Abysses l Or Norme #55

Page 1


LE MAGAZINE

D’UN AUTRE REGARD SUR STRASBOURG

c GRAND ENTRETIEN

Lamya Essemlali

« Paul Watson est tombĂ© dans un guet-apens  »

Page 6

b DOSSIER

Expos TGV

Paris Ă©tincelle de mille feux et pour longtemps encore... Page 16

№55 DÉCEMBRE 2024 ABYSSES

S PORTFOLIO

Jérémy Gonçalves

Sous l’horizon Page 64

Abysses

E SOCIÉTÉ

HarcÚlement scolaire un enjeu de santé publique Page 112

ABYSSES

« Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, Ă  ne pas devenir monstre lui-mĂȘme. Et quant Ă  celui qui scrute le fond de l’abysse, l’abysse le scrute Ă  son tour. »

Par-delĂ  le Bien et le Mal Friedrich Nietzsche, philosophe (1844-1900)

es abysses sont des fonds ocĂ©aniques si profonds que la lumiĂšre n’y parvient pas ; l’origine du mot est le grec abussos qui signifie « sans fond ».

LDans l’AntiquitĂ©, les Grecs, qui avaient moins la connaissance scientifique des fonds marins que nous la possĂ©dons aujourd’hui, avaient donc l’intuition de profondeurs insondables, ce qui signifie aussi qu’elles sont difficiles ou impossibles Ă  mesurer, Ă  expliquer.

Vous l’aurez compris, si nous avons choisi ce titre pour le numĂ©ro 55 d’Or Norme c’est bien sĂ»r pour illustrer la magnifique couverture de JĂ©rĂ©my Gonçalves (Ă  qui nous consacrons Ă©galement un trĂšs beau portfolio en page 64), mais Ă©galement pour rendre hommage au combat pour la sauvegarde des baleines de Paul Watson et de Sea Shepherd dont sa prĂ©sidente France, Lamya Essemlali nous dit tout dans le grand entretien quelle nous a accordĂ© (page 6). Mais pas que...

En effet, les abysses nous renvoient aussi Ă  cette atmosphĂšre si dĂ©lĂ©tĂšre que tout un chacun peut percevoir de la situation actuelle du monde, mais pareillement de notre environnement proche, en France, et Ă  Strasbourg mĂȘme, qui n’a aucune raison de faire exception au climat ambiant.

Ainsi va le monde et c’est pourquoi il faut lire la chronique de Maria Pototskaya (page 106) qui nous rappelle, comme Ă  chaque numĂ©ro depuis des mois, que son Ukraine « a l’intemporalitĂ© d’une Ăąme dont la voix (...) n’entend pas, tout comme en son temps l’Alsace (...) cĂ©der sous le bruit de bottes d’un homme du passĂ©. »

Et lire aussi l’article de Barbara Romero sur le harcĂšlement scolaire, et la souffrance dans les cours de rĂ©crĂ© et sur les rĂ©seaux, dont l’explosion chez les plus jeunes crĂ©e un espace social oĂč « tout se mĂ©lange, la politique, la libertĂ©, le genre, les religions... Être un jeune aujourd’hui est terrifiant... »

Alors bien sĂ»r, Ă  la veille des fĂȘtes de fin d’annĂ©e, il nous reste l’art et la culture pour, non seulement espĂ©rer un monde plus beau (quel beau dossier expos TGV Ă  partir de la page 16, par Jean-Luc Fournier), mais surtout pour nous inciter Ă  ne pas accepter, Ă  ne jamais accepter, la fatalitĂ© d’une situation, en prenant conscience que chacun d’entre nous a le pouvoir de changer la sienne, et qu’à plusieurs nous pouvons la changer pour le monde qui nous entoure.

Comme la baleine qui remonte des abysses, il nous appartient de retrouver le chemin vers la lumiĂšre.

Les illuminations et l’Esprit de NoĂ«l nous guideront peut-ĂȘtre, et c’est avec la conviction que tout peut changer que toute l’équipe d’Or Norme vous remercie pour votre fidĂ©litĂ© (qui nous permettra l’an prochain de fĂȘter nos 15 ans d’existence !), et vous souhaite de trĂšs belles fĂȘtes de fin d’annĂ©e.

b Grand entretien

Lamya Essemlali, Sea Shepherd

06-15

« S’il venait Ă  ĂȘtre extradĂ©, on ne le reverrait pas vivant. »

S Actualités

86 Marry me, Esther Incursion en pays Chadkhanite

90 CMSI Entre médecine de ville et urgences

92 Jean-Christophe Pasqua

Roman sportif

96 Le chacal doré

Grand explorateur en Alsace

100 Outdoor Smith Fleurette

102 Moi, Jaja... Tout penche, sauf lui

106 Mari in Wonderland

L’intemporalitĂ© d’une Ăąme

108 Le parti-pris de Thierry Jobard Splendeur et misùre de l’empathie

a Portfolio

64 JĂ©rĂ©my Gonçalves Sous l’horizon

DÉCEMBRE 2024

a Dossier Expos TGV

16-51

18 MusĂ©e d’Orsay Caillebotte, peindre les hommes

24 Bourse de Commerce Arte povera : ni un style, ni une Ă©cole

30 Musée du Jeu de Paume Tina Barney

34 Fondation Louis Vuitton Tom Wesselmann (↑)

38 MusĂ©e Marmottan Monet Le trompe-l’Ɠil

42 Fondation Beyeler Matisse

48 Espace Apollonia FrantiĆĄek Zvardon

E Société

114 HarcĂšlement scolaire

Un enjeu de santé publique

118 Dry January En local

122 Les événements Or Norme

a Culture

52 Illustrations Enfantimages ( )

56 MAMCS

mode d’emploi, suivre les instructions de l’artiste

60 Diffuse Pour l’amour du ciel

74 Le jour oĂč

Albert Kahn a archivé le monde

78 Le Destin Hors Normes de Louis Henri Bojanus

82 Point d’eau Happy Apocalypse

84 1971 La revanche des claviers rock

112 Musique King Crimson

124 SĂ©lection Concert, livres...

Q Or Champ

130 Claudia Siegwald À la rencontre de l’Homo Medicus

PHOTOVOLTAÏQUE

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(hors assurance facultative), sur 180 mois.

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03 88 20 70 75

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Exemple pour un crĂ©dit d’un montant de 15 000 €, remboursable en 180 mensualitĂ©s de 120.05 € (hors assurance facultative). TAEG fixe : 4.98 %. Montant total dĂ» par l’emprunteur : 21 608.13 €. Un crĂ©dit vous engage et doit ĂȘtre remboursĂ©. VĂ©rifiez vos capacitĂ©s de remboursement avant de vous engager.

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* Exemple de financement (hors assurance facultative) : pour l’achat d’une installation photovoltaĂŻque de 6 kWc, modules garantis 25 ans au prix de 15000 €, sans apport, remboursable en 180 mensualitĂ©s de 120.05 € (hors assurance facultative). Taux annuel effectif global (TAEG) fixe : 4.98 %. Taux dĂ©biteur fixe : 4.88 %. Perceptions forfaitaires : 0 €. CoĂ»t total du crĂ©dit : 6608.13 €. Montant total dĂ» par l’emprunteur : 21608.13 €. 1Ăšre Ă©chĂ©ance Ă  180 jours. DurĂ©e effective du crĂ©dit : 185 mois. Vous disposez d’un droit de rĂ©tractation. Taux Annuel Effectif de l’Assurance (TAEA) pour un assurĂ© (hors surprimes Ă©ventuelles) couvert Ă  100 % sur la base de la couverture CONFORT (incluant les garanties DĂ©cĂšs, Perte Totale et IrrĂ©versible d’Autonomie et IncapacitĂ© Temporaire Totale de travail) du contrat « Mon Assurance de personnes » n°5035 : 2.85 % soit un coĂ»t mensuel de l’assurance de 24.00 € en sus de la mensualitĂ© indiquĂ©e plus haut et inclus dans l’échĂ©ance de remboursement. Le coĂ»t total de l’assurance sur toute la durĂ©e du prĂȘt s’élĂšve Ă  4320 €. Contrat d’assurance facultative de groupe des emprunteurs « Mon Assurance de personnes » n° 5035 souscrit par FINANCO auprĂšs des sociĂ©tĂ©s SURAVENIR et SURAVENIR ASSURANCES, entreprises rĂ©gies par le Code des assurances. Offre rĂ©servĂ©e Ă  des crĂ©dits d’un montant minimum de 1000 € et maximum de 75000 € et dont la durĂ©e de remboursement varie de 12 mois Ă  180 mois. Le TAEG fixe varie de 4.98 % Ă  6.45 % en fonction du montant empruntĂ© et de la durĂ©e du crĂ©dit. Offre valable du 01/03/2024 au 31/12/2024. Sous rĂ©serve d’acceptation par FINANCO – SiĂšge social : 335 rue Antoine de Saint-ExupĂ©ry – 29490 GUIPAVAS. SA Ă  Directoire et Conseil de surveillance au capital de 210 000 000 € - RCS BREST B 338 138 795. SociĂ©tĂ© de courtage d’assurances, n°ORIAS 07 019 193 (vĂ©rifiable sur www.orias.fr). Cette publicitĂ© est conçue et diffusĂ©e par ÉS Energies Strasbourg sous la marque Planigy par ÉS, SociĂ©tĂ© Anonyme au capital de 6 472 800 €, immatriculĂ©e au Registre du Commerce et des SociĂ©tĂ©s de Strasbourg, sous le numĂ©ro 501 193 171 et dont le siĂšge social est situĂ© au 37 rue du marais Vert 67932 Strasbourg cedex 9, agissant en qualitĂ© d’intermĂ©diaire en opĂ©rations de banque et service de paiement de Financo immatriculĂ© Ă  l’ORIAS en tant que mandataire non exclusif sous le N°09049279 (en cours d’inscription). Cet intermĂ©diaire apporte son concours Ă  la rĂ©alisation d’opĂ©rations de crĂ©dit Ă  la consommation sans agir en qualitĂ© de PrĂȘteur.

Document publicitaire dépourvu de valeur contractuelle.

* Exemple de financement (hors assurance facultative) : pour l’achat d’une installation photovoltaĂŻque de 6 kWc, modules garantis 25 ans au prix de 15000 €, sans apport, remboursable en 180 mensualitĂ©s de 120.05 € (hors assurance facultative). Taux annuel effectif global (TAEG) fixe : 4.98 %. Taux dĂ©biteur fixe : 4.88 %. Perceptions forfaitaires : 0 €. CoĂ»t total du crĂ©dit : 6608.13 €. Montant total dĂ» par l’emprunteur : 21608.13 €. 1Ăšre Ă©chĂ©ance Ă  180 jours. DurĂ©e effective du crĂ©dit : 185 mois. Vous disposez d’un droit de rĂ©tractation. Taux Annuel Effectif de l’Assurance (TAEA) pour un assurĂ© (hors surprimes Ă©ventuelles) couvert Ă  100 % sur la base de la couverture CONFORT (incluant les garanties DĂ©cĂšs, Perte Totale et IrrĂ©versible d’Autonomie et IncapacitĂ© Temporaire Totale de travail) du contrat « Mon Assurance de personnes » n°5035 : 2.85 % soit un coĂ»t mensuel de l’assurance de 24.00 € en sus de la mensualitĂ© indiquĂ©e plus haut et inclus dans l’échĂ©ance de remboursement. Le coĂ»t total de l’assurance sur toute la durĂ©e du prĂȘt s’élĂšve Ă  4320 €. Contrat d’assurance facultative de groupe des emprunteurs « Mon Assurance de personnes » n° 5035 souscrit par FINANCO auprĂšs des sociĂ©tĂ©s SURAVENIR et SURAVENIR ASSURANCES, entreprises rĂ©gies par le Code des assurances. Offre rĂ©servĂ©e Ă  des crĂ©dits d’un montant minimum de 1000 € et maximum de 75000 € et dont la durĂ©e de remboursement varie de 12 mois Ă  180 mois. Le TAEG fixe varie de 4.98 % Ă  6.45 % en fonction du montant empruntĂ© et de la durĂ©e du crĂ©dit. Offre valable du 01/03/2024 au 31/12/2024. Sous rĂ©serve d’acceptation par FINANCO – SiĂšge social : 335 rue Antoine de Saint-ExupĂ©ry – 29490 GUIPAVAS. SA Ă  Directoire et Conseil de surveillance au capital de 210 000 000 € - RCS BREST B 338 138 795. SociĂ©tĂ© de courtage d’assurances, n°ORIAS 07 019 193 (vĂ©rifiable sur www.orias.fr). Cette publicitĂ© est conçue et diffusĂ©e par ÉS Energies Strasbourg sous la marque Planigy par ÉS, SociĂ©tĂ© Anonyme au capital de 6 472 800 €, immatriculĂ©e au Registre du Commerce et des SociĂ©tĂ©s de Strasbourg, sous le numĂ©ro 501 193 171 et dont le siĂšge social est situĂ© au 37 rue du marais Vert 67932 Strasbourg cedex 9, agissant en qualitĂ© d’intermĂ©diaire en opĂ©rations de banque et service de paiement de Financo immatriculĂ© Ă  l’ORIAS en tant que mandataire non exclusif sous le N°09049279 (en cours d’inscription). Cet intermĂ©diaire apporte son concours Ă  la rĂ©alisation d’opĂ©rations de crĂ©dit Ă  la consommation sans agir en qualitĂ© de PrĂȘteur.

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Lamya Essemlali, prĂ©sidente de Sea Shepherd France « Paul Watson est tombĂ© dans un guet-apens  »

Lamya Essemlali, prĂ©sidente de Sea Shepherd France, est une trĂšs proche de Paul Watson, le fondateur de la cĂ©lĂšbre association humanitaire qui pourchasse les navires-usines japonais qui chassent illĂ©galement la baleine sur tous les ocĂ©ans du monde. Alors que le Captain est incarcĂ©rĂ© depuis juillet dernier au Groenland, Lamya Essemlali vit Ă  ses cĂŽtĂ©s et nous raconte leur combat commun contre l’injustice et mĂȘme l’arbitraire, un combat qui a Ă©galement pour enjeu la survie de Paul Watson. Un grand entretien exclusif et passionnant


Avant que nous Ă©voquions la terrible actualitĂ© qui affecte Paul Watson, parlons un peu de vous. Comment en ĂȘtesvous arrivĂ©e Ă  devenir co-fondatrice de Sea Shepherd France ? Celles et ceux qui vous connaissent bien disent tous qu’il y a eu un fort engagement de votre part, et depuis longtemps


J’ai rencontrĂ© Paul Watson en janvier 2005, alors qu’il Ă©tait de passage Ă  Paris. Cette rencontre a Ă©tĂ© un fort point de dĂ©part, puisque je me suis complĂštement retrouvĂ©e dans son discours, et dans son mode d’action Ă©galement. Mon intention Ă©tait de trĂšs vite rejoindre les bateaux de Sea Shepherd. Au moment de cette rencontre, j’avais repris mes Ă©tudes en master en sciences de l’environnement parce que j’avais envie de m’engager dans la protection de la planĂšte.

Vous aviez quel Ăąge en 2005 ? Quelles Ă©taient vos origines ?

Je suis nĂ©e et j’ai grandi en banlieue parisienne. J’ai fait des Ă©tudes assez classiques puis, aprĂšs le bac, j’ai fait une Ă©cole de marketing. Je me suis assez vite rendue compte que ce n’était pas ce qui me motivait, ce n’était pas lĂ  que je m’épanouirais. Donc je me suis complĂštement rĂ©orientĂ©e et Ă  24 ans, j’ai dĂ©cidĂ© de reprendre des Ă©tudes pour travailler dans le domaine de la protection de la planĂšte, globalement ça me faisait vibrer
 J’étais dĂ©jĂ  militante, j’avais fait un peu de bĂ©nĂ©volat et j’avais levĂ© des fonds pour quelques organisations, sans pour autant me sentir tout Ă  fait Ă  ma place, c’était Ă  dĂ©faut d’autres choses on va dire
 En revanche, quand j’ai rencontrĂ© Paul et que j’ai dĂ©couvert l’existence de Sea Shepherd, lĂ  je me suis complĂštement retrouvĂ©e en accord profond avec Ă  la fois la philosophie

« L’objectif Ă©tait de trouver le Nisshin Maru, le navire-usine qui Ă©tait la piĂšce maĂźtresse de la flotte baleiniĂšre japonaise. »

et le mode d’action de l’organisation. Au moment de cette rencontre, Paul Ă©tait de passage Ă  Paris, il avait un peu de temps, c’était un dimanche et il avait organisĂ© une petite confĂ©rence avec un public d’à peine une trentaine de personnes, car il n’était pas encore trĂšs connu en France. Je me souviens qu’il n’avait mĂȘme pas d’interprĂšte. J’ai eu envie de rejoindre immĂ©diatement ce mouvement-lĂ . Je le lui ai dit et il m’a posĂ© la question qu’il posait systĂ©matiquement Ă  l’époque Ă  tous ceux qui voulaient rejoindre les bateaux : est-ce que tu es prĂȘte Ă  risquer ta vie pour une baleine ? J’ai affirmĂ© que oui et ce fut un moment trĂšs Ă©tonnant pour moi. Cette rĂ©ponse spontanĂ©e s’est comme imposĂ©e Ă  moi en dĂ©pit du fait que je n’avais jamais vu de baleine de ma vie Ă  cette Ă©poque-lĂ . Il m’a rĂ©pondu : bon, si c’est le cas, alors postule, et on se reverra sur un bateau. Quelques mois plus tard, je suis arrivĂ©e en Floride pour rejoindre le bateau qui a commencĂ© une premiĂšre mission aux Galapagos, oĂč j’ai passĂ© tout l’été 2005. Et quand je suis rentrĂ©e en France en septembre, je suis retournĂ©e Ă  la fac, mais l’hiver suivant, donc en dĂ©cembre, il y avait la mission contre la chasse baleiniĂšre en Antarctique. J’ai prĂ©venu tous mes profs Ă  l’époque que je ne serai pas prĂ©sente pour les partiels de dĂ©cembre parce que j’allais en Antarctique pour sauver des baleines. Ils ont tous Ă©tĂ© trĂšs coopĂ©ratifs, hyper fiers qu’une de leurs Ă©lĂšves fasse ça. Et j’ai pu vivre cette premiĂšre mission-lĂ  en Antarctique


Comment s’est passĂ©e cette premiĂšre mission ? Vous avez fait quoi concrĂštement ?

L’objectif Ă©tait de trouver le Nisshin Maru, le navire-usine qui Ă©tait la piĂšce maĂźtresse de la flotte baleiniĂšre japonaise, un ancien chalutier de 8 000 tonnes, assez colossal, qui avait Ă©tĂ© converti en navire-usine. La flotte baleiniĂšre, c’était un navire spotter, c’est-Ă dire un navire qui part repĂ©rer les baleines, et deux navires-harponneurs qui sont ensuite chargĂ©s de les harponner et de les ramener sur le Nisshin Maru, Ă  bord duquel les baleines seront hissĂ©es, dĂ©coupĂ©es, congelĂ©es, puis stockĂ©es. Et donc pour nous, l’objectif Ă©tait de maniĂšre prioritaire de trouver le navire-usine et de bloquer en fait le passage des baleines par la rampe arriĂšre, car Ă  partir du moment oĂč on bloque cette opĂ©ration prĂ©cise, on paralyse l’ensemble de l’opĂ©ration de chasse puisqu’il ne sert alors plus Ă  rien pour les harponneurs d’aller tuer des baleines si leurs collĂšgues ne sont plus en mesure de les dĂ©couper et les congeler trĂšs rapidement, car la viande de baleine devient trĂšs vite impropre Ă  la consommation. Nous touchions lĂ  au tendon d’Achille de la flotte baleiniĂšre japonaise et donc, notre prioritĂ©

« Quand on dit qu’on est prĂȘt Ă  risquer notre vie pour sauver des baleines, ce n’est pas juste un slogan, c’est bien rĂ©el. »

Ă©tait de trouver ce bateau-lĂ . C’est ce que l’on a fait aprĂšs l’avoir cherchĂ© pendant plusieurs semaines, on a fini par le dĂ©nicher et par lui barrer la route. Pour moi c’était le premier moment trĂšs concret quant Ă  la prise de risque. Le jour oĂč on le trouve est un jour de forte tempĂȘte il y a une houle de dix mĂštres de haut et Paul nous dit : « bon, on se met devant lui, on lui barre la route et on ne bouge pas ! » C’est ce que l’on fait. Du coup, le Nisshin Maru Ă©tait en train de nous foncer dessus : on est au bout du monde, il n’y a personne pour nous secourir ou pour nous aider au milieu de cette houle, Ă  bord de notre bateau qui fait 700 tonnes et qui est dix fois plus petit que le navire-usine
 En fait, notre bateau n’était qu’une simple coquille de noix en comparaison avec le Nisshin Maru. Notre premier officier nous explique que, quand il y aura la collision, trĂšs certainement, notre bateau sera coupĂ© en deux et coulera Ă  pic. On a tous nos combinaisons de survie, mais on sait bien que, de toute façon, on ne va pas tenir bien longtemps dans l’eau glacĂ©e avec ça et qu’on n’a pas beaucoup de chance de s’en tirer. En mĂȘme temps, Paul nous dit : « en fait, on ne bouge pas parce que sinon, autant rentrer Ă  la maison. On est lĂ  pour les empĂȘcher de chasser. » Et je me souviens vraiment trĂšs distinctement de ce fameux moment oĂč le premier officier vient nous voir et nous dit : « collision dans deux minutes ! » À l’extĂ©rieur de la passerelle, on entendait juste les sirĂšnes d’alarme du Nisshin Maru, avec une voix enregistrĂ©e qui, via le haut-parleur, hurlait : « dĂ©gagez, dĂ©gagez du chemin, route de collision, dĂ©gagez ! » À ce moment-lĂ , effectivement, on se dit : et bien voilĂ , on est arrivĂ©. C’est le bout du chemin. C’est la fin. Clairement, je me dis Ă  cet instant que je ne reverrai pas les gens que j’aime parce que c’est ici que ça se termine, c’est comme ça. Et en fait, ça a Ă©tĂ© un moment trĂšs, trĂšs important pour nous et pour moi, parce que mĂȘme s’il y avait la peur, je n’ai ressenti aucun regret.

En fait, je me sentais Ă  ma place. Je savais que j’étais Ă  ma juste place. Et Ă  aucun moment, je ne me suis dit, mais dans quoi je me suis embarquĂ©e ? C’est n’importe quoi. Je donnerai tout pour ĂȘtre Ă  Paris. Non, pas du tout. Je l’affirme, il n’y avait aucun endroit au monde oĂč j’avais envie d’ĂȘtre, ailleurs qu’ici. Et donc, ce moment-lĂ  a Ă©tĂ© trĂšs, trĂšs important aussi pour la suite parce qu’effectivement, ce baptĂȘme du feu a Ă©tĂ© la confirmation de la nature profonde de mon engagement parce que, mĂȘme si je m’étais sentie sincĂšre quand j’avais rĂ©pondu positivement Ă  la question de Paul Ă  Paris, j’étais Ă  l’évidence loin d’ĂȘtre dans le concret Ă  ce moment-lĂ , je n’avais jamais Ă©tĂ© dans une situation Ă  risque comme celle que je vivais dans cette immensitĂ© liquide au bout du monde, trĂšs loin du cocon parisien


Comment ça s’est terminé ?

Et bien, en fait, au dernier moment le Nisshin Maru a virĂ© de bord aprĂšs avoir foncĂ© jusqu’au bout, aprĂšs avoir testĂ© notre motivation et compris qu’en fait on n’allait pas bouger. Et pour nous, c’était trĂšs important qu’ils sachent que quand on dit qu’on est prĂȘt Ă  risquer notre vie pour sauver des baleines, ce n’est pas juste un slogan, c’est bien rĂ©el.

Paul le savait je crois, et je me souviens l’avoir entendu dire qu’on Ă©tait plus d’une quarantaine Ă  bord, de vingt-trois nationalitĂ©s diffĂ©rentes. En fait, imaginez la crise diplomatique que ça aurait Ă©tĂ© Ă  gĂ©rer pour le Japon, d’avoir percutĂ© et tuĂ© quarante-quatre personnes de vingt-trois pays diffĂ©rents dans un sanctuaire baleinier international, alors qu’ils sont en train de chasser en violation d’un moratoire. Ça aurait Ă©tĂ© catastrophique pour l’image du pays. Paul s’en doutait, mais on n’est jamais certain de rien, bien sĂ»r.

Le tout, en fait, c’est de savoir oĂč on met les pieds. Il y a mille et une façons de s’engager aux cĂŽtĂ©s de Sea Shepherd.

On n’est pas obligĂ© de commencer par des moments pareils
 On peut s’engager en Ă©tant prĂšs de chez soi, en faisant des articles, des confĂ©rences ou quoi que ce soit d’autre. Mais Ă  partir du moment oĂč on s’engage sur les bateaux, on peut potentiellement se retrouver dans des situations Ă  risque comme ça, face Ă  des gens qui n’ont pas forcĂ©ment de scrupules. C’est juste quelque chose Ă  avoir en tĂȘte. Ça veut dire que quand on se retrouve dans une telle situation et qu’on est face Ă  un navire de 8 000 tonnes qui vous fonce dessus et que vous avez le capitaine qui dit « on ne bouge pas », il n’y a pas de place pour la surprise ou l’étonnement. On ne peut pas se dire « mais attends, il est complĂštement fou, comment ça on ne bouge pas ? » Non, on est lĂ  pour ça en fait. Donc, on sait Ă  quoi on s’engage.

Et vous avez rĂ©ussi Ă  bloquer ensuite la rampe arriĂšre ?

Non, par sur ce coup-lĂ , lui, il a rĂ©ussi Ă  nous Ă©chapper. Mais on l’a retrouvĂ© aprĂšs. Et on lui a fait perdre Ă©normĂ©ment de temps. Ça n’a pas Ă©tĂ© la campagne oĂč on a Ă©tĂ© le plus efficace, parce que cette annĂ©e-lĂ , on avait un bateau qui n’était malheureusement pas suffisamment rapide. En revanche, on y est retournĂ© les

saisons suivantes, avec des bateaux plus rapides. Lors de ces annĂ©es, je crois que le meilleur qu’on ait fait, c’est d’avoir rĂ©ussi Ă  diminuer de 90 % le nombre de baleines tuĂ©es. C’est assez Ă©norme. En gĂ©nĂ©ral, c’était autour de 50 Ă  60 % de baleines sauvĂ©es. La meilleure annĂ©e qu’on ait faite, c’était 91 %, c’était Ă©norme !

Qu’est-ce qu’il s’est passĂ© pour vous aprĂšs cette premiĂšre expĂ©rience mĂ©morable ?

Quand je suis rentrĂ©e d’Antarctique, je me suis dit qu’il fallait en fait qu’on crĂ©e Sea Shepherd France. Il fallait absolument qu’on alerte l’opinion publique en France sur ce qui se passait. À l’époque, je n’avais mĂȘme pas conscience, en fait, du rĂŽle central jouĂ© par la France en matiĂšre de protection des ocĂ©ans, du fait de notre deuxiĂšme position en terme de surface maritime et, partant, de notre responsabilitĂ©.

Du coup, j’ai fondĂ© l’antenne française en novembre 2006 en me disant que ça allait rester quelque chose de trĂšs embryonnaire, car, en fait, on allait nous trouver beaucoup trop radicaux. Dans les milieux français de l’action Ă©cologique et Ă©cologiste, on n’est pas du tout habituĂ© Ă  ce genre d’actions qui correspondent Ă  un modus operandi un peu Ă  l’anglo-saxonne. Et bien, j’avais tort de penser comme

ça. J’ai Ă©tĂ© assez vite agrĂ©ablement surprise de voir qu’il y avait en fait un Ă©cho assez Ă©norme pour les actions et la philosophie de Sea Shepherd. Et aujourd’hui, Sea Shepherd France est l’antenne la plus dynamique et la plus active, celle qui incarne le mieux la rĂ©sistance et l’ADN originel de Sea Shepherd, telle que l’organisation a Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en 1977.

Quel est le budget de Sea ShepherdFrance ?

On a un budget annuel qui est d’environ trois millions d’euros. 99,5 % des fonds viennent de monsieur et madame tout le monde en fait, qui font des petits dons mensuels, notamment. Et les 0,5 % restants proviennent de petites fondations ou de petites institutions. On n’a pas du tout de subvention publique par exemple. Ça nous procure une Ă©norme liberté 

Venons en maintenant à la situation trÚs pénible vécue actuellement par Paul Watson, emprisonné depuis des mois au Groenland


Le Japon a dĂ©cidĂ© d’inaugurer le KangeĂŻ Maru qui est la relĂšve du Nisshin Maru dont on parlait tout Ă  l’heure. C’est un navire-usine qui est encore plus grand que son prĂ©dĂ©cesseur.

Cet Ă©tĂ©, il a lancĂ© sa premiĂšre campagne de chasse dans le Pacifique Nord. Donc, Paul a dĂ©cidĂ© de lui barrer la route et l’empĂȘcher de massacrer les baleines.

En fait, Paul fait l’objet d’une notice rouge d’Interpol depuis 2012. Cette procĂ©dure a beaucoup restreint ses mouvements, le contraignant Ă  faire trĂšs attention aux pays dans lesquels il s’arrĂȘtait. En France, il n’y a jamais eu aucun problĂšme. Il a aussi Ă©tĂ© en Suisse, en Irlande, aux Pays-Bas et aux États-Unis, Ă©videmment. Mais il y a certains pays dans lesquels il ne pouvait se rendre. C’est typiquement le cas du Groenland qui est rattachĂ© au Danemark, Ă  cause des campagnes qu’on mĂšne depuis des dĂ©cennies contre les massacres de dauphins aux Ăźles FĂ©roĂ©, qui sont sous protectorat du Danemark. On sait qu’on n’est pas en odeur de saintetĂ© dans ce pays.

Mais en novembre 2023, la notice rouge a disparu du site internet d’Interpol. On a donc menĂ© quelques recherches pour savoir ce qu’il s’était passĂ©. Et en fait, on nous a affirmĂ© que cette notice rouge n’existait plus. Et que donc, il n’y avait plus de mandat d’arrĂȘt. En rĂ©alitĂ©, cette notice a simplement Ă©tĂ© camouflĂ©e. Paul, en fait, s’est rendu au Groenland pour faire le plein, tout simplement, parce que c’était le dernier endroit oĂč il pouvait ravitailler avant le passage vers le Pacifique Nord. Et quand il a accostĂ© pour faire le plein, et bien, il y a quatorze policiers fĂ©dĂ©raux qui sont montĂ©s Ă  bord et l’ont arrĂȘté .

À ce stade, concernant la notice qui disparaĂźt du site d’Interpol, vous dites vous-mĂȘme qu’il est tout Ă  fait possible qu’elle ait Ă©tĂ© camouflĂ©e, c’est votre

terme. Ça sous-entendrait que Paul Waston a Ă©tĂ© piĂ©gé ?

On sait qu’elle a Ă©tĂ© camouflĂ©e, la police a fini par nous le dire et puis mĂȘme Interpol nous a confirmĂ© que ce camouflage avait Ă©tĂ© exercĂ© Ă  la demande du Japon
 Et Paul est tombĂ© dans ce guet-apens


Paul Watson a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© dans le petit port de Nuuk, oĂč il est toujours incarcĂ©rĂ© Ă  ce jour. Comment avez-vous rĂ©agi, personnellement, Ă  l’annonce de cette arrestation ?

J’ai eu la nouvelle dĂšs le 21 juillet. Trois jours aprĂšs, je prends l’avion pour le Groenland et je passe un premier sĂ©jour de trois semaines sur place, oĂč je vais voir Paul tous les jours de la semaine puis je commence le cycle des allers-retours avec la France, je crois que j’en suis au cinquiĂšme aujourd’hui... Je m’assure d’ĂȘtre prĂ©sente Ă  toutes les audiences, et lors de chaque voyage, je lui ramĂšne Ă  chaque fois ses mĂ©dicaments parce qu’il est sous traitement mĂ©dical. Je lui ramĂšne des DVD parce qu’il n’a aucun accĂšs Ă  internet. Il n’a droit qu’à une visio de dix minutes par semaine, avec sa femme et ses enfants


Ses conditions de détention se sont considérablement durcies ces derniÚres semaines, je crois


C’est exact, et c’est important qu’il ait des visites. À cĂŽtĂ© de ça, je travaille aussi sur la campagne de communication pour obtenir sa libĂ©ration et puis aussi avec l’équipe juridique qu’on a mise en place. On a une dizaine d’avocats en tout, des avocats français, danois, groenlandais


Les demandes de mise en liberté se succÚdent, sans résultat


Oui, je crois qu’on est à la quatriùme ou la cinquiùme. Je ne sais plus
.

Et le timing maintenant, c’est une cour danoise qui doit statuer dĂ©finitivement sur l’extradition ou non, c’est ça ?

Non, il s’agit du ministre de la justice danois, en personne. C’est donc un homme seul qui va prendre la dĂ©cision d’extrader ou non Paul Watson.

Une date est fixĂ©e pour cette dĂ©cision ?

On aimerait bien le savoir justement. On ne sait rien, on n’a aucune rĂ©ponse. Ça fait plus de trois mois qu’on attend, les avocats ne savent pas non plus, et en fait, cet homme prend son temps
 Et pendant ce temps-lĂ , Paul reste en prison.

Qu’est-ce qu’il se passe en coulisses selon vous ?

Pour l’instant, on ne voit pas grandchose se produire. On a lancĂ© une pĂ©tition et on a fait une demande officielle d’octroi de la nationalitĂ© française Ă  Paul. Et pour l’instant, pas de son, pas d’image venant de l’ÉlysĂ©e. VoilĂ ...

Ce silence de notre pays, du moins officiel, il peut s’expliquer comment ?

Je pense qu’il y a des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques et diplomatiques en jeu avec le Danemark et avec le Japon. Les choses se pĂšsent et se soupĂšsent. Le Japon est quand mĂȘme une grande puissance Ă©conomique mondiale et on sait qu’il a des accords commerciaux colossaux avec le Danemark. Un exemple : les contrats Ă©oliens, ce sont plusieurs centaines de millions qui sont en jeu, car le Danemark est le leader mondial de l’éolien. CĂŽtĂ© français, c’est pareil, il y a d’énormes intĂ©rĂȘts commerciaux qui sont en place


Quel est votre sentiment ? Est-ce que ça peut dĂ©boucher sur une issue favorable ou pas ?

Moi, j’ai du mal Ă  imaginer qu’on puisse se diriger vers une extradition, mais, Ă  l’heure actuelle, on ne peut quand mĂȘme pas l’écarter complĂštement. À l’heure oĂč nous nous parlons (le 10 novembre dernier - ndlr), Paul aura bientĂŽt fait quatre mois de prison, c’est la durĂ©e maximale d’emprisonnement au Groenland pour quelqu’un dont la culpabilitĂ© n’a pas Ă©tĂ© prononcĂ©e. Donc on est dĂ©jĂ  dans quelque chose de dĂ©lirant. Et en mĂȘme temps, on sait que le Danemark, en fait, essaye de caresser les Ăźles FĂ©roĂ© dans le

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 Nous sommes donc face Ă  un juge qui refuse de voir les preuves de son innocence. Donc on n’est pas Ă  l’abri qu’il dĂ©cide quand mĂȘme de le maintenir encore en dĂ©tention


Parlons de l’état de santĂ© de Paul puisque vous dites qu’il est sous traitement. Il vient d’avoir 74 ans le 2 dĂ©cembre et s’il venait Ă  ĂȘtre extradĂ© au Japon, tout le monde craint qu’il ne ressorte pas vivant de cette Ă©preuve. C’est votre sentiment aussi ?

C’est clair que s’il venait Ă  ĂȘtre extradĂ©, on ne le reverrait pas vivant. On connaĂźt le systĂšme carcĂ©ral au Japon et on sait que ce pays est dans une dĂ©marche de vengeance. C’est terrible Ă  dire, mais je pense vraiment qu’il vaudrait mieux lui tirer une balle dans la tĂȘte parce que ce qui l’attend lĂ -bas, ça serait la torture physique et psychologique au quotidien.

« Mais on a une poignĂ©e de nantis (...) qui s’accrochent Ă  des postes haut placĂ©s avec des avantages, des privilĂšges qui disparaĂźtraient si l’industrie baleiniĂšre venait Ă  s’écrouler. »

Comment est-il actuellement, Ă  l’instant oĂč on parle ? Est-ce qu’il a le moral ? Est-ce qu’il reste combatif ?

Le plus dur pour lui, en fait, est d’ĂȘtre Ă©loignĂ© de ses deux jeunes enfants. Ils lui manquent Ă©normĂ©ment et il a manquĂ© leurs deux anniversaires. AprĂšs, ce qu’il se dit aussi, c’est que son incarcĂ©ration a le mĂ©rite, en tout cas, de braquer les projecteurs sur l’illĂ©galitĂ© de la chasse baleiniĂšre menĂ©e par le Japon. Il sait que c’est quelque chose qui a toujours fait partie des risques qu’il a toujours pris. Il a toujours dit que ce que l’on fait implique aussi, potentiellement, de risquer sa vie et sa libertĂ©, parce qu’on s’attaque Ă  des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques trĂšs puissants, mĂȘme si, Ă©conomiquement, pour le Japon, la chasse baleiniĂšre n’a absolument aucun intĂ©rĂȘt. Au contraire, elle coĂ»te extrĂȘmement cher. C’est important de le prĂ©ciser quand mĂȘme. Moins de 2 % des Japonais mangent de la viande de baleine et donc, Ă©conomiquement, c’est une industrie qui est sous perfusion de subventions publiques. Mais on a une poignĂ©e de nantis, d’anciens membres du gouvernement qui sont de la droite ultranationaliste, qui s’accrochent Ă  des postes haut placĂ©s avec des avantages, des privilĂšges qui disparaĂźtraient si l’industrie baleiniĂšre venait Ă  s’écrouler. Donc ce n’est pas le peuple japonais qui est en cause, c’est un noyau dur de quelques personnes, les yakuzas notamment, cette mafia des yakuzas qui est trĂšs impliquĂ©e dans la chasse baleiniĂšre, qui l’utilise et qui se cache derriĂšre tout le rouleau compresseur de la machine d’État pour broyer un homme qui a osĂ© s’opposer Ă  eux. On est strictement parlant dans la vengeance


Dans ces conditions, que peut faire le grand public ? Parce que là, maintenant, j’ai l’impression que c’est directement

sur le ministre danois de la Justice qu’il faut mettre la pression...

Oui, on va essayer d’intensifier la pression ici au Danemark, mais en France, les gens peuvent signer et partager la pĂ©tition pour l’octroi de la nationalitĂ© française. Ça, c’est important. Elle est sur la page d’accueil du site de Sea Shepherd France. Et que les gens n’hĂ©sitent pas Ă  Ă©crire Ă  Paul en prison parce que ça lui remonte le moral de recevoir du courrier.

Pour vous, c’est une Ă©preuve inĂ©dite. Forte de votre engagement depuis prĂšs de 20 ans, comment vivez-vous personnellement cette histoire ?

Pour moi, il y a deux choses : d’abord il y a cette injustice, Ă©videmment, par rapport au fait d’incarcĂ©rer quelqu’un qui a sauvĂ© des baleines dans un sanctuaire baleinier international. C’est l’injustice qui est faite au capitaine Watson, fondateur de Sea Shepherd, et par ricochet, finalement, Ă  tous les activistes, tous ceux qui souhaitent dĂ©fendre et protĂ©ger la planĂšte.

Et puis aprĂšs, il y a aussi Paul, que je connais personnellement, qui est un ĂȘtre humain qui est extrĂȘmement attachant, extrĂȘmement juste, extrĂȘmement bienveillant, et pour lequel j’ai Ă©normĂ©ment d’affection. Et donc, tout ce que je fais pour l’aider, je le fais Ă©videmment pour l’activiste, mais aussi, et beaucoup, pour l’ĂȘtre humain qu’il est, l’homme qu’il est, qui est comme un pĂšre pour moi.. Donc il y a ces deux dimensions, je les vis de maniĂšre assez difficile et en mĂȘme temps je suis en mode machine, c’est-Ă -dire que je suis un peu en pilotage automatique
 Je ne m’arrĂȘterai pas tant qu’il ne sera pas sorti de prison, je suis poussĂ©e par cette Ă©nergie-lĂ , j’avance et je ne veux pas croire qu’on n’y arrivera pas
 b

c DOSSIER — EXPOS TGV PARIS

Jean-Luc Fournier

En cette fin d’annĂ©e 2024, aprĂšs un formidable Ă©tĂ© olympique qui a marquĂ© les esprits et propulsĂ© Paris au firmament des destinations mondiales Ă  visiter, la capitale française aligne ses atouts artistiques. Comme Ă  l’habitude, vous serez nombreux Ă  y sĂ©journer durant les fĂȘtes de fin d’annĂ©e, pour un jour ou plusieurs, et c’est le moment idĂ©al pour visiter l’une ou l’autre des expositions exceptionnelles que les musĂ©es parisiens vous proposent


Pour beaucoup, cet hiver 2024-2025 naissant va marquer un cap dans la tradition parisienne dĂ©jĂ  trĂšs ancienne des « grandes expositions » organisĂ©es de la fin d’automne au dĂ©but du printemps suivant.

La raison en est bien triviale : l’argent. Pour les institutions publiques, il manque de plus en plus, comme diverses sonnettes d’alarme dĂ©jĂ  tirĂ©es les annĂ©es passĂ©es l’ont montrĂ©. Cette annĂ©e, il y a comme un symbole Ă©crasant sous nos yeux : le Centre Pompidou va fermer pour une totale rĂ©novation de ses 103 305 m2 qui va durer cinq trĂšs longues annĂ©es. La « raffinerie de pĂ©trole » du plateau de Beaubourg (comme le Centre avait Ă©tĂ© nommĂ© ironiquement en 1977 quand ses immenses tubulures Ă©taient apparues au-dessus du plus vieux quartier de la capitale) a abritĂ© annĂ©e aprĂšs annĂ©e les plus grandes expositions jamais rĂ©alisĂ©es Ă  Paris, au mĂȘme titre que celles organisĂ©es dans les autres grands musĂ©es publics.

Mais en cette fin 2024, l’expo SurrĂ©alisme prĂ©sentĂ©e par le Centre Pompidou (jusqu’au 13 janvier prochain) sonne un peu comme le chant du cygne avant sa fermeture totale pour travaux.

L’essor des fondations privĂ©es

Les interrogations sont d’autant plus de mise que les fondations privĂ©es semblent s’ĂȘtre dĂ©sormais accaparĂ© le concept des expos exceptionnelles et quelquefois, gĂ©antes, celles dont les budgets sont en permanence sur la base de plusieurs millions d’euros voire mĂȘme de plus de dix millions d’euros pour Chtchoukine en 2016 (la collection russe avait auparavant Ă©tĂ© proposĂ©e au musĂ©e d’Orsay qui n’avait pu relever le challenge, faute de moyens financiers).

C’est que tout coĂ»te horriblement cher aujourd’hui, dĂšs qu’on envisage ce type d’évĂ©nements artistiques « blockbusters », des valeurs d’assurance des Ɠuvres jusqu’au renchĂ©rissement impressionnant du coĂ»t des

transports, encore aggravĂ© par les exigences des prĂȘteurs qui ne « lĂąchent » leurs prĂ©cieux trĂ©sors qu’en contrepartie de solides garanties sur leurs conditions de voyage. Tout cela a fait exposer les budgets de mise en Ɠuvre de ces expos. Bref, tout est dĂ©sormais conditionnĂ© par les moyens financiers et les institutions publiques ne les ont plus. Les retrouveront-elles ? Pas avant trĂšs longtemps, c’est malheureusement certain


On vous donne envie de tout découvrir


Pour cette annĂ©e, retrouvez dans les pages suivantes le surprenant Gustave Caillebotte Ă  Orsay (quel accrochage ! L’expo est belle Ă  tomber
), les artistes disruptifs de l’Arte Povera Ă  la Bourse de Commerce-Pinault Collection ou encore Tom Wesselmann et les autres artistes du Pop Art Ă  la Fondation Louis Vuitton. Mais vous dĂ©couvrirez aussi (vous ne la connaissiez sans doute pas
) la surprenante photographe amĂ©ricaine Tina Barney qui expose ses clichĂ©s gĂ©ants au musĂ©e du Jeu de Paume.

Nos pages multiplient les surprises inĂ©dites, comme les chefs-d’Ɠuvre du Trompe-l’Ɠil au (trop) discret MusĂ©e Marmottan-Monnet par exemple. Et, mĂȘme si, faute de place, nous n’avons pas pu les chroniquer ici, nous vous encourageons Ă  parcourir les espaces de la sublime expo sur les Ɠuvres de jeunesse de James Cameron, Ă  la CinĂ©mathĂšque française de Bercy, Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques au MusĂ©e du Louvre, ou encore la si superbe Collection de la Galerie BorghĂšse au musĂ©e Jacquemart-André 

Plus prĂšs de nous, on parle aussi de la rĂ©trospective Matisse Ă  la Fondation Beyeler Ă  BĂąle. Et encore plus prĂšs, Ă  l’Espace Apollonia Ă  l’entrĂ©e de La Robertsau, ce sont 95 tirages noirs et blancs de Frantisek Zvardon, rĂ©cemment dĂ©cĂ©dĂ©, qui vous attendent : tous focalisent l’attention sur l‘homme et la nature. Cette exposition est splendide
 c

Gustave Caillebotte, Le pont de l’Europe, 1877.

La partie de bateau, 1877–78

c DOSSIER — EXPOS TGV

Jean-Luc Fournier © MusĂ©e d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Sophie CrĂ©py / Patrice Schmidt – The Art Institute of Chicago – Lea Gryze c/o Reprofotografen – DR

MUSÉE D’ORSAY

Le musĂ©e d’Orsay ne propose pas une rĂ©elle rĂ©trospective de Caillebotte (la derniĂšre, qui fut aussi la seule, avait Ă©tĂ© organisĂ©e il y a trente ans Ă  Paris), mais une exposition thĂ©matique centrĂ©e sur les figures masculines composant « 70 % de l’Ɠuvre de l’artiste » selon le rĂ©dacteur du catalogue officiel de l’exposition. MalgrĂ© tout, le remarquable accrochage rĂ©alisĂ© par Paul Perrin, le commissaire de l’expo du musĂ©e d’Orsay, est Ă  dĂ©couvrir absolument.

Gustave Caillebotte (1848-1894) n’est plus de ce monde depuis 130 ans. Cette date anniversaire n’a sans doute pas suffi Ă  elle seule pour programmer l’exposition parisienne Ă  Orsay. Plus sĂ»rement, l’entrĂ©e dans les collections du MusĂ©e d’Orsay (grĂące au mĂ©cĂ©nat du Groupe LVMH) de La partie de bateau, une des toiles les plus cĂ©lĂšbres du peintre, aura sans doute dĂ©clenchĂ© le projet (en octobre dernier, au tout dĂ©but de l’expo, cette toile utilisĂ©e pour l’affiche inondait les stations de mĂ©tro et les rues parisiennes).

Ainsi, ce sont donc 140 Ɠuvres et objets, dont 65 peintures, une trentaine de dessins prĂ©paratoires, des photographies, des costumes d’époque et des documents divers qui composent l’exposition parisienne de cette fin d’annĂ©e.

« Le peintre de la vie moderne »

Les dĂ©buts du jeune Gustave Caillebotte, entrĂ© Ă  l’École des Beaux-Arts de Paris en 1873, se font dans une France encore profondĂ©ment meurtrie par les massacres de la Commune de Paris et l’humiliante dĂ©faite subie face aux armĂ©es prussiennes. Paradoxe : la fourniture en masse de tissu pour les uniformes et de draps pour les lits allait alors faire la fortune de la famille Caillebotte


Encore trop jeune pour figurer dans la premiĂšre exposition des impressionnistes en 1874, les peintures de Gustave Caillebotte font sensation lors de la deuxiĂšme exposition, deux ans plus tard, surtout les deux tableaux Raboteurs de parquet , prĂ©sentĂ©s Ă  Orsay. Les tableaux frappent encore aujourd’hui par leur apparent classicisme assumĂ© au point que certains critiques

d’art de l’époque firent rapidement remarquer Ă  quel point les Raboteurs de parquet tranchaient avec l’ensemble des toiles de ce groupe que la presse avait rapidement classĂ© sous le terme Les impressionnistes. DĂ©jĂ , le peintre dĂ©butant dĂ©tonnait


Déçu par le jury du salon de 1875 qui refusa d’exposer son tableau, Caillebotte dĂ©cida immĂ©diatement de n’exposer que dans des salons de peintres « indĂ©pendants », ce qui prĂ©cipita encore plus rapidement son arrivĂ©e parmi les plus novateurs artistes de l’époque.

Sa situation familiale de « grand bourgeois » lui fit frĂ©quenter ce qu’on appelait alors les beaux quartiers. MĂȘme l’atmosphĂšre de la scĂšne des Raboteurs est

« Les tableaux frappent encore aujourd’hui par leur apparent classicisme assumĂ©. »

Rue de Paris, temps de pluie, 1877

connectĂ©e Ă  cet environnement huppĂ©, les ouvriers fabriquant en fait
 le parquet de l’hĂŽtel particulier familial.

Caillebotte hĂ©rita donc trĂšs vite du titre de peintre de la vie moderne. L’exposition d’Orsay prĂ©sente en majestĂ© ses toiles qui multiplient les points de fuite, toutes peintes Ă  partir de cet Ɠil surplombant si caractĂ©ristique. On ne compte plus aujourd’hui les commentaires d’apprentis-critiques d’art imaginant dĂ©tenir la preuve que Caillebotte « voit les choses de trĂšs haut », loin des turpitudes du quotidien de la population, la supĂ©rioritĂ© prĂ©sumĂ©e du grand bourgeois sur le prolĂ©tariat.

Une homosexualitĂ© cachĂ©e ?

Il faut bien sĂ»r Ă©voquer le propos de l’exposition : Peindre les hommes. Le catalogue nous « invite » Ă  nous prĂ©occuper de « la sexualitĂ© de la peinture de Caillebotte », pas moins ! Quelle drĂŽle de sommation
 Le mĂȘme catalogue recense (lourdement) sept tableaux sur dix, dans l’Ɠuvre de l’artiste, oĂč n’apparaissent que des hommes
 Et tant pis si Gustave Caillebotte peint sa compagne nue, dans une pose provocante, son doigt titillant un tĂ©ton. Le tableau figure bien parmi les « 70 % de tableaux d’hommes rĂ©alisĂ©s par le peintre ». Charlotte Berthier, sa compagne, le restera jusqu’à sa disparition oĂč elle hĂ©ritera d’une rente importante. Factuellement, pas le moindre Ă©lĂ©ment nouveau ne vient Ă©tayer cette thĂšse de l’homosexualitĂ© cachĂ©e, apparue au dĂ©tour de la fin du xx e siĂšcle, une chercheuse amĂ©ricaine ayant alors prĂ©conisĂ© de considĂ©rer l’Ɠuvre de Caillebotte avec un « regard gay ».

L’exposition d’Orsay n’est donc pas loin de brutaliser quelque peu l’histoire de l’art, son titre et l’absence de nombreux tableaux restĂ©s aux États-Unis (ses remarquables natures mortes et ses fleurs rĂ©alisĂ©es peu avant la fin de sa vie) faisant focaliser encore plus sur la masculinitĂ© des toiles prĂ©sentĂ©es Ă  Paris.

Ne pas passer à cÎté de Caillebotte

Les États-Unis, parlons-en. DĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1900, leurs collectionneurs et leurs musĂ©es publics et privĂ©s ont

Raboteurs de parquet, 1875

Homme s’essuyant la jambe, vers 1884

acquis de trĂšs nombreuses Ɠuvres de Caillebotte sans mĂȘme qu’une compĂ©tition s’amorce avec l’État français d’alors ou les collectionneurs de notre pays. Il en fut Ă©galement ainsi avec nombre de toiles du groupe des impressionnistes dont la France se dĂ©sintĂ©ressa surprenamment Ă  la fin du xixe siĂšcle.

Une nouvelle preuve de la prĂ©sĂ©ance amĂ©ricaine sur les impressionnistes français en est aujourd’hui apportĂ©e avec l’exposition Caillebotte de cette fin d’annĂ©e Ă  Orsay, puisqu’elle sera intĂ©gralement prĂ©sentĂ©e l’an prochain au Paul Getty Museum de Los Angeles avant d’ĂȘtre accrochĂ©e ensuite Ă  l’Art Institute de Chicago. On y surveillera alors l’armĂ©e de nĂ©o-critiques qui ne vont

sĂ»rement pas manquer de reprendre la thĂšse de l’homosexualitĂ© supposĂ©e du peintre
 Reste qu’on peut admirer l’ensemble des toiles exposĂ©es Ă  Orsay (et mĂȘme prendre son temps pour dĂ©couvrir les autres talents de Caillebotte, qui fut aussi un rĂ©gatier paraĂźt-il exceptionnel, doublĂ© d’une belle rĂ©putation de concepteur de voiliers).

Si la France de la fin du xix e siĂšcle et du dĂ©but du xx e n’a pas saluĂ© Ă  son juste mĂ©rite l’Ɠuvre de ce peintre brillant, il ne faudrait pas que les amateurs d’art du dĂ©but de cette troisiĂšme dĂ©cennie du xxi e siĂšcle passent Ă  cĂŽtĂ© de l’occasion qui leur est donnĂ©e de dĂ©couvrir ou redĂ©couvrir Gustave Caillebotte, « le peintre de la vie moderne »  c

MUSÉE D’ORSAY

GUSTAVE CAILLEBOTTE

Esplanade

ValĂ©ry Giscard d’Estaing 75007 Paris

MĂ©tro : Ligne 12 (Station SolfĂ©rino)

Ouvert tous les jours de 9h30 Ă  18h. FermĂ© le 25 dĂ©cembre Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45 RĂ©servation internet trĂšs conseillĂ©e

Jusqu’au 19 janvier 2025 www.musee-orsay.fr

L’Arte povera est l’un des mouvements les plus inventifs de la seconde moitiĂ© du xxe siĂšcle. C’est une expo-monstre (plus de 250 piĂšces, toutes plus originales et inspirantes les unes que les autres) qui attend les visiteurs Ă  la Bourse de Commerce – Pinault Collection, ce parfait Ă©crin au cƓur de Paris


Jean-Luc Fournier © Pinault Collection – Adagp, Paris, 2024 – Jean-Luc Fournier – DR

IdĂ©es de pierre – 1532 kg de lumiĂšre sur le parvis de la Bourse de Commerce

L’exposition Arte Povera dĂ©bute avant-mĂȘme
 son entrĂ©e. Sur le parvis de la Bourse de Commerce, c’est IdĂ©es de pierre -1532 kg de lumiĂšre (2010) de Giuseppe Penone qui nous accueille, une allĂ©gorie des chemins de la pensĂ©e, prĂ©sentant l’un des axes majeurs de l’Arte povera : la fusion entre nature et culture.

Puis c’est cette superbe rotonde cernĂ©e par l’imposant cylindre de bĂ©ton de l’architecte japonais Tadao Ando qui enfonce le clou : en son cƓur, on y trouve (sans la moindre exhaustivitĂ©) une surface de gazon synthĂ©tique sur laquelle git un tube couvert de glace, une silhouette allongĂ©e faite de mottes de terre malaxĂ©e, une mitrailleuse lourde kaki, un gisant de marbre acĂ©phale, un tronc d’arbre au cƓur dĂ©pecĂ©, un portique Ă  la carcasse concassĂ©e qui supporte de gros lambeaux de mousse flashy, des escarpins en fil de cuivre et on en passe
 Ces piĂšces de quelques-uns des treize artistes de l’Arte povera, trentenaires Ă  l’époque, prouvent qu’il n’est ici ni question de style, encore moins d’école, mais bien d’individus rĂ©unis autour d’une mĂȘme idĂ©e : imaginer et fabriquer de bien Ă©tranges choses avec des matĂ©riaux et objets issus du quotidien et sans valeur aucune en les prĂ©sentant seulement vĂȘtues de leur radicale variĂ©tĂ©.

Pour bien le faire comprendre, les artistes Ă  l’origine du mouvement dans les annĂ©es soixante n’ont jamais publiĂ© le moindre manifeste ou la moindre tribune, se contentant avec obstination de paraĂźtre lors d’expositions collectives dont le fil rouge, au final, tenait dans un seul mot symbole de l’époque : provocation


« L’artiste devient un guĂ©rillero »

Au sol de la rotonde initiale, on remarque inĂ©vitablement un moule gastronomique mĂ©tallique rempli par une question en nĂ©on blanc : Che fare ? C’est Mario Mertz qui s’interroge ainsi, faussement naĂŻf, dĂšs 1968. Et ses autres complices de l’Arte povera de rĂ©pondre en fanfare : « Que faire ? Tout, absolument tout ce qui est possible avec ce qui nous tombe sous la main  »

C’est donc ce festival d’extravagances que l’on dĂ©couvre du sol au plafond et sur tous les niveaux de la Bourse de Commerce. Ces crĂ©ations sont toutes audacieuses

et savent nous provoquer avec une infinie variĂ©tĂ© de styles, de matĂ©riaux, de concepts. L’obsession de ces treize artistes emblĂ©matiques (chacun a droit Ă  sa prĂ©sentation personnalisĂ©e), de ne jamais vouloir plus reprĂ©senter que ce chacun d’eux-mĂȘmes avait l’idĂ©e de produire Ă  un moment X, est allĂ©e jusqu’à refuser de trouver un nom Ă  leur mouvement : c’est un critique d’art italien, Germano Celant, qui s’y est collĂ© aprĂšs qu’il ait visitĂ© une exposition Ă  GĂȘnes et une autre Ă  Amalfi Ă  la toute fin des annĂ©es soixante : Arte povera est nĂ© Ă  la fin d’un week-end oĂč l’art l’avait envahi, expo qui se termina par
 un match de foot entre les artistes ! C’est dire si ces temps-lĂ , avec ces gens-lĂ , Ă©taient bien diffĂ©rents de l’environnement de l’art contemporain d’aujourd’hui.

La preuve en est avec cet extrait de Notes pour une guĂ©rilla, un court texte publiĂ© par le mĂȘme Germano Celant dans le catalogue de l’expo Flash Art de Milan en 1967 : « L’Arte povera est une nouvelle attitude qui pousse l’artiste Ă  se dĂ©placer, Ă  se

dĂ©rober sans cesse au rĂŽle conventionnel, aux clichĂ©s que la sociĂ©tĂ© lui attribue pour reprendre possession d’une “rĂ©alitĂ©â€ qui est le vĂ©ritable royaume de son ĂȘtre. AprĂšs avoir Ă©tĂ© exploitĂ©, l’artiste devient un guĂ©rillero : il veut choisir le lieu du combat et pouvoir se dĂ©placer pour surprendre et frapper. »

« Tu deviens vivant, et conscient de l’ĂȘtre. »

Tout autour du gigantesque cylindre en bĂ©ton de la Pinault Collection, les vingtquatre vitrines du Passage rĂ©activent la pensĂ©e de Walter Benjamin et des passages parisiens comme une lecture du xix e  siĂšcle se transformant en autant de jalons temporels et contextuels, et rappelant le terreau d’oĂč Ă©merge l’Arte povera. Y figurent les artistes de l’avantgarde italienne de l’aprĂšs-guerre, tels que Lucio Fontana, dont les toiles trouĂ©es donnent aux artistes l’exemple d’un art qui s’affranchit de l’espace du tableau, ou Piero Manzoni, par la dimension libre

Che Fare ? de Giuseppe Penone

« Que faire ? Tout, absolument tout ce qui est possible avec ce qui nous tombe sous la main  »

et provocatrice de son usage des matĂ©riaux. D’autres vitrines exposent la dimension plus internationale des influences de l’Arte povera, par exemple celle de l’Internationale Situationniste ou du groupe japonais Gutai. Une constellation de protagonistes y apparaĂźt, des artistes aux galeristes, des critiques aux figures de thĂ©Ăątre, tel que le metteur en scĂšne polonais Jerzy Grotowski qui ont participĂ© Ă  l’élargissement de la dĂ©finition de l’art, l’ouvrant aux nouveaux mĂ©dias, Ă  la performance, Ă  l’expĂ©rimentation. Beaucoup prĂ©tendent mĂȘme que le terme d’installation artistique aujourd’hui si rĂ©pandu est nĂ© des dĂ©monstrations de l’Arte povera italien


Laissons les mots de conclusion Ă  Carolyn Christov-Bakargiev, la commissaire de l’exposition de la Bourse de Commerce ; commentant cette invention de l’installation artistique, elle dit : « C’est pour cela que j’ai appris davantage de ces artistes de l’Arte povera que pendant mes Ă©tudes de l’histoire de l’art, notamment Ă  monter des expositions comme des expĂ©riences totales.

L’installation, c’est un espace fluide oĂč la limite entre ce qui est l’Ɠuvre et de ce qui ne l’est pas n’est pas claire. Le spectateur est partie prenante de cette scĂšne presque thĂ©Ăątrale ; l’art ne se situe pas dans l’objet physique, mais dans la diffĂ©rence phĂ©nomĂ©nologique entre les objets. Dans ce lieu, ce moment, sous cette lumiĂšre particuliĂšre, tu deviens vivant, et conscient de l’ĂȘtre. »

Une rĂ©ponse aux sempiternels commentaires, notamment lus sur notre fil Facebook aprĂšs avoir publiĂ© en avantpremiĂšre quelques photos de notre visite. Parmi eux, « C’est froid, mort, non inspirant, plat, limite on se demande si c’est une blague » ou « Concept Ă©culĂ©, vieilles rengaines post-soixante-huitardes » ou bien encore : « Ça a l’air bien moche et peu artistique. Attention de ne pas jeter une Ɠuvre en la prenant pour un dĂ©chet ». La preuve ultime que l’Arte povera reste l’un des mouvements les plus libres et authentiquement vivants nĂ©s durant les derniĂšres dĂ©cennies du xxe siĂšcle. Une exposition rare et unique, Ă  ne pas rater, assurĂ©ment. c

Dans Tutto, Alighiero Boetti a invitĂ© ses collaborateurs Ă  dessiner tout ce qu’ils pouvaient imaginer exister dans le monde, tandis que les brodeuses ont eu comme consigne de ne jamais utiliser la mĂȘme couleur pour broder deux objets adjacents. Cette mosaĂŻque de points est bluffante.

BOURSE DE COMMERCE PINAULT COLLECTION ARTE POVERA

2 rue de Viarmes 75001 Paris

AccÚs Métro Lignes 1, 4, 7, 11 et 14 ou RER A, station Chùtelet-Les Halles

Ouverture du lundi au dimanche de 11h Ă  19h Nocturne le vendredi jusqu’à 21h FermĂ© le mardi

Réservation internet conseillée

Jusqu’au 20 janvier 2025 www.pinaultcollection.com

‱ 2 rĂ©sidences de 8 et 13 logements

‱ Du T1 au T4

‱ De 25 à 95 m2

‱ ProximitĂ© de toutes commoditĂ©s

‱ Dùs 102 250 €

Les Family ties de Tina Barney MUSÉE DU JEU DE PAUME

Une fois de plus, le sĂ©millant MusĂ©e du Jeu de Paume propose une trĂšs belle exposition consacrĂ©e Ă  l’amĂ©ricaine Tina Barney, aujourd’hui ĂągĂ©e de 78 ans. Ses photos consacrĂ©es Ă  sa thĂ©matique de rĂ©fĂ©rence, la famille, y occupent une trĂšs large place, bien mises en valeur par de trĂšs grands tirages qui semblent harmonieusement flotter dans les volumes des deux salles du musĂ©e


La seule façon de s’interroger sur soi-mĂȘme ou sur l’histoire de sa vie, c’est Ă  travers la photographié » Ă©crivait Tina Barney en 2017. C’est que, depuis la fin des annĂ©es 1970, l’artiste poursuit principalement une Ɠuvre de portraitiste, en grand format et le plus souvent en couleurs. D’abord centrĂ© dans les annĂ©es 1980 et 1990 sur ses proches au sein des milieux aisĂ©s de la cĂŽte Est des États-Unis, son travail a ensuite concernĂ© d’autres horizons, notamment ceux de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie europĂ©enne. Depuis les annĂ©es 2000, Tina Barney rĂ©alise rĂ©guliĂšrement des images de commande, notamment pour la presse, la mode et la publicitĂ©.

Un regard sans concession sur sa propre famille

« Sans doute les gens pensent-ils [que je consacre mon travail] Ă  la haute sociĂ©tĂ© ou aux riches, ce qui me contrarie. Ces photographies traitent de la famille, de personnes de la mĂȘme famille qui se cĂŽtoient d’ordinaire au sein de leur propre maison. Je ne sais pas si le public se rend compte que c’est de ma famille qu’il s’agit. » – Tina Barney, BOMB Magazine, 1995

Il faut absolument lire avec soin les cartels des photos de l’exposition. Ils ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s par Quentin Bajac, le directeur du musĂ©e et commissaire de l’exposition. ils sont issus d’articles de presse parus au fil des dĂ©cennies sur les expositions de Tina Barney et ils reprennent souvent les propos mĂȘmes de la photographe.

On y comprend assez vite son cheminement. Les annĂ©es 1980 et 1990, en pleine rĂ©volution libĂ©rale aux États-Unis initiĂ©e par Ronald Reagan, ont Ă©tĂ© marquĂ©es par une surreprĂ©sentation des fameux WASPS (White Anglo-Saxon Protestant), c’est-Ă -dire

Jean-Luc Fournier © Tina Barney
The Young Men, 1992

l’élite de la classe dominante, issue des vieilles familles de la cĂŽte Est. Un photographe comme Bruce Weber, collaborateur attitrĂ© de la marque bon chic bon genre Ralph Lauren, a multipliĂ© ces clichĂ©s de prime abord publicitaires, mais qui ont en fait enkystĂ© le style WASP dans les imaginaires. Et ce n’est sans doute pas pour rien si nombre de critiques de l’époque ont parlĂ© de Tina Barney comme de l’antiRalph Lauren


Un regard oblique

Au tout premier coup d’Ɠil, le style de la photographe ne dĂ©tone pas : elle est issue de ce mĂȘme milieu cossu et, photographiant sa propre famille, on y retrouve les codes des images de la haute bourgeoisie amĂ©ricaine de ces annĂ©es-lĂ . Sauf que
 en y regardant de plus prĂšs, on dĂ©cĂšle immĂ©diatement une forme de distance subtile,

mais trĂšs visible. Les sujets, les ambiances sont les mĂȘmes, mais c’est comme si Tina Barney, avant chaque clichĂ©, faisait mentalement un lĂ©ger pas de cĂŽtĂ©. Cette mise Ă  distance est vraiment la signature du travail de la photographe : elle n’est pas grossiĂšrement Ă©vidente, et ce n’est pas non plus une volontĂ© de se moquer des personnes ou des situations qu’elle immortalise, c’est juste un regard oblique qui nous fait rĂ©aliser Ă  quel point ces AmĂ©ricains « de bonnes familles » vivent Ă  l’écart de l’immense majoritĂ© de leurs concitoyens.

Dans un de ces fameux cartels rĂ©alisĂ©s tout exprĂšs pour l’exposition, cet avis de Vince Aletti, un journaliste de l’hebdo new-yorkais The Village Voice, qui rĂ©sume mieux que tout l’Ɠil unique de Tina Barney sur cette classe sociale se voulant l’élite de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine : « La familiaritĂ© de Barney avec ses sujets transforme une

« Sauf que
 en y regardant de plus prĂšs, on dĂ©cĂšle immĂ©diatement une forme de distance subtile, mais trĂšs visible. »
Jill & Mon, 1983

image qui aurait pu tourner Ă  la satire sociale en quelque chose de plus subtil et de plus rĂ©vĂ©lateur. Puisque la plupart d’entre eux se trouvent dans leur intĂ©rieur oĂč fourmillent des indices de leurs goĂ»ts et de leur statut, nous avons tendance Ă  en infĂ©rer immĂ©diatement une lecture de classe : femmes lasses, hommes qui en imposent, enfants dotĂ©s d’une souveraine confiance en soi. Mais parce que Barney ne livre jamais ce type de lecture, ses portraits possĂšdent une gĂ©nĂ©rositĂ© et une grĂące qui leur confĂšrent de la substance, mĂȘme aux plus anecdotiques. » Tout est dit.

Les grands tirages proposĂ©s par le MusĂ©e du Jeu de Paume ne sont pas un choix du commissaire de l’exposition. À partir de 1982, Tina Barney, aprĂšs avoir fait le choix radical de la couleur, a imposĂ© ces grands formats. Un autre choix artistique dĂ©libĂ©ré : ces photos « gĂ©antes » se destinaient ainsi d’emblĂ©e Ă  l’accrochage en galerie plutĂŽt qu’au traditionnel livre photo abondamment diffusĂ© en librairie. Ce n’est pas le moindre des mĂ©rites de cette trĂšs belle exposition de proposer avec succĂšs cette vraie dĂ©couverte d’une Ɠuvre unique en son genre
 c

ET PUISQUE VOUS ÊTES AU MUSÉE DU JEU DE PAUME


Chantal Akerman.

Travelling

Le Jeu de Paume rend hommage Ă  la cinĂ©aste, artiste et Ă©crivaine belge Chantal Akerman (Bruxelles 1950 –Paris 2015) Ă  travers une exposition exceptionnelle, co-rĂ©alisĂ©e avec le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

L’exposition Chantal Akerman. Travelling retrace le parcours atypique de cette figure emblĂ©matique qui ne cesse d’inspirer et de fasciner des gĂ©nĂ©rations d’artistes et cinĂ©philes et dont le film Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles est aurĂ©olĂ© du titre de « Meilleur film de tous les temps » dĂ©cernĂ© en 2022 par la revue britannique Sight&Sound.

L’exposition au Jeu de Paume propose un dialogue entre ses films, ses installations et une biofilmographie contenant des archives inĂ©dites.

TrĂšs franchement, ne manquez pas ces salles mĂȘme si vous ignorez tout de Chantal Akerman. Prenez le temps de dĂ©couvrir les visuels et de vous coiffer d’un des casques audio connectĂ©s aux ordinateurs : ses interviews et les extraits de ses films fascinent, et son actrice fĂ©tiche, Delphine Seyrig, est omniprĂ©sente


De haut en bas :

The Daughters, 2002

The Two Students, 2001

MUSÉE DU JEU DE PAUME

1 place de la Concorde – Jardin des Tuileries 75001 Paris

AccĂšs MĂ©tro Lignes 1, 8 et 12, station Concorde

Ouvert du mardi au dimanche : 11h–19 h

Nocturne le mardi jusqu’à 21h FermĂ© le lundi

Jusqu’au 19 janvier 2025 www.jeudepaume.org

CERTAINS NE JURENT QUE

PAR NICOLAS. NOUS ON A PIERRE,

PAULE, JACQUES...

Au Théùtre du vin, nous avons 38 prénoms et une grande passion pour les conseils personnalisés. Et sinon, retrouvez-nous sur theatreduvin.fr

STRASBOURG - HAGUENAU - FEGERSHEIM - COLMAR - MITTELHAUSBERGEN

Jean-Luc Fournier © The Estate of Tom Wesselmann, New York – Robert McKeever / Courtesy Gagosian Gallery – Jean-Luc Fournier – DR

POP FOREVER : Welcome back, Tom ! FONDATION LOUIS VUITTON

Ce sont 150 Ɠuvres, dont certaines vraiment monumentales, qui ont envahi les vastes salles de la Fondation Louis Vuitton. Il fallait bien une telle cathĂ©drale de verre et de bĂ©ton pour accueillir ce dĂ©ferlement de couleurs et de gigantisme, nĂ©gociĂ© directement auprĂšs de la succession de Tom Wesselmann et marquĂ© notamment par des prĂȘts de grande ampleur d’Ɠuvres qui avaient jusque-lĂ  trĂšs rarement voyagĂ© (voire jamais, pour une bonne dizaine d’entre elles). Il n’est pas abusif de penser que la Fondation Louis Vuitton revisite lĂ  l’histoire d’un mouvement qui n’aura jamais cessĂ© d’inventer, avec une ferveur bien rĂ©elle


Les deux dĂ©cennies 1960 et 1970
 Elles font presque rĂȘver aujourd’hui mĂȘme si ce fut le temps de la guerre froide entre les Ricains et les Ruskov qui rivalisaient en comptant leurs centaines d’ogives nuclĂ©aires respectives, le mur de Berlin, la guerre d’AlgĂ©rie en France puis la guerre du Vietnam qui lacĂ©ra la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine, les combats des civil rights aux ÉtatsUnis, et mĂȘme un premier choc pĂ©trolier en 1974. Si ces deux dĂ©cennies parviennent encore aujourd’hui Ă  susciter un peu de rĂȘve, c’est parce qu’elles furent aussi le thĂ©Ăątre d’une Ă©bouriffante succession de libĂ©rations comportementales et artistiques : la libĂ©ration sexuelle et fĂ©ministe, le mouvement hippy, l’émergence d’une vraie culture rock dĂ©pouillĂ©e des colifichets Beach Boys


Un souffle puissant


Et parmi cette exubĂ©rance sociĂ©tale, on assista Ă  l’arrivĂ©e d’artistes peintres et plasticiens Ă  peine trentenaires, bien dĂ©cidĂ©s Ă  imposer leur vision bousculante de l’ordre des choses, en tout premier lieu leur quasi-obsession d’ignorer volontairement le gris et le noir de la condition humaine. Un vrai souffle, et puissant de surcroĂźt, gĂ©nĂ©rĂ© par Andy Warhol et ses contemporains, les Roy Lichtenstein, Martial Raysse et on en passe
 Parmi eux, un petit gars de la banlieue de Cincinatti, Tom Wesselmann qui allait devenir une des vraies figures de proue de ce mouvement vite baptisĂ© Pop Art, parce que la musique pop, la culture pop, les fringues pop, les radios pop, la pop-attitude, etc. Tous ont eu un point commun, plantĂ© comme un roc dans l’effusion permanente de l’époque : l’effacement frĂ©nĂ©tique et assumĂ© de la frontiĂšre entre art et rĂ©alitĂ© quotidienne, jamais trĂšs loin de la satire avec le culte de l’American Way of Life, la bagnole Ă  tout-va, le bien-ĂȘtre fourni par la consommation Ă  outrance, le cinĂ©ma pour bien propager tout ça trĂšs au-delĂ  des

Great American Nude #75, Tom Wesselmann, 1965
Self Portrait While Drawing, Tom Wesselmann, 1983

frontiĂšres amĂ©ricaines et l’érotisation exubĂ©rante et sans limites du corps fĂ©minin


Tous les codes sont là


L’exposition Pop Forever – Tom Wesselmann &
 est double. On y dĂ©couvre d’abord une trĂšs vaste rĂ©trospective consacrĂ©e Ă  l’artiste. Elle rĂ©unit 150 de ses Ɠuvres : ses tout premiers collages, puis les imposantes Still Lifes, les emblĂ©matiques et extraordinaires Great American Nudes, les sĂ©ries Mouths et Smokers, les Sunset Nudes et les immenses Ɠuvres abstraites en mĂ©tal, certaines pour la premiĂšre fois visibles en Europe.

Tous les codes du Pop Art sont là : les Ɠuvres de Wesselmann jouent avec une perception Ă©largie Ă  partir d’objets ou de matĂ©riaux ordinaires et des Ă©lĂ©ments « perturbateurs » souvent omniprĂ©sents, la sonnerie d’un tĂ©lĂ©phone, le tic-tac d’une horloge, le bruit d’un ventilateur, le son d’une radio ou les images d’un Ă©cran tĂ©lĂ©.

La scĂ©nographie merveilleusement rĂ©ussie de cette partie de l’expo fait vite

apparaĂźtre l’étonnante dimension immersive qui grandit au fur et Ă  mesure que le visiteur rapetisse peu Ă  peu, au fil du caractĂšre monumental de ces Ɠuvres. Bien sĂ»r, et souvent en tout premier lieu, la rĂ©tine se noie parmi une explosion de flashs de couleurs


Avec les grandes figures iconiques


Mais l’exposition comporte aussi un volet thĂ©matique judicieusement mis en scĂšne. Il regroupe 70 Ɠuvres de 35 autres artistes. Wesselmann y dialogue avec l’histoire du Pop Art, de ses sources Ă  ses manifestations bien actuelles. Ses premiers collages voisinent par exemple avec des Ɠuvres du mouvement Dada qui, Ă  l’instar de l’explosion soudaine et irrĂ©sistible du Pop Art, Ă©mergea lui aussi comme un mouvement « anti-Art » Ă  la toute fin de la PremiĂšre Guerre mondiale avant de se propager comme un incendie Ă  Berlin, Hanovre, Cologne, Paris et New York.

Tout au long de cette seconde partie de l’exposition, les Ɠuvres de Wesselmann

sont systĂ©matiquement replacĂ©es dans le contexte des annĂ©es 1960-70, aux cĂŽtĂ©s des grandes figures iconiques du Pop Art. Puis, habilement, l’histoire se diffuse de nos jours, avec les Ɠuvres de nos contemporains. Car, il y a peu, Wesselmann a Ă©tĂ© redĂ©couvert par des jeunes artistes : parmi eux, Mickalene Thomas, Derrick Adams et Tomokazu Matsuyama qui ont tous trois crĂ©Ă© des Ɠuvres spĂ©cialement pour l’exposition. On devine sans peine leur Ă©motion et leur fiertĂ© d’ĂȘtre ainsi prĂ©sentĂ©s en majestĂ© parmi les Ɠuvres de Tom Wesselmann et consorts.

Cette nouvelle gĂ©nĂ©ration continue donc Ă  travailler sur cette fusion obsessionnelle de l’art et de la rĂ©alitĂ© opĂ©rĂ©e par Wesselmann et ses complices d’il y a six dĂ©cennies, fusion qui prolonge ainsi le rĂ©cit lĂ©gendaire du Pop, une sorte de Pop Forever comme le proclame avec jubilation le titre de l’exposition de la Fondation Louis Vuitton.

Un dernier clin d’Ɠil, savoureux. À plusieurs reprises, les cartels se font l’écho d’une monographie de Tom Wesselmann

Still Life #57, Tom Wesselmann, 1969-70

Ice cream, Evelyne Axell, 1964

publiĂ©e en 1980 et rĂ©digĂ©e par un certain Slim Stealingworth. Ce dernier Ă©crit, au sujet des dĂ©buts de l’artiste : « Il ne connaissait rien de l’art et de artistes. Il avait une impulsion crĂ©ative constante, mais elle n’avait pas de direction, et rien dans son expĂ©rience immĂ©diate ne pouvait lui donner une forme artistique. » Ce jugement trĂšs sĂ©vĂšre sur un trĂšs jeune artiste dĂ©butant aurait pu faire bondir Tom Wesselmann, lui qui Ă©tait dĂ©jĂ  une star du Pop Art au moment de la sortie de cette monographie. Il n’en fut cependant rien et pour une bonne raison : Slim Stealingworth n’était qu’un pseudo. Le vrai rĂ©dacteur Ă©tait
 Tom Wesselmann, himself ! L’esprit Pop, toujours
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« Les Ɠuvres de Wesselmann jouent avec une perception Ă©largie Ă  partir d’objets ou de matĂ©riaux ordinaires et des Ă©lĂ©ments “perturbateurs” souvent omniprĂ©sents. »

FONDATION LOUIS VUITTON POP FOREVER –TOM WESSELMANN

8 avenue du Mahatma Gandhi 75016 Paris

Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 11h Ă  20h

AccĂšs MĂ©tro Lignes 1, station Les Sablons (950 m) Navette : Toutes les 20 minutes environ durant les horaires d’ouverture de la Fondation. La station de la navette se trouve Ă  la sortie n° 2 de la station Charles de Gaulle Étoile, Ă  la hauteur du 44 avenue de Friedland.

Jusqu’au 24 fĂ©vrier 2025 www.fondationlouisvuitton.fr

MUSÉE MARMOTTAN MONET

Le trompe-l’Ɠil : quand l’art illusionne


Le discret MusĂ©e Marmottan-Monet, aux confins ouest de Paris, propose une exposition d’une folle originalitĂ© sur le trompe-l’Ɠil du xviie siĂšcle Ă  nos jours. Plus de quatre-vingts Ɠuvres, toutes plus surprenantes les unes que les autres, et provenant d’Europe et des États-Unis en ont rejoint d’autres faisant partie des collections permanentes du musĂ©e. Le tout forme un ensemble foisonnant. Une formidable dĂ©couverte, assurĂ©ment


À gauche :

La déchirure, Henri Cadiou, 1981

À droite : Transcendance spaciale, Henri Cadiou, 1960

Le terme trompe-l’Ɠil aurait Ă©tĂ© employĂ© pour la premiĂšre fois par Louis LĂ©opold Boilly (1761-1845) en lĂ©gende d’une Ɠuvre exposĂ©e au Salon de 1800. Le terme fut adoptĂ© trente-cinq ans plus tard par l’AcadĂ©mie française. Bien qu’elle apparaisse donc officiellement au xixe siĂšcle, l’origine du trompe-l’Ɠil serait liĂ©e Ă  un rĂ©cit bien plus ancien, celui de Pline l’Ancien (23-79 apr. J.C.), qui rapporte dans son Histoire naturelle comment le peintre Zeuxis (464-398 av. J.C.), dans une compĂ©tition qui l’opposait au peintre Parrhasios (entre 460 av. J.-C. et 455-env. 380 av. J.-C.), avait reprĂ©sentĂ© des raisins si parfaits que des oiseaux vinrent voleter autour


Un parcours chronologique trĂšs complet

PassĂ©e cette nĂ©cessaire prĂ©cision tout historique, on rĂ©alise qu’au cours des siĂšcles, le trompe-l’Ɠil s’est dĂ©clinĂ© Ă  travers des mĂ©diums trĂšs variĂ©s et s’est en permanence rĂ©vĂ©lĂ© pluriel. Il a toujours jouĂ© avec le regard du spectateur et est vite parvenu Ă  constituer un clin d’Ɠil aux piĂšges que nous tendent nos propres perceptions. Si certains thĂšmes du trompe-l’Ɠil sont connus – tels que les vanitĂ©s, les trophĂ©es de chasse ou les porte-lettres
 – d’autres aspects sont abordĂ©s dans cette remarquable exposition, comme les dĂ©clinaisons dĂ©coratives (mobilier, faĂŻences...) ou encore la portĂ©e politique de ce genre pictural, de l’époque rĂ©volutionnaire jusqu’aux versions modernes et contemporaines.

Le tout se dĂ©cline autour de plus de quatre-vingts Ɠuvres significatives du xvie au xxie siĂšcle provenant de collections particuliĂšres et publiques d’Europe et des États-Unis (National Gallery of Art de Washington, le musĂ©e d’art et d’histoire de GenĂšve, le Museo dell’Opificio delle Pietre Dure de Florence, le chĂąteau de Fontainebleau, le musĂ©e du Louvre, le musĂ©e de l’ArmĂ©e, la Manufacture et musĂ©e nationaux de SĂšvres, la Fondation Custodia, le Palais des Beaux-Arts de Lille, jusqu’au musĂ©e Unterlinden de Colmar qui a prĂȘtĂ© une des Ɠuvres les plus anciennes de l’exposition, une huile sur bois Armoire aux bouteilles et aux livres, datĂ©e de 1520-1530 et dont l’auteur n’a jamais pu ĂȘtre identifiĂ©.) Les neuf sections de l’exposition illustrent

ainsi, Ă  travers un parcours chronologique, la pluralitĂ© des sensibilitĂ©s et des reprĂ©sentations du trompe-l’Ɠil tout comme son Ă©volution au fil du temps.

La volontĂ© de crĂ©er l’illusion

Bien avant l’entrĂ©e de l’exposition, on sait pertinemment que notre regard et notre perception vont ĂȘtre immanquablement manipulĂ©s par la kyrielle d’artistes qui, au fil des siĂšcles, ont utilisĂ© le trompe-l’Ɠil. Pour autant, trĂšs souvent, on reste stupĂ©fait devant les techniques utilisĂ©es et surtout leur rĂ©sultat : il n’est pas abusif de parler d’hyperrĂ©alisme pour beaucoup de tableaux accrochĂ©s aux cimaises de l’exposition.

C’est au xviie siĂšcle et plus particuliĂšrement aux Pays-Bas qu’on a pu situer l’apogĂ©e des innombrables recherches menĂ©es par les artistes qui, avec des moyens purement techniques et plastiques, la peinture Ă  l’huile, la perspective ou encore les effets de lumiĂšre ont ainsi pu ambitionner de rivaliser avec la rĂ©alitĂ©. Cornelis Norbert Gijsbrechts, peintre de la cour de Copenhague au service des rois FrĂ©dĂ©ric III puis Christian V, amateurs de cabinets de curiositĂ©, a conçu pour eux des trompe-l’Ɠil dont la virtuositĂ© inĂ©galĂ©e a alors Ă©levĂ© le trompe-l’Ɠil, un genre dit mineur, Ă  un niveau de perfection et d’ingĂ©niositĂ© sans prĂ©cĂ©dent.

Un siĂšcle plus tard, on pouvait parler d’une vĂ©ritable peinture illusionniste, certains artistes mettant Ă  profit leur maĂźtrise de cette technique pour faire ressortir les traits de leurs modĂšles comme ceux de Madame Chenard par Boilly ou copiant les Ɠuvres de maĂźtres dont le BĂ©nĂ©dicitĂ© de Chardin ce dont tĂ©moigne l’Ɠuvre de Moulineuf ajoutant de maniĂšre habile la troisiĂšme dimension grĂące au verre cassĂ© feint. Durant ce mĂȘme xviiie siĂšcle, la volontĂ© de crĂ©er l’illusion s’est Ă©tendue Ă  la production de la cĂ©ramique en trompe-l’Ɠil au service d’objets utilitaires oĂč il s’agissait davantage d’une Ă©vocation que d’une rĂ©elle duperie. Des thĂ©matiques nouvelles se sont ainsi multipliĂ©es au grĂ© des nouvelles techniques apparaissant dont la porcelaine dure : soupiĂšres en forme de choux, de salades, de courges, assiettes garnies d’olives et autres fruits et lĂ©gumes ou terrines de forme animaliĂšre dĂ©corant les tables d’apparat aux cĂŽtĂ©s de plats aux formes plus conventionnelles, source de confusion pour les convives.

Les trompe-l’Ɠil contemporains

À partir du dĂ©but des annĂ©es 1910, Georges Braque et Pablo Picasso, posant la question du lien entre la peinture et le rĂ©el Ă  travers un nouveau type de reprĂ©sentation, le cubisme, avaient innovĂ© en matiĂšre de composition en proposant une sĂ©rie de plans verticaux leur permet de jouer avec des jeux d’illusion. Plus tard, le monde de l’objet a lui aussi vu un nombre considĂ©rable de reprĂ©sentations oĂč le trompe-l’Ɠil a Ă©tĂ© roi. Mais ce sont encore les initiateurs puis les dignes descendants du mouvement italien Arte povera (lire notre reportage Ă  la Bourse de Commerce, page 24) qui ont perpĂ©tuĂ© l’art de l’illusion : tableaux-miroirs (le reflet est directement inclus dans le tableau), moulages de personnages hyperrĂ©alistes, empreintes de corps dans la matiĂšre
 Le trompe-l’Ɠil, sans cesse renouvelé 

Cette exposition au Musée MarmottanMonet surprend à chaque pas. c

Nature morte aux bouteilles et aux livres, Anonyme, vers 1520–1530

MUSÉE MARMOTTAN-MONET LE TROMPE-L’ƒIL

2 rue Louis Boilly 75016 Paris

AccĂšs MĂ©tro Ligne 9, station La Muette ou RER C, station Boulainvilliers

Ouvert du mardi au dimanche de 10h Ă  18h

Nocturne le jeudi jusqu’à 21h FermĂ© le 25 dĂ©cembre

Jusqu’au 2 mars 2025 www.marmottan.fr

LaurĂšne Marx
Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Eve Risser
MoliÚre, David Bobée
Marion Duval

FONDATION BEYELER

Matisse. Invitation au voyage : la quĂȘte de la lumiĂšre


Avec son inimitable sens du professionnalisme et la qualitĂ© depuis longtemps reconnue de ses accrochages, la Fondation Beyeler Ă  BĂąle prĂ©sente la premiĂšre rĂ©trospective consacrĂ©e Ă  Henri Matisse en Suisse et dans l’espace germanophone depuis prĂšs de deux dĂ©cennies. Les habituĂ©s des grands musĂ©es parisiens caresseront une nouvelle fois des yeux des toiles habituellement accrochĂ©es aux cimaises de la capitale, mais dĂ©couvriront aussi des merveilles rarement vues en Europe, en provenance de musĂ©es internationaux prestigieux et de nombreuses collections privĂ©es.

Henri Matisse (1869-1954) est l’un des peintres incontournables de l’art moderne et on peut affirmer sans crainte d’ĂȘtre dĂ©menti qu’il a influencĂ© des gĂ©nĂ©rations d’artistes, de ses contemporains Ă  nos jours, lui qui, faut-il le rappeler, fut refusĂ© Ă  l’admission Ă  l’École des beaux-arts en 1892 (il y fut nĂ©anmoins admis trois ans plus tard).

Avec Pablo Picasso, Matisse occupait une place Ă  part dans la collection personnelle d’Ernst Beyeler, disparu en 2010, longtemps marchand d’art Ă©tabli Ă  BĂąle avant de crĂ©er sa Fondation Ă©ponyme. C’est sans doute ce lien particulier qui a inspirĂ© Sam Keller, le directeur de la Fondation, au moment de programmer cette Ă©niĂšme exposition de prestige Ă  BĂąle.

Une nouvelle

légÚreté

On s’accorde gĂ©nĂ©ralement sur un aspect de l’Ɠuvre de Matisse : sa permanente simplification des formes. AssociĂ© Ă  la libĂ©ration frĂ©nĂ©tique de la couleur, le peintre a redĂ©fini la peinture et apportĂ© Ă  l’art comme une nouvelle lĂ©gĂšretĂ©. Cela vaut aussi pour ses lĂ©gendaires papiers dĂ©coupĂ©s, rĂ©alisĂ©s durant la dĂ©cennie 1940 et

Jean-Luc Fournier © Succession H. Matisse / 2024, ProLitteris, Zurich/ Mitro Hood / Robert Bayer - Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMNGrand Palais / Philippe Migeat – Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas
Nu Bleu, 1952
L’Asie, 1946
« Le geste est ample, prĂ©cis, harmonieux et sans le moindre Ă -coup, mĂȘme lors de la dĂ©coupe des plus petits dĂ©tails. »

Intérieur, bocal de poisson rouge, 1914

jusqu’à sa mort en 1954. À ce sujet, ne manquez pas, vers la fin du parcours de l’exposition de la Fondation Beyeler, ce film rare, en noir et blanc malheureusement. On y voit Matisse, presque octogĂ©naire, s’emparant d’un imposant ciseau de couturiĂšre pour dĂ©couper les bandes de papier dĂ©jĂ  gouachĂ© de bleu qu’il collera ensuite sur le support final. MalgrĂ© l’ñge avancĂ© (et les affres d’une opĂ©ration d’une tumeur Ă  l’intestin dont il survĂ©cut quasi miraculeusement), le geste est ample, prĂ©cis, harmonieux et sans le moindre Ă -coup, mĂȘme lors de la dĂ©coupe des plus petits dĂ©tails. Un simple retour en arriĂšre permet de contempler le rĂ©sultat sur nombre d’Ɠuvres dont le cĂ©lĂ©brissime Nu Bleu , terminĂ© en 1952. Au-delĂ  de l’originalitĂ© crĂ©atrice, on n’aura jamais mieux montrĂ© l’apport essentiel de la douce gestuelle du peintre. C’est trĂšs Ă©mouvant


L’exposition aligne les chefs-d’Ɠuvre

Ce sont donc soixante-douze Ɠuvres majeures qui attendent les visiteurs de l’exposition bĂąloise. Les plus emblĂ©matiques sont bien sĂ»r prĂ©sentes, mais beaucoup d’autres ont Ă©tĂ© rarement exposĂ©es en Europe. Elles proviennent de musĂ©es et de collections particuliĂšres de premier plan, dont la Baltimore Museum of Art, le Centre Pompidou de Paris, le K20 de DĂŒsseldorf, le Kimbel Art Museum de Fort Worth (Texas), le MoMA de New York, la National Gallery de Washington et le San Francisco Museum of Modern Art. La simple Ă©numĂ©ration de ces partenariats (on ne parle mĂȘme pas des collectionneurs privĂ©s, eux aussi nombreux et qui, pour la plupart, ont souhaitĂ© rester anonymes) situe bien la place prĂ©pondĂ©rante occupĂ©e par la Fondation Beyeler parmi les lieux d’art europĂ©ens et mĂȘme mondiaux. Quand le tĂ©lĂ©phone sonne et que Sam Keller est au bout de la ligne, on discute volontiers de prĂȘts et de visibilitĂ© des Ɠuvres
 Mesuret-on bien le privilĂšge d’avoir prĂšs de chez soi une telle institution ?

L’exposition aligne donc ses chefs-d’Ɠuvre : La desserte (1897), Luxe, calme et voluptĂ© (1904) – on y reviendra –

Avec Camille Cottin Katharina Volckmer Jonathan

Le Rendez-vous

11 – 22 mars 2025

© Estelle Hanania

La fenĂȘtre ouverte, Collioure (1905), Le luxe (1907), Baigneuses Ă  la tortue (1908), Poissons rouges et sculpture (1912), Figure dĂ©corative sur fond ornemental (1926), Grand nu couchĂ© ( Nu rose ) (1935), L’Asie (1946), IntĂ©rieur au rideau Ă©gyptien (1948) et le Nu Bleu dont on parle plus haut. Cette profusion de tableaux, de sculptures et de papiers dĂ©coupĂ©s donne Ă  voir l’évolution et la richesse de l’Ɠuvre de Matisse.

La lumiÚre idéale

Au dĂ©part de l’exposition, il y a L’invitation au voyage , le cĂ©lĂšbre poĂšme de Charles Baudelaire, auquel Henri Matisse s’est rĂ©fĂ©rĂ© Ă  maintes reprises. Et le visiteur aux yeux grand ouverts que nous sommes est invitĂ© lui aussi Ă  voyager avec les Ɠuvres ivres de couleurs du peintre.

À l’évidence, Matisse Ă©tait habitĂ© par la quĂȘte de la lumiĂšre idĂ©ale et c’est cette quĂȘte qui le fit voyager quasiment jusqu’à son dernier souffle. Sans doute le petit enfant nĂ© dans les grisailles du nord de la France et qui avait grandi loin de ces bleus

ou de ces ocres si chaleureux avait-il eu trĂšs tĂŽt besoin des bords de la MĂ©diterranĂ©e (dĂ©couverts lors d’un voyage Ă  SaintTropez, Ă  l’invitation de Paul Signac), puis de l’Italie, de l’Espagne, de l’Afrique du Nord avant de se lancer dans une traversĂ©e des États-Unis et d’un long sĂ©jour dans le Pacifique Sud
 D’autres nombreux voyages l’ont aussi conduit en Europe, jusqu’en Russie. À chaque fois, Ă  son retour, Matisse a incorporĂ© Ă  son travail les traditions picturales et les ambiances ainsi dĂ©couvertes, des Ɠuvres aux influences fauvistes de ses dĂ©buts jusqu’à ses fameux papiers dĂ©coupĂ©s de sa toute fin de sa vie.

Le titre de l’exposition de la Fondation Beyeler, est souvent Ă©voquĂ© par le motif de la fenĂȘtre ouverte, rĂ©current chez le peintre et qui constitue bien sĂ»r l’idĂ©ale invitation au voyage. Un espace multimĂ©dia, spĂ©cialement conçu pour l’exposition, regroupe nombre de photos, films Ă  ce sujet, complĂ©tĂ©s par des aperçus des divers ateliers occupĂ©s par l’artiste tout au long de sa vie et de son processus de crĂ©ation. c

Grand Nu couché (Nu rose), 1935

FONDATION BEYELER HENRI MATISSE

Baselstrasse 77, Riehen, Basel

Accùs : Gare SBB puis

Tram Ligne 6, station Fondation Beyeler

Ouvert tous les jours de 10h à 18h, le mercredi jusqu’à 20h

Jusqu’au 26 janvier 2025 www.fondationbeyeler.ch

Le

Expos (sans) TGV, à Strasbourg !

SĂ©rie Grand Nord

c DOSSIER — EXPOSITION

Jean-Luc Fournier © Frantisek Zvardon / La NuĂ©e Bleue, 2024 – DR

ESPACE APOLLONIA – STRASBOURG

* Titre utilisĂ© par Bernard Reumaux dans le dossier de presse de l’exposition, avec l’autorisation des Éditions La NuĂ©e Bleue.

Jusqu’au 2 fĂ©vrier prochain, ce sont 95 photographies de FrantiĆĄek Zvardon qui sont exposĂ©es Ă  l’Espace Apollonia, Ă  l’entrĂ©e du quartier de La Robertsau Ă  Strasbourg. ParallĂšlement, les Éditions La NuĂ©e Bleue ont prĂ©sentĂ© L’Alsace et au-delĂ  – un voyage entre rĂȘve et rĂ©alitĂ©, le dernier livre du photographe qui nous a quittĂ©s le 14 novembre dernier.

Ce ne sont que quelques lignes tout Ă  la fin d’une interview de FrantiĆĄek Zvardon parue dans le journal de l’exposition qui lui est consacrĂ©e Ă  l’Espace Apollonia. Le photographe rĂ©pond Ă  une question posĂ©e par Dimitri Konstantinidis, le commissaire de l’exposition (et directeur de l’association Apollonia) : « Cela fait maintenant un an que je me bats contre la maladie. Depuis, mes jours sont comptĂ©s. La vie a une fin, et je l’ai acceptĂ©. J’ai essayĂ©, avec des capacitĂ©s trĂšs limitĂ©es, de me plonger dans le travail que j’ai commencĂ© il y a quelques annĂ©es sur le Nord, que j’appelle Artic Ways. Quand Apollonia a acceptĂ© une exposition, le projet a Ă©tĂ© pour moi source de bonheur et d’espĂ©rance face Ă  mon Ă©tat actuel et l’incertitude de pouvoir prĂ©parer un tel projet. Ce sera une derniĂšre signature ? Le temps nous le montrera  »

C’est donc avec un Ă©norme pincement au cƓur que les premiers visiteurs de l’exposition ont pu contempler les photos d’un des plus cĂ©lĂšbres photographes d’Alsace, la grave maladie dont souffre FrantiĆĄek n’étant alors connue que par le premier cercle de sa famille et de quelques amis trĂšs proches. Lors du vernissage de l’exposition le vendredi 8 novembre dernier, aucun des discours des intervenants n’a Ă©ludĂ©, nĂ©anmoins avec tact et respect, les grandes inquiĂ©tudes quant Ă  l’état de santĂ© du photographe


Certains de ses amis parmi les plus proches laissaient mĂȘme entendre que FrantiĆĄek avait tout fait pour s’accrocher

Ă  la vie jusqu’au vernissage de son exposition correspondant Ă©galement Ă  la date de parution de son dernier livre. Sentiments prĂ©monitoires puisque le photographe s’est Ă©teint quelques jours ensuite, le mercredi 13 novembre dernier.

Toute une vie

Quatre dĂ©cennies dĂ©jĂ  que FrantiĆĄek Zvardon parcourait inlassablement non seulement les chemins alsaciens, mais ceux du monde, Ă©galement. FormĂ© Ă  la grande École VytvarnĂ© Fotografie de Brno (en TchĂ©coslovaquie, son pays natal, devenu aujourd’hui la RĂ©publique tchĂšque), puis Ă  l’École de philosophie

« Le projet a Ă©tĂ© pour moi source de bonheur et d’espĂ©rance face Ă  mon Ă©tat actuel et l’incertitude de pouvoir prĂ©parer un tel projet. »
FrantiĆĄek Zvardon
SĂ©rie Grand Nord

de Prague, il s’était Ă©tabli Ă  Strasbourg oĂč il avait pris le statut de photographe-auteur en mĂȘme temps qu’il demandait l’asile politique en 1987. Son travail a trĂšs vite Ă©tĂ© remarquĂ© par de nombreux Ă©diteurs (dont la fine fleur de l’édition rĂ©gionale, La NuĂ©e Bleue, les Éditions du Signe, Le Verger Ă©diteur
) et son premier ouvrage publiĂ© date du dĂ©but des annĂ©es 1990. Ses photos se retrouvent Ă  ce jour dans plus de quarante ouvrages signĂ©s de son nom personnel et dans une foultitude d’autres parutions et campagnes publicitaires


L’expo d’Apollonia propose donc prĂšs d’une centaine d’images de grands formats, des tirages sublimĂ©s par le lĂ©ger satinage du papier utilisĂ© et reprĂ©sentant parfaitement le travail du photographe : le travail emblĂ©matique de toute une vie,

en fait. Ces images, exclusivement en noir et blanc, ont Ă©tĂ© choisies afin de focaliser l’attention sur l’homme et sur la nature, les deux thĂ©matiques qui ont depuis toujours passionnĂ© Frantisek Zvardon.

Ainsi, notamment, on voyage parmi les sublimes paysages captĂ©s dans le Grand Nord, un des terrains de chasse photographique prĂ©fĂ©rĂ©s de Zvardon. Quand on connaĂźt les conditions climatiques extrĂȘmes qui rĂšgnent au-delĂ  du cercle polaire, on devine sans peine toute l’abnĂ©gation et le professionnalisme qui ont prĂ©sidĂ© Ă  ces prises de vue : l’attente de la lumiĂšre parfaite malgrĂ© un temps qui change sans cesse et Ă  une vitesse dĂ©routante
 C’est du trĂšs grand et trĂšs beau travail, assurĂ©ment, et il en est de mĂȘme avec les sublimes portraits ramenĂ©s d’Afrique


Un

livre d’une folle originalitĂ©

Concomitamment au vernissage de l’exposition, les Éditions La NuĂ©e Bleue ont donc prĂ©sentĂ© ce qui restera le dernier livre de FrantiĆĄek Zvardon, Au-delĂ  de l’Alsace. Un voyage entre rĂȘve et rĂ©alitĂ©. En 4e de couverture, le photographe dĂ©crit lui-mĂȘme son projet : « J’ai fait des milliers de photos de l’Alsace. J’en ai choisi une centaine et les ai transformĂ©es en les retravaillant avec l’intelligence artificielle, pour les rendre fidĂšles aux images que j’ai en tĂȘte. Pour qu’elles ressemblent Ă  mon rĂȘve. »

Ainsi, nous sommes emmenĂ©s dans une Alsace Ă©trange et sublimĂ©e, pleine de chĂąteaux bĂątis sur des rochers vertigineux, de forĂȘts mystĂ©rieuses, de riviĂšres tonitruantes et de paysages d’un romantisme souvent bouleversant. Une trĂšs belle prĂ©face, signĂ©e Bernard Reumaux qui, quand il Ă©tait journaliste puis Ă©diteur, a si souvent collaborĂ© avec FrantiĆĄek Zvardon
 c

L’EXPOSITION

ESPACE APOLLONIA FRANTIĆ EK ZVARDON

23 rue Boecklin, La Robertsau

AccĂšs : tram E, arrĂȘt Robertsau Boecklin ; Lignes de bus : 72 et L6, arrĂȘt Boecklin

Ouvert du mardi au dimanche de 14h Ă  18h et aux heures d’ouverture du B’Art Garden Fermeture d’hiver : du 21 dĂ©cembre 2024 au 5 janvier 2025 EntrĂ©e libre

www.apollonia-art-exchanges.com

LE LIVRE

AU-DELÀ DE L’ALSACE, UN VOYAGE ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ

Éditions de la NuĂ©e Bleue, 28€

SĂ©rie Surma

RĂ©ception pour un anniversaire, une communion, une occasion particuliĂšre ou un mariage...

Chez Soi est une entreprise familiale, Ă  la cuisine authentique, gĂ©nĂ©reuse et gourmande, Ă  base de produits frais, locaux et de saison. Nos Ă©quipes sont passionnĂ©es, qu’il s’agisse de plats traditionnels du terroir alsacien ou de mets dĂ©licats, Ă©laborĂ©s et inventifs.

Inauguration, lancement de produit, sĂ©minaire, congrĂšs, assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale ou repas d’affaires


ILLUSTRATION ENFANTIMAGES !

L’illustration du livre pour enfants est Ă  la fĂȘte Ă  Strasbourg ! 180 merveilles sous nos yeux enchantĂ©s sous l’intitulé : Enfantillages, l’Alsace et les prĂ©mices de l’illustration jeunesse, XIXe-XXe siĂšcles.

Charles-Émile Matthis (graveur), ZoĂ© la vaniteuse. Ensemble de huit épreuves d’état, 1868, 19 x 15 cm, Strasbourg.

Henry Morin (illustrateur), Germain le Hautain. Dessin original, 1925, 37 x 33 cm, Strasbourg.

a commence bien ! La petite fille de l’affiche avance d’un pas dĂ©cidĂ©, la tĂȘte haute, un poil insolente et l’air quelque peu Ă©nervé ! Libre, quoi ! Donc ici, pas d’enfantssages ici, vous ĂȘtes prĂ©venus ! Ils gambadent et font mille facĂ©ties !

ÇEt en effet tout commence Ă  la Galerie Heitz et se poursuit au MusĂ©e Ungerer. La riche tradition alsacienne de l’illustration du livre pour enfants est mise Ă  l’honneur. Cette tradition naĂźt au dĂ©but du XVIIIe avec notre lĂ©gendaire Struwwellpeter (quelle orthographe !). On connaĂźt bien sĂ»r ensuite Gustave DorĂ© et ses impressionnantes, terrifiantes illustrations des contes de Perrault entre autres, Jules Hetzel pour celles de Jules Verne, jusqu’à nos jours avec Claude Lapointe en passant par Hansi. À partir de 1835 l’imagerie de Wissembourg poursuivra sa propre voie, vive, colorĂ©e engagĂ©e, pour Rintintin

Raymond de la NéziÚre (illustrateur), Les fables de La Fontaine. Le chat et le vieux rat, tirés à part, Tours, Mame, sd. 1930, 30 x 25 cm, Strasbourg.

et NĂ©nette. L’illustration prenant de plus en plus de place dans le livre de jeunesse, c’est la pĂ©riode dorĂ©e des auteurs citĂ©s, mais aussi d’autres comme Charles Émile Mathis, FrĂ©dĂ©ric Lix, ThĂ©ophile Schuler, ou Gustave Jundt. Nos contrĂ©es alsaciennes Ă©tant riches de lĂ©gendes, celles-ci sont de vraies machines Ă  rĂȘves pour les illustrateurs, mais toute la rĂ©gion rhĂ©nane de part et d’autre du Vater Rhein trouve Ă©galement sa place et prouve son importance dans une tradition alĂ©manique venue des contes. Merveilleuses vignettes de LĂ©o Schnug Ă  partir des frĂšres Grimm !

Et bien Ă©videmment les guerres serviront de champs de bataille Ă  leur façon, prĂŽnant le patriotisme, la haine en de l’ennemi et la forme d’affirmation de l’identitĂ© alsacienne. 180 illustrations et livres carnets, esquisses, petites et Ă©mouvantes silhouettes dĂ©coupĂ©es en noir et blanc dites Scherenschmitt,

dĂ©coupages, premiers pop-up, livres de sciences, imagiers et abĂ©cĂ©daires adorables
 Bien d’autres illustrateurs et illustratrices comme la dĂ©licieuse Jacqueline Verly sont exposĂ©s.

Il est trĂšs intĂ©ressant de voir l’évolution de l’illustration enfantine, dite Enfantina. De nos jours, peu de dĂ©tails des dessins, plus grands, plus symboliques, au trait plus affirmĂ©, aux couleurs trĂšs vives, avec assez peu de textes, sauf pour les plus grands. Mais au XIXe siĂšcle, le dessin, minutieux, dĂ©taillĂ©, Ă©tait-il vraiment pour enfants ? Rien de moins sĂ»r. Faisaient-elles moins rĂȘver ? Certainement non. « Le support de l’époque, sur lithographie, peu onĂ©reuse, permet aussi une plus grande diffusion », explique Florian Siffer, un des deux commissaires.

L’exposition au MusĂ©e Ungerer est sur la vision des choses par le grand illustra-

« CE

N’ÉTAIT PAS MIEUX AVANT, MAIS L’IMPRESSION

EST DOUCE D’AVOIR

ÉTÉ DANS UN COCON, D’AVOIR SAUTÉ À NOUVEAU

DANS LES FLAQUES. »

teur alsacien. Prenant les enfants trĂšs au sĂ©rieux tout en se mettant Ă  la place de leurs regards, de leurs univers, de leurs perceptions, de leurs sensibilitĂ©s, toutes et tous multiples. Il dĂ©veloppe un monde Ă  part qui ne tient pas compte de la pĂ©dagogie classique. L’intitulĂ© est clair : « Pas de livres pour enfants » ! Il s’agit du mot d’ordre de l’époque et de la grande pĂ©riode des annĂ©es 60 et 70, oĂč les thĂšmes plus intĂ©rieurs de la vie secrĂšte des enfants peuvent trouver un Ă©cho en eux. De nombreux illustrateurs alsaciens et internationaux interviennent dans cette exposition. Et on compte sur l’impertinence du grand Tomi pour faire le nĂ©cessaire !

De nombreux visages adultes se plongent vers les illustrations exposĂ©es. Que revivent-ils ? À quoi rĂȘvent-ils ?

A-t-on lu des livres avec eux le soir, couchĂ©s sur leur lit, pelotonnĂ©s dans des bras aimants ? Ont-ils appris plus tard, dĂ©voreurs de contes, d’aventures, de rĂȘves ? Les regards se perdent, l’enfance affleure sur des visages parfois ĂągĂ©s, l’enchantement sur celui des enfants (c’est plus joli que les nouveaux Disney, il faut quand mĂȘme le dire). Ce n’était pas mieux avant, mais l’impression est douce d’avoir Ă©tĂ© dans un cocon, d’avoir sautĂ© Ă  nouveau dans les flaques et « donnĂ© des coups d’Ɠil pour de faux » – comme chantait Renaud dans Mistral gagnant, la chanson qui fait pleurer Ă  coup sĂ»r – fait des bĂȘtises et marchĂ© le nez en l’air. On ressort Ă  la fois nostalgique et joyeux de cette trĂšs jolie exposition. Dehors, une petite fille saute dans les flaques. a

Dorette Muller (illustratrice) Hansel et Gretel, Mulhouse, Éditions Lucos, sd., ca 1938, 25,7 x 20 cm, Strasbourg, collection particuliùre.

Enfantillages Ă  la Galerie Heitz, 2 place du ChĂąteau, Strasbourg, jusqu’au 17 fĂ©vrier 2025, exposition placĂ©e sous le Commissariat de Florian Siffer et Christine Esch, respectivement responsable du Cabinet des Estampes et des Dessins et responsable de la BibliothĂšque Alsatique du CrĂ©dit Mutuel.

Pas de livres pour enfants. Enfantillages chapitre 2 au MusĂ©e Ungerer, Centre international de l’Illustration, jusqu’au 2 mars 2025, sous le Commissariat d’Anna Sailer, conservatrice du MusĂ©e Ungerer.

Ces deux expositions sont placĂ©es dans le cadre de la programmation de Strasbourg, Capitale mondiale du Livre Unesco 2024 (jusqu’en avril 2025).

Mission OPC pour « L’Alcazar », Saint-Louis. Sodico Immobilier. Espace EuropĂ©en de l’entreprise - BĂątiment MIKADO - Schiltigheim

VĂ©ronique Leblanc Service presse MusĂ©e d’art moderne et contemporain de Strasbourg

UNE PREMIÈRE EN FRANCE LE MAMCS DONNE

LE MODE D’EMPLOI DES ƒUVRES À PROTOCOLE

Erwin Wurm, One Minute

Sculpture : Untitled (Double), 2002

Piedestal, pull-over, instructions dessinĂ©es, collection MusĂ©e d’art contemporain, Marseille.

Enfilez Ă  deux le pull d’Erwin Wurm et transformez-vous en une sculpture unique, observez se craqueler en fissures alĂ©atoires la terre de la VallĂ©e de la Mort ramenĂ©e par Alice Aycock, regardez se faner les Flowers for Africa de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga et pensez au temps passĂ© depuis les indĂ©pendances africaines, aux espoirs déçus et Ă  la persistance de la mĂ©moire rĂ©activĂ©e Ă  chaque fois que l’on recompose les bouquets conçus lors des moments officiels qui ont ponctuĂ© ces Ă©vĂ©nements.

Bref, faites fi de l’image de l’artiste romantique Ă  l’inspiration irrĂ©pressible et lancez-vous dans la trĂšs originale exposition qui se tient jusqu’au premier juin au MusĂ©e d’Art moderne et contemporain de Strasbourg.

Marianne Mispelaëre

BibliothĂšque des silences, 2017, fusain et gomme mie de pain, collection FRAC Occitanie, Montpellier.

CONCEVOIR, DÉLÉGUER, INTERAGIR, INTERPRÉTER, ACTIVER, LAISSER FAIRE.

YOKO ONO, DANIEL BUREN, SOL LEWITT, VERA MOLNÁR ET BIEN

DES PROTOCOLES HYPER PRÉCIS

C’est le cas de la BibliothĂšque des silences conçue par Marianne MispelaĂ«re, une artiste passĂ©e par Strasbourg et la Haute École des Arts du Rhin.

Le protocole en est trĂšs prĂ©cis tant dans la dimension de l’espace, clos Ă  80 % et oĂč se dĂ©ploie la liste des centaines de langues disparues depuis 1988, annĂ©e de naissance de l’artiste.

Écrits en français et en anglais dans une typographie prĂ©cise – la Minion Pro Regular –, les noms de ces langues ont Ă©tĂ© retranscrits Ă  la main et au fusain par trois personnes au moins et seront effacĂ©s les uns aprĂšs les autres durant une performance menĂ©e par des intervenants nĂ©s eux aussi en 1988.

EntamĂ©e en 2017, cette Ɠuvre Ă  protocole prendra fin avec la disparition de l’artiste et existera alors sous sa derniĂšre actualisation.

UN NOUVEAU RAPPORT AUX ƒUVRES

Ainsi en va-t-il dans l’exposition, des Ɠuvres peuvent apparaĂźtre, disparaĂźtre, ĂȘtre touchĂ©es voire emportĂ©es.

Toutes ont Ă©tĂ© fabriquĂ©es Ă  partir du mode d’emploi rĂ©digĂ© par l’artiste Ă  l’image du Jeux d’échec pour jouer Ă  la paix conçu par Yoko Ono ou du Papier peint de Daniel Buren de couleur obligatoirement diffĂ©rente Ă  chaque prĂ©sentation.

Les contraintes ne s’arrĂȘtent pas avec le vernissage comme en tĂ©moigne l’arrosage de la flaque d’eau façonnĂ©e par l’artiste alsacienne Capucine Vandebrouck captivĂ©e par la fugacitĂ© et l’éphĂ©mĂšre.

Sans intervention rĂ©guliĂšre, cette eau sculptĂ©e s’évaporerait


mode d’emploi, suivre les instructions de l’artiste au MAMCS jusqu’au 1er juin 2025

IntitulĂ©e mode d’emploi, celle-ci prĂ©sente, pour la premiĂšre fois en France, les Ɠuvres Ă  protocole des annĂ©es 1960 Ă  aujourd’hui. PrĂšs de 50 propositions d’une quarantaine d’artistes dont Yoko Ono, Daniel Buren, Sol LeWitt, Vera MolnĂĄr et bien d’autres y sont prĂ©sentĂ©es. Remettant en cause la notion d’auteur, d’originalitĂ© ou encore de pĂ©rennitĂ©, ces Ɠuvres reprennent la notion de protocole scientifique pour l’appliquer Ă  l’art. En clair, l’artiste Ă©labore des consignes et invite une Ă©quipe, ou le public, Ă  les rĂ©aliser, dissociant ainsi l’idĂ©e de la fabrication.

Concevoir, dĂ©lĂ©guer, interagir, interprĂ©ter, activer, laisser faire etc., le parcours se dĂ©cline selon des verbes qui sont autant de chapitres permettant aussi d’apprĂ©hender l’histoire des Ɠuvres Ă  protocole que ce soit dans les arts plastiques, la musique ou le design.

De l’ Art by Telephone
 Recalled , exposition conçue en 1969 par le directeur du Contemporary Art de Chicago qui a recueilli au bout du fil les instructions des artistes, Ă  l’introduction plus rĂ©cente des Ă©lĂ©ments naturels en passant par l’intervention de l’ordinateur mise en Ɠuvre, notamment, par Sol LeWitt et l’immense Vera MolnĂĄr. a

UN LEADER de l’enveloppe du bñtiment

Aujourd’hui rĂ©unis, wienerberger et Terreal en France conjuguent expertise, expĂ©rience et innovation pour vous offrir le meilleur de l’enveloppe du bĂątiment. Notre capacitĂ© industrielle alliant savoir-faire ancestral et avancĂ©e technique nous permet de vous proposer des solutions adaptĂ©es Ă  l’ensemble des besoins du marchĂ©.

Forts de ce rapprochement et animés par la passion et la créativité, nous proposons des solutions innovantes et durables au travers de nos quatre activités : toiture, solaire, structure, façade et décoration.

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Julien Batard
MĂ©tamorphe, spectacle de Diffuse Ă  Valentigney.

DIFFUSE POUR L’AMOUR DU CIEL

En seulement deux ans d’existence, l’entreprise alsacienne de spectacles de drones lumineux Diffuse s’est solidement installĂ©e dans le paysage, en proposant des shows rĂ©volutionnaires qui mĂȘlent tous les arts et toutes les techniques.

C’ est l’histoire de deux gamins, dingues de feux d’artifice, et qui, Ă  des centaines de kilomĂštres de distance, se rencontrent sur la Toile au travers d’une communautĂ© de jeunes Youtubeurs passionnĂ©s par la pyrotechnie. LĂ©o et Vincent ont Ă  peine 12 ou 13 ans et partagent sans relĂąche leurs vidĂ©os de simulation, rĂ©alisĂ©es sur ordinateur Ă  partir de logiciels dĂ©diĂ©s.

UN PARCOURS SIMILAIRE

Dans sa bourgade vendĂ©enne de Moutiers-les-Mauxfaits, oĂč il utilise en cachette l’ordinateur de la mairie pour publier ses crĂ©ations, LĂ©o n’a qu’une idĂ©e en tĂȘte : faire de la pyrotechnie son mĂ©tier. Il entre presque de force dans un lycĂ©e agricole et, dĂšs que l’occasion se prĂ©sente, prend son vĂ©lo pour partir Ă  la rencontre des artificiers qui installent ici ou lĂ  leurs feux. « C’est comme ça que je suis passĂ© de l’autre cĂŽtĂ© de la barriĂšre », explique-t-il. LĂ©o apprend le mĂ©tier sur le tas et crĂ©e Ă  18 ans sa propre microsociĂ©tĂ© pyrotechnique. Il n’aura pas le temps de la dĂ©velopper : une sociĂ©tĂ© drĂŽmoise l’embauche presque aussitĂŽt comme chef de projet et l’envoie pendant quatre ans faire exploser la poudre en Espagne, Ă  Nice, Courchevel et Monaco.

Le parcours de Vincent est gĂ©mellaire Ă  celui de LĂ©o. DestinĂ© au mĂ©tier de cuisinier, le jeune Haguenovien s’émerveille devant la mise en scĂšne des « pyroconcerts » de Jean-Éric Ougier alors qu’il est en stage d’hĂŽtellerie Ă  Talloires, en Haute-Savoie. Il intĂšgre alors par la petite porte une sociĂ©tĂ© d’évĂ©nements pyrotechniques, Ă  Thionville. Il y restera finalement cinq ans, en apprenant toutes les bases du mĂ©tier, puis en concevant de A Ă  Z des feux qui Ă©clatent Ă  Strasbourg, Metz, Besançon ou Bruxelles.

UNE RÉCOMPENSE

QUI CHANGE TOUT

L’annĂ©e 2021 marque un tournant dans l’aventure des deux passionnĂ©s. Vincent se forme en autodidacte Ă  Blender, un puissant logiciel de modĂ©lisation et d’animation 3D. « La premiĂšre fois que je l’ai ouvert, et devant sa complexitĂ©, je l’ai tout de suite fermé », sourit-il. Mais l’Alsacien est du genre tenace. Pendant cinq mois, il se fait des nƓuds dans le cerveau pour en maĂźtriser les moindres dĂ©tails, puis prĂ©sente le spectacle de drones qu’il a conçu en 3D Ă  l’International Drone Show Competition. Face Ă  140 autres concurrents, il rafle en dĂ©cembre le prix spĂ©cial du jury, notamment grĂące Ă  sa synchronisation musicale qui rĂ©volutionne le genre.

Vincent Bauer Ă  gauche et LĂ©o Dolignon
Olivier MĂ©tral DR – Olivier MĂ©tral

Pour Vincent, c’est le moment de se lancer sur cette nouvelle voie, celle des spectacles de drones lumineux, d’autant que le monde de la pyrotechnie l’épuise avec prĂšs de 300 feux tirĂ©s Ă  l’annĂ©e et une Ă©volution technique qui prend de plus en plus le pas sur la crĂ©ation artistique. Il enjoint LĂ©o de l’accompagner sur ce projet. D’abord rĂ©ticent, il finit par plier. « Quand Vincent m’a montrĂ© toute l’étendue des possibilitĂ©s en 3D, j’ai rapidement changĂ© d’avis ».

UN LANCEMENT RETENTISSANT

Leur sociĂ©tĂ© Diffuse est crĂ©Ă©e en octobre 2022. Les deux compĂšres s’installent dans un algĂ©co de chantier Ă  Goxwiller et Vincent candidate Ă  nouveau au concours de l’International Drone Show, avec une nouvelle crĂ©ation portĂ©e par la musique originale de Titouan Malivoir. Bingo ! C’est cette fois le premier prix que dĂ©croche Vincent, sous la banniĂšre cette fois de leur nouvelle entreprise. « Deux mois aprĂšs notre lancement, on se retrouvait avec une rĂ©fĂ©rence internationale sans mĂȘme avoir fait voler un seul drone », s’étonne encore LĂ©o.

Ce dernier prend les commandes du secteur technique avec toutes les complications que le vol de drone implique, alors que Vincent se concentre sur la partie artistique. En deux ans Ă  peine, leur succĂšs est phĂ©nomĂ©nal. On a vu leurs drones parader dans le ciel des festivals Vents d’Est et DĂ©cibulles, reproduire les arabesques de La Nuit Ă©toilĂ©e de

Van Gogh ou encore illuminer la nuit strasbourgeoise Ă  l’occasion d’Octobre Rose. Au total, une dizaine de spectacles Ă  leur actif et ne parle-t-on pas ici de tous ceux que des sociĂ©tĂ©s, au Maroc, au Canada ou en Espagne, leur sous-traitent.

Mais pas question pour LĂ©o et Vincent d’opposer feux d’artifice et spectacles de drones. « Les seconds n’évacueront pas les premiers », prĂ©vient LĂ©o. « Au contraire, ils sont complĂ©mentaires et notre travail s’inscrit dans une dĂ©marche de spectacle total oĂč peuvent s’entrecroiser jeux de lumiĂšre, effets sonores, tableaux pyrotechniques et show aquatique », insiste Vincent. « Il s’agit pour nous de repousser les limites de l’imaginaire et de transmettre de l’émotion. Le drone n’est qu’un des moyens techniques pour y parvenir ». a

©
Frédéric Lepla
© Nicolas Guilitte
Songe d’étĂ©, spectacle de Diffuse en partenariat avec Aquatique Show lors du festival Vents d’Est.
La Nuit étoilée, spectacle de Diffuse pour Drotek.

JÉRÉMY GONÇALVES

Jeune photographe français, JĂ©rĂ©my Gonçalves se passionne dĂšs les premiers pas pour les mammifĂšres marins. Cet univers mystĂ©rieux, qui pourrait effrayer les tout-petits, lui, l’émerveille. À travers les films Orca ou bien Moby Dick, les orques retiennent son attention et font naĂźtre sa passion. L’enfance rythmĂ©e par un imaginaire sous-marin qu’il s’attĂšle trĂšs souvent Ă  dessiner prend un autre tournant lorsque l’appareil photo remplace les feutres.

En 2020, JĂ©rĂ©my Gonçalves dĂ©cide de partir afin de s’immerger dans le milieu de grands animaux marins. La RĂ©union, la NorvĂšge ou l’üle Maurice provoquent une myriade de photographies et autant de dĂ©couvertes. Selon les destinations, il se consacre tantĂŽt aux orques, tantĂŽt aux baleines Ă  bosse, aux cachalots. En plongeant dans leur environnement naturel, il ne fait pas que les observer, mais documente leurs mouvements et leurs modes de vie Ă  travers ses prises de vues.

Par Lisa Christ

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Alain Leroy Musée départemental Albert Kahn

LE JOUR OÙ
 ALBERT KAHN A ARCHIVÉ LE MONDE

NĂ© Ă  Marmoutier dans la deuxiĂšme partie du XIXe siĂšcle et exilĂ© en « France de l’intĂ©rieure » aprĂšs l’annexion allemande, Albert Kahn a bĂąti une immense fortune qu’il a quasi entiĂšrement consacrĂ© Ă  archiver le monde qui Ă©tait alors le sien, dĂ©pĂȘchant cameramen et photographes partout sur la planĂšte. Un legs pour l’humanitĂ©.

