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Musée d’Art Moderne de Paris

Oskar Kokoschka, l’engagé forcené

Si elle existait, sa collection de passeports dirait tout du destin d’Oskar Kokoschka, lui qui fut successivement de nationalité austrohongroise, tchécoslovaque, britannique et enfin autrichienne, au fil des événements de ce XXe siècle qui ont bouleversé l’Europe. L’anecdote ne vaut pas que pour son originalité : c’est bien l’engagement permanent qui a dicté les pérégrinations géographiques de ce peintre peu montré en France et à qui le Musée d’Art Moderne de Paris offre enfin l’exposition qui lui manquait dans notre pays…

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Son nom scintille pour l’éternité parmi ceux des fameux Sécessionnistes viennois fédérés par Gustav Klimt dès la toute fin du XIXe siècle et qui créèrent de toutes pièces le mouvement de l’Art nouveau, cet écrin brillantissime d’une inoubliable kyrielle d’œuvres majeures. Oui, à peine âgé d’une vingtaine d’années, Oskar Kokoschka se mesurait déjà avec les Gustav Klimt, Egon Schiele, Koloman Moser, les architectes Josef Hoffmann, Josef Maria Olbrich et Otto Wagner et une flopée d’artistes réunis autour du concept d’art total au sein du Wiener Werkstätte (L’Atelier d’Art de Vienne).

Pour autant, et bien curieusement, la France a peu montré Kokoschka, à l’exception d’une rétrospective à Bordeaux en 1983 et quelques-unes de ses œuvres datant de ses débuts présentées dans le cadre d’expositions consacrées au mouvement de l’Art nouveau comme la somptueuse Vienne 1900 au Grand Palais en 2006.

L’oubli est donc réparé et on le doit à Fabrice Hergott, l’ex-directeur des Musées de la Ville de Strasbourg, poste qu’il quitta en 2006 pour justement prendre la direction du Musée d’Art Moderne de Paris. Depuis, dans la capitale européenne, le départ de Fabrice Hergott reste unanimement regretté par toutes celles et ceux qui aiment l’art…

Ce sont donc près de 150 toiles et œuvres sur papier qui rendent enfin

Oskar Kokoschka, Londres – Petit paysage de la Tamise, 1926 Jusqu’au 12 février 2023 Musée d’Art Moderne de Paris 11 avenue du président Wilson Paris (16e)

Tél. : 01 53 67 40 00

du mardi au dimanche, de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 21h30

Accès : Métro ligne 9, stations Iéna ou AlmaMarceau

Billetterie : www.mam.paris.fr

Entrée de 12 € à 16 € (bravo là encore pour ces prix modérés !)

hommage à Oskar Kokoschka dans les immenses salles du musée de l’avenue du président Wilson, à deux pas du Trocadéro. Bien sûr, elles couvrent toutes les époques de l’œuvre de l’artiste, les toutes dernières étant aussi bien représentées que ses premiers pas viennois.

Un engagement total

Il y a donc Vienne, jusqu’à la Première Guerre mondiale. La Grande Faucheuse n’aura pas voulu d’Oskar Kokoschka qui, grièvement blessé à deux reprises, réussit néanmoins à survivre. En 1916, démobilisé, il rejoint son galeriste Paul Cassirer qui œuvre à Berlin puis il enseigne à Dresde jusqu’en 1923. Dans la décennie suivante, ponctuée par de nombreux séjours à Paris et à Londres, villes où il était strictement inconnu avant sa venue, il voyagera beaucoup, en Europe, mais aussi en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

Son retour à Vienne, en 1932, assoira sa notoriété devenue internationale. Mais c’est à Prague qu’il résidera ensuite pendant quatre ans, cette capitale de la Tchécoslovaquie qu’il fuira également, sentant arriver l’occupation nazie. À Londres de 1938 à 1946, il finira par se fixer en Suisse jusqu’à sa mort en 1980 à l’âge de 94 ans.

C’est peu dire que, si peu casanier, le sécessionniste viennois fut marqué également par ces deux terribles guerres mondiales des années de plomb du XXe siècle durant lesquelles son engagement fut total. Engagé volontaire en 1914 puis farouche opposant aux hordes nazies montantes à la fin des années trente ce qui lui valut de figurer parmi les artistes de l’art dégénéré en 1937, un an après qu’une de ses toiles se vit découpée au couteau par un abruti apprenti-gestapiste à Vienne. Beaucoup de ses toiles ont par ailleurs disparu ensuite, lors des spoliations antisémites.

À Paris et à Londres, on releva son nom parmi les adhérents des associations venant en aide aux artistes allemands en exil. Après la guerre, Kokoschka continua son parcours militant, s’opposant à la prolifération de l’arme nucléaire, affichant sans relâche son pacifisme et soutenant avec force l’Union européenne alors naissante. Jusqu’à sa mort, sa rage de peindre ne faiblira pas et il ne cessera d’affirmer jusqu’au bout sa conviction que la peinture, par sa subversion, est une arme essentielle pour lutter contre les dictatures.

« Ce grand mensonge qui parvient à dire la vérité… »

L’expo du Musée d’Art Moderne de Paris fait la part belle à ses fameux portraits qui le firent connaître dans le monde entier, particulièrement ceux manifestement inspirés des techniques et couleurs des Nolde, Kirchner et autres artistes du mouvement Die Brücke créé à Dresde en 1905. D’entrée, dès le seuil de l’expo, on découvre le portrait de son ami Ernst Reinhold, un comédien, qui nous hypnotise avec son étrange regard bleu, mais on se sent très vite perturbé par les quatre phalanges boursouflées de sa main gauche, apparaissant comme une puissante griffe animale…

Une grande partie de l’œuvre de OK (sa signature emblématique) échappe pour beaucoup à la compréhension usuelle, car ses toiles sont souvent autant d’allégories assez mystérieuses où le grotesque le dispute à la colère et même la rage. C’est cet engagement permanent, presque atavique, qui fit déboucher le peintre autrichien en pleine lumière et qui, aujourd’hui, frappe par sa modernité au point que beaucoup de ses œuvres d’après-guerre pourraient de nos jours figurer sans problème sur les cimaises des plus grands rendez-vous mondiaux de l’art contemporain.

Rien de cela n’a échappé à Fabrice Hergott, qui cite dans son avant-propos publié dans le catalogue de l’exposition, la formule de l’écrivain autrichien de l’entredeux-guerres Karl Kraus selon laquelle « le grand mensonge qu’est l’art parvient à dire la vérité ». L’œuvre de Oskar Kokoschka est une des plus belles illustrations de la pertinence de ce propos… c

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