Abysses l Or Norme #55

Page 1


LE MAGAZINE

D’UN AUTRE REGARD SUR STRASBOURG

c GRAND ENTRETIEN

Lamya Essemlali

« Paul Watson est tombé dans un guet-apens… »

Page 6

b DOSSIER

Expos TGV

Paris étincelle de mille feux et pour longtemps encore... Page 16

№55 DÉCEMBRE 2024 ABYSSES

S PORTFOLIO

Jérémy Gonçalves

Sous l’horizon Page 64

Abysses

E SOCIÉTÉ

Harcèlement scolaire un enjeu de santé publique Page 112

ABYSSES

« Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même. Et quant à celui qui scrute le fond de l’abysse, l’abysse le scrute à son tour. »

Par-delà le Bien et le Mal Friedrich Nietzsche, philosophe (1844-1900)

es abysses sont des fonds océaniques si profonds que la lumière n’y parvient pas ; l’origine du mot est le grec abussos qui signifie « sans fond ».

LDans l’Antiquité, les Grecs, qui avaient moins la connaissance scientifique des fonds marins que nous la possédons aujourd’hui, avaient donc l’intuition de profondeurs insondables, ce qui signifie aussi qu’elles sont difficiles ou impossibles à mesurer, à expliquer.

Vous l’aurez compris, si nous avons choisi ce titre pour le numéro 55 d’Or Norme c’est bien sûr pour illustrer la magnifique couverture de Jérémy Gonçalves (à qui nous consacrons également un très beau portfolio en page 64), mais également pour rendre hommage au combat pour la sauvegarde des baleines de Paul Watson et de Sea Shepherd dont sa présidente France, Lamya Essemlali nous dit tout dans le grand entretien quelle nous a accordé (page 6). Mais pas que...

En effet, les abysses nous renvoient aussi à cette atmosphère si délétère que tout un chacun peut percevoir de la situation actuelle du monde, mais pareillement de notre environnement proche, en France, et à Strasbourg même, qui n’a aucune raison de faire exception au climat ambiant.

Ainsi va le monde et c’est pourquoi il faut lire la chronique de Maria Pototskaya (page 106) qui nous rappelle, comme à chaque numéro depuis des mois, que son Ukraine « a l’intemporalité d’une âme dont la voix (...) n’entend pas, tout comme en son temps l’Alsace (...) céder sous le bruit de bottes d’un homme du passé. »

Et lire aussi l’article de Barbara Romero sur le harcèlement scolaire, et la souffrance dans les cours de récré et sur les réseaux, dont l’explosion chez les plus jeunes crée un espace social où « tout se mélange, la politique, la liberté, le genre, les religions... Être un jeune aujourd’hui est terrifiant... »

Alors bien sûr, à la veille des fêtes de fin d’année, il nous reste l’art et la culture pour, non seulement espérer un monde plus beau (quel beau dossier expos TGV à partir de la page 16, par Jean-Luc Fournier), mais surtout pour nous inciter à ne pas accepter, à ne jamais accepter, la fatalité d’une situation, en prenant conscience que chacun d’entre nous a le pouvoir de changer la sienne, et qu’à plusieurs nous pouvons la changer pour le monde qui nous entoure.

Comme la baleine qui remonte des abysses, il nous appartient de retrouver le chemin vers la lumière.

Les illuminations et l’Esprit de Noël nous guideront peut-être, et c’est avec la conviction que tout peut changer que toute l’équipe d’Or Norme vous remercie pour votre fidélité (qui nous permettra l’an prochain de fêter nos 15 ans d’existence !), et vous souhaite de très belles fêtes de fin d’année.

b Grand entretien

Lamya Essemlali, Sea Shepherd

06-15

« S’il venait à être extradé, on ne le reverrait pas vivant. »

S Actualités

86 Marry me, Esther Incursion en pays Chadkhanite

90 CMSI Entre médecine de ville et urgences

92 Jean-Christophe Pasqua

Roman sportif

96 Le chacal doré

Grand explorateur en Alsace

100 Outdoor Smith Fleurette

102 Moi, Jaja... Tout penche, sauf lui

106 Mari in Wonderland

L’intemporalité d’une âme

108 Le parti-pris de Thierry Jobard Splendeur et misère de l’empathie

a Portfolio

64 Jérémy Gonçalves Sous l’horizon

DÉCEMBRE 2024

a Dossier Expos TGV

16-51

18 Musée d’Orsay Caillebotte, peindre les hommes

24 Bourse de Commerce Arte povera : ni un style, ni une école

30 Musée du Jeu de Paume Tina Barney

34 Fondation Louis Vuitton Tom Wesselmann (↑)

38 Musée Marmottan Monet Le trompe-l’œil

42 Fondation Beyeler Matisse

48 Espace Apollonia František Zvardon

E Société

114 Harcèlement scolaire

Un enjeu de santé publique

118 Dry January En local

122 Les événements Or Norme

a Culture

52 Illustrations Enfantimages ( )

56 MAMCS

mode d’emploi, suivre les instructions de l’artiste

60 Diffuse Pour l’amour du ciel

74 Le jour où

Albert Kahn a archivé le monde

78 Le Destin Hors Normes de Louis Henri Bojanus

82 Point d’eau Happy Apocalypse

84 1971 La revanche des claviers rock

112 Musique King Crimson

124 Sélection Concert, livres...

Q Or Champ

130 Claudia Siegwald À la rencontre de l’Homo Medicus

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Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France « Paul Watson est tombé dans un guet-apens… »

Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, est une très proche de Paul Watson, le fondateur de la célèbre association humanitaire qui pourchasse les navires-usines japonais qui chassent illégalement la baleine sur tous les océans du monde. Alors que le Captain est incarcéré depuis juillet dernier au Groenland, Lamya Essemlali vit à ses côtés et nous raconte leur combat commun contre l’injustice et même l’arbitraire, un combat qui a également pour enjeu la survie de Paul Watson. Un grand entretien exclusif et passionnant…

Avant que nous évoquions la terrible actualité qui affecte Paul Watson, parlons un peu de vous. Comment en êtesvous arrivée à devenir co-fondatrice de Sea Shepherd France ? Celles et ceux qui vous connaissent bien disent tous qu’il y a eu un fort engagement de votre part, et depuis longtemps…

J’ai rencontré Paul Watson en janvier 2005, alors qu’il était de passage à Paris. Cette rencontre a été un fort point de départ, puisque je me suis complètement retrouvée dans son discours, et dans son mode d’action également. Mon intention était de très vite rejoindre les bateaux de Sea Shepherd. Au moment de cette rencontre, j’avais repris mes études en master en sciences de l’environnement parce que j’avais envie de m’engager dans la protection de la planète.

Vous aviez quel âge en 2005 ? Quelles étaient vos origines ?

Je suis née et j’ai grandi en banlieue parisienne. J’ai fait des études assez classiques puis, après le bac, j’ai fait une école de marketing. Je me suis assez vite rendue compte que ce n’était pas ce qui me motivait, ce n’était pas là que je m’épanouirais. Donc je me suis complètement réorientée et à 24 ans, j’ai décidé de reprendre des études pour travailler dans le domaine de la protection de la planète, globalement ça me faisait vibrer… J’étais déjà militante, j’avais fait un peu de bénévolat et j’avais levé des fonds pour quelques organisations, sans pour autant me sentir tout à fait à ma place, c’était à défaut d’autres choses on va dire… En revanche, quand j’ai rencontré Paul et que j’ai découvert l’existence de Sea Shepherd, là je me suis complètement retrouvée en accord profond avec à la fois la philosophie

« L’objectif était de trouver le Nisshin Maru, le navire-usine qui était la pièce maîtresse de la flotte baleinière japonaise. »

et le mode d’action de l’organisation. Au moment de cette rencontre, Paul était de passage à Paris, il avait un peu de temps, c’était un dimanche et il avait organisé une petite conférence avec un public d’à peine une trentaine de personnes, car il n’était pas encore très connu en France. Je me souviens qu’il n’avait même pas d’interprète. J’ai eu envie de rejoindre immédiatement ce mouvement-là. Je le lui ai dit et il m’a posé la question qu’il posait systématiquement à l’époque à tous ceux qui voulaient rejoindre les bateaux : est-ce que tu es prête à risquer ta vie pour une baleine ? J’ai affirmé que oui et ce fut un moment très étonnant pour moi. Cette réponse spontanée s’est comme imposée à moi en dépit du fait que je n’avais jamais vu de baleine de ma vie à cette époque-là. Il m’a répondu : bon, si c’est le cas, alors postule, et on se reverra sur un bateau. Quelques mois plus tard, je suis arrivée en Floride pour rejoindre le bateau qui a commencé une première mission aux Galapagos, où j’ai passé tout l’été 2005. Et quand je suis rentrée en France en septembre, je suis retournée à la fac, mais l’hiver suivant, donc en décembre, il y avait la mission contre la chasse baleinière en Antarctique. J’ai prévenu tous mes profs à l’époque que je ne serai pas présente pour les partiels de décembre parce que j’allais en Antarctique pour sauver des baleines. Ils ont tous été très coopératifs, hyper fiers qu’une de leurs élèves fasse ça. Et j’ai pu vivre cette première mission-là en Antarctique…

Comment s’est passée cette première mission ? Vous avez fait quoi concrètement ?

L’objectif était de trouver le Nisshin Maru, le navire-usine qui était la pièce maîtresse de la flotte baleinière japonaise, un ancien chalutier de 8 000 tonnes, assez colossal, qui avait été converti en navire-usine. La flotte baleinière, c’était un navire spotter, c’est-àdire un navire qui part repérer les baleines, et deux navires-harponneurs qui sont ensuite chargés de les harponner et de les ramener sur le Nisshin Maru, à bord duquel les baleines seront hissées, découpées, congelées, puis stockées. Et donc pour nous, l’objectif était de manière prioritaire de trouver le navire-usine et de bloquer en fait le passage des baleines par la rampe arrière, car à partir du moment où on bloque cette opération précise, on paralyse l’ensemble de l’opération de chasse puisqu’il ne sert alors plus à rien pour les harponneurs d’aller tuer des baleines si leurs collègues ne sont plus en mesure de les découper et les congeler très rapidement, car la viande de baleine devient très vite impropre à la consommation. Nous touchions là au tendon d’Achille de la flotte baleinière japonaise et donc, notre priorité

« Quand on dit qu’on est prêt à risquer notre vie pour sauver des baleines, ce n’est pas juste un slogan, c’est bien réel. »

était de trouver ce bateau-là. C’est ce que l’on a fait après l’avoir cherché pendant plusieurs semaines, on a fini par le dénicher et par lui barrer la route. Pour moi c’était le premier moment très concret quant à la prise de risque. Le jour où on le trouve est un jour de forte tempête il y a une houle de dix mètres de haut et Paul nous dit : « bon, on se met devant lui, on lui barre la route et on ne bouge pas ! » C’est ce que l’on fait. Du coup, le Nisshin Maru était en train de nous foncer dessus : on est au bout du monde, il n’y a personne pour nous secourir ou pour nous aider au milieu de cette houle, à bord de notre bateau qui fait 700 tonnes et qui est dix fois plus petit que le navire-usine… En fait, notre bateau n’était qu’une simple coquille de noix en comparaison avec le Nisshin Maru. Notre premier officier nous explique que, quand il y aura la collision, très certainement, notre bateau sera coupé en deux et coulera à pic. On a tous nos combinaisons de survie, mais on sait bien que, de toute façon, on ne va pas tenir bien longtemps dans l’eau glacée avec ça et qu’on n’a pas beaucoup de chance de s’en tirer. En même temps, Paul nous dit : « en fait, on ne bouge pas parce que sinon, autant rentrer à la maison. On est là pour les empêcher de chasser. » Et je me souviens vraiment très distinctement de ce fameux moment où le premier officier vient nous voir et nous dit : « collision dans deux minutes ! » À l’extérieur de la passerelle, on entendait juste les sirènes d’alarme du Nisshin Maru, avec une voix enregistrée qui, via le haut-parleur, hurlait : « dégagez, dégagez du chemin, route de collision, dégagez ! » À ce moment-là, effectivement, on se dit : et bien voilà, on est arrivé. C’est le bout du chemin. C’est la fin. Clairement, je me dis à cet instant que je ne reverrai pas les gens que j’aime parce que c’est ici que ça se termine, c’est comme ça. Et en fait, ça a été un moment très, très important pour nous et pour moi, parce que même s’il y avait la peur, je n’ai ressenti aucun regret.

En fait, je me sentais à ma place. Je savais que j’étais à ma juste place. Et à aucun moment, je ne me suis dit, mais dans quoi je me suis embarquée ? C’est n’importe quoi. Je donnerai tout pour être à Paris. Non, pas du tout. Je l’affirme, il n’y avait aucun endroit au monde où j’avais envie d’être, ailleurs qu’ici. Et donc, ce moment-là a été très, très important aussi pour la suite parce qu’effectivement, ce baptême du feu a été la confirmation de la nature profonde de mon engagement parce que, même si je m’étais sentie sincère quand j’avais répondu positivement à la question de Paul à Paris, j’étais à l’évidence loin d’être dans le concret à ce moment-là, je n’avais jamais été dans une situation à risque comme celle que je vivais dans cette immensité liquide au bout du monde, très loin du cocon parisien…

Comment ça s’est terminé ?

Et bien, en fait, au dernier moment le Nisshin Maru a viré de bord après avoir foncé jusqu’au bout, après avoir testé notre motivation et compris qu’en fait on n’allait pas bouger. Et pour nous, c’était très important qu’ils sachent que quand on dit qu’on est prêt à risquer notre vie pour sauver des baleines, ce n’est pas juste un slogan, c’est bien réel.

Paul le savait je crois, et je me souviens l’avoir entendu dire qu’on était plus d’une quarantaine à bord, de vingt-trois nationalités différentes. En fait, imaginez la crise diplomatique que ça aurait été à gérer pour le Japon, d’avoir percuté et tué quarante-quatre personnes de vingt-trois pays différents dans un sanctuaire baleinier international, alors qu’ils sont en train de chasser en violation d’un moratoire. Ça aurait été catastrophique pour l’image du pays. Paul s’en doutait, mais on n’est jamais certain de rien, bien sûr.

Le tout, en fait, c’est de savoir où on met les pieds. Il y a mille et une façons de s’engager aux côtés de Sea Shepherd.

On n’est pas obligé de commencer par des moments pareils… On peut s’engager en étant près de chez soi, en faisant des articles, des conférences ou quoi que ce soit d’autre. Mais à partir du moment où on s’engage sur les bateaux, on peut potentiellement se retrouver dans des situations à risque comme ça, face à des gens qui n’ont pas forcément de scrupules. C’est juste quelque chose à avoir en tête. Ça veut dire que quand on se retrouve dans une telle situation et qu’on est face à un navire de 8 000 tonnes qui vous fonce dessus et que vous avez le capitaine qui dit « on ne bouge pas », il n’y a pas de place pour la surprise ou l’étonnement. On ne peut pas se dire « mais attends, il est complètement fou, comment ça on ne bouge pas ? » Non, on est là pour ça en fait. Donc, on sait à quoi on s’engage.

Et vous avez réussi à bloquer ensuite la rampe arrière ?

Non, par sur ce coup-là, lui, il a réussi à nous échapper. Mais on l’a retrouvé après. Et on lui a fait perdre énormément de temps. Ça n’a pas été la campagne où on a été le plus efficace, parce que cette année-là, on avait un bateau qui n’était malheureusement pas suffisamment rapide. En revanche, on y est retourné les

saisons suivantes, avec des bateaux plus rapides. Lors de ces années, je crois que le meilleur qu’on ait fait, c’est d’avoir réussi à diminuer de 90 % le nombre de baleines tuées. C’est assez énorme. En général, c’était autour de 50 à 60 % de baleines sauvées. La meilleure année qu’on ait faite, c’était 91 %, c’était énorme !

Qu’est-ce qu’il s’est passé pour vous après cette première expérience mémorable ?

Quand je suis rentrée d’Antarctique, je me suis dit qu’il fallait en fait qu’on crée Sea Shepherd France. Il fallait absolument qu’on alerte l’opinion publique en France sur ce qui se passait. À l’époque, je n’avais même pas conscience, en fait, du rôle central joué par la France en matière de protection des océans, du fait de notre deuxième position en terme de surface maritime et, partant, de notre responsabilité.

Du coup, j’ai fondé l’antenne française en novembre 2006 en me disant que ça allait rester quelque chose de très embryonnaire, car, en fait, on allait nous trouver beaucoup trop radicaux. Dans les milieux français de l’action écologique et écologiste, on n’est pas du tout habitué à ce genre d’actions qui correspondent à un modus operandi un peu à l’anglo-saxonne. Et bien, j’avais tort de penser comme

ça. J’ai été assez vite agréablement surprise de voir qu’il y avait en fait un écho assez énorme pour les actions et la philosophie de Sea Shepherd. Et aujourd’hui, Sea Shepherd France est l’antenne la plus dynamique et la plus active, celle qui incarne le mieux la résistance et l’ADN originel de Sea Shepherd, telle que l’organisation a été créée en 1977.

Quel est le budget de Sea ShepherdFrance ?

On a un budget annuel qui est d’environ trois millions d’euros. 99,5 % des fonds viennent de monsieur et madame tout le monde en fait, qui font des petits dons mensuels, notamment. Et les 0,5 % restants proviennent de petites fondations ou de petites institutions. On n’a pas du tout de subvention publique par exemple. Ça nous procure une énorme liberté…

Venons en maintenant à la situation très pénible vécue actuellement par Paul Watson, emprisonné depuis des mois au Groenland…

Le Japon a décidé d’inaugurer le Kangeï Maru qui est la relève du Nisshin Maru dont on parlait tout à l’heure. C’est un navire-usine qui est encore plus grand que son prédécesseur.

Cet été, il a lancé sa première campagne de chasse dans le Pacifique Nord. Donc, Paul a décidé de lui barrer la route et l’empêcher de massacrer les baleines.

En fait, Paul fait l’objet d’une notice rouge d’Interpol depuis 2012. Cette procédure a beaucoup restreint ses mouvements, le contraignant à faire très attention aux pays dans lesquels il s’arrêtait. En France, il n’y a jamais eu aucun problème. Il a aussi été en Suisse, en Irlande, aux Pays-Bas et aux États-Unis, évidemment. Mais il y a certains pays dans lesquels il ne pouvait se rendre. C’est typiquement le cas du Groenland qui est rattaché au Danemark, à cause des campagnes qu’on mène depuis des décennies contre les massacres de dauphins aux îles Féroé, qui sont sous protectorat du Danemark. On sait qu’on n’est pas en odeur de sainteté dans ce pays.

Mais en novembre 2023, la notice rouge a disparu du site internet d’Interpol. On a donc mené quelques recherches pour savoir ce qu’il s’était passé. Et en fait, on nous a affirmé que cette notice rouge n’existait plus. Et que donc, il n’y avait plus de mandat d’arrêt. En réalité, cette notice a simplement été camouflée. Paul, en fait, s’est rendu au Groenland pour faire le plein, tout simplement, parce que c’était le dernier endroit où il pouvait ravitailler avant le passage vers le Pacifique Nord. Et quand il a accosté pour faire le plein, et bien, il y a quatorze policiers fédéraux qui sont montés à bord et l’ont arrêté….

À ce stade, concernant la notice qui disparaît du site d’Interpol, vous dites vous-même qu’il est tout à fait possible qu’elle ait été camouflée, c’est votre

terme. Ça sous-entendrait que Paul Waston a été piégé ?

On sait qu’elle a été camouflée, la police a fini par nous le dire et puis même Interpol nous a confirmé que ce camouflage avait été exercé à la demande du Japon… Et Paul est tombé dans ce guet-apens…

Paul Watson a été arrêté dans le petit port de Nuuk, où il est toujours incarcéré à ce jour. Comment avez-vous réagi, personnellement, à l’annonce de cette arrestation ?

J’ai eu la nouvelle dès le 21 juillet. Trois jours après, je prends l’avion pour le Groenland et je passe un premier séjour de trois semaines sur place, où je vais voir Paul tous les jours de la semaine puis je commence le cycle des allers-retours avec la France, je crois que j’en suis au cinquième aujourd’hui... Je m’assure d’être présente à toutes les audiences, et lors de chaque voyage, je lui ramène à chaque fois ses médicaments parce qu’il est sous traitement médical. Je lui ramène des DVD parce qu’il n’a aucun accès à internet. Il n’a droit qu’à une visio de dix minutes par semaine, avec sa femme et ses enfants…

Ses conditions de détention se sont considérablement durcies ces dernières semaines, je crois…

C’est exact, et c’est important qu’il ait des visites. À côté de ça, je travaille aussi sur la campagne de communication pour obtenir sa libération et puis aussi avec l’équipe juridique qu’on a mise en place. On a une dizaine d’avocats en tout, des avocats français, danois, groenlandais…

Les demandes de mise en liberté se succèdent, sans résultat…

Oui, je crois qu’on est à la quatrième ou la cinquième. Je ne sais plus….

Et le timing maintenant, c’est une cour danoise qui doit statuer définitivement sur l’extradition ou non, c’est ça ?

Non, il s’agit du ministre de la justice danois, en personne. C’est donc un homme seul qui va prendre la décision d’extrader ou non Paul Watson.

Une date est fixée pour cette décision ?

On aimerait bien le savoir justement. On ne sait rien, on n’a aucune réponse. Ça fait plus de trois mois qu’on attend, les avocats ne savent pas non plus, et en fait, cet homme prend son temps… Et pendant ce temps-là, Paul reste en prison.

Qu’est-ce qu’il se passe en coulisses selon vous ?

Pour l’instant, on ne voit pas grandchose se produire. On a lancé une pétition et on a fait une demande officielle d’octroi de la nationalité française à Paul. Et pour l’instant, pas de son, pas d’image venant de l’Élysée. Voilà...

Ce silence de notre pays, du moins officiel, il peut s’expliquer comment ?

Je pense qu’il y a des intérêts économiques et diplomatiques en jeu avec le Danemark et avec le Japon. Les choses se pèsent et se soupèsent. Le Japon est quand même une grande puissance économique mondiale et on sait qu’il a des accords commerciaux colossaux avec le Danemark. Un exemple : les contrats éoliens, ce sont plusieurs centaines de millions qui sont en jeu, car le Danemark est le leader mondial de l’éolien. Côté français, c’est pareil, il y a d’énormes intérêts commerciaux qui sont en place…

Quel est votre sentiment ? Est-ce que ça peut déboucher sur une issue favorable ou pas ?

Moi, j’ai du mal à imaginer qu’on puisse se diriger vers une extradition, mais, à l’heure actuelle, on ne peut quand même pas l’écarter complètement. À l’heure où nous nous parlons (le 10 novembre dernier - ndlr), Paul aura bientôt fait quatre mois de prison, c’est la durée maximale d’emprisonnement au Groenland pour quelqu’un dont la culpabilité n’a pas été prononcée. Donc on est déjà dans quelque chose de délirant. Et en même temps, on sait que le Danemark, en fait, essaye de caresser les îles Féroé dans le

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VRAI FAUX

RÉPONSES RÉPONSES

sens du poil. Ce territoire en veut énormément à Paul pour son opposition à ses massacres annuels de dauphins. Il faut avoir à l’esprit que ces îles sont sous protectorat autonome danois, mais qu’il existe un mouvement indépendantiste très fort qui veut se séparer du Danemark. Donc le Danemark veut aussi montrer aux îles Féroé qu’elles ont tout intérêt à rester danoises. Tout ça, c’est à l’évidence très politique et ça complique tout, bien sûr. On a affaire à une procureure qui s’appelle Myriam Khalil, qui, durant les audiences, nous dit qu’en fait, Paul Watson avait comme intention de blesser des marins japonais, ce qui est complètement faux. Là, elle s’assoit en fait sur la présomption d’innocence, sur la base d’absolument rien, puisque Paul Watson a au contraire cinquante ans d’activisme à son actif, sans jamais avoir blessé qui que ce soit. Et puis surtout il a toujours été extrêmement clair et sans ambiguïté sur le fait qu’il n’était pas acceptable de blesser qui que ce soit, il a toujours affirmé que son moteur était la préservation de la vie dans son ensemble. La procureure ne se base sur rien, c’est du mensonge pur, et ce qui est terrible en fait, c’est que c’est elle qui est en charge de faire la synthèse du dossier de la défense. Ce dossier, nos avocats l’ont fourni, mais c’est elle qui fait la synthèse et qui transmet ça ensuite au ministre de la Justice. Nous, on n’a même pas accès à ce document final, et on ne sait pas ce qu’elle a écrit dedans. C’est complètement délirant, c’est assez lunaire comme système et oui bien sûr, c’est contre tous les principes du droit. Apparemment, au Danemark, c’est possible d’agir ainsi… Nous sommes donc face à un juge qui refuse de voir les preuves de son innocence. Donc on n’est pas à l’abri qu’il décide quand même de le maintenir encore en détention…

Parlons de l’état de santé de Paul puisque vous dites qu’il est sous traitement. Il vient d’avoir 74 ans le 2 décembre et s’il venait à être extradé au Japon, tout le monde craint qu’il ne ressorte pas vivant de cette épreuve. C’est votre sentiment aussi ?

