4 minute read

REMY MAHLER

REMY MAHLER “ Ce petit virus a révélé la maladie de notre société : l’hyper-industrialisation, la délocalisation, la normalisation… ”

C’est un petit lutin d’un mètre quatre-vingt dont les mains se sont allongées et surdéveloppées pour mieux palper le langage de la matière et le traduire en orgues, maisons, objets d’art ou d’utilité quotidienne. Instruit dans la fameuse maison de facteur d’orgues Muhleisen à Strasbourg, Rémy Mahler s’est consacré à sa passion : fabriquer et restaurer ces fabuleuses machines à musique...

Advertisement

Dans les années 80, son atelier Mahler a rejoint les meilleurs en France. Sauf que Rémy ne se contentait pas du succès. Il voulait fabriquer les orgues à sa manière, en donnant le meilleur de lui-même. Il a donc progressivement abandonné le monde des commandes et des experts-conseil pour ne se consacrer qu’à l’art de créer des orgues hors convention. Respecté, admiré, mais aussi décrié par ses collègues, il se réfugie dans son personnage d’original inoffensif qui aide son épouse au service du restaurant familial et s’obstine à fabriquer des merveilles hors norme…

Il a sûrement hérité l’esprit d’entreprendre, mais aussi l’éthique, de son grand-père et de son père qui ont fondé l’entreprise alsacienne de jus de fruits Cidou. Enfant, il fut marqué par le traumatisme du père, PDG de l’entreprise, renversé par son frère, perdant ainsi son poste et son pouvoir. « Quand mon oncle, qui a tout pris, a mis fin à ses jours trois ans après le renversement, alors que mon père qui a tout perdu vivait heureux, j’ai compris : l’argent peut être mortifère », m’explique Rémy avant de nous quitter. Une phrase qui m’a révélé la profondeur des émotions et des réflexions que la quarantaine lui ont inspirées :

« Tu vois, cette chaussure, me dit-il, elle est en train de se dissoudre, de mauvaise qualité comme elle, en plastique made in China, pas bon pour la santé. J’aimerais la porter jusqu’à sa dissolution pour rester enfin pieds nus. Accepteront-ils que je serve les clients pieds nus dans mon restaurant ? Je n’en suis pas sûr. Voilà en quelques mots la vraie maladie de notre société que ce petit virus a mis en évidence : l’hyper-industrialisation, la délocalisation, la normalisation. Cette maladie nous a fait détruire la nature, notre habitat est rempli de matières cancérigènes, notre éthique et notre foi remplacées par l’argent. Elle a fait disparaître nos savoir-faire et nos savoirvivre. Et nous voilà en proie à nos propres bêtises et lâchetés.»

« Pourtant, un mois d’arrêt a suffi pour nous rendre compte que la vie pourrait reprendre autrement. Tu les as entendus ces oiseaux qui ont fêté l’air pur avec leurs chants exaltés, comme jamais ? J’ai lu qu’un berger au Tibet a vu pour la première fois dans sa vie les montagnes surplombant ses pâturages parce que la Chine a arrêté de polluer. »

« Oui, le système se remettra en marche, comme avant, il essaiera au moins. Sauf que la nature se débarrasse des parasites et des cancers, tôt ou tard. Alors, il faudra que l’on réapprenne à se salir les mains. La chute du mur nous a permis de gagner 30 ans sur la crise de l’Occident, mais là c’est fini.

97

Plus personne ne veut se faire exploiter, même les Chinois ont enfilé des cols blancs… Il faudra apprendre à changer, à produire chez nous ce dont on a besoin, pas plus, en revalorisant le génie des artisans, ceux qui apprennent par le faire, et pas ceux qui se décrètent savants sans avoir touché à l’objet de leur réflexion, ceux qui soignent la vie et non pas ceux qui nous rendent malades, ceux qui aiment leur métier et non pas les calculateurs qui ne pensent qu’à l’argent. Les patrons qui viennent au restaurant, je les aime bien. Certains sont très riches, mais ils sont malheureux, ce sont les premières victimes du système. Ils ne voient jamais ce qu’ils produisent, là-bas en Chine. Ils ne produisent que des chiffres et ont très peur de la mort… Ils sont victimes du rêve que nous avons tous nourri : devenir riches et paresseux, prendre avant de donner. Avons-nous oublié qu’être riche c’est être en bonne santé, en capacité de créer et d’offrir le meilleur du soi ? J’ai été triste quand on nous a fermé le restaurant pendant la quarantaine parce que le travail me rend utile, me donne du sens. J’en ai profité pour m’occuper de la toiture, j’ai construit un store avec des matériaux de mes orgues. Cette construction est souple et n’a peur ni du vent, ni de la pluie. Les objets industriels ont l’air propre, mais sont souvent rigides et inadaptés aux besoins individuels. On

‘‘ Il faudra apprendre à changer, à produire chez nous ce dont on besoin, pas plus, en revalorisant le génie des artisans...’’

cherche l’étanchéité et la rigidité et on ne laisse pas nos créations interagir avec la nature. C’est une mentalité de peureux qui se protègent de la vie au lieu de protéger la vie. Dans la maison, l’atelier et le restaurant je n’ai pas utilisé un gramme de chimie. L’an dernier l’orage, qui a décoiffé pas mal de toits à Pfaffenhoffen, a juste traversé celui de ma maison, j’ai construit un frigo naturel, des chaussures en bois qui aident la posture à se redresser… »

En somme ce que nous dit Rémy c’est de nous redresser et de reprendre notre force de créateurs, nous ouvrir à la vie, sans jamais renoncer à l’espoir !

This article is from: