% » précise son père. « Si vous travaillez la vigne toute l’année, elle se régule. C’est beaucoup de travail manuel, les vendanges se font à la main. Les vignes sont aussi moins sensibles au stress hydrique. Les vins sont plus salins, ils ont davantage de personnalité. » Pour autant, « ce n’est pas parce qu’on travaille en bio que le rendement est automatiquement plus faible », nuance Laure. « Il dépend de la taille de la vigne en hiver, et nous, nous taillons court pour obtenir des raisins de qualité. »
Depuis dix ans, Jean-Baptiste a passé le flambeau de la partie viticole au mari de Laure, Emmanuel Bogen, chef de culture du domaine. « Avec le réchauffement climatique, nous avons de nouveaux défis à relever. C’est encore plus prenant qu’il y a vingt ans : on ne peut pas manquer une récolte, nous devons être encore plus vigilants. Le vin est un produit de luxe qui fait rêver les gens, mais il n’est pas indispensable. La déconsommation d’alcool au niveau mondial nous pousse davantage
« Chaque millésime est une nouvelle naissance, rien n’est jamais acquis. »
Jean-Baptiste
Adam (ci-dessus)
à ne pas produire pour produire, mais à faire de la très belle qualité. » À l’image de leur fleuron, le Kaefferkopf, devenu le 51e grand cru d’Alsace en 2007, après des années de négociations. « C’est un assemblage unique, la spécialité du village et du domaine », précise Laure. « C’est notre Madeleine de Proust depuis le Moyen-Âge. Un vin épicé, exotique, avec une belle fraîcheur en fin de bouche. Il est idéal sur un foie gras, magnifique sur un munster. » Adam est d’ailleurs le premier domaine à avoir édité une étiquette Kaefferkopf en... 1834 !
Moderniser l’image des vins d’Alsace
Des cols qui séduisent les belles adresses de la restauration, en Alsace et en France, « comme le faisaient nos ancêtres », rap-
pelle Laure. De fait, sous le Second Empire, la famille Adam tenait l’auberge Aux Trois Rois et écoulait près de la moitié des hectolitres de la consommation annuelle durant cette période par l’intermédiaire de quatre gourmets. Outre la restauration, la famille Adam a aussi fait évoluer l’export, dont la part est passée de 2 à 40% du chiffre d’affaires ! « En plus de l’Allemagne et de l’Autriche, nous avons développé les pays nordiques, les États-Unis, l’Estonie… Depuis douze ans que je suis au domaine, j’attache une grande importance à moderniser l’image des vins d’Alsace », confie-t-elle. Un soupçon de modernité qui ne déplaît pas à son père. « Ma fille a décidé de faire une petite cuvée de vins orange, des vins de macération. Je me suis dit pourquoi pas ? Les choses évoluent. Elle a aussi démarré le gin il y a sept-huit ans. Ce sont des petits produits, des petites cuvées, qui font parler sur les réseaux. »
Pour autant, Laure ne recherche pas la révolution : « Mon objectif n’est pas de tout changer, mais de maintenir la belle qualité. J’ai envie de m’amuser et de montrer au monde entier que les vins d’Alsace font partie des très grands. Nous avons d’ailleurs une très belle image en France. »
C’est l’un de ses chevaux de bataille. « Le problème, c’est que beaucoup de vignerons ne vendent pas assez cher et n’en vivent plus. Il est impossible de sortir un crémant à 5€ ! Il faut valoriser nos vins et que la qualité suive. » Et pour s’en rendre compte, rien de mieux que de voir, toucher, goûter. « L’œnotourisme est incontournable, c’est le premier axe que j’ai développé », appuie-t-elle encore. « Nous avons la chance d’être dans un très bel endroit, en direction de Kaysersberg, et nous avons énormément de passages. Notre caveau de dégustation se situe juste à côté des caves de vinification avec des
« J’ai envie de m’amuser et de montrer au monde entier que les vins d’Alsace font partie des très grands. Nous avons d’ailleurs une très belle image en France. »
Laure Adam (ci-dessus)
foudres centenaires, certains datant de 1883. Ce n’est pas un musée, mais c’est là où nous vinifions 90% de nos vins. » Une part d’histoire conservée qui séduit de plus en plus. « Les gens sont de plus en plus attentifs à visiter les caves, à déguster, à comprendre notre métier. L’œnotourisme fait partie des moyens que l’on a pour valoriser nos vins. »
Dans la cave de vinification d’origine trône l’innovante cuve Œuf de Beaune, en l’honneur de la 16e génération des Adam. Les deux petits garçons de Laure sont-ils déjà prêts à remplir ce rôle ? « À 4 et 7 ans, c’est difficile à dire », sourit la maman. « Mais ils aiment le raisin et faire du tracteur avec papa dans les vignes. Mon aîné dit qu’il aimerait être viticulteur le matin, mais faire un autre métier l’après-midi, genre boulanger ou pompier, et voyager comme maman ! »
To be continued… a
Rangen Les vendangeurs de l’extrême
Situées sur les hauteurs de Thann, les vignes du grand cru Rangen qui culminent à 455 mètres d’altitude sont parmi les plus spectaculaires d’Alsace. À tel point que le temps de la récolte, qui s’est déroulée cette année en octobre et sous une pluie quasi-continue qui a rendu l’exercice encore plus difficile, les vendangeurs doivent se transformer en alpinistes et s’encorder parfois pour affronter des pentes qui peuvent atteindre les 130%.
Vendanger le Rangen exige un strict respect des normes de sécurité. Chaque vendangeur doit ainsi méthodiquement s’encorder pour affronter une déclivité hors normes.
Il est des vins qui se méritent, et ceux du Rangen se méritent sans doute un peu plus que d’autres. Hervé Schwendenman est bien placé pour le savoir, lui qui est responsable des vendanges des 4,5 ha de vignes que possède ici la cave coopérative Wolfberger.
En ce mois d’octobre pluvieux, c’est sous quelques gouttelettes qu’il a commencé sa deuxième journée de récolte de l’un des douze plus grands vignobles au monde selon le classement publié fin 2022 par la célèbre revue Decanter. Un terroir d’exception, récompensé à de nombreuses reprises pour ses vins amples et puissants, tout en équilibre cependant, qui trouvent leur incroyable énergie dans ce sous-sol volcanique unique en Alsace.
Hervé Schwendenmann est déjà au travail à six heures du matin. Alors que le jour n’est pas encore levé, il accroche les mousquetons, vérifie et prépare méticuleusement le matériel avant d’installer
les conteneurs sur les chariots avec l’aide d’autres paires de bras venues en renfort. Baudrier, descendeurs et cordage de voilier sont les équipements nécessaires et atypiques pour qui veut partir en toute sécurité à l’assaut des pentes ardues – et pour l’heure détrempées – du grand cru Rangen, qui peuvent afficher 45° d’inclinaison.
Célèbres et célébrés, ces coteaux exposés plein sud sur lesquels poussent principalement du pinot gris (57%) mais aussi du riesling (32%) et qui abritent un soupçon de gewurztraminer (10%) et un rien de muscat (1%), ne le sont pas uniquement en raison de leurs pentes abruptes. Si le Rangen est un vignoble unique, c’est aussi parce qu’il est le plus méridional d’Alsace et le seul dans la région à posséder le statut de grand cru sur la totalité de ses 22 ha. Son terroir composé de basalte (une roche magmatique) et de sédiments volcaniques fait aujourd’hui toute la différence dans les caves des quelques viticulteurs qui se partagent le
lieu, comme Wolfberger (on l’a dit), les domaines Schoffit, Zind-Humbrecht, Bruno Hertz, Eugène Schnebelen & filles ainsi que le Château d’Orschwihr.
Une belle histoire d’amour
La vingtaine de vendangeurs du jour arrive sur les coups de huit heures, armée de sécateurs et d’une bonne humeur forcément de mise. Lorsqu’on demande pourquoi les vendanges leur plaisent autant, il y a toujours quelqu’un pour lancer : « C’est pour le repas ! », ce qui a le don de provoquer une cascade de rires mais qui n’est pas qu’une simple boutade. Tous ceux qui ont un jour vendangé diront à quel point le repas du midi pris en commun est un moment privilégié et central de l’équipée. De sa qualité dépend aussi l’ambiance générale et, au regard de celle-ci, ici il tient assurément la route.
« Baudrier, descendeurs et cordage de voilier sont les équipements nécessaires et atypiques pour qui veut partir en toute sécurité à l’assaut des pentes ardues [...] du grand cru Rangen, qui peuvent afficher 45° d’inclinaison. »
Alexis est cariste et préparateur de commandes de formation. Cela fait maintenant trois années qu’il fait les vendanges au Rangen et, comme tous les autres, il ne raterait ce moment pour rien au monde. « Je suis actuellement en recherche d’emploi, mais même si je travaillais, je prendrais des congés pour faire les vendanges. » Gilbert, retraité depuis 22 ans et fidèle au rendez-vous depuis une quinzaine d’années, confirme la ferveur : « Vu mon âge, si je n’ai pas de plaisir, je ne viens plus. L’ambiance est bonne, on raconte des conneries, les repas sont corrects et les patrons sont très corrects. » Il a même converti Marie-Jo, venue il y a peu, qui ne peut déjà plus détacher ses yeux de ces beaux paysages. « J’ai commencé à faire les vendanges pour gagner des sous quand j’étais jeune, et comme ça m’a beaucoup plu, je me suis dit qu’une fois à la retraite, je recommencerais à vendanger, donc me voilà ! », sourit-elle. « Je suis tombée chez des gens si charmants que je me demande si je viens vendanger ou si je viens manger chez eux. »
Si l’équipe est soudée et fidèle d’édition en édition, la relève a pourtant du mal à suivre. « Peu de jeunes veulent venir travailler ici, ça devient compliqué de trouver des gens motivés », confie Sophie, la compagne d’Hervé.
Des changements à venir
Essentiellement composés de pinot gris et de riesling, ces coteaux recèlent aussi un soupçon de gewurztraminer et un doigt de muscat.
« Quand on vient ici, on ressent cette énergie qu’on ne va pas retrouver sur des sols plus argilo-calcaires, un peu plus froids », explique Bertrand Bongrand, qui n’est quant à lui pas vendangeur, mais expert viticole et agronome. C’est à ce titre qu’il est venu observer ces parcelles qui pourraient bientôt changer de propriétaire.
« Le but, c’est de reprendre ces quatre hectares et demi du Rangen », confie-t-il. Pour le technicien, chaque détail compte : la géologie du lieu, le terroir, la climatologie, la conduite de la culture du domaine, la taille, la façon dont est mené le palissage et bien d’autres aspects techniques importants. « Il y a des portions où les lignes (les rangées de vignes – ndlr) sont un peu plus jaunes : peutêtre qu’il y a des problèmes à ces endroits », soupçonne-t-il. « Il va falloir analyser ça et essayer d’apporter des solutions. On se rend compte depuis quelques années dans la région, notamment avec le changement climatique, que les cépages ne sont plus forcément adaptés aux terroirs sur lesquels ils sont plantés. Un cépage comme le pinot gris par exemple, qui a beaucoup de sucre et
qui monte vite en alcool, intéresse de moins en moins la clientèle, il faut y réfléchir. »
Ici comme ailleurs, la tentation d’élever des vins secs, plus digestes, est là. Celle aussi de tenter d’adapter du pinot noir, voire des cépages plus méridionaux comme la syrah ou le grenache qui, eux, seraient exclus de l’AOC (appellation d’origine contrôlée) si d’aventure l’idée prenait forme. Pour l’instant Bertrand Bongrand observe, soupèse, analyse, consigne et les vendangeurs vendangent, accrochés à une corde ou en équilibre.
Une bouteille pleine de terroir
« Le sol est très compliqué. Les grands crus, normalement, c’est 50 hectolitres par hectare. Celui-là, le jour où on y sera, on pourra faire la fête ! », plaisante Émilie Lejour, œnologue chez Wolfberger. Chaque année, 2 500 à 3 000 bouteilles de riesling et 7 000 à 10 000 bouteilles de pinot gris sont produites par la grande cave coopérative d’Eguisheim, ce qui représente entre 71 et 97 hectolitres sur l’ensemble des 4,5 ha vendangés.
Les raisins récoltés vont fermenter à 16° entre trois semaines et deux mois afin de préserver la partie aromatique, avant d’être mis au repos jusqu’à mars-avril. « On déguste régulièrement pour vérifier que tout se passe bien, que le gras se développe, puis on va préparer tout doucement les étapes de mise en bouteille en filtrant. Le vin sera mis en bouteille en
Que déguster avec un grand cru Rangen ?
Selon les recommandations d’Émilie Lejour, le riesling récolté sur les coteaux du Rangen se marie parfaitement avec des poissons en sauces crémeuses, des fromages de chèvre affinés et de la volaille rôtie ou farcie. Le pinot gris permet de voyager en dehors de l’Alsace, en l’associant à des tajines aux abricots secs ou à des desserts sucrés-salés et il s’accorde bien à l’apéritif ainsi qu’avec des viandes blanches et des produits de la mer. D’après elle : « Le demi-sec est peut-être plus adapté à la gastronomie d’aujourd’hui, on peut y aller encore plus facilement qu’avec le mœlleux. Le mœlleux des années précédentes était plus destiné aux desserts un peu chocolatés ou aux arômes de noisette, parce qu’on sent la noisette dans le Rangen. » R.N.
« On se rend compte depuis quelques années dans la région, notamment avec le changement climatique, que les cépages ne sont plus forcément adaptés aux terroirs sur lesquels ils sont plantés. »
mai-juin selon le cépage », explique-t-elle. Le pinot gris dévoilera alors des arômes de fruits secs et de torréfaction, voire des notes fumées, caractéristiques du lieu. Le riesling, lui, révélera des arômes de citron vert et d’eucalyptus tendus par une jolie minéralité. Avec l’objectif pour ce millésime d’obtenir un vin demi-sec pour les pinots gris, contrairement aux années précédentes bien plus solaires qui avaient accouché d’un vin moelleux. Une partie de ces derniers sera également vinifiée en fût de chêne pour découvrir de nouveaux arômes et offrir une autre dimension à ces vins d’exception qui se méritent sans doute un peu plus que les autres. a
Les ventes de crémant d’Alsace atteignent un nouveau record 41 millions de bulles !
Le crémant d’Alsace est devenu le blockbuster du vignoble alsacien avec 41 millions de bouteilles vendues en juin, soit une progression de 5 % sur l’année écoulée et de 17 % en trois ans. Du jamais vu depuis la création de son AOC en 1976. À l’heure où la déconsommation mondiale d’alcool est réelle, quelles sont les raisons de son succès ? Décryptage.
Il est désormais de toutes les tables de fêtes alsaciennes, à l’apéro, aux mariages, aux anniversaires, ou encore à la carte de nombreux restaurants gastronomiques ou étoilés. Le crémant d’Alsace s’impose dans la région pour atteindre le record de 41 millions de bouteilles vendues en juin sur une année glissante (export inclus – ndlr).