C’est clair que s’il venait à être extradé, on ne le reverrait pas vivant. On connaît le système carcéral au Japon et on sait que ce pays est dans une démarche de vengeance. C’est terrible à dire, mais je pense vraiment qu’il vaudrait mieux lui tirer une balle dans la tête parce que ce qui l’attend là-bas, ça serait la torture physique et psychologique au quotidien.

« Mais on a une poignée de nantis (...) qui s’accrochent à des postes haut placés avec des avantages, des privilèges qui disparaîtraient si l’industrie baleinière venait à s’écrouler. »

Comment est-il actuellement, à l’instant où on parle ? Est-ce qu’il a le moral ? Est-ce qu’il reste combatif ?

Le plus dur pour lui, en fait, est d’être éloigné de ses deux jeunes enfants. Ils lui manquent énormément et il a manqué leurs deux anniversaires. Après, ce qu’il se dit aussi, c’est que son incarcération a le mérite, en tout cas, de braquer les projecteurs sur l’illégalité de la chasse baleinière menée par le Japon. Il sait que c’est quelque chose qui a toujours fait partie des risques qu’il a toujours pris. Il a toujours dit que ce que l’on fait implique aussi, potentiellement, de risquer sa vie et sa liberté, parce qu’on s’attaque à des intérêts économiques très puissants, même si, économiquement, pour le Japon, la chasse baleinière n’a absolument aucun intérêt. Au contraire, elle coûte extrêmement cher. C’est important de le préciser quand même. Moins de 2 % des Japonais mangent de la viande de baleine et donc, économiquement, c’est une industrie qui est sous perfusion de subventions publiques. Mais on a une poignée de nantis, d’anciens membres du gouvernement qui sont de la droite ultranationaliste, qui s’accrochent à des postes haut placés avec des avantages, des privilèges qui disparaîtraient si l’industrie baleinière venait à s’écrouler. Donc ce n’est pas le peuple japonais qui est en cause, c’est un noyau dur de quelques personnes, les yakuzas notamment, cette mafia des yakuzas qui est très impliquée dans la chasse baleinière, qui l’utilise et qui se cache derrière tout le rouleau compresseur de la machine d’État pour broyer un homme qui a osé s’opposer à eux. On est strictement parlant dans la vengeance…

Dans ces conditions, que peut faire le grand public ? Parce que là, maintenant, j’ai l’impression que c’est directement

sur le ministre danois de la Justice qu’il faut mettre la pression...

Oui, on va essayer d’intensifier la pression ici au Danemark, mais en France, les gens peuvent signer et partager la pétition pour l’octroi de la nationalité française. Ça, c’est important. Elle est sur la page d’accueil du site de Sea Shepherd France. Et que les gens n’hésitent pas à écrire à Paul en prison parce que ça lui remonte le moral de recevoir du courrier.

Pour vous, c’est une épreuve inédite. Forte de votre engagement depuis près de 20 ans, comment vivez-vous personnellement cette histoire ?

Pour moi, il y a deux choses : d’abord il y a cette injustice, évidemment, par rapport au fait d’incarcérer quelqu’un qui a sauvé des baleines dans un sanctuaire baleinier international. C’est l’injustice qui est faite au capitaine Watson, fondateur de Sea Shepherd, et par ricochet, finalement, à tous les activistes, tous ceux qui souhaitent défendre et protéger la planète.

Et puis après, il y a aussi Paul, que je connais personnellement, qui est un être humain qui est extrêmement attachant, extrêmement juste, extrêmement bienveillant, et pour lequel j’ai énormément d’affection. Et donc, tout ce que je fais pour l’aider, je le fais évidemment pour l’activiste, mais aussi, et beaucoup, pour l’être humain qu’il est, l’homme qu’il est, qui est comme un père pour moi.. Donc il y a ces deux dimensions, je les vis de manière assez difficile et en même temps je suis en mode machine, c’est-à-dire que je suis un peu en pilotage automatique… Je ne m’arrêterai pas tant qu’il ne sera pas sorti de prison, je suis poussée par cette énergie-là, j’avance et je ne veux pas croire qu’on n’y arrivera pas… b

c DOSSIER — EXPOS TGV PARIS

Jean-Luc Fournier

En cette fin d’année 2024, après un formidable été olympique qui a marqué les esprits et propulsé Paris au firmament des destinations mondiales à visiter, la capitale française aligne ses atouts artistiques. Comme à l’habitude, vous serez nombreux à y séjourner durant les fêtes de fin d’année, pour un jour ou plusieurs, et c’est le moment idéal pour visiter l’une ou l’autre des expositions exceptionnelles que les musées parisiens vous proposent…

Pour beaucoup, cet hiver 2024-2025 naissant va marquer un cap dans la tradition parisienne déjà très ancienne des « grandes expositions » organisées de la fin d’automne au début du printemps suivant.

La raison en est bien triviale : l’argent. Pour les institutions publiques, il manque de plus en plus, comme diverses sonnettes d’alarme déjà tirées les années passées l’ont montré. Cette année, il y a comme un symbole écrasant sous nos yeux : le Centre Pompidou va fermer pour une totale rénovation de ses 103 305 m2 qui va durer cinq très longues années. La « raffinerie de pétrole » du plateau de Beaubourg (comme le Centre avait été nommé ironiquement en 1977 quand ses immenses tubulures étaient apparues au-dessus du plus vieux quartier de la capitale) a abrité année après année les plus grandes expositions jamais réalisées à Paris, au même titre que celles organisées dans les autres grands musées publics.

Mais en cette fin 2024, l’expo Surréalisme présentée par le Centre Pompidou (jusqu’au 13 janvier prochain) sonne un peu comme le chant du cygne avant sa fermeture totale pour travaux.

L’essor des fondations privées

Les interrogations sont d’autant plus de mise que les fondations privées semblent s’être désormais accaparé le concept des expos exceptionnelles et quelquefois, géantes, celles dont les budgets sont en permanence sur la base de plusieurs millions d’euros voire même de plus de dix millions d’euros pour Chtchoukine en 2016 (la collection russe avait auparavant été proposée au musée d’Orsay qui n’avait pu relever le challenge, faute de moyens financiers).

C’est que tout coûte horriblement cher aujourd’hui, dès qu’on envisage ce type d’événements artistiques « blockbusters », des valeurs d’assurance des œuvres jusqu’au renchérissement impressionnant du coût des

transports, encore aggravé par les exigences des prêteurs qui ne « lâchent » leurs précieux trésors qu’en contrepartie de solides garanties sur leurs conditions de voyage. Tout cela a fait exposer les budgets de mise en œuvre de ces expos. Bref, tout est désormais conditionné par les moyens financiers et les institutions publiques ne les ont plus. Les retrouveront-elles ? Pas avant très longtemps, c’est malheureusement certain…

On vous donne envie de tout découvrir…

Pour cette année, retrouvez dans les pages suivantes le surprenant Gustave Caillebotte à Orsay (quel accrochage ! L’expo est belle à tomber…), les artistes disruptifs de l’Arte Povera à la Bourse de Commerce-Pinault Collection ou encore Tom Wesselmann et les autres artistes du Pop Art à la Fondation Louis Vuitton. Mais vous découvrirez aussi (vous ne la connaissiez sans doute pas…) la surprenante photographe américaine Tina Barney qui expose ses clichés géants au musée du Jeu de Paume.

Nos pages multiplient les surprises inédites, comme les chefs-d’œuvre du Trompe-l’œil au (trop) discret Musée Marmottan-Monnet par exemple. Et, même si, faute de place, nous n’avons pas pu les chroniquer ici, nous vous encourageons à parcourir les espaces de la sublime expo sur les œuvres de jeunesse de James Cameron, à la Cinémathèque française de Bercy, Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques au Musée du Louvre, ou encore la si superbe Collection de la Galerie Borghèse au musée Jacquemart-André…

Plus près de nous, on parle aussi de la rétrospective Matisse à la Fondation Beyeler à Bâle. Et encore plus près, à l’Espace Apollonia à l’entrée de La Robertsau, ce sont 95 tirages noirs et blancs de Frantisek Zvardon, récemment décédé, qui vous attendent : tous focalisent l’attention sur l‘homme et la nature. Cette exposition est splendide… c

Gustave Caillebotte, Le pont de l’Europe, 1877.

La partie de bateau, 1877–78

c DOSSIER — EXPOS TGV

Jean-Luc Fournier © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Sophie Crépy / Patrice Schmidt – The Art Institute of Chicago – Lea Gryze c/o Reprofotografen – DR

MUSÉE D’ORSAY

Le musée d’Orsay ne propose pas une réelle rétrospective de Caillebotte (la dernière, qui fut aussi la seule, avait été organisée il y a trente ans à Paris), mais une exposition thématique centrée sur les figures masculines composant « 70 % de l’œuvre de l’artiste » selon le rédacteur du catalogue officiel de l’exposition. Malgré tout, le remarquable accrochage réalisé par Paul Perrin, le commissaire de l’expo du musée d’Orsay, est à découvrir absolument.

Gustave Caillebotte (1848-1894) n’est plus de ce monde depuis 130 ans. Cette date anniversaire n’a sans doute pas suffi à elle seule pour programmer l’exposition parisienne à Orsay. Plus sûrement, l’entrée dans les collections du Musée d’Orsay (grâce au mécénat du Groupe LVMH) de La partie de bateau, une des toiles les plus célèbres du peintre, aura sans doute déclenché le projet (en octobre dernier, au tout début de l’expo, cette toile utilisée pour l’affiche inondait les stations de métro et les rues parisiennes).

Ainsi, ce sont donc 140 œuvres et objets, dont 65 peintures, une trentaine de dessins préparatoires, des photographies, des costumes d’époque et des documents divers qui composent l’exposition parisienne de cette fin d’année.

« Le peintre de la vie moderne »

Les débuts du jeune Gustave Caillebotte, entré à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1873, se font dans une France encore profondément meurtrie par les massacres de la Commune de Paris et l’humiliante défaite subie face aux armées prussiennes. Paradoxe : la fourniture en masse de tissu pour les uniformes et de draps pour les lits allait alors faire la fortune de la famille Caillebotte…

Encore trop jeune pour figurer dans la première exposition des impressionnistes en 1874, les peintures de Gustave Caillebotte font sensation lors de la deuxième exposition, deux ans plus tard, surtout les deux tableaux Raboteurs de parquet , présentés à Orsay. Les tableaux frappent encore aujourd’hui par leur apparent classicisme assumé au point que certains critiques

d’art de l’époque firent rapidement remarquer à quel point les Raboteurs de parquet tranchaient avec l’ensemble des toiles de ce groupe que la presse avait rapidement classé sous le terme Les impressionnistes. Déjà, le peintre débutant détonnait…

Déçu par le jury du salon de 1875 qui refusa d’exposer son tableau, Caillebotte décida immédiatement de n’exposer que dans des salons de peintres « indépendants », ce qui précipita encore plus rapidement son arrivée parmi les plus novateurs artistes de l’époque.

Sa situation familiale de « grand bourgeois » lui fit fréquenter ce qu’on appelait alors les beaux quartiers. Même l’atmosphère de la scène des Raboteurs est

« Les tableaux frappent encore aujourd’hui par leur apparent classicisme assumé. »

Rue de Paris, temps de pluie, 1877

connectée à cet environnement huppé, les ouvriers fabriquant en fait… le parquet de l’hôtel particulier familial.

Caillebotte hérita donc très vite du titre de peintre de la vie moderne. L’exposition d’Orsay présente en majesté ses toiles qui multiplient les points de fuite, toutes peintes à partir de cet œil surplombant si caractéristique. On ne compte plus aujourd’hui les commentaires d’apprentis-critiques d’art imaginant détenir la preuve que Caillebotte « voit les choses de très haut », loin des turpitudes du quotidien de la population, la supériorité présumée du grand bourgeois sur le prolétariat.

Une homosexualité cachée ?

Il faut bien sûr évoquer le propos de l’exposition : Peindre les hommes. Le catalogue nous « invite » à nous préoccuper de « la sexualité de la peinture de Caillebotte », pas moins ! Quelle drôle de sommation… Le même catalogue recense (lourdement) sept tableaux sur dix, dans l’œuvre de l’artiste, où n’apparaissent que des hommes… Et tant pis si Gustave Caillebotte peint sa compagne nue, dans une pose provocante, son doigt titillant un téton. Le tableau figure bien parmi les « 70 % de tableaux d’hommes réalisés par le peintre ». Charlotte Berthier, sa compagne, le restera jusqu’à sa disparition où elle héritera d’une rente importante. Factuellement, pas le moindre élément nouveau ne vient étayer cette thèse de l’homosexualité cachée, apparue au détour de la fin du xx e siècle, une chercheuse américaine ayant alors préconisé de considérer l’œuvre de Caillebotte avec un « regard gay ».

L’exposition d’Orsay n’est donc pas loin de brutaliser quelque peu l’histoire de l’art, son titre et l’absence de nombreux tableaux restés aux États-Unis (ses remarquables natures mortes et ses fleurs réalisées peu avant la fin de sa vie) faisant focaliser encore plus sur la masculinité des toiles présentées à Paris.

Ne pas passer à côté de Caillebotte

Les États-Unis, parlons-en. Dès le début des années 1900, leurs collectionneurs et leurs musées publics et privés ont

Raboteurs de parquet, 1875

Homme s’essuyant la jambe, vers 1884

acquis de très nombreuses œuvres de Caillebotte sans même qu’une compétition s’amorce avec l’État français d’alors ou les collectionneurs de notre pays. Il en fut également ainsi avec nombre de toiles du groupe des impressionnistes dont la France se désintéressa surprenamment à la fin du xixe siècle.

Une nouvelle preuve de la préséance américaine sur les impressionnistes français en est aujourd’hui apportée avec l’exposition Caillebotte de cette fin d’année à Orsay, puisqu’elle sera intégralement présentée l’an prochain au Paul Getty Museum de Los Angeles avant d’être accrochée ensuite à l’Art Institute de Chicago. On y surveillera alors l’armée de néo-critiques qui ne vont

sûrement pas manquer de reprendre la thèse de l’homosexualité supposée du peintre… Reste qu’on peut admirer l’ensemble des toiles exposées à Orsay (et même prendre son temps pour découvrir les autres talents de Caillebotte, qui fut aussi un régatier paraît-il exceptionnel, doublé d’une belle réputation de concepteur de voiliers).

Si la France de la fin du xix e siècle et du début du xx e n’a pas salué à son juste mérite l’œuvre de ce peintre brillant, il ne faudrait pas que les amateurs d’art du début de cette troisième décennie du xxi e siècle passent à côté de l’occasion qui leur est donnée de découvrir ou redécouvrir Gustave Caillebotte, « le peintre de la vie moderne »… c

MUSÉE D’ORSAY

GUSTAVE CAILLEBOTTE

Esplanade

Valéry Giscard d’Estaing 75007 Paris

Métro : Ligne 12 (Station Solférino)

Ouvert tous les jours de 9h30 à 18h. Fermé le 25 décembre Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45 Réservation internet très conseillée

Jusqu’au 19 janvier 2025 www.musee-orsay.fr

L’Arte povera est l’un des mouvements les plus inventifs de la seconde moitié du xxe siècle. C’est une expo-monstre (plus de 250 pièces, toutes plus originales et inspirantes les unes que les autres) qui attend les visiteurs à la Bourse de Commerce – Pinault Collection, ce parfait écrin au cœur de Paris…

Jean-Luc Fournier © Pinault Collection – Adagp, Paris, 2024 – Jean-Luc Fournier – DR

Idées de pierre – 1532 kg de lumière sur le parvis de la Bourse de Commerce

L’exposition Arte Povera débute avant-même… son entrée. Sur le parvis de la Bourse de Commerce, c’est Idées de pierre -1532 kg de lumière (2010) de Giuseppe Penone qui nous accueille, une allégorie des chemins de la pensée, présentant l’un des axes majeurs de l’Arte povera : la fusion entre nature et culture.

Puis c’est cette superbe rotonde cernée par l’imposant cylindre de béton de l’architecte japonais Tadao Ando qui enfonce le clou : en son cœur, on y trouve (sans la moindre exhaustivité) une surface de gazon synthétique sur laquelle git un tube couvert de glace, une silhouette allongée faite de mottes de terre malaxée, une mitrailleuse lourde kaki, un gisant de marbre acéphale, un tronc d’arbre au cœur dépecé, un portique à la carcasse concassée qui supporte de gros lambeaux de mousse flashy, des escarpins en fil de cuivre et on en passe… Ces pièces de quelques-uns des treize artistes de l’Arte povera, trentenaires à l’époque, prouvent qu’il n’est ici ni question de style, encore moins d’école, mais bien d’individus réunis autour d’une même idée : imaginer et fabriquer de bien étranges choses avec des matériaux et objets issus du quotidien et sans valeur aucune en les présentant seulement vêtues de leur radicale variété.

Pour bien le faire comprendre, les artistes à l’origine du mouvement dans les années soixante n’ont jamais publié le moindre manifeste ou la moindre tribune, se contentant avec obstination de paraître lors d’expositions collectives dont le fil rouge, au final, tenait dans un seul mot symbole de l’époque : provocation…

« L’artiste devient un guérillero »

Au sol de la rotonde initiale, on remarque inévitablement un moule gastronomique métallique rempli par une question en néon blanc : Che fare ? C’est Mario Mertz qui s’interroge ainsi, faussement naïf, dès 1968. Et ses autres complices de l’Arte povera de répondre en fanfare : « Que faire ? Tout, absolument tout ce qui est possible avec ce qui nous tombe sous la main… »

C’est donc ce festival d’extravagances que l’on découvre du sol au plafond et sur tous les niveaux de la Bourse de Commerce. Ces créations sont toutes audacieuses

et savent nous provoquer avec une infinie variété de styles, de matériaux, de concepts. L’obsession de ces treize artistes emblématiques (chacun a droit à sa présentation personnalisée), de ne jamais vouloir plus représenter que ce chacun d’eux-mêmes avait l’idée de produire à un moment X, est allée jusqu’à refuser de trouver un nom à leur mouvement : c’est un critique d’art italien, Germano Celant, qui s’y est collé après qu’il ait visité une exposition à Gênes et une autre à Amalfi à la toute fin des années soixante : Arte povera est né à la fin d’un week-end où l’art l’avait envahi, expo qui se termina par… un match de foot entre les artistes ! C’est dire si ces temps-là, avec ces gens-là, étaient bien différents de l’environnement de l’art contemporain d’aujourd’hui.

La preuve en est avec cet extrait de Notes pour une guérilla, un court texte publié par le même Germano Celant dans le catalogue de l’expo Flash Art de Milan en 1967 : « L’Arte povera est une nouvelle attitude qui pousse l’artiste à se déplacer, à se

dérober sans cesse au rôle conventionnel, aux clichés que la société lui attribue pour reprendre possession d’une “réalité” qui est le véritable royaume de son être. Après avoir été exploité, l’artiste devient un guérillero : il veut choisir le lieu du combat et pouvoir se déplacer pour surprendre et frapper. »

« Tu deviens vivant, et conscient de l’être. »

Tout autour du gigantesque cylindre en béton de la Pinault Collection, les vingtquatre vitrines du Passage réactivent la pensée de Walter Benjamin et des passages parisiens comme une lecture du xix e  siècle se transformant en autant de jalons temporels et contextuels, et rappelant le terreau d’où émerge l’Arte povera. Y figurent les artistes de l’avantgarde italienne de l’après-guerre, tels que Lucio Fontana, dont les toiles trouées donnent aux artistes l’exemple d’un art qui s’affranchit de l’espace du tableau, ou Piero Manzoni, par la dimension libre

Che Fare ? de Giuseppe Penone

« Que faire ? Tout, absolument tout ce qui est possible avec ce qui nous tombe sous la main… »

et provocatrice de son usage des matériaux. D’autres vitrines exposent la dimension plus internationale des influences de l’Arte povera, par exemple celle de l’Internationale Situationniste ou du groupe japonais Gutai. Une constellation de protagonistes y apparaît, des artistes aux galeristes, des critiques aux figures de théâtre, tel que le metteur en scène polonais Jerzy Grotowski qui ont participé à l’élargissement de la définition de l’art, l’ouvrant aux nouveaux médias, à la performance, à l’expérimentation. Beaucoup prétendent même que le terme d’installation artistique aujourd’hui si répandu est né des démonstrations de l’Arte povera italien…

Laissons les mots de conclusion à Carolyn Christov-Bakargiev, la commissaire de l’exposition de la Bourse de Commerce ; commentant cette invention de l’installation artistique, elle dit : « C’est pour cela que j’ai appris davantage de ces artistes de l’Arte povera que pendant mes études de l’histoire de l’art, notamment à monter des expositions comme des expériences totales.

L’installation, c’est un espace fluide où la limite entre ce qui est l’œuvre et de ce qui ne l’est pas n’est pas claire. Le spectateur est partie prenante de cette scène presque théâtrale ; l’art ne se situe pas dans l’objet physique, mais dans la différence phénoménologique entre les objets. Dans ce lieu, ce moment, sous cette lumière particulière, tu deviens vivant, et conscient de l’être. »

Une réponse aux sempiternels commentaires, notamment lus sur notre fil Facebook après avoir publié en avantpremière quelques photos de notre visite. Parmi eux, « C’est froid, mort, non inspirant, plat, limite on se demande si c’est une blague » ou « Concept éculé, vieilles rengaines post-soixante-huitardes » ou bien encore : « Ça a l’air bien moche et peu artistique. Attention de ne pas jeter une œuvre en la prenant pour un déchet ». La preuve ultime que l’Arte povera reste l’un des mouvements les plus libres et authentiquement vivants nés durant les dernières décennies du xxe siècle. Une exposition rare et unique, à ne pas rater, assurément. c

Dans Tutto, Alighiero Boetti a invité ses collaborateurs à dessiner tout ce qu’ils pouvaient imaginer exister dans le monde, tandis que les brodeuses ont eu comme consigne de ne jamais utiliser la même couleur pour broder deux objets adjacents. Cette mosaïque de points est bluffante.

BOURSE DE COMMERCE PINAULT COLLECTION ARTE POVERA

2 rue de Viarmes 75001 Paris

Accès Métro Lignes 1, 4, 7, 11 et 14 ou RER A, station Châtelet-Les Halles

Ouverture du lundi au dimanche de 11h à 19h Nocturne le vendredi jusqu’à 21h Fermé le mardi

Réservation internet conseillée

Jusqu’au 20 janvier 2025 www.pinaultcollection.com

• 2 résidences de 8 et 13 logements

• Du T1 au T4

• De 25 à 95 m2

• Proximité de toutes commodités

• Dès 102 250 €

Les Family ties de Tina Barney MUSÉE DU JEU DE PAUME

Une fois de plus, le sémillant Musée du Jeu de Paume propose une très belle exposition consacrée à l’américaine Tina Barney, aujourd’hui âgée de 78 ans. Ses photos consacrées à sa thématique de référence, la famille, y occupent une très large place, bien mises en valeur par de très grands tirages qui semblent harmonieusement flotter dans les volumes des deux salles du musée…

La seule façon de s’interroger sur soi-même ou sur l’histoire de sa vie, c’est à travers la photographié » écrivait Tina Barney en 2017. C’est que, depuis la fin des années 1970, l’artiste poursuit principalement une œuvre de portraitiste, en grand format et le plus souvent en couleurs. D’abord centré dans les années 1980 et 1990 sur ses proches au sein des milieux aisés de la côte Est des États-Unis, son travail a ensuite concerné d’autres horizons, notamment ceux de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie européenne. Depuis les années 2000, Tina Barney réalise régulièrement des images de commande, notamment pour la presse, la mode et la publicité.

Un regard sans concession sur sa propre famille

« Sans doute les gens pensent-ils [que je consacre mon travail] à la haute société ou aux riches, ce qui me contrarie. Ces photographies traitent de la famille, de personnes de la même famille qui se côtoient d’ordinaire au sein de leur propre maison. Je ne sais pas si le public se rend compte que c’est de ma famille qu’il s’agit. » – Tina Barney, BOMB Magazine, 1995

Il faut absolument lire avec soin les cartels des photos de l’exposition. Ils ont été réalisés par Quentin Bajac, le directeur du musée et commissaire de l’exposition. ils sont issus d’articles de presse parus au fil des décennies sur les expositions de Tina Barney et ils reprennent souvent les propos mêmes de la photographe.

On y comprend assez vite son cheminement. Les années 1980 et 1990, en pleine révolution libérale aux États-Unis initiée par Ronald Reagan, ont été marquées par une surreprésentation des fameux WASPS (White Anglo-Saxon Protestant), c’est-à-dire

Jean-Luc Fournier © Tina Barney
The Young Men, 1992

l’élite de la classe dominante, issue des vieilles familles de la côte Est. Un photographe comme Bruce Weber, collaborateur attitré de la marque bon chic bon genre Ralph Lauren, a multiplié ces clichés de prime abord publicitaires, mais qui ont en fait enkysté le style WASP dans les imaginaires. Et ce n’est sans doute pas pour rien si nombre de critiques de l’époque ont parlé de Tina Barney comme de l’antiRalph Lauren…

Un regard oblique

Au tout premier coup d’œil, le style de la photographe ne détone pas : elle est issue de ce même milieu cossu et, photographiant sa propre famille, on y retrouve les codes des images de la haute bourgeoisie américaine de ces années-là. Sauf que… en y regardant de plus près, on décèle immédiatement une forme de distance subtile,

mais très visible. Les sujets, les ambiances sont les mêmes, mais c’est comme si Tina Barney, avant chaque cliché, faisait mentalement un léger pas de côté. Cette mise à distance est vraiment la signature du travail de la photographe : elle n’est pas grossièrement évidente, et ce n’est pas non plus une volonté de se moquer des personnes ou des situations qu’elle immortalise, c’est juste un regard oblique qui nous fait réaliser à quel point ces Américains « de bonnes familles » vivent à l’écart de l’immense majorité de leurs concitoyens.

