5 minute read

CINÉMAS

ILS SOUFFRENT

CINÉMAS Une aussi longue attente

Advertisement

Premiers fermés et quasiment les derniers à rouvrir. Le 22 juin dernier, les écrans des salles de cinéma ont retrouvé leurs spectateurs. En raison de nos délais de bouclage, impossible pour nous de questionner ces derniers sur cette réouverture tant attendue. En revanche, nous avons rencontré Eva Letzgus, la directrice du Vox et Stéphane Libs, son homologue des Star. Tous deux sont partagés entre la joie de retrouver leur public et la montagne d’interrogations concernant leur avenir…

Pour le citadin de l’hypercentre de Strasbourg, il suffisait de se promener durant l’heure quotidienne réglementaire de la période de confinement et de passer devant la célébrissime façade du Vox et celles des deux Star pour mesurer la tristesse d’une ville privée, entre autres, de ses cinémas. Dans leurs caissons lumineux, les affiches quelquefois froissées et à demi décrochées annonçaient les mêmes films depuis des semaines et des semaines… Ne manquait plus qu’une horde de «walking dead» sur le bitume déserté… Sinistre.

Alors, évidemment, l’annonce du déconfinement des cinémas, prévue le 22 juin dernier, a sonné

Eva Letzgus, la directrice du cinéma Vox Stéphane Libs, le directeur des cinémas Star

comme un soulagement pour les responsables des salles, même si, protocole sanitaire oblige, les inévitables mesures de précautions à prendre ont rythmé leur quotidien durant le mois de juin.

SIDÉRATION

«Je me souviens d’une forme de déni qui a duré jusqu’à une semaine de la date du confinement» se souvient Stéphane Libs, le directeur des deux cinémas Star. «Mais 48 heures avant l’annonce, on ne se faisait plus d’illusion. Le samedi 14 mars, on a perdu 20 % d’entrées par rapport au même jour de l’année précédente, mais 1 300 spectateurs ont quand même vu leur dernier film en salle avant longtemps…» fait-il remarquer…

«Ce fut assez brutal» commente Eva Letzgus qui dirige le Vox. «En fait on a appris le confinement par les médias, c’était sidérant. On a aussi réalisé qu’à minuit, il fallait fermer. Dès les jours qui ont suivi, on s’est efforcé de mettre rapidement en place toutes les mesures gouvernementales de chômage partiel en faveur de nos salariés mais aussi en faveur de la société car on se doutait que ce serait très long. La mise en place d’un prêt garanti par l’État a été un précieux apport de trésorerie, ce qui a permis de régler les factures de nos fournisseurs. On a quand même été longtemps dans le flou le plus total, mais je tiens à souligner la belle mobilisation de la région Grand Est et de la Ville de Strasbourg pour l’obtention de ces mesures d’État. On s’est attaché très vite ensuite à maintenir le contact avec nos clients via les réseaux sociaux, surtout Facebook. Ne pas casser le lien avec eux nous est apparu essentiel, une façon de faire passer le message : “ tenez bon, on va se retrouver le plus vite possible!”» Un point commun incontournable pour les deux directeurs : faire tourner régulièrement

59

les machines. « Au moins une fois par semaine » avons-nous appris. On ne savait pas les projecteurs numériques aussi sensibles…

LE 22 JUIN, COMME UNE HEUREUSE SURPRISE…

« Au fur et à mesure du confinement, nous avons affiné nos chiffres et réalisé que la perte sèche serait terrible » dit Stéphane Libs. « Nous sommes un exploitant indépendant privé qui n’est pas protégé par une municipalité. La Ville de Strasbourg nous a fait bénéficier d’un allègement de loyer pour le Star Saint-Exupéry dont elle est propriétaire des murs. Nous avons pu obtenir une aide publique de 65000 € au titre de la loi Sueur qui organise le soutien aux cinémas d’art et essai. Nous avons bien sûr sollicité le prêt garanti par le gouvernement. »

L’annonce de la réouverture des salles le 22 juin a plutôt été ressentie comme une heureuse surprise par nos deux directeurs, qui s’étaient tous deux fait à l’idée généralement colportée d’un déconfinement aux alentours de la mi-juillet. Avant même cette annonce, ils avaient redoublé leurs efforts en matière de programmation, véritable nerf de la guerre si on veut enregistrer le retour des spectateurs dans les salles. Entre quelques sorties de la programmation — virtuelle — du Festival de Cannes 2020 mort-né, l’arrivée du dernier film du réalisateur britannique Christopher Nolan (qui seront à l’affiche des trois complexes cet été), le combat pour reconquérir la fidélité du public s’annonce rude. Aux deux Star, Stéphane Libs va jouer à fond la carte des films d’au- teur dans le cadre de plusieurs rétrospectives dont une consacrée aux films tournés par Michel Piccoli, récemment disparu.

AUCUNE VISIBILITÉ RÉELLE SUR LES SIX MOIS À VENIR

Pour que le « réflexe ciné revienne », comme le dit joliment le directeur des Star, l’ensemble des salles du centre-ville respecteront scrupuleusement le protocole sanitaire édicté par la Fédération nationale des cinémas français et qui a reçu l’agrément de l’État. Eva Letzgus envisage pour sa part « dans un second temps, le retour à la numérotation des fauteuils, très vieille pratique qui n’avait pas survécu aux années 70… »

Entrées et sorties distinctes, masques obligatoires lors des déplacements et gel hydroalcoolique fourni font bien sûr partie du protocole sanitaire.

Stéphane Libs et Eva Letzgus avouent tous deux n’avoir « aucune visibilité concrète » sur l’avenir de leurs salles et sur une date précise de retour de la pleine fréquentation d’avant le début du confine- ment. « Je suis potentiellement en faillite » n’hésite pas à dire le directeur des Star « car je n’ai pas à ce jour la solution pour surmonter les sommes à rembourser concernant le cumul des emprunts ». Tous deux escomptent un ambitieux plan de relance qui serait mis en place par l’État. Mais ce dernier devra abonder les budgets du Centre National du Cinéma (CNC) qui n’a plus un sou en caisse. « Ce soutien sera indispensable » souligne Stéphane Libs qui sait qu’un autre écueil l’attend avec le Star SaintExupéry qui sera fermé pour six mois pour raison des indispensables travaux (enfin) programmés par la Ville de Strasbourg, le propriétaire… »

Pour sa part, Eva Letzgus veut rester optimiste : « J’ai personnellement vécu ce confinement de façon très bénéfique. En tant que chef d’entreprise, ces mois de printemps m’auront permis de souffler, une pause bienvenue au cœur de nos vies frénétiques, une intropection forcée mais bienvenue… » conclut-elle. Comme « Un peu de soleil dans l’eau froide 1 »

1 Le titre du film réalisé en 1971 par Jacques Deray, l’adaptation du roman éponyme de Françoise Sagan.

This article is from: