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Centre Pompidou Alice Neel

CENTRE POMPIDOU

Alice Neel nous impose ses modèles. Regardez-les !

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« I am the century - Je suis le siècle » avait coutume de dire Alice Neel née en janvier 1900 et décédée en 1984. Trop longtemps occultée de son vivant, la peintre réaliste américaine se voit enfin offrir sa rétrospective en France. Et c’est une démarche provocatrice intense et ininterrompue que le Centre Pompidou expose sur ses cimaises, une recherche permanente de la vérité qui n’aura jamais craint de bousculer durant des décennies. C’est bluffant…

Alice Neel, Rita and Hubert, 1954 I l suffit de lire le récit des trois premières décennies de Alice Neel pour comprendre cette rage qui l’a habitée quasi en permanence et qui, à l’évidence, a rugi sur ses peintures, de la première à la dernière.

Née donc avec le XXe siècle en Pennsylvanie, elle intègre dès ses dix-huit ans la Philadelphia School of Design, non sans avoir servi son pays en tant que secrétaire au sein de l’Army Air Corps. En 1924, elle se marie avec Carlos Enriquez, un artiste cubain. Tous deux s’installent à Cuba où nait leur fille deux ans plus tard. Santillana del Mar ne vivra qu’un an, emportée par la diphtérie alors que le couple venait juste de rentrer à New York.

L’année suivante nait une seconde petite fille, Isabetta, mais deux ans plus tard, Enriquez rentre brutalement à Cuba, enlevant Isabetta à l’affection de sa mère. Désespérée, Alice Neel tombe dans une grave dépression et tente de se suicider. Elle séjournera pendant un an dans un hôpital psychiatrique. Nous sommes à la veille du krach de 1929 et son cortège de malheurs…

Témoigner des délaissés de la société…

Dès 1931, Alice Neel entamera son long parcours artistique, sans doute déjà bien mûri par une farouche volonté de peindre envers et contre tout. Elle vivra un autre dramatique épisode en 1934 quand son compagnon d’alors brûlera ses dessins et lacèrera ses tableaux, suite à une crise de jalousie.

Se relevant une fois de plus, elle se met alors à peindre d’innombrables portraits de toutes les classes sociales vivant autour d’elle à New York, de ses proches aussi – amis, amants, voisins, artistes, poètes, critiques d’art – mais aussi des délaissés et ignorés de la société – les immigrés latinos et portoricains, les Noirs, les petites frappes n’ayant que la rue pour royaume sans oublier, effet miroir, les mères de famille élevant seules leurs enfants.

Dans les années 50, elle n’échappera pas à l’inquisition de la Commission McCarthy. Elle sera longuement interrogée puis inquiétée par le FBI en raison de sa proximité avec le parti communiste américain.

Parallèlement à cette vie qui ne la ménage pas, elle continue à peindre avec ce style engagé et quasi brutal qui est le sien, affrontant crânement la bonne société américaine de l’époque. Bien entendu, elle n’a ainsi que peu de chance de voir ses toiles achetées par les mécènes newyorkais d’alors, mais, pour autant, elle ne cède rien. En 1963, elle expose enfin à la Graham Gallery qui la représentera pendant les vingt années suivantes.

Alice Neel ne cessera jamais de militer, dénonçant notamment l’absence d’artistes femmes et africains-américains dans l’exposition The 1930’s. Panting and sculpture in America au Whitney Museum of American Art. Elle s’élève l’année suivante contre l’absence d’artistes noirs dans l’expo Harlem on My Mind au MoMA.

En 1970, le vent commence enfin à tourner : son portrait de la féministe Kate Millet fait la une du Times Magazine, la plus belle vitrine que l’Amérique d’alors pouvait offrir à un artiste. Andy Wahrol pose pour elle puis, en 1974 (elle a alors 74 ans !) survient la consécration : le Whitney Museum lui offre sa première grande rétrospective (un beau succès). Dès lors, Alice Neel fera l’objet de toutes les attentions, y compris internationales.