Dans un de ces fameux cartels réalisés tout exprès pour l’exposition, cet avis de Vince Aletti, un journaliste de l’hebdo new-yorkais The Village Voice, qui résume mieux que tout l’œil unique de Tina Barney sur cette classe sociale se voulant l’élite de la société américaine : « La familiarité de Barney avec ses sujets transforme une

« Sauf que… en y regardant de plus près, on décèle immédiatement une forme de distance subtile, mais très visible. »
Jill & Mon, 1983

image qui aurait pu tourner à la satire sociale en quelque chose de plus subtil et de plus révélateur. Puisque la plupart d’entre eux se trouvent dans leur intérieur où fourmillent des indices de leurs goûts et de leur statut, nous avons tendance à en inférer immédiatement une lecture de classe : femmes lasses, hommes qui en imposent, enfants dotés d’une souveraine confiance en soi. Mais parce que Barney ne livre jamais ce type de lecture, ses portraits possèdent une générosité et une grâce qui leur confèrent de la substance, même aux plus anecdotiques. » Tout est dit.

Les grands tirages proposés par le Musée du Jeu de Paume ne sont pas un choix du commissaire de l’exposition. À partir de 1982, Tina Barney, après avoir fait le choix radical de la couleur, a imposé ces grands formats. Un autre choix artistique délibéré : ces photos « géantes » se destinaient ainsi d’emblée à l’accrochage en galerie plutôt qu’au traditionnel livre photo abondamment diffusé en librairie. Ce n’est pas le moindre des mérites de cette très belle exposition de proposer avec succès cette vraie découverte d’une œuvre unique en son genre… c

ET PUISQUE VOUS ÊTES AU MUSÉE DU JEU DE PAUME…

Chantal Akerman.

Travelling

Le Jeu de Paume rend hommage à la cinéaste, artiste et écrivaine belge Chantal Akerman (Bruxelles 1950 –Paris 2015) à travers une exposition exceptionnelle, co-réalisée avec le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

L’exposition Chantal Akerman. Travelling retrace le parcours atypique de cette figure emblématique qui ne cesse d’inspirer et de fasciner des générations d’artistes et cinéphiles et dont le film Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles est auréolé du titre de « Meilleur film de tous les temps » décerné en 2022 par la revue britannique Sight&Sound.

L’exposition au Jeu de Paume propose un dialogue entre ses films, ses installations et une biofilmographie contenant des archives inédites.

Très franchement, ne manquez pas ces salles même si vous ignorez tout de Chantal Akerman. Prenez le temps de découvrir les visuels et de vous coiffer d’un des casques audio connectés aux ordinateurs : ses interviews et les extraits de ses films fascinent, et son actrice fétiche, Delphine Seyrig, est omniprésente…

De haut en bas :

The Daughters, 2002

The Two Students, 2001

MUSÉE DU JEU DE PAUME

1 place de la Concorde – Jardin des Tuileries 75001 Paris

Accès Métro Lignes 1, 8 et 12, station Concorde

Ouvert du mardi au dimanche : 11h–19 h

Nocturne le mardi jusqu’à 21h Fermé le lundi

Jusqu’au 19 janvier 2025 www.jeudepaume.org

CERTAINS NE JURENT QUE

PAR NICOLAS. NOUS ON A PIERRE,

PAULE, JACQUES...

Au Théâtre du vin, nous avons 38 prénoms et une grande passion pour les conseils personnalisés. Et sinon, retrouvez-nous sur theatreduvin.fr

STRASBOURG - HAGUENAU - FEGERSHEIM - COLMAR - MITTELHAUSBERGEN

Jean-Luc Fournier © The Estate of Tom Wesselmann, New York – Robert McKeever / Courtesy Gagosian Gallery – Jean-Luc Fournier – DR

POP FOREVER : Welcome back, Tom ! FONDATION LOUIS VUITTON

Ce sont 150 œuvres, dont certaines vraiment monumentales, qui ont envahi les vastes salles de la Fondation Louis Vuitton. Il fallait bien une telle cathédrale de verre et de béton pour accueillir ce déferlement de couleurs et de gigantisme, négocié directement auprès de la succession de Tom Wesselmann et marqué notamment par des prêts de grande ampleur d’œuvres qui avaient jusque-là très rarement voyagé (voire jamais, pour une bonne dizaine d’entre elles). Il n’est pas abusif de penser que la Fondation Louis Vuitton revisite là l’histoire d’un mouvement qui n’aura jamais cessé d’inventer, avec une ferveur bien réelle…

Les deux décennies 1960 et 1970… Elles font presque rêver aujourd’hui même si ce fut le temps de la guerre froide entre les Ricains et les Ruskov qui rivalisaient en comptant leurs centaines d’ogives nucléaires respectives, le mur de Berlin, la guerre d’Algérie en France puis la guerre du Vietnam qui lacéra la société américaine, les combats des civil rights aux ÉtatsUnis, et même un premier choc pétrolier en 1974. Si ces deux décennies parviennent encore aujourd’hui à susciter un peu de rêve, c’est parce qu’elles furent aussi le théâtre d’une ébouriffante succession de libérations comportementales et artistiques : la libération sexuelle et féministe, le mouvement hippy, l’émergence d’une vraie culture rock dépouillée des colifichets Beach Boys…

Un souffle puissant…

Et parmi cette exubérance sociétale, on assista à l’arrivée d’artistes peintres et plasticiens à peine trentenaires, bien décidés à imposer leur vision bousculante de l’ordre des choses, en tout premier lieu leur quasi-obsession d’ignorer volontairement le gris et le noir de la condition humaine. Un vrai souffle, et puissant de surcroît, généré par Andy Warhol et ses contemporains, les Roy Lichtenstein, Martial Raysse et on en passe… Parmi eux, un petit gars de la banlieue de Cincinatti, Tom Wesselmann qui allait devenir une des vraies figures de proue de ce mouvement vite baptisé Pop Art, parce que la musique pop, la culture pop, les fringues pop, les radios pop, la pop-attitude, etc. Tous ont eu un point commun, planté comme un roc dans l’effusion permanente de l’époque : l’effacement frénétique et assumé de la frontière entre art et réalité quotidienne, jamais très loin de la satire avec le culte de l’American Way of Life, la bagnole à tout-va, le bien-être fourni par la consommation à outrance, le cinéma pour bien propager tout ça très au-delà des

Great American Nude #75, Tom Wesselmann, 1965
Self Portrait While Drawing, Tom Wesselmann, 1983

frontières américaines et l’érotisation exubérante et sans limites du corps féminin…

Tous les codes sont là…

L’exposition Pop Forever – Tom Wesselmann &… est double. On y découvre d’abord une très vaste rétrospective consacrée à l’artiste. Elle réunit 150 de ses œuvres : ses tout premiers collages, puis les imposantes Still Lifes, les emblématiques et extraordinaires Great American Nudes, les séries Mouths et Smokers, les Sunset Nudes et les immenses œuvres abstraites en métal, certaines pour la première fois visibles en Europe.

Tous les codes du Pop Art sont là : les œuvres de Wesselmann jouent avec une perception élargie à partir d’objets ou de matériaux ordinaires et des éléments « perturbateurs » souvent omniprésents, la sonnerie d’un téléphone, le tic-tac d’une horloge, le bruit d’un ventilateur, le son d’une radio ou les images d’un écran télé.

La scénographie merveilleusement réussie de cette partie de l’expo fait vite

apparaître l’étonnante dimension immersive qui grandit au fur et à mesure que le visiteur rapetisse peu à peu, au fil du caractère monumental de ces œuvres. Bien sûr, et souvent en tout premier lieu, la rétine se noie parmi une explosion de flashs de couleurs…

Avec les grandes figures iconiques…

Mais l’exposition comporte aussi un volet thématique judicieusement mis en scène. Il regroupe 70 œuvres de 35 autres artistes. Wesselmann y dialogue avec l’histoire du Pop Art, de ses sources à ses manifestations bien actuelles. Ses premiers collages voisinent par exemple avec des œuvres du mouvement Dada qui, à l’instar de l’explosion soudaine et irrésistible du Pop Art, émergea lui aussi comme un mouvement « anti-Art » à la toute fin de la Première Guerre mondiale avant de se propager comme un incendie à Berlin, Hanovre, Cologne, Paris et New York.

Tout au long de cette seconde partie de l’exposition, les œuvres de Wesselmann

sont systématiquement replacées dans le contexte des années 1960-70, aux côtés des grandes figures iconiques du Pop Art. Puis, habilement, l’histoire se diffuse de nos jours, avec les œuvres de nos contemporains. Car, il y a peu, Wesselmann a été redécouvert par des jeunes artistes : parmi eux, Mickalene Thomas, Derrick Adams et Tomokazu Matsuyama qui ont tous trois créé des œuvres spécialement pour l’exposition. On devine sans peine leur émotion et leur fierté d’être ainsi présentés en majesté parmi les œuvres de Tom Wesselmann et consorts.

Cette nouvelle génération continue donc à travailler sur cette fusion obsessionnelle de l’art et de la réalité opérée par Wesselmann et ses complices d’il y a six décennies, fusion qui prolonge ainsi le récit légendaire du Pop, une sorte de Pop Forever comme le proclame avec jubilation le titre de l’exposition de la Fondation Louis Vuitton.

Un dernier clin d’œil, savoureux. À plusieurs reprises, les cartels se font l’écho d’une monographie de Tom Wesselmann

Still Life #57, Tom Wesselmann, 1969-70

Ice cream, Evelyne Axell, 1964

publiée en 1980 et rédigée par un certain Slim Stealingworth. Ce dernier écrit, au sujet des débuts de l’artiste : « Il ne connaissait rien de l’art et de artistes. Il avait une impulsion créative constante, mais elle n’avait pas de direction, et rien dans son expérience immédiate ne pouvait lui donner une forme artistique. » Ce jugement très sévère sur un très jeune artiste débutant aurait pu faire bondir Tom Wesselmann, lui qui était déjà une star du Pop Art au moment de la sortie de cette monographie. Il n’en fut cependant rien et pour une bonne raison : Slim Stealingworth n’était qu’un pseudo. Le vrai rédacteur était… Tom Wesselmann, himself ! L’esprit Pop, toujours… c

« Les œuvres de Wesselmann jouent avec une perception élargie à partir d’objets ou de matériaux ordinaires et des éléments “perturbateurs” souvent omniprésents. »

FONDATION LOUIS VUITTON POP FOREVER –TOM WESSELMANN

8 avenue du Mahatma Gandhi 75016 Paris

Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 11h à 20h

Accès Métro Lignes 1, station Les Sablons (950 m) Navette : Toutes les 20 minutes environ durant les horaires d’ouverture de la Fondation. La station de la navette se trouve à la sortie n° 2 de la station Charles de Gaulle Étoile, à la hauteur du 44 avenue de Friedland.

Jusqu’au 24 février 2025 www.fondationlouisvuitton.fr

MUSÉE MARMOTTAN MONET

Le trompe-l’œil : quand l’art illusionne…

Le discret Musée Marmottan-Monet, aux confins ouest de Paris, propose une exposition d’une folle originalité sur le trompe-l’œil du xviie siècle à nos jours. Plus de quatre-vingts œuvres, toutes plus surprenantes les unes que les autres, et provenant d’Europe et des États-Unis en ont rejoint d’autres faisant partie des collections permanentes du musée. Le tout forme un ensemble foisonnant. Une formidable découverte, assurément…

À gauche :

La déchirure, Henri Cadiou, 1981

À droite : Transcendance spaciale, Henri Cadiou, 1960

Le terme trompe-l’œil aurait été employé pour la première fois par Louis Léopold Boilly (1761-1845) en légende d’une œuvre exposée au Salon de 1800. Le terme fut adopté trente-cinq ans plus tard par l’Académie française. Bien qu’elle apparaisse donc officiellement au xixe siècle, l’origine du trompe-l’œil serait liée à un récit bien plus ancien, celui de Pline l’Ancien (23-79 apr. J.C.), qui rapporte dans son Histoire naturelle comment le peintre Zeuxis (464-398 av. J.C.), dans une compétition qui l’opposait au peintre Parrhasios (entre 460 av. J.-C. et 455-env. 380 av. J.-C.), avait représenté des raisins si parfaits que des oiseaux vinrent voleter autour…

Un parcours chronologique très complet

Passée cette nécessaire précision tout historique, on réalise qu’au cours des siècles, le trompe-l’œil s’est décliné à travers des médiums très variés et s’est en permanence révélé pluriel. Il a toujours joué avec le regard du spectateur et est vite parvenu à constituer un clin d’œil aux pièges que nous tendent nos propres perceptions. Si certains thèmes du trompe-l’œil sont connus – tels que les vanités, les trophées de chasse ou les porte-lettres… – d’autres aspects sont abordés dans cette remarquable exposition, comme les déclinaisons décoratives (mobilier, faïences...) ou encore la portée politique de ce genre pictural, de l’époque révolutionnaire jusqu’aux versions modernes et contemporaines.

Le tout se décline autour de plus de quatre-vingts œuvres significatives du xvie au xxie siècle provenant de collections particulières et publiques d’Europe et des États-Unis (National Gallery of Art de Washington, le musée d’art et d’histoire de Genève, le Museo dell’Opificio delle Pietre Dure de Florence, le château de Fontainebleau, le musée du Louvre, le musée de l’Armée, la Manufacture et musée nationaux de Sèvres, la Fondation Custodia, le Palais des Beaux-Arts de Lille, jusqu’au musée Unterlinden de Colmar qui a prêté une des œuvres les plus anciennes de l’exposition, une huile sur bois Armoire aux bouteilles et aux livres, datée de 1520-1530 et dont l’auteur n’a jamais pu être identifié.) Les neuf sections de l’exposition illustrent

ainsi, à travers un parcours chronologique, la pluralité des sensibilités et des représentations du trompe-l’œil tout comme son évolution au fil du temps.

La volonté de créer l’illusion

Bien avant l’entrée de l’exposition, on sait pertinemment que notre regard et notre perception vont être immanquablement manipulés par la kyrielle d’artistes qui, au fil des siècles, ont utilisé le trompe-l’œil. Pour autant, très souvent, on reste stupéfait devant les techniques utilisées et surtout leur résultat : il n’est pas abusif de parler d’hyperréalisme pour beaucoup de tableaux accrochés aux cimaises de l’exposition.

C’est au xviie siècle et plus particulièrement aux Pays-Bas qu’on a pu situer l’apogée des innombrables recherches menées par les artistes qui, avec des moyens purement techniques et plastiques, la peinture à l’huile, la perspective ou encore les effets de lumière ont ainsi pu ambitionner de rivaliser avec la réalité. Cornelis Norbert Gijsbrechts, peintre de la cour de Copenhague au service des rois Frédéric III puis Christian V, amateurs de cabinets de curiosité, a conçu pour eux des trompe-l’œil dont la virtuosité inégalée a alors élevé le trompe-l’œil, un genre dit mineur, à un niveau de perfection et d’ingéniosité sans précédent.

Un siècle plus tard, on pouvait parler d’une véritable peinture illusionniste, certains artistes mettant à profit leur maîtrise de cette technique pour faire ressortir les traits de leurs modèles comme ceux de Madame Chenard par Boilly ou copiant les œuvres de maîtres dont le Bénédicité de Chardin ce dont témoigne l’œuvre de Moulineuf ajoutant de manière habile la troisième dimension grâce au verre cassé feint. Durant ce même xviiie siècle, la volonté de créer l’illusion s’est étendue à la production de la céramique en trompe-l’œil au service d’objets utilitaires où il s’agissait davantage d’une évocation que d’une réelle duperie. Des thématiques nouvelles se sont ainsi multipliées au gré des nouvelles techniques apparaissant dont la porcelaine dure : soupières en forme de choux, de salades, de courges, assiettes garnies d’olives et autres fruits et légumes ou terrines de forme animalière décorant les tables d’apparat aux côtés de plats aux formes plus conventionnelles, source de confusion pour les convives.

Les trompe-l’œil contemporains

À partir du début des années 1910, Georges Braque et Pablo Picasso, posant la question du lien entre la peinture et le réel à travers un nouveau type de représentation, le cubisme, avaient innové en matière de composition en proposant une série de plans verticaux leur permet de jouer avec des jeux d’illusion. Plus tard, le monde de l’objet a lui aussi vu un nombre considérable de représentations où le trompe-l’œil a été roi. Mais ce sont encore les initiateurs puis les dignes descendants du mouvement italien Arte povera (lire notre reportage à la Bourse de Commerce, page 24) qui ont perpétué l’art de l’illusion : tableaux-miroirs (le reflet est directement inclus dans le tableau), moulages de personnages hyperréalistes, empreintes de corps dans la matière… Le trompe-l’œil, sans cesse renouvelé…

Cette exposition au Musée MarmottanMonet surprend à chaque pas. c

Nature morte aux bouteilles et aux livres, Anonyme, vers 1520–1530

MUSÉE MARMOTTAN-MONET LE TROMPE-L’ŒIL

2 rue Louis Boilly 75016 Paris

Accès Métro Ligne 9, station La Muette ou RER C, station Boulainvilliers

Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h

Nocturne le jeudi jusqu’à 21h Fermé le 25 décembre

Jusqu’au 2 mars 2025 www.marmottan.fr

Laurène Marx
Samuel Achache, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Eve Risser
Molière, David Bobée
Marion Duval

FONDATION BEYELER

Matisse. Invitation au voyage : la quête de la lumière…

Avec son inimitable sens du professionnalisme et la qualité depuis longtemps reconnue de ses accrochages, la Fondation Beyeler à Bâle présente la première rétrospective consacrée à Henri Matisse en Suisse et dans l’espace germanophone depuis près de deux décennies. Les habitués des grands musées parisiens caresseront une nouvelle fois des yeux des toiles habituellement accrochées aux cimaises de la capitale, mais découvriront aussi des merveilles rarement vues en Europe, en provenance de musées internationaux prestigieux et de nombreuses collections privées.

Henri Matisse (1869-1954) est l’un des peintres incontournables de l’art moderne et on peut affirmer sans crainte d’être démenti qu’il a influencé des générations d’artistes, de ses contemporains à nos jours, lui qui, faut-il le rappeler, fut refusé à l’admission à l’École des beaux-arts en 1892 (il y fut néanmoins admis trois ans plus tard).

Avec Pablo Picasso, Matisse occupait une place à part dans la collection personnelle d’Ernst Beyeler, disparu en 2010, longtemps marchand d’art établi à Bâle avant de créer sa Fondation éponyme. C’est sans doute ce lien particulier qui a inspiré Sam Keller, le directeur de la Fondation, au moment de programmer cette énième exposition de prestige à Bâle.

Une nouvelle

légèreté

On s’accorde généralement sur un aspect de l’œuvre de Matisse : sa permanente simplification des formes. Associé à la libération frénétique de la couleur, le peintre a redéfini la peinture et apporté à l’art comme une nouvelle légèreté. Cela vaut aussi pour ses légendaires papiers découpés, réalisés durant la décennie 1940 et

Jean-Luc Fournier © Succession H. Matisse / 2024, ProLitteris, Zurich/ Mitro Hood / Robert Bayer - Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMNGrand Palais / Philippe Migeat – Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas
Nu Bleu, 1952
L’Asie, 1946
« Le geste est ample, précis, harmonieux et sans le moindre à-coup, même lors de la découpe des plus petits détails. »

Intérieur, bocal de poisson rouge, 1914

jusqu’à sa mort en 1954. À ce sujet, ne manquez pas, vers la fin du parcours de l’exposition de la Fondation Beyeler, ce film rare, en noir et blanc malheureusement. On y voit Matisse, presque octogénaire, s’emparant d’un imposant ciseau de couturière pour découper les bandes de papier déjà gouaché de bleu qu’il collera ensuite sur le support final. Malgré l’âge avancé (et les affres d’une opération d’une tumeur à l’intestin dont il survécut quasi miraculeusement), le geste est ample, précis, harmonieux et sans le moindre à-coup, même lors de la découpe des plus petits détails. Un simple retour en arrière permet de contempler le résultat sur nombre d’œuvres dont le célébrissime Nu Bleu , terminé en 1952. Au-delà de l’originalité créatrice, on n’aura jamais mieux montré l’apport essentiel de la douce gestuelle du peintre. C’est très émouvant…

L’exposition aligne les chefs-d’œuvre

Ce sont donc soixante-douze œuvres majeures qui attendent les visiteurs de l’exposition bâloise. Les plus emblématiques sont bien sûr présentes, mais beaucoup d’autres ont été rarement exposées en Europe. Elles proviennent de musées et de collections particulières de premier plan, dont la Baltimore Museum of Art, le Centre Pompidou de Paris, le K20 de Düsseldorf, le Kimbel Art Museum de Fort Worth (Texas), le MoMA de New York, la National Gallery de Washington et le San Francisco Museum of Modern Art. La simple énumération de ces partenariats (on ne parle même pas des collectionneurs privés, eux aussi nombreux et qui, pour la plupart, ont souhaité rester anonymes) situe bien la place prépondérante occupée par la Fondation Beyeler parmi les lieux d’art européens et même mondiaux. Quand le téléphone sonne et que Sam Keller est au bout de la ligne, on discute volontiers de prêts et de visibilité des œuvres… Mesuret-on bien le privilège d’avoir près de chez soi une telle institution ?

L’exposition aligne donc ses chefs-d’œuvre : La desserte (1897), Luxe, calme et volupté (1904) – on y reviendra –

Avec Camille Cottin Katharina Volckmer Jonathan

Le Rendez-vous

11 – 22 mars 2025

© Estelle Hanania

La fenêtre ouverte, Collioure (1905), Le luxe (1907), Baigneuses à la tortue (1908), Poissons rouges et sculpture (1912), Figure décorative sur fond ornemental (1926), Grand nu couché ( Nu rose ) (1935), L’Asie (1946), Intérieur au rideau égyptien (1948) et le Nu Bleu dont on parle plus haut. Cette profusion de tableaux, de sculptures et de papiers découpés donne à voir l’évolution et la richesse de l’œuvre de Matisse.

La lumière idéale

Au départ de l’exposition, il y a L’invitation au voyage , le célèbre poème de Charles Baudelaire, auquel Henri Matisse s’est référé à maintes reprises. Et le visiteur aux yeux grand ouverts que nous sommes est invité lui aussi à voyager avec les œuvres ivres de couleurs du peintre.

À l’évidence, Matisse était habité par la quête de la lumière idéale et c’est cette quête qui le fit voyager quasiment jusqu’à son dernier souffle. Sans doute le petit enfant né dans les grisailles du nord de la France et qui avait grandi loin de ces bleus

ou de ces ocres si chaleureux avait-il eu très tôt besoin des bords de la Méditerranée (découverts lors d’un voyage à SaintTropez, à l’invitation de Paul Signac), puis de l’Italie, de l’Espagne, de l’Afrique du Nord avant de se lancer dans une traversée des États-Unis et d’un long séjour dans le Pacifique Sud… D’autres nombreux voyages l’ont aussi conduit en Europe, jusqu’en Russie. À chaque fois, à son retour, Matisse a incorporé à son travail les traditions picturales et les ambiances ainsi découvertes, des œuvres aux influences fauvistes de ses débuts jusqu’à ses fameux papiers découpés de sa toute fin de sa vie.

Le titre de l’exposition de la Fondation Beyeler, est souvent évoqué par le motif de la fenêtre ouverte, récurrent chez le peintre et qui constitue bien sûr l’idéale invitation au voyage. Un espace multimédia, spécialement conçu pour l’exposition, regroupe nombre de photos, films à ce sujet, complétés par des aperçus des divers ateliers occupés par l’artiste tout au long de sa vie et de son processus de création. c

Grand Nu couché (Nu rose), 1935

FONDATION BEYELER HENRI MATISSE

Baselstrasse 77, Riehen, Basel

Accès : Gare SBB puis

Tram Ligne 6, station Fondation Beyeler

Ouvert tous les jours de 10h à 18h, le mercredi jusqu’à 20h

Jusqu’au 26 janvier 2025 www.fondationbeyeler.ch

Le

Expos (sans) TGV, à Strasbourg !

Série Grand Nord

c DOSSIER — EXPOSITION

Jean-Luc Fournier © Frantisek Zvardon / La Nuée Bleue, 2024 – DR

ESPACE APOLLONIA – STRASBOURG

* Titre utilisé par Bernard Reumaux dans le dossier de presse de l’exposition, avec l’autorisation des Éditions La Nuée Bleue.

Jusqu’au 2 février prochain, ce sont 95 photographies de František Zvardon qui sont exposées à l’Espace Apollonia, à l’entrée du quartier de La Robertsau à Strasbourg. Parallèlement, les Éditions La Nuée Bleue ont présenté L’Alsace et au-delà – un voyage entre rêve et réalité, le dernier livre du photographe qui nous a quittés le 14 novembre dernier.

Ce ne sont que quelques lignes tout à la fin d’une interview de František Zvardon parue dans le journal de l’exposition qui lui est consacrée à l’Espace Apollonia. Le photographe répond à une question posée par Dimitri Konstantinidis, le commissaire de l’exposition (et directeur de l’association Apollonia) : « Cela fait maintenant un an que je me bats contre la maladie. Depuis, mes jours sont comptés. La vie a une fin, et je l’ai accepté. J’ai essayé, avec des capacités très limitées, de me plonger dans le travail que j’ai commencé il y a quelques années sur le Nord, que j’appelle Artic Ways. Quand Apollonia a accepté une exposition, le projet a été pour moi source de bonheur et d’espérance face à mon état actuel et l’incertitude de pouvoir préparer un tel projet. Ce sera une dernière signature ? Le temps nous le montrera… »

C’est donc avec un énorme pincement au cœur que les premiers visiteurs de l’exposition ont pu contempler les photos d’un des plus célèbres photographes d’Alsace, la grave maladie dont souffre František n’étant alors connue que par le premier cercle de sa famille et de quelques amis très proches. Lors du vernissage de l’exposition le vendredi 8 novembre dernier, aucun des discours des intervenants n’a éludé, néanmoins avec tact et respect, les grandes inquiétudes quant à l’état de santé du photographe…

Certains de ses amis parmi les plus proches laissaient même entendre que František avait tout fait pour s’accrocher

à la vie jusqu’au vernissage de son exposition correspondant également à la date de parution de son dernier livre. Sentiments prémonitoires puisque le photographe s’est éteint quelques jours ensuite, le mercredi 13 novembre dernier.

Toute une vie

Quatre décennies déjà que František Zvardon parcourait inlassablement non seulement les chemins alsaciens, mais ceux du monde, également. Formé à la grande École Vytvarné Fotografie de Brno (en Tchécoslovaquie, son pays natal, devenu aujourd’hui la République tchèque), puis à l’École de philosophie

« Le projet a été pour moi source de bonheur et d’espérance face à mon état actuel et l’incertitude de pouvoir préparer un tel projet. »
František Zvardon
Série Grand Nord

de Prague, il s’était établi à Strasbourg où il avait pris le statut de photographe-auteur en même temps qu’il demandait l’asile politique en 1987. Son travail a très vite été remarqué par de nombreux éditeurs (dont la fine fleur de l’édition régionale, La Nuée Bleue, les Éditions du Signe, Le Verger éditeur…) et son premier ouvrage publié date du début des années 1990. Ses photos se retrouvent à ce jour dans plus de quarante ouvrages signés de son nom personnel et dans une foultitude d’autres parutions et campagnes publicitaires…

L’expo d’Apollonia propose donc près d’une centaine d’images de grands formats, des tirages sublimés par le léger satinage du papier utilisé et représentant parfaitement le travail du photographe : le travail emblématique de toute une vie,

en fait. Ces images, exclusivement en noir et blanc, ont été choisies afin de focaliser l’attention sur l’homme et sur la nature, les deux thématiques qui ont depuis toujours passionné Frantisek Zvardon.

Ainsi, notamment, on voyage parmi les sublimes paysages captés dans le Grand Nord, un des terrains de chasse photographique préférés de Zvardon. Quand on connaît les conditions climatiques extrêmes qui règnent au-delà du cercle polaire, on devine sans peine toute l’abnégation et le professionnalisme qui ont présidé à ces prises de vue : l’attente de la lumière parfaite malgré un temps qui change sans cesse et à une vitesse déroutante… C’est du très grand et très beau travail, assurément, et il en est de même avec les sublimes portraits ramenés d’Afrique…

Un

livre d’une folle originalité

Concomitamment au vernissage de l’exposition, les Éditions La Nuée Bleue ont donc présenté ce qui restera le dernier livre de František Zvardon, Au-delà de l’Alsace. Un voyage entre rêve et réalité. En 4e de couverture, le photographe décrit lui-même son projet : « J’ai fait des milliers de photos de l’Alsace. J’en ai choisi une centaine et les ai transformées en les retravaillant avec l’intelligence artificielle, pour les rendre fidèles aux images que j’ai en tête. Pour qu’elles ressemblent à mon rêve. »

Ainsi, nous sommes emmenés dans une Alsace étrange et sublimée, pleine de châteaux bâtis sur des rochers vertigineux, de forêts mystérieuses, de rivières tonitruantes et de paysages d’un romantisme souvent bouleversant. Une très belle préface, signée Bernard Reumaux qui, quand il était journaliste puis éditeur, a si souvent collaboré avec František Zvardon… c

L’EXPOSITION

ESPACE APOLLONIA FRANTIŠEK ZVARDON

23 rue Boecklin, La Robertsau

Accès : tram E, arrêt Robertsau Boecklin ; Lignes de bus : 72 et L6, arrêt Boecklin

Ouvert du mardi au dimanche de 14h à 18h et aux heures d’ouverture du B’Art Garden Fermeture d’hiver : du 21 décembre 2024 au 5 janvier 2025 Entrée libre

www.apollonia-art-exchanges.com

LE LIVRE

AU-DELÀ DE L’ALSACE, UN VOYAGE ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ

Éditions de la Nuée Bleue, 28€

Série Surma

Réception pour un anniversaire, une communion, une occasion particulière ou un mariage...

Chez Soi est une entreprise familiale, à la cuisine authentique, généreuse et gourmande, à base de produits frais, locaux et de saison. Nos équipes sont passionnées, qu’il s’agisse de plats traditionnels du terroir alsacien ou de mets délicats, élaborés et inventifs.

Inauguration, lancement de produit, séminaire, congrès, assemblée générale ou repas d’affaires…

ILLUSTRATION ENFANTIMAGES !

L’illustration du livre pour enfants est à la fête à Strasbourg ! 180 merveilles sous nos yeux enchantés sous l’intitulé : Enfantillages, l’Alsace et les prémices de l’illustration jeunesse, XIXe-XXe siècles.

Charles-Émile Matthis (graveur), Zoé la vaniteuse. Ensemble de huit épreuves d’état, 1868, 19 x 15 cm, Strasbourg.

Henry Morin (illustrateur), Germain le Hautain. Dessin original, 1925, 37 x 33 cm, Strasbourg.

a commence bien ! La petite fille de l’affiche avance d’un pas décidé, la tête haute, un poil insolente et l’air quelque peu énervé ! Libre, quoi ! Donc ici, pas d’enfantssages ici, vous êtes prévenus ! Ils gambadent et font mille facéties !

ÇEt en effet tout commence à la Galerie Heitz et se poursuit au Musée Ungerer. La riche tradition alsacienne de l’illustration du livre pour enfants est mise à l’honneur. Cette tradition naît au début du XVIIIe avec notre légendaire Struwwellpeter (quelle orthographe !). On connaît bien sûr ensuite Gustave Doré et ses impressionnantes, terrifiantes illustrations des contes de Perrault entre autres, Jules Hetzel pour celles de Jules Verne, jusqu’à nos jours avec Claude Lapointe en passant par Hansi. À partir de 1835 l’imagerie de Wissembourg poursuivra sa propre voie, vive, colorée engagée, pour Rintintin

Raymond de la Nézière (illustrateur), Les fables de La Fontaine. Le chat et le vieux rat, tirés à part, Tours, Mame, sd. 1930, 30 x 25 cm, Strasbourg.

et Nénette. L’illustration prenant de plus en plus de place dans le livre de jeunesse, c’est la période dorée des auteurs cités, mais aussi d’autres comme Charles Émile Mathis, Frédéric Lix, Théophile Schuler, ou Gustave Jundt. Nos contrées alsaciennes étant riches de légendes, celles-ci sont de vraies machines à rêves pour les illustrateurs, mais toute la région rhénane de part et d’autre du Vater Rhein trouve également sa place et prouve son importance dans une tradition alémanique venue des contes. Merveilleuses vignettes de Léo Schnug à partir des frères Grimm !

Et bien évidemment les guerres serviront de champs de bataille à leur façon, prônant le patriotisme, la haine en de l’ennemi et la forme d’affirmation de l’identité alsacienne. 180 illustrations et livres carnets, esquisses, petites et émouvantes silhouettes découpées en noir et blanc dites Scherenschmitt,

découpages, premiers pop-up, livres de sciences, imagiers et abécédaires adorables… Bien d’autres illustrateurs et illustratrices comme la délicieuse Jacqueline Verly sont exposés.

Il est très intéressant de voir l’évolution de l’illustration enfantine, dite Enfantina. De nos jours, peu de détails des dessins, plus grands, plus symboliques, au trait plus affirmé, aux couleurs très vives, avec assez peu de textes, sauf pour les plus grands. Mais au XIXe siècle, le dessin, minutieux, détaillé, était-il vraiment pour enfants ? Rien de moins sûr. Faisaient-elles moins rêver ? Certainement non. « Le support de l’époque, sur lithographie, peu onéreuse, permet aussi une plus grande diffusion », explique Florian Siffer, un des deux commissaires.

L’exposition au Musée Ungerer est sur la vision des choses par le grand illustra-

« CE

N’ÉTAIT PAS MIEUX AVANT, MAIS L’IMPRESSION

EST DOUCE D’AVOIR

ÉTÉ DANS UN COCON, D’AVOIR SAUTÉ À NOUVEAU

DANS LES FLAQUES. »

teur alsacien. Prenant les enfants très au sérieux tout en se mettant à la place de leurs regards, de leurs univers, de leurs perceptions, de leurs sensibilités, toutes et tous multiples. Il développe un monde à part qui ne tient pas compte de la pédagogie classique. L’intitulé est clair : « Pas de livres pour enfants » ! Il s’agit du mot d’ordre de l’époque et de la grande période des années 60 et 70, où les thèmes plus intérieurs de la vie secrète des enfants peuvent trouver un écho en eux. De nombreux illustrateurs alsaciens et internationaux interviennent dans cette exposition. Et on compte sur l’impertinence du grand Tomi pour faire le nécessaire !

De nombreux visages adultes se plongent vers les illustrations exposées. Que revivent-ils ? À quoi rêvent-ils ?

A-t-on lu des livres avec eux le soir, couchés sur leur lit, pelotonnés dans des bras aimants ? Ont-ils appris plus tard, dévoreurs de contes, d’aventures, de rêves ? Les regards se perdent, l’enfance affleure sur des visages parfois âgés, l’enchantement sur celui des enfants (c’est plus joli que les nouveaux Disney, il faut quand même le dire). Ce n’était pas mieux avant, mais l’impression est douce d’avoir été dans un cocon, d’avoir sauté à nouveau dans les flaques et « donné des coups d’œil pour de faux » – comme chantait Renaud dans Mistral gagnant, la chanson qui fait pleurer à coup sûr – fait des bêtises et marché le nez en l’air. On ressort à la fois nostalgique et joyeux de cette très jolie exposition. Dehors, une petite fille saute dans les flaques. a

Dorette Muller (illustratrice) Hansel et Gretel, Mulhouse, Éditions Lucos, sd., ca 1938, 25,7 x 20 cm, Strasbourg, collection particulière.

Enfantillages à la Galerie Heitz, 2 place du Château, Strasbourg, jusqu’au 17 février 2025, exposition placée sous le Commissariat de Florian Siffer et Christine Esch, respectivement responsable du Cabinet des Estampes et des Dessins et responsable de la Bibliothèque Alsatique du Crédit Mutuel.

Pas de livres pour enfants. Enfantillages chapitre 2 au Musée Ungerer, Centre international de l’Illustration, jusqu’au 2 mars 2025, sous le Commissariat d’Anna Sailer, conservatrice du Musée Ungerer.

Ces deux expositions sont placées dans le cadre de la programmation de Strasbourg, Capitale mondiale du Livre Unesco 2024 (jusqu’en avril 2025).

Mission OPC pour « L’Alcazar », Saint-Louis. Sodico Immobilier. Espace Européen de l’entreprise - Bâtiment MIKADO - Schiltigheim

Véronique Leblanc Service presse Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg

UNE PREMIÈRE EN FRANCE LE MAMCS DONNE

LE MODE D’EMPLOI DES ŒUVRES À PROTOCOLE

Erwin Wurm, One Minute

Sculpture : Untitled (Double), 2002

Piedestal, pull-over, instructions dessinées, collection Musée d’art contemporain, Marseille.

Enfilez à deux le pull d’Erwin Wurm et transformez-vous en une sculpture unique, observez se craqueler en fissures aléatoires la terre de la Vallée de la Mort ramenée par Alice Aycock, regardez se faner les Flowers for Africa de l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga et pensez au temps passé depuis les indépendances africaines, aux espoirs déçus et à la persistance de la mémoire réactivée à chaque fois que l’on recompose les bouquets conçus lors des moments officiels qui ont ponctué ces événements.

Bref, faites fi de l’image de l’artiste romantique à l’inspiration irrépressible et lancez-vous dans la très originale exposition qui se tient jusqu’au premier juin au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg.

Marianne Mispelaëre

Bibliothèque des silences, 2017, fusain et gomme mie de pain, collection FRAC Occitanie, Montpellier.

CONCEVOIR, DÉLÉGUER, INTERAGIR, INTERPRÉTER, ACTIVER, LAISSER FAIRE.

YOKO ONO, DANIEL BUREN, SOL LEWITT, VERA MOLNÁR ET BIEN

DES PROTOCOLES HYPER PRÉCIS

C’est le cas de la Bibliothèque des silences conçue par Marianne Mispelaëre, une artiste passée par Strasbourg et la Haute École des Arts du Rhin.

Le protocole en est très précis tant dans la dimension de l’espace, clos à 80 % et où se déploie la liste des centaines de langues disparues depuis 1988, année de naissance de l’artiste.

Écrits en français et en anglais dans une typographie précise – la Minion Pro Regular –, les noms de ces langues ont été retranscrits à la main et au fusain par trois personnes au moins et seront effacés les uns après les autres durant une performance menée par des intervenants nés eux aussi en 1988.

Entamée en 2017, cette œuvre à protocole prendra fin avec la disparition de l’artiste et existera alors sous sa dernière actualisation.

UN NOUVEAU RAPPORT AUX ŒUVRES

Ainsi en va-t-il dans l’exposition, des œuvres peuvent apparaître, disparaître, être touchées voire emportées.

Toutes ont été fabriquées à partir du mode d’emploi rédigé par l’artiste à l’image du Jeux d’échec pour jouer à la paix conçu par Yoko Ono ou du Papier peint de Daniel Buren de couleur obligatoirement différente à chaque présentation.

Les contraintes ne s’arrêtent pas avec le vernissage comme en témoigne l’arrosage de la flaque d’eau façonnée par l’artiste alsacienne Capucine Vandebrouck captivée par la fugacité et l’éphémère.

Sans intervention régulière, cette eau sculptée s’évaporerait…

mode d’emploi, suivre les instructions de l’artiste au MAMCS jusqu’au 1er juin 2025

Intitulée mode d’emploi, celle-ci présente, pour la première fois en France, les œuvres à protocole des années 1960 à aujourd’hui. Près de 50 propositions d’une quarantaine d’artistes dont Yoko Ono, Daniel Buren, Sol LeWitt, Vera Molnár et bien d’autres y sont présentées. Remettant en cause la notion d’auteur, d’originalité ou encore de pérennité, ces œuvres reprennent la notion de protocole scientifique pour l’appliquer à l’art. En clair, l’artiste élabore des consignes et invite une équipe, ou le public, à les réaliser, dissociant ainsi l’idée de la fabrication.

Concevoir, déléguer, interagir, interpréter, activer, laisser faire etc., le parcours se décline selon des verbes qui sont autant de chapitres permettant aussi d’appréhender l’histoire des œuvres à protocole que ce soit dans les arts plastiques, la musique ou le design.

De l’ Art by Telephone… Recalled , exposition conçue en 1969 par le directeur du Contemporary Art de Chicago qui a recueilli au bout du fil les instructions des artistes, à l’introduction plus récente des éléments naturels en passant par l’intervention de l’ordinateur mise en œuvre, notamment, par Sol LeWitt et l’immense Vera Molnár. a

UN LEADER de l’enveloppe du bâtiment

Aujourd’hui réunis, wienerberger et Terreal en France conjuguent expertise, expérience et innovation pour vous offrir le meilleur de l’enveloppe du bâtiment. Notre capacité industrielle alliant savoir-faire ancestral et avancée technique nous permet de vous proposer des solutions adaptées à l’ensemble des besoins du marché.

Forts de ce rapprochement et animés par la passion et la créativité, nous proposons des solutions innovantes et durables au travers de nos quatre activités : toiture, solaire, structure, façade et décoration.

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Julien Batard
Métamorphe, spectacle de Diffuse à Valentigney.

DIFFUSE POUR L’AMOUR DU CIEL

En seulement deux ans d’existence, l’entreprise alsacienne de spectacles de drones lumineux Diffuse s’est solidement installée dans le paysage, en proposant des shows révolutionnaires qui mêlent tous les arts et toutes les techniques.

C’ est l’histoire de deux gamins, dingues de feux d’artifice, et qui, à des centaines de kilomètres de distance, se rencontrent sur la Toile au travers d’une communauté de jeunes Youtubeurs passionnés par la pyrotechnie. Léo et Vincent ont à peine 12 ou 13 ans et partagent sans relâche leurs vidéos de simulation, réalisées sur ordinateur à partir de logiciels dédiés.

UN PARCOURS SIMILAIRE

Dans sa bourgade vendéenne de Moutiers-les-Mauxfaits, où il utilise en cachette l’ordinateur de la mairie pour publier ses créations, Léo n’a qu’une idée en tête : faire de la pyrotechnie son métier. Il entre presque de force dans un lycée agricole et, dès que l’occasion se présente, prend son vélo pour partir à la rencontre des artificiers qui installent ici ou là leurs feux. « C’est comme ça que je suis passé de l’autre côté de la barrière », explique-t-il. Léo apprend le métier sur le tas et crée à 18 ans sa propre microsociété pyrotechnique. Il n’aura pas le temps de la développer : une société drômoise l’embauche presque aussitôt comme chef de projet et l’envoie pendant quatre ans faire exploser la poudre en Espagne, à Nice, Courchevel et Monaco.

Le parcours de Vincent est gémellaire à celui de Léo. Destiné au métier de cuisinier, le jeune Haguenovien s’émerveille devant la mise en scène des « pyroconcerts » de Jean-Éric Ougier alors qu’il est en stage d’hôtellerie à Talloires, en Haute-Savoie. Il intègre alors par la petite porte une société d’événements pyrotechniques, à Thionville. Il y restera finalement cinq ans, en apprenant toutes les bases du métier, puis en concevant de A à Z des feux qui éclatent à Strasbourg, Metz, Besançon ou Bruxelles.

UNE RÉCOMPENSE

QUI CHANGE TOUT

L’année 2021 marque un tournant dans l’aventure des deux passionnés. Vincent se forme en autodidacte à Blender, un puissant logiciel de modélisation et d’animation 3D. « La première fois que je l’ai ouvert, et devant sa complexité, je l’ai tout de suite fermé », sourit-il. Mais l’Alsacien est du genre tenace. Pendant cinq mois, il se fait des nœuds dans le cerveau pour en maîtriser les moindres détails, puis présente le spectacle de drones qu’il a conçu en 3D à l’International Drone Show Competition. Face à 140 autres concurrents, il rafle en décembre le prix spécial du jury, notamment grâce à sa synchronisation musicale qui révolutionne le genre.

Vincent Bauer à gauche et Léo Dolignon
Olivier Métral DR – Olivier Métral

Pour Vincent, c’est le moment de se lancer sur cette nouvelle voie, celle des spectacles de drones lumineux, d’autant que le monde de la pyrotechnie l’épuise avec près de 300 feux tirés à l’année et une évolution technique qui prend de plus en plus le pas sur la création artistique. Il enjoint Léo de l’accompagner sur ce projet. D’abord réticent, il finit par plier. « Quand Vincent m’a montré toute l’étendue des possibilités en 3D, j’ai rapidement changé d’avis ».

UN LANCEMENT RETENTISSANT

Leur société Diffuse est créée en octobre 2022. Les deux compères s’installent dans un algéco de chantier à Goxwiller et Vincent candidate à nouveau au concours de l’International Drone Show, avec une nouvelle création portée par la musique originale de Titouan Malivoir. Bingo ! C’est cette fois le premier prix que décroche Vincent, sous la bannière cette fois de leur nouvelle entreprise. « Deux mois après notre lancement, on se retrouvait avec une référence internationale sans même avoir fait voler un seul drone », s’étonne encore Léo.

Ce dernier prend les commandes du secteur technique avec toutes les complications que le vol de drone implique, alors que Vincent se concentre sur la partie artistique. En deux ans à peine, leur succès est phénoménal. On a vu leurs drones parader dans le ciel des festivals Vents d’Est et Décibulles, reproduire les arabesques de La Nuit étoilée de

Van Gogh ou encore illuminer la nuit strasbourgeoise à l’occasion d’Octobre Rose. Au total, une dizaine de spectacles à leur actif et ne parle-t-on pas ici de tous ceux que des sociétés, au Maroc, au Canada ou en Espagne, leur sous-traitent.

Mais pas question pour Léo et Vincent d’opposer feux d’artifice et spectacles de drones. « Les seconds n’évacueront pas les premiers », prévient Léo. « Au contraire, ils sont complémentaires et notre travail s’inscrit dans une démarche de spectacle total où peuvent s’entrecroiser jeux de lumière, effets sonores, tableaux pyrotechniques et show aquatique », insiste Vincent. « Il s’agit pour nous de repousser les limites de l’imaginaire et de transmettre de l’émotion. Le drone n’est qu’un des moyens techniques pour y parvenir ». a

©
Frédéric Lepla
© Nicolas Guilitte
Songe d’été, spectacle de Diffuse en partenariat avec Aquatique Show lors du festival Vents d’Est.
La Nuit étoilée, spectacle de Diffuse pour Drotek.

JÉRÉMY GONÇALVES

Jeune photographe français, Jérémy Gonçalves se passionne dès les premiers pas pour les mammifères marins. Cet univers mystérieux, qui pourrait effrayer les tout-petits, lui, l’émerveille. À travers les films Orca ou bien Moby Dick, les orques retiennent son attention et font naître sa passion. L’enfance rythmée par un imaginaire sous-marin qu’il s’attèle très souvent à dessiner prend un autre tournant lorsque l’appareil photo remplace les feutres.

En 2020, Jérémy Gonçalves décide de partir afin de s’immerger dans le milieu de grands animaux marins. La Réunion, la Norvège ou l’île Maurice provoquent une myriade de photographies et autant de découvertes. Selon les destinations, il se consacre tantôt aux orques, tantôt aux baleines à bosse, aux cachalots. En plongeant dans leur environnement naturel, il ne fait pas que les observer, mais documente leurs mouvements et leurs modes de vie à travers ses prises de vues.

Par Lisa Christ

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Alain Leroy Musée départemental Albert Kahn

LE JOUR OÙ… ALBERT KAHN A ARCHIVÉ LE MONDE

Né à Marmoutier dans la deuxième partie du XIXe siècle et exilé en « France de l’intérieure » après l’annexion allemande, Albert Kahn a bâti une immense fortune qu’il a quasi entièrement consacré à archiver le monde qui était alors le sien, dépêchant cameramen et photographes partout sur la planète. Un legs pour l’humanité.

Chaque époque a les milliardaires qu’elle mérite. La nôtre par exemple a vu fleurir les Tycoon obsédés par le culte du pouvoir et de l’argent, qui rêvent de conquérir la lune, d’envoyer à la MaisonBlanche un de leurs atrabilaires coreligionnaires ou de s’accaparer les richesses du globe à leur seul profit. On ne dit pas que certains d’entre eux ne se soucient pas de la santé du monde, mais enfin, il semble que comme les poissons volants, ils ne constituent pas la majorité du genre.

Celle d’Albert Kahn n’était peut-être pas mieux lotie, mais les Rockfeller, Carnegie, J-P. Morgan, pour ne parler que des plus célèbres d’entre eux, avaient compris que leur immense fortune ne s’était pas faite toute seule, que pour ça il avait fallu utiliser la force de travail d’hommes et de femmes et que cette force de travail devait être préservée. Une sorte de deal gagnant-gagnant au cœur d’une Révolution industrielle qui allait faire exploser le nombre de milliardaires un peu partout dans les grandes nations occidentales.

Abraham Kahn était d’une autre espèce. D’abord, même s’il n’est pas né pauvre, il n’est pas né riche. Son père est

marchand de bestiaux à Marmoutier où existe une forte communauté juive qui a aussi fait l’histoire de l’Alsace. La guerre de 1870 est un tournant pour la région qui se retrouve annexée et pour lui qui, à l’âge de 16 ans, décide de franchir cette nouvelle frontière. Nous sommes en 1876, le monde est vaste, immense et Abraham qui se fait désormais appeler Albert a des envies de femme enceinte.

Le récit de la première partie de son existence est celle d’un Rastignac. Le voilà à Paris, sans beaucoup de sous, mais à Paris. Puisqu’il faut survivre avant de vivre, il trouve un emploi dans un magasin de confection de vêtements rue du Faubourg Montmartre. Quelques mois seulement. Le temps de prendre la mesure de ce monde nouveau qui autorise toutes les audaces. Il est désormais commis à la banque des frères Goudchaux, qui sont des cousins lorrains éloignés. Commis, ce n’est pas grand-chose, mais il a mis un pied dans la porte, il ne la laissera pas se refermer.

