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SOLIDARITÉ

Photos : Abdesslam Mirdass Ci-dessus / Valérie Suzan À droite / La Maraude

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SOLIDARITÉ Respect, Madame !

Les camionnettes de la maraude des bénévoles de Strasbourg action solidarité sont bien connues des sans-abris de la capitale européenne. Créée il y a sept ans, cette association distribue sans relâche repas chauds, vêtements, couvertures... À son origine, il y a Valérie Suzan (56 ans), issue d’une famille varoise où la solidarité se pratiquait en permanence, et qui déploie une énergie considérable sur le front d’un combat chaque jour renouvelé, hiver comme été et 365 jours par an. Portrait d’une femme sensible et extraordinairement volontaire…

On rencontre Valérie Suzan dans le tout nouveau local de son association Strasbourg action solidarité, à l’angle du 9 rue de Flandre, au cœur de la cité Spach, tout près du terminus tram Place d’Islande.

«C’est un véritable accueil de jour comme je le rêvais» dit cette infatigable combattante de la solidarité qui nous fait visiter le lieu encore en cours d’aménagement en ce début janvier dernier. De fait, outre l’accueil, on découvre une grande cuisine entièrement équipée pour pouvoir enfin préparer les soupes distribuées aux sans-abris durant les maraudes (un plus certain pour la présidente qui, jusque-là, préparait ces soupes dans sa propre cuisine…) et une précieuse salle de bain/laverie/buanderie qui est appréciée par celles et ceux qui poussent la porte de ce nouveau local qui a pu voir le jour, en grande partie, grâce à un don de la Fondation Kronenbourg qui a pu être confirmé in extremis grâce à «l’impulsion déterminante que l’élu de quartier, Nicolas Matt, a exercée pour que ce local existe, bien relayé également par sa directrice de territoire, Wanda Monheit» commente Valérie Suzan dont on se souvient du «coup de gueule» qu’elle avait poussé il y a un an quand Roland Ries avait visité le quartier.

Depuis, les bénévoles de l’association se relaient pour accueillir les personnes en difficulté pour qui ce local constitue un petit havre de paix, le temps d’une pause où

donc difficile de trouver un travail. J’avais tout juste vingt ans, j’ai donc fait des petits boulots puis j’ai travaillé bien plus durablement dans l’immobilier. J’ai rencontré Emmanuel qui est devenu mon mari. Emmanuel est tombé malade et quand il a réussi à surmonter sa maladie, nous avons eu notre petite fille, Eden. C’était il y a dix ans… On a ensuite créé une association, les Ateliers d’Eden pour organiser dans notre quartier et même au-delà la Fête de la Musique, le bal populaire du 13 juillet, le vide-greniers de la rue de l’Université et plein d’autres animations pour les enfants.

elles savent qu’elles peuvent trouver un peu de chaleur, et on ne parle pas seulement ici du chauffage central….

Il était donc temps de poser quelques questions pour mieux connaître cette femme étonnante et convaincue.

Or Norme. Vous êtes née très loin de Strasbourg, dans un petit village du Var. On connaît pas mal de gens qui ont fait ce chemin dans l’autre sens mais vous, comment vous êtes-vous retrouvée à Strasbourg ?

« Oui, je suis née et j’ai vécu longtemps à Nans-les-Pins, au pied du massif de la Grande Baume, pas très loin de la montagne Sainte-Victoire et Aix-en-Provence. Mon grandpère, que j’adorais et admirais beaucoup, tenait un très grand café au centre du village mais il était aussi paysan et chef de corps des sapeurs-pompiers locaux. Sa connaissance du terrain l’avait amené à accueillir souvent des pompiers professionnels venus dans la région pour s’initier et s’entrainer à travailler dans un environnement de montagne. Ma grand-mère, elle, veillait toujours à garder un couvert de plus à la grande table familiale, au cas où des personnes seules ou dans le besoin se présentent. C’est dans cet environnement familial, celui qui donne le meilleur exemple, je crois, que j’ai appris les notions de vivre ensemble et de solidarité, ce qui fait qu’aujourd’hui je sais qu’en fait, j’ai toujours été à l’écoute de l’autre… 85