En 1983 sortira sa première monographie, mais, atteinte par le cancer, la rebelle rassemblera ses dernières forces pour recevoir le célèbre photographe Robert Mapplethorpe qui capturera son visage quelques jours seulement avant sa disparition, le 13 octobre.

Une femme libre et indépendante

Une telle vie conditionne bien sûr toute l’œuvre d’un artiste. L’expo parisienne a été montée par Angela Lampe, conservatrice

Alice Neel, Marxist Girl, Irene Peslikis, 1972

« Elle continue à peindre avec ce style engagé et quasi brutal qui est le sien, affrontant crânement la bonne société américaine de l’époque. »

au Musée national d’Art Moderne intégré au Centre Pompidou. Il suffit de l’écouter parler du choc Alice Neel et de la puissance de ses convictions : « Traversant les périodes de l’abstraction triomphante, du pop art, de l’art minimal et conceptuel, Alice Neel, une femme libre et indépendante, est restée avec sa peinture figurative à contre-courant des avant-gardes qui marquent la scène de New York où elle avait élu domicile au début des années 1930. Habitant dans les quartiers populaires et multiethniques – Greenwich Village d’abord, Spanish Harlem ensuite – Neel, vivant des aides sociales et mère célibataire, se sent proche de ses modèles, auxquels elle cherche à s’identifier. Son engagement n’est jamais abstrait, mais nourri de vraies expériences. Peindre l’histoire sans le filtre d’une proximité intime ne l’intéresse pas. À l’instar de l’œil de la caméra, Neel fait entrer dans notre champ de vision des personnes qui auparavant restaient dans l’obscurité et tombaient dans l’oubli. C’est son premier geste politique. Le second réside dans son choix de cadrage – une frontalité qui interpelle. L’artiste nous place droit devant ses modèles. Avec une grande puissance picturale, Neel nous les impose : regardez-les ! »

L’extrême crudité de l’œuvre de Alice Neel n’est pas occultée dans cette rétrospective française enfin consacrée à la peintre réaliste américaine sans doute la plus marquante de la seconde moitié du XXe siècle.

Jamais sans doute l’expression « la rage de peindre » n’aura été aussi évidente à souligner… c

Alice Neel, Nazis Murder Jews, 1936

« L’extrême crudité de l’œuvre de

Alice Neel n’est pas occultée dans cette rétrospective française. »

ALICE NEEL, UN REGARD ENGAGÉ

Jusqu’au 16 janvier 2023 Centre Pompidou Paris (4e)

Tél. : 01 44 78 12 33

Du mercredi au lundi de 11h à 21h

Accès : Métro Ligne 1 Station Hôtel de Villes ou Ligne 4 Station Les Halles, RER A Station Les Halles

Billetterie : www.centrepompidou.fr

Jean-Luc Fournier Gérard Garouste, Pinocchio et la partie de dés, 2017

ET PUISQUE VOUS ÊTES TOUJOURS AU CENTRE POMPIDOU…

Ce Garouste qui bouscule nos certitudes

Pompidou consacre pas moins de dix-huit salles à Gérard Garouste, un des plus importants peintres français. Une exposition du vivant d’un artiste (Garouste est aujourd’hui âgé de 76 ans) est bien sûr un événement rarissime et ce sont ainsi dix-sept œuvres majeures (dont certaines sont monumentales) qu’on peut découvrir…

Peut-on (doit-on ?) dissocier la vie et l’œuvre d’un artiste ? Éternel débat. En tout cas, sous le signe de l’étude, mais aussi de la folie, la vie et l’œuvre de Gérard Garouste « l’intranquille » se nourrissent mutuellement en un dialogue complètement saisissant.

Adepte d’une figuration sans concession, le peintre développe depuis toujours le sens énigmatique de ses œuvres et n’hésite pas à mobiliser les grands récits littéraires classiques, telle la Divine Comédie de Dante, qu’il utilise comme une sorte d’introduction aux différents niveaux de lecture biblique.

Depuis le milieu des années 90, Garouste s’est consacré plus que longuement à l’étude du Talmud et du Midrash et, dès le début du siècle actuel, toute sa production artistique a été influencée par cette obsession.

Ses œuvres mobilisent ainsi fortement le regard et la pensée, car elles sont déroutantes, souvent indéchiffrables pour le profane.

Parmi elles, deux moments d’étonnement : La Dive Bacchuc, une immense toile inspirée de Rabelais, tendue sur une sorte de manège en fer battu de 7,52 m de diamètre (!). La toile est peinte sur ses deux faces, la face intérieure ne se découvrant qu’à travers une douzaine d’œilletons répartis sur tout le pourtour de l’œuvre.

Vers la fin de l’exposition, au détour d’un décor du parcours, on est littéralement happé par un immense triptyque de 9 mètres de long, Le Banquet, qui renvoie à de multiples clés de lecture : la fête du Pourim, mais aussi Le Tintoret et même Kafka. Un coup de poing au plexus !

Gérard Garouste jusqu’au 2 janvier 2023 Centre Pompidou – Niveau 6, galerie 2 Paris (4e) Tél : 01 44 78 12 33 Du mercredi au lundi de 11h à 21h

Billetterie : www.centrepompidou.fr ET PUISQUE VOUS ÊTES TOUJOURS AU CENTRE POMPIDOU (BIS)…

Evidence, la belle surprise de Soundwalk Collective & Patti Smith

De la chance de posséder un outil culturel exceptionnel et modulable à souhait : au cœur du Centre Pompidou, un sombre parallélépipède géant accueille une « œuvre totale » surprenante et étincelante inspirée d’un emblématique triptyque de poètes français magnifiés par la voix lancinante de Patti Smith…

Soundwalk Collective est un collectif berlinois d’arts sonores contemporains formé par l’artiste Stephan Crasneanscki et la musicienne Simone Merli. Le collectif développe des projets sonores spécifiques à un lieu ou un contexte à travers desquels il déroule des thèmes conceptuels, littéraires ou artistiques. Soundwalk Collective accumule depuis l’origine les collaborations créatives, hier avec le regretté Jean-Luc Godard, la chorégraphe Sasha Waltz, l’actrice Charlotte Gainsbourg et pour le Centre Pompidou, la chanteuse et l’auteur Patti Smith, qu’on ne présente plus.

Evidence, c’est un parcours visuel et sonore qui tisse un voyage audiovisuel à partir de l’œuvre des poètes français Arthur Rimbaud, Antonin Artaud et René Daumal qui, tous trois, ont voyagé vers divers horizons pour tenter de découvrir une nouvelle perspective d’eux-mêmes et de leur art. Entre 2017 et 2021, Soundwalk Collective a collaboré à la création de Perfect Vision, un triptyque d’albums qui puise son inspiration dans les textes de ces trois poètes.

Ces trois albums ont été enregistrés respectivement dans la Sierra Tarahumara au Mexique, les montagnes de l’Abyssinie en Éthiopie et au sommet de l’Himalaya en Inde.

Chaque album, restitué par bribes dans le casque wifi dont chaque visiteur est équipé, est revisité par la voix lancinante de Patti Smith. Alors, forcément, même si on ne déambule que sur quelques mètres carrés, on voyage en XXL en réalité et l’expérience est assez fabuleuse, entre sons, films, images de synthèse, un mur d’objets ayant appartenu à ces trois poètes mythiques sans oublier les photographies, les textes et les œuvres de Patti Smith. Ne ratez pas ce moment unique et d’une folle originalité.

Evidence – Soundwalk Collective & Patti Smith Jusqu’au 23 janvier 2023 – Centre Pompidou – Paris (4e) Tél : 01 44 78 12 33 Du mercredi au lundi de 11h à 21h

Billetterie : www.centrepompidou.fr. Attention ! L’installation Evidence est accessible au niveau 4 (Galerie 0) du Centre avec le billet d’entrée Collection (de 12 € à 15 €), mais la réservation d’un créneau horaire de visite est impérative et se fait aux guichets principaux au rez-de-chaussée. En même temps, vous recevrez un bon pour l’indispensable casque audio individuel qui vous sera remis à l’entrée de l’installation.

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