Chaque Ă©poque a les milliardaires qu’elle mĂ©rite. La nĂŽtre par exemple a vu fleurir les Tycoon obsĂ©dĂ©s par le culte du pouvoir et de l’argent, qui rĂȘvent de conquĂ©rir la lune, d’envoyer Ă  la MaisonBlanche un de leurs atrabilaires coreligionnaires ou de s’accaparer les richesses du globe Ă  leur seul profit. On ne dit pas que certains d’entre eux ne se soucient pas de la santĂ© du monde, mais enfin, il semble que comme les poissons volants, ils ne constituent pas la majoritĂ© du genre.

Celle d’Albert Kahn n’était peut-ĂȘtre pas mieux lotie, mais les Rockfeller, Carnegie, J-P. Morgan, pour ne parler que des plus cĂ©lĂšbres d’entre eux, avaient compris que leur immense fortune ne s’était pas faite toute seule, que pour ça il avait fallu utiliser la force de travail d’hommes et de femmes et que cette force de travail devait ĂȘtre prĂ©servĂ©e. Une sorte de deal gagnant-gagnant au cƓur d’une RĂ©volution industrielle qui allait faire exploser le nombre de milliardaires un peu partout dans les grandes nations occidentales.

Abraham Kahn Ă©tait d’une autre espĂšce. D’abord, mĂȘme s’il n’est pas nĂ© pauvre, il n’est pas nĂ© riche. Son pĂšre est

marchand de bestiaux Ă  Marmoutier oĂč existe une forte communautĂ© juive qui a aussi fait l’histoire de l’Alsace. La guerre de 1870 est un tournant pour la rĂ©gion qui se retrouve annexĂ©e et pour lui qui, Ă  l’ñge de 16 ans, dĂ©cide de franchir cette nouvelle frontiĂšre. Nous sommes en 1876, le monde est vaste, immense et Abraham qui se fait dĂ©sormais appeler Albert a des envies de femme enceinte.

Le rĂ©cit de la premiĂšre partie de son existence est celle d’un Rastignac. Le voilĂ  Ă  Paris, sans beaucoup de sous, mais Ă  Paris. Puisqu’il faut survivre avant de vivre, il trouve un emploi dans un magasin de confection de vĂȘtements rue du Faubourg Montmartre. Quelques mois seulement. Le temps de prendre la mesure de ce monde nouveau qui autorise toutes les audaces. Il est dĂ©sormais commis Ă  la banque des frĂšres Goudchaux, qui sont des cousins lorrains Ă©loignĂ©s. Commis, ce n’est pas grand-chose, mais il a mis un pied dans la porte, il ne la laissera pas se refermer.

On l’imagine dĂ©brouillard, il est intelligent, brillant et ça se voit. Et puis, il en veut, il a envie d’avaler le monde. Alors, il

grimpe tous les Ă©chelons, un Ă  un d’abord et puis quatre Ă  quatre, on ne l’arrĂȘte plus. Le voici fondĂ© de pouvoir, bientĂŽt (en 1891) associĂ©, dĂ©jĂ  riche : il a devinĂ© avant tout le monde le potentiel Ă©norme des mines d’or et de diamants d’Afrique du Sud et a investi ce qu’il avait et ce qu’avaient les autres dans ces contrĂ©es lointaines. En 1898, il fonde sa propre banque au 102 rue Richelieu. Il a 38 ans, il est richissime et chaque jour accroĂźt sa fortune, ce qui ne lui suffit dĂ©jĂ  plus.

Albert Kahn est un aventurier, il n’en a jamais assez et on ne parle pas d’argent, ça, c’est bon, il en a pour des gĂ©nĂ©rations. Non, il veut vivre, exister et l’argent justement n’est pas un but, c’est un moyen. N’écrit-il pas Ă  son ami Henri Bergson, en 1887, alors qu’il est en pleine ascension professionnelle, que rĂ©ussir dans les affaires « n’est pas son idĂ©al » ? Cet idĂ©al, il le trouvera en parcourant le monde. Ses voyages au Proche et MoyenOrient, au Japon, en AmĂ©rique du Nord et de Sud font jaillir de lui l’humaniste qui ne sommeillait que d’un Ɠil. Il rĂȘve de rapprocher les peuples, soĂ»le avec ça ses relations dans les salons oĂč l’on

parle, crĂ©Ă© des fondations, une dizaine, qui ont pour objet la fraternitĂ© universelle et encourage ses amis fortunĂ©s Ă  faire de mĂȘme. Surtout, il est conscient que le monde qu’il voit est un monde en voie de disparition, que bientĂŽt il s’éteindra parce que l’époque est en train de changer et qu’il faut garder une trace de tout ça. Il Ă©crit ainsi : « Il faut fixer, une fois pour toutes, des aspects, des pratiques et des modes de l’activitĂ© humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps. »

En 1898, Albert Kahn ouvre au sein de l’UniversitĂ© de Paris les Bourses de voyages autour du monde, concours qui permet aux laurĂ©ats, qui sont de jeunes agrĂ©gĂ©s, de rĂ©aliser un voyage de quinze mois dans un pays Ă©tranger afin qu’ils y prennent « rĂ©ellement contact avec la vie ». Un programme Erasmus avant l’heure. En 1905, ces bourses s’adressent aussi aux femmes agrĂ©gĂ©es et, l’annĂ©e d’aprĂšs, il crĂ©e la SociĂ©tĂ© autour du monde pour favoriser les Ă©changes entre les anciens boursiers et l’élite internationale. En 1909, il lance enfin son grand Ɠuvre : Les Archives de la PlanĂšte. Un

Albert Kahn posant au balcon de sa banque au 102 rue de Richelieu à Paris en 1914 devant l’objectif de Georges Chevalier, il a alors 54 ans.

inventaire visuel et documentaire d’une ampleur inouïe, jamais vue.

Pendant plus de deux dĂ©cennies, photographes, reporters d’images et scientifiques vont partir aux quatre coins du globe pour fixer sur la pellicule ou graver sur des plaques de verre des vies et des modes de vie. Ils sont au couronnement de l’empereur d’Éthiopie, aux confins de la Chine oĂč les prisonniers portent au cou des chaines massives comme des ancres de bateaux, dans les Balkans, auprĂšs des cow-boys en Argentine, en Égypte, en Scandinavie, en GrĂšce, en Arabie, ils sont partout on vous dit. En Alsace aussi oĂč Albert Kahn, qui n’a jamais oubliĂ© sa rĂ©gion natale, envoie plusieurs missions, car ce monde-lĂ  aussi est en voie de disparition, la premiĂšre dans le Haut-Rhin en 1917, alors que la guerre fait encore rage. Car la premiĂšre chose que rencontrent ces archivistes du vivant, c’est la guerre, les ruines, les vies brisĂ©es. Il faut consigner

ça aussi malgrĂ© la douleur. Pour que rien ne soit oubliĂ©, pour la mĂ©moire du monde. Vingt ans durant donc, il financera ces expĂ©ditions uniques dans l’histoire. Jusqu’à ce que le monde de la finance s’écroule. Nous sommes le 24 octobre 1929, la bourse de New York explose et Albert Kahn, qui bien que philanthrope n’en reste pas moins banquier, est ruinĂ© du jour au lendemain. Tout s’arrĂȘte. Sa magnifique propriĂ©tĂ© de BoulogneBillancourt – qui abrite aujourd’hui un fabuleux musĂ©e de 70 000 plaques autochromes et 183 000 mĂštres de films que chacun peut consulter – est vendue puis rĂ©cupĂ©rĂ©e, une partie du jardin aussi avec ses plantes apportĂ©es du monde entier est sauvĂ©e in extremis et Albert Kahn peut y finir ses jours et rĂȘver en regardant les Ă©toiles. Il s’y Ă©teindra le 14 novembre 1940 au moment mĂȘme oĂč dĂ©marrait l’une de ces guerres qu’il avait passĂ© sa vie Ă  essayer d’éloigner. a

« VINGT ANS DURANT

DONC, IL FINANCERA CES EXPÉDITIONS UNIQUES DANS L’HISTOIRE. »

Dans le cadre de la programmation de l’annĂ©e Strasbourg capitale mondiale du livre de l’UNESCO « Lire notre monde », la BibliothĂšque nationale et universitaire de Strasbourg propose, jusqu’au 26 janvier, un voyage Ă  travers les Archives de la PlanĂšte d’Albert Kahn.

Mademoiselle Hincky, la fille du maire de Masevaux en 1918. Photo Georges Chevalier.
Un prisonnier au carcan à Oulan-Bator en Mongolie, en 1913. Photo Stéphane Passet.

GEWÜZRTRAMINER ?

GEWRUZTARMIREN ?

GREWUZTARMINER ?

GEWURZTRAMINER ! L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC

BREf, GEWURZ

Le vignoble alsacien a dĂ©veloppĂ© au fil des siĂšcles la culture de cĂ©pages trĂšs aromatiques se forgeant ainsi sa propre identitĂ©. FruitĂ© et gĂ©nĂ©reux, le Gewurztraminer est certainement l’un des plus emblĂ©matiques.

LE DESTIN HORS NORMES DE LOUIS HENRI BOJANUS

Enfant d’Alsace et savant de Vilnius, Louis Henri Bojanus est au cƓur d’un documentaire accessible en un clic.

Àl’heure oĂč la Lituanie vient de clore sa prĂ©sidence du ComitĂ© des ministres du Conseil de l’Europe, revenons sur une Ă©tonnante figure alsacienne, le savant naturaliste Louis Henri Bojanus, brillant chercheur Ă  l’universitĂ© de Vilnius, mais nĂ© Ă  Bouxwiller, en 1776. Pour Philippe Edel, prĂ©sident de la Fondation France-Lituanie, Bojanus est « particuliĂšrement emblĂ©matique » de la relation entre ces deux pays et « prĂ©figure, au tournant des XVIIIe et XIXe siĂšcles, la collaboration europĂ©enne ».

De gauche à droite : Ruta Kneitzeviciute, Philippe Edel et Jolita Silanskiene.

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Lien vers le documentaire

Louis Henri Bojanus (1776-1827. De Bouxwiller à Vilnius, de la tortue au bison, du scientifique à l’artiste. Gratuit sur YouTube.

Artisan de la redĂ©couverte de ce scientifique, le Strasbourgeois lui a consacrĂ© un Portrait cĂ©lĂšbre d’Alsace aux Ă©ditions Vent d’Est, avant de prĂ©sider Ă  la rĂ©alisation d’un documentaire dĂ©sormais disponible sur YouTube.

UN VÉTÉRINAIRE PIONNIER

IntitulĂ© Bojanus, de Bouxwiller Ă  Vilnius, de la tortue au bison, du scientifique Ă  l’artiste, ce film raconte le destin hors normes d’un Alsacien passionnĂ© dĂšs l’enfance par les fossiles vieux de 50 millions d’annĂ©es qui affleurent dans la rĂ©gion de Bouxwiller, fĂ©ru de dessin et forcĂ© avec sa famille de s’exiler Ă  Darmstadt aprĂšs la RĂ©volution française. C’est lĂ  qu’il Ă©tudiera avant d’obtenir une bourse pour se former Ă  la mĂ©decine Ă  l’universitĂ© d’IĂ©na. Suivra un tour des Ă©coles vĂ©tĂ©rinaires d’Europe, la publication d’un ouvrage sur leur organisation et l’entrĂ©e Ă  l’universitĂ© de Vilnius en plein apogĂ©e. Son expertise vĂ©tĂ©rinaire s’y dĂ©ploiera dans l’étude des pandĂ©mies animales favorisĂ©es par les dĂ©placements de chevaux et bovins lors des guerres et son Ă©rudition se concrĂ©tisera dans plusieurs publications.

NATURALISTE

ET HOMME DE CONVICTION

Une soixantaine d’éditions originales de celle qu’il a consacrĂ©e aux cistudes d’Europe sont conservĂ©es en AmĂ©rique et en Europe, l’une d’entre elles peut encore ĂȘtre consultĂ©e au Studium de Strasbourg. DocumentĂ©es par la dissection de quelque 500 tortues, les planches qui l’illustrent rĂ©vĂšlent l’immense talent de dessinateur de Bojanus. Une autre somme rĂ©sout un des plus importants dĂ©bats scientifiques de l’époque en distinguant aurochs et bisons des steppes comme deux espĂšces diffĂ©rentes. Pour le documentaire, Philippe Edel a travaillĂ© avec Ruta Kneitzeviciute et

Jolita Silanskiene par ailleurs prĂ©sidente de l’Union des Lituaniens de Strasbourg. « DĂ©goĂ»tĂ© de la politique aprĂšs avoir vĂ©cu la Terreur en France, Bojanus est restĂ© trĂšs loyal Ă  son universitĂ©, relĂšve Jolinta, mais il a refusĂ© d’en ĂȘtre nommĂ© recteur par un rĂ©gime tsariste de plus en plus rĂ©actionnaire et il s’est battu avec succĂšs pour des Ă©tudiants menacĂ©s d’ĂȘtre incorporĂ©s 25 ans dans l’armĂ©e ». Une rĂ©sistance face Ă  la brutalitĂ© politique qui, hĂ©las, fait de plus en plus Ă©cho aujourd’hui. a

Louis Henri Bogdanus, gravure post-mortem de Maciej Przybylski, 1835.

HAPPY APOCALYPSE UNE CATHARSIS

TRÈS ÉNERGIQUE DE NOS PEURS

Tout change, tout tangue, tout inquiĂšte. Que deviennent nos idĂ©aux Ă  l’heure du transhumanisme, de la course au progrĂšs technologique, du rĂ©chauffement climatique etc. ? Avons-nous encore le droit Ă  la fragilité ?

Nul ne sait de quoi l’avenir sera fait et le spectacle Happy Apocalypse programmĂ© le 7 fĂ©vrier au Point d’eau d’Ostwald ne prĂ©tend pas donner de mode d’emploi.

« Il y a une voie Ă  trouver, ce n’est pas Ă  nous – artistes – de la dĂ©finir, mais nous pouvons dire qu’il faut chercher », prĂ©cise Jean-Christophe DollĂ©, auteur du texte de cette dystopie thĂ©Ăątrale.

« Il s’agit d’un conte aux allures scientifiques », ajoute Clotilde MorgiĂšve qui en signe la mise en scĂšne avec Jean-Christophe.

UNE HUMANITÉ EN MUTATION

RencontrĂ©s en septembre, durant une semaine de rĂ©sidence prĂ©-crĂ©ation au Point d’eau, Clotilde et Jean-Christophe Ă©voquent un conte « trĂšs Ă©nergique », « psychĂ©dĂ©lique dans la forme et teintĂ© de musique pop rock Ă©lectro ».

Trois musiciens seront sur scĂšne pour accompagner cinq comĂ©diens interprĂ©tant onze personnages et, par le biais de masques, quelques animaux. Se croiseront en plateau, une gĂ©nĂ©ticienne Ă©crasante de savoir soudain prise de hoquet, sa fille, une jeune femme hybride nĂ©e au croisement de sa mĂšre avec un
 varan de Komodo, mais qui finira par assumer sa diffĂ©rence, un astrophysicien en fauteuil roulant s’exprimant par une voix artificielle – toute rĂ©fĂ©rence Ă  Stephen Hawking est assumĂ©e – un homme papillon empreint de fragilitĂ©, une performeuse nihiliste avalĂ©e par sa derniĂšre Ɠuvre ainsi que

VĂ©ronique Leblanc Alban Hefti

Jean-Christophe Dollé et Clotilde MorgiÚve happés par le décor de Happy Apocalypse

tout un tas de personnages hybrides dessinant une humanitĂ© en mutation au cƓur d’un cosmos qui dicte ses lois encore mĂ©connues. L’univers est-il toujours en expansion ou a-t-il commencĂ© Ă  se rĂ©tracter en nous affectant d’ores et dĂ©jà ? Les scientifiques s’interrogent


Quant aux animaux, ils soulùvent la question de l’esclavage moderne auquel les soumet la recherche scientifique.

RIEN DE PLOMBANT, BEAUCOUP DE DRÔLERIE

MĂȘlant les changements sociĂ©taux, les mutations de l’humanitĂ© et de la transhumanitĂ© ainsi que les lois astrophysiques, le propos d’Happy Apocalypse semble vertigineux, voire mĂȘme angoissant.

« Il n’a rien de plombant », certifient cependant Jean-Christophe et Clotilde co-crĂ©ateurs de la compagnie F.O.U.I.C, nominĂ©e deux fois aux MoliĂšres 2024 pour un prĂ©cĂ©dent spectacle, Allosaurus « Beaucoup de drĂŽlerie », promettent-ils

« PRENDRE LA PEUR À BRAS LE CORPS ET L’EMBRASSER SUR LA BOUCHE. »

n’est plus humain. « Montrer le monstre est un mal nĂ©cessaire pour se mettre Ă  penser, faire Ă©merger la lumiĂšre aprĂšs avoir regardĂ© en face l’étrange et l’inquiĂ©tant. ExtĂ©rioriser l’angoisse sans se laisser dĂ©border et mĂȘme en s’en moquant. Prendre la peur Ă  bras le corps et l’embrasser sur la bouche », est-il Ă©crit dans la note d’intention.

« La piĂšce porte aussi une confiance en l’intelligence collective » ajoute GĂ©rald Mayer, directeur du Point d’eau.

en insistant sur « l’esthĂ©tique un peu cinĂ©matographique, la construction en live d’une Ɠuvre d’art, la musique et le dĂ©cor dĂ©structurĂ© Ă  la maniĂšre des peintres cubistes, clin d’Ɠil Ă  la relativitĂ© chĂšre Ă  Einstein. »

MONTRER LE MONSTRE POUR EXTÉRIORISER

L’ANGOISSE

Fondamentalement, Happy Apocalypse questionne la question du monstre disentils, c’est-à-dire de ce qui, dans l’humain,

« Un directeur trĂšs impliquĂ© qui nous a accompagnĂ©s au PrĂ©O d’Oberhausbergen et qui continue Ă  le faire Ă  Ostwald », souligne Jean-Christophe.

Les lie le questionnement commun d’une sociĂ©tĂ© qui semble parfois perdre le lien entre bonheur et progrĂšs, une confiance en la fragilitĂ© vue comme lieu de rĂ©sistance, de nombreux spectacles vus ensemble, de savantes lectures partagĂ©es
 Et de « trĂšs trĂšs » longues discussions tĂ©lĂ©phoniques autour du thĂ©Ăątre comme lieu de catharsis et « immense machine Ă  sublimer le tragique de l’existence ». a

1971

LA REVANCHE DES CLAVIERS ROCK

Les Inconnus avaient posĂ© la base du dĂ©bat : « c’est quoi le bon hard rockeur et le mauvais hard rockeur ? ». À

sa façon, Thomas Kieffer rĂ©pond une nouvelle fois Ă  cette question, dans la lignĂ©e d’un Bruce Springsteen, et peut-ĂȘtre plus encore d’un Mick Jones (Foreigner) : « un amour immodĂ©rĂ© du songwriting, ĂȘtre Ă  la fois auteur et compositeur pour crĂ©er de belles mĂ©lodies sur de beaux textes qui dĂ©livrent, pour la plupart un message d’amour et d’espoir. »

Son nouvel album, 1971 est ainsi gorgĂ© d’amour, d’espoir, de larsens et de claviers. Un virage totalement assumĂ© par ce passionnĂ© de musique qui, malgrĂ© son pedigree rock admet qu’aujourd’hui, en France, la scĂšne Ă©lectro est bien plus intĂ©ressante. NĂ©anmoins, ce sont les claviers vintage, analogiques, des annĂ©es 80 qui accompagnent ce 1971 trĂšs variĂ©. Un album nĂ© pendant le confinement, « comme pour exorciser cette pĂ©riode compliquĂ©e. »

Qui a suivi la carriĂšre de Thomas Kieffer l’aura connu tour Ă  tour rockeur, hard rockeur – parfois Ă  la frontiĂšre du mĂ©tal – ou mĂȘme folkeux . Sur 1971 , il rĂ©ussit haut la main Ă  mĂ©langer toutes ces influences (et mĂȘme un peu de disco sur le titre Survive this) en gardant une cohĂ©rence sonore parfaite. TrĂšs loin d’un assemblage de chansons, 1971 offre Ă  l’auditeur une narration claire, une dĂ©ambulation musicale parfaite.

Pourquoi ce titre, 1971 ? « Parce que c’est mon annĂ©e de naissance. Mais aussi celle de la disparition de Jim Morrison, la

Emmanuel Didierjean

sortie du film Love Story, Brown Sugar des Stones, et Stairway to Heaven de Led Zeppelin, les premiĂšres prises de conscience anti-nuclĂ©aire, des violences policiĂšres contre la communautĂ© homosexuelle lors d’un meeting. » Et peut-ĂȘtre aussi pour retrouver cette essence d’un rock encore adolescent, qui se foutait des chapelles. Un rock qui, alors, ne s’interrogeait pas pour savoir s’il Ă©tait Ă  ranger dans le blues, le prog, le hard, etc. Dans cette lignĂ©e, le chanteur alsacien aime avancer, sur chaque projet, dans sa

culture musicale personnelle, assurant que l’arrivĂ©e de l’électro sur cet album est une façon pour lui de dĂ©couvrir un nouvel espace de crĂ©ation, qu’il associera avec son ADN musical.

Car, Ă  travers ses voyages en Rock et en Roll, ce passionnĂ© qu’est Thomas Kieffer rend surtout hommage Ă  la culture qui l’a façonnĂ© en tant que personne. Et il admet bien volontiers ce que trop de fans de rock cachent avec un peu de honte aujourd’hui : « j’aime le son vintage des synthĂ©s analogiques » qui ont habillĂ© une

grande partie du rock 80s, de Foreigner Ă  Journey, de Bon Jovi Ă  INXS. Ce dernier groupe marquant aussi l’entrĂ©e dans les annĂ©es 90. « Je regrette beaucoup les annĂ©es 90 », explique Thomas, « je pense qu’elles ont Ă©tĂ© les meilleures annĂ©es pour les groupes de rock. On ne retrouve plus aujourd’hui cette effervescence crĂ©ative et artistique. » Alors, certains gardiens du temple, comme Thomas, entretiennent cette flamme, face aux prĂ©dicateurs du « rock is dead ». Assez normal d’ailleurs pour un artiste qui avait nommĂ© l’un de ses prĂ©cĂ©dents groupes Stellar Temple.

MarchĂ© difficile du disque oblige, 1971 est pour l’instant disponible uniquement sur les plateformes musicales bien connues. Mais un vinyl est prĂ©vu pour 2025. Ce sera la mĂȘme belle nouvelle pour son album rĂ©alisĂ© avec son groupe The Meltdwn, oĂč il est accompagnĂ© par des musiciens qui ont ƓuvrĂ© aux cĂŽtĂ©s de Jean-Jacques Goldman, Seal, Archive, Bashung ou Jean-Michel Jarre. 2025, annĂ©e d’un Thomas Double Kiff
er ! a

Incursion en pays Chadkhanite « Marry me, Esther »

« Ça ne te dirait pas de rencontrer ma collĂšgue Esther ? Elle est marieuse au sein de la communautĂ© juive de Strasbourg. Ça pourrait ĂȘtre intĂ©ressant, comme papier », m’a lancĂ© un soir l’ami François, au dĂ©tour d’un de nos nombreux Ă©changes. « Marieuse ? Au sein de la communautĂ© juive ? Ça existe encore, ce genre de trucs, Ă  l’heure du tout Tinder ? ». « Visiblement, oui », m’a-t-il rĂ©pondu.

Je l’avoue, j’étais intriguĂ©, mĂȘme si mon for intĂ©rieur ne savait si la chose relevait de la belle histoire, de l’escroquerie ou d’un Disney made in Tel-Aviv. J’avais, par le passĂ©, entendu tellement de choses, venues d’autres pays. Mais lĂ , me disait François, « ça a l’air trĂšs diffĂ©rent. Esther, je la connais. Commence peut-ĂȘtre par la rencontrer. Et puis, ça pourrait ĂȘtre intĂ©ressant pour toi de changer d’air, de chercher un peu de ciel bleu dans ce monde qui part en sucette ».

POSTE NON RESTANTE

François nous fixe rendez-vous quelques jours aprĂšs, Ă  Esther et moi, Ă  la Nouvelle Poste. Je ne le cache pas : je reste encore un peu dubitatif. Peine encore Ă  me lancer dans le projet, n’ayant jamais eu affaire Ă  une forme d’agente matrimoniale, qui plus est communautaire, mais je comprends que la « quinqua » ne fait rien de cela dans une quelconque optique financiĂšre. Au mieux, ne perdra-t-elle pas d’argent, Ă  la vue de son prĂ©visionnel financier : temps

d’organisation, nuitĂ©es en hĂŽtel 4 Ă©toiles, location de salle, traiteur, coachs et intervenantes, sorties touristiques : le « prix » du billet d’entrĂ©e me paraĂźt presque risible tant il semble en dessous des dĂ©penses budgĂ©tĂ©es. Au mieux, si des couples se forment et s’unissent, une petite participation Ă  leur union leur sera suggĂ©rĂ©e, pour qui respecterait sa parole donnĂ©e.

Esther n’a aucune richesse matĂ©rielle particuliĂšre, vit dans un petit appart avec Ă©poux, enfants, et mĂšre, loin du Maroc, son pays de naissance qu’elle a quittĂ© Ă  ses 18 ans pour trouver une universitĂ© qui saurait la former Ă  sa vie de salariĂ©e. Autant dire que l’on s’éloigne des clichĂ©s ambiants de la communautĂ©. Avec son homme, issu de la classe moyenne ouvriĂšre, juste des gens « normaux ». Juste une famille douce oĂč l’on se partage la table du salon entre regard sur infos, repas de Shabbat et devoirs des enfants. Parfois, Esther, que j’apprends progressivement Ă  connaĂźtre, se dĂ©sespĂšre de voir certains couples se sĂ©parer pour une quelconque broutille ou chimĂšre. Comme

« Certains des participants se sont dĂ©jĂ  rencontrĂ©s dans le hall de leur hĂŽtel voisin, venus de Paris, Amsterdam, Suisse ou Allemagne, selon les cas. D’autres, de la rĂ©gion. »

si la vie n’était faite que de hauts, sans aucun Ă©cueil, sans aucune incomprĂ©hension. Comme si le dialogue, le partage, la confiance n’étaient que de vains mots.

TOURNIS ET CHADKHANITE

Aujourd’hui, en France, toutes populations confondues, prĂšs d’un couple mariĂ© sur deux finit par divorcer. 46 %, officiellement. La chose en donnerait presque le tournis. Entre autres raisons statistiques, l’infidĂ©litĂ©, le manque de complicitĂ©, voire l’incompatibilitĂ© de caractĂšre, qui sembleraient Ă  eux trois rĂ©unir 65 % des cas. Viennent ensuite l’argent, les beaux-parents, l’addiction, la manipulation ou l’obsession du contrĂŽle. Esther n’est pas novice en la matiĂšre ; a dĂ©butĂ© sa « carriĂšre parallĂšle » alors qu’elle n’était encore qu’étudiante. A appris Ă  Ă©couter, sĂ©lectionner, accompagner, comme Chadkhanite, un nom hĂ©breu qui renvoie Ă  l’agrafe qui permet de lier, aidĂ©e de quelques coachs ou mentors spĂ©cialisĂ©s dans l’ouverture aux autres. Humaine, intellectuelle, ou religieuse.

Dans la petite salle en sous-sol de l’une des synagogues strasbourgeoises oĂč elle me convie pour sa soirĂ©e, Esther finit d’installer une longue table de rencontres collectives. Certains des participants se sont dĂ©jĂ  rencontrĂ©s dans le hall de leur hĂŽtel voisin, venus de Paris, Amsterdam, Suisse ou Allemagne, selon les cas. D’autres, de la rĂ©gion, pour qui ne craindrait pas d’ĂȘtre vu ou reconnu. Pas simple, pour ses hĂŽtes, d’afficher une recherche amoureuse sous l’Ɠil d’amis, de voisins, de connaissances mĂȘmes lointaines.

GRAND ÉCART

Esther, je l’observe, a mĂ©ticuleusement placĂ© ses convives en fonction des Ă©changes qu’elle a eu en amont avec eux. Une notion de Middot ou de Match, pressentie par une compatibilitĂ© de personnalitĂ©s et d’objectifs de vie : l’ñge et l’attirance, les centres d’intĂ©rĂȘt, le caractĂšre intra ou extraverti de chacun, les histoires familiales, le degrĂ© de religiositĂ©, le niveau d’instruction, Ă©motionnel ou la façon qu’a chacun de voir le monde. Veulent-ils aussi d’une vie commune en France ou en IsraĂ«l, d’une maison ouverte ou fermĂ©e aux invitĂ©s ? Tout ce travail prĂ©liminaire de la Chadkhanite participe au plan de table. Les trois « coachs » invitĂ©es sur deux jours aident Ă  ouvrir davantage

Ă  la connaissance de l’autre, entre deux mets partagĂ©s, sous forme de questions ludiques, jeux de rĂŽle ou de rappels plus solennels quant Ă  ce que peut ou doit ĂȘtre un engagement commun, eu Ă©gard aux enseignements confessionnels. Presque un grand Ă©cart entre le film Brazil et la sĂ©rie Unorthodox.

D’heure en heure, de promenades en soirĂ©es, chacun en apprend un peu plus sur l’autre, confirme parfois les jolis pressentiments d’Esther. Un couple, mĂȘme, tend Ă  se former entre la France et les Pays-Bas. D’autres ont moins de chance, de par une lignĂ©e religieuse plus compliquĂ©e ou de par une histoire maritale non encore religieusement scellĂ©e. Quelques semaines aprĂšs ce week-end, Esther m’apprend qu’un autre couple tendait Ă  se faire. Quatre Ăąmes, quatre sourires aimants sur vingt, peut-ĂȘtre durablement rĂ©unis en quelques jours Ă  peine, par sa jolie entremise, sans compter les amitiĂ©s qui se sont nouĂ©es. Mon rictus ou ma vigilance des dĂ©buts fait aujourd’hui place, je crois, Ă  davantage d’ouverture. Dans son premier roman, Marc Levy, que l’on peut juger selon ses affinitĂ©s littĂ©raires, posait cette question dĂ©clinable au fĂ©minin, aussi : Et si c’était vrai...? En une phrase, presque un petit coup de pouce au destin, aidĂ© par la belle implication d’Esther. S

« D’heure en heure, de promenades en soirĂ©es, chacun en apprend un peu plus sur l’autre, confirme parfois les jolis pressentiments d’Esther. »

S’ENGAGER EST ESSENTIEL.

ClassĂ© parmi les 50 premiers groupes de construction et d’infrastructures en France*, KS groupe a choisi d’accĂ©lĂ©rer sa transformation en devenant sociĂ©tĂ© Ă  mission.

Fort de 11 entreprises intĂ©grĂ©es permettant de proposer des solutions adaptĂ©es de la conception Ă  l’exploitation, le groupe familial indĂ©pendant s’engage pour :

‱ Le bien-ĂȘtre et le dĂ©veloppement de ses 400 collaborateurs

‱ La construction d’une sociĂ©tĂ© plus durable en plaçant les enjeux environnementaux au cƓur de tous ses projets

‱ Faire vivre la solidaritĂ© au sein de ses territoires

*Classement du Moniteur décembre 2023

ksgroupe.fr

CMSI

Entre médecine de ville et urgences hospitaliÚres

DĂ©panner les mĂ©decins traitants et dĂ©sengorger les urgences, c’est la promesse de ce Centre MĂ©dical de Soins ImmĂ©diats nichĂ© au cƓur de l’Espace EuropĂ©en de l’Entreprise. Une prise en charge rapide et sans rendez-vous, avec en prime des salles d’examen façon carte postale gĂ©ante, qui nous font (presque) oublier nos petits bobos.

De gauche à droite :

Noémie Gleizes, Pauline Le Peutrec, Cécile Meyer et Marie Nauny

VoilĂ  des mois que les syndicats tirent la sonnette d’alarme sur le flux tendu des services d’urgences hospitaliers. Et pour cause ! « 80 % ne sont pas des urgences vitales mais des choses aiguĂ«s, comme une fracture ou une plaie, qui nĂ©cessitent une consultation rapide pour s’en soulager. Si vous avez mal au ventre ou de la fiĂšvre, et que votre mĂ©decin traitant ne peut pas vous prendre, vous pouvez aussi venir chez nous », explique CĂ©cile Meyer, infirmiĂšre. UsĂ©e par ses 7 ans de gardes aux urgences de Wissembourg, la jeune philanthrope dĂ©cide de s’associer aux Docteures Marie Nauny et Pauline Le Peutrec ainsi qu’à sa consƓur NoĂ©mie Gleizes. Car c’est lĂ  tout le concept des 27 CMSI de France : mĂ©decins et infirmiers travaillent en binĂŽme. Pour autant, chaque centre a sa spĂ©cificitĂ©. Ici, la radiologie et un certain goĂ»t de l’évasion


VOYAGE VOYAGE

Une fois le local autofinancĂ©, les quatre soignantes Ă©taient unanimes : au diable les murs blancs du milieu hospitalier. Place Ă  la couleur et Ă  la lĂ©gĂšreté ! Avec l’agence ArchitĂ©a, elles imaginent leur

Salomé Dollinger Nicolas RosÚs
« Notre centre doit apporter une rĂ©ponse rapide et concrĂšte. Si on ne l’a pas, on rĂ©oriente vers le mĂ©decin ou on contacte le 15. »
CĂ©cile Meyer, infirmiĂšre coordinatrice

CMSI comme un road trip, en dĂ©diant chaque box de consultation (six au total) Ă  un continent. Chers gĂ©ographes en herbe, rassurez-vous, l’équipe sait compter : cinq continents plus un box reprĂ©sentant l’ocĂ©an, ça fait six ! Dans celui-ci, un papier peint fond marin recouvre un pan de mur entier. De quoi ravir les patients, qu’ils soient petits ou grands : « les enfants adorent compter les poissons ou caresser la tortue. Ce matin, il y avait un couple d’octogĂ©naires. Le monsieur m’a dit “il est beau votre mur, qui plus est avec cette magnifique sirĂšne”, en me montrant sa femme », sourit NoĂ©mie Gleizes. Avec ce dĂ©cor, le syndrome de la blouse blanche semble prendre le large


COLLABORATION HORS LES MURS

InaugurĂ© en mars, le premier CMSI d’Alsace a accueilli plus de 5 400 patients en six mois. Ces derniers sont pris en charge par une secrĂ©taire puis une infirmiĂšre, qui leur prodigue les premiers soins. Et le mĂ©decin prend le relai si besoin. Sutures, perfusions avec traitements intraveineux, nĂ©bulisation d’aĂ©rosols, prĂ©lĂšvements, pĂ©diatrie, prise de sang
 Vous pouvez

aussi faire une radio et repartir avec une attelle ou un plĂątre. Pour vos renouvellements d’ordonnance en revanche, inutile de vous dĂ©placer. « On ne remplacera jamais votre mĂ©decin traitant. Notre centre doit apporter une rĂ©ponse rapide et concrĂšte. Si on ne l’a pas, on rĂ©oriente vers le mĂ©decin ou on contacte le 15, qui nous envoie une ambulance. En attendant, on peut immobiliser le patient, le perfuser, faire la prise de sang
 Comme ça quand il arrive aux urgences, il est dĂ©jĂ  bilantĂ© et prĂ©-techniquĂ© comme en milieu hospitalier », assure CĂ©cile Meyer. Une collaboration qui se fait aussi dans l’autre sens.

7/7 ET TIERS PAYANT

La prise en charge est rapide (moins d’une heure) et remboursĂ©e ; le CMSI est conventionnĂ© secteur 1 sans dĂ©passements d’honoraires et applique le tiers payant. Ouvert du lundi au samedi de 8h Ă  20h et de 10h Ă  19h les dimanches et jours fĂ©riĂ©s, il fonctionne sans rendez-vous. Toutefois, une prĂ©-admission peut ĂȘtre faite en ligne pour amĂ©liorer la prise en charge et rĂ©duire le temps dans la salle d’attente. S

La salle de radiologie du CMSI Strasbourg, 4a rue de La Haye, 67300 Schiltigheim.

Jean-Christophe Pasqua

Les nouveaux chapitres

Ancien journaliste Ă  la rĂ©daction des sports de l’Alsace puis des DerniĂšres Nouvelles d’Alsace,

Jean-Christophe Pasqua a Ă©tĂ© rattrapĂ© par son plaisir d’écrire et raconte dans ses romans des rencontres plus humaines que sportives.

L’Ɠil brillant, le sourire large, JeanChristophe Pasqua est intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer son nouveau quotidien, peuplĂ© d’enfants rĂ©fugiĂ©s. BĂ©nĂ©vole au sein de Contact et Promotion, une association de Hautepierre qui aide Ă  l’intĂ©gration des familles Ă©trangĂšres, le cadet d’une fratrie de quatre leur apprend le français et la vie aussi, celle plus lĂ©gĂšre en Alsace que dans leur pays d’origine. « Il y a parfois des miracles, lĂąche le nĂ©o-professeur humaniste. Cette annĂ©e par exemple, j’ai une Ă©lĂšve russe Ă  cĂŽtĂ© d’une Ukrainienne ». Il s’amuse Ă©galement des tribulations de Mohibullah, jeune Afghan de treize ans qu’il initie au football et Ă  la natation.

« J’AVAIS PLUS DE PLAISIR À ALLER VOIR DES FOOTBALLEURS DANS LES CITÉS QUE

SUIVRE ZIDANE »

Le regard est plus triste, le sourire un peu forcé, lorsque Jean-Christophe Pasqua (61 ans) retrace son ancienne

vie. Pendant prĂšs de trente ans, il a Ă©tĂ© journaliste sportif, Ă  L’Alsace d’abord, puis aux DerniĂšres Nouvelles d’Alsace oĂč sa carriĂšre s’est achevĂ©e brutalement en 2020 lorsqu’un matin, il n’a plus Ă©tĂ© capable de se lever. « J’ai eu six mois difficiles. J’étais arrivĂ© Ă  un point de non-retour pour beaucoup de choses. Je voyais que tout ce que j’aimais disparaissait, rĂ©vĂšle l’ancien reporter, fan du Racing Club de Strasbourg depuis l’ñge de huit ans, avant d’en ĂȘtre le suiveur Ă  titre professionnel de 2000 Ă  2006. J’aimais rencontrer des gens. J’avais plus de plaisir Ă  aller voir des footballeurs dans les citĂ©s que voir Zidane Ă  l’Euro 2000, c’est ce que les gens ne comprenaient pas. Mes meilleurs souvenirs de journaliste, c’est Schirrhein, Haguenau – deux clubs de football amateurs – et c’est Paris-Colmar Ă  la marche ».

C’est d’ailleurs Ă  cette compĂ©tition mythique que « JCP » a consacrĂ© son dernier article dans la presse quotidienne rĂ©gionale. « J’adorais cette Ă©preuve parce que les gens vont Ă  neuf Ă  l’heure au

XXIe siĂšcle dans un monde oĂč tout va vite et oĂč on court dans tous les sens, lĂąche, amusĂ©, l’ancien correspondant de presse pour La Montagne. Quand j’étais en proie Ă  des moments de moins bien, j’étais heureux que mon dernier papier soit un portrait de Roger Quemener, lĂ©gende du Paris-Strasbourg, puis du Paris-Colmar dont il Ă©tait devenu un des organisateurs. Roger est mort un an aprĂšs mon article ».

« AU DÉBUT, J’AVAIS REPOUSSÉ L’IDÉE DE RÉÉCRIRE. ET PUIS FINALEMENT, ÇA ME MANQUAIT TROP. JE RESSENTAIS CE BESOIN D’ÉCRITURE »

Ses yeux s’illuminent Ă  nouveau et son sourire rĂ©apparaĂźt, la passion pour les mots et ce qu’on en fait est revenue animer Jean-Christophe Pasqua. « Au dĂ©but, j’avais repoussĂ© l’idĂ©e de rĂ©Ă©crire. Au final, ça me manquait trop. Je ressentais ce besoin d’écriture, lĂąche l’auteur

« Cette cohabitation, c’est comme dans la sociĂ©tĂ©, il y a des accrochages, des disputes mais avec toujours un lieu oĂč on va se rĂ©concilier, la salle Ă  manger. »

de deux romans, d’un troisiĂšme qu’il doit encore relire et d’un quatriĂšme en cours. Ça faisait longtemps que j’avais cette envie d’écrire des livres, mais je n’osais pas ». Peut-ĂȘtre la consĂ©quence d’une scolaritĂ© compliquĂ©e avec des rĂ©sultats qui fluctuaient au rythme de ceux du Racing. Le dĂ©clic ? « La SPA nous avait confiĂ© un chat, Popeye, trĂšs malade. La vĂ©tĂ©rinaire nous avait dit qu’il n’allait pas tenir, son traitement Ă©tait contraignant. Finalement, il s’est requinquĂ© et a vĂ©cu encore trois ans. Mais quand j’ai vu qu’il allait mourir, je lui ai fait la promesse d’écrire un jour un livre oĂč je parlerai de lui ».

L’homme est de parole. ParallĂšlement Ă  cette promesse, le randonneur cycliste dĂ©couvre le dĂ©cor de son histoire. « Au cours de mes promenades Ă  vĂ©lo, je suis tombĂ© amoureux d’une maison Ă  la Robertsau, rue des Chasseurs. Rouge passĂ©, dĂ©labrĂ©e. Elle Ă©tait habitĂ©e par de vieilles dames. Et il y avait plein d’animaux, qui traĂźnaient. Des poules se promenaient dans la rue, des canards aussi ». Dans CrĂ©puscule d’un tueur (sorti en septembre 2022), Ugo, un ancien des forces spĂ©ciales devenu tueur Ă  gages, loge donc

dans une maison aux colocataires loufoques mais terriblement attachants. « Souvent, les gens qui ont lu le livre me disent que je suis Ugo, mais je me vois plutĂŽt comme Rosie, celle qui est l’ñme de la maison et qui arrive Ă  faire cohabiter plein de gens diffĂ©rents. Cette cohabitation, c’est comme dans la sociĂ©tĂ©, il y a des accrochages, des disputes mais avec toujours un lieu oĂč on va se rĂ©concilier, la salle Ă  manger », estime celui qui aime Ă  partager ses recettes sur les rĂ©seaux sociaux.

Sorti cet Ă©tĂ©, Le Parc des drĂŽles d’oiseaux est une suite des aventures d’Ugo
 sans vraiment en ĂȘtre une. Certains des personnages sont de retour, d’autres font leur apparition, des SDF et des joueurs de pĂ©tanque notamment. « Dans ce parc se croisent plein de gens trĂšs diffĂ©rents
 que j’ai rencontrĂ©s dans le Parc des Oiseaux et dont j’ai voulu parler ». Ancien collĂšgue d’Ugo dĂ©sormais sans domicile fixe, Reno a plantĂ© sa tente Ă  Bischheim, dans le parc en question. Et l’on ne peut s’empĂȘcher de trouver Ă  Jean-Christophe Pasqua un air de ressemblance avec son personnage principal : comme Ugo, il se

promĂšne Ă  vĂ©lo, aime faire la popote pour la petite communautĂ© et regarde le monde Ă©voluer autour de lui. Ce deuxiĂšme volet des aventures de l’ancien militaire se dĂ©roule juste aprĂšs le confinement au cours duquel, armĂ© d’une autorisation mĂ©dicale, le convalescent a dĂ©roulĂ© les kilomĂštres Ă  vĂ©lo, dans le silence de la ville et des routes de campagne.

« J’ai achevĂ© le troisiĂšme roman, il sera un peu plus personnel, il parlera de ce que je vis actuellement. Il y aura toujours la maison, les pĂ©tanqueurs, mais il y aura de nouveaux personnages, rĂ©vĂšle l’auteur. J’en ai commencĂ© un quatriĂšme mais ça fait six mois que je n’y ai pas touchĂ© parce que je suis pris par ce que je partage avec les gamins ». Jean-Christophe Pasqua est dĂ©finitivement un homme de parole. Et de mots aussi, de ceux qui ont la capacitĂ© de panser les maux S

OUVRAGES

CrĂ©puscule d’un tueur, VĂ©rone Ă©ditions

Le Parc des drĂŽles d’oiseaux, VĂ©rone Ă©ditions

Chacal doré

Un grand explorateur en Alsace

Originaire des Balkans, le chacal dorĂ© a pour la premiĂšre fois Ă©tĂ© dĂ©tectĂ© sur le territoire national en 2017. PhotographiĂ© Ă  deux reprises en Alsace en 2023, ce voyageur au long cours est peut-ĂȘtre en passe de s’installer durablement en France.

Quatre mai 2023. Au petit matin, Ă  Oberbronn (Bas-Rhin), l’un des piĂšges photographiques du rĂ©seau Loup/Lynx, qui assure le suivi des deux espĂšces dans les Vosges du Nord, capture l’image d’un canidĂ©. Le clichĂ© fait rapidement le tour des spĂ©cialistes. Il ne s’agit ni d’un loup, ni d’un lynx, mais d’un chacal dorĂ©, une espĂšce installĂ©e depuis 2000 ans dans les Balkans. Quatre mois plus tard, le 14 septembre, c’est Ă  Obersteinbach, Ă  moins de 20 kilomĂštres de lĂ , que l’animal est Ă  nouveau flashĂ©.

UNE DISPERSION

SUR UNE LARGE PART DU TERRITOIRE

Cette double dĂ©tection alsacienne s’ajoute alors Ă  celles qui se succĂšdent

en France depuis 2017. Pour la premiĂšre fois surpris cette annĂ©e-lĂ  en HauteSavoie, le mammifĂšre est ensuite repĂ©rĂ© dans les Deux-SĂšvres, dans les Bouchesdu-RhĂŽne, dans l’Essonne et jusque dans le FinistĂšre. « Les lumiĂšres s’allument un peu partout sur le territoire », rĂ©sume Marie-Laure Schwoerer, chargĂ©e de mission prĂ©dateurs-dĂ©prĂ©dateurs Ă  la direction Grand Est de l’Office national de la biodiversitĂ© (OFB) et animatrice du rĂ©seau Loup/Lynx. « On compte aujourd’hui 56 donnĂ©es vĂ©rifiĂ©es qui tĂ©moignent de sa prĂ©sence en France », poursuit-elle.

Le chacal dorĂ©, qui se diffĂ©rencie du loup par sa plus petite taille et du renard par sa queue plus courte qui n’atteint pas le sol, est un drĂŽle de voyageur. Car non

« On compte aujourd’hui 56 donnĂ©es vĂ©rifiĂ©es qui tĂ©moignent de sa prĂ©sence en France. »

Marie-Laure Schwoerer

« Le plus Ă©trange, peut-ĂȘtre, est qu’il traverse plusieurs territoires capables de l’accueillir sans pourtant qu’il s’y installe. C’est un fait qu’on ne sait pas expliquer aujourd’hui. »

seulement son expansion Ă  partir des Balkans s’étire depuis les annĂ©es 60 vers l’Europe de l’Ouest, mais aussi vers l’Europe du Nord, jusqu’au Danemark et en Estonie. « Il semble qu’il profite Ă  la fois du changement climatique et de l’extinction du loup, dont il est l’une des proies, pour occuper de nouveaux territoires », avance la scientifique. « Il Ă©vite les rĂ©gions enneigĂ©es, qui se rarĂ©fient chaque annĂ©e, et semble privilĂ©gier des zones intermĂ©diaires, de transition, et les zones humides. En France, on s’attend ainsi Ă  le voir arriver sur la façade atlantique et en Camargue ».

UNE REPRODUCTION NON ENCORE AVÉRÉE

Pour l’heure, l’OFB, chargĂ© du suivi de l’espĂšce par le ministĂšre de la Transition Ă©cologique, ne dispose d’aucune preuve de reproduction en France. « La dĂ©tection n’a pour l’instant concernĂ© que des individus solitaires et l’enjeu consiste aujourd’hui Ă  organiser son suivi et la collecte des donnĂ©es pour mettre en Ă©vidence, le moment venu, son Ă©tablissement durable », souligne Marie-Laure Schwoerer. En Allemagne, des cas de reproduction de l’espĂšce ont Ă©tĂ© avĂ©rĂ©s dans le massif de la ForĂȘt-Noire. Peut-ĂȘtre les deux dĂ©tections de l’espĂšce en Alsace dĂ©coulent-elles de sa prĂ©sence dans le Bade-Wurtenberg, mais rien ne permet de confirmer cette hypothĂšse.

L’arrivĂ©e rĂ©cente du carnivore dans l’Hexagone et, plus gĂ©nĂ©ralement, son expansion europĂ©enne soulĂšvent bien

des interrogations. « Le plus Ă©trange, peutĂȘtre, est qu’il traverse plusieurs territoires capables de l’accueillir sans pourtant qu’il s’y installe. C’est un fait qu’on ne sait pas expliquer aujourd’hui », avoue la spĂ©cialiste. « Il a vĂ©ritablement un tempĂ©rament d’explorateur ».

UN CONCURRENT DU RENARD

EspĂšce opportuniste qui sait parfaitement s’adapter Ă  son environnement, le chacal dorĂ© est avant tout un charognard, mĂȘme s’il est Ă©galement trĂšs portĂ© sur les micromammifĂšres. « C’est d’abord un Ă©boueur qui rend Ă  ce titre des services Ă©cosystĂ©miques », confirme MarieLaure Schwoerer. « Peut-ĂȘtre encore plus que le renard avec qui il pourrait entrer en concurrence en termes de rĂ©gime alimentaire et d’habitat ». Les Ă©leveurs alsaciens, prĂ©occupĂ©s pour certains par le loup et le lynx, n’ont a priori rien ou peu Ă  craindre du chacal dorĂ©. « La littĂ©rature ne recense que trĂšs peu de prĂ©dations. Tout juste a-t-on deux donnĂ©es fiables recueillies en 2016 en Estonie, qui concernent des attaques sur des volailles et des agneaux ». Son comportement alimentaire sur le sol français constituera un vrai sujet d’études.

Protégé en Allemagne, en Suisse et en Italie, et régulé notamment en Estonie, Serbie et Bulgarie, le chacal doré ne dispose pas de statut particulier en France. Son arrivée est trop récente pour cela. Mais la réglementation actuelle, qui le classe parmi les espÚces gibiers, ne permet ni de le chasser, ni de le piéger. S

(1) Photo prise par piĂšge photographique en Ă  Oberbronn le 4 mai 2023.

(2) Photo prise par piĂšge photographique en Ă  Obersteinbach 14 septembre 2023.

(3) Marie-Laure Schwoerer dans les locaux de l’Office français de la biodiversitĂ© Ă  Rosheim

(2)
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Au Vaisseau,

Smith Fleurette

Le sac de trek strasbourgeois ultra-fonctionnel

Strasbourgeois, Samuel GĂ©rard est le crĂ©ateur de la marque Smith Fleurette, spĂ©cialisĂ©e dans les sacs de randonnĂ©e. Avec plus de 30 ans d’expĂ©rience en moyenne et haute montagne, il lance en 2022 un sac polyvalent crĂ©Ă© aux Contades, conçu avec des matĂ©riaux de pointes, et Ă©co-responsable.

PPour comprendre le produit, il faut en Ă©tudier l’inventeur. Samuel GĂ©rard a tout du couteau suisse humain. Son objet favori par ailleurs ! « Je ne m’en sĂ©pare jamais », confie-t-il au dĂ©tour de l’entretien. Dans son atelier, vĂ©ritable cƓur de Smith Fleurette, machines Ă  coudre, mousses et sangles cĂŽtoient un lecteur de vinyles. Les Ă©tagĂšres dĂ©bordent de livres, une valise gravĂ©e « Samuel GĂ©rard, photographie d’art » attire le regard, tandis qu’une monture cyclable attend fiĂšrement Ă  l’entrĂ©e. Partout oĂč le regard se pose, un art en rencontre un autre. Dans une vie antĂ©rieure, Samuel GĂ©rard Ă©tait coursier Ă  vĂ©lo. Dans la prĂ©cĂ©dente, il fut photographe. Ce lien intime entre l’art, l’aventure et l’artisanat dĂ©finit l’identitĂ© de Smith Fleurette. Chaque sac – Kerbholz, de leur petit nom – est le rĂ©sultat d’une rĂ©flexion approfondie sur l’usage, l’esthĂ©tique et l’écoresponsabilitĂ©. À la croisĂ©e des chemins entre innovation technique et savoirfaire traditionnel, Samuel GĂ©rard repousse les limites de la conception d’équipement de randonnĂ©e. Ses sacs, longs Ă  tester et

Ă  perfectionner, sont destinĂ©s Ă  ceux qui cherchent un alliĂ© fiable pour leurs expĂ©ditions, tout en restant soucieux de l’environnement. L’objectif est clair : offrir des produits Ă  la fois performants et durables, conçus avec un minimum de compromis sur la qualitĂ©. Dans un marchĂ© saturĂ© par les grandes marques d’équipement outdoor, Smith Fleurette se dĂ©marque.

FAIRE D’UN PROBLÈME UNE INVENTION

« Au cours d’une traversĂ©e des PyrĂ©nĂ©es, sur la HRP (Haute Route PyrĂ©nĂ©enne pour celles et ceux d’entre vous qui ne parlent pas “longue randonnĂ©e”) sur 26 jours avec un sac light, j’ai rencontrĂ© mes premiĂšres grosses limites de matĂ©riel. Mon sac me cisaillait les Ă©paules. Il y a mĂȘme eu de la casse. Plus tard, lors d’une traversĂ©e des Alpes, l’ergonomie limitĂ©e du sac que je portais, son manque de confort et les difficultĂ©s d’accessibilitĂ© Ă  mes affaires sur certains rangements m’ont de nouveau sautĂ© aux yeux », retrace le cinquantenaire passionnĂ© de grand air.

Arrive alors celui qui aura su faire la part belle aux esprits crĂ©atifs : le confinement, pour cause de crise sanitaire mondiale. Samuel en partage son souvenir : « C’était le lendemain de mon anniversaire, et j’ai eu l’impulsion d’aller acheter juste avant du matĂ©riel de couture et une machine. Mon salon s’est alors transformĂ© en atelier ! » Samuel pose le problĂšme sur papier. Ou plutĂŽt un dĂ©but de solution. Il trace le premier croquis de ce qu’il estime ĂȘtre le sac idĂ©al. En dĂ©cembre 2019, une maquette 3D voit le jour. Fruit d’un assemblage de bĂąche Ă  coups d’agrafeuse sur un week-end. Tuto YouTube, apprentissage sur le tas, et quelques multiples tentatives plus tard, fin juin 2020 naissait le premier prototype fonctionnel. TrĂšs « annĂ©es 80 », de bleu, de rouge et de jaune mĂȘlĂ©s qui lui donnent des airs de veste Lafuma, ce patchwork de tissus est entiĂšrement « cousu main ». C’est Ă  partir de ce modĂšle que notre inventeur dĂ©marche des entreprises pour une industrialisation. « MKM, trĂšs connu dans le milieu du matĂ©riel outdoor, a acceptĂ© de se charger de la production. Ce qui

Marine Dumény Nicolas RosÚs

m’a demandĂ© de dĂ©velopper de nouvelles compĂ©tences puisqu’il fallait leur livrer ce qu’on appelle une “gamme de montage” », raconte-t-il. Comprenez par lĂ  un cahier des charges, avec dessins, explications et moult dĂ©tails et indications destinĂ©s Ă  reproduire la confection. Confection qui, par ailleurs, a Ă©tĂ© simplifiĂ©e pour l’occasion par Samuel, pour plus d’aisance.

UN VÉRITABLE TRAVAIL D’INGÉNIERIE

Outre l’histoire de leur naissance, ce qui distingue ces sacs c’est leur confection. Ils sont fabriquĂ©s en Europe (un des ateliers MKM est en France, vers Annecy) Ă  partir de tissus recyclĂ©s. Notamment le tissu principal, choisi en Challenge Ecopak 200 + 400 et Cordura « smooth » 400 deniers, pour les connaisseurs ou les curieux. Il s’agit d’une base de bouteilles plastiques recyclĂ©es. Les sacs offrent de nombreux rangements, sont dĂ©perlants, fournis avec une housse de pluie, et leur conception ergonomique permet un ajustement optimal pour toutes les

situations de randonnée. Premier venu, le sac Kerbholz est apprécié pour sa capacité, ses multiples réglages et sa résistance aux intempéries.

Le coup de gĂ©nie de Samuel ? « Le systĂšme de pivot du sac ». PlacĂ© au niveau des hanches, il s’adapte aux mouvements de celles-ci afin de soulager le dos dont l’équilibre est dĂ©jĂ  trĂšs Ă©tudiĂ© par la suspension des bretelles et du rĂ©glage ventral. EssayĂ© et approuvé !

Produit fait pour durer, le Kerbholz se dĂ©cline en deux tailles : M et L (pour les petit(e)s randonneur(se)s nous avons posĂ© la question et une taille S est en rĂ©flexion !) et vient avec un service aprĂšsvente. « En cas de casse d’un Ă©lĂ©ment, ce qui peut toujours arriver au cours d’une vie de sac, je peux opĂ©rer les rĂ©parations nĂ©cessaires Ă  l’atelier », assure le crĂ©ateur de Smith Fleurette. Encore un avantage pour ce sac strasbourgeois. TestĂ© en conditions rĂ©elles, il avance plĂ©thore de promesse pour les amateurs de grande randonnĂ©e. Et la gamme devrait s’élargir rapidement si le public est au rendez-vous ! S

Site internet : www.Smithfleurette.com

Instagram : @smithfleurette

Le Kerbholz de Smith Fleurette et son concepteur, Samuel Gérard, en test en conditions réelles.

Tout penche, sauf lui MoiJaja


Dindon amĂ©ricain, salade grecque Ă  la française, soupe Ă  la grimace ukrainienne, loukoum salĂ© et canard « dĂ©laqué » : la fin gastronomique de l’annĂ©e 2024 s’annonce aussi bien qu’elle avait dĂ©butĂ©. Heureusement, reste notre « passion sapin » 

Donald versus Minnie. C’est amusant, parfois, comment une Ă©lection, en l’occurence amĂ©ricaine, peut se rĂ©sumer en deux personnages de fiction. Donald, chacun l’aura compris, ce qu’il dit n’a pas grand sens, au moins gĂ©opolitiquement. Le canard est un brin colĂ©rique, il fatigue, il use mais distrait les petits. Minnie, elle, est plutĂŽt jolie, fĂ©minine avec sa petite robe vintage Ă  pois blancs. Sans trop savoir pourquoi, nombreux sont ceux qui auraient eu envie de lui donner pleinement le monde. Mais faute de se sentir suffisamment considĂ©rĂ©s, certains lui ont prĂ©fĂ©rĂ© une forme d’individualisme rageur, de colĂšre et d’incapacitĂ© Ă  s’inscrire sereinement dans une architecture mondiale non ethnocentrĂ©e. « C’est-Ă -dire.. ? », m’a alors interrompu Tato. Bah, que voter pour un mec imprĂ©visible, aux multiples casseroles et prĂȘt Ă  reconquĂ©rir un pays pour son seul avantage judiciaire et financier n’est peutĂȘtre pas forcĂ©ment idĂ©al
 « Hum », m’a t-il sobrement rĂ©pondu, sans chercher Ă  prendre parti. Je le connais bien, mon Tato. Certains silences ont souvent un double

sens ou reflĂštent plutĂŽt sa lassitude Ă  voir le monde se dĂ©faire Ă  mesure qu’il est censĂ© gagner en maturitĂ©.

KONJAC ET WOK DE VERMICELLES

Parfois je me dis que son retour sur les ondes radiophoniques pourrait lui faire prendre un peu de recul. Souci, ce sont les questions politiques et internationales qui continueront d’animer ses analyses. Officiellement, il fera bonne figure, cherchera Ă  trouver le bon mot, celui qui fait sourire, le temps au moins d’une chronique. L’arrivĂ©e de Nord-CorĂ©ens en Ukraine pourrait ĂȘtre un angle prĂ©cieux. AprĂšs quelques TchĂ©tchĂšnes, Syriens, Africains, cet espace de plus en plus mondialisĂ© commencerait presque Ă  faire office de destination pour les plus charmants tour-opĂ©rateurs. Quand l’écrivain martiniquais Édouard Glissant parlait du Tout Monde, je doute qu’il pensait Ă  tant de gĂ©nie crĂ©atif. CĂŽtĂ© mĂ©dias hexagonaux, pas certain non plus que l’on imaginait riz de konjac aux lĂ©gumes et wok

« Quand l’écrivain martiniquais
Édouard Glissant parlait du Tout Monde, je doute qu’il pensait Ă  tant de gĂ©nie crĂ©atif. »

de vermicelles se mĂȘler Ă  une quelconque variante de Bortsch. MaĂŻtĂ© avait un temps dĂ©fendu La Cuisine des Mousquetaires mais il est Ă  croire que ceux-ci ont depuis pris les habits cardinaux. Parfois, Tato aimerait bien dĂ©crocher notre correspondante Maria de son mur de Zaporizhzhia, comme moi, par le passĂ©, de mon passage couvert de Gdansk, lĂ  oĂč nous nous sommes rencontrĂ©s. Je m’efforce de lui dire qu’elle sait ce qu’elle fait, qu’elle saura se protĂ©ger le temps voulu, elle, sa fille et ses parents. Tato s’accroche Ă  cette idĂ©e, mais la fin de l’annĂ©e s’annonce au mieux compliquĂ©e.

L’AMBIANCE FESTIVE DE NOËL

La ligne de front rejoint dĂ©jĂ  le cƓur de la ville. Pas plus tard qu’il y a quelques semaines, les Russes ont lancĂ© des travaux d’embellissement dans la chambre de la mĂšre d’une amie, dĂ©jĂ  rapatriĂ©e de Donetsk. Le concept de terrasse Ă  ciel ouvert devient tendanciel dans de nombreux logements de Zaporizhzhia. La vie

« C’est Tonton François qui va ĂȘtre content, lui qui a enfin trouvĂ© son presqu’idĂ©al professionnel Ă  l’autre bout de l’agglomĂ©ration. »

sous terre, aussi, alors que les tempĂ©ratures prĂ©hivernales renforcĂ©es par la destruction croissante des infrastructures d’électricitĂ© et de chauffage ajoutent Ă  l’ambiance « festive » de NoĂ«l. Comme si cela ne suffisait pas, l’hĂŽte du Kremlin continue Ă  agiter la menace nuclĂ©aire Ă  laquelle sont particuliĂšrement sensibles les Occidentaux. Sur certains plateaux tĂ©lĂ©visĂ©s, on Ă©value dĂ©jĂ  la taille et la puissance de la bombe qui pourrait ĂȘtre utilisĂ©e pour bander ses muscles. Certains vont mĂȘme jusqu’à demander si son impact serait plus pĂ©nĂ©trant en surface qu’en profondeur. C’est Sifredi qui a bien dĂ» se marrer
 L’on s’étonnerait presque que notre GĂ©gĂ© national n’ait pas Ă©tĂ© consultĂ©. En mĂȘme temps, celui qui fut un temps notre gloire cinĂ©matographique nationale n’était vraiment pas en forme ces derniĂšres semaines : la faute Ă  un « quadruple pontage coronarien » et Ă  un « diabĂšte amplifiĂ© par le stress (de son) procĂšs », finalement reportĂ©. L’on pourrait aussi citer la Chine qui multiplie les tours de piste maritime autour de TaĂŻwan. La GĂ©orgie, au bord de l’implosion nationale ou plutĂŽt limitrophe. IsraĂ«l, qui a choisi les coups aux lamentations, n’en dĂ©plaise Ă  ses populations civiles voisines.

SUR UN MALENTENDU, ÇA PEUT MARCHER

Heureusement que le 24 décembre arrive et que la France est en bonne santé. De notre Président jupitérien à notre maire, le

mot d’ordre paraĂźt inchangé : profitez des bienfaits que nous vous offrons. Par lassitude, ça clĂŽt au moins le dialogue national ou local et donne la parole Ă  quelques esprits considĂ©rĂ©s comme chagrins, des extrĂȘmes de gauche ou de droite au centre droit. À ce rythme, au moins Ă  Strasbourg, Pierre Jakubowicz pourrait avoir ses chances aux prochaines municipales mĂȘme si personne n’ose vraiment y croire. Dommage que Michel Blanc et son « sur un malentendu, ça peut marcher » ne soit plus de ce monde pour vivre la scĂšne. Le nom de son nouveau mouvement « Strasbourg, on y croit » a, de ce point de vue, quelques accents de mĂ©thode CouĂ©, mĂȘme si l’homme garde l’image de celui qui travaille ses dossiers, Ă  commencer par celui d’un Tram Nord dont nul ne comprend plus vraiment en quoi il va simplifier et Ă©gayer la vie des habitants. Nombre d’entre eux ont dĂ©jĂ  lĂąchĂ© l’affaire au regard des futurs tracĂ©s, a priori pour certains en sens unique jusqu’à Schiltigheim ou Bischheim, pendant que l’autoroute va, semble-t-il, se « rĂ©trĂ©cir ». C’est Tonton François qui va ĂȘtre content, lui qui a enfin trouvĂ© son presqu’idĂ©al professionnel Ă  l’autre bout de l’agglomĂ©ration. Bonne nouvelle, nĂ©anmoins, aprĂšs plusieurs annĂ©es d’investigation facebookienne, Denis Tricard, chef de la cellule enquĂȘte aux DerniĂšres Nouvelles d’Alsace Ă©tait formel dans son post du 28 octobre : cette annĂ©e, notre nouveau sapin, place KlĂ©ber, « ne penche pas ». C’est dĂ©jĂ  ça. S

MARI IN BORDERLAND L’intemporalitĂ© d’une Ăąme

Ne pas perdre notre libertĂ©, nos vies, celles de nos proches, de nos familles. Avons-nous seulement d’autres options que de lutter, autant que nous le pouvons. J’entends parfois ce message de certains qui nous enjoignent Ă  tout dĂ©laisser, de venir ou revenir Ă  l’Ouest quand il ne s’agit pas de nous oublier. Objectivement, parfois, je les comprends.

Maria Pototskaya DR
Un peu partout ici, l’Ukraine compte ses ñmes.
« Chaque jour ou presque, depuis le dĂ©but de l’automne, tombent dĂ©sormais les bombes russes sur ma ville de Zaporizhzhia, sise Ă  deux pas, dĂ©jĂ , de la Centrale nuclĂ©aire occupĂ©e d’Enerhodar.
À moins de 30 km, aussi, de la ligne de front ».

Au dĂ©but de l’automne, le Wall Street Journal citait une « estimation confidentielle » qui Ă©valuait Ă  « 80 000 morts et 400 000 blessĂ©s » le bilan de ces deux derniĂšres annĂ©es et demie de guerre, cĂŽtĂ© ukrainien ; « et une autre Ă©valuation, moins prĂ©cise, cĂŽtĂ© russe, qui fait Ă©tat de quelque 200 000 morts et 400 000 blessĂ©s ». « Plus d’un million de victimes, mortes ou blessĂ©es, c’est plus que tout autre conflit sur terre actuellement, et ça aura des consĂ©quences dĂ©mographiques et psychologiques durables sur les deux pays », relevait rĂ©cemment Radio France.

CHAMBRE EN ACCÈS

PANORAMIQUE

Nombreux sont Ă©galement ceux qui ont fui ou se sont dĂ©placĂ©s au sein du pays. PrĂšs de 5 millions parmi ceux qui ont refusĂ© de se tourner vers la Russie. Majoritairement des femmes et des enfants. Des hommes aussi, mais pour les plus privilĂ©giĂ©s, tout le monde n’est pas oligarque. Tout le monde n’a pas non plus envie de laisser derriĂšre soi celles et ceux qui leur ont donnĂ© vie et qui se refusent Ă  partir. Tout le monde n’a pas les moyens de les dĂ©raciner ou l’absence de cƓur ou d’irraison de les laisser entre des dĂ©combres

annoncĂ©s – ou dĂ©jĂ  bien rĂ©els – comme ceux transformĂ©s en accĂšs panoramique tel un film en Super 8 tournĂ© depuis la chambre de la mĂšre d’une amie. Tout le monde, non plus, ne se rĂ©sout Ă  ĂŽter tout espoir Ă  notre pays.

Chaque jour ou presque, depuis le dĂ©but de l’automne, tombent dĂ©sormais les bombes russes sur ma ville de Zaporizhzhia, sise Ă  deux pas, dĂ©jĂ , de la Centrale nuclĂ©aire occupĂ©e d’Enerhodar. À moins de 30 km, aussi, de la ligne de front. Depuis fin octobre, quatre bataillons de nord-CorĂ©ens se sont en outre amassĂ©s non loin de la frontiĂšre ukrainienne, du cĂŽtĂ© de Koursk. L’Iran continue, lui, Ă  livrer, tout comme, d’une certaine maniĂšre, la Chine, avec ses composants Ă©lectroniques : certes plus malicieusement que d’autres, mais quand mĂȘme


L’ALSACE DE MON AUTRE MOI

De maniĂšre ordinaire, j’essaie de traiter la chose avec humour – un trait d’éducation ukrainienne. Je dois avouer que nous sommes assez bons dans ce domaine. Le cĂŽtĂ© culinaire avec, pour qui en a dĂ©jĂ  goĂ»tĂ© les saveurs. Mon ami s’en amuse parfois en se demandant ce qui a fait

qu’entre la France et l’Ukraine, une sorte de gap spatio-gustatif semble s’ĂȘtre installĂ© Ă  longueur de siĂšcles. Au moins pour l’Europe centrale. À se demander si la carte gĂ©opolitique du monde n’aurait pas mieux fait de se construire en cuisine mĂȘme si, Ă  l’heure actuelle, une telle perspective ne ferait sans doute qu’ajouter aux divisions interĂ©tatiques.

La lĂ©gĂšreté : tous deux en avons besoin, mĂȘme en ce moment, Ă  3 000 km de distance. Presqu’un gage de survie face Ă  l’irraison de ce monde qu’aucun Ukrainien ni dĂ©mocrate n’a appelĂ© de ses vƓux – un point important qu’il importe de ne pas oublier, n’en dĂ©plaise au Kremlin qui ne semble rĂȘver que d’une hĂ©gĂ©monie de son plus haut reprĂ©sentant. Le coĂ»t humain lui est secondaire. C’est un fait et peut-ĂȘtre ce qui nous diffĂ©rencie le plus : nous tenons aux nĂŽtres, cherchons Ă  les Ă©pargner du mieux que nous le pouvons et honorons les autres, comme autour de cet arbre de mĂ©tal forgĂ© par les ouvriers de Metinvest. Pourquoi ? Pour ne pas oublier que l’Ukraine a l’intemporalitĂ© d’une Ăąme dont la voix, musicale et cosaque, n’entend pas, tout comme en son temps l’Alsace de mon autre moi, cĂ©der sous le bruit de bottes d’un homme du passĂ©. S

Splendeur et misùre de l’empathie

Sans doute est-ce là faire preuve de mauvais esprit. Car que pourrait-on arguer contre l’empathie ?

Notre Ă©phĂ©mĂšre Premier Ministre, Gabriel Attal, avait de bonnes idĂ©es. Il avait notamment prescrit de dispenser dans 1000 Ă©coles, pour la rentrĂ©e 2024, des cours d’empathie afin de lutter contre le harcĂšlement scolaire. Moi je trouve ça trĂšs bien. Je ne peux pourtant m’empĂȘcher de ressentir la mĂȘme impression que celle que me procura la coĂŻncidence de la JournĂ©e de la gentillesse et des attentats Ă  Paris, le 13 novembre 2015.

C’est beau l’empathie, c’est noble, c’est gĂ©nĂ©reux, cette facultĂ© Ă  comprendre et Ă©prouver les Ă©motions d’autrui afin de rĂ©duire la distance qui nous sĂ©pare de nos semblables. Comme la bienveillance, on ne peut qu’adhĂ©rer et mĂȘme s’émouvoir de ces Ă©lans de belle Ăąme qui Ɠuvrent pour l’amour de son prochain et la paix entre les peuples. D’autant que, avouons-le, il y a du boulot ces temps-ci.

Le mot est rĂ©cent puisqu’il apparaĂźt Ă  la fin du XIXe siĂšcle, dĂ©but du XXe en anglais (empathy), terme traduit de l’allemand EinfĂŒhlung, et qui Ă©tait une notion ressortissant de l’esthĂ©tique : l’émotion que nous procure la contemplation d’une Ɠuvre d’art. DĂ©sormais on peut se mettre Ă  la place de l’autre pour savoir ce qu’il ressent et s’éviter les jugements Ă  l’emporte-piĂšce.

Soit. Auparavant on parlait de compassion mais les deux notions doivent ĂȘtre distinguĂ©es puisque celle-ci implique le dĂ©sir d’aider celui qui souffre. Elle est donc davantage tournĂ©e vers l’action. Ce qui veut dire que l’on peut compatir sans empathie ou bien qu’on peut empathir(1) sans rien faire pour autrui.

Ce qui est un tout petit peu problĂ©matique. Je peux par exemple avoir une belle tranche d’empathie pour un clochard, comprendre sa situation, et lui dire qu’il aurait mieux valu pour lui qu’il travaille mieux Ă  l’école. Ce qui dĂ©montre l’existence du connard empathique. Il est toujours bon de relire les moralistes. La Rochefoucauld (2) Ă©crit au sujet de la compassion (mais que ne penserait-il pas de notre moderne empathie) qu’elle « n’engage Ă  rien, d’oĂč sa frĂ©quence ». Mais pour La BruyĂšre : « Les gens dĂ©jĂ  chargĂ©s de

leur propre misĂšre sont ceux qui entrent davantage par la compassion dans celle d’autrui ».(3)

Autrement dit, rester le cul posĂ© au chaud et s’apitoyer sur les malheureux du journal tĂ©lĂ©, c’est facile. Rien ne dit d’ailleurs que l’un des malheureux, disons syrien, qui a vu sa maison dĂ©truite par un bombardement, n’est pas un ancien tortionnaire de Bachar El Assad ? Comment savoir ? Et le sachant, Ă©prouvera-t-on toujours autant d’empathie. M’est avis qu’elle aura singuliĂšrement ramolli. Que faire d’une empathie demi-molle ? Mais dĂ©jĂ  le reportage suivant arrive et nous vante la qualitĂ© des andouillettes de Vire. On sait pourtant Ă  quel point nos journa listes(4) raffolent des Ă©panchements lar moyants et des Ă©pouvantements sordides de faits divers : du temps de cerveau faci lement gagnĂ©. Ceci dit, le cerveau est-il concerné ? S’émouvoir, cela vient du cƓur, voire des tripes. Et comme il est bon et rassurant de se dire qu’on ne vit pas tout cela. LucrĂšce ne disait pas autre chose : Suave mari magno
(5)

C’EST LE RAPPORT RAISON/ÉMOTION

QUI SE REJOUE ICI

De lĂ  Ă  dire que l’empathie est une occu pation d’hypocrites il n’y a qu’un pas que je ne saurais franchir sous peine de paraĂźtre plus mauvais encore que je ne le suis. C’est le rapport raison/Ă©motion qui se rejoue ici. La tradition a longtemps posĂ© sur les Ă©motions un regard suspicieux, comme pour les stoĂŻciens par exemple, pour lesquels elles nous Ă©garent, le bonheur ne provenant que de la vertu. Les Ă©motions ce sont des passions, nous les subissons alors que la raison est l’exercice d’une volontĂ© libre. Les choses sont-elles cepen dant aussi tranchĂ©es ? Pour Rousseau, mĂȘme si on ne peut Ă  proprement parler d’émotions mais plutĂŽt de sentiments et d’affections, elles jouent un rĂŽle dans la constitution de la morale. On trouve cette idĂ©e dĂšs le second Discours : il y a « deux principes antĂ©rieurs Ă  la raison, dont l’un nous intĂ©resse ardemment Ă  notre bien-ĂȘtre et Ă  la conservation de nousmĂȘmes, et l’autre nous inspire une rĂ©pugnance naturelle Ă  voir pĂ©rir ou souffrir tout ĂȘtre sensible et particuliĂšrement nos semblables »(6). Le premier est l’amour de soi, le second la pitiĂ©. Les frontiĂšres sont assez mouvantes entre pitiĂ©, compassion et empathie mais ce qui importe ici c’est le

jeu entre Ă©motion et rĂ©flexion. Car s’il est question de se mettre Ă  la place d’autrui dans une dĂ©marche empathique, il faut au prĂ©alable le comprendre. L’empathie se doit donc de revĂȘtir deux aspects, affective certes, mais Ă©galement cognitive. On Ă©prouve tout d’abord ce que ressent l’autre, on saisit ensuite que l’autre vit d’autres expĂ©riences que les miennes.

L’EMPATHIE EST AISÉMENT MANIPULABLE

Du moins en thĂ©orie. Car, homme des LumiĂšres, Rousseau pose l’existence d’une nature humaine universelle, valable en tout temps et en tout lieu. À y regarder de plus prĂšs, il apparaĂźt cependant que l’empathie obĂ©it Ă  des modes de fonctionnements particuliers. Tout d’abord, comme le souligne Serge Tisseron(7), cognitive ou affective, l’empathie est aisĂ©ment manipulable. Et il semble bien, comme nous l’avons Ă©voquĂ©, qu’on ne s’en prive pas. Ensuite, Ă  supposer qu’elle soit universellement rĂ©partie, on constate d’étranges disparitĂ©s. On ne me contredira pas si j’avance que, parmi nos semblables, certains le sont davantage que d’autres. On distingue parmi les voyageurs : les expatriĂ©s oui, les migrants non. Les rĂ©fugiĂ©s ukrainiens oui, les rĂ©fugiĂ©s maliens moins. Doivent sans doute entrer en ligne de compte des considĂ©rations gĂ©opolitiques qui m’échappent. Il n’en demeure pas moins qu’on a l’impression d’une empathie sĂ©lective.

« On Ă©prouve tout d’abord ce que ressent l’autre, on saisit ensuite que l’autre vit d’autres expĂ©riences que les miennes »

Hasard du calendrier Ă©ditorial, vient de paraĂźtre un livre de Samah Karaki, neuroscientifique, justement consacrĂ© Ă  l’empathie(8). Les neurosciences peuvent nous apporter beaucoup si elles ne se rĂ©duisent pas Ă  nous expliquer que telle ou telle zone du cerveau est activĂ©e Ă  telle ou telle occasion, ce qui l’apparente Ă  une phĂ©nologie moderne ; ou bien que la plasticitĂ© du cerveau rend toutes les adaptations possibles.

En l’occurrence, l’autrice fait preuve d’un dĂ©licieux sens critique. En pointant par exemple le fait que l’empathie peut facilement dĂ©boucher sur une bonne conscience et devenir un outil de dĂ©veloppement personnel. ÉnoncĂ© auquel je ne peux que souscrire. Plus encore, S. Karaki entend dĂ©montrer que l’empathie Ă  gĂ©omĂ©trie variable est une construction politique : « L’empathie est instrumentalisĂ©e par les

« L’empathie

est instrumentalisée par les cadrages politiques, culturels et médiatiques, et est traversée par les dynamiques de domination que ceux-ci imposent.

»

cadrages politiques, culturels et mĂ©diatiques, et est traversĂ©e par les dynamiques de domination que ceux-ci imposent ». Ce n’est pas moi qui le dis.

UNE CONTRE-EMPATHIE VIS-À-VIS DES

AUTRES GROUPES

Notons au passage que des phĂ©nomĂšnes d’empathie ont Ă©tĂ© constatĂ©s chez des rongeurs et des primates, ce qui relativise notre primautĂ© dans la CrĂ©ation, s’il en Ă©tait encore besoin. Et les capacitĂ©s Ă  l’empathie apparaissent trĂšs jeunes chez les enfants. Si elle est cognitive et affective, l’empathie doit permettre Ă©galement de porter Ă  l’altruisme, y compris hors du groupe naturel ou social primaire, c’est-Ă dire de se comporter moralement. Mais tout cela a un coĂ»t, un coĂ»t cognitif, car Ă©tant Ă©galement des ĂȘtres de nature, nous avons acquis un certain nombre de rĂ©flexes parmi lesquels la capacitĂ© Ă  classer les autres en amis ou ennemis puis Ă  dĂ©velopper des stĂ©rĂ©otypes qui sont un moyen de simplifier la rĂ©alitĂ©. On constate alors que l’effet de groupe est double. D’une part notre empathie s’exerce Ă  l’intĂ©rieur du groupe mais d’autre part se met en place une contre-empathie vis-Ă -vis des autres groupes (famille, village, nation
).

Et cette contre-empathie, selon les Ă©tudes de psychologie sociale conduit mĂȘme Ă  Ă©prouver du plaisir face Ă  la douleur des membres des autres groupes. Ceux-ci Ă©tant, bien entendu, moins propres ou moins Ă©voluĂ©s ou moins civilisĂ©s et aurons bien moins d’excuses au contraire de nos plus proches auxquels

on accordera bien des circonstances attĂ©nuantes. Mieux encore, l’empathie au sein du groupe mĂšne Ă  une forme de supĂ©rioritĂ© morale, une image de soi valorisante dont le patriotisme tire bien des bĂ©nĂ©fices.

Nous voilĂ  bien loin de nos prĂ©occupations quotidiennes me direz-vous et il n’en demeure pas moins qu’il vaut mieux plus d’empathie que pas assez dans ce monde cruel et incertain. Que vous ĂȘtes optimistes. Car dans ce rĂ©gime de sollicitation permanente qui est le nĂŽtre, sollicitations visuelles, auditives, olfactives, attentionnelles, que se produit-il pour l’empathie ? Elle s’use. Chez les soignants par exemple, il n’est pas rare qu’au burn-out s’ajoute une usure empathique. Quant Ă  nous, français moyens, les images de famines nous paraissent se ressembler toutes. Ainsi que le rĂ©sume si bien S. Karaki : « L’autre devient une marchandise affective consommĂ©e avec un appĂ©tit de la diffĂ©rence figĂ©e, et une mĂ©connaissance de la subjectivitĂ© et de la singularitĂ© de l’autre : de sa vraie diffĂ©rence ». Comme l’aurait dit un grand philosophe, l’important ce n’est pas l’identitĂ©, ni la diffĂ©rence, mais l’identitĂ© de l’identitĂ© et de la diffĂ©rence. L’identitĂ© conduit au renfermement, la diffĂ©rence Ă  l’exclusion. Accepter ce qui, irrĂ©mĂ©diablement, nous est commun au-delĂ  ou en deçà des diffĂ©rences, lĂ  est peut-ĂȘtre le chemin. PlutĂŽt que de prĂŽner les bons sentiments de pacotille, essayons de mieux connaĂźtre, quand bien mĂȘme cela est inconfortable. Certes « Science sans conscience n’est que ruine de l’ñme ». Mais Ă©motion sans raison est un piĂšge Ă  cons. S

(1) Le mot n’existe pas, sauf ici.

(2) Dans ses Maximes, qui sont toutes Ă  lire (3) Les caractĂšres, mĂȘme remarque que pour La Rochefoucauld

(4) Pas tous, mais la tendance est lourde (5) « Il est doux, quand la vaste mer est soulevĂ©e par les vents, d’assister du rivage Ă  la dĂ©tresse d’autrui ; non qu’on trouve si grand plaisir Ă  regarder souffrir ; mais on se plaĂźt Ă  voir quels maux vous Ă©pargnent ». LucrĂšce, De la nature des choses (6) Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inĂ©galitĂ© entre les hommes (7) Serge Tisseron, Empathie et manipulations, les piĂšges de la compassion, Albin Michel, 2017 (8) Samah Karaki, L’empathie est politique, LattĂšs, 2024. Une autrice Ă  suivre assurĂ©ment

Samah Karaki

MUSIQUE

KING CRIMSON Red

Il y a cinquante ans, le 6 octobre 1974, le groupe britannique de rock progressif King Crimson sortait Red, son 7e et dernier album sous sa forme historique. Quelques semaines auparavant, son fondateur et guitariste Robert Fripp en avait annoncé la dissolution.

C’est la fin d’une Ăšre, l’achĂšvement d’un cycle, l’aboutissement d’une aventure initiĂ©e en 1969 avec l’album In The Court of The Crimson King et son titre phare 21st Century Schizoid Man, aussi torturĂ© que la peinture de Barry Godber qui en illustre la pochette.

Lorsque Robert Fripp, en pleine crise existentielle, annonce la fin du groupe le 25 septembre 1974, soit deux semaines avant la sortie dans les bacs de Red, on imagine la tension qui a entourĂ© l’enregistrement de ce 7e et dernier album du Roi Pourpre. La noirceur de la pochette, au-devant de laquelle les visages de Robert Fripp, John Wetton et Bill Bruford sont Ă  demiĂ©clairĂ©s, tĂ©moigne sans doute de cette mort annoncĂ©e. Au dos, et comme un symbole, apparaĂźt un VU-mĂštre dont la 7e graduation signale l’entrĂ©e dans le rouge. Son aiguille a dĂ©jĂ  franchi cette limite. On sent que ça va pĂ©ter fort, que malgrĂ© les tĂ©nĂšbres dans lesquels le groupe semble s’ĂȘtre enfoncĂ©, ça va saigner.

Les 6 minutes de Red ouvrent cet ultime opus sur une atmosphĂšre lourde et inquiĂ©tante, portĂ©e par les accords sauvages de Fripp et les coups de boutoir de Bruford Ă  la batterie. La douceur des premiĂšres notes de Fallen Angel qui suit cette entrĂ©e fracassante sont aussi rĂ©confortantes que mensongĂšres, car bien vite, le refrain presque plaintif de John Wetton vient Ă  nouveau noircir l’ambiance au milieu de riffs de guitare presque dĂ©sespĂ©rĂ©s. On souffle ici le chaud et le froid, dans un assemblage

aussi subtil que magnifique. One More Red Nightmare prolonge le « cauchemar » du titre d’ouverture, avec son caractĂšre toujours aussi pesant, mĂȘme si ses sonoritĂ©s jazzy et ses trouvailles musicales parviennent Ă  l’assouplir.

L’instrumental et expĂ©rimental Providence est presque insoutenable. David Cross y torture son violon sur plus de huit minutes. On souffrirait presque avec lui. Et puis, soudain, comme une rĂ©compense au calvaire que l’on vient tout juste de subir, Starless nous transporte dans un autre monde, lĂ  oĂč la beautĂ© se mĂȘle au dĂ©sespoir, la nostalgie Ă  la tristesse, la dĂ©solation au sublime. La partie instrumentale de ce chef-d’Ɠuvre de 12 minutes est semblable Ă  une vague, une vague qui gonfle, se soulĂšve et se dresse, avant d’abattre sa toute-puissance sur un final paroxystique, dans un souffle Ă©tourdissant qui balaye tout ce que l’on a dĂ©jĂ  entendu. C’est une claque et une montĂ©e d’adrĂ©naline Ă  chaque Ă©coute. On en sort toujours groggy, assommĂ© par cette avalanche sonore qui remplit tout l’espace.

On raconte que Red a inspirĂ© Kurt Cobain pour l’écriture de In utero, le 3e album studio de Nirvana. On dit aussi qu’il est le dernier disque que le chanteur ait Ă©coutĂ© avant de se donner la mort le 5 avril 1994. On l’aurait en effet retrouvĂ© dans son lecteur CD, Ă  Seattle, aprĂšs la dĂ©couverte de son corps.

Mais sans doute cette anecdote appartient-elle à la légende. a

LA SOUFFRANCE DANS LA COUR DE RÉCRÉ ET SUR LES RÉSEAUX

ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE

Obligatoire depuis la rentrĂ©e 2023 dans tous les Ă©tablissements du premier et second degrĂ©, le programme pHARe est un vaste plan de lutte contre le harcĂšlement scolaire qui fait plus d’une victime par classe en France. De l’intimidation au harcĂšlement, comment venir Ă  bout d’un flĂ©au certes pas nouveau, mais amplifiĂ© par les rĂ©seaux sociaux ?

Une simple moquerie qui touche en plein cƓur, une brimade, une exclusion d’un groupe WhatsApp, d’une bande de copains ou de copines, peuvent entraĂźner une souffrance parfois indicible pour nos enfants et adolescents. Un flĂ©au rĂ©parti dans toutes les couches de populations sociales ou gĂ©ographiques. « Or l’isolement est la source la plus forte de morbiditĂ© prĂ©coce, alerte JeanMichel Perez, universitaire et directeur de PĂŽle scientifique Connaissance, Langage, Communication, SociĂ©tĂ©s (CLCS) Ă  Nancy, qui a notamment rĂ©alisĂ© une thĂšse sur les microviolences verticales dans l’institution scolaire*. Les enfants ne sont que l’expression des adultes. Il existe des harceleurs qui sont aussi des victimes. Ceux qui ont le pouvoir, sont ceux qui parlent le plus fort. Il faut que la peur change de camp. La chaleur humaine ne nĂ©cessite pas d’argent

mais d’ĂȘtre protĂ©gĂ©e par l’institution pour que ce type de rapports domine. »

À titre d’exemple, dans un collĂšge de l’AcadĂ©mie de Strasbourg, une cinquantaine d’élĂšves a dĂ©cidĂ© de devenir Ambassadeur contre le harcĂšlement scolaire, comme cela est proposĂ© par le plan pHARe. « Depuis, la directrice constate un vrai climat d’apaisement dans l’établissement », rapporte Morgane Martin, responsable acadĂ©mique de la lutte contre le harcĂšlement scolaire. Preuve qu’inverser le rapport de forces peut porter ses fruits. Si le programme pHARe n’est pas LA solution, il a le mĂ©rite d’en ĂȘtre une pour lutter contre le harcĂšlement scolaire. InitiĂ© en 2021 et gĂ©nĂ©ralisĂ© l’an dernier, il s’appuie sur la « mĂ©thode de prĂ©occupation partagĂ©e » (MPP) dĂ©veloppĂ©e par le psychologue suĂ©dois Anatol Pikas reposant sur la responsabilitĂ© collective et les effets de groupe. Non-blĂąmant, ce protocole prĂ©voit de rencontrer auteur(s), tĂ©moin(s) et victime(s) dans l’objectif de responsabiliser les Ă©lĂšves et de favoriser un changement progressif des comportements grĂące Ă  une prise de conscience collective et Ă  l’engagement volontaire des Ă©lĂšves Ă  contribuer au bien-ĂȘtre de leur camarade harcelĂ©. « Cela nous a permis de rĂ©soudre 87 % des faits d’intimidation dans l’AcadĂ©mie de Strasbourg, preuve que le travail avec les Ă©lĂšves, qui restent des enfants, porte ses fruits, souligne Morgane Martin. Je crois en l’éducabilitĂ© des jeunes. »

OBJECTIF : DÉTECTER

En cas de non-rĂ©solution, l’équipe ressource et la direction des Ă©tablissements passent au protocole blĂąmant, Ă  la sanction donc, pouvant aller de deux heures de colle, Ă  l’exclusion, voire au pĂ©nal, le harcĂšlement scolaire Ă©tant qualifiĂ© de dĂ©lit depuis 2022. « Ce qui est intĂ©ressant, c’est que le cadre posĂ© est celui de la loi, rap-

« Un adolescent cyberharcelĂ© va voir la persĂ©cution partout : on parle d’insĂ©curitĂ© relationnelle, et on insiste lĂ -dessus avec nos Ă©lĂšves. Ils n’ont plus le temps d’ĂȘtre eux-mĂȘmes. L’enjeu pĂ©dagogique est Ă©norme. »

pelle Vincent Affholder, co-coordinateur du programme pHARe au Gymnase Jean Sturm avec Marie Abiven. Les enfants connaissent les risques, et l’exclusion est un vrai enjeu, car elle remet en cause la stratĂ©gie familiale. » D’autant que selon la thĂ©rapeute spĂ©cialiste du sujet, Emmanuelle Piquet, « la jeune gĂ©nĂ©ration est une gĂ©nĂ©ration qui prend soin de ses parents et met tout en Ɠuvre pour Ă©viter de les faire souffrir », alertait-elle lors d’une confĂ©rence au Gymnase Jean Sturm. Au point de commettre parfois l’irrĂ©parable, par peur de blesser. Et c’est lĂ  tout l’enjeu de pHARe : dĂ©tecter les signaux faibles pour pouvoir agir avant que la situation ne s’aggrave et inviter les victimes ou les tĂ©moins Ă  parler. « Le harcĂšlement n’est pas la seule forme de violence, il est important de montrer qu’il existe d’autres niveaux, insistent Vincent Affholder et Marie Abdiven. Les tensions chez les filles et les garçons sont exacerbĂ©es par les rĂ©seaux sociaux. Avant les ados en crise avaient des repĂšres, un temps prĂ©sent. Aujourd’hui, le prĂ©sent est rĂ©duit, car il n’y a plus de sĂ©curitĂ© Ă  cause des rĂ©seaux. Avec l’explosion de l’espace social, tout se mĂ©lange, la politique, la libertĂ©, le genre, les religions... Être un jeune aujourd’hui est terrifiant : vous ĂȘtes en crise, mais vous ne savez pas oĂč aller. C’est dĂ©stabilisant. Un adolescent cyberharcelĂ© va voir la persĂ©cution partout : on parle d’insĂ©curitĂ© relationnelle, et on insiste lĂ -dessus avec nos Ă©lĂšves. Ils n’ont plus le temps d’ĂȘtre eux-mĂȘmes. L’enjeu pĂ©dagogique est Ă©norme. »

Et chacun a un rĂŽle Ă  jouer, de l’agent d’entretien au chef d’établissement en passant par les enseignants, les personnes-ressources, les Ă©lĂšves, ambassadeurs ou non, et les parents. « Chaque Ă©tablissement doit avoir une Ă©quipe pHARe intercatĂ©gorielle de cinq personnes minimum. Le programme donne une rĂ©ponse en termes de dĂ©tection, de prĂ©vention et de prise en charge qui implique l’ensemble de la communautĂ© qui doit ĂȘtre

*lisec-recherche.eu/membre/ perez-jean-michel

Barbara Romero Nicolas RosĂšs
Vincent Affholder et Marie Abdiven

protectrice, appuie Morgane Martin. D’ici Ă  la fin 2026, l’ensemble des personnels devra ĂȘtre formĂ©. »

En parallĂšle, les Ă©lĂšves du CP Ă  la Terminale sont sensibilisĂ©s sur leur temps de cours aux compĂ©tences psychosociales, « comme sur le harcĂšlement, l’empathie, la collaboration, l’esprit de groupe, comment se mettre Ă  la place de... quand tu ne pensais pas que..., ajoute AurĂ©lie Haberer, responsable dĂ©partementale du harcĂšlement scolaire. La sanction peut aussi ĂȘtre Ă©ducative et passer par une mesure de rĂ©paration en fonction de la gravitĂ©. Nous essayons d’aider les Ă©lĂšves Ă  sortir de ce rĂŽle de harceleur. Parfois aussi les tĂ©moins passifs sont actifs, car ils n’agissent pas par peur de subir quelque chose qu’ils ne veulent pas vivre. Nous sommes lĂ  aussi pour expliquer tout cela. »

LE HARCÈLEMENT

Emmanuelle Piquet milite de son cĂŽtĂ© pour accompagner l’élĂšve harcelĂ© Ă  trouver toutes les ressources qu’il cache en lui. « L’institution rĂ©pond « ne t’inquiĂšte pas, je m’occupe de tout », comme si l’enfant harcelĂ© n’avait pas les compĂ©tences de s’en sortir. Or les adultes sont lĂ  pour lui rĂ©apprendre Ă  avoir confiance en lui et Ă  trouver la rĂ©partie. » Pas si facile nĂ©anmoins...