Or Norme. Et puis, bien plus tard, vous êtes arrivée à Strasbourg. Vous dites que vous vouliez changer d’air et connaître d’autres personnes…

Oui, je suis venue m’établir ici car j’y avais de la famille. Ce fut un moment très difficile pour la fille du Sud que j’étais car bien sûr, je ne parlais ni l’alsacien ni l’allemand et c’était

Or Norme. Comment naît Strasbourg action solidarité ?

Un jour, via Facebook, je lis une annonce qui évoque l’ouverture d’une antenne locale d’une association nationale, Action Froid. Emmanuel se rend à une première réunion et quand il me rapporte ce qui a été dit, je pense que, décidément, il va falloir beaucoup de temps pour qu’un projet comme ça se mette concrètement en place. Je suis naturellement née comme une grande impatiente, rien ne va assez vite pour moi… Bref, dix jours plus tard, avec quelques personnes qui étaient aussi à cette réunion, on démarrait avec les moyens du bord, sous couvert d’Action Froid : une grosse

‘‘ C’est un véritable accueil de jour comme je le rêvais. ’’

voiture qui transportait de grandes gamelles de soupe de pois cassés «cuisinée maison » et en avant, direction la gare ! C’était il y a sept ans… Côté finance, on a organisé une soirée «gala» à l’Orangerie pour recueillir des fonds, on a mis sur pied des collectes dans des magasins pour récupérer des produits de première nécessité et des produits d’hygiène. On a eu assez vite une notoriété grandissante et il est devenu vite évident qu’il fallait qu’on crée notre propre association, ce que nous avons fait en septembre 2016…

Or Norme. Qui sont les piliers de l’association, auprès de vous ?

Le noyau dur est composé d’une quinzaine de bénévoles qui sont très investis chaque semaine pour nos distributions et qui collectent aussi des vêtements, par exemple. Tous les profils socio-professionnels sont représentés, il y aussi des retraités et nous avons un parrain, Alain Brau, un homme qui œuvre dans l’immobilier, que j’aime beaucoup et qui s’investit fort à nos côtés. Mais je me souviens qu’au début, on se sentait un peu seuls et qu’on se posait beaucoup de questions sur le bien-fondé de tout ce que nous faisions sur le terrain… En fait, je pensais dès le départ qu’il nous fallait

faire encore plus et surtout trouver des solutions d’hébergement pérennes pour toutes celles et ceux que nous aidions.

Or Norme. Qui vous aide, en matière financière ? On nous a dit que vous fonctionnez sans le moindre euro provenant de subventions publiques…

C’est tout à fait exact. On ne fonctionne que grâce à des dons de personnes privées ou des dons venant des entreprises. C’est cette autonomie qui fait le sel de ce que nous faisons. Ce local, par exemple : les sans-abris n’ont pas mis longtemps à comprendre qu’ils peuvent venir ici spontanément, quand ils en ont besoin et quand ils en ont envie. Pour moi, une personne qui est en détresse

‘‘ Je ne pouvais sincèrement pas rentrer comme ça chez moi, après la maraude, comme si de rien n’était.’’