On l’imagine débrouillard, il est intelligent, brillant et ça se voit. Et puis, il en veut, il a envie d’avaler le monde. Alors, il

grimpe tous les échelons, un à un d’abord et puis quatre à quatre, on ne l’arrête plus. Le voici fondé de pouvoir, bientôt (en 1891) associé, déjà riche : il a deviné avant tout le monde le potentiel énorme des mines d’or et de diamants d’Afrique du Sud et a investi ce qu’il avait et ce qu’avaient les autres dans ces contrées lointaines. En 1898, il fonde sa propre banque au 102 rue Richelieu. Il a 38 ans, il est richissime et chaque jour accroît sa fortune, ce qui ne lui suffit déjà plus.

Albert Kahn est un aventurier, il n’en a jamais assez et on ne parle pas d’argent, ça, c’est bon, il en a pour des générations. Non, il veut vivre, exister et l’argent justement n’est pas un but, c’est un moyen. N’écrit-il pas à son ami Henri Bergson, en 1887, alors qu’il est en pleine ascension professionnelle, que réussir dans les affaires « n’est pas son idéal » ? Cet idéal, il le trouvera en parcourant le monde. Ses voyages au Proche et MoyenOrient, au Japon, en Amérique du Nord et de Sud font jaillir de lui l’humaniste qui ne sommeillait que d’un œil. Il rêve de rapprocher les peuples, soûle avec ça ses relations dans les salons où l’on

parle, créé des fondations, une dizaine, qui ont pour objet la fraternité universelle et encourage ses amis fortunés à faire de même. Surtout, il est conscient que le monde qu’il voit est un monde en voie de disparition, que bientôt il s’éteindra parce que l’époque est en train de changer et qu’il faut garder une trace de tout ça. Il écrit ainsi : « Il faut fixer, une fois pour toutes, des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps. »

En 1898, Albert Kahn ouvre au sein de l’Université de Paris les Bourses de voyages autour du monde, concours qui permet aux lauréats, qui sont de jeunes agrégés, de réaliser un voyage de quinze mois dans un pays étranger afin qu’ils y prennent « réellement contact avec la vie ». Un programme Erasmus avant l’heure. En 1905, ces bourses s’adressent aussi aux femmes agrégées et, l’année d’après, il crée la Société autour du monde pour favoriser les échanges entre les anciens boursiers et l’élite internationale. En 1909, il lance enfin son grand œuvre : Les Archives de la Planète. Un

Albert Kahn posant au balcon de sa banque au 102 rue de Richelieu à Paris en 1914 devant l’objectif de Georges Chevalier, il a alors 54 ans.

inventaire visuel et documentaire d’une ampleur inouïe, jamais vue.

Pendant plus de deux décennies, photographes, reporters d’images et scientifiques vont partir aux quatre coins du globe pour fixer sur la pellicule ou graver sur des plaques de verre des vies et des modes de vie. Ils sont au couronnement de l’empereur d’Éthiopie, aux confins de la Chine où les prisonniers portent au cou des chaines massives comme des ancres de bateaux, dans les Balkans, auprès des cow-boys en Argentine, en Égypte, en Scandinavie, en Grèce, en Arabie, ils sont partout on vous dit. En Alsace aussi où Albert Kahn, qui n’a jamais oublié sa région natale, envoie plusieurs missions, car ce monde-là aussi est en voie de disparition, la première dans le Haut-Rhin en 1917, alors que la guerre fait encore rage. Car la première chose que rencontrent ces archivistes du vivant, c’est la guerre, les ruines, les vies brisées. Il faut consigner

ça aussi malgré la douleur. Pour que rien ne soit oublié, pour la mémoire du monde. Vingt ans durant donc, il financera ces expéditions uniques dans l’histoire. Jusqu’à ce que le monde de la finance s’écroule. Nous sommes le 24 octobre 1929, la bourse de New York explose et Albert Kahn, qui bien que philanthrope n’en reste pas moins banquier, est ruiné du jour au lendemain. Tout s’arrête. Sa magnifique propriété de BoulogneBillancourt – qui abrite aujourd’hui un fabuleux musée de 70 000 plaques autochromes et 183 000 mètres de films que chacun peut consulter – est vendue puis récupérée, une partie du jardin aussi avec ses plantes apportées du monde entier est sauvée in extremis et Albert Kahn peut y finir ses jours et rêver en regardant les étoiles. Il s’y éteindra le 14 novembre 1940 au moment même où démarrait l’une de ces guerres qu’il avait passé sa vie à essayer d’éloigner. a

« VINGT ANS DURANT

DONC, IL FINANCERA CES EXPÉDITIONS UNIQUES DANS L’HISTOIRE. »

Dans le cadre de la programmation de l’année Strasbourg capitale mondiale du livre de l’UNESCO « Lire notre monde », la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg propose, jusqu’au 26 janvier, un voyage à travers les Archives de la Planète d’Albert Kahn.

Mademoiselle Hincky, la fille du maire de Masevaux en 1918. Photo Georges Chevalier.
Un prisonnier au carcan à Oulan-Bator en Mongolie, en 1913. Photo Stéphane Passet.

GEWÜZRTRAMINER ?

GEWRUZTARMIREN ?

GREWUZTARMINER ?

GEWURZTRAMINER ! L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC

BREf, GEWURZ

Le vignoble alsacien a développé au fil des siècles la culture de cépages très aromatiques se forgeant ainsi sa propre identité. Fruité et généreux, le Gewurztraminer est certainement l’un des plus emblématiques.

LE DESTIN HORS NORMES DE LOUIS HENRI BOJANUS

Enfant d’Alsace et savant de Vilnius, Louis Henri Bojanus est au cœur d’un documentaire accessible en un clic.

Àl’heure où la Lituanie vient de clore sa présidence du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, revenons sur une étonnante figure alsacienne, le savant naturaliste Louis Henri Bojanus, brillant chercheur à l’université de Vilnius, mais né à Bouxwiller, en 1776. Pour Philippe Edel, président de la Fondation France-Lituanie, Bojanus est « particulièrement emblématique » de la relation entre ces deux pays et « préfigure, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, la collaboration européenne ».

De gauche à droite : Ruta Kneitzeviciute, Philippe Edel et Jolita Silanskiene.

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Lien vers le documentaire

Louis Henri Bojanus (1776-1827. De Bouxwiller à Vilnius, de la tortue au bison, du scientifique à l’artiste. Gratuit sur YouTube.

Artisan de la redécouverte de ce scientifique, le Strasbourgeois lui a consacré un Portrait célèbre d’Alsace aux éditions Vent d’Est, avant de présider à la réalisation d’un documentaire désormais disponible sur YouTube.

UN VÉTÉRINAIRE PIONNIER

Intitulé Bojanus, de Bouxwiller à Vilnius, de la tortue au bison, du scientifique à l’artiste, ce film raconte le destin hors normes d’un Alsacien passionné dès l’enfance par les fossiles vieux de 50 millions d’années qui affleurent dans la région de Bouxwiller, féru de dessin et forcé avec sa famille de s’exiler à Darmstadt après la Révolution française. C’est là qu’il étudiera avant d’obtenir une bourse pour se former à la médecine à l’université d’Iéna. Suivra un tour des écoles vétérinaires d’Europe, la publication d’un ouvrage sur leur organisation et l’entrée à l’université de Vilnius en plein apogée. Son expertise vétérinaire s’y déploiera dans l’étude des pandémies animales favorisées par les déplacements de chevaux et bovins lors des guerres et son érudition se concrétisera dans plusieurs publications.

NATURALISTE

ET HOMME DE CONVICTION

Une soixantaine d’éditions originales de celle qu’il a consacrée aux cistudes d’Europe sont conservées en Amérique et en Europe, l’une d’entre elles peut encore être consultée au Studium de Strasbourg. Documentées par la dissection de quelque 500 tortues, les planches qui l’illustrent révèlent l’immense talent de dessinateur de Bojanus. Une autre somme résout un des plus importants débats scientifiques de l’époque en distinguant aurochs et bisons des steppes comme deux espèces différentes. Pour le documentaire, Philippe Edel a travaillé avec Ruta Kneitzeviciute et

Jolita Silanskiene par ailleurs présidente de l’Union des Lituaniens de Strasbourg. « Dégoûté de la politique après avoir vécu la Terreur en France, Bojanus est resté très loyal à son université, relève Jolinta, mais il a refusé d’en être nommé recteur par un régime tsariste de plus en plus réactionnaire et il s’est battu avec succès pour des étudiants menacés d’être incorporés 25 ans dans l’armée ». Une résistance face à la brutalité politique qui, hélas, fait de plus en plus écho aujourd’hui. a

Louis Henri Bogdanus, gravure post-mortem de Maciej Przybylski, 1835.

HAPPY APOCALYPSE UNE CATHARSIS

TRÈS ÉNERGIQUE DE NOS PEURS

Tout change, tout tangue, tout inquiète. Que deviennent nos idéaux à l’heure du transhumanisme, de la course au progrès technologique, du réchauffement climatique etc. ? Avons-nous encore le droit à la fragilité ?

Nul ne sait de quoi l’avenir sera fait et le spectacle Happy Apocalypse programmé le 7 février au Point d’eau d’Ostwald ne prétend pas donner de mode d’emploi.

« Il y a une voie à trouver, ce n’est pas à nous – artistes – de la définir, mais nous pouvons dire qu’il faut chercher », précise Jean-Christophe Dollé, auteur du texte de cette dystopie théâtrale.

« Il s’agit d’un conte aux allures scientifiques », ajoute Clotilde Morgiève qui en signe la mise en scène avec Jean-Christophe.

UNE HUMANITÉ EN MUTATION

Rencontrés en septembre, durant une semaine de résidence pré-création au Point d’eau, Clotilde et Jean-Christophe évoquent un conte « très énergique », « psychédélique dans la forme et teinté de musique pop rock électro ».

Trois musiciens seront sur scène pour accompagner cinq comédiens interprétant onze personnages et, par le biais de masques, quelques animaux. Se croiseront en plateau, une généticienne écrasante de savoir soudain prise de hoquet, sa fille, une jeune femme hybride née au croisement de sa mère avec un… varan de Komodo, mais qui finira par assumer sa différence, un astrophysicien en fauteuil roulant s’exprimant par une voix artificielle – toute référence à Stephen Hawking est assumée – un homme papillon empreint de fragilité, une performeuse nihiliste avalée par sa dernière œuvre ainsi que

Véronique Leblanc Alban Hefti

Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève happés par le décor de Happy Apocalypse

tout un tas de personnages hybrides dessinant une humanité en mutation au cœur d’un cosmos qui dicte ses lois encore méconnues. L’univers est-il toujours en expansion ou a-t-il commencé à se rétracter en nous affectant d’ores et déjà ? Les scientifiques s’interrogent…

Quant aux animaux, ils soulèvent la question de l’esclavage moderne auquel les soumet la recherche scientifique.

RIEN DE PLOMBANT, BEAUCOUP DE DRÔLERIE

Mêlant les changements sociétaux, les mutations de l’humanité et de la transhumanité ainsi que les lois astrophysiques, le propos d’Happy Apocalypse semble vertigineux, voire même angoissant.

« Il n’a rien de plombant », certifient cependant Jean-Christophe et Clotilde co-créateurs de la compagnie F.O.U.I.C, nominée deux fois aux Molières 2024 pour un précédent spectacle, Allosaurus « Beaucoup de drôlerie », promettent-ils

« PRENDRE LA PEUR À BRAS LE CORPS ET L’EMBRASSER SUR LA BOUCHE. »

n’est plus humain. « Montrer le monstre est un mal nécessaire pour se mettre à penser, faire émerger la lumière après avoir regardé en face l’étrange et l’inquiétant. Extérioriser l’angoisse sans se laisser déborder et même en s’en moquant. Prendre la peur à bras le corps et l’embrasser sur la bouche », est-il écrit dans la note d’intention.

« La pièce porte aussi une confiance en l’intelligence collective » ajoute Gérald Mayer, directeur du Point d’eau.

en insistant sur « l’esthétique un peu cinématographique, la construction en live d’une œuvre d’art, la musique et le décor déstructuré à la manière des peintres cubistes, clin d’œil à la relativité chère à Einstein. »

MONTRER LE MONSTRE POUR EXTÉRIORISER

L’ANGOISSE

Fondamentalement, Happy Apocalypse questionne la question du monstre disentils, c’est-à-dire de ce qui, dans l’humain,

« Un directeur très impliqué qui nous a accompagnés au PréO d’Oberhausbergen et qui continue à le faire à Ostwald », souligne Jean-Christophe.

Les lie le questionnement commun d’une société qui semble parfois perdre le lien entre bonheur et progrès, une confiance en la fragilité vue comme lieu de résistance, de nombreux spectacles vus ensemble, de savantes lectures partagées… Et de « très très » longues discussions téléphoniques autour du théâtre comme lieu de catharsis et « immense machine à sublimer le tragique de l’existence ». a

1971

LA REVANCHE DES CLAVIERS ROCK

Les Inconnus avaient posé la base du débat : « c’est quoi le bon hard rockeur et le mauvais hard rockeur ? ». À

sa façon, Thomas Kieffer répond une nouvelle fois à cette question, dans la lignée d’un Bruce Springsteen, et peut-être plus encore d’un Mick Jones (Foreigner) : « un amour immodéré du songwriting, être à la fois auteur et compositeur pour créer de belles mélodies sur de beaux textes qui délivrent, pour la plupart un message d’amour et d’espoir. »

Son nouvel album, 1971 est ainsi gorgé d’amour, d’espoir, de larsens et de claviers. Un virage totalement assumé par ce passionné de musique qui, malgré son pedigree rock admet qu’aujourd’hui, en France, la scène électro est bien plus intéressante. Néanmoins, ce sont les claviers vintage, analogiques, des années 80 qui accompagnent ce 1971 très varié. Un album né pendant le confinement, « comme pour exorciser cette période compliquée. »

Qui a suivi la carrière de Thomas Kieffer l’aura connu tour à tour rockeur, hard rockeur – parfois à la frontière du métal – ou même folkeux . Sur 1971 , il réussit haut la main à mélanger toutes ces influences (et même un peu de disco sur le titre Survive this) en gardant une cohérence sonore parfaite. Très loin d’un assemblage de chansons, 1971 offre à l’auditeur une narration claire, une déambulation musicale parfaite.

Pourquoi ce titre, 1971 ? « Parce que c’est mon année de naissance. Mais aussi celle de la disparition de Jim Morrison, la

Emmanuel Didierjean

sortie du film Love Story, Brown Sugar des Stones, et Stairway to Heaven de Led Zeppelin, les premières prises de conscience anti-nucléaire, des violences policières contre la communauté homosexuelle lors d’un meeting. » Et peut-être aussi pour retrouver cette essence d’un rock encore adolescent, qui se foutait des chapelles. Un rock qui, alors, ne s’interrogeait pas pour savoir s’il était à ranger dans le blues, le prog, le hard, etc. Dans cette lignée, le chanteur alsacien aime avancer, sur chaque projet, dans sa

culture musicale personnelle, assurant que l’arrivée de l’électro sur cet album est une façon pour lui de découvrir un nouvel espace de création, qu’il associera avec son ADN musical.

Car, à travers ses voyages en Rock et en Roll, ce passionné qu’est Thomas Kieffer rend surtout hommage à la culture qui l’a façonné en tant que personne. Et il admet bien volontiers ce que trop de fans de rock cachent avec un peu de honte aujourd’hui : « j’aime le son vintage des synthés analogiques » qui ont habillé une

grande partie du rock 80s, de Foreigner à Journey, de Bon Jovi à INXS. Ce dernier groupe marquant aussi l’entrée dans les années 90. « Je regrette beaucoup les années 90 », explique Thomas, « je pense qu’elles ont été les meilleures années pour les groupes de rock. On ne retrouve plus aujourd’hui cette effervescence créative et artistique. » Alors, certains gardiens du temple, comme Thomas, entretiennent cette flamme, face aux prédicateurs du « rock is dead ». Assez normal d’ailleurs pour un artiste qui avait nommé l’un de ses précédents groupes Stellar Temple.

Marché difficile du disque oblige, 1971 est pour l’instant disponible uniquement sur les plateformes musicales bien connues. Mais un vinyl est prévu pour 2025. Ce sera la même belle nouvelle pour son album réalisé avec son groupe The Meltdwn, où il est accompagné par des musiciens qui ont œuvré aux côtés de Jean-Jacques Goldman, Seal, Archive, Bashung ou Jean-Michel Jarre. 2025, année d’un Thomas Double Kiff…er ! a

Incursion en pays Chadkhanite « Marry me, Esther »

« Ça ne te dirait pas de rencontrer ma collègue Esther ? Elle est marieuse au sein de la communauté juive de Strasbourg. Ça pourrait être intéressant, comme papier », m’a lancé un soir l’ami François, au détour d’un de nos nombreux échanges. « Marieuse ? Au sein de la communauté juive ? Ça existe encore, ce genre de trucs, à l’heure du tout Tinder ? ». « Visiblement, oui », m’a-t-il répondu.

Je l’avoue, j’étais intrigué, même si mon for intérieur ne savait si la chose relevait de la belle histoire, de l’escroquerie ou d’un Disney made in Tel-Aviv. J’avais, par le passé, entendu tellement de choses, venues d’autres pays. Mais là, me disait François, « ça a l’air très différent. Esther, je la connais. Commence peut-être par la rencontrer. Et puis, ça pourrait être intéressant pour toi de changer d’air, de chercher un peu de ciel bleu dans ce monde qui part en sucette ».

POSTE NON RESTANTE

François nous fixe rendez-vous quelques jours après, à Esther et moi, à la Nouvelle Poste. Je ne le cache pas : je reste encore un peu dubitatif. Peine encore à me lancer dans le projet, n’ayant jamais eu affaire à une forme d’agente matrimoniale, qui plus est communautaire, mais je comprends que la « quinqua » ne fait rien de cela dans une quelconque optique financière. Au mieux, ne perdra-t-elle pas d’argent, à la vue de son prévisionnel financier : temps

d’organisation, nuitées en hôtel 4 étoiles, location de salle, traiteur, coachs et intervenantes, sorties touristiques : le « prix » du billet d’entrée me paraît presque risible tant il semble en dessous des dépenses budgétées. Au mieux, si des couples se forment et s’unissent, une petite participation à leur union leur sera suggérée, pour qui respecterait sa parole donnée.

Esther n’a aucune richesse matérielle particulière, vit dans un petit appart avec époux, enfants, et mère, loin du Maroc, son pays de naissance qu’elle a quitté à ses 18 ans pour trouver une université qui saurait la former à sa vie de salariée. Autant dire que l’on s’éloigne des clichés ambiants de la communauté. Avec son homme, issu de la classe moyenne ouvrière, juste des gens « normaux ». Juste une famille douce où l’on se partage la table du salon entre regard sur infos, repas de Shabbat et devoirs des enfants. Parfois, Esther, que j’apprends progressivement à connaître, se désespère de voir certains couples se séparer pour une quelconque broutille ou chimère. Comme

« Certains des participants se sont déjà rencontrés dans le hall de leur hôtel voisin, venus de Paris, Amsterdam, Suisse ou Allemagne, selon les cas. D’autres, de la région. »

si la vie n’était faite que de hauts, sans aucun écueil, sans aucune incompréhension. Comme si le dialogue, le partage, la confiance n’étaient que de vains mots.

TOURNIS ET CHADKHANITE

Aujourd’hui, en France, toutes populations confondues, près d’un couple marié sur deux finit par divorcer. 46 %, officiellement. La chose en donnerait presque le tournis. Entre autres raisons statistiques, l’infidélité, le manque de complicité, voire l’incompatibilité de caractère, qui sembleraient à eux trois réunir 65 % des cas. Viennent ensuite l’argent, les beaux-parents, l’addiction, la manipulation ou l’obsession du contrôle. Esther n’est pas novice en la matière ; a débuté sa « carrière parallèle » alors qu’elle n’était encore qu’étudiante. A appris à écouter, sélectionner, accompagner, comme Chadkhanite, un nom hébreu qui renvoie à l’agrafe qui permet de lier, aidée de quelques coachs ou mentors spécialisés dans l’ouverture aux autres. Humaine, intellectuelle, ou religieuse.

Dans la petite salle en sous-sol de l’une des synagogues strasbourgeoises où elle me convie pour sa soirée, Esther finit d’installer une longue table de rencontres collectives. Certains des participants se sont déjà rencontrés dans le hall de leur hôtel voisin, venus de Paris, Amsterdam, Suisse ou Allemagne, selon les cas. D’autres, de la région, pour qui ne craindrait pas d’être vu ou reconnu. Pas simple, pour ses hôtes, d’afficher une recherche amoureuse sous l’œil d’amis, de voisins, de connaissances mêmes lointaines.

GRAND ÉCART

Esther, je l’observe, a méticuleusement placé ses convives en fonction des échanges qu’elle a eu en amont avec eux. Une notion de Middot ou de Match, pressentie par une compatibilité de personnalités et d’objectifs de vie : l’âge et l’attirance, les centres d’intérêt, le caractère intra ou extraverti de chacun, les histoires familiales, le degré de religiosité, le niveau d’instruction, émotionnel ou la façon qu’a chacun de voir le monde. Veulent-ils aussi d’une vie commune en France ou en Israël, d’une maison ouverte ou fermée aux invités ? Tout ce travail préliminaire de la Chadkhanite participe au plan de table. Les trois « coachs » invitées sur deux jours aident à ouvrir davantage

à la connaissance de l’autre, entre deux mets partagés, sous forme de questions ludiques, jeux de rôle ou de rappels plus solennels quant à ce que peut ou doit être un engagement commun, eu égard aux enseignements confessionnels. Presque un grand écart entre le film Brazil et la série Unorthodox.

D’heure en heure, de promenades en soirées, chacun en apprend un peu plus sur l’autre, confirme parfois les jolis pressentiments d’Esther. Un couple, même, tend à se former entre la France et les Pays-Bas. D’autres ont moins de chance, de par une lignée religieuse plus compliquée ou de par une histoire maritale non encore religieusement scellée. Quelques semaines après ce week-end, Esther m’apprend qu’un autre couple tendait à se faire. Quatre âmes, quatre sourires aimants sur vingt, peut-être durablement réunis en quelques jours à peine, par sa jolie entremise, sans compter les amitiés qui se sont nouées. Mon rictus ou ma vigilance des débuts fait aujourd’hui place, je crois, à davantage d’ouverture. Dans son premier roman, Marc Levy, que l’on peut juger selon ses affinités littéraires, posait cette question déclinable au féminin, aussi : Et si c’était vrai...? En une phrase, presque un petit coup de pouce au destin, aidé par la belle implication d’Esther. S

« D’heure en heure, de promenades en soirées, chacun en apprend un peu plus sur l’autre, confirme parfois les jolis pressentiments d’Esther. »

S’ENGAGER EST ESSENTIEL.

Classé parmi les 50 premiers groupes de construction et d’infrastructures en France*, KS groupe a choisi d’accélérer sa transformation en devenant société à mission.

Fort de 11 entreprises intégrées permettant de proposer des solutions adaptées de la conception à l’exploitation, le groupe familial indépendant s’engage pour :

• Le bien-être et le développement de ses 400 collaborateurs

• La construction d’une société plus durable en plaçant les enjeux environnementaux au cœur de tous ses projets

• Faire vivre la solidarité au sein de ses territoires

*Classement du Moniteur décembre 2023

ksgroupe.fr

CMSI

Entre médecine de ville et urgences hospitalières

Dépanner les médecins traitants et désengorger les urgences, c’est la promesse de ce Centre Médical de Soins Immédiats niché au cœur de l’Espace Européen de l’Entreprise. Une prise en charge rapide et sans rendez-vous, avec en prime des salles d’examen façon carte postale géante, qui nous font (presque) oublier nos petits bobos.