Mais avant de devenir le blockbuster du vignoble, un long travail a été mené par les vignerons et l’interprofession pour que plus personne n’ait à rougir de présenter les bulles alsaciennes comme une alternative de qualité au prestigieux champagne. « Le crémant d’Alsace n’est ni plus ni moins qu’un champagne », rappelle Philippe Bouvet, directeur marketing du CIVA. « Il est réalisé selon la même
méthode que le champagne, c’est juste l’appellation qui change. »
Pour comprendre son propos, il faut rembobiner jusqu’en 1900. Cette année-là, le jeune Gustave-Julien Dopff, 17 ans, se rend à Paris avec ses parents pour visiter l’Exposition universelle où est mise en avant la méthode champenoise. Fasciné, il décide de se former pendant deux ans au nord d’Épernay, au sein de la maison Trouillard. « Il a appris comment faire et promouvoir le champagne, avant de devoir revenir à Riquewihr à la demande de ses parents », raconte Étienne-Arnaud Dopff, son arrière-petit-fils, aujourd’hui à la tête du domaine. « Sa seule condition : pouvoir continuer à faire des bulles ! »
Au départ, celui que l’on prénommait plus simplement Julien, a importé des
Bouvet, Directeur Marketing du
« Le crémant d’Alsace n’est ni plus ni moins qu’un champagne, c’est la même méthode ».
moûts champenois en Alsace, qu’il vinifiait et « champagnisait » à Riquewihr. Sa première cuvée Champagne Julien Dopff & Cie à Reichenweier für Deutschland Epernay für Ausland sera vendue jusqu’en 1911. « Il était malin : il avait conservé des bureaux à Épernay pour pouvoir vendre “à l’étranger”, en France et dans d’autres pays, l’Alsace étant sous régime allemand », sourit Étienne-Arnaud.
Le
crémant
d’Alsace produit selon la méthode champenoise
Quand les viticulteurs champenois ont voulu protéger l’appellation « champagne », Julien Dopff a eu l’intuition qu’il pouvait produire des bulles avec les cépages alsaciens, qui jouissent finalement de la même exposition et d’un climat similaire aux vignobles champenois. « Il a fait quelques essais, a connu quelques ratés aussi, comme avec le gewurztraminer, trop fruité, ou le sylvaner, trop raide, avant de constater que la famille des pinots se prêtait très bien au côté neutre et sec des bulles », explique
Étienne-Arnaud Dopff. « Il y a cru pendant des décennies, il avait sorti son mousseux, mais il est décédé en 1972, quatre ans avant l’obtention de l’AOC “crémant d’Alsace”. »
À son décès, son fils Pierre Dopff a porté son combat et obtenu la signature du décret de l’AOC le 24 août 1976 par Jacques Chirac, alors ministre de l’Agriculture. « Près de 50 ans plus tard, nous avons dépassé la barre des 40 millions de bouteilles vendues et un tiers du vignoble est converti aux bulles… C’est énormissime ! » se réjouit l’arrière-petit-fils de l’inventeur du crémant d’Alsace. « Tout le process de fabrication est identique au champagne. Ce qui nous distingue, ce sont les cépages, notre identité étant axée autour des pinots blancs et auxerrois », précise Étienne-Arnaud. « Cela étant, nous n’avons ni les lettres de noblesse, ni le volume du champagne, qui atteint les 300 millions de bouteilles vendues… La messe est dite ! »
Pour autant, le crémant d’Alsace prend sérieusement du galon. « Depuis trois ans, les ventes ont progressé de 17 % : on en vendait 35 millions en 2019 », rappelle Philippe Bouvet. « Dans le circuit de la grande distribution – le seul dont nous ayons les
statistiques –, les ventes de champagne ont diminué de 20 % et celles de crémant ont augmenté de 30 %. C’est énorme ! »
Les vins d’Alsace, premier vignoble français à participer à une Exposition
universelle en 2025
Comment expliquer une telle soudaine notoriété ? « Le crémant d’Alsace est devenu une alternative de grande qualité, avec en parallèle les prix du champagne qui ont augmenté », relève-t-il. « Chaque région a sa spécificité, on se vend beaucoup en local, la région Alsace a cru en son produit dès le départ, nous connaissons une croissance continue depuis près de 50 ans. Cela étant, on a encore du mal à exister à l’export : nous n’avons pas la même force de frappe en termes de volume que le champagne », nuance ÉtienneArnaud Dopff. « Nous sommes complémentaires dans la gamme des bulles qui
« Tout le process de fabrication est identique au champagne. Ce qui nous distingue, ce sont les cépages, notre identité étant axée autour des pinots blancs et auxerrois. »
Étienne-Arnaud Dopff
Marlène et Étienne-Arnaud Dopff , l’arrière-petit-fils du concepteur du crémant d’Alsace.
existent : nous avons le savoir-faire, maintenant il faut le faire savoir. »
Et les vignerons alsaciens auront une belle carte à jouer à la prochaine Exposition universelle d’Osaka en 2025, comme un clin d’œil à Julien Dopff. « Ce sera la première fois qu’un vignoble représentera la France, et ce n’est pas la Bourgogne, mais l’Alsace. Et rien que cela, c’est extra ! » se réjouit Philippe Bouvet.
Une scénographie majestueuse sera dédiée au vignoble alsacien aux côtés de quatre mastodontes français tels LVMH ou AXA. « Nous souhaitons mettre en avant tous les vignerons : 92 entreprises seront sur place. Les vins d’Alsace représenteront 80 % de la carte des vins aux côtés des domaines prestigieux de Moët-Hennessy… Pour le champagne, de très grands groupes ont façonné un imaginaire de marque, c’est parfois un peu rageant pour un vigneron alsacien qui travaille selon les mêmes méthodes, avec des terroirs qui n’ont rien à envier aux champenois. En allant nous frotter à ces grands noms à l’Exposition universelle, nous avons de la suite dans les idées. C’est une occasion unique d’entrer dans la cour des grands et de dire au collectif : Vous n’avez plus de complexes à avoir ! » Des campagnes sont aussi programmées à Lyon et Bordeaux, pour poursuivre ce travail de conquête du crémant qui est devenu un réflexe en Alsace.
Après la consolidation, la valorisation du crémant d’Alsace
Mais pourquoi tant d’amour ? Si l’on exclut les bouteilles vendues 5 € dans les supermarchés, « ce qui est un tarif impossible à tenir sachant que le produit est stocké sur lattes minimum un an, que l’on a des frais de dégorgement et des fournitures plus chères que pour les vins tranquilles », rappelle Charles Schaller, président du Syndicat des producteurs de crémant d’Alsace. « Le problème, c’est que certaines entreprises restent sur cette politique qui ne valorise ni la région ni la filière ! Alors qu’aujourd’hui le consommateur recherche la qualité dans les vins. La preuve, nous avons certains sommeliers de tables étoilées hors Alsace qui s’intéressent à nos crémants : c’est une consécration, une reconnaissance depuis 1976. » Le crémant alsacien correspond aussi à l’évolution du palais de la société, « qui recherche davantage de fraîcheur organoleptique, fuit les vins trop tanniques et a une vraie appétence pour les vins frais, ce qui explique l’envolée des blancs », précise
« Le crémant d’Alsace est devenu une alternative de grande qualité, avec en parallèle les prix du champagne qui ont augmenté. »
Étienne-Arnaud Dopff
Philippe Bouvet. « Les bulles n’ont pas de tanin et, en plus, elles sont festives ! Aujourd’hui, on n’a plus besoin de prétexte pour passer un bon moment : on casse les codes, on libère de nouvelles occasions de se retrouver, à l’image de la déstructuration des repas au profit des apéros dînatoires ou des plats à partager. Sans oublier l’évolution qualitative de l’offre bien sûr. Il n’est plus rare de voir quatre, huit ou dix crémants d’Alsace différents à la carte. » À cela s’ajoutent évidemment le savoirfaire et l’inventivité des vignerons alsaciens qui n’hésitent pas à innover pour toucher plus de monde. À l’image de Dopff qui propose une solera (méthode d’assemblage et d’élevage du vin – ndlr) d’une grande complexité et qui vient de sortir son Crémant Bartholomé, en hommage à son premier ancêtre vigneron, dégorgé après… 70 mois sur lattes. « Nous sommes en perpétuelle réflexion. On recherche des challenges pour le devenir du vignoble qui est un laboratoire à ciel ouvert. Les projets de bulles sont des projets à dix ans… L’éloge de la patience nous détermine : il faut savoir prendre le temps. »
Aujourd’hui, la quasi-totalité des vignerons alsaciens produit du crémant, qui représente un tiers de la production du vignoble. « Il peut encore y avoir une progression, mais il existe un plafond structurel, car ni le gewurz, ni le muscat ou le sylvaner ne peuvent y entrer : le crémant d’Alsace n’est pas une poubelle », insiste Charles Schaller.
Tout l’enjeu aujourd’hui reste de continuer à valoriser les bulles du vignoble alsacien, sans le faire au détriment des vins tranquilles. b
Le crémant d’Alsace en quelques chiffres
FRANCE : + 2 % entre septembre 2022 et août 2023
EXPORT : + 17 %
PRINCIPAUX DÉBOUCHÉS : Allemagne, États-Unis, Belgique et Italie
75 %
du crémant d’Alsace est vendu en France dont la majorité en Alsace.
La croissance du marché à l’export est plus importante qu’en France.
Depuis six ans, Franck Buecher ne produit plus que des bulles d’Alsace.
Au coeur de l’Alsace, choisissez le “made in France”
Monsieur Bulles
Si la quasi-totalité des vignerons alsaciens produit du crémant, Franck Buecher est le seul à avoir fait le pari en 2018 d’abandonner totalement la production de vins tranquilles pour se consacrer exclusivement aux crémants d’Alsace. Rencontre avec un toqué de bulles !
Dès qu’il a repris les rênes du domaine familial en 2005 à Wettolsheim, Franck Buecher a bousculé les codes de la maison. Terminé les méthodes conventionnelles : il décide de convertir le domaine en biodynamie, malgré les réticences de son père, désormais pleinement convaincu. « Travailler en bio induit un rendement plus bas et demande de travailler avec des caissettes en cave, d’améliorer le produit et de parfaire les sélections parcellaires : quand un vin porte la signature d’un lieu, cela résonne avec les gens », estime-t-il.
Exit aussi la production de vin en vrac ou de crémants destinés à d’autres domaines : « On ne vendait rien ! Mon père produisait du crémant pour des vignerons alsaciens, ce qui lui permettait de couvrir la moitié de son revenu annuel. En 2018, nous avons décidé d’y mettre fin pour valoriser notre propre production. »
La dynamique de la haute gastronomie
Cette même année, Franck et son père ont pris une autre décision audacieuse : arrêter la production de vins tranquilles
pour se consacrer exclusivement aux crémants d’Alsace. Une première dans la région ! « Cela nous a permis de nous positionner plus facilement dans les restaurants gastronomiques avec des produits haut de gamme. C’est vraiment la restauration qui a contribué à renforcer l’image du crémant d’Alsace, en soutenant les producteurs locaux depuis dix ans. »
Avec des prix oscillant entre 13 € et 40 € hors magnum, Franck assume son positionnement. « Le prix reflète le travail fourni. Quand quelqu’un investit 22-25 € dans une bouteille, il s’attend à une certaine transparence et à des origines nobles. »
Pour atteindre son niveau d’exigence dans la bouteille, il taille court, ébourgeonne, limite la production, pour obtenir des grains gorgés de jus. « Il n’y a rien de pire qu’un stress hydrique sur une bulle, appuie Franck Buecher. Tout est une question de précision et d’intuition pour amener le fruit à maturité. Je suis aussi seul en cave à travailler avec mon palais et mes oreilles pour savoir quand les séparer. » Au point de se priver du petit café du matin afin de préserver la pureté de ses papilles. Chaque année, ses neuf hectares de vignes produisent en moyenne 40 000 bouteilles de crémant. Un rendement limité pour des bulle toutes méticuleusement élaborées B.R.
De la Conception, à la Fabrication
Des projets
De la bouteille vide, au carton fermé
Co-créateur et membre de :
COSTRAL S.A
Z.A. 1, rue des prés 68340 RIQUEWIHR
vinicole pour Professionnels et Particuliers 03.89.47.89.45
info@costral.fr / www.costral.fr
Le vin d’Alsace enfin prophète en sa région !
Exceptionnelle région en matière de gastronomie avec ses plus de 3 000 restaurants traditionnels recensés, l’Alsace a très longtemps affiché une particularité incroyable : très peu de ses propres vins figuraient sur les cartes de ses restaurants. Heureusement, cette fâcheuse tendance s’est renversée : désormais, les sommeliers installent volontiers le vin d’Alsace sur la table de leur restaurant. Et le phénomène s’est amplifié, même très loin d’ici…
Autant le dire tout de suite : en questionnant sommeliers et autres restaurateurs sur la présence de plus en plus évidente des vins d’Alsace sur les cartes des établissements régionaux, nous n’avons enregistré que de l’enthousiasme. De l’étoilé à la winstub, du gastronomique au restaurant parisien qui fusionne cuisine asiatique et tradition gastronomique française, les vins d’Alsace figurent en très bonne place sur les cartes, poussés par des sommeliers inventifs et pleins d’audace.
Les étoilés
Thierry Schwartz –
Le Restaurant (*)
Cyril Kocher
Obernai (67)
C’est le très inspiré Cyril Kocher (à qui le Michelin 2023 a décerné son Prix de la sommellerie) qui préside aux destinées des près de 18 000 bouteilles qui s’alignent dans la cave de la célèbre table étoilée d’Obernai. « Avec Thierry Schwartz, nous travaillons ensemble depuis dix-huit ans. Cette cave, nous l’avons montée tous les deux » tient à préciser Cyril Kocher. « Et je dois dire que les vins d’Alsace y ont toujours occupé toute leur place, au moins 15 % de la carte. Avec le Jura, ce sont les deux régions les plus présentes parmi la quasi-totalité des régions françaises métropolitaines qui pratiquent la viticulture et ce, sans compter les vins du monde, très présents eux aussi » détaille-t-il bien volontiers.
« Nous misons beaucoup sur ce que nous appelons les “vins vivants” (on parle aussi plus couramment de vins nature – ndlr) » poursuit-il. « Il n’y a pas si longtemps, beaucoup de ces vins n’étaient pas très connus de nos clients, bien que l’Alsace fût une région particulièrement bien dotée en la matière. Il y a donc eu un phénomène de curiosité naturelle pour les vins des quatre pionniers alsaciens de cette mouvance : Patrick Meyer, Jean-Pierre Frick, Christian Binner et Bruno Schueller. Ils ont entraîné dans leur sillage plein de jeunes vignerons qui ont permis de faire enfin bouger les lignes. On a donc toujours interpellé nos clients avec ces vins-là et ça a provoqué de beaux échanges. Quand on travaille
les vins au verre, on les fait découvrir à l’aveugle à nos clients, ça supprime l’influence psychologique provoquée par le nom du cépage. Le cas du sylvaner est par exemple très édifiant : combien de nos clients ont-ils été épatés par la profondeur de ce vin dont la réputation jusqu’alors était celle d’un petit cépage ? Goûté à l’aveugle, il n’y a plus que les papilles qui comptent. La dégustation à l’aveugle est donc systématique chez nous, dès qu’on est au vin au verre. Donc, pour me résumer, les vins d’Alsace font partie d’une des régions qui a le plus innové durant ces dix dernières années et on constate un vrai regain d’envie de la part de nos clients. À mon avis, cet engouement pour les vins vivants va durer très longtemps encore. »
C’est Romain Iltis (meilleur Sommelier de France en 2012) qui après son passage à L’Arnsbourg (***) nous parle avec passion du vin alsacien et qui, d’entrée, met le doigt sur un point très précis : « Dans les restaurants régionaux, le client alsacien a très longtemps cultivé cette envie de découvrir des vins d’ailleurs. Combien de fois ai-je entendu cette réflexion : “Moi, le vin d’Alsace, je le bois à la maison. Quand je vais au restaurant, j’ai envie d’autre chose”. Aujourd’hui, on ne peut que constater à quel point il y a eu depuis quatre décennies un bouleversement total quant à la qualité de nos vins régionaux. On a réussi à travailler sur des vins réellement gastronomiques, des riesling plus tendus, des gewurztraminer plus aromatiques ou des pinot gris qui trouvent toute leur place à table. Aujourd’hui, l’envie de retour au terroir de la clientèle et la présence de jeunes générations de vignerons mieux formés ont fait le reste : nos vins ont retrouvé de l’allant. Sincèrement, il y a de très grands vins en Alsace désormais, au-delà même des traditionnels grands crus présents depuis longtemps dans les plus beaux domaines.
