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Revisiter Bashung Figure libre
Quarante ans après sa sortie, Figure imposée, album déjanté et Dada d’Alain Bashung, renaît à la vie. Pascal Jacquemin, auteur des textes, s’est entouré des musiciens historiques du grand Alain pour Rejouer Figure imposée. L’un des projets rocks les plus excitants de ces dernières années.
Àpresque un demi-siècle de distance, c’est facile à dire bien sûr, mais il n’empêche : à la réécoute, Figure imposée a tous les attributs d’une matrice. Il y a dans ce disque inclassable et très (trop) mésestimé l’essence même de l’œuvre de Bashung. Le Bashung de Roulette russe et de Pizza, et puis celui d’après, le Bashung de Passé le Rio Grande, de Chatterton, de Fantaisie militaire et on peut même pousser jusqu’à celui de l’impeccable Bleu pétrole sans forcer.
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Aussi imparfait soit-il, et imparfait il l’est assurément, cet album est un moment charnière dans la carrière de l’interprète de Gaby, peut-être pas au creux de la vague ce serait exagéré, mais entre deux eaux c’est certain.
Play blessures, coécrit avec Serge Gainsbourg, opus sombre et dépressif, teinté de ce soupçon de new-wave qui lui allait si mal au teint était sorti l’année d’avant et avait été un échec foudroyant, de ceux dont on peut ne pas se relever. Bashung, lui, s’en était remis comme on sait. Figure imposée ne lui a peut-être pas permis de rebondir, mais au moins de savoir quelle direction il voulait prendre.
« Alain avait une grande peur, celle d’être un chanteur “kleenex”, ça l’obsédait », se souvient Pascal Jacquemin, parolier de Figure imposée. « Il ne voulait pas qu’on le résume à des tubes. Il en avait besoin bien sûr, mais il avait des choses à dire, des choses profondes. Il savait où il voulait aller ».
Retour en 1983. Le monde va mal (déjà) et Bashung pas très bien non plus. Nous sommes en pleine guerre froide, les missiles du Pacte de Varsovie sont pointés sur ceux de l’OTAN et inversement. Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher en Angleterre incarnent un ultralibéralisme qui fera les ravages que l’on sait, Lennon et Bobby Sands sont morts, le punk pas encore. L’Iran et l’Irak sont en guerre,
Alain Bashung, auteur-compositeurinterprète et acteur français, né à Paris à 1947 et décédé en 2009.
J
l’Afghanistan aussi. Malouines, Sabra et Chatila, Sida, Khomeini sont des noms qui résonnent si forts qu’ils en deviennent assourdissants.
En France, la gauche, elle, a déjà pris le tournant de la rigueur, l’espoir d’un nouveau monde s’est fracassé sur l’écueil de la réalité. Il y a décidément longtemps que Trenet chantait Y’a d’la joie, on dirait que c’était il y a un siècle et ça n’en faisait qu’à peine la moitié. Figure Imposée est le reflet de cette époque, de ce chaos intérieur.
Après des années de galère, Alain Bashung, lui, a touché le sommet. Voilà deux ans que, Pizza, son troisième album, porté les énormes tubes que sont Vertige de l’amour et Gaby Oh Gaby, cartonne. En pleine ascension, il décide subitement de couper les gaz et d’interrompre sa collaboration avec Boris Bergmann. Il veut expérimenter d’autres voies. Tout risquer plutôt que de se perdre. « Alain était en recherche permanente, il n’arrêtait jamais de se remettre en question », dit son épouse, la chanteuse Chloé Mons. Ce sera d’abord Play blessures donc et dans la foulée ou presque Figure imposée re-donc, avec sa sublime pochette très réalisme soviétique des années 30 signée Pierre Buffin.
IMPOSSIBLE DE COMPRENDRE D’OÙ VIENT CET OVNI…
Ils sont sur scènes et rejouent Figure imposée. De gauche à droite, Yan Péchin, Bobby Jocky, Arnaud Dieterlen, Basile Jacquemin, Pascal Jacquemin et Fred Poulet.