De gauche à droite :

Noémie Gleizes, Pauline Le Peutrec, Cécile Meyer et Marie Nauny

Voilà des mois que les syndicats tirent la sonnette d’alarme sur le flux tendu des services d’urgences hospitaliers. Et pour cause ! « 80 % ne sont pas des urgences vitales mais des choses aiguës, comme une fracture ou une plaie, qui nécessitent une consultation rapide pour s’en soulager. Si vous avez mal au ventre ou de la fièvre, et que votre médecin traitant ne peut pas vous prendre, vous pouvez aussi venir chez nous », explique Cécile Meyer, infirmière. Usée par ses 7 ans de gardes aux urgences de Wissembourg, la jeune philanthrope décide de s’associer aux Docteures Marie Nauny et Pauline Le Peutrec ainsi qu’à sa consœur Noémie Gleizes. Car c’est là tout le concept des 27 CMSI de France : médecins et infirmiers travaillent en binôme. Pour autant, chaque centre a sa spécificité. Ici, la radiologie et un certain goût de l’évasion…

VOYAGE VOYAGE

Une fois le local autofinancé, les quatre soignantes étaient unanimes : au diable les murs blancs du milieu hospitalier. Place à la couleur et à la légèreté ! Avec l’agence Architéa, elles imaginent leur

Salomé Dollinger Nicolas Rosès
« Notre centre doit apporter une réponse rapide et concrète. Si on ne l’a pas, on réoriente vers le médecin ou on contacte le 15. »
Cécile Meyer, infirmière coordinatrice

CMSI comme un road trip, en dédiant chaque box de consultation (six au total) à un continent. Chers géographes en herbe, rassurez-vous, l’équipe sait compter : cinq continents plus un box représentant l’océan, ça fait six ! Dans celui-ci, un papier peint fond marin recouvre un pan de mur entier. De quoi ravir les patients, qu’ils soient petits ou grands : « les enfants adorent compter les poissons ou caresser la tortue. Ce matin, il y avait un couple d’octogénaires. Le monsieur m’a dit “il est beau votre mur, qui plus est avec cette magnifique sirène”, en me montrant sa femme », sourit Noémie Gleizes. Avec ce décor, le syndrome de la blouse blanche semble prendre le large…

COLLABORATION HORS LES MURS

Inauguré en mars, le premier CMSI d’Alsace a accueilli plus de 5 400 patients en six mois. Ces derniers sont pris en charge par une secrétaire puis une infirmière, qui leur prodigue les premiers soins. Et le médecin prend le relai si besoin. Sutures, perfusions avec traitements intraveineux, nébulisation d’aérosols, prélèvements, pédiatrie, prise de sang… Vous pouvez

aussi faire une radio et repartir avec une attelle ou un plâtre. Pour vos renouvellements d’ordonnance en revanche, inutile de vous déplacer. « On ne remplacera jamais votre médecin traitant. Notre centre doit apporter une réponse rapide et concrète. Si on ne l’a pas, on réoriente vers le médecin ou on contacte le 15, qui nous envoie une ambulance. En attendant, on peut immobiliser le patient, le perfuser, faire la prise de sang… Comme ça quand il arrive aux urgences, il est déjà bilanté et pré-techniqué comme en milieu hospitalier », assure Cécile Meyer. Une collaboration qui se fait aussi dans l’autre sens.

7/7 ET TIERS PAYANT

La prise en charge est rapide (moins d’une heure) et remboursée ; le CMSI est conventionné secteur 1 sans dépassements d’honoraires et applique le tiers payant. Ouvert du lundi au samedi de 8h à 20h et de 10h à 19h les dimanches et jours fériés, il fonctionne sans rendez-vous. Toutefois, une pré-admission peut être faite en ligne pour améliorer la prise en charge et réduire le temps dans la salle d’attente. S

La salle de radiologie du CMSI Strasbourg, 4a rue de La Haye, 67300 Schiltigheim.

Jean-Christophe Pasqua

Les nouveaux chapitres

Ancien journaliste à la rédaction des sports de l’Alsace puis des Dernières Nouvelles d’Alsace,

Jean-Christophe Pasqua a été rattrapé par son plaisir d’écrire et raconte dans ses romans des rencontres plus humaines que sportives.

L’œil brillant, le sourire large, JeanChristophe Pasqua est intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer son nouveau quotidien, peuplé d’enfants réfugiés. Bénévole au sein de Contact et Promotion, une association de Hautepierre qui aide à l’intégration des familles étrangères, le cadet d’une fratrie de quatre leur apprend le français et la vie aussi, celle plus légère en Alsace que dans leur pays d’origine. « Il y a parfois des miracles, lâche le néo-professeur humaniste. Cette année par exemple, j’ai une élève russe à côté d’une Ukrainienne ». Il s’amuse également des tribulations de Mohibullah, jeune Afghan de treize ans qu’il initie au football et à la natation.

« J’AVAIS PLUS DE PLAISIR À ALLER VOIR DES FOOTBALLEURS DANS LES CITÉS QUE

SUIVRE ZIDANE »

Le regard est plus triste, le sourire un peu forcé, lorsque Jean-Christophe Pasqua (61 ans) retrace son ancienne

vie. Pendant près de trente ans, il a été journaliste sportif, à L’Alsace d’abord, puis aux Dernières Nouvelles d’Alsace où sa carrière s’est achevée brutalement en 2020 lorsqu’un matin, il n’a plus été capable de se lever. « J’ai eu six mois difficiles. J’étais arrivé à un point de non-retour pour beaucoup de choses. Je voyais que tout ce que j’aimais disparaissait, révèle l’ancien reporter, fan du Racing Club de Strasbourg depuis l’âge de huit ans, avant d’en être le suiveur à titre professionnel de 2000 à 2006. J’aimais rencontrer des gens. J’avais plus de plaisir à aller voir des footballeurs dans les cités que voir Zidane à l’Euro 2000, c’est ce que les gens ne comprenaient pas. Mes meilleurs souvenirs de journaliste, c’est Schirrhein, Haguenau – deux clubs de football amateurs – et c’est Paris-Colmar à la marche ».

C’est d’ailleurs à cette compétition mythique que « JCP » a consacré son dernier article dans la presse quotidienne régionale. « J’adorais cette épreuve parce que les gens vont à neuf à l’heure au

XXIe siècle dans un monde où tout va vite et où on court dans tous les sens, lâche, amusé, l’ancien correspondant de presse pour La Montagne. Quand j’étais en proie à des moments de moins bien, j’étais heureux que mon dernier papier soit un portrait de Roger Quemener, légende du Paris-Strasbourg, puis du Paris-Colmar dont il était devenu un des organisateurs. Roger est mort un an après mon article ».

« AU DÉBUT, J’AVAIS REPOUSSÉ L’IDÉE DE RÉÉCRIRE. ET PUIS FINALEMENT, ÇA ME MANQUAIT TROP. JE RESSENTAIS CE BESOIN D’ÉCRITURE »

Ses yeux s’illuminent à nouveau et son sourire réapparaît, la passion pour les mots et ce qu’on en fait est revenue animer Jean-Christophe Pasqua. « Au début, j’avais repoussé l’idée de réécrire. Au final, ça me manquait trop. Je ressentais ce besoin d’écriture, lâche l’auteur

« Cette cohabitation, c’est comme dans la société, il y a des accrochages, des disputes mais avec toujours un lieu où on va se réconcilier, la salle à manger. »

de deux romans, d’un troisième qu’il doit encore relire et d’un quatrième en cours. Ça faisait longtemps que j’avais cette envie d’écrire des livres, mais je n’osais pas ». Peut-être la conséquence d’une scolarité compliquée avec des résultats qui fluctuaient au rythme de ceux du Racing. Le déclic ? « La SPA nous avait confié un chat, Popeye, très malade. La vétérinaire nous avait dit qu’il n’allait pas tenir, son traitement était contraignant. Finalement, il s’est requinqué et a vécu encore trois ans. Mais quand j’ai vu qu’il allait mourir, je lui ai fait la promesse d’écrire un jour un livre où je parlerai de lui ».

L’homme est de parole. Parallèlement à cette promesse, le randonneur cycliste découvre le décor de son histoire. « Au cours de mes promenades à vélo, je suis tombé amoureux d’une maison à la Robertsau, rue des Chasseurs. Rouge passé, délabrée. Elle était habitée par de vieilles dames. Et il y avait plein d’animaux, qui traînaient. Des poules se promenaient dans la rue, des canards aussi ». Dans Crépuscule d’un tueur (sorti en septembre 2022), Ugo, un ancien des forces spéciales devenu tueur à gages, loge donc

dans une maison aux colocataires loufoques mais terriblement attachants. « Souvent, les gens qui ont lu le livre me disent que je suis Ugo, mais je me vois plutôt comme Rosie, celle qui est l’âme de la maison et qui arrive à faire cohabiter plein de gens différents. Cette cohabitation, c’est comme dans la société, il y a des accrochages, des disputes mais avec toujours un lieu où on va se réconcilier, la salle à manger », estime celui qui aime à partager ses recettes sur les réseaux sociaux.

Sorti cet été, Le Parc des drôles d’oiseaux est une suite des aventures d’Ugo… sans vraiment en être une. Certains des personnages sont de retour, d’autres font leur apparition, des SDF et des joueurs de pétanque notamment. « Dans ce parc se croisent plein de gens très différents… que j’ai rencontrés dans le Parc des Oiseaux et dont j’ai voulu parler ». Ancien collègue d’Ugo désormais sans domicile fixe, Reno a planté sa tente à Bischheim, dans le parc en question. Et l’on ne peut s’empêcher de trouver à Jean-Christophe Pasqua un air de ressemblance avec son personnage principal : comme Ugo, il se

promène à vélo, aime faire la popote pour la petite communauté et regarde le monde évoluer autour de lui. Ce deuxième volet des aventures de l’ancien militaire se déroule juste après le confinement au cours duquel, armé d’une autorisation médicale, le convalescent a déroulé les kilomètres à vélo, dans le silence de la ville et des routes de campagne.

« J’ai achevé le troisième roman, il sera un peu plus personnel, il parlera de ce que je vis actuellement. Il y aura toujours la maison, les pétanqueurs, mais il y aura de nouveaux personnages, révèle l’auteur. J’en ai commencé un quatrième mais ça fait six mois que je n’y ai pas touché parce que je suis pris par ce que je partage avec les gamins ». Jean-Christophe Pasqua est définitivement un homme de parole. Et de mots aussi, de ceux qui ont la capacité de panser les maux S

OUVRAGES

Crépuscule d’un tueur, Vérone éditions

Le Parc des drôles d’oiseaux, Vérone éditions

Chacal doré

Un grand explorateur en Alsace

Originaire des Balkans, le chacal doré a pour la première fois été détecté sur le territoire national en 2017. Photographié à deux reprises en Alsace en 2023, ce voyageur au long cours est peut-être en passe de s’installer durablement en France.

Quatre mai 2023. Au petit matin, à Oberbronn (Bas-Rhin), l’un des pièges photographiques du réseau Loup/Lynx, qui assure le suivi des deux espèces dans les Vosges du Nord, capture l’image d’un canidé. Le cliché fait rapidement le tour des spécialistes. Il ne s’agit ni d’un loup, ni d’un lynx, mais d’un chacal doré, une espèce installée depuis 2000 ans dans les Balkans. Quatre mois plus tard, le 14 septembre, c’est à Obersteinbach, à moins de 20 kilomètres de là, que l’animal est à nouveau flashé.

UNE DISPERSION

SUR UNE LARGE PART DU TERRITOIRE

Cette double détection alsacienne s’ajoute alors à celles qui se succèdent

en France depuis 2017. Pour la première fois surpris cette année-là en HauteSavoie, le mammifère est ensuite repéré dans les Deux-Sèvres, dans les Bouchesdu-Rhône, dans l’Essonne et jusque dans le Finistère. « Les lumières s’allument un peu partout sur le territoire », résume Marie-Laure Schwoerer, chargée de mission prédateurs-déprédateurs à la direction Grand Est de l’Office national de la biodiversité (OFB) et animatrice du réseau Loup/Lynx. « On compte aujourd’hui 56 données vérifiées qui témoignent de sa présence en France », poursuit-elle.

Le chacal doré, qui se différencie du loup par sa plus petite taille et du renard par sa queue plus courte qui n’atteint pas le sol, est un drôle de voyageur. Car non

« On compte aujourd’hui 56 données vérifiées qui témoignent de sa présence en France. »

Marie-Laure Schwoerer

« Le plus étrange, peut-être, est qu’il traverse plusieurs territoires capables de l’accueillir sans pourtant qu’il s’y installe. C’est un fait qu’on ne sait pas expliquer aujourd’hui. »

seulement son expansion à partir des Balkans s’étire depuis les années 60 vers l’Europe de l’Ouest, mais aussi vers l’Europe du Nord, jusqu’au Danemark et en Estonie. « Il semble qu’il profite à la fois du changement climatique et de l’extinction du loup, dont il est l’une des proies, pour occuper de nouveaux territoires », avance la scientifique. « Il évite les régions enneigées, qui se raréfient chaque année, et semble privilégier des zones intermédiaires, de transition, et les zones humides. En France, on s’attend ainsi à le voir arriver sur la façade atlantique et en Camargue ».

UNE REPRODUCTION NON ENCORE AVÉRÉE

Pour l’heure, l’OFB, chargé du suivi de l’espèce par le ministère de la Transition écologique, ne dispose d’aucune preuve de reproduction en France. « La détection n’a pour l’instant concerné que des individus solitaires et l’enjeu consiste aujourd’hui à organiser son suivi et la collecte des données pour mettre en évidence, le moment venu, son établissement durable », souligne Marie-Laure Schwoerer. En Allemagne, des cas de reproduction de l’espèce ont été avérés dans le massif de la Forêt-Noire. Peut-être les deux détections de l’espèce en Alsace découlent-elles de sa présence dans le Bade-Wurtenberg, mais rien ne permet de confirmer cette hypothèse.

L’arrivée récente du carnivore dans l’Hexagone et, plus généralement, son expansion européenne soulèvent bien

des interrogations. « Le plus étrange, peutêtre, est qu’il traverse plusieurs territoires capables de l’accueillir sans pourtant qu’il s’y installe. C’est un fait qu’on ne sait pas expliquer aujourd’hui », avoue la spécialiste. « Il a véritablement un tempérament d’explorateur ».

UN CONCURRENT DU RENARD

Espèce opportuniste qui sait parfaitement s’adapter à son environnement, le chacal doré est avant tout un charognard, même s’il est également très porté sur les micromammifères. « C’est d’abord un éboueur qui rend à ce titre des services écosystémiques », confirme MarieLaure Schwoerer. « Peut-être encore plus que le renard avec qui il pourrait entrer en concurrence en termes de régime alimentaire et d’habitat ». Les éleveurs alsaciens, préoccupés pour certains par le loup et le lynx, n’ont a priori rien ou peu à craindre du chacal doré. « La littérature ne recense que très peu de prédations. Tout juste a-t-on deux données fiables recueillies en 2016 en Estonie, qui concernent des attaques sur des volailles et des agneaux ». Son comportement alimentaire sur le sol français constituera un vrai sujet d’études.

Protégé en Allemagne, en Suisse et en Italie, et régulé notamment en Estonie, Serbie et Bulgarie, le chacal doré ne dispose pas de statut particulier en France. Son arrivée est trop récente pour cela. Mais la réglementation actuelle, qui le classe parmi les espèces gibiers, ne permet ni de le chasser, ni de le piéger. S

(1) Photo prise par piège photographique en à Oberbronn le 4 mai 2023.

(2) Photo prise par piège photographique en à Obersteinbach 14 septembre 2023.

(3) Marie-Laure Schwoerer dans les locaux de l’Office français de la biodiversité à Rosheim

(2)
(1)
(3)
Au Vaisseau,

Smith Fleurette

Le sac de trek strasbourgeois ultra-fonctionnel

Strasbourgeois, Samuel Gérard est le créateur de la marque Smith Fleurette, spécialisée dans les sacs de randonnée. Avec plus de 30 ans d’expérience en moyenne et haute montagne, il lance en 2022 un sac polyvalent créé aux Contades, conçu avec des matériaux de pointes, et éco-responsable.

PPour comprendre le produit, il faut en étudier l’inventeur. Samuel Gérard a tout du couteau suisse humain. Son objet favori par ailleurs ! « Je ne m’en sépare jamais », confie-t-il au détour de l’entretien. Dans son atelier, véritable cœur de Smith Fleurette, machines à coudre, mousses et sangles côtoient un lecteur de vinyles. Les étagères débordent de livres, une valise gravée « Samuel Gérard, photographie d’art » attire le regard, tandis qu’une monture cyclable attend fièrement à l’entrée. Partout où le regard se pose, un art en rencontre un autre. Dans une vie antérieure, Samuel Gérard était coursier à vélo. Dans la précédente, il fut photographe. Ce lien intime entre l’art, l’aventure et l’artisanat définit l’identité de Smith Fleurette. Chaque sac – Kerbholz, de leur petit nom – est le résultat d’une réflexion approfondie sur l’usage, l’esthétique et l’écoresponsabilité. À la croisée des chemins entre innovation technique et savoirfaire traditionnel, Samuel Gérard repousse les limites de la conception d’équipement de randonnée. Ses sacs, longs à tester et

à perfectionner, sont destinés à ceux qui cherchent un allié fiable pour leurs expéditions, tout en restant soucieux de l’environnement. L’objectif est clair : offrir des produits à la fois performants et durables, conçus avec un minimum de compromis sur la qualité. Dans un marché saturé par les grandes marques d’équipement outdoor, Smith Fleurette se démarque.

FAIRE D’UN PROBLÈME UNE INVENTION

« Au cours d’une traversée des Pyrénées, sur la HRP (Haute Route Pyrénéenne pour celles et ceux d’entre vous qui ne parlent pas “longue randonnée”) sur 26 jours avec un sac light, j’ai rencontré mes premières grosses limites de matériel. Mon sac me cisaillait les épaules. Il y a même eu de la casse. Plus tard, lors d’une traversée des Alpes, l’ergonomie limitée du sac que je portais, son manque de confort et les difficultés d’accessibilité à mes affaires sur certains rangements m’ont de nouveau sauté aux yeux », retrace le cinquantenaire passionné de grand air.

Arrive alors celui qui aura su faire la part belle aux esprits créatifs : le confinement, pour cause de crise sanitaire mondiale. Samuel en partage son souvenir : « C’était le lendemain de mon anniversaire, et j’ai eu l’impulsion d’aller acheter juste avant du matériel de couture et une machine. Mon salon s’est alors transformé en atelier ! » Samuel pose le problème sur papier. Ou plutôt un début de solution. Il trace le premier croquis de ce qu’il estime être le sac idéal. En décembre 2019, une maquette 3D voit le jour. Fruit d’un assemblage de bâche à coups d’agrafeuse sur un week-end. Tuto YouTube, apprentissage sur le tas, et quelques multiples tentatives plus tard, fin juin 2020 naissait le premier prototype fonctionnel. Très « années 80 », de bleu, de rouge et de jaune mêlés qui lui donnent des airs de veste Lafuma, ce patchwork de tissus est entièrement « cousu main ». C’est à partir de ce modèle que notre inventeur démarche des entreprises pour une industrialisation. « MKM, très connu dans le milieu du matériel outdoor, a accepté de se charger de la production. Ce qui

Marine Dumény Nicolas Rosès

m’a demandé de développer de nouvelles compétences puisqu’il fallait leur livrer ce qu’on appelle une “gamme de montage” », raconte-t-il. Comprenez par là un cahier des charges, avec dessins, explications et moult détails et indications destinés à reproduire la confection. Confection qui, par ailleurs, a été simplifiée pour l’occasion par Samuel, pour plus d’aisance.

UN VÉRITABLE TRAVAIL D’INGÉNIERIE

Outre l’histoire de leur naissance, ce qui distingue ces sacs c’est leur confection. Ils sont fabriqués en Europe (un des ateliers MKM est en France, vers Annecy) à partir de tissus recyclés. Notamment le tissu principal, choisi en Challenge Ecopak 200 + 400 et Cordura « smooth » 400 deniers, pour les connaisseurs ou les curieux. Il s’agit d’une base de bouteilles plastiques recyclées. Les sacs offrent de nombreux rangements, sont déperlants, fournis avec une housse de pluie, et leur conception ergonomique permet un ajustement optimal pour toutes les

situations de randonnée. Premier venu, le sac Kerbholz est apprécié pour sa capacité, ses multiples réglages et sa résistance aux intempéries.

Le coup de génie de Samuel ? « Le système de pivot du sac ». Placé au niveau des hanches, il s’adapte aux mouvements de celles-ci afin de soulager le dos dont l’équilibre est déjà très étudié par la suspension des bretelles et du réglage ventral. Essayé et approuvé !

Produit fait pour durer, le Kerbholz se décline en deux tailles : M et L (pour les petit(e)s randonneur(se)s nous avons posé la question et une taille S est en réflexion !) et vient avec un service aprèsvente. « En cas de casse d’un élément, ce qui peut toujours arriver au cours d’une vie de sac, je peux opérer les réparations nécessaires à l’atelier », assure le créateur de Smith Fleurette. Encore un avantage pour ce sac strasbourgeois. Testé en conditions réelles, il avance pléthore de promesse pour les amateurs de grande randonnée. Et la gamme devrait s’élargir rapidement si le public est au rendez-vous ! S

Site internet : www.Smithfleurette.com

Instagram : @smithfleurette

Le Kerbholz de Smith Fleurette et son concepteur, Samuel Gérard, en test en conditions réelles.

Tout penche, sauf lui MoiJaja…

Dindon américain, salade grecque à la française, soupe à la grimace ukrainienne, loukoum salé et canard « délaqué » : la fin gastronomique de l’année 2024 s’annonce aussi bien qu’elle avait débuté. Heureusement, reste notre « passion sapin »…

Donald versus Minnie. C’est amusant, parfois, comment une élection, en l’occurence américaine, peut se résumer en deux personnages de fiction. Donald, chacun l’aura compris, ce qu’il dit n’a pas grand sens, au moins géopolitiquement. Le canard est un brin colérique, il fatigue, il use mais distrait les petits. Minnie, elle, est plutôt jolie, féminine avec sa petite robe vintage à pois blancs. Sans trop savoir pourquoi, nombreux sont ceux qui auraient eu envie de lui donner pleinement le monde. Mais faute de se sentir suffisamment considérés, certains lui ont préféré une forme d’individualisme rageur, de colère et d’incapacité à s’inscrire sereinement dans une architecture mondiale non ethnocentrée. « C’est-à-dire.. ? », m’a alors interrompu Tato. Bah, que voter pour un mec imprévisible, aux multiples casseroles et prêt à reconquérir un pays pour son seul avantage judiciaire et financier n’est peutêtre pas forcément idéal… « Hum », m’a t-il sobrement répondu, sans chercher à prendre parti. Je le connais bien, mon Tato. Certains silences ont souvent un double

sens ou reflètent plutôt sa lassitude à voir le monde se défaire à mesure qu’il est censé gagner en maturité.

KONJAC ET WOK DE VERMICELLES

Parfois je me dis que son retour sur les ondes radiophoniques pourrait lui faire prendre un peu de recul. Souci, ce sont les questions politiques et internationales qui continueront d’animer ses analyses. Officiellement, il fera bonne figure, cherchera à trouver le bon mot, celui qui fait sourire, le temps au moins d’une chronique. L’arrivée de Nord-Coréens en Ukraine pourrait être un angle précieux. Après quelques Tchétchènes, Syriens, Africains, cet espace de plus en plus mondialisé commencerait presque à faire office de destination pour les plus charmants tour-opérateurs. Quand l’écrivain martiniquais Édouard Glissant parlait du Tout Monde, je doute qu’il pensait à tant de génie créatif. Côté médias hexagonaux, pas certain non plus que l’on imaginait riz de konjac aux légumes et wok

« Quand l’écrivain martiniquais
Édouard Glissant parlait du Tout Monde, je doute qu’il pensait à tant de génie créatif. »

de vermicelles se mêler à une quelconque variante de Bortsch. Maïté avait un temps défendu La Cuisine des Mousquetaires mais il est à croire que ceux-ci ont depuis pris les habits cardinaux. Parfois, Tato aimerait bien décrocher notre correspondante Maria de son mur de Zaporizhzhia, comme moi, par le passé, de mon passage couvert de Gdansk, là où nous nous sommes rencontrés. Je m’efforce de lui dire qu’elle sait ce qu’elle fait, qu’elle saura se protéger le temps voulu, elle, sa fille et ses parents. Tato s’accroche à cette idée, mais la fin de l’année s’annonce au mieux compliquée.

L’AMBIANCE FESTIVE DE NOËL

La ligne de front rejoint déjà le cœur de la ville. Pas plus tard qu’il y a quelques semaines, les Russes ont lancé des travaux d’embellissement dans la chambre de la mère d’une amie, déjà rapatriée de Donetsk. Le concept de terrasse à ciel ouvert devient tendanciel dans de nombreux logements de Zaporizhzhia. La vie

« C’est Tonton François qui va être content, lui qui a enfin trouvé son presqu’idéal professionnel à l’autre bout de l’agglomération. »

sous terre, aussi, alors que les températures préhivernales renforcées par la destruction croissante des infrastructures d’électricité et de chauffage ajoutent à l’ambiance « festive » de Noël. Comme si cela ne suffisait pas, l’hôte du Kremlin continue à agiter la menace nucléaire à laquelle sont particulièrement sensibles les Occidentaux. Sur certains plateaux télévisés, on évalue déjà la taille et la puissance de la bombe qui pourrait être utilisée pour bander ses muscles. Certains vont même jusqu’à demander si son impact serait plus pénétrant en surface qu’en profondeur. C’est Sifredi qui a bien dû se marrer… L’on s’étonnerait presque que notre Gégé national n’ait pas été consulté. En même temps, celui qui fut un temps notre gloire cinématographique nationale n’était vraiment pas en forme ces dernières semaines : la faute à un « quadruple pontage coronarien » et à un « diabète amplifié par le stress (de son) procès », finalement reporté. L’on pourrait aussi citer la Chine qui multiplie les tours de piste maritime autour de Taïwan. La Géorgie, au bord de l’implosion nationale ou plutôt limitrophe. Israël, qui a choisi les coups aux lamentations, n’en déplaise à ses populations civiles voisines.

SUR UN MALENTENDU, ÇA PEUT MARCHER

Heureusement que le 24 décembre arrive et que la France est en bonne santé. De notre Président jupitérien à notre maire, le

mot d’ordre paraît inchangé : profitez des bienfaits que nous vous offrons. Par lassitude, ça clôt au moins le dialogue national ou local et donne la parole à quelques esprits considérés comme chagrins, des extrêmes de gauche ou de droite au centre droit. À ce rythme, au moins à Strasbourg, Pierre Jakubowicz pourrait avoir ses chances aux prochaines municipales même si personne n’ose vraiment y croire. Dommage que Michel Blanc et son « sur un malentendu, ça peut marcher » ne soit plus de ce monde pour vivre la scène. Le nom de son nouveau mouvement « Strasbourg, on y croit » a, de ce point de vue, quelques accents de méthode Coué, même si l’homme garde l’image de celui qui travaille ses dossiers, à commencer par celui d’un Tram Nord dont nul ne comprend plus vraiment en quoi il va simplifier et égayer la vie des habitants. Nombre d’entre eux ont déjà lâché l’affaire au regard des futurs tracés, a priori pour certains en sens unique jusqu’à Schiltigheim ou Bischheim, pendant que l’autoroute va, semble-t-il, se « rétrécir ». C’est Tonton François qui va être content, lui qui a enfin trouvé son presqu’idéal professionnel à l’autre bout de l’agglomération. Bonne nouvelle, néanmoins, après plusieurs années d’investigation facebookienne, Denis Tricard, chef de la cellule enquête aux Dernières Nouvelles d’Alsace était formel dans son post du 28 octobre : cette année, notre nouveau sapin, place Kléber, « ne penche pas ». C’est déjà ça. S

MARI IN BORDERLAND L’intemporalité d’une âme

Ne pas perdre notre liberté, nos vies, celles de nos proches, de nos familles. Avons-nous seulement d’autres options que de lutter, autant que nous le pouvons. J’entends parfois ce message de certains qui nous enjoignent à tout délaisser, de venir ou revenir à l’Ouest quand il ne s’agit pas de nous oublier. Objectivement, parfois, je les comprends.

Maria Pototskaya DR
Un peu partout ici, l’Ukraine compte ses âmes.
« Chaque jour ou presque, depuis le début de l’automne, tombent désormais les bombes russes sur ma ville de Zaporizhzhia, sise à deux pas, déjà, de la Centrale nucléaire occupée d’Enerhodar.
À moins de 30 km, aussi, de la ligne de front ».

Au début de l’automne, le Wall Street Journal citait une « estimation confidentielle » qui évaluait à « 80 000 morts et 400 000 blessés » le bilan de ces deux dernières années et demie de guerre, côté ukrainien ; « et une autre évaluation, moins précise, côté russe, qui fait état de quelque 200 000 morts et 400 000 blessés ». « Plus d’un million de victimes, mortes ou blessées, c’est plus que tout autre conflit sur terre actuellement, et ça aura des conséquences démographiques et psychologiques durables sur les deux pays », relevait récemment Radio France.

CHAMBRE EN ACCÈS

PANORAMIQUE

Nombreux sont également ceux qui ont fui ou se sont déplacés au sein du pays. Près de 5 millions parmi ceux qui ont refusé de se tourner vers la Russie. Majoritairement des femmes et des enfants. Des hommes aussi, mais pour les plus privilégiés, tout le monde n’est pas oligarque. Tout le monde n’a pas non plus envie de laisser derrière soi celles et ceux qui leur ont donné vie et qui se refusent à partir. Tout le monde n’a pas les moyens de les déraciner ou l’absence de cœur ou d’irraison de les laisser entre des décombres

annoncés – ou déjà bien réels – comme ceux transformés en accès panoramique tel un film en Super 8 tourné depuis la chambre de la mère d’une amie. Tout le monde, non plus, ne se résout à ôter tout espoir à notre pays.

Chaque jour ou presque, depuis le début de l’automne, tombent désormais les bombes russes sur ma ville de Zaporizhzhia, sise à deux pas, déjà, de la Centrale nucléaire occupée d’Enerhodar. À moins de 30 km, aussi, de la ligne de front. Depuis fin octobre, quatre bataillons de nord-Coréens se sont en outre amassés non loin de la frontière ukrainienne, du côté de Koursk. L’Iran continue, lui, à livrer, tout comme, d’une certaine manière, la Chine, avec ses composants électroniques : certes plus malicieusement que d’autres, mais quand même…

L’ALSACE DE MON AUTRE MOI

De manière ordinaire, j’essaie de traiter la chose avec humour – un trait d’éducation ukrainienne. Je dois avouer que nous sommes assez bons dans ce domaine. Le côté culinaire avec, pour qui en a déjà goûté les saveurs. Mon ami s’en amuse parfois en se demandant ce qui a fait

qu’entre la France et l’Ukraine, une sorte de gap spatio-gustatif semble s’être installé à longueur de siècles. Au moins pour l’Europe centrale. À se demander si la carte géopolitique du monde n’aurait pas mieux fait de se construire en cuisine même si, à l’heure actuelle, une telle perspective ne ferait sans doute qu’ajouter aux divisions interétatiques.

La légèreté : tous deux en avons besoin, même en ce moment, à 3 000 km de distance. Presqu’un gage de survie face à l’irraison de ce monde qu’aucun Ukrainien ni démocrate n’a appelé de ses vœux – un point important qu’il importe de ne pas oublier, n’en déplaise au Kremlin qui ne semble rêver que d’une hégémonie de son plus haut représentant. Le coût humain lui est secondaire. C’est un fait et peut-être ce qui nous différencie le plus : nous tenons aux nôtres, cherchons à les épargner du mieux que nous le pouvons et honorons les autres, comme autour de cet arbre de métal forgé par les ouvriers de Metinvest. Pourquoi ? Pour ne pas oublier que l’Ukraine a l’intemporalité d’une âme dont la voix, musicale et cosaque, n’entend pas, tout comme en son temps l’Alsace de mon autre moi, céder sous le bruit de bottes d’un homme du passé. S

Splendeur et misère de l’empathie

Sans doute est-ce là faire preuve de mauvais esprit. Car que pourrait-on arguer contre l’empathie ?

Notre éphémère Premier Ministre, Gabriel Attal, avait de bonnes idées. Il avait notamment prescrit de dispenser dans 1000 écoles, pour la rentrée 2024, des cours d’empathie afin de lutter contre le harcèlement scolaire. Moi je trouve ça très bien. Je ne peux pourtant m’empêcher de ressentir la même impression que celle que me procura la coïncidence de la Journée de la gentillesse et des attentats à Paris, le 13 novembre 2015.

C’est beau l’empathie, c’est noble, c’est généreux, cette faculté à comprendre et éprouver les émotions d’autrui afin de réduire la distance qui nous sépare de nos semblables. Comme la bienveillance, on ne peut qu’adhérer et même s’émouvoir de ces élans de belle âme qui œuvrent pour l’amour de son prochain et la paix entre les peuples. D’autant que, avouons-le, il y a du boulot ces temps-ci.

Le mot est récent puisqu’il apparaît à la fin du XIXe siècle, début du XXe en anglais (empathy), terme traduit de l’allemand Einfühlung, et qui était une notion ressortissant de l’esthétique : l’émotion que nous procure la contemplation d’une œuvre d’art. Désormais on peut se mettre à la place de l’autre pour savoir ce qu’il ressent et s’éviter les jugements à l’emporte-pièce.

Soit. Auparavant on parlait de compassion mais les deux notions doivent être distinguées puisque celle-ci implique le désir d’aider celui qui souffre. Elle est donc davantage tournée vers l’action. Ce qui veut dire que l’on peut compatir sans empathie ou bien qu’on peut empathir(1) sans rien faire pour autrui.

Ce qui est un tout petit peu problématique. Je peux par exemple avoir une belle tranche d’empathie pour un clochard, comprendre sa situation, et lui dire qu’il aurait mieux valu pour lui qu’il travaille mieux à l’école. Ce qui démontre l’existence du connard empathique. Il est toujours bon de relire les moralistes. La Rochefoucauld (2) écrit au sujet de la compassion (mais que ne penserait-il pas de notre moderne empathie) qu’elle « n’engage à rien, d’où sa fréquence ». Mais pour La Bruyère : « Les gens déjà chargés de

leur propre misère sont ceux qui entrent davantage par la compassion dans celle d’autrui ».(3)

Autrement dit, rester le cul posé au chaud et s’apitoyer sur les malheureux du journal télé, c’est facile. Rien ne dit d’ailleurs que l’un des malheureux, disons syrien, qui a vu sa maison détruite par un bombardement, n’est pas un ancien tortionnaire de Bachar El Assad ? Comment savoir ? Et le sachant, éprouvera-t-on toujours autant d’empathie. M’est avis qu’elle aura singulièrement ramolli. Que faire d’une empathie demi-molle ? Mais déjà le reportage suivant arrive et nous vante la qualité des andouillettes de Vire. On sait pourtant à quel point nos journa listes(4) raffolent des épanchements lar moyants et des épouvantements sordides de faits divers : du temps de cerveau faci lement gagné. Ceci dit, le cerveau est-il concerné ? S’émouvoir, cela vient du cœur, voire des tripes. Et comme il est bon et rassurant de se dire qu’on ne vit pas tout cela. Lucrèce ne disait pas autre chose : Suave mari magno…(5)

C’EST LE RAPPORT RAISON/ÉMOTION

QUI SE REJOUE ICI

De là à dire que l’empathie est une occu pation d’hypocrites il n’y a qu’un pas que je ne saurais franchir sous peine de paraître plus mauvais encore que je ne le suis. C’est le rapport raison/émotion qui se rejoue ici. La tradition a longtemps posé sur les émotions un regard suspicieux, comme pour les stoïciens par exemple, pour lesquels elles nous égarent, le bonheur ne provenant que de la vertu. Les émotions ce sont des passions, nous les subissons alors que la raison est l’exercice d’une volonté libre. Les choses sont-elles cepen dant aussi tranchées ? Pour Rousseau, même si on ne peut à proprement parler d’émotions mais plutôt de sentiments et d’affections, elles jouent un rôle dans la constitution de la morale. On trouve cette idée dès le second Discours : il y a « deux principes antérieurs à la raison, dont l’un nous intéresse ardemment à notre bien-être et à la conservation de nousmêmes, et l’autre nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et particulièrement nos semblables »(6). Le premier est l’amour de soi, le second la pitié. Les frontières sont assez mouvantes entre pitié, compassion et empathie mais ce qui importe ici c’est le

jeu entre émotion et réflexion. Car s’il est question de se mettre à la place d’autrui dans une démarche empathique, il faut au préalable le comprendre. L’empathie se doit donc de revêtir deux aspects, affective certes, mais également cognitive. On éprouve tout d’abord ce que ressent l’autre, on saisit ensuite que l’autre vit d’autres expériences que les miennes.

L’EMPATHIE EST AISÉMENT MANIPULABLE

Du moins en théorie. Car, homme des Lumières, Rousseau pose l’existence d’une nature humaine universelle, valable en tout temps et en tout lieu. À y regarder de plus près, il apparaît cependant que l’empathie obéit à des modes de fonctionnements particuliers. Tout d’abord, comme le souligne Serge Tisseron(7), cognitive ou affective, l’empathie est aisément manipulable. Et il semble bien, comme nous l’avons évoqué, qu’on ne s’en prive pas. Ensuite, à supposer qu’elle soit universellement répartie, on constate d’étranges disparités. On ne me contredira pas si j’avance que, parmi nos semblables, certains le sont davantage que d’autres. On distingue parmi les voyageurs : les expatriés oui, les migrants non. Les réfugiés ukrainiens oui, les réfugiés maliens moins. Doivent sans doute entrer en ligne de compte des considérations géopolitiques qui m’échappent. Il n’en demeure pas moins qu’on a l’impression d’une empathie sélective.

« On éprouve tout d’abord ce que ressent l’autre, on saisit ensuite que l’autre vit d’autres expériences que les miennes »

Hasard du calendrier éditorial, vient de paraître un livre de Samah Karaki, neuroscientifique, justement consacré à l’empathie(8). Les neurosciences peuvent nous apporter beaucoup si elles ne se réduisent pas à nous expliquer que telle ou telle zone du cerveau est activée à telle ou telle occasion, ce qui l’apparente à une phénologie moderne ; ou bien que la plasticité du cerveau rend toutes les adaptations possibles.

En l’occurrence, l’autrice fait preuve d’un délicieux sens critique. En pointant par exemple le fait que l’empathie peut facilement déboucher sur une bonne conscience et devenir un outil de développement personnel. Énoncé auquel je ne peux que souscrire. Plus encore, S. Karaki entend démontrer que l’empathie à géométrie variable est une construction politique : « L’empathie est instrumentalisée par les

« L’empathie

est instrumentalisée par les cadrages politiques, culturels et médiatiques, et est traversée par les dynamiques de domination que ceux-ci imposent.

»

cadrages politiques, culturels et médiatiques, et est traversée par les dynamiques de domination que ceux-ci imposent ». Ce n’est pas moi qui le dis.

UNE CONTRE-EMPATHIE VIS-À-VIS DES

AUTRES GROUPES

Notons au passage que des phénomènes d’empathie ont été constatés chez des rongeurs et des primates, ce qui relativise notre primauté dans la Création, s’il en était encore besoin. Et les capacités à l’empathie apparaissent très jeunes chez les enfants. Si elle est cognitive et affective, l’empathie doit permettre également de porter à l’altruisme, y compris hors du groupe naturel ou social primaire, c’est-àdire de se comporter moralement. Mais tout cela a un coût, un coût cognitif, car étant également des êtres de nature, nous avons acquis un certain nombre de réflexes parmi lesquels la capacité à classer les autres en amis ou ennemis puis à développer des stéréotypes qui sont un moyen de simplifier la réalité. On constate alors que l’effet de groupe est double. D’une part notre empathie s’exerce à l’intérieur du groupe mais d’autre part se met en place une contre-empathie vis-à-vis des autres groupes (famille, village, nation…).

Et cette contre-empathie, selon les études de psychologie sociale conduit même à éprouver du plaisir face à la douleur des membres des autres groupes. Ceux-ci étant, bien entendu, moins propres ou moins évolués ou moins civilisés et aurons bien moins d’excuses au contraire de nos plus proches auxquels

on accordera bien des circonstances atténuantes. Mieux encore, l’empathie au sein du groupe mène à une forme de supériorité morale, une image de soi valorisante dont le patriotisme tire bien des bénéfices.

Nous voilà bien loin de nos préoccupations quotidiennes me direz-vous et il n’en demeure pas moins qu’il vaut mieux plus d’empathie que pas assez dans ce monde cruel et incertain. Que vous êtes optimistes. Car dans ce régime de sollicitation permanente qui est le nôtre, sollicitations visuelles, auditives, olfactives, attentionnelles, que se produit-il pour l’empathie ? Elle s’use. Chez les soignants par exemple, il n’est pas rare qu’au burn-out s’ajoute une usure empathique. Quant à nous, français moyens, les images de famines nous paraissent se ressembler toutes. Ainsi que le résume si bien S. Karaki : « L’autre devient une marchandise affective consommée avec un appétit de la différence figée, et une méconnaissance de la subjectivité et de la singularité de l’autre : de sa vraie différence ». Comme l’aurait dit un grand philosophe, l’important ce n’est pas l’identité, ni la différence, mais l’identité de l’identité et de la différence. L’identité conduit au renfermement, la différence à l’exclusion. Accepter ce qui, irrémédiablement, nous est commun au-delà ou en deçà des différences, là est peut-être le chemin. Plutôt que de prôner les bons sentiments de pacotille, essayons de mieux connaître, quand bien même cela est inconfortable. Certes « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Mais émotion sans raison est un piège à cons. S

(1) Le mot n’existe pas, sauf ici.

(2) Dans ses Maximes, qui sont toutes à lire (3) Les caractères, même remarque que pour La Rochefoucauld

(4) Pas tous, mais la tendance est lourde (5) « Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d’assister du rivage à la détresse d’autrui ; non qu’on trouve si grand plaisir à regarder souffrir ; mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent ». Lucrèce, De la nature des choses (6) Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes (7) Serge Tisseron, Empathie et manipulations, les pièges de la compassion, Albin Michel, 2017 (8) Samah Karaki, L’empathie est politique, Lattès, 2024. Une autrice à suivre assurément

Samah Karaki

MUSIQUE

KING CRIMSON Red

Il y a cinquante ans, le 6 octobre 1974, le groupe britannique de rock progressif King Crimson sortait Red, son 7e et dernier album sous sa forme historique. Quelques semaines auparavant, son fondateur et guitariste Robert Fripp en avait annoncé la dissolution.

C’est la fin d’une ère, l’achèvement d’un cycle, l’aboutissement d’une aventure initiée en 1969 avec l’album In The Court of The Crimson King et son titre phare 21st Century Schizoid Man, aussi torturé que la peinture de Barry Godber qui en illustre la pochette.

Lorsque Robert Fripp, en pleine crise existentielle, annonce la fin du groupe le 25 septembre 1974, soit deux semaines avant la sortie dans les bacs de Red, on imagine la tension qui a entouré l’enregistrement de ce 7e et dernier album du Roi Pourpre. La noirceur de la pochette, au-devant de laquelle les visages de Robert Fripp, John Wetton et Bill Bruford sont à demiéclairés, témoigne sans doute de cette mort annoncée. Au dos, et comme un symbole, apparaît un VU-mètre dont la 7e graduation signale l’entrée dans le rouge. Son aiguille a déjà franchi cette limite. On sent que ça va péter fort, que malgré les ténèbres dans lesquels le groupe semble s’être enfoncé, ça va saigner.

Les 6 minutes de Red ouvrent cet ultime opus sur une atmosphère lourde et inquiétante, portée par les accords sauvages de Fripp et les coups de boutoir de Bruford à la batterie. La douceur des premières notes de Fallen Angel qui suit cette entrée fracassante sont aussi réconfortantes que mensongères, car bien vite, le refrain presque plaintif de John Wetton vient à nouveau noircir l’ambiance au milieu de riffs de guitare presque désespérés. On souffle ici le chaud et le froid, dans un assemblage

aussi subtil que magnifique. One More Red Nightmare prolonge le « cauchemar » du titre d’ouverture, avec son caractère toujours aussi pesant, même si ses sonorités jazzy et ses trouvailles musicales parviennent à l’assouplir.

L’instrumental et expérimental Providence est presque insoutenable. David Cross y torture son violon sur plus de huit minutes. On souffrirait presque avec lui. Et puis, soudain, comme une récompense au calvaire que l’on vient tout juste de subir, Starless nous transporte dans un autre monde, là où la beauté se mêle au désespoir, la nostalgie à la tristesse, la désolation au sublime. La partie instrumentale de ce chef-d’œuvre de 12 minutes est semblable à une vague, une vague qui gonfle, se soulève et se dresse, avant d’abattre sa toute-puissance sur un final paroxystique, dans un souffle étourdissant qui balaye tout ce que l’on a déjà entendu. C’est une claque et une montée d’adrénaline à chaque écoute. On en sort toujours groggy, assommé par cette avalanche sonore qui remplit tout l’espace.

On raconte que Red a inspiré Kurt Cobain pour l’écriture de In utero, le 3e album studio de Nirvana. On dit aussi qu’il est le dernier disque que le chanteur ait écouté avant de se donner la mort le 5 avril 1994. On l’aurait en effet retrouvé dans son lecteur CD, à Seattle, après la découverte de son corps.

Mais sans doute cette anecdote appartient-elle à la légende. a

LA SOUFFRANCE DANS LA COUR DE RÉCRÉ ET SUR LES RÉSEAUX

ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE

Obligatoire depuis la rentrée 2023 dans tous les établissements du premier et second degré, le programme pHARe est un vaste plan de lutte contre le harcèlement scolaire qui fait plus d’une victime par classe en France. De l’intimidation au harcèlement, comment venir à bout d’un fléau certes pas nouveau, mais amplifié par les réseaux sociaux ?

Une simple moquerie qui touche en plein cœur, une brimade, une exclusion d’un groupe WhatsApp, d’une bande de copains ou de copines, peuvent entraîner une souffrance parfois indicible pour nos enfants et adolescents. Un fléau réparti dans toutes les couches de populations sociales ou géographiques. « Or l’isolement est la source la plus forte de morbidité précoce, alerte JeanMichel Perez, universitaire et directeur de Pôle scientifique Connaissance, Langage, Communication, Sociétés (CLCS) à Nancy, qui a notamment réalisé une thèse sur les microviolences verticales dans l’institution scolaire*. Les enfants ne sont que l’expression des adultes. Il existe des harceleurs qui sont aussi des victimes. Ceux qui ont le pouvoir, sont ceux qui parlent le plus fort. Il faut que la peur change de camp. La chaleur humaine ne nécessite pas d’argent

mais d’être protégée par l’institution pour que ce type de rapports domine. »

À titre d’exemple, dans un collège de l’Académie de Strasbourg, une cinquantaine d’élèves a décidé de devenir Ambassadeur contre le harcèlement scolaire, comme cela est proposé par le plan pHARe. « Depuis, la directrice constate un vrai climat d’apaisement dans l’établissement », rapporte Morgane Martin, responsable académique de la lutte contre le harcèlement scolaire. Preuve qu’inverser le rapport de forces peut porter ses fruits. Si le programme pHARe n’est pas LA solution, il a le mérite d’en être une pour lutter contre le harcèlement scolaire. Initié en 2021 et généralisé l’an dernier, il s’appuie sur la « méthode de préoccupation partagée » (MPP) développée par le psychologue suédois Anatol Pikas reposant sur la responsabilité collective et les effets de groupe. Non-blâmant, ce protocole prévoit de rencontrer auteur(s), témoin(s) et victime(s) dans l’objectif de responsabiliser les élèves et de favoriser un changement progressif des comportements grâce à une prise de conscience collective et à l’engagement volontaire des élèves à contribuer au bien-être de leur camarade harcelé. « Cela nous a permis de résoudre 87 % des faits d’intimidation dans l’Académie de Strasbourg, preuve que le travail avec les élèves, qui restent des enfants, porte ses fruits, souligne Morgane Martin. Je crois en l’éducabilité des jeunes. »

OBJECTIF : DÉTECTER

En cas de non-résolution, l’équipe ressource et la direction des établissements passent au protocole blâmant, à la sanction donc, pouvant aller de deux heures de colle, à l’exclusion, voire au pénal, le harcèlement scolaire étant qualifié de délit depuis 2022. « Ce qui est intéressant, c’est que le cadre posé est celui de la loi, rap-

« Un adolescent cyberharcelé va voir la persécution partout : on parle d’insécurité relationnelle, et on insiste là-dessus avec nos élèves. Ils n’ont plus le temps d’être eux-mêmes. L’enjeu pédagogique est énorme. »

pelle Vincent Affholder, co-coordinateur du programme pHARe au Gymnase Jean Sturm avec Marie Abiven. Les enfants connaissent les risques, et l’exclusion est un vrai enjeu, car elle remet en cause la stratégie familiale. » D’autant que selon la thérapeute spécialiste du sujet, Emmanuelle Piquet, « la jeune génération est une génération qui prend soin de ses parents et met tout en œuvre pour éviter de les faire souffrir », alertait-elle lors d’une conférence au Gymnase Jean Sturm. Au point de commettre parfois l’irréparable, par peur de blesser. Et c’est là tout l’enjeu de pHARe : détecter les signaux faibles pour pouvoir agir avant que la situation ne s’aggrave et inviter les victimes ou les témoins à parler. « Le harcèlement n’est pas la seule forme de violence, il est important de montrer qu’il existe d’autres niveaux, insistent Vincent Affholder et Marie Abdiven. Les tensions chez les filles et les garçons sont exacerbées par les réseaux sociaux. Avant les ados en crise avaient des repères, un temps présent. Aujourd’hui, le présent est réduit, car il n’y a plus de sécurité à cause des réseaux. Avec l’explosion de l’espace social, tout se mélange, la politique, la liberté, le genre, les religions... Être un jeune aujourd’hui est terrifiant : vous êtes en crise, mais vous ne savez pas où aller. C’est déstabilisant. Un adolescent cyberharcelé va voir la persécution partout : on parle d’insécurité relationnelle, et on insiste là-dessus avec nos élèves. Ils n’ont plus le temps d’être eux-mêmes. L’enjeu pédagogique est énorme. »

Et chacun a un rôle à jouer, de l’agent d’entretien au chef d’établissement en passant par les enseignants, les personnes-ressources, les élèves, ambassadeurs ou non, et les parents. « Chaque établissement doit avoir une équipe pHARe intercatégorielle de cinq personnes minimum. Le programme donne une réponse en termes de détection, de prévention et de prise en charge qui implique l’ensemble de la communauté qui doit être

*lisec-recherche.eu/membre/ perez-jean-michel

Barbara Romero Nicolas Rosès
Vincent Affholder et Marie Abdiven

protectrice, appuie Morgane Martin. D’ici à la fin 2026, l’ensemble des personnels devra être formé. »

En parallèle, les élèves du CP à la Terminale sont sensibilisés sur leur temps de cours aux compétences psychosociales, « comme sur le harcèlement, l’empathie, la collaboration, l’esprit de groupe, comment se mettre à la place de... quand tu ne pensais pas que..., ajoute Aurélie Haberer, responsable départementale du harcèlement scolaire. La sanction peut aussi être éducative et passer par une mesure de réparation en fonction de la gravité. Nous essayons d’aider les élèves à sortir de ce rôle de harceleur. Parfois aussi les témoins passifs sont actifs, car ils n’agissent pas par peur de subir quelque chose qu’ils ne veulent pas vivre. Nous sommes là aussi pour expliquer tout cela. »

LE HARCÈLEMENT

Emmanuelle Piquet milite de son côté pour accompagner l’élève harcelé à trouver toutes les ressources qu’il cache en lui. « L’institution répond « ne t’inquiète pas, je m’occupe de tout », comme si l’enfant harcelé n’avait pas les compétences de s’en sortir. Or les adultes sont là pour lui réapprendre à avoir confiance en lui et à trouver la répartie. » Pas si facile néanmoins...