Ce qui a évolué considérablement, c’est le travail du sommelier. Il y a des décennies, le sommelier était très lié à sa maison et cette maison avait des liens historiques avec de nombreux producteurs dont elle se sentait proche, la liste des vins présents en cave se limitait donc souvent à ce périmètre. Les chefs ont fini par admettre que le sommelier était un vrai professionnel et que ses connaissances lui permettaient d’apporter sa touche et sa sensibilité à l’élaboration de la cave. Dès lors, et avec ses immenses progrès en qualité depuis des décennies, le vin d’Alsace a une très belle carte à jouer : très peu de vignobles au monde peuvent se targuer de disposer d’une palette aussi riche pour composer les accords mets/vins de nos cartes. Et ces vins se marient avec toutes les cuisines. On n’est plus très loin de la palette universelle, je vous assure. »
Le Restaurant de la Villa Lalique (**)
Romain Iltis
Wingen-sur-Moder (67)
Les bistronomiques
Am Lindeplatzel
Sylvie Arbogast-Baltzinger Mittelbergheim (67)
Cette très belle adresse a toujours eu la réputation de mettre en avant les vins d’Alsace sur sa carte. Ce restaurant a été repris depuis douze ans par le couple Thierry Baltzinger et Sylvie ArbogastBaltzinger, cette dernière avouant sans problème son parcours atypique : ex-professionnelle de la publicité, elle s’est lancée en 2007 dans une reconversion avec l’objectif d’obtenir son CAP de cuisinière, ce qui fut fait l’année suivante. « À force de rencontres, celles de beaucoup de vignerons de Mittelbergheim et alentours, amis de mon mari, mais aussi celle de Jean Walch, le créateur de l’enseigne Au fil du Vin Libre sur le quai des Bateliers à Strasbourg, j’ai beaucoup affiné mes connaissances sur le vin. C’est d’ailleurs avec Jean Walch que nous avons élaboré notre carte. Et elle a très vite pris une orientation de vins nature. »
Ce début du renouveau qualitatif des vins d’Alsace, Sylvie Arbogast-Baltzinger l’estime « à une petite vingtaine d’années, avec la jeune génération qui a repris les domaines. Avec tout ce qu’ils avaient appris loin d’Alsace, ils ont fait ce pas de côté qui leur a permis de beaucoup apporter dans la manière de travailler la vigne et d’élever le vin. Il y a cet exemple local éclairant puisque Mittelbergheim est le berceau du sylvaner. Il y a trente ans, ce cépage ne jouissait pas d’une réputation extraordinaire ; on s’en servait au mieux pour faire la cuisine et, quand
on en avait bu un peu trop, on avait mal aux cheveux le lendemain, comme on disait. Grâce à Albert Seltz, mais d’autres également, le sylvaner a fini par être classé grand cru. Avant même l’ouverture de notre restaurant, nous avons rendu visite à la vingtaine de vignerons de la commune. On a goûté tous leurs vins et sélectionné au moins une référence chez chacun d’entre eux. Notre volonté était de mettre vraiment à l’honneur le terroir local. Aujourd’hui, tout ça s’est complété par beaucoup d’autres domaines bien sûr, y compris ceux venus d’autres régions, voire d’autres pays. Notre carte compte aujourd’hui 50 % de vins d’Alsace, avec une nette progression de vins nature ces dernières années ainsi que de pet’nat, le pétillant naturel. »
Fort d’une importante clientèle locale d’habitués, Am Lindeplatzel bénéficie également de l’image de marque de son village, classé au label « Les plus beaux villages de France » : « Nous recevons beaucoup de visiteurs étrangers venus pour découvrir les spécialités alsaciennes et notre vin local » raconte Sylvie. « L’authenticité de notre carte de vins les séduit. J’en propose beaucoup au verre et, dès que j’ai sondé les envies des clients, je n’hésite pas à ouvrir une bouteille pour qu’ils puissent découvrir le vin qui les tente. Les entendre nous remercier pour la découverte est à chaque fois une belle récompense » conclut-elle, la voix pétillante.
Magma
Léo Dezeustre & Ryuya Ono Paris (11e arrondissement)
Notre visite à ce petit restaurant parisien, à deux pas de la Place de la République, surprendra peut-être. Elle est due à la présence en son sein de Léo Dezeustre qui fut un temps le chef sommelier du Crocodile à Strasbourg. « Ma vision de la sommellerie est beaucoup plus ancrée dans l’époque que nous vivons et c’est pour la vivre entièrement et librement que j’ai choisi de collaborer avec Magma. Ce restaurant met en avant la gastronomie française de haut niveau, mais son chef, Ryuya Ono, d’origine japonaise, y apporte les techniques culinaires de son pays » annonce d’entrée Léo. Il précise qu’il n’est aucunement d’origine alsacienne, mais qu’il a « toujours été un vrai passionné des vins d’Alsace » : « Selon moi, ces vins restent encore partiellement
méconnus en Alsace même et bien sûr à Paris. Dans la capitale, on parvient à retrouver les grands noms du vignoble alsacien, mais très peu d’autres. Et c’est dommage : entre le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, il y a 51 grands crus et, ici, on ne met en avant que la partie émergée de l’iceberg, en quelque sorte. Au moment de structurer la carte des vins de Magma, j’ai souhaité que toute une génération de jeunes vignerons alsaciens y figure, ceux qui ont pris le risque d’aller encore plus loin dans la vinification. Par exemple, tous ceux que je mets en avant vinifient leur gewurztraminer plutôt sec. Je pense que c’est la présence fréquente du sucre qui a provoqué à un certain moment le rejet du vin d’Alsace. Ce n’est plus qu’un lointain souvenir, désormais. Ce qui est très intéressant pour un
sommelier, c’est la variété des profils de vins que présente le vignoble alsacien. Je pense même que, si un sommelier travaille très bien, il peut s’exprimer avec uniquement des vins d’Alsace sur sa carte ! Avec les 51 grands crus dont je parlais, avec le pinot noir qui a pris cette étonnante ampleur en termes de qualité, il y a largement de quoi faire découvrir aux clients. Et c’est sans compter les vins de macération, qui font un tabac dans les grandes villes à la clientèle cosmopolite. Là, le vin d’Alsace est hyper bien placé, avec sa très large palette ! Personnellement, je m’astreins à aller dans le vignoble alsacien chaque mois, au contact le plus étroit avec les vignerons. Ça me rend très spontané avec les clients et je pense que ça compte au moment de les persuader de choisir un vin d’Alsace. »
Coralie Andt
Au Pont Corbeau
Strasbourg
On ne pouvait pas terminer cette balade alsacienne sans pousser la porte de cette authentique winstub créée en 1979, située à deux pas de la cathédrale. On s’y serre sans être pour autant mal à l’aise, les yeux caressent la chaude chaleur des boiseries traditionnelles, une petite touche de carreaux noirs et rouges sur l’un ou l’autre abat-jour, les nappes en kelsch et les nombreux plats locaux sur la carte : tous les codes sont là, assurément.
Et côté vins, c’est Coralie Andt, la fille du fondateur Christophe Andt, qui pilote. Il faut absolument l’écouter parler du vin, juste pour se délecter de la passion que ses mots transmettent : « Mon père a toujours veillé à enrichir sa cave avec les vins d’Alsace, en prenant soin de les conserver pour les vendre au bon moment. Cela veut dire attendre pendant quatre, dix, quinze ans, voire plus quelquefois. Au fil des années, mes parents Martine et Christophe ont su étoffer leur carte. Avec notre cave qui a quarante-cinq ans, on a donc pu conserver et élever les différents vins pour les servir au moment optimum de leur qualité. Si celle-ci est présente dès le départ, si le vin bénéficie à plein des spécificités de son terroir, il va parler à partir de dix ans, c’est-à-dire au moment où il va commencer à minéraliser pour atteindre ce que l’on appelle la “troisième dimension”, ces arômes exceptionnels qui explosent en bouche. »
Sur le sujet de la mise en place des vins d’Alsace sur les tables régionales, Coralie reconnaît « qu’il reste toujours des gens à convaincre, car l’Alsace a pu, par le passé, produire des vins sur lesquels on avait abusé de la chimie. Si vous ajoutiez les noms imprononçables plus la présence excessive de sucre, ça ne passait pas, effectivement. Cette période est heureusement complètement révolue. Les vignerons, notamment les plus jeunes, ont tellement compris ça que je trouve qu’ils sont aujourd’hui très en avance sur le reste des viticulteurs français. J’ai vécu moi-même, avec mes parents, le passage aux vins nature avec cette diminution extraordinaire des intrants. Cela a considérablement renouvelé l’image de nos vins, et le fait que nos vignerons se soient mis à sortir de leurs domaines et à beaucoup communiquer a fait le reste. Ils ont compris qu’il fallait aller vendre l’Alsace en dehors de ses terres » s’enthousiasme-t-elle.
Coralie Andt reconnaît bien volontiers que la maison « ne possède pas son sommelier attitré. Ici, le sujet du vin est une question de partage, comme au plus authentique de la tradition des winstubs. Nous sommes les derniers à maintenir une gestion familiale et ça se sait. On fait bien notre boulot, je pense, et les gens qui viennent consommer au Pont Corbeau sont là pour vivre un petit moment d’Alsace avec le meilleur de ses traditions et, bien sûr, ses vins de
terroir. C’est simple, authentique et sans chichi, quoi… »
Et puis, il y a aussi cette légende qui court sur cette cave mythique, constituée depuis plus de quatre décennies : « On a plusieurs endroits, en fait » disserte mystérieusement Coralie. « Il y a la cave du jour et la cave de vieillissement, pour avoir le vin à portée de main. C’est ici, ou pas loin… » ajoute-t-elle en s’amusant manifestement beaucoup. « Et puis, il y a encore un autre lieu où on stocke ce qui rentre. Quoi qu’il en soit, j’y pénètre toujours comme dans un magasin de jouets et je sais exactement quel vin il faut sortir ce jour-là, je sais les vins qui arrivent à leur maturité idéale et qui vont faire plaisir à nos clients. Je ne sais pas qui ce sera, mais je sais que dans la semaine, telle ou telle bouteille ravira celui qui l’a commandée. »
Toujours aussi mystérieuse, quand on lui demande combien de bouteilles de vin d’Alsace sont disponibles dans les différentes caves de la maison, la maîtresse des lieux élude avec un « il y en a pas mal, en effet ». Pas moyen d’en savoir plus : « Nous, ce qu’on veut, c’est avoir la bonne bouteille d’Alsace au bon moment, pour la bonne personne. »
Du haut de ses trente-six printemps, Coralie Andt entend donc perpétuer la tradition bien connue du restaurant du Pont Corbeau : la plus authentique tradition de la winstub avec la plus belle cave de Strasbourg. b
Bien plus qu’un monument !
Des visites commentées qui vous invitent à découvrir les 900 ans d’histoire de la forteresse, aux visites théâtralisées avec un personnage du Moyen Âge, en passant par les visites thématiques, les ateliers à destination des familles ou encore les différents événements… Les occasions de découvertes inattendues sont nombreuses au château du Haut-Kœnigsbourg !
Programmation et actualités sur : haut-koenigsbourg.fr
JEUNES VIGNERONS : DOMAINES À SUIVRE EN 25 2025
Pour ce deuxième numéro consacré au vin d’Alsace et à ceux et celles qui le font, nous avons décidé de mettre en lumière quelques-unes des plus belles promesses de ce vignoble, pour certaines d’ailleurs déjà largement tenues.
Puisque l’année 2025 va bientôt s’ouvrir, nous en avons choisi 25. Nous aurions pu en sélectionner 50 tant nos terroirs regorgent de pépites et débordent de vitalité, mais ce sera pour 2050 et le n° 28 du Or Norme hors-série spécial « Vins d’Alsace ».
En attendant, voici 25 domaines dans lesquels de jeunes vignerons et vigneronnes travaillent la terre en duo, en fratrie, en couple ou en solo avec des approches différentes, mais complémentaires. Mus par la même passion.
Une sélection par définition forcément partiale et assumée comme telle, mais qui illustre l’incroyable richesse et la formidable diversité de ce vignoble.
Théo Schloegel
DOMAINE
CLÉMENT LISSNER à Wolxheim
Arthur Bohn
DOMAINE BOHN à Reichsfeld
Adrien Stoeffler
DOMAINE VINCENT STOEFFLER à
Barr
Louis Maurer
DOMAINE ALBERT MAURER à Eichhoffen
Jules et Fanny Kleinknecht
DOMAINE
KLEINKNECHT à Mittelbergheim
Audrey et Loïc Weinzaepfel DOMAINE
WEINZAEPFEL à Soultz (Haut-Rhin)
Denis Hebinger FAMILLE HEBINGER à Eguisheim
Florian Spannagel LES VIGNES DU VINGABOND à Kientzheim
Angela et Ghislain Moritz-Prado MAISON MORITZ-PRADO à Albé
Jérôme François et Morgane Stoquert LA GRANGE DE L’ONCLE CHARLES à Ostheim
David Koeberlé
DOMAINE MULLER-KOEBERLÉ
à Saint-Hippolyte
Florent et Charlotte Boxler
DOMAINE
JUSTIN BOXER à Niedermorschwihr
Céline Loberger
DOMAINE LOBERGER à Bergholtz
Clément et Sylvain Goepp
À l’équilibre Mittelbergheim
C’est un petit village de 620 âmes entièrement dévouées – ou presque – à la viticulture. Préservé, Mittelbergheim s’offre aux visiteurs de la Route des vins d’Alsace comme son grand cru à votre palais : un étonnement riche d’élégance.
CLa maire de la Ville, Marie-Josée Cavodeau m’avait prévenu : « Ici, ce n’est pas un village-dortoir. On a de l’activité à plein temps, des touristes qui visitent les caves. Il y a une vraie passion de la vigne qui se transmet de génération en génération. »
Un discret gruyère
Justement. Trois Allemands, Christiane, Peter et Harald, poussent la porte du petit caveau chauffé par un poêle. Venus de Fribourg, ce sont des habitués. « Le vin me fait des aphtes, mais pas celui-ci ! », rigole Christiane dans un joli français imprégné de la langue de Gœthe. « Oui, on a du vin en Allemagne, mais on préfère celui-ci, le crémant est meilleur ici. Et puis c’est un village magnifique, joli, attractif. Il n’est pas… protzig ! (prétentieux) » Ici, on n’est donc pas m’as-tu-vu. Un charme discret,
ela fait déjà plusieurs minutes que j’ai quitté l’autoroute pour serpenter à travers le vignoble. Les vendanges sont terminées depuis quelques jours, voire quelques heures pour certains. Cette année, il a fallu faire vite, avec toute cette humidité. Les couleurs de l’automne sont déjà là, et un coup d’œil sur la droite m’offre la vue sur Mittelbergheim, légèrement en hauteur au-dessus des vignes. Ici, la seule fortification, c’est le raisin. Il enserre tout le village. Tout en dénivelé et en rues étroites, Mittelbergheim est fait pour le vagabondage, sac au dos. Les façades Renaissance sont étonnantes, massives, hautes, sculptées. Loin de l’image typique de la construction à colombages. Thomas Boeckel m’attend dans son caveau, et il fait partie des mémoires du village. Lui n’a que 50 ans, mais sa famille vit dans la même maison depuis cinq siècles. « Les Romains ne se sont pas installés par hasard », attaque Thomas, une bouteille de riesling Clos Eugénie à la main. « Ils ont trouvé de quoi faire une carrière ici, mais aussi beaucoup d’eau. On a compté jusqu’à 40 puits dans Mittel. » Et s’il ne reste guère de documents pour en attester, la culture de la vigne semble elle aussi séculaire.
« On a une matière première qui est primordiale.
Le vigneron va s’adapter à cette matière, qui est changeante, et moi c’est
David Seltz
pareil. »
assumé, et protégé par les habitants. « Il y a du respect pour ce que les anciens ont fait », poursuit Thomas Boeckel. « On essaye de préserver les exploitations, les traditions. »
Le temps d’un auf wiedersehen , et Thomas m’emmène dans la cave. Je ne cache pas mon étonnement face à ces dédales insoupçonnés. « Mittel, c’est un gruyère ! », sourit le vigneron. « Comme on a un sol très dur, très stable, on a pu creuser des caves sans risque. Si vous allez chez mes collègues, c’est pareil. » Il y aurait donc plus à voir en dessous qu’au-dessus ? L’Histoire s’écrit en tout cas sous mes yeux. Des bouteilles de 1911 sont encore là. « Il faut savoir que le vin blanc d’Alsace se garde très bien. »
Si l’on est ici dans le fief du sylvaner version grand cru sur le Zotzenberg, seul grand cru reconnu pour ce cépage, Thomas Boeckel ne veut surtout pas s’y réduire. « Le Zotzenberg, bien sûr, c’est la plus belle expression pour le sylvaner, c’est avec ce cépage que le terroir s’exprime le mieux. Mais on a aussi le Stein, qui est blotti contre le village, à l’abri des vents du nord, et qui est un superbe terroir qui peut donner des vins rouges magnifiques. On a le Brandluft un peu plus haut, le Oberpfoeller également… » Ce qui nous amène sur un autre terrain : le cépage ou le terroir ? « Je crois qu’il faut oublier le cépage pour se concentrer sur le terroir, mais surtout trouver la
meilleure combinaison des deux. Il faut que les gens boivent un grand cru Zotzenberg, parce que c’est un grand cru Zotzenberg, pas parce que c’est un sylvaner. » Et à la dégustation, la finesse, l’élégance, l’équilibre de ce blanc d’exception ne donnent pas tellement d’indication sur le cépage. Ce qui n’a finalement que peu d’importance.
« Redorer le blason du sylvaner »
Serge Dubs, Meilleur sommelier du monde 1989, se rappelle, lui, des premières heures de ce sylvaner qu’il a fallu sauver. Il a fait partie de ceux, avec Thomas Boeckel et Albert Seltz, qui ont toujours eu un regard pétillant quand il fallait évoquer ce cépage délaissé et déclassé après avoir connu les grandes heures de la consommation courante, et qui se sont battus griffes et ongles pour lui redonner ses lettres de noblesse. Trop sec, soi-disant pas assez fin, pas assez rond, il était passé de mode. « J’avais organisé une dégustation à l’aveugle à l’époque, au début des années 2000 », se souvient Serge Dubs. « Je voulais que le sylvaner soit dans cette dégustation. Et ce cépage était, sur le Zotzenberg, largement aussi bon que les autres qui avaient l’appellation grand cru. Il était temps de redorer son blason, c’est fait et c’est tout à fait mérité. »
Je laisse Thomas pour arpenter le village. Tout de suite en face, l’ancien hôtel, désaffecté depuis quelques années. Une vraie perte pour Mittelbergheim, même si Le Sarment offre une jolie possibilité de halte. La restauration, elle, survit grâce aux efforts des trois derniers restaurateurs du village qui méritent le détour.
Je tourne dans une petite cour pour rencontrer David Seltz, l’ébéniste, et je tombe sur Olivier, son voisin, en train de nettoyer une quantité faramineuse de champignons. Trompettes de la mort, chanterelles, laqué améthyste… « Comptez pas sur moi pour vous donner mes coins. Mon père n’en trouve pas alors qu’on trébuche dessus. On peut y aller à la faux tellement il y en a en ce moment. » La scène est totalement pagnolesque. David arrive avec son vélo. Il m’ouvre son atelier.
L’une des sources d’approvisionnement, ce sont les anciens tonneaux de vin. Ici, une table, là un meuble, plus loin un bureau. Le natif de Mittelbergheim, qui en est un peu parti, mais vite revenu, apprécie autour de lui « cette activité viticole dense et qualitative. Ils sont presque tous en bio aujourd’hui (à 80 % – ndlr) ». Et son métier d’ébéniste le rapproche aussi un peu de celui de ses voisins : « On a une matière première qui est primordiale. Le vigneron va s’adapter à cette matière, qui est changeante, et
moi c’est pareil. Ou comme un cuisinier qui va devoir composer en fonction de son marché. Chaque arbre, chaque essence a sa particularité, comme un cépage peut avoir la sienne. Les couleurs, la tension… Cela demande de la lecture et une connaissance profonde du matériau. » Reviennent alors en mémoire ces mots de Thomas Boeckel quand il évoquait les différents terroirs de Mittel : « On doit trouver l’équilibre pour avoir la meilleure définition du terroir. » Et pour cela, il en faut une maîtrise parfaite. Ici l’orientation des vents, là un sol plus calcaire, là-bas une meilleure exposition au soleil. Et quel grain exploitera au mieux ces conditions ? C’est l’œil et l’expertise du vigneron qui doit le dire.
De la bonne vigne au bon vivant
Les seize viticulteurs de Mittelbergheim semblent aujourd’hui à peu près sur la même longueur d’onde quant au « développement » d’une activité florissante depuis le milieu du xixe siècle, et l’arrivée de la ligne de chemin de fer Strasbourg-Molsheim-Barr.
Très peu de nouvelles constructions, très peu de modifications du cadastre, et peu de besoins de produire encore plus. Mittel a trouvé son équilibre. Un peu comme son vin. Olivier, lui, a « pris 15 kilos depuis 2019 », date de son arrivée au village. Il y a sans doute une raison à cela, et, alors que le carillon sonne très légèrement faux au-dessus de nous, c’est David qui nous la donne, dans un sourire et sous ce bonnet qui ne le quitte jamais : « Mittelbergheim, c’est un village plutôt épicurien. »
L’étiquette de « Plus beau village de France » le rend attractif. Ses vins s’exportent dans le monde entier – une palette attend son transporteur pour Auckland en Australie. Son architecture un peu à part lui donne un cachet inattendu sur cette Route des vins d’Alsace que je vais reprendre dans l’autre sens. Un dernier arrêt pour une dernière photo. J’ai failli réussir à mettre la cigogne au premier plan, mais elle s’est un peu trop méfiée de moi. Je quitte un village qui dégage beaucoup de sérénité et de fierté. « On est heureux parce qu’on aime notre métier », me disait tout à l’heure Thomas. Mittelbergheim, c’est du bonheur en grappes. b
Des origines italiennes ou allemandes ?
D’où vient le nom de Mittelbergheim ?
On l’a dit, ce sont les Romains qui ont développé le site et ses richesses naturelles. La première intuition serait donc de chercher vers le latin, et notamment Berchem, le « cheval de complément ». Autrement dit, un lieu où l’on pourrait changer de monture pour poursuivre sa route, avant notamment d’arriver à Scharrachbergheim, qui serait dérivée de scara, la Poste, donc un relais postal de l’Empire romain. En l’an 880, le village s’appelait ainsi Villa Bergheim. Mais quand les Romains arrivent, les Suèves, une peuplade germanique, ont déjà chassé les premiers habitants celtiques. Et Berg signifiant « montagne », on peut imaginer qu’un village ici posé aurait pu être « le foyer de la montagne du milieu » (mittel-bergheim), puisqu’on n’est pas tout à fait en altitude. Impossible toutefois de dire si cette colline était déjà occupée à l’arrivée des Romains. Plus tard, au IXe siècle, les terres vont passer sous la tutelle de la noble famille de Berckheim… Et à partir du XVIe siècle, les 14 lettres du nom resteront définitivement sous l’appellation que l’on connaît aujourd’hui. S.R.
b LA RENAISSANCE DES VINS ROUGES D’ALSACE
Et rougir de plaisir
Région réputée pour ses vins blancs, l’Alsace est en train de réinventer son identité viticole avec une réémergence des vins rouges, élaborés à base de pinot noir, seul cépage autorisé par l’AOC. Longtemps boudés, considérés comme moins prestigieux que ceux d’autres régions, ils ont, depuis une quinzaine d’années, atteint un niveau remarquable. Une renaissance portée par des vignerons innovants et… les effets du réchauffement climatique.
« Avec l’évolution
des goûts des amateurs et
la reconnaissance croissante des terroirs alsaciens, le pinot noir bénéficie d’un regain d’intérêt. »
est une anecdote qui circule dans les milieux viticoles alsaciens sans que personne ne sache s’il s’agit d’une légende urbaine. Dans les années 80, lors d’une dégustation à l’aveugle réalisée à Strasbourg, un vin rouge par nature inconnu, aux arômes envoûtants de cerise et de sous-bois, aurait fait sensation auprès des experts présents. Tous les dégustateurs auraient alors vanté la finesse et la profondeur du nectar, imaginant un bourgogne, profond, ample, lui trouvant les qualités de son terroir. Ce n’est qu’à la fin de la soirée que le mystère sera levé : ce vin n’était pas un bourgogne, mais, oh surprise, un pinot noir d’Alsace ! Inventé, exagéré ou réel, cet épisode dit au moins quelque chose du fantasme qui accompagne depuis toujours ou presque ce cépage qui, quand il est bien maîtrisé, peut rivaliser avec les plus grands rouges de France.
Car comme en Bourgogne, l’histoire des vins rouges en Alsace est étroitement et spécifiquement liée à celle du pinot noir, seul cépage carmin produit sous l’appellation AOC régionale. Sous l’influence des abbayes et des grandes familles nobles, sa culture a traversé les siècles. Au Moyen Âge, il pouvait même rivaliser en qualité, en prix et en réputation avec son voisin bourguignon avant de péricliter au début du xviiie siècle au point de ne plus occuper que 2 % de la surface du vignoble.
Pendant des décennies, les rouges alsaciens ont joué les utilités et, s’ils n’ont pas disparu, c’est parce qu’ils ont trouvé un débouché en entrant dans la composition des crémants, rosés notamment. Pour le reste, ils étaient conçus et vus comme des vins de soif, légers, dilués, à boire frais sans
la profondeur des grands crus bourguignons devenus la référence absolue. Ce n’est qu’il y a une vingtaine d’années qu’ils ont commencé à se faire une place sur la scène viticole, grâce à des vignerons ayant amélioré leurs techniques de culture et de vinification, travaillé les vieilles vignes, limité les rendements et pris conscience de la nécessité de planter le pinot noir non plus seulement là où il restait de la place, mais sur des sols propices.
Avec l’évolution des goûts des amateurs et la reconnaissance croissante des terroirs alsaciens, le pinot noir bénéficie d’un regain d’intérêt. Des vignerons tels Albert Mann, installé à Wettolsheim dans le HautRhin, Jean-Paul Schmitt dont les vignes s’étendent sur les coteaux du Rittersberg du côté de Scherwiller, René Muré à Rouffach, et d’autres ont contribué à ce renouveau, en adoptant des méthodes modernes comme la vinification en barriques, et en s’appuyant sur les caractéristiques des grands crus.
Le Kirchberg de Barr, un terroir d’exception, le Hengst à Wintzenheim, un terroir puissant
Dotée d’une géologie exceptionnelle, l’Alsace peut en effet compter sur la diversité de ses sols pour développer des vins uniques. Cépage subtil, mais capricieux, le pinot noir trouve dans la région les conditions idéales pour s’exprimer. D’ailleurs, certains terroirs emblématiques, historiquement associés aux blancs, tels que le Kirchberg de Barr
« Le réchauffement climatique est à la fois un défi et une opportunité pour les vignerons. En Alsace, le pinot noir atteint désormais des niveaux de maturité inimaginables, de ceux que personne n’aurait imaginés il y a vingt ans. »
et le Hengst à Wintzenheim, en offrent de remarquables exemples.
Classé depuis 2022 en grand cru, le Kirchberg de Barr est situé sur des coteaux exposés sud-est, au-dessus du village de Barr. Reconnu pour ses vins blancs issus du riesling et du gewurz, ce terroir présente des parcelles idéales pour le pinot noir. Les sols calcaires et marno-calcaires offrent une belle concentration du raisin, favorisant des rouges d’une grande fraîcheur, avec des tanins fins et une acidité bien intégrée. Le Kirchberg profite aussi de conditions climatiques optimales qui retardent légèrement la maturité des raisins, garantissant ainsi une acidité naturelle préservée, même dans les millésimes chauds. Les vins produits se signalent par leur élégance et leur complexité.
Également tout juste classé en grand cru, le Hengst, près de Colmar, s’épanouit sur des coteaux bénéficiant d’une exposition plein sud. Les sols marno-calcaires lourds, riches en argile, confèrent au pinot noir une puissance exceptionnelle. Ce terroir produit des vins rouges charpentés, avec des arômes de fruits noirs, des notes épicées et des tanins fermes, qui nécessitent toutefois quelques années de garde pour s’assouplir. Le Hengst est reconnu pour produire des vins de longue garde. Dans les meilleures années, ces vins affichent une profondeur et une densité rarement atteintes en Alsace, avec une structure tannique rappelant parfois certains rouges de Bourgogne. Ce potentiel de vieillissement, couplé à la richesse du terroir, fait du Hengst un des rares terroirs alsaciens capables de produire des vins rouges d’une telle ampleur. Sur des sols comme le Kirchberg de Barr et le Hengst, la sélection parcellaire
est cruciale. Les producteurs adoptent des macérations plus longues, favorisant l’extraction des tanins et des arômes complexes du pinot noir. Les fûts de chêne, utilisés avec parcimonie et en limitant le bois neuf qui pourrait « marquer » le vin, apportent de la structure sans dominer le fruit. Au domaine Albert Mann, la vinification des rouges du Hengst fait ainsi l’objet d’une attention toute particulière, avec des élevages de 12 à 18 mois en barriques pour permettre aux tanins de s’affiner et aux arômes de se développer. Sur des terroirs puissants comme le Hengst, où la minéralité et la structure sont au cœur du vin, la biodynamie et les pratiques naturelles prônées par Christian Binner permettent de révéler toute la complexité du sol, sans altération par des intrants chimiques.
Les
effets du réchauffement
climatique, un mal pour un bien…
Le réchauffement climatique est à la fois un défi et une opportunité pour les vignerons. En Alsace, le pinot noir atteint désormais des niveaux de maturité inimaginables, de ceux que personne n’aurait imaginés il y a vingt ans. En effet, la région bénéficie d’un climat semi-continental avec des étés chauds et des hivers froids, mais les sommets vosgiens la protègent des influences océaniques, ce qui en fait une des plus sèches de France. Cette combinaison, qui peut être un handicap certaines années, permet une maturation lente du raisin, essentielle pour le développement des arômes du pinot noir.
Le réchauffement climatique a, en ce sens, joué un rôle paradoxal : bien qu’il pose
Entre la préparation des plants (photo du milieu) et la récolte, plusieurs années s’écouleront. Vingt-cinq ans est un bel âge pour les vignes de pinot noir, c’est à partir de ce moment-là qu’elles commencent à donner toute leur mesure.
« Le pinot noir est un caméléon, capable de s’imprégner de chaque recoin de terroir, mais en Alsace, il devient un vin rouge d’une finesse aérienne, un secret bien gardé des amateurs éclairés. »
Hugh Jonhson
des défis en matière de viticulture (risque de surmaturation, sécheresse, maladies, etc.), il permet aussi au pinot noir de gagner en concentration et en richesse dans des terroirs où il avait auparavant du mal à mûrir pleinement. Les grands crus comme le Kirchberg de Barr et le Hengst de Wintzenheim bénéficient de ce changement, donnant naissance à des rouges plus expressifs et plus intenses.