La plus grande difficultĂ© pour la communautĂ© Ă©ducative – et les parents – c’est que le harcĂšlement ne s’arrĂȘte plus Ă  la porte de l’école. « Parfois nous dĂ©couvrons certains Ă©lĂšves que nous n’attendons pas au quotidien qui expriment derriĂšre leurs Ă©crans une frustration, une souffrance, car eux-mĂȘmes sont blessĂ©s et considĂšrent les rĂ©seaux comme un refuge, tĂ©moigne Cyrille Weyland, directeur-adjoint, responsable du collĂšge Lucie Berger. Depuis le dĂ©part nous nous sommes engagĂ©s dans le programme pHARe, car si nous Ă©voluons certes dans un cadre privilĂ©giĂ©, cela n’empĂȘche pas certains comportements si nous ne donnons pas les bons repĂšres. Les formes de harcĂšlement Ă©voluent, il n’existe plus de frontiĂšres. Le plus difficile reste de repĂ©rer trĂšs tĂŽt les formes de violence plus insidieuses que les bagarres dans une cour. »

À l’image de la mise Ă  l’écart, la plus difficile Ă  gĂ©rer selon Emmanuelle Piquet : « Depuis deux ans, 40 % de nos consultations concernent des mises Ă  l’écart, des enfants Ă  qui personne ne parlent. C’est une souffrance similaire au harcĂšlement explicite. Mais ici on ne peut pas sanctionner, car on ne peut forcer des gamines Ă  ĂȘtre copines, on ne peut dĂ©cider Ă  leur place. Je leur recommande de crĂ©er un cordon de sĂ©curitĂ© avec une liste d’enfants qu’il ou elle considĂšre comme a priori inoffensifs. »

La question de l’isolement toujours, qui revient comme un poison dans le cƓur de prĂšs d’un million d’élĂšves en France sur les trois derniĂšres annĂ©es. Et l’institution ne peut pas tout, les parents, aussi, ont leur rĂŽle Ă  jouer.

UN NUMÉRO : LE 3018

Comment rĂ©agir si l’on soupçonne son enfant ou un autre d’ĂȘtre harcelé ? Appeler le 3018, un numĂ©ro gratuit et anonyme dĂ©diĂ© au harcĂšlement scolaire (une application existe aussi pour chater), avec au bout du fil des psychologues, des juristes, des spĂ©cialistes du numĂ©rique. « Nous recommandons aux parents de prendre des captures d’écran, de bloquer les harceleurs et de nous contacter. Nous nous chargeons ensuite de toutes les Ă©tapes : informer l’Éducation nationale, l’établissement qui enclenche le protocole pHARe et la police nationale si nĂ©cessaire », tĂ©moignait Justine Atlan, directrice de l’association e-enfance-3018 sur France 2 aprĂšs le documentaire poignant et percutant Lindsay, la mĂ©canique du harcĂšlement, rĂ©alisĂ© par FĂ©lix Seger. En lien avec les rĂ©seaux sociaux, Instagram, TikTok et compagnie, l’association a aussi le pouvoir de faire bloquer des comptes et supprimer des Posts et images. Si la France a mis trop de temps Ă  comprendre que les violences frontales ou sourdes chez les jeunes n’étaient pas que des gamineries, la gravitĂ© du phĂ©nomĂšne fait aujourd’hui consensus. En Australie, le gouvernement vient de dĂ©cider de promulguer une loi pour interdire les rĂ©seaux sociaux aux moins de 16 ans. Une nouvelle piste de rĂ©flexion pour la France ? a

3018

Un numéro à retenir : le 3018, numéro gratuit de signalement des cas de harcÚlement ou cyberharcÚlement pour les jeunes.

www.education.gouv.fr/non-auharcelement/phare-un-programme-delutte-contre-le-harcelement-l-ecole-32343

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ON SE MET AU DRY JANUARY LOCAL ?

LancĂ© en France il y a cinq ans, le Dry January, ou « Janvier sans alcool », a Ă©tĂ© suivi par 5,1 millions de Français en 2024*. Un Ă©piphĂ©nomĂšne ? Il suit au contraire une tendance mondiale Ă  la dĂ©consommation d’alcool et Ă  l’essor du marchĂ© des softs peu sucrĂ©s et boissons dĂ©salcoolisĂ©es. Strasbourg n’échappe pas Ă  ce phĂ©nomĂšne grandissant avec la crĂ©ation de marques sans alcool rĂ©unies sous le collectif Mieux boire et tout rĂ©cemment l’ouverture de la boutique Le Cactus de BarnabĂ© dĂ©diĂ©e Ă  ce marchĂ©.

*Sondage rĂ©alisĂ© du 8 au 17 janvier 2024 par Panel Selvitys auprĂšs d’un Ă©chantillon reprĂ©sentatif de 5 000 rĂ©pondants en France mĂ©tropolitaine.

Le collectif Mieux Boire, avec notamment Chloé et Arnaud Henry de la marque Hyca (en bleu).

Du Kombucha, des eaux aromatisĂ©es aux plantes, des limonades peu sucrĂ©es, des tonics bio et naturels, une Ginger beer nouvelle gĂ©nĂ©ration... Les boissons artisanales sans alcool, peu ou pas sucrĂ©es, se dĂ©veloppent Ă  Strasbourg. RegroupĂ©es sous le collectif Mieux boire, Bio Brasseurs, Hyca et Drims rĂ©inventent les apĂ©ros et les dĂźners avec des softs tout sauf ennuyants. Des alternatives aux sodas trop sucrĂ©s, aux boissons alcoolisĂ©es, qui pourraient enchanter un Dry January en mode circuit court ! « Au-delĂ  du Dry January, on a tous des moments oĂč l’on veut diminuer ou arrĂȘter notre consommation d’alcool ou de sucre pour diverses raisons », rappelle ChloĂ© Henry, co-fondatrice d’Hyca. Quand elle est enceinte pour la premiĂšre fois, ChloĂ© ressent le besoin d’inventer quelque chose : « C’est long neuf mois plus l’allaitement, et je n’avais le choix qu’entre la pauvretĂ© de la proposition des boissons dĂ©salcoolisĂ©es ou des choses trĂšs sucrĂ©es. J’avais envie de quelque chose qui casse les codes de la boisson, ne pas jouer sur la balance sucre/aciditĂ© comme partout. »

DES SOFTS POUR ADULTE, ARTISANAUX,

En 2020, avec son conjoint Arnaud, ils lancent Hyca, des eaux aromatisĂ©es aux distillats de plantes. « Je suis herboriste et lui distillateur. Nous avons souhaitĂ© mettre non pas le cĂŽtĂ© thĂ©rapeutique, mais l’aspect gustatif des plantes dans nos boissons. » TrĂšs vite, l’idĂ©e sĂ©duit les plus grandes tables Ă©toilĂ©es. « Ils ont trouvĂ© nos eaux pertinentes et qualitatives, cette offre manquait dans leur restaurant pour une clientĂšle qui ne boit pas d’alcool et doit se contenter d’eaux pĂ©tillantes pour le cĂŽtĂ© plus fun ! »

Cavistes, hĂŽtels et magasins bio suivent. Leur croissance est Ă  deux chiffres chaque annĂ©e. « Mais la rentabilitĂ© est toute petite avec le sans alcool, les marges sont moins importantes. C’est pourquoi nous avons montĂ© le collectif Mieux Boire pour travailler en synergie avec Bio Brasseurs, qui gĂšre l’embouteillage de nos produits, et Drims. » « PlutĂŽt que de travailler chacun de notre cĂŽtĂ©, on essaye de mutualiser nos compĂ©tences, en optant pour des livraisons communes par exemple puisque l’on a souvent les mĂȘmes clients, tout en parlant de nos diffĂ©rents produits sachant que nos offres sont diffĂ©rentes », rebondit Elodie KantĂ©, co-crĂ©atrice avec son Ă©poux CĂ©dric des

Tonic Water Drims. « On n’avait pas mesurĂ© l’ampleur de la tĂąche ni tous les procĂ©dĂ©s industriels que cela implique, raconte-t-elle. C’était laborieux, mais aujourd’hui, c’est une belle rĂ©ussite, avec sept produits diffĂ©rents que nous proposons. »

PassionnĂ©e de cuisine, Élodie a Ă©laborĂ© toutes les recettes, avec un cahier des charges bien prĂ©cis, rĂ©alisĂ©es dans un laboratoire nancĂ©en. « J’adore les plantes, les herbes, comme le gĂ©ranium rosat qui me fait penser Ă  cette association de framboise et litchi. Notre gingembre et nos fruits sont pressĂ©s, tout est naturel et certifiĂ© bio. »

Les deux marques strasbourgeoises sont embouteillĂ©es chez Bio Brasseurs, qui a investi dans une unitĂ© de production passĂ©e de 300 m2 en 2016 Ă  1 500 m2 aujourd’hui. « Les boissons sans alcool ou bonnes pour la santĂ© se dĂ©veloppent car notre façon de consommer a changĂ© avec l’aspect lĂ©gislatif et rĂ©glementaire – on ne prend plus la route aujourd’hui comme avant aprĂšs avoir bu de l’alcool – ou les codes en entreprise », appuie Olivier Courot, co-fondateur avec FrĂ©dĂ©rique Fischer de Bio Brasseurs. PrĂ©curseur, Bio Brasseurs a lancĂ© trois gammes de Kombucha, du thĂ© fermentĂ© biologique et artisanal, d’abord pour les GMS, puis pour les magasins bios et spĂ©cialisĂ©s et le marchĂ© corĂ©en, et tout rĂ©cemment Hopfield, un breuvage Ă  base de houblon et de thĂ© vert, une autre vision de la Ginger beer.

LE CACTUS DE BARNABÉ, LE NOUVEAU

TEMPLE DU NO LOW

« Aujourd’hui, nous crĂ©ons du soft de dĂ©gustation, les gens recherchent des boissons de caractĂšre, de plaisir, que l’on dĂ©guste dans des endroits de convivialitĂ© comme les clubs de sport ou les Bains municipaux,t ou quand on veut rĂ©duire ou arrĂȘter sa consommation d’alcool », ajoute Olivier Courot.

De nouveaux soft « haute-couture » qui ont tellement sĂ©duit Yasmina Khouaidjia qu’elle a ouvert sa boutique dĂ©diĂ©e aux boissons sans alcool et dĂ©salcoolisĂ©es, Le Cactus de BarnabĂ©, place Saint-Étienne. Les sublimes bouteilles de champagne French Bloom ont accompagnĂ© ses dĂźners lors de son Dry January. Tout comme les bulles Ribo de La Cave de RibeauvillĂ©, un pĂ©tillant Ă  moins de

« Aujourd’hui nous crĂ©ons du soft de dĂ©gustation, les gens recherchent des boissons de caractĂšre, de plaisir. »
Olivier Courot, Bio Brasseurs

0,5 degrĂ© d’alcool ou le Tempera de Mauro Colagreco, une boisson d’orfĂšvres qu’il a imaginĂ©e avec des Ă©pices, du vinaigre de cidre, de la betterave et du cranberry. « Quand tu goĂ»tes, tu te dis que tu ne connais rien de tel, les goĂ»ts sont complexes, il faut un palais curieux, dĂ©taille-t-elle. Quand on commence le Dry, on recherche un cĂŽtĂ© astringent, Ă©picĂ©, piquant, pas de sucre. Je me suis prĂ©cipitĂ©e sur les boissons au gingembre, avant de faire mon Ă©tude de marchĂ© et de dĂ©couvrir qu’il existait toute une gamme de nouveautĂ©s comme alternative aux boissons sucrĂ©es ou alcoolisĂ©es. »

Au point que son « Janvier sans alcool » se poursuit toujours ! « J’ai perdu six kilos, mes cheveux, mon teint, sont diffĂ©rents, j’ai une meilleure qualitĂ© de sommeil et mon anxiĂ©tĂ© a diminuĂ©. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose Ă  faire Ă  Strasbourg car les gens sont nombreux Ă  ne pas vouloir ou pouvoir boire de l’alcool ou du sucre, tout en ayant envie de se faire plaisir. »

AprĂšs Paris, Nantes, Bordeaux, Le Cactus de BarnabĂ© est la premiĂšre boutique dĂ©diĂ©e au 100 % plaisir sans alcool dans le Grand Est. Un cocon poudrĂ© et raffinĂ© au charme scandinave, oĂč le terme « surprenant » revient en boucle quand on sirote cet amaretto sans alcool, ce French Cancan avec une touche de violette, ou ce fameux vin dĂ©salcoolisĂ© Ribo, assemblage de muscat et sylvaner, droit et sec, le premier du genre en Alsace. « Nous sommes passĂ©s de 13 000 bouteilles en 2021 Ă  plus de 30 000 pour la cuvĂ©e 2025, souligne CĂ©lia Langlois, responsable

communication de la coopĂ©rative crĂ©Ă©e en 1895. Les gens s’amusent et sont assez surpris en le goĂ»tant, mĂȘme si Ă©videmment, cela ne plaĂźt pas Ă  tout le monde. Nous le vendons principalement au caveau et aux États-Unis, trĂšs demandeur de vins dĂ©salcoolisĂ©s. »

« Dubitatifs au dĂ©part, nos amis nous demandent maintenant “Alors, tu vas nous faire goĂ»ter quoi aujourd’hui, sourit Yasmina. À la maison, il y a toujours du sans alcool et de l’alcool, et on se rend compte que la convivialitĂ© perdure, avec ou sans.” Alors, partant pour un Dry local ? S

AprĂšs Kwit, l’application pour accompagner l’arrĂȘt du tabac, le Strasbourgeois Geoffrey Kretz a conçu Sobero, une sorte de carnet de bord pour aider Ă  arrĂȘter ou Ă  rĂ©duire sa consommation d’alcool grĂące Ă  un suivi quotidien de sa conso, des idĂ©es d’activitĂ©s, un traceur d’humeur et un groupe de soutien pour mieux identifier notre rapport Ă  l’alcool.

LE CACTUS DE BARNABÉ 10, place Saint-Étienne, Strasbourg lecactusdebarnabe.com

Hyca.fr

Biobrasseurs.fr

Hedon-distribution.com

Vins-ribeauville.com

Ci-dessous, Yasmina Khouaidjia a créé Le Cactus de Barnabé, entiÚrement dédié aux boissons sans alcool ou désalcoolisées.

SOBERO, L’APPLI POUR SUIVRE SA CONSO

OR NORME INVITE

CHRISTOPHE ANDRÉ

Le 27 septembre dernier les membres du Club des Partenaires ont pu Ă©changer avec le cĂ©lĂšbre psychiatre/psychothĂ©rapeute au bar cachĂ© de l’AEDAEN.

OR NORME À PARIS

Le 4 novembre direction Paris avec dĂ©jeuner au Train Bleu, visite du MusĂ©e des Arts Forains et soirĂ©e Ă  la Maison de l’Alsace autour de la thĂ©matique de la transmission d’entreprise avec Édouard Sauer, dirigeant de KS Groupe.

É V ÉNEMENTO R EMRON

OR NORME À LA HALLE MARCHÉ GARE

Le 21 novembre, dernier Ă©vĂ©nement de l’annĂ©e pour le Club des Partenaires avec un diner orchestrĂ© par Thierry Schwartz, le chef Ă©toilĂ© d’Obernai.

Alban Hefti

SPECTACLES

FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC.

Chaque trimestre, la rĂ©daction de Or Norme a lu, Ă©coutĂ©, visionnĂ© l’essentiel de ce qu’on lui fait parvenir. Cette sĂ©lection fait la part belle Ă  ses coups de cƓur...

Jean-Luc

1KLIVRES

Crise de soi Thierry Jobard

ort du succĂšs de ses deux prĂ©cĂ©dents essais, Contre le dĂ©veloppement personnel et Je crois donc je suis, tous deux publiĂ©s aux Ă©ditions Rue de l’Échiquier, l’auteur strasbourgeois Thierry Jobard s’attaque Ă  un sujet devenu trĂšs transversal ces derniers temps : la double injonction sociĂ©tale Ă  ĂȘtre autonome et Ă  ĂȘtre authentique. Dans ce petit essai au texte ramassĂ© et prĂ©cis comme un scalpel, il attire l’attention sur la force et la rapiditĂ© avec lesquelles « le rapport de l’individu Ă  la sociĂ©tĂ© s’est inversĂ© depuis quelques dĂ©cennies au point de faire naĂźtre l’illusion d’une autonomie de celui-ci par rapport Ă  celle-ci. »

FIl dĂ©cline trois exemples tout Ă  fait emblĂ©matiques qui illustrent bien son propos : le succĂšs du dĂ©veloppement personnel, les Ă©volutions du management et l’usage des rĂ©seaux sociaux. « Quoi de commun Ă  tout cela ? Une

mĂȘme torsion, une mĂȘme dĂ©sinformation des choses et du rapport au rĂ©el. Plus encore, dans chacun de ces domaines, un mĂȘme schĂ©ma est Ă  l’Ɠuvre : l’affichage d’une connaissance de soi, d’une affirmation, d’une libĂ©ration » qu’il affirme trompeuses et relevant « d’une idĂ©ologie d’autant plus efficace qu’elle se pare des atouts de la vertu. Chaque Ă©poque produit ses tartuffes et que peut-on opposer Ă  la bienveillance ? » se demande-t-il, en affirmant lĂ  encore : C’est Ă  un dĂ©tournement de notre intimitĂ© que nous assistons, une mise aux normes fourbe et flatteuse  »

Cette Crise de soi est un essai essentiel et passionnant. a

Crise de soi,Thierry Jobard,Éditions10/18,6 €

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Charles Juliet

en son parcours avec Rodolphe Barry

e grand poĂšte Charles Juliet s’est Ă©teint cet Ă©tĂ©, et le retrouver dans ce livre d’entretiens, menĂ©s sur une semaine avec Rodolphe Barry, est trĂšs Ă©mouvant. Cette nouvelle Ă©dition est enrichie de nouvelles interrogations oĂč l’on retrouve ce qui habitait si intensĂ©ment ce poĂšte du simple qui Ă©tait passĂ© par bien des tourments.

LL’enfance du poĂšte en devenir est difficile suite Ă  l’abandon par sa mĂšre mais aussi heureuse par la bienveillance de sa maman adoptive. L’école militaire lui sera une torture. L’annĂ©e de l’éveil en tĂ©moigne, puis Lambeaux. Le grand Ɠuvre toutefois c’est son Journal, oĂč on le suit, dans une atmosphĂšre trĂšs sombre voire dĂ©sespĂ©rĂ©e puis de plus en plus lumineuse et mĂȘme spirituelle. La question de l’existence de Dieu lui importe assez peu mais une autre le hante : « Comment se comporte-t-on avec autrui ? ». On retrouve le parcours long et profond, axĂ© sur le Connais-toi toi-mĂȘme. La naissance de l’écriture fut douloureuse : « L’écriture s’est prĂ©sentĂ©e Ă  moi comme un absolu. Il fallait nous lui sacrifier. 
 il m’a fallu une bonne vingtaine d’annĂ©es pour arriver Ă  naĂźtre Ă  moimĂȘme, pour avoir une vision claire de ce que j’écrivais » mais aussi salvatrice. Ces entretiens menĂ©s avec dĂ©licatesse par un fin connaisseur et ami nous donnent une leçon de vie, un exemple de modestie et d’obstination, et de nombreuses citations rythment ce petit livre formidable. a

DFeuillets complices

Daniel Payot

aniel Payot, enseignant en philosophie de l’art, qui fut Ă©galement adjoint Ă  la culture de la Ville de Strasbourg regroupe plusieurs textes qu’il a, au fil du temps et depuis une trentaine d’annĂ©es, rĂ©digĂ©s pour quatorze artistes, Ă  l’occasion d’expositions, de catalogues ou d’autres manifestations. Le fil directeur de l’ensemble est suggĂ©rĂ© par le titre : il s’agit pour l’auteur de poursuivre la rĂ©flexion qu’il avait engagĂ©e avec la rĂ©daction de son livre Retours d’échos, publiĂ© en 2021 par L’Atelier contemporain.

La thĂ©matique, diversement traitĂ©e, concerne les rapports qui se tissent entre pratiques artistiques et pratiques d’écriture. Si les secondes ne peuvent en aucun cas prĂ©tendre Ă©noncer la « vĂ©rité » des premiĂšres, de quelles approches, de quels prĂ©supposĂ©s tĂ©moignent-elles ?

Le regroupement de textes rĂ©digĂ©s en des circonstances diffĂ©rentes et Ă  des moments rĂ©partis sur un temps relativement long apparaĂźt comme une occasion de manifester par l’écriture les Ă©volutions, continuitĂ©s et discontinuitĂ©s, fidĂ©litĂ©s et reformulations des Ɠuvres des artistes concernĂ©s : DĂ©sirĂ© Amani, Patrick Bailly-MaĂźtre-Grand, Marie-Odile Biry-FĂ©nique, Jean Claus, Étienne-Martin, ValĂ©rie Favre, Ilana Isehayek, Philippe Lepeut, Ann Loubert, Pascal Poirot, Laurent Reynes, Germain Roesz, Daniel Schlier, Sylvie Villaume. Comme toujours, cet ouvrage de la collection Essais sur l’art fait l’objet d’une Ă©dition particuliĂšrement soignĂ©e. a

HAmerican Horror Stories

John Carpenter 1K LIVRES

alloween, 1978. À moins de trente ans, John Carpenter invente le croque-mitaine le plus glaçant de tous les temps. Ce carton planĂ©taire le propulse immĂ©diatement dans la cour des grands. S’ensuit une pelletĂ©e de chefsd’Ɠuvre, tout genre confondu : biopic musical du King Presley (Le Roman d’Elvis), dystopie sur une AmĂ©rique fascisĂ©e (New York 1997), horreur paranoĂŻaque en Antarctique (The Thing), comĂ©die de kung-fu Ă  San Francisco (Jack Burton), western de suceurs de sang (Vampires).

Si le public l’a parfois boudĂ©, son empreinte sur le cinĂ©ma est indĂ©lĂ©bile. RĂ©alisateur, scĂ©nariste, compositeur, Carpenter sait tout faire, avec une radicalitĂ© et une indĂ©pendance d’esprit qui lui porteront prĂ©judice autant qu’elles lui vaudront le respect, voire la dĂ©votion. L’universitaire strasbourgeoise Nathalie Bittinger publie ce retour impressionnant sur la carriĂšre du pirate Ă  la tignasse blanche, qui a pulvĂ©risĂ© les artifices du rĂȘve amĂ©ricain.

C’est dĂ©sormais Ă  chaque fin d’annĂ©e que cette maĂźtre de confĂ©rences en cinĂ©ma Ă  l’UniversitĂ© de Strasbourg est publiĂ©e. Ses prĂ©cĂ©dents ouvrages consacrĂ©s Ă  Wong Kar-waĂŻ, aux TrĂ©sors de l’animation japonaise et l’an passĂ©, Ă  Il Ă©tait une fois l’AmĂ©rique Ă  l’écran ont rencontrĂ© un franc succĂšs et il en sera trĂšs certainement de mĂȘme pour cet allĂ©chant John Carpenter – American Horror Stories a

2K FILM

Les Violons du Bal version restaurée

oute une famille qui fait honneur au cinĂ©ma français est sur l’affiche de ce film : Michel Drach, le rĂ©alisateur, son Ă©pouse, la si talentueuse Marie-JosĂ© Nat (avec qui il tourna un chef-d’Ɠuvre, Élise ou la vraie vie) et leur fils, David, qui joue le rĂŽle du petit garçon dans ce film singulier, rĂ©compensĂ© par le prix d’interprĂ©tation fĂ©minine reçu par Marie-JosĂ© Nat au Festival de Cannes en 1973.

TMichel Drach y raconte toutes les difficultĂ©s qu’il a rencontrĂ©es pour monter un film sur son enfance durant l’occupation. Les producteurs contactĂ©s pensaient que le sujet risquait de rebuter le grand public. Mais Drach n’était pas du genre Ă  se dĂ©courager. ParallĂšlement Ă  ses dĂ©marches, il se souvient de sa jeunesse. Paris, 1940. Juifs, Michel et sa famille sont contraints de fuir la capitale tombĂ©e aux mains des Allemands


David Drach, le petit garçon du film (qui jouait donc le rĂŽle de son pĂšre, enfant) sera Ă  Strasbourg le mardi 28 janvier prochain Ă  19h45 au cinĂ©ma Vox pour prĂ©senter le film Ă  l’issue duquel on pourra dĂ©battre sur les thĂ©matiques soulevĂ©es (la tragĂ©die de la Shoah mais aussi l’histoire tragique des peuples que les guerres meurtrissent si horriblement) sans oublier les difficultĂ©s rencontrĂ©es pour la diffusion des tĂ©moignages (la restauration puis la diffusion des Violons du Bal ne fut pas une mince affaire). David Drach tenait tout spĂ©cialement Ă  cette diffusion Ă  Strasbourg puisque ses aĂŻeux, cĂŽtĂ© paternel, y vĂ©curent durant des gĂ©nĂ©rations
 a

par Claudia Siegwald

Directrice de la communication des Hopitaux Universitaires de Strasbourg et auteure de À la rencontre de l’homo medicus

DR

À LA RENCONTRE DE L’HOMO MEDICUS, UN LIVRE QUI DONNE ACCÈS À L’HUMANITÉ

HOSPITALIÈRE

Ce livre Ă©ditĂ© par la NuĂ©e Bleue, dont les droits sont reversĂ©s Ă  la Fondation de l’UniversitĂ© et des HĂŽpitaux Universitaires de Strasbourg, est admirablement illustrĂ© par Adrien Weber, diplĂŽmĂ© de la Haute Ă©cole des arts du Rhin (HEAR).

ai Ă©tĂ© plongĂ©e dans l’univers hospitalier en juin 2020. Une pĂ©riode inĂ©dite, juste aprĂšs le premier confinement. Ce n’était que la premiĂšre vague. Nous ne savions pas encore que quatre autres allaient se succĂ©der, charriant avec elles prĂšs de 7 000 patients aux HĂŽpitaux Universitaires de Strasbourg


L’heure Ă©tait au premier bilan. Les applaudissements aux balcons avaient cessĂ©. Les cellules de crise s’étiolaient, la fatigue s’était installĂ©e. J’ai dĂ©couvert un univers austĂšre, Ă©puisĂ©. Visages masquĂ©s, comportements codifiĂ©s, ambiance fĂ©brile. Le protocole donnait la parole Ă  des titres, des fonctions : Professeurs, Docteurs, Directeurs. Jamais de prĂ©nom. Je ne viens pas du milieu du soin. Je connais la gestion de crises environnementales et sanitaires ; leurs dĂ©bordements, stigmates et doutes semĂ©s dans l’opinion.

PremiĂšre tentative de retour d’expĂ©rience avec un professeur lors d’un tĂȘteĂ -tĂȘte, ce « colloque singulier » familier Ă  tout mĂ©decin. Un moment de confiance mutuelle, inconditionnelle, qui plonge dans une rĂ©alitĂ© sans filtre, ni apparat. Une rĂ©alitĂ© dure et belle Ă  la fois. Je n’étais pas patiente Ă  ce moment-lĂ . Je voulais juste comprendre comment on pouvait vivre aprĂšs ça


Pour ce professeur blasĂ©, COVID n’avait d’exceptionnel que le flux de patients Ă  traiter qui pointait la dĂ©faillance

d’un systĂšme de soin dans sa globalitĂ©. Rien Ă  rajouter. L’entretien semblait clos. C’est lorsque j’ai rangĂ© mon carnet, mon crayon, qu’il s’est rassis pour me raconter son histoire de vie, indissociable de l’hĂŽpital, qui lui tenait lieu de famille, de maison, de mission.

Je venais de dĂ©couvrir mon primo Homo Medicus. L’humain enfoui au plus profond de ce mĂ©decin. Il s’était enfermĂ© dans un chĂąteau de plomb pour fuir la vie en sociĂ©tĂ©, se protĂ©ger de ses propres vulnĂ©rabilitĂ©s. De loin, un animal Ă  sang-froid. De prĂšs, sans doute l’un des mĂ©decins les plus humains que j’aie pu croiser.

C’est ce qui m’a donnĂ© envie d’écrire ce livre. J’ai voulu en savoir davantage. ÉcoutĂ© d’autres rĂ©cits pour dĂ©couvrir les coulisses de cet environnement idĂ©alisĂ© ou honni, Ă  l’aune de nos histoires de vie, de maladie, de vieillesse, de mort. J’ai Ă©coutĂ© des parcours d’une grande intensitĂ©, du professeur au jardinier. Tous avaient besoin de s’exprimer. Ils l’ont fait avec humilitĂ©, humour, authenticitĂ©. Les premiĂšres rencontres se sont faites au grĂ© du hasard, de quelques mots Ă©changĂ©s. Progressivement la confiance s’est installĂ©e, les rĂ©cits se sont succĂ©dĂ©s. Le plus dur a Ă©tĂ© d’arrĂȘter ; l’hĂŽpital est un monde de rĂ©cits Ă  l’infini.

individuelles, sous la forme d’un JE universel. Mises bout Ă  bout, elles constituent l’état d’esprit d’une institution qui va bien au-delĂ  du soin.

Nos hospitaliers ne sont pas des appelés. Ils ne sont ni bons ni mauvais. Ni résignés ni révoltés. Ni sorciers ni magiciens. Ni divins ni mandarins. Ils sont juste humains


C’est cette humanitĂ© que j’ai tentĂ©e de dĂ©crire au travers de cinq valeurs hospitaliĂšres fondamentales : l’humilitĂ©, l’intuition, la compassion, le geste, l’universalitĂ©. a

La restitution de plus de 150 heures d’entretiens offre une cueillette inĂ©dite de tĂ©moignages, d’histoires Claudia Siegwald

№55

DÉCEMBRE 2024

Couverture

Photographie de Jérémy GonçalvÚs

Portraits de l'Ă©quipe

Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com Abysses

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