La plus grande difficulté pour la communauté éducative – et les parents – c’est que le harcèlement ne s’arrête plus à la porte de l’école. « Parfois nous découvrons certains élèves que nous n’attendons pas au quotidien qui expriment derrière leurs écrans une frustration, une souffrance, car eux-mêmes sont blessés et considèrent les réseaux comme un refuge, témoigne Cyrille Weyland, directeur-adjoint, responsable du collège Lucie Berger. Depuis le départ nous nous sommes engagés dans le programme pHARe, car si nous évoluons certes dans un cadre privilégié, cela n’empêche pas certains comportements si nous ne donnons pas les bons repères. Les formes de harcèlement évoluent, il n’existe plus de frontières. Le plus difficile reste de repérer très tôt les formes de violence plus insidieuses que les bagarres dans une cour. »

À l’image de la mise à l’écart, la plus difficile à gérer selon Emmanuelle Piquet : « Depuis deux ans, 40 % de nos consultations concernent des mises à l’écart, des enfants à qui personne ne parlent. C’est une souffrance similaire au harcèlement explicite. Mais ici on ne peut pas sanctionner, car on ne peut forcer des gamines à être copines, on ne peut décider à leur place. Je leur recommande de créer un cordon de sécurité avec une liste d’enfants qu’il ou elle considère comme a priori inoffensifs. »

La question de l’isolement toujours, qui revient comme un poison dans le cœur de près d’un million d’élèves en France sur les trois dernières années. Et l’institution ne peut pas tout, les parents, aussi, ont leur rôle à jouer.

UN NUMÉRO : LE 3018

Comment réagir si l’on soupçonne son enfant ou un autre d’être harcelé ? Appeler le 3018, un numéro gratuit et anonyme dédié au harcèlement scolaire (une application existe aussi pour chater), avec au bout du fil des psychologues, des juristes, des spécialistes du numérique. « Nous recommandons aux parents de prendre des captures d’écran, de bloquer les harceleurs et de nous contacter. Nous nous chargeons ensuite de toutes les étapes : informer l’Éducation nationale, l’établissement qui enclenche le protocole pHARe et la police nationale si nécessaire », témoignait Justine Atlan, directrice de l’association e-enfance-3018 sur France 2 après le documentaire poignant et percutant Lindsay, la mécanique du harcèlement, réalisé par Félix Seger. En lien avec les réseaux sociaux, Instagram, TikTok et compagnie, l’association a aussi le pouvoir de faire bloquer des comptes et supprimer des Posts et images. Si la France a mis trop de temps à comprendre que les violences frontales ou sourdes chez les jeunes n’étaient pas que des gamineries, la gravité du phénomène fait aujourd’hui consensus. En Australie, le gouvernement vient de décider de promulguer une loi pour interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans. Une nouvelle piste de réflexion pour la France ? a

3018

Un numéro à retenir : le 3018, numéro gratuit de signalement des cas de harcèlement ou cyberharcèlement pour les jeunes.

www.education.gouv.fr/non-auharcelement/phare-un-programme-delutte-contre-le-harcelement-l-ecole-32343

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ON SE MET AU DRY JANUARY LOCAL ?

Lancé en France il y a cinq ans, le Dry January, ou « Janvier sans alcool », a été suivi par 5,1 millions de Français en 2024*. Un épiphénomène ? Il suit au contraire une tendance mondiale à la déconsommation d’alcool et à l’essor du marché des softs peu sucrés et boissons désalcoolisées. Strasbourg n’échappe pas à ce phénomène grandissant avec la création de marques sans alcool réunies sous le collectif Mieux boire et tout récemment l’ouverture de la boutique Le Cactus de Barnabé dédiée à ce marché.

*Sondage réalisé du 8 au 17 janvier 2024 par Panel Selvitys auprès d’un échantillon représentatif de 5 000 répondants en France métropolitaine.

Le collectif Mieux Boire, avec notamment Chloé et Arnaud Henry de la marque Hyca (en bleu).

Du Kombucha, des eaux aromatisées aux plantes, des limonades peu sucrées, des tonics bio et naturels, une Ginger beer nouvelle génération... Les boissons artisanales sans alcool, peu ou pas sucrées, se développent à Strasbourg. Regroupées sous le collectif Mieux boire, Bio Brasseurs, Hyca et Drims réinventent les apéros et les dîners avec des softs tout sauf ennuyants. Des alternatives aux sodas trop sucrés, aux boissons alcoolisées, qui pourraient enchanter un Dry January en mode circuit court ! « Au-delà du Dry January, on a tous des moments où l’on veut diminuer ou arrêter notre consommation d’alcool ou de sucre pour diverses raisons », rappelle Chloé Henry, co-fondatrice d’Hyca. Quand elle est enceinte pour la première fois, Chloé ressent le besoin d’inventer quelque chose : « C’est long neuf mois plus l’allaitement, et je n’avais le choix qu’entre la pauvreté de la proposition des boissons désalcoolisées ou des choses très sucrées. J’avais envie de quelque chose qui casse les codes de la boisson, ne pas jouer sur la balance sucre/acidité comme partout. »

DES SOFTS POUR ADULTE, ARTISANAUX,

En 2020, avec son conjoint Arnaud, ils lancent Hyca, des eaux aromatisées aux distillats de plantes. « Je suis herboriste et lui distillateur. Nous avons souhaité mettre non pas le côté thérapeutique, mais l’aspect gustatif des plantes dans nos boissons. » Très vite, l’idée séduit les plus grandes tables étoilées. « Ils ont trouvé nos eaux pertinentes et qualitatives, cette offre manquait dans leur restaurant pour une clientèle qui ne boit pas d’alcool et doit se contenter d’eaux pétillantes pour le côté plus fun ! »

Cavistes, hôtels et magasins bio suivent. Leur croissance est à deux chiffres chaque année. « Mais la rentabilité est toute petite avec le sans alcool, les marges sont moins importantes. C’est pourquoi nous avons monté le collectif Mieux Boire pour travailler en synergie avec Bio Brasseurs, qui gère l’embouteillage de nos produits, et Drims. » « Plutôt que de travailler chacun de notre côté, on essaye de mutualiser nos compétences, en optant pour des livraisons communes par exemple puisque l’on a souvent les mêmes clients, tout en parlant de nos différents produits sachant que nos offres sont différentes », rebondit Elodie Kanté, co-créatrice avec son époux Cédric des

Tonic Water Drims. « On n’avait pas mesuré l’ampleur de la tâche ni tous les procédés industriels que cela implique, raconte-t-elle. C’était laborieux, mais aujourd’hui, c’est une belle réussite, avec sept produits différents que nous proposons. »

Passionnée de cuisine, Élodie a élaboré toutes les recettes, avec un cahier des charges bien précis, réalisées dans un laboratoire nancéen. « J’adore les plantes, les herbes, comme le géranium rosat qui me fait penser à cette association de framboise et litchi. Notre gingembre et nos fruits sont pressés, tout est naturel et certifié bio. »

Les deux marques strasbourgeoises sont embouteillées chez Bio Brasseurs, qui a investi dans une unité de production passée de 300 m2 en 2016 à 1 500 m2 aujourd’hui. « Les boissons sans alcool ou bonnes pour la santé se développent car notre façon de consommer a changé avec l’aspect législatif et réglementaire – on ne prend plus la route aujourd’hui comme avant après avoir bu de l’alcool – ou les codes en entreprise », appuie Olivier Courot, co-fondateur avec Frédérique Fischer de Bio Brasseurs. Précurseur, Bio Brasseurs a lancé trois gammes de Kombucha, du thé fermenté biologique et artisanal, d’abord pour les GMS, puis pour les magasins bios et spécialisés et le marché coréen, et tout récemment Hopfield, un breuvage à base de houblon et de thé vert, une autre vision de la Ginger beer.

LE CACTUS DE BARNABÉ, LE NOUVEAU

TEMPLE DU NO LOW

« Aujourd’hui, nous créons du soft de dégustation, les gens recherchent des boissons de caractère, de plaisir, que l’on déguste dans des endroits de convivialité comme les clubs de sport ou les Bains municipaux,t ou quand on veut réduire ou arrêter sa consommation d’alcool », ajoute Olivier Courot.

De nouveaux soft « haute-couture » qui ont tellement séduit Yasmina Khouaidjia qu’elle a ouvert sa boutique dédiée aux boissons sans alcool et désalcoolisées, Le Cactus de Barnabé, place Saint-Étienne. Les sublimes bouteilles de champagne French Bloom ont accompagné ses dîners lors de son Dry January. Tout comme les bulles Ribo de La Cave de Ribeauvillé, un pétillant à moins de

« Aujourd’hui nous créons du soft de dégustation, les gens recherchent des boissons de caractère, de plaisir. »
Olivier Courot, Bio Brasseurs

0,5 degré d’alcool ou le Tempera de Mauro Colagreco, une boisson d’orfèvres qu’il a imaginée avec des épices, du vinaigre de cidre, de la betterave et du cranberry. « Quand tu goûtes, tu te dis que tu ne connais rien de tel, les goûts sont complexes, il faut un palais curieux, détaille-t-elle. Quand on commence le Dry, on recherche un côté astringent, épicé, piquant, pas de sucre. Je me suis précipitée sur les boissons au gingembre, avant de faire mon étude de marché et de découvrir qu’il existait toute une gamme de nouveautés comme alternative aux boissons sucrées ou alcoolisées. »

Au point que son « Janvier sans alcool » se poursuit toujours ! « J’ai perdu six kilos, mes cheveux, mon teint, sont différents, j’ai une meilleure qualité de sommeil et mon anxiété a diminué. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire à Strasbourg car les gens sont nombreux à ne pas vouloir ou pouvoir boire de l’alcool ou du sucre, tout en ayant envie de se faire plaisir. »

Après Paris, Nantes, Bordeaux, Le Cactus de Barnabé est la première boutique dédiée au 100 % plaisir sans alcool dans le Grand Est. Un cocon poudré et raffiné au charme scandinave, où le terme « surprenant » revient en boucle quand on sirote cet amaretto sans alcool, ce French Cancan avec une touche de violette, ou ce fameux vin désalcoolisé Ribo, assemblage de muscat et sylvaner, droit et sec, le premier du genre en Alsace. « Nous sommes passés de 13 000 bouteilles en 2021 à plus de 30 000 pour la cuvée 2025, souligne Célia Langlois, responsable

communication de la coopérative créée en 1895. Les gens s’amusent et sont assez surpris en le goûtant, même si évidemment, cela ne plaît pas à tout le monde. Nous le vendons principalement au caveau et aux États-Unis, très demandeur de vins désalcoolisés. »

« Dubitatifs au départ, nos amis nous demandent maintenant “Alors, tu vas nous faire goûter quoi aujourd’hui, sourit Yasmina. À la maison, il y a toujours du sans alcool et de l’alcool, et on se rend compte que la convivialité perdure, avec ou sans.” Alors, partant pour un Dry local ? S

Après Kwit, l’application pour accompagner l’arrêt du tabac, le Strasbourgeois Geoffrey Kretz a conçu Sobero, une sorte de carnet de bord pour aider à arrêter ou à réduire sa consommation d’alcool grâce à un suivi quotidien de sa conso, des idées d’activités, un traceur d’humeur et un groupe de soutien pour mieux identifier notre rapport à l’alcool.

LE CACTUS DE BARNABÉ 10, place Saint-Étienne, Strasbourg lecactusdebarnabe.com

Hyca.fr

Biobrasseurs.fr

Hedon-distribution.com

Vins-ribeauville.com

Ci-dessous, Yasmina Khouaidjia a créé Le Cactus de Barnabé, entièrement dédié aux boissons sans alcool ou désalcoolisées.

SOBERO, L’APPLI POUR SUIVRE SA CONSO

OR NORME INVITE

CHRISTOPHE ANDRÉ

Le 27 septembre dernier les membres du Club des Partenaires ont pu échanger avec le célèbre psychiatre/psychothérapeute au bar caché de l’AEDAEN.

OR NORME À PARIS

Le 4 novembre direction Paris avec déjeuner au Train Bleu, visite du Musée des Arts Forains et soirée à la Maison de l’Alsace autour de la thématique de la transmission d’entreprise avec Édouard Sauer, dirigeant de KS Groupe.

É V ÉNEMENTO R EMRON

OR NORME À LA HALLE MARCHÉ GARE

Le 21 novembre, dernier événement de l’année pour le Club des Partenaires avec un diner orchestré par Thierry Schwartz, le chef étoilé d’Obernai.

Alban Hefti

SPECTACLES

FESTIVAL, LIVRES GALERIES, ETC.

Chaque trimestre, la rédaction de Or Norme a lu, écouté, visionné l’essentiel de ce qu’on lui fait parvenir. Cette sélection fait la part belle à ses coups de cœur...

Jean-Luc

1KLIVRES

Crise de soi Thierry Jobard

ort du succès de ses deux précédents essais, Contre le développement personnel et Je crois donc je suis, tous deux publiés aux éditions Rue de l’Échiquier, l’auteur strasbourgeois Thierry Jobard s’attaque à un sujet devenu très transversal ces derniers temps : la double injonction sociétale à être autonome et à être authentique. Dans ce petit essai au texte ramassé et précis comme un scalpel, il attire l’attention sur la force et la rapidité avec lesquelles « le rapport de l’individu à la société s’est inversé depuis quelques décennies au point de faire naître l’illusion d’une autonomie de celui-ci par rapport à celle-ci. »

FIl décline trois exemples tout à fait emblématiques qui illustrent bien son propos : le succès du développement personnel, les évolutions du management et l’usage des réseaux sociaux. « Quoi de commun à tout cela ? Une

même torsion, une même désinformation des choses et du rapport au réel. Plus encore, dans chacun de ces domaines, un même schéma est à l’œuvre : l’affichage d’une connaissance de soi, d’une affirmation, d’une libération » qu’il affirme trompeuses et relevant « d’une idéologie d’autant plus efficace qu’elle se pare des atouts de la vertu. Chaque époque produit ses tartuffes et que peut-on opposer à la bienveillance ? » se demande-t-il, en affirmant là encore : C’est à un détournement de notre intimité que nous assistons, une mise aux normes fourbe et flatteuse… »

Cette Crise de soi est un essai essentiel et passionnant. a

Crise de soi,Thierry Jobard,Éditions10/18,6 €

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1K LIVRES

Charles Juliet

en son parcours avec Rodolphe Barry

e grand poète Charles Juliet s’est éteint cet été, et le retrouver dans ce livre d’entretiens, menés sur une semaine avec Rodolphe Barry, est très émouvant. Cette nouvelle édition est enrichie de nouvelles interrogations où l’on retrouve ce qui habitait si intensément ce poète du simple qui était passé par bien des tourments.

LL’enfance du poète en devenir est difficile suite à l’abandon par sa mère mais aussi heureuse par la bienveillance de sa maman adoptive. L’école militaire lui sera une torture. L’année de l’éveil en témoigne, puis Lambeaux. Le grand œuvre toutefois c’est son Journal, où on le suit, dans une atmosphère très sombre voire désespérée puis de plus en plus lumineuse et même spirituelle. La question de l’existence de Dieu lui importe assez peu mais une autre le hante : « Comment se comporte-t-on avec autrui ? ». On retrouve le parcours long et profond, axé sur le Connais-toi toi-même. La naissance de l’écriture fut douloureuse : « L’écriture s’est présentée à moi comme un absolu. Il fallait nous lui sacrifier. … il m’a fallu une bonne vingtaine d’années pour arriver à naître à moimême, pour avoir une vision claire de ce que j’écrivais » mais aussi salvatrice. Ces entretiens menés avec délicatesse par un fin connaisseur et ami nous donnent une leçon de vie, un exemple de modestie et d’obstination, et de nombreuses citations rythment ce petit livre formidable. a

DFeuillets complices

Daniel Payot

aniel Payot, enseignant en philosophie de l’art, qui fut également adjoint à la culture de la Ville de Strasbourg regroupe plusieurs textes qu’il a, au fil du temps et depuis une trentaine d’années, rédigés pour quatorze artistes, à l’occasion d’expositions, de catalogues ou d’autres manifestations. Le fil directeur de l’ensemble est suggéré par le titre : il s’agit pour l’auteur de poursuivre la réflexion qu’il avait engagée avec la rédaction de son livre Retours d’échos, publié en 2021 par L’Atelier contemporain.

La thématique, diversement traitée, concerne les rapports qui se tissent entre pratiques artistiques et pratiques d’écriture. Si les secondes ne peuvent en aucun cas prétendre énoncer la « vérité » des premières, de quelles approches, de quels présupposés témoignent-elles ?

Le regroupement de textes rédigés en des circonstances différentes et à des moments répartis sur un temps relativement long apparaît comme une occasion de manifester par l’écriture les évolutions, continuités et discontinuités, fidélités et reformulations des œuvres des artistes concernés : Désiré Amani, Patrick Bailly-Maître-Grand, Marie-Odile Biry-Fénique, Jean Claus, Étienne-Martin, Valérie Favre, Ilana Isehayek, Philippe Lepeut, Ann Loubert, Pascal Poirot, Laurent Reynes, Germain Roesz, Daniel Schlier, Sylvie Villaume. Comme toujours, cet ouvrage de la collection Essais sur l’art fait l’objet d’une édition particulièrement soignée. a

HAmerican Horror Stories

John Carpenter 1K LIVRES

alloween, 1978. À moins de trente ans, John Carpenter invente le croque-mitaine le plus glaçant de tous les temps. Ce carton planétaire le propulse immédiatement dans la cour des grands. S’ensuit une pelletée de chefsd’œuvre, tout genre confondu : biopic musical du King Presley (Le Roman d’Elvis), dystopie sur une Amérique fascisée (New York 1997), horreur paranoïaque en Antarctique (The Thing), comédie de kung-fu à San Francisco (Jack Burton), western de suceurs de sang (Vampires).

Si le public l’a parfois boudé, son empreinte sur le cinéma est indélébile. Réalisateur, scénariste, compositeur, Carpenter sait tout faire, avec une radicalité et une indépendance d’esprit qui lui porteront préjudice autant qu’elles lui vaudront le respect, voire la dévotion. L’universitaire strasbourgeoise Nathalie Bittinger publie ce retour impressionnant sur la carrière du pirate à la tignasse blanche, qui a pulvérisé les artifices du rêve américain.

C’est désormais à chaque fin d’année que cette maître de conférences en cinéma à l’Université de Strasbourg est publiée. Ses précédents ouvrages consacrés à Wong Kar-waï, aux Trésors de l’animation japonaise et l’an passé, à Il était une fois l’Amérique à l’écran ont rencontré un franc succès et il en sera très certainement de même pour cet alléchant John Carpenter – American Horror Stories a

2K FILM

Les Violons du Bal version restaurée

oute une famille qui fait honneur au cinéma français est sur l’affiche de ce film : Michel Drach, le réalisateur, son épouse, la si talentueuse Marie-José Nat (avec qui il tourna un chef-d’œuvre, Élise ou la vraie vie) et leur fils, David, qui joue le rôle du petit garçon dans ce film singulier, récompensé par le prix d’interprétation féminine reçu par Marie-José Nat au Festival de Cannes en 1973.

TMichel Drach y raconte toutes les difficultés qu’il a rencontrées pour monter un film sur son enfance durant l’occupation. Les producteurs contactés pensaient que le sujet risquait de rebuter le grand public. Mais Drach n’était pas du genre à se décourager. Parallèlement à ses démarches, il se souvient de sa jeunesse. Paris, 1940. Juifs, Michel et sa famille sont contraints de fuir la capitale tombée aux mains des Allemands…

David Drach, le petit garçon du film (qui jouait donc le rôle de son père, enfant) sera à Strasbourg le mardi 28 janvier prochain à 19h45 au cinéma Vox pour présenter le film à l’issue duquel on pourra débattre sur les thématiques soulevées (la tragédie de la Shoah mais aussi l’histoire tragique des peuples que les guerres meurtrissent si horriblement) sans oublier les difficultés rencontrées pour la diffusion des témoignages (la restauration puis la diffusion des Violons du Bal ne fut pas une mince affaire). David Drach tenait tout spécialement à cette diffusion à Strasbourg puisque ses aïeux, côté paternel, y vécurent durant des générations… a

par Claudia Siegwald

Directrice de la communication des Hopitaux Universitaires de Strasbourg et auteure de À la rencontre de l’homo medicus

DR

À LA RENCONTRE DE L’HOMO MEDICUS, UN LIVRE QUI DONNE ACCÈS À L’HUMANITÉ

HOSPITALIÈRE

Ce livre édité par la Nuée Bleue, dont les droits sont reversés à la Fondation de l’Université et des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, est admirablement illustré par Adrien Weber, diplômé de la Haute école des arts du Rhin (HEAR).

ai été plongée dans l’univers hospitalier en juin 2020. Une période inédite, juste après le premier confinement. Ce n’était que la première vague. Nous ne savions pas encore que quatre autres allaient se succéder, charriant avec elles près de 7 000 patients aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg…

L’heure était au premier bilan. Les applaudissements aux balcons avaient cessé. Les cellules de crise s’étiolaient, la fatigue s’était installée. J’ai découvert un univers austère, épuisé. Visages masqués, comportements codifiés, ambiance fébrile. Le protocole donnait la parole à des titres, des fonctions : Professeurs, Docteurs, Directeurs. Jamais de prénom. Je ne viens pas du milieu du soin. Je connais la gestion de crises environnementales et sanitaires ; leurs débordements, stigmates et doutes semés dans l’opinion.

Première tentative de retour d’expérience avec un professeur lors d’un têteà-tête, ce « colloque singulier » familier à tout médecin. Un moment de confiance mutuelle, inconditionnelle, qui plonge dans une réalité sans filtre, ni apparat. Une réalité dure et belle à la fois. Je n’étais pas patiente à ce moment-là. Je voulais juste comprendre comment on pouvait vivre après ça…

Pour ce professeur blasé, COVID n’avait d’exceptionnel que le flux de patients à traiter qui pointait la défaillance

d’un système de soin dans sa globalité. Rien à rajouter. L’entretien semblait clos. C’est lorsque j’ai rangé mon carnet, mon crayon, qu’il s’est rassis pour me raconter son histoire de vie, indissociable de l’hôpital, qui lui tenait lieu de famille, de maison, de mission.

Je venais de découvrir mon primo Homo Medicus. L’humain enfoui au plus profond de ce médecin. Il s’était enfermé dans un château de plomb pour fuir la vie en société, se protéger de ses propres vulnérabilités. De loin, un animal à sang-froid. De près, sans doute l’un des médecins les plus humains que j’aie pu croiser.

C’est ce qui m’a donné envie d’écrire ce livre. J’ai voulu en savoir davantage. Écouté d’autres récits pour découvrir les coulisses de cet environnement idéalisé ou honni, à l’aune de nos histoires de vie, de maladie, de vieillesse, de mort. J’ai écouté des parcours d’une grande intensité, du professeur au jardinier. Tous avaient besoin de s’exprimer. Ils l’ont fait avec humilité, humour, authenticité. Les premières rencontres se sont faites au gré du hasard, de quelques mots échangés. Progressivement la confiance s’est installée, les récits se sont succédés. Le plus dur a été d’arrêter ; l’hôpital est un monde de récits à l’infini.

individuelles, sous la forme d’un JE universel. Mises bout à bout, elles constituent l’état d’esprit d’une institution qui va bien au-delà du soin.

Nos hospitaliers ne sont pas des appelés. Ils ne sont ni bons ni mauvais. Ni résignés ni révoltés. Ni sorciers ni magiciens. Ni divins ni mandarins. Ils sont juste humains…

C’est cette humanité que j’ai tentée de décrire au travers de cinq valeurs hospitalières fondamentales : l’humilité, l’intuition, la compassion, le geste, l’universalité. a

La restitution de plus de 150 heures d’entretiens offre une cueillette inédite de témoignages, d’histoires Claudia Siegwald

№55

DÉCEMBRE 2024

Couverture

Photographie de Jérémy Gonçalvès

Portraits de l'équipe

Illustrations par Paul Lannes www.paul-lannes.com Abysses

Directeur de la publication  et de la rédaction

Patrick Adler 1 redaction@ornorme.fr

Rédaction

Jean-Luc Fournier 2 (fondateur)

Alain Ancian 3

Isabelle Baladine Howald 4

Erika Chelly 5

Marine Dumény 6

Guylaine Gavroy

Jaja 7

Thierry Jobard 8

Véronique Leblanc 9

Alain Leroy

Olivier Métral

Jessica Ouellet 10

Barbara Romero 11

Benjamin Thomas 12

Salomé Dollinger

Photographie

Franck Disegni 14

Alban Hefti 15

Yann Lévy

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Sabrina Schwartz

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Directrice Projet

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Direction artistique et mise en page

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Or Norme Strasbourg est une publication éditée par Ornormedias

1 rue du Temple Neuf 67000 Strasbourg

Dépôt légal : à parution N°ISSN : 2272-9461

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