Jusqu’alors jugés inadaptés à la région, certains cépages peuvent désormais être cultivés et la production du cépage venu historiquement de Bourgogne – et qui trouve en Alsace, on l’a dit, un terrain d’expression d’une variété formidable –, gagne encore en qualité. Les producteurs doivent cependant rester vigilants face aux risques liés à la surmaturation et aux maladies fongiques, en adaptant leurs pratiques.
Le pinot noir, nouvel Eldorado alsacien ?
« Le pinot noir est un caméléon, capable de s’imprégner de chaque recoin de terroir, mais en Alsace, il devient un vin rouge d’une finesse aérienne, un secret bien gardé des amateurs éclairés », estime l’écrivain britannique Hugh Jonhson, sommité internationale en matière de vin.
Alors que les vins rouges alsaciens étaient autrefois destinés principalement à une consommation locale, la fameuse petite bouteille consommée le midi, leur popularité à l’international ne se dément pas. Les pinots noirs d’aujourd’hui se distinguent par leur finesse, leur fraîcheur et leur capacité de garde, les rendant de plus
en plus attractifs pour les sommeliers et les consommateurs avertis. Le tout à un prix défiant toute espèce de concurrence.
De fait, les rouges alsaciens commencent à se faire un nom sur les marchés étrangers, notamment aux États-Unis et en Asie, où la demande pour des vins élégants et raffinés est en forte augmentation après le triomphe des vins parkerisés, marqués par le bois et la puissance. Les trois grands crus, et les seuls grands crus rouges, que sont le Kirchberg de Barr, le Hengst et depuis quelques mois le Vorbourg situé sur les bans communaux de Rouffach et de Westhalten, sont souvent mis en avant dans les concours internationaux, remportant des médailles et des distinctions qui renforcent leur réputation d’excellence. Les sommeliers de tables étoilées ou réputées, eux, leur offrent quant à eux une nouvelle exposition en choisissant de les installer de plus en plus souvent sur les cartes de leurs établissements.
L’Alsace, toujours largement dominée par ses vins blancs avec un rapport de 90 % pour les cépages blancs et de 10 % pour le cépage rouge, vit aujourd’hui une nouvelle aventure. La tendance des consommateurs à aller vers des vins plus naturels et plus authentiques, des vins dits de « lieux », favorise les approches comme celle de Marcel Deiss, qui mise sur l’expression du terroir. Leader incontestée du bio et de la biodynamie, l’Alsace se positionne aussi comme une région innovante et authentique sur le marché des rouges. Encore faut-il que la valorisation de la production suive. Si les rouges de Bourgogne trouvent acquéreurs en dépit de leurs prix parfois prohibitifs, ceux d’Alsace, pour l’heure, ne sont pas encore en mesure de s’aligner. b
Julien et Sophie Schaal Un couple deux hémisphères
Installés à Hunawihr depuis un peu plus d’un an, Julien et Sophie Schaal produisent des vins en Alsace et en Afrique du Sud. Un double projet qu’ils mènent ensemble beaucoup, séparément un peu aussi.
La maison couleur miel de Julien et Sophie Schaal se fond parfaitement dans le vignoble de Hunawihr, déjà enluminé par l’automne. À côté de la demeure principale, un entrepôt de la même tonalité fauve héberge des cuves en acier et des barriques en bois et cinq grosses cuves ovoïdes, arrivées par container d’Afrique du Sud. Un coup de peinture noire a été passé sur le béton des murs et celui des œufs, et l’espace accueille désormais les visiteurs venus découvrir et déguster les vins que le couple élève en Alsace et ceux qu’il produit en Afrique du Sud. Il flotterait l’odeur du neuf dans la partie attenante qui sert de lieu de stockage si le raisin qui macère dans les cuves en plastique n’embaumait tout l’espace. Les vendanges viennent de s’achever, les dernières bourriches sont rentrées, elles attendent de finir dans le pressoir. « Enfin chez nous ! », lâche tout sourire le couple Schaal, aussi heureux que soulagé, après avoir subi les contraintes et aléas des travaux. « L’année dernière, on a déjà vinifié ici, mais on faisait construire la maison en même temps, c’était un le chantier. Il
faut imaginer : on avait une seule prise de 32 ampères qu’on partageait entre la scieuse de briques et le pressoir. C’était loin d’être parfait, mais avec le recul, c’était assez drôle et, surtout, c’était un rêve pour nous », précise Sophie. « En 2011, quand Julien a démarré le projet des grands crus, on était en location à Saint-Hippolyte. 2023, c’est la première année où on était lâché comme des grands et où on était chez nous. C’est magique ! »
Une rencontre en Afrique du Sud
Cette alchimie semble opérer depuis plusieurs années pour le Strasbourgeois et la Bourguignonne, qui se sont rencontrés en Afrique du Sud, pays qu’ils avaient tous les deux choisis pour parfaire leur anglais. « J’ai fait mes études à Beaune, un BTS commerce du vin et viticulture-œnologie », se souvient Julien Schaal. « Quand j’ai terminé mon cursus, j’ai travaillé à Châteauneuf-du-Pape avant d’accepter la proposition d’un copain qui vendait des barriques françaises en Afrique du Sud. Comme les saisons sont inversées, les vendanges se déroulent en février-mars,
« En 2003, j’ai travaillé dans la région d’Hermanus, à une centaine de kilomètres du Cap, là où on peut voir les baleines. J’ai découvert
un pays fabuleux. »
Julien Schaal
époque où le climat est plus sympa dans l’hémisphère sud. En 2003, j’ai travaillé dans la région d’Hermanus, à une centaine de kilomètres du Cap, là où on peut voir les baleines.
J’ai découvert un pays fabuleux. »
« Quand le domaine m’a demandé de revenir en tant qu’employé, j’ai tout de suite accepté », reprend le jeune quadragénaire.
« La deuxième année, j’ai fait la connaissance de nombreux winemakers établis dans la même vallée dont l’un, Gordon Newton Johnson, m’a proposé de le rejoindre, sans salaire, mais en m’offrant la possibilité de faire mon propre vin. J’ai rassemblé tout l’argent que j’avais, c’est-à-dire environ 5000 euros que mon grand-père m’avait donnés pour acheter une voiture, et je m’en suis servi pour m’acheter des raisins et quelques vieilles barriques… Tout est parti d’une opportunité, et puis ça a grandi et aujourd’hui, je fais entre 50 et 60 000 bouteilles à l’année. »
« Même si je ne suis pas issue d’une famille de viticulteurs, j’ai grandi dans l’univers du vin », enchaîne Sophie qui, après des études à Dijon et l’obtention d’un diplôme d’œnologue, a elle aussi fait le grand saut jusqu’en Afrique du Sud, un pays qui l’attirait. « Je suis arrivée chez Paul Cluver en 2013 où j’ai rencontré Julien. Cela ne m’a pas aidé à parfaire mon anglais (rires). Finalement,
j’ai changé mes plans en rentrant en France et j’ai quitté la Bourgogne pour m’installer en Alsace. » Depuis, le couple mène une double vie, entre l’Alsace et l’Afrique du Sud, où il passe deux mois par an en cumulé ; une double vie entre deux vignobles séparés par près de 13 000 km.
Qui se ressemble, assemble…
Si, en 2013, elle rejoint le projet de négoce des grands crus que son époux a lancé avec Olivier Biecher deux ans plus tôt, en parallèle de sa production sud-africaine, Sophie Schaal ne tarde pas à concevoir ses propres assemblages. « Ce sont des génériques AOC Alsace. Que du bio ! Avec mes vins, on peut s’amuser un peu plus qu’avec ceux de Julien. On peut assembler différents terroirs sur le riesling, ou encore élever le pinot gris en barrique à la bourguignonne », développe-t-elle. « J’ai également lancé ma propre gamme en Afrique du Sud avec du chenin et de la syrah. Je souhaitais quelque chose qu’on ne connaissait pas encore, et le chenin a une expression fabuleuse là-bas. »
Pour ne pas mélanger les genres et différencier leurs deux projets, même s’ils sont menés en commun, les Schaal décident de
faire nom à part. À Julien les riesling grands crus en Alsace, le chardonnay et le pinot noir à Elgin, à 70 km au sud-est du Cap. À Sophie le chenin et la syrah dans la vallée du Swartland (au nord du Cap) ainsi que le pinot noir, le riesling, le pinot gris et le gewurz en Alsace. Lorsqu’ils mettent leur production alsacienne en commun, celle-ci avoisine les 90 000 bouteilles par an. « Commercialement, c’est plus simple à comprendre », estime la globe-trotteuse. « Ça reste la même famille, l’ensemble de l’équipe, c’est Julien et moi – et deux enfants, l’aîné de treize ans étant largement mis à contribution pour l’étiquetage le samedi. On travaille autant l’un pour l’autre, Julien pour mes vins et moi pour les siens ». Ensemble lors des vacances scolaires ou séparément quand cela s’impose, ils voyagent pour vanter les mérites de leurs flacons qu’ils exportent dans une vingtaine de pays, du Portugal au Japon, en passant par les États-Unis, les Émirats arabes unis ou encore l’Île Maurice.
« On rêve de s’essayer à la viticulture »
Ne descendant ni l’un ni l’autre d’une famille de viticulteurs, et n’ayant par conséquent hérité d’aucun domaine, Julien et Sophie Schaal ont souvent eu à répondre à la fameuse question : « Vous n’avez pas de vigne ? » Une interrogation qui ne fait pas pour autant vaciller la légitimité de leur entreprise. « C’est très courant en Afrique du Sud d’acheter du raisin et de le vinifier. Il y a beaucoup de winemakers et de producteurs de raisin. C’est assez rare qu’un domaine ait les deux, c’est-à-dire que le propriétaire de la vigne aille jusqu’à la commercialisation du produit », développe l’œnologue de 34 ans. « C’est le modèle sud-africain qu’on a importé en Alsace avec cette approche de négoce et de vinification. Ça nous a décomplexés sur le fait de ne pas avoir de vigne : on peut quand même rêver et faire le vin dont on a envie. »
Si devenir propriétaire d’une parcelle est difficilement envisageable en Afrique australe, cela reste possible en Alsace. « On rêve de s’essayer à la viticulture, mais on ne sait pas du tout si on arrivera », estime Julien Schaal. « La prochaine étape, d’ici cinq ou six ans, ce sera d’acheter des vignes. Je trouve qu’on vit une période inédite où il y a des choses qui se débloquent et où on peut avoir accès à des vignes en grand cru alors qu’avant, ce n’était même pas la peine d’y penser. » Un nouveau rêve qu’ils réaliseront évidemment à deux… b
« La prochaine étape, ce sera d’acheter des vignes. Je trouve qu’on vit une période inédite où il y a des choses qui se débloquent et où on peut avoir accès à des vignes en grand cru. »
La révolution orange
Quand on est béotien, il y a quelque chose de fascinant et d’irritant à découvrir le vocable du vin. Quilles, glouglou, oxydatif, tanin, croquant, jus, minéralité, astringence et j’en passe pour définir ce qui se vit en bouche et/ou dans la… quille. Et dans la… quille, c’est parfois rouge, parfois blanc, parfois rosé, parfois pétillant et, depuis peu (en réalité non, mais on y reviendra), parfois orange. À chacun sa force !
Puisqu’il est souvent question de vocabulaire, commençons par nous entendre sur les termes : on dit vin orange, vraiment ? Petit tour de table : Delphine Castel, vigneronne : « Moi je dis vin orange, ou parfois vin ambré, mais c’est la même chose. Ce n’est pas comme pain au chocolat ou chocolatine, on n’est pas obligé de choisir son camp ! »
Éric Kamm, vigneron : « Ouais bon, moi ça ne m’intéresse pas trop ces trucs de termes, c’est un peu des modes quoi. Je dis macération ou vin orange, de toute façon on sait de quoi ça parle. »
Steeve Zaegel, (caviste et vigneron) : « On m’a fait découvrir ces vins en disant macération alors je dis macération, mais bon c’est pas non plus déterminant. »
Laëlien Lecerf, (bistrotier) : « C’est sûr qu’il y a un effet de mode qui fait qu’on entend le plus souvent vin orange, moi j’ai plutôt tendance à dire macération, mais je m’adapte, c’est mon métier ! »
Bref, tout le monde s’accorde à dire que cette histoire d’appellation n’est pas fondamentale pour un vin dont l’émergence est autant le fruit d’une curiosité que l’expression d’une mode, en grande partie liée, mais pas seulement évidemment, à l’avènement du vin nature. Voilà pourquoi on pourrait s’amuser à rajouter une autre dénomination : l’orangé. Après tout, on dit bien le rosé n’est-ce pas ? Qui d’ailleurs est lui aussi la conséquence d’une macération. Bref. Nous voilà donc devant la première chicane de cet article : expliquer ce qu’est le vin orange aka la macération.
Techniquement, la macération est une opération consistant à faire tremper, plus ou moins longtemps, des substances alimentaires dans un mélange aromatique,
« Les macérations permettent de rendre plus digeste un vin, de lui enlever du sucre notamment. »
soit pour les conserver, soit pour les parfumer. Appliquée au vin, on retiendra cet alinéa d’Éric Kamm, d’un pragmatisme souvent salutaire : « Il y a bien longtemps de cela, il y avait des pressoirs communaux et pendant que les gens faisaient la queue, hop le processus de macération avait démarré. On n’a rien inventé ! »
« Les macérations permettent de rendre plus digeste un vin, de lui enlever du sucre notamment », détaille Delphine Castel. « C’est pour cela que c’est plus efficace sur les gewurz, les muscats et les pinots gris, mais plus compliqué avec le riesling qui en contient moins. Ça peut aussi dépendre de la météo. S’il pleut beaucoup par exemple, la macération peut être un plus gros risque. Les bons vignerons réfléchissent ! Moi je suis têtue comme une mule, je pense toujours macération ! »
Éric Kamm enquille : « Ma première macération c’était en 2011. À cette époque c’était une niche. J’avais une idée de terroir plus que de commercialisation. Je suis un peu moins fan du côté “on tire une couleur orange parce que c’est funky”. Aujourd’hui, quand on ne sait plus quoi faire d’un cépage parce que ça n’a plus la cote, hop, on tire une petite macération. » Et de préciser : « Le vrai sens de la macération c’est de faire ressortir des éléments un peu inédits, du tanin qu’on n’aura pas en presse directe, ou une acidité un peu différente, une dimension entre le blanc et le rouge. Le point positif des macérations, c’est que ça fermente mieux que la presse directe, tu peux terminer tes sucres plus facilement. Mais ce n’est pas forcément plus stable, on ne peut pas laisser la bouteille ouverte trop longtemps. » Avec Delphine Castel et Éric Kamm, on tient là deux beaux
spécimens d’affranchissement, qui n’ont pas peur d’arpenter des sentiers peu fréquentés. « Le vin nature c’est réapprendre ce que tu as appris » aime à dire Delphine. Pour mantra, Éric lâche : « La nature, si elle veut tout donner elle te donnera, si elle veut te prendre, elle te prendra. »
Delphine Castel a commencé en 2022, avec ses premières bouteilles Bourre-pif : « C’est en rencontrant des vignerons que j’ai appris. Je faisais un peu de bière, mais comme ça, tranquille, avec les copains, 20 litres dans ma marmite. Un jour un vigneron m’a dit : “T’as jamais gâché aucune de tes bières ?” – Non jamais. – Ben si tu sais faire de la bière tu sauras faire du vin. » Et hop c’était parti. La partie négoce permet de te lancer sans trop prendre de trop gros risques. »
La négoce c’est l’un des nerfs de la bataille vinophile. « Quand tu commences,
« Le pourcentage de ventes à l’étranger peut représenter jusqu’à 60 à 70 %, c’est évidemment conséquent !
Et c’est vrai que le vin orange, ça fait son petit effet à l’étranger. »
Éric Kamm, vigneron.
l’export peut te sauver, notamment vers le Japon. Là-bas ils font leurs tests avec des œnologues et puis très vite tu as leur verdict. Ils payent cash, font des pré-réservations et sont sérieux dans le transport. » « Le pourcentage de ventes à l’étranger peut représenter jusqu’à 60 à 70 %, c’est évidemment conséquent ! Et c’est vrai que le vin orange, ça fait son petit effet à l’étranger. » Actuellement en France, le vin orange représente 2 à 3 % des ventes.
On imagine que c’est aussi une belle occasion de voyager, de sortir des vignes. « Pour moi non », tranche Éric Kamm. « Je suis un paysan. Je n’ai jamais pris l’avion pour vendre mes vins, c’est eux qui viennent me voir et c’est bien comme ça. » Delphine Castel, elle, a toujours beaucoup bougé, mais c’est pour son autre métier, celui qui aujourd’hui encore la fait vivre : « Je
suis mécanicienne. Toute ma vie je serai ouvrière avant d’être paysanne, j’ai ça en moi. Dans le BTP il y a une phrase qui se répète souvent avant d’aller bosser : on part au chagrin. Alors je fais du vin pour eux ! »
Une double casquette qui requiert un certain art du funambulisme : « Parfois quand je pars en grand dep’ (grand déplacement), je m’absente pendant presque trois semaines.
Faut que je trouve un équilibre. Si je n’ai pas mes chantiers à côté je ne gagne rien. »
La question financière agite aussi le quotidien d’Éric Kamm. Et ce depuis l’origine, depuis qu’il a repris les vignes de son père, qui lui bossait en « tradi » (Kamm père et fils, c’est écrit à l’entrée du domaine). « Moi je suis passé en bio et en nature dès 2010. Mon père était encore là, il l’est toujours d’ailleurs ! Pour lui, faire du bio c’était un retour un arrière ! Et quand je lui ai dit que je voulais faire du nature alors là il a pensé que je voulais couler la boîte ! »
Mais quitte à couler sa boîte, Éric Kamm le fera avec ses convictions. « Je ne me retrouvais pas dans le protocole de vinification… Il y avait une liste longue comme le bras de produits œnologiques à intégrer au vin… Je ne comprenais pas pourquoi on se faisait suer dans les vignes à faire du beau raisin pour ensuite lui ajouter tous ces intrants. Quand j’ai découvert les vins nature j’ai tout de suite su que c’était vers là que je voulais aller. »
Le vin nature ouvre la porte à toutes les histoires, et celle du vin orange n’est pas la moins singulière. b
Laëlien Lecerf (bistrotier)
On peut aimer un bar, mais parfois plus encore la personne qui se tient derrière le comptoir, l’inverse étant tout aussi vrai.
Laëlien Lecerf est barman et il sait y faire. Il a ce petit regard (mutin ok) qui sait scanner ses tables, sa terrasse, pour donner à ses mouvements la rondeur que d’autres espèrent dans leur verre. « Tenir un bar c’est comprendre les gens qui sont aux tables, les groupes de potes, les couples qui se rencontrent s’aiment ou se séparent, les personnes seules, les familles… C’est adapter sa posture, son timbre de voix, en donnant une réponse à leurs attentes. Et le vocabulaire en fait partie ! Le vulgariser n’a rien de péjoratif, c’est ouvrir la porte aux gens et leur faire découvrir le vin nature. »
Venu du Café des sports, il a atterri au Bardu pour l’aventure NextGen du cinéma l’Odyssée devenu Cosmos, aux côtés de Pierre Glista, Victor Hantz et Maeva Colon. L’équipe s’attelle à mettre le bon et le surprenant en avant.
« Les vignerons faisaient du vin orange depuis des années déjà, mais comme il n’y a que les gens du vin nature qui font du vin orange et que l’on n’entendait pas parler de vin nature, eh bien on n’entendait pas parler de vin orange. Puis la mode s’est emparée du vin nature et fatalement, du vin orange ! »
Et c’est là que l’aiguilleur qu’il est intervient : « En tant que serveur, j’aime bien poser des questions, répondre à leur demande. Parfois des gens demandent des vins orange, mais ce qu’ils veulent ce sont des vins très secs et minéraux, sans forcément de tanins. Ce n’est pas toujours raccord ! »
Ce sont là, précisément, les conséquences d’un effet de mode.
En travaillant dans les vignes, chez Catherine Riss et la famille Kleinknecht (lui aussi aime les doubles casquettes)
Laëlien Lecerf a beaucoup appris : « J’ai mieux compris toutes les étapes du vin, pour mieux en servir dans les bars. »
Et l’histoire continuera, au Bardu, ici et ailleurs. R.S.
Steeve Zaegel (caviste et vigneron)
Il y a eu un avant et un après confinement. Les cavistes n’y échappent pas, sauf que pour eux, ce n’était pas si mal pendant. Steeve Zaegel a ouvert son échoppe quatre mois avant le confinement, autant dire que s’annonçait une belle galère. Sauf que non, le click and collect de ce commerce essentiel a tourné à plein régime. « C’est finalement la réouverture progressive de tous les commerces, des bistrots et des restaurants qui a été plus compliquée à gérer… » Mais voilà, Du vert au vin s’est fait une belle place dans la proche banlieue strasbourgeoise et sa cave entièrement fournie en vins nature attire les curieux. « Je vais même de plus en plus vers le zéro intrant, zéro sulfite. » Steeve Zaegel vend ce qu’il aime boire, et les vins de macération tiennent une belle
place dans son cœur. Ce qui vaut aussi pour son autre aptitude, celle de faire du vin. Car oui, nous tenons là un caviste-vigneron. « En 2015 je suis tombé fou amoureux du vin nature, et je suis parti chez Patrick Meyer pour tout apprendre de la biodynamie. Comment travailler les vignes. C’est le parrain de ma femme qui m’a fait découvrir le nature. Quand je buvais du vin c’était du tradi et je buvais un peu comme ça, par réflexe. Quand j’ai goûté le nature, là j’ai pris une claque ! » C’est ainsi qu’est née sa cuvée Les 12 coups de Mimi, d’un bel orange pétant. Un vin qui fait écho à ceux de JeanMarc Dreyer, autre apôtre de la macération, chez qui Steeve a également appris quelques astuces de fabrication. Un bel avenir lui tend les bras. R.S.
La Région à vos côtés !
3 524 vignerons en Alsace
15 606 hectares de vignes en Alsace
Vous êtes viticulteur, la Région Grand Est vous accompagne dans vos projets d’avenir !
d’Infos +
Caves coopératives
En pleine concentration
Le manque de rentabilité a récemment poussé plusieurs caves coopératives alsaciennes à fusionner pour mieux faire face aux enjeux d’un marché confronté à la fois à une baisse sensible de la consommation mondiale et à un changement de comportement des acheteurs. Ce phénomène de concentration, toujours en cours, ouvre sans doute une nouvelle ère pour la coopération.
Créées pour la plupart au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à l’heure où la mise en commun des moyens matériels et humains était inéluctable pour relancer l’activité, les caves coopératives alsaciennes n’ont pas été épargnées par les crises successives. Celle du Covid, la dernière en date, a sans doute porté le coup de grâce à des structures déjà fragilisées économiquement, contraintes de fusionner avec d’autres, plus grosses, pour continuer à exister.
Certes, ce phénomène de concentration s’est enclenché il y a plus d’une décennie maintenant, mais son rythme s’est brutalement accéléré ces dernières années. Alors qu’elles étaient dix-sept à couvrir le territoire alsacien il y a vingt ans, les caves coopératives ne sont ainsi plus que neuf aujourd’hui, et peut-être huit, l’an prochain, si le projet de fusion entre Bestheim et Wolfberger annoncé il y a plusieurs mois, mais au ralenti aujourd’hui, finit par se concrétiser.
Le double effet des fusions
En décembre 2022, c’est la Cave des Faîtières (Orschwiller) qui est entrée dans le giron
de celle d’Ingersheim (Cave Jean Geiller), suivie en mars dernier par celle d’Hunawihr. Regroupé sous la bannière de l’Union des Talents talents d’Alsace (UDTA), l’ensemble regroupe totalise aujourd’hui 880 hectares et 281 viticulteurs. « En termes de concentration, l’Alsace a pris du retard », estime Timothée Boltz, directeur de l’UDTA. « La filière viticole reste très atomisée en France, contrairement à d’autres secteurs de l’agroalimentaire. Dans ce contexte, pourquoi serions-nous à part ? Ces fusions nous permettent aujourd’hui d’optimiser nos services informatique, administratif et commercial, de gagner en qualité et en performance et de réaliser de gros investissements pour répondre aux défis qui sont devant nous. » « Bien sûr, les regroupements offrent une plus grande efficacité économique, de disposer d’une structure financière importante qui permet de se projeter et de mettre les moyens nécessaires dans la communication, mais est-ce que c’est la seule issue ? », s’interroge Christophe Botté, directeur de l’Alliance Alsace, qui regroupe les Caves de Turckheim et du Roi Dagobert, à Traenheim. « Les fusions subies que l’on observe ces derniers temps constituent des mouvements sans retour et le nombre d’opérateurs ne fait finalement que
« Ces fusions nous permettent aujourd’hui d’optimiser nos services informatique, administratif et commercial, de gagner en qualité et en performance et de réaliser de gros investissements pour répondre aux défis qui sont devant nous. »
diminuer. La création de cave, ça n’existe pas. Au bout du compte, on y perd sûrement en émulation, c’est le revers de la médaille. »
La fusion des caves de Turckheim et de Traenheim, si elle ne date que de novembre 2023, s’inscrit dans un contexte de partenariat vieux de près de 40 ans, jalonné par plusieurs étapes successives de collaboration. « À Traenheim, on avait du vin, et à Turckheim, les clients », simplifie Christophe Botté pour rappeler l’historique de ce rapprochement. « Les deux sites se sont ensuite spécialisés, la cave de Traenheim s’appropriant la production de crémant, et celle de Turckheim, celle des vins tranquilles. »
Pour Pierre-Olivier Baffrey, président de Bestheim, la plus grosse des caves coopératives alsaciennes avec une douzaine de millions de cols par an à son actif, « la diversité fait effectivement la richesse, mais les fusions présentent notamment l’avantage de sécuriser les approvisionnements. La fusion opérée avec la Cave d’Obernai en 2011 nous a ainsi permis de sortir du cadre aléatoire du vrac, puisqu’avant ce regroupement, on achetait pour 50 000 hectolitres afin de couvrir nos besoins. Ce n’est plus le cas depuis. Aujourd’hui, on connaît presque au centime près le coût de revient à
« Les fusions subies que l’on observe ces derniers temps constituent des mouvements sans retour et le nombre d’opérateurs ne fait finalement que diminuer. »
Christophe Botté
« C’est un enjeu d’autant plus crucial que les exploitations se doivent de rester attractives pour les jeunes, dans l’optique du renouvellement des générations. »
Pierre-Olivier Baffrey
la récolte. Pour un gestionnaire, c’est extrêmement important ! »
À la recherche permanente d’innovations
Confrontées à une déconsommation mondiale et au changement de comportement du consommateur, qui ne s’inscrit plus dans le schéma classique d’une consommation midi et soir à l’heure de passer à table, les caves coopératives n’ont d’autres choix que de s’adapter et d’innover en permanence pour répondre aux nouvelles tendances. « On reste toutefois corseté par le cadre de l’AOC qui restreint notre capacité d’innovation », tempère Christophe Botté. « À Bestheim, on s’impose de sortir une nouveauté chaque année pour trouver d’autres débouchés », signale Pierre-Olivier Baffrey. La dernière en date : un effervescent sans alcool, nommé Zero Limit, qui sort résolument des clous de l’AOC. Il s’agit ici de surfer sur la vague des vins désalcoolisés, dont le marché est en pleine expansion. Rappelons-le : la Cave de Ribeauvillé a été la première en janvier 2022 à se lancer sur ce segment porteur.
À la Cave Jean Geiler, c’est le gewurztraminer qui a récemment été remis sur le devant de la scène, sous une approche festive et décomplexée, dans le sens où le message ne s’embarrasse pas ou presque de la mention du cépage, ni des traditionnelles considérations gastronomiques sous l’angle des accords mets-vins. Avec « Ma Quille », une cuvée déclinée en sept étiquettes – barrées, selon le cas, des mots Fiesta, S’Gilt, Potes, Happy, Schmoutz, Love et Apéro –,
l’objectif est à la simplicité et à l’individualisation. De nouveaux projets sont dans les tiroirs dans les bureaux d’Ingersheim, comme celui qui concerne une gamme de vins de terroir peu chargés en alcool afin d’alimenter un marché à la recherche de vins légers.
Vers une nouvelle forme de partenariat
Si les caves coopératives alsaciennes tentent chacune de leur côté de trouver de nouveaux débouchés en fonction de leur propre stratégie, toutes s’efforcent de réduire leurs coûts pour augmenter leur rentabilité. « C’est un enjeu d’autant plus crucial que les exploitations se doivent de rester attractives pour les jeunes, dans l’optique du renouvellement des générations », alerte Pierre-Olivier Baffrey. Dès lors, rien n’exclut aujourd’hui que des caves pourtant concurrentes regroupent à court terme une partie de leurs moyens financiers pour réaliser des investissements communs qui permettent encore de réduire leurs coûts de production. « Pourquoi chacun resterait-il dans son coin ? », questionne le président de Bestheim, qui est aussi celui de la Fédération des caves vinicoles d’Alsace. L’acquisition récente par Bestheim d’un terrain de 5,5 hectares sur le ban de Rouffach pour l’implantation d’une nouvelle unité de production de crémant destinée à remplacer celle de Westhalten, aujourd’hui sous-dimensionnée, pourrait servir d’écrin à ce nouveau type de collaboration entre caves coopératives. b
L’INRAE Un siècle et demi de recherches à Colmar
Créé par le Reich allemand après la guerre de 1870, redevenu Français puis de nouveau Allemand durant la Seconde Guerre mondiale, le centre de recherches colmarien a été intégré à l’INRA en 1946 et a ajouté récemment un E à son acronyme pour devenir le centre Grand-Est Colmar de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Il fête cette année ses 150 ans de recherche. Rencontre avec son président, Serge Kauffmann…
« La vigne, qui n’occupe que 3 % des terres cultivées en France, concentre à elle seule 25 % de l’ensemble des traitements phytosanitaires appliqués dans le pays. »
Parmi les grands enjeux du centre INRAE que vous présidez, il y a celui de la limitation de l’utilisation des pesticides. Où en est la recherche dans ce domaine ?
« Cette thématique a démarré en 2000 et l’objectif est de produire de nouvelles vignes capables de résister aux deux principales maladies des vignobles, le mildiou et l’oïdium. Ces deux maladies n’existaient pas en Europe : elles ont été importées des États-Unis au XIXe siècle par le biais de plans infectés. Les traitements que les vignerons appliquent sur les vignes pour les combattre représentent quasiment 90 % de l’ensemble des traitements que subit la plante. La vigne, qui n’occupe que 3 % des terres cultivées en France, concentre ainsi à elle seule 25 % de l’ensemble des traitements phytosanitaires appliqués dans le pays. En 2000, l’idée a donc été de créer de nouvelles variétés par croisements naturels entre des vignes asiatiques ou américaines reconnues comme résistantes à ces maladies, mais qui ne produisent pas de vin, avec des vignes utilisées pour la production de vin. Il a fallu une vingtaine
d’années pour introduire ces caractères de résistance. C’est très long puisqu’il faut une quinzaine d’années entre le moment où vous effectuez le premier croisement et celui où vous pouvez déguster le verre de vin. Pour les deux maladies, nous avons introduit à chaque fois deux facteurs de résistance, car nous avions compris qu’un seul ne suffirait pas : il serait contourné assez rapidement par le pathogène. Dès 2018, nous avons donc pu inscrire au catalogue quatre nouvelles variétés de vignes, deux pour le vin rouge et deux pour le vin blanc. Elles sont désormais commercialisées. Ce programme se poursuit, bien sûr : on pense qu’en 2030, on aura entre vingt et trente nouvelles variétés inscrites au catalogue. Toutes ces nouvelles variétés utilisent 90 % de produits phytosanitaires en moins. Ce sont des nouveaux cépages, et leur appropriation par le vignoble alsacien est un peu lente, mais des programmes sont en cours avec la profession pour introduire ces facteurs de résistance dans les cépages traditionnels de la région. Ces nouvelles vignes sont systématiquement
Recherche à l’INRAE :
plantées en bordure de parcelles et comme elles nécessitent beaucoup moins de traitements phytosanitaires, cela répond aussi à la problématique de ne pas employer ces produits à proximité des habitations. »
Et concernant le dépérissement du vignoble ?
« Là, c’est plutôt la partie racinaire qui est concernée. C’est dû notamment à des virus transmis par des vers qui sont dans le sol. On a beaucoup de mal à se débarrasser de ces vers. Si on veut y parvenir, il faut utiliser des produits chimiques drastiques, interdits désormais par la réglementation, à juste raison. Nos recherches cherchent à comprendre comment se transmettent ces virus et comment les combattre. C’est un mal endémique de tout le vignoble français et même mondial. »
Il y a un sujet qui interpelle beaucoup les amateurs de vin, c’est celui du réchauffement climatique. Pour faire très bref et sans doute un peu caricatural, le grand public se demande aujourd’hui s’il boira
encore longtemps ce vin d’Alsace qu’il apprécie…
« Il n’y n’existe aucune réponse tranchée à votre question. Le changement climatique a été révélé au niveau du vignoble alsacien dès 2005, grâce à des travaux qui ont été alors effectués par notre Centre qui a profité des relevés de température, de taux de sucre, d’acidité, etc., effectués dans le vignoble depuis les années 1950 (température, taux de sucre, d’acidité, etc.). Un décrochage s’est effectué en 2005, clairement lié au réchauffement climatique. Les taux de sucre en hausse et la diminution de l’acidité en résultent. Et ces deux facteurs conjugués affectent la qualité du vin d’Alsace. Les travaux que nous menons ici cherchent à comprendre comment jouer sur le génome de la plante pour contrebalancer l’influence de ces facteurs. Pour cela, on utilise encore et toujours cette même technique : on réalise des croisements avec des plantes plus résistantes à la chaleur. Si on parvient à identifier la partie du génome qui peut réguler ça,
Didier Merdinoglu, Lauriers 2022 « Prix Collectif impact de la recherche » avec l’équipe Vignes Résistantes. Ses travaux à l’Unité mixte de recherche (UMR) Santé de la vigne et qualité du vin (SVQV) à Colmar, ont contribué à la création de nouvelles variétés de vignes répondant aux enjeux d’une viticulture durable. Des variétés résistantes au mildiou et à l’oïdium inscrites au catalogue officiel.
Département de recherche BAP –Biologie et amélioration des plantes.
« Vous savez, entre le moment où vous plantez un pépin et le moment où une vigne adaptée au changement climatique apparaît, il se passe environ une douzaine d’années. »
on possède maintenant la méthodologie pour le faire. Évidemment, je n’ai pas de réponse sur le temps que cela prendra pour y parvenir. Vous savez, entre le moment où vous plantez un pépin et le moment où une vigne adaptée au changement climatique apparaît, il se passe environ une douzaine d’années. C’est le rythme naturel de la plante, il est ce qu’il est et on ne parviendra jamais à le changer. Pour produire les variétés résistantes dont je parlais auparavant, nos chercheurs ont effectué pas moins de 20 000 croisements. Imaginez la toute petite taille d’une fleur de vigne. Imaginez-vous vous munir d’une pince à épiler, prendre le pollen de l’une pour l’implanter sur l’étamine de l’autre, et tout ça, 20 000 fois. C’est un processus lent et pas simple du tout. Et sur l’ensemble de ces croisements réalisés ne naîtra qu’une trentaine de nouvelles variétés capables de produire un vin correct, voire même très bon. Les autres, on ne les gardera pas, la qualité du vin produit se révélant trop mauvaise. Le Centre INRAE de Colmar a la capacité d’effectuer des recherches très pointues au niveau du gène et du moléculaire et travaille ensuite sur toute la chaîne de valeurs, jusqu’à la production du vin. »
Pardon pour cette question un peu naïve, avez-vous bu ce vin issu des nouveaux cépages créés par l’INRAE ?
« Mais oui, bien sûr. Et quand tous les ministres européens de l’Agriculture sont venus ici en 2021 pour s’informer sur ces thématiques, j’ai souhaité leur offrir de bonnes bouteilles de vin produites par des vignerons français qui commercialisaient déjà nos nouveaux cépages. Et chez nous, on a fait une cuvée spécifique pour nos 150 ans, un mélange de trois cépages alsaciens traditionnels et de deux nouveaux cépages. »
Vous êtes également à la pointe de ce que l’on appelle la bioéconomie territoriale…
« C’est exact. Cela se présente sous la forme d’une interface web qui intègre toutes les données disponibles sur l’agriculture. Cela va de la surface de chaque champ, de ce qui y est cultivé, son ensoleillement, aux routes qui y mènent ou l’entourent, etc. Cela permet une importante aide à la définition puis la réalisation des politiques publiques. Nous avons créé une start-up pour alimenter cette interface, en relation directe avec les collectivités publiques très demandeuses de ces données. Cette interface est pour l’heure unique en Europe. » b
Guylaine Gavroy Nicolas Rosès
Les beaux accords d’Igor
Désireux de façonner ses propres vins, Igor Monge a imaginé d’élégants assemblages dans un garage de Neudorf, au sud de Strasbourg. Désormais installé au Port du Rhin, l’ingénieur œnologue, amateur de musique, poursuit ses expérimentations, animé par la même obsession : l’accord parfait.
Les météorologues parlent rarement du Niderwind, ce vent du nord qui souffle le long de la plaine du Rhin et ne dépareillerait pas dans un atlas des zefs régionaux, aux côtés du mistral ou de la tramontane. À défaut d’apparaître dans les bulletins des disciples d’Éole, c’est donc sur la carte… des vins que Niderwind s’est fait une place depuis qu’Igor Monge a accepté d’adopter ce nom sur l’étonnante suggestion d’une agence de graphisme brestoise, choisie justement parce qu’elle était peu au fait du monde viticole.
« Quand je me suis lancé, je l’ai contactée pour la conception de mon identité graphique et la réalisation d’étiquettes de vins. Je n’avais pas encore de nom et ils m’ont proposé d’en trouver un. Ils m’ont questionné sur mes inspirations, ce que j’aimais : la musique, les vêtements, la cuisine… » développe Igor Monge. « Et ils m’ont soumis Niderwind (de Nider, la plaine, et wind le vent). »
Le mot peu connu, peu référencé sur internet et libre comme nom de domaine, cochait toutes les cases pour les graphistes sollicités. D’abord dubitatif, l’intéressé s’est finalement laissé convaincre. « Je leur ai fait confiance, c’est leur métier, pas le mien après tout », reprend ce fan de chanson française de qualité (Yann Tiersen, Dominique A, Gérard Manset…) et de rock indé. « Et je n’ai pas eu à le regretter (sourire). »
Un dîner pour dissiper le doute
S’il n’est effectivement pas graphiste, Igor Monge, 44 ans, est œnologue et, de son propre aveu, a toujours fait du vin. Après avoir vinifié en Bourgogne et en NouvelleZélande, ce fils de cheminots accepte un poste de responsable des achats chez Arthur Metz, à Marlenheim, avant de repartir à Bordeaux, où vivent toujours ses parents.
« Dans
sa “winerie urbaine” donc,
il conçoit d’inédits et subtils assemblages à partir des raisins du Domaine de la Chapelle de la famille Jost, de Dorlisheim, et des baies de chez Laurent Vogt de Wolxheim. »
« J’ai
en tête un style de vin et je vais me servir des
différents cépages pour arriver à ce que je recherche. Ce sont des briques qui me permettent de construire ce
que je veux. »
Igor Monge
Dans le vignoble bordelais, Monge est acheteur dans une société de négoce ; surtout, il y apprend l’art de l’assemblage.
De retour en Alsace en 2013, celui qui se définit comme un « négociant vinificateur » est recruté par une famille de viticulteurs de Dorlisheim avec l’envie de « mettre les mains dedans ». « J’étais à la fois œnologue, directeur technique, en charge de l’administratif, du commercial, des salons, de la vinification », liste ce passionné. « J’ai beaucoup aimé parce que j’étais vigneron sans être propriétaire. Et beaucoup appris, parce que je découvrais toutes les facettes de mon métier. Mais je voyais mes 40 ans arriver et je me suis dit : si tu veux faire ton vin, c’est le moment ! »
Par ailleurs maître de chai des Hospices de Strasbourg, il décide de se lancer en solo. Las, le Covid le stoppe dans son élan trois petites semaines plus tard. Le doute s’installe et perdure après le déconfinement, quand il ne trouve pas d’endroit où s’installer. Il expose ses soucis lors d’un dîner. « Le lendemain matin, un ami invité me dit “ton projet est génial, tu ne peux pas abandonner, moi j’ai un garage qui se libère, je te le loue”. » S’ouvrent alors la porte d’un local de 17m2 au 128 rue de Bâle… et le champ des possibles. « C’était dans une cour. Il y avait un point d’eau, de l’électricité. On pouvait mettre plusieurs
barriques. Ce n’étaient pas les conditions idéales de température, surtout l’été, il faisait jusqu’à 30 degrés. Tous les matins, j’allais ouvrir le garage à 6h pour faire sortir l’air chaud et entrer l’air frais. »
Du vin dans un garage et non pas du vin de garage…
S’il fait du vin dans un garage, Igor Monge se défend de faire « du vin de garage ». « C’est un terme qui est apparu dans les années 90, à Saint-Émilion, avec Jean-Luc Thunevin. Il avait une petite parcelle et aménagé une cave dans son garage pour y faire des trucs cousus main, en toute petite production. Les bouteilles coûtaient très cher. C’était très confidentiel, mais l’appellation “vin de garage” est partie de là ». Le spécialiste alsacien préfère, lui, le terme de « winerie urbaine », concept qu’il a découvert en lisant, dans La Revue des Vins de France, un article sur Les Chais du Port de la Lune, à Bordeaux. Dans sa « winerie urbaine » donc, il conçoit d’inédits et subtils assemblages à partir des raisins du Domaine de la Chapelle de la famille Jost, de Dorlisheim, et des baies de chez Laurent Vogt de Wolxheim, tous deux en biodynamie, dont il avait fait la connaissance durant son
passage chez Arthur Metz. « Ce qui est chouette en Alsace, c’est qu’on a plein de cépages différents avec des caractéristiques propres et chacun est bien identifié. Les faire jouer ensemble, c’est génial. Ce que j’aime, c’est la partie créative de l’assemblage, et par-dessus tout, quand je commence à tester les nouveaux vins, de novembre à janvier. C’est une période de recherche, de création, où on peut imprimer son propre style. Et quand on débute un commerce ex nihilo, c’est toujours bien de ne pas faire comme les autres. »
Le domaine Niderwind vend aujourd’hui ses quilles essentiellement à Strasbourg, un peu à Bordeaux, figure sur la carte de restaurants étoilés et exporte au Japon et en Corée du Sud. Pour la petite histoire, en 2023, 3 000 de ses 6 000 bouteilles ont filé chez des clients sud-coréens.
Construire une gamme cohérente
Durant le processus de création, l’esthète réfléchit à la finalité du vin, à son usage. Magnifier des fruits de mer ? Accompagner un poisson ? Cortéger un fromage ? Égayer une mélancolie ? « J’ai en tête un style de vin et je vais me servir des différents cépages pour arriver à ce que
je recherche. Ce sont des briques qui me permettent de construire ce que je veux. Ainsi pour La chambre (85 % de gewurz, dont 10 % macérés, et 15 % de riesling), j’avais une barrique de disponible, dans laquelle j’ai mis du gewurz. Il a fermenté et, petit à petit, devenait intéressant alors qu’il s’agissait, au départ, juste d’un essai. Pour Lumières et Les arbres penchés , le choix s’est fait par rapport à des plats » explique ce grand amateur de fromages. « Je ne veux pas avoir cinquante vins : j’en ai quatre (Les arbres penchés, Lumières, La chambre et Orange rebaptisé The unspeakable things) et j’essaye de construire une gamme cohérente. »
Pour la suite, celui qui puise son inspiration dans les chansons qu’il aime lorsqu’il s’agit de nommer ses cuvées (La Chambre donc, de Rodolphe Burger, un extrait de Daydreaming de Dark Dark Dark...), songe à un crémant. « C’est une immobilisation plus importante parce qu’il y a au minimum douze mois d’élevage, c’est un process plus lourd. » Pour des questions de trésorerie, le projet attendra un peu. « Mais j’aimerais beaucoup en faire, oui. »
Il y a un peu moins d’un an, Igor Monge a quitté la rue de Bâle pour le Port du Rhin et un autre garage, de 70 m2 celui-ci. Il peut désormais rêver plus grand. a
Olivier Métral
Université des grands vins La science des terroirs «
Lancée en septembre 2013 sous une forme associative, l’Université des grands vins porte l’ambition d’appréhender la diversité des grands terroirs viticoles sous l’angle de la dégustation géo-sensorielle. Une méthode d’analyse presque clinique qui n’exclut en rien le partage et le plaisir.
égustation géo-sensorielle ».
DL’expression peut paraître ronflante et pompeuse, destinée à quelques initiés, mais elle cache en réalité une idée simple : par le biais d’une dégustation en verre opaque, il s’agit de prendre en compte la dimension tactile du vin à l’aide d’un vocabulaire différent de celui qui concerne basiquement ses arômes, afin de le connecter directement aux caractéristiques, notamment géologiques, de son terroir. Un grand vin bâti sur du granite révélera, en guise d’exemple, un toucher de bouche différent d’un autre façonné sur du calcaire.
Un succès immédiat
C’est dans ce cadre presque expérimental que l’Université des grands vins (UGV) a été créée en septembre 2013, sous l’impulsion du vigneron bergheimois JeanMichel Deiss, avec pour quasi-acte de naissance l’organisation d’une dégustation exceptionnelle de crus du célébrissime
et inabordable Domaine de la RomanéeConti au Palais de la musique et des congrès de Strasbourg. L’événement est alors pris d’assaut par les professionnels et les amateurs. Suivront alors une flopée de rendez-vous thématiques, en présence des plus grands vignerons français et étrangers et d’éminents spécialistes du terroir, qu’ils soient journalistes, critiques, géologues, sommeliers ou même philosophes et chercheurs.
En 2015, l’UGV compte plus de 300 membres et poursuit tambour battant son exploration des grands vins et de leur terroir sous les présidences successives de Florian Beck-Hartweg et de Pierre Gassmann.
S’approprier l’exigence des grands domaines
« L’épidémie de Covid est alors venue briser cet élan », rappelle Jean-Paul Schmitt, qui a pris les rênes de l’association en mars
« Il n’y a jamais autant de sincérité que lorsque les vignerons sont dans leur élément.