a un besoin primaire et majeur : celui de pousser une porte derrière laquelle elle sait qu’elle va trouver une autre personne qui va l’écouter parler. Hier soir, dans la rue, on s’est retrouvé en fin de distribution avec quelqu’un qui a fini par me dire : «je suis très en colère parce qu’avec toutes ces grèves et ce président de la République qui ne réagit pas, je sens que je vais faire une bêtise… » Quand on te dit ça comme ça, tu ne peux pas vraiment savoir de quelle bêtise il parle, contre lui, contre d’autres ?.. Je l’ai fait s’asseoir et je suis allée chercher un café pour qu’on puisse discuter. J’ai récupéré Alain au passage qui s’est approché très doucement de nous et j’ai essayé d’en savoir plus. «Je vais me foutre en l’air» m’a dit cet homme. Peu à peu, doucement, on lui a fait comprendre que ce geste ne résoudrait rien aux problèmes qu’il évoquait. Et on lui a demandé s’il voulait bien qu’on le raccompagne là où il était hébergé. Ce que nous avons fait et, une fois arrivés, j’ai signalé ce qui se passait aux travailleurs sociaux… Vous comprenez, je ne pouvais sincèrement pas rentrer comme ça chez moi, après la maraude, comme si de rien n’était (à ce moment, des larmes apparaissent dans les yeux de Valérie -ndlr). Le problème est qu’ils sont des dizaines, des centaines comme cet homme… »

Or Norme. Ce qui se passe à Strasbourg n’est pas très différent du cas des autres grandes villes, non ?

On est bien sûr tous confrontés au même problème, partout en France. À Strasbourg, on a un besoin vital d’hébergements d’urgence pour tous ceux qui arrivent et, pour moi, ça devrait être le jour même ! Bien sûr, cela ne fonctionne pas comme ça. On a besoin de ces lieux de vie où les gens puissent bénéficier de chaleur humaine autour d’eux. Mais ce n’est plus possible de continuer à accueillir des gens le soir et le lendemain, les remettre à la rue sans qu’il n’y ait une structure qui les suive… Ce n’est pas possible pour moi de me résoudre

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‘‘ Tout le monde doit se mobiliser pour que ces personnes ne soient plus à la rue. Mais il faut aussi que tous les élus comprennent que le problème est que ce qu’on leur propose n’est pas toujours adapté. ’’

à voir ces personnes ainsi mises au rebus de la société. Ce sont toujours des personnes en détresse et même très souvent sous addiction mais je suis certaine que si on pouvait faire à leurs côtés un travail de qualité, on pourrait parvenir à les faire sortir de ces addictions…

Or Norme. Or Norme va paraître à la veille du premier tour des élections municipales. On a souvent constaté que vous ne gardiez pas vos mots dans votre poche, comme on dit…

La solidarité n’appartient à personne, ni à la gauche, ni à la droite. Tout le monde doit se mobiliser pour que ces personnes ne soient plus à la rue. Mais il faut aussi que tous les élus comprennent que le problème est que ce qu’on leur propose n’est pas toujours adapté. Pour nombre d’entre elles, il faut absolument une certaine souplesse. Personnellement je ne pourrais pas passer une nuit dehors, je le sais, même si je suis deux fois par semaine la nuit à essayer de les aider. Mais passer une nuit dehors, seul, avec la peur, le froid, avec tout ce qui peut vous arriver, que vous soyez un homme ou pire encore, une femme… non, ce ne serait pas possible... Mais oui, les six ans qui viennent vont être rythmés par une politique municipale et cette politique, je la veux solidaire, ça c’est certain…

Or Norme. À votre ton déterminé, on comprend bien que Valérie Suzan ne compte pas s’arrêter de sitôt… Ça, je vous le confirme. J’espère pouvoir trouver des solutions de logement avec les aides des différents partenaires qui sont sur le terrain. De toute façon, si la ou le prochain maire de Strasbourg n’aide pas à mettre en place ces solutions d’hébergements, il devra assumer des ouvertures de squats parce qu’il est évident qu’on ne peut plus continuer à laisser ainsi tant de gens dehors. Si les politiques qui se présentent à Strasbourg ne comprenaient pas qu’il faut ouvrir des hébergements et proposer des logements, ce serait désespérant… J’espère tellement que Strasbourg puisse être un jour considérée comme une ville-pilote en matière de solidarité, sans ghettos et avec une réelle mixité dans les logements qui accueilleraient ses sans-abris… »

Strasbourg Action Solidarité 9, rue de Flandres à Strasbourg Le local est ouvert du lundi au vendredi de 10 h à 18 h. strasbourg.action.solidarite@gmail.com Téléphone : 06 09 21 95 49

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