Pascal Jacquemin a 26 ans à l’époque, il a découvert la musique de Bashung par hasard un soir alors qu’il avait trouvé un job d’été dans une station-service du Haut-Rhin. Musicien lui aussi, le voilà à Paris. Il s’est mis en tête de rencontrer « ALAIN ÉTAIT Bashung, au moins de lui faire écouter EN RECHERCHE une cassette de sa musique. De fil en aiguille, parce que l’époque était comme PERMANENTE, ça aussi, le voilà guitariste sur la deuxième partie de la tournée Vertige de l’amour et IL N’ARRÊTAIT puis parolier de ce nouvel album qui ne doit ressembler à aucun autre. JAMAIS DE SE « Avec Gainsbourg et Bergmann, c’était plus prestigieux, mais il se sentait peut- REMETTRE EN être moins libre, je ne sais pas, confie aujourd’hui Jacquemin. Alain voulait du sang neuf, mais que ce J QUESTION. » Chloé Mons
Jsoit quand même dans la continuité, que ça ne le fasse pas complètement dérailler non plus. Pour moi, à l’époque, c’était un sentiment étrange, entre préoccupation et insouciance en fait. Ce qui m’importait, c’était que les textes ne soient pas anodins, je voulais des choses profondes, mais avec une légèreté quand même, tous les deux on était raccords là-dessus. Il n’y avait pas de retenue, pas de règle. Et au final, l’album est une sorte de mash-up qu’on a construit ensemble. »
Si le terme d’OVNI n’était pas aussi galvaudé, il aurait été une parfaite définition de cet album un peu Dada, un peu baroque, profond et léger, carrément barré. Une « dinguerie assurément, et c’était là toute sa force... et sa faiblesse (commerciale) » dit aujourd’hui Pascal Jacquemin.
Impossible alors de comprendre d’où vient cet Ovni. La critique ne l’a d’ailleurs pas compris et le public pas davantage. Si Figure est aussi solaire et énergique que Play était ténébreux et dépressif, l’échec commercial est le même. Le public boude et la critique s’écharpe entre ceux pour lesquels cet opus est l’équivalent du disque blanc dans la carrière des Beatles et ceux pour qui c’est l’album « le plus chiant de l’année ». Quarante ans plus tard, le débat est tranché, ce n’est ni l’un ni l’autre. Figure imposée est un creuset et puis une passerelle, un point d’appui aussi. En février 1984 dans Libération, le critique Philippe Barbot expliquait ça autrement et bien plus poétiquement : « c’est une sorte de château hanté. Personne n’est assez crétin pour y croire tout à fait, mais tout le monde sait confusément qu’il est vraiment habité. » Sous-entendant que celui qui l’habite ce château, c’est l’esprit, peutêtre même la substance de Bashung.
Au-delà du coup déjà fait de la nostalgie, Rejouer Figure Imposée est avant tout et par-dessus tout un geste artistique, d’une « richesse incroyable », dit Pierre-Jean Ibba, le directeur de la salle de spectacles l’ED&N (prononcer Eden) à Sausheim, dans le Haut-Rhin qui a soutenu le projet. « Il est porté par des musiciens qui sont de sacrées pointures. Je ne me rendais pas compte que c’était ambitieux à ce point-là. Ce n’est pas un album forcément facile d’accès, mais c’est ça qui est passionnant. Tous les mots ont un sens, tous les mots ont du sens. »
Le spectacle, car ce n’est pas uniquement un concert et un disque c’est un spectacle, est aussi une expérience. Totalement originale puisque quarante ans ont passé, que le monde a changé et la musique aussi (les solos de saxo ne se font plus trop).
« La figure imposée demandée à cette formation de rêve est de donner envie aux spectateurs d’écouter ou de réécouter la version originale bien sûr, mais aussi de s’immerger dans un album complet, avec les émotions et la puissance de l’interprétation live, mêlées aux vibrations d’aujourd’hui, dit encore Jacquemin. « Ce sera également le moyen de se replonger dans le début des années 80 et à la création de ce disque, grâce au film de Fred Poulet. »
De l’hypnotique Spiele mich an die wand à What’s in a bird, interprété par Rodolphe Burger, en passant par Elégance, Poisson d’avril, Hi, Chaque nuit bébé ou Imbécile, il y a dans cet album très largement de quoi s’amuser et réinterpréter. D’autant que le spectacle s’annonce évolutif au fur et à mesure qu’il avancera dans le temps et dans l’espace, et que des artistes viendront poser leur voix sur les morceaux. En perpétuelle (r)évolution. a