Cette
vérité-là, on ne la trouve pas ailleurs. »
Jean-Paul Schmitt
dernier. « Par la force des choses, on s’est un peu écarté de nos membres en raison des restrictions sanitaires. » L’UGV a évidemment repris ses activités depuis leur levée et bat depuis le rappel pour retrouver son audience passée.
À chacun de ses rendez-vous –une demi-douzaine par an –, ils sont aujourd’hui plus d’une centaine à s’y retrouver pour écouter presque religieusement les explications des différents intervenants et déguster un panel de vins qui les illustrent. L’été dernier, une délégation de l’interprofession géorgienne a fait le déplacement jusqu’à Rorschwihr pour présenter, dans le gigantesque écrin que constitue la salle de dégustation du Domaine Rolly-Gassmann, une dizaine de cuvées issues de ce pays considéré comme le berceau mondial du vin. « L’UGV permet d’accéder à des vins qui seraient difficiles à déguster sans notre intermédiaire », se félicite Jean-Paul Schmitt. « Mais notre ambition est différente de celle d’un club de dégustation. Notre pari est d’attirer un maximum de vignerons alsaciens, en particulier les plus jeunes, pour qu’ils s’ouvrent
à d’autres univers, se confrontent à ce qui se fait de mieux sur la planète. En bout de course, nous espérons qu’ils s’approprient l’exigence de tous les grands domaines qui passent par l’UGV. »
Deux seuls mots d’ordre : partage et plaisir
Pour y parvenir, Jean-Paul Schmitt et son équipe prônent la simplicité, le plaisir lié à la dégustation, les échanges qui l’accompagnent et les moments de partage qu’elle génère. Peut-être la notion de dégustation géo-sensorielle et le caractère élitiste qu’elle sous-entend ou présuppose ont-ils conduit certains vignerons à ne pas pousser les portes de l’UGV ? « Il s’agit pour nous de leur mettre le pied à l’étrier et de dissiper leurs éventuelles appréhensions. » « L’ambiance est bon enfant », confirme Claudine Rominger, vigneronne à Westhalten et participante de la première heure aux sessions de l’UGV. « Je m’y sens vraiment à l’aise. Franchement, il n’y a pas de prise de tête. »
Elle-même a d’ailleurs accueilli les adhérents de l’UGV, aux côtés de Seppi Landmann sur le grand cru Zinnkoepflé, pour une session en extérieur à la découverte de ce terroir de la Vallée Noble. « L’UGV a aussi vocation à promouvoir les grands vins alsaciens », souligne Jean-Paul Schmitt. « Chaque année, nous offrons l’occasion à nos adhérents d’aller à la découverte de l’un de nos grands terroirs et des hommes et des femmes qui les portent. Il n’y a jamais autant de sincérité que lorsque les vignerons sont dans leur élément. Cette vérité-là, on ne la trouve pas ailleurs. »
Le 3 septembre dernier, c’est le grand cru Goldert, et le Clos Saint-Imer en particulier, qui a fait l’objet d’une visite sur le terrain et d’une grande dégustation de muscats du Domaine Ernest Burn, l’un des derniers en Alsace à défendre bec et ongles le capricieux cépage.
Les grands vins, souvenons-nous-en, ne se trouvent pas seulement en Bourgogne, en Champagne, dans le Bordelais ou plus loin encore. Ils se dénichent aussi à deux pas de chez nous. a
Fabienne Brendel, Hélène Richard et Jean-Paul Schmitt, trois des piliers de l’UGV, encadrent
Francis Burn, en polo bleu, lors d’une session consacrée aux muscats du vigneron de Gueberschwihr.
Francis Burn au micro, lors de la session de l’UGV consacrée à ses muscats du grand cru Goldert.
Les diplômés de l’inter-rang
C’est une première en France et dans le monde : depuis 2019, un diplôme universitaire (DU), délivré par l’Université de Strasbourg, sanctionne une formation d’un an entièrement dédiée aux terroirs et à la dégustation géo-sensorielle. C’est encore Jean-Michel Deiss, sous sa présidence de l’UGV, qui a été à l’origine de ce projet. « Cette formation s’adresse d’abord aux professionnels du vin mais elle reste ouverte aux amateurs qui désirent parfaire leurs connaissances sur les terroirs », précise Dominique Schwartz, professeur émérite de géographie et coordinateur pédagogique du DU Déguster le terroir
Le 14 octobre dernier, une quinzaine de candidats ont fait leur rentrée universitaire à la faculté de géographie et d’aménagement et partageront leur emploi du temps entre cours théoriques à l’Université de Strasbourg et au CFFPA de Rouffach, et travaux pratiques par le biais de dégustations géo-sensorielles et de sorties sur le terrain.
Au terme des 144 heures d’enseignement, l’évaluation des candidats est réalisée sur la base de trois épreuves : un examen portant sur les deux unités d’enseignement, une épreuve de dégustation géo-sensorielle et une étude de cas sur un sujet au choix. O.M.
a ÉTOILÉ
Thierry Schwartz
Grandeur nature
Chef étoilé Michelin, et même doublement puisqu’il cumule un macaron et une étoile verte qui récompense son engagement pour une gastronomie durable, Thierry Schwartz poursuit inlassablement et sans faillir sa quête de l’excellence et de naturalité. Dans son restaurant d’Obernai, il sublime les produits des artisans locaux et offre une vue imprenable sur le terroir alsacien.
Une cuisine en équilibre avec le produit au centre de tout.
C’est rare une conviction, une conviction profonde, viscérale, du genre qui ne vous offre ni répit ni alternative. Une qui vous guide et vous interdit de dévier, même quand l’air du temps, les contraintes économiques, les vents contraires vous pousseraient à céder. C’est rare ce genre de conviction et ce n’est jamais forcément un cadeau. Il faut vivre avec, c’est comme ça. Alors Thierry Schwartz vit avec la sienne, les siennes même.
Depuis qu’il a ouvert son restaurant désormais éponyme à Obernai il y a un peu plus de vingt ans maintenant, il n’en démord pas : le produit doit être au centre de tout et il doit être local, autant que possible en tout cas. Bio aussi. Dit comme ça, ça a l’air simple. La vogue du locavore a gagné du terrain et la pandémie de Covid et les deux confinements successifs ont montré à quel point les circuits courts étaient les plus fiables. Mais il y a vingt ans, il fallait un certain culot ou, on y revient, une sacrée conviction pour s’engager sur cette voie-là, celle de la cuisine nature dont il est l’un des précurseurs en France. Une force de caractère aussi pour tenir la barre
quand ça tanguait, parce que ça a tangué. « Oui, c’est vrai que ça n’a pas toujours été facile, mais quand on croit en ce que l’on fait, on ne peut pas lâcher, on n’a pas le droit, ne serait-ce que par respect pour les gens avec qui vous travaillez », explique-t-il. « J’aurais préféré changer de métier que de direction. Enfin, vous voyez bien le terroir que nous avons, les agriculteurs, les maraîchers, les vignerons qui sont là, à nos portes et qui font des produits formidables ! Je ne vais quand même pas aller acheter mes carottes ou mes choux à l’autre bout du monde ou chez des grossistes qui vont les acheminer avec des camions alors que tout est là, à portée de main. On ne peut pas se plaindre que les agriculteurs ou les artisans disparaissent et ne pas les soutenir. D’autant que la qualité et le goût sont incomparables. »
Évidemment, il n’a pas lâché. S’est adapté aussi, forcément, parce qu’une conviction ne suffit pas à faire à elle seule le succès d’une entreprise. Il a donc fallu réfléchir à une autre façon d’exister et surtout faire œuvre de pédagogie auprès des
clients. Offrir une nouvelle vision de la cuisine étoilée, toujours aussi exigeante, mais plus relâchée, moins guindée, avec les cuisiniers, même les apprentis, appelés à venir présenter les assiettes en salle. Et les événements lui ont donné raison. Il n’en tire aucune gloriole, se contente de poursuivre le chemin devenu plus praticable.
Inlassablement, comme il le fait depuis deux décennies, il part ainsi chaque matin ou peu s’en faut à la rencontre des maraîchers, des fromagers, des éleveurs dans les fermes de la région. L’été, le jour à peine naissant, après avoir livré aux hôtels des environs pains et brioches que son équipe de boulangers a fabriqués dans la nuit, il est dans les champs. Bottes aux pieds quand il a plu dans la nuit et panier au bras, pour cueillir les herbes les plus fraîches possibles, il récupère fleurs de bourraches ou de courgettes, carottes nouvelles et oignons tout aussi nouveaux, qu’il prend dans ses mains et respire comme dans une pub télé, sauf qu’il n’y a pas la télé et que c’est en respirant le produit ou en le croquant en plein champ qu’il imagine ce qu’il va en faire.
Le produit, le produit, le produit, il n’a pas d’autre mantra. Le produit le plus naturel et le plus local qui soit, on l’a dit, puisqu’il ne se fournit que chez des producteurs bio ou biodynamique – qui ne manquent pas en Alsace, question de cohérence.
Fait chevalier du Mérite agricole il y a un peu plus d’un an, et c’est peut-être de cette distinction remise par son père Gilbert dont il est le plus fier, Thierry Schwartz a le terroir chevillé au corps et ce n’est ni une formule toute faite ni un slogan : c’est une réalité qui s’écrit chaque jour et puis le jour d’après et ceux qui suivent. Sans repos ni relâche. Et, encore une fois, sans dévier ni composer puisqu’il y a des choses avec lesquelles on ne peut pas composer.
Parce que tout ça n’est pas seulement une histoire de tendreté d’une viande ou de croquant d’un légume qu’il s’agira de sublimer en cuisine pour en faire une expérience inoubliable. Tout ça est une histoire d’hommes et de femmes. De rapport sociaux et de solidarité – si l’on veut
employer les grands mots, et parfois il faut. Thierry Schwartz est ainsi l’un des rares commerçants, parce qu’un cuisinier c’est aussi un commerçant, à se plaindre quand il estime que les prix de vente des produits qu’il va acheter chez le paysan sont trop bas. Lui aurait tendance à négocier, mais au plus haut.
« On veut tous gagner notre vie et avoir de quoi payer nos employés, mais dites-moi, qu’est-ce qu’on a à gagner à tirer les prix, que le viticulteur ou l’agriculteur peine à en vivre et finalement mette la clé sous la porte ? », demande-t-il. « Alors qu’acheter au juste prix permet à chacun de mieux travailler, de mieux vivre : tout le monde est gagnant. Cette solidarité que nous avons avec mes producteurs est quelque chose de très important, de très fort. »
Tout ça évidemment se ressent en cuisine, sinon à quoi bon. C’est comme pour le vin, s’il ne s’agissait que de raisin et de fermentation ce serait trop facile et ce ne serait sûrement pas aussi passionnant : dans une bouteille, il faut retrouver le
« Cette solidarité que nous avons avec mes producteurs est quelque chose de très important, de très fort. »
soleil, le terroir, le vigneron et son humeur. Comme pour les plats, étoilés ou pas, la différence se fait sur l’émotion.
Le vin, la voilà l’autre grande affaire de Thierry Schwartz, et le vin nature tout particulièrement. Avec dans ce domaine, un critère de qualité extrêmement simple : « On sait que le vin est bon quand la bouteille est vide. » Pas mieux.
Dans sa cave, 18 000 flacons, à 80% vinifiés sans intrants d’aucune sorte, attendent le chaland. La plus belle cave d’Europe dans ce domaine sans aucun doute, sur laquelle il veille en compagnie de Cyril Kocher, élu Sommelier de l’année par le Michelin en 2023, avec lequel il travaille les accords mets-vins depuis dix-huit ans maintenant.
Le vin nature là aussi comme une évidence. « Parce que je n’ai pas envie de m’intoxiquer avec des produits chimiques. Mais il faut que le vin soit bon et vivant, qu’il y ait de la buvabilité, de la convivialité, de l’humain. Le vin, c’est tout ça. En plus, comme pour le reste, nous avons la
chance d’être dans une région incroyable. Le vin d’Alsace est d’une qualité dingue, avec une diversité et une richesse sans égales. Ici, on trouve une bouteille pour tous les plats, pour toutes les saisons. Notre travail est aussi de le faire découvrir et de s’effacer derrière. Nous, nous sommes juste là pour magnifier le produit dans l’assiette et proposer le meilleur accord possible au client. »
Forcément, quand on a eu son premier coup de foudre œnologique avec Henri Milan, que l’on a croisé la route de Pierre Overnoy, de JeanFrançois Ganevat ou de Claude Courtois, que l’on s’est immergé dans le terroir local en compagnie des Meyer, Frick, Rieffel, Rietsch, Ostertag et de tant d’autres, qu’on coudoie avec cette nouvelle génération décomplexée qu’incarne si bien un garçon comme Lambert Spielmann (« Il me bluffe, il est incroyable »), forcément l’expertise est immense. Et le devoir de transmettre sans limite. a
2024 Vins d'Alsace
Couverture
Photographie par Francesca Gariti
Portraits de l'équipe
Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com
Directeur de la publication
Patrick Adler 1 patrick@adler.fr
Rédaction en chef
Alain Leroy
Rédaction
Alain Ancian 3
Jean-Luc Fournier 2
Eleina Angelowski 4
Isabelle Baladine Howald 5
Erika Chelly 6
Marine Dumeny 7
Jean-Luc Fournier 2
Emmanuel Didierjean
Jaja 8
Thierry Jobard 9
Véronique Leblanc 10
Jessica Ouellet 11
Barbara Romero 12
Benjamin Thomas 13 redaction@ornorme.fr
Photographie
Franck Disegni 15
Alban Hefti 16
Vincent Muller 17
Caroline Paulus 18
Nicolas Rosès 19
Sabrina Schwartz
Corrections Sylkell
Or Norme Strasbourg est une publication éditée par Ornormedias
1 rue du Temple Neuf 67000 Strasbourg
Dépôt légal : à parution
N°ISSN : 2272-9461
Contact : contact@ornorme.fr
Site web : www.ornorme.fr
Suivez-nous sur les réseaux sociaux ! Facebook, Instagram, Twitter & Linkedin
Publicité
Régis Pietronave 14 publicité@ornorme.fr
Direction artistique et mise en page
Cercle Studio
Directrice Projet Lisa Haller 20
Typographie
GT America par Grilli Type
Freight Pro par J. Darden
Impression Imprimé en CE
NOS DERNIERS NUMÉROS
3 FORMULES
OR DU COMMUN c c
OR NORME c
4 numéros trimestriels + Newsletter Or Norme = 40€ / 1 an
4 numéros trimestriels + Hors-séries + Newsletter Or Norme = 60€ / 1 an
OR PAIR c c c
4 numéros trimestriels + Hors-séries + Newsletter Or Norme + Invitations régulières aux événements de nos partenaires (Concerts, avant-premières, spectacles...) = 80€ / 1 an
En partenariat avec : UGC Ciné Cité, Cinémas Stars, Opéra National du Rhin, TNS, Top Music... Et bien d'autres à venir !
J RETOURNER LE FORMULAIRE
NOM :
PRÉNOM :
SOCIÉTÉ :
MAIL :
Formulaire à retourner accompagné du réglement par chèque à l'ordre de ORNORMEDIAS à l'adresse suivante : ORNORMEDIAS, 1 rue du Temple Neuf 67000 Strasbourg
E-mail : contact@ornorme.fr
ADRESSE :
CODE POSTAL :
VILLE :
PAYS :
GEWURZTRAMINER : JE GEWURZTRAMINE
TU GEWURZTRAMINES
IL/ELLE GEWURZTRAMINE
NOUS GEWURZ…
…PFFF
BREf, GEWURZ
Le vignoble alsacien a développé au fil des siècles la culture de cépages très aromatiques se forgeant ainsi sa propre identité. Fruité et généreux, le Gewurztraminer est certainement l’un des plus emblématiques.
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION