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La belle histoire

La belle histoire Partir, se trouver, revenir…

Qui d’entre nous n’a jamais eu cette idée folle de tout plaquer pour « lever le camp », se frotter au grand frisson de l’aventure toutes voiles dehors, le temps au moins de faire peau neuve et se retrouver au plus intime de soi ? À bien y regarder, cette idée reste très souvent un simple projet pour beaucoup d’entre nous. Pas pour Thomas Waeldele, qui a sauté le pas il y a trois ans : cap vers l’Islande !

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Il se pose devant nous dans l’intimité d’un petit bar de quartier près des Halles et instantanément, le courant passe. Peut-être parce qu’on se connait déjà un peu sans s’être rencontrés puisque la Consule d’Islande à Strasbourg, Solvenn Dromson, nous a remis le livre-photo que Thomas a réalisé pour conserver une trace de son périple au pays des Vikings… Il ne faut donc pas longtemps avant que ce gaillard aux yeux déterminés nous raconte tout ce qu’il a vécu il y a près de quatre ans. Et ça devient vite hyper passionnant… est au fond de moi » dit-il joliment…

À un léger détail près… Je n’étais pas heureux…

« C’est un énorme parcours personnel qui m’a conduit en Islande » racontet-il. « J’avais 43 ans en 2019, quand j’ai vraiment réalisé qu’à force d’essayer de rentrer dans des cases sans y parvenir, il me fallait bien envisager d’absolument tout changer. Peu de temps avant, j’étais encore Expert produits pour un grand constructeur automobile allemand, je passais mon temps à expliquer aux clients de A à Z comment faire fonctionner le véhicule qu’ils venaient d’acheter. Ça me plaisait assez, car j’ai toujours été un passionné d’automobile. Ça, c’est pour la case boulot, mais j’ai coché également toutes les autres : marie-toi, je me suis marié ; fais un enfant, j’en ai fait un ; un bel appartement ? J’en avais un aussi. Et puis, une belle voiture, au vu de ma profession, ça n’a pas posé de problème… Bon, voilà, je cochais donc toutes les cases. Les copains, la famille, tout était super. À un léger détail près… Je n’étais pas heureux. Ma perception du monde me disait que j’avais envie de faire des choses avec beaucoup plus d’envergure.

Je me suis lancé… J’ai commencé par mettre fin à mon contrat avec l’envie d’entreprendre quelque chose plus en accord avec moi. L’option gestion de chambres d’hôtes s’est présentée : j’ai suivi quelques pistes, dans les Vosges et même jusqu’en Lozère, car je me sentais déjà très attiré par les coins un peu paumés où il n’y avait pas grand monde, au cœur des grands espaces. Rien de totalement convaincant, au final. En février 2019, je me retrouve une première fois en Islande, en vacances avec ma fille, sans doute influencé par un effet de mode qui avait vu tous les grands constructeurs autos se rendre là-bas pour tourner leurs pubs dans des décors naturels quasi uniques au monde. À notre retour, je me suis en quelque sorte un peu fâché avec la France, car je trouvais que c’était un pays où c’était compliqué pour bosser, du moins avec ma vision des choses… »

Tempête sous un crâne, car manifestement, la volonté de radicalement tout remettre en cause venait de se faire jour. « Je me suis posé très franchement la question : je pars où ? Et l’idée de l’Islande est venue assez vite… » poursuit Thomas. « Après avoir un peu potassé le sujet et m’être notamment aperçu que le pays était classé deuxième au classement international de l’indice du bonheur de vivre, j’ai pensé que ça pouvait se tenter. À un moment donné, début décembre, je me suis décidé : après avoir vendu mon appart et m’être débarrassé d’un tas de trucs accumulés au fil du temps, j’ai mis le reste dans mon break et je suis parti par la route pour le Danemark avec l’intention de prendre le premier ferry pour l’Islande et de m’y installer. On était en plein Covid et je savais pertinemment que n’importe quel douanier avait alors parfaitement le droit de me refouler : l’air fatigué, fiévreux, je n’aime pas votre tête, je pense que vous

Les cristaux de glace en altitude irisent le ciel de Vik, la plage la plus au sud de l’Islande.

avez le Covid, bref, vous faites demi-tour, vous n’entrez pas au Danemark… Mais c’est passé. En arrivant en Islande, j’avais une semaine devant moi, c’était prévu, car je devais m’isoler à cause des conditions sanitaires. Mais au-delà de cette semaine, c’était l’inconnu total ! »

OK, c’est L’Islande, ça va être du brutal…

Immédiatement, la réalité de la situation a eu vite fait de se rappeler au bon souvenir de Thomas. C’est donc l’hiver et, à partir de Seyðisfjörður, le petit port de la côte est où accostent les ferrys, cet hiver-là ne fait pas de cadeau : « La météo est le critère absolu, elle dicte sa loi et s’impose à tout » dit Thomas. « En même temps, j’ai immédiatement compris qu’elle façonne ce trait de caractère spécifique des Islandais : ils vivent au jour le jour et ne prévoient que rarement à moyen ou long terme. Même prévoir un week-end est impossible pour eux !

À Seyðisfjörður, je suis dans le bain dès le premier jour et je réalise instantanément ce qu’est la spécificité d’un fjord : on arrive au niveau de la mer, mais à peine quelques kilomètres plus tard, on se retrouve sur des routes de montagne. Je n’avais pas trop potassé tout ça, mais je me suis vite rendu compte que même avec les quatre roues motrices et les pneus neige, ça allait tout de suite se compliquer considérablement… Je me suis souvenu de ce que m’avait dit un chauffeur de bus au mois de février précédant, ou plutôt un pilote de bus tant conduire est compliqué dans ces régions : il faut apprendre à conduire entre le haut des piquets qui balisent la route. J’ai vite compris là encore, car tout est soudain devenu brutalement tout blanc, la route, les bascôtés, le ciel… La seule solution : se concentrer au maximum pour rester tant bien que mal entre les fameux piquets. J’étais sous pression, d’autant plus que juste avant mon départ, il y avait eu un glissement de terrain dans le village qui avait emporté une trentaine de maisons ! Dans ma tête, je me disais : il n’y a pas 24 heures que tu es là, le blizzard est arrivé, il y a eu un gigantesque glissement de terrain… OK, c’est L’Islande, ça va être du brutal. Sincèrement, par moments, je me suis dit qu’il allait falloir essayer urgemment de comprendre ce que survivre voulait dire… »

Bien sûr, en écoutant Thomas raconter ce genre d’épisodes, on ne peut que se poser la question de savoir ce qui l’avait poussé à partir au cœur de l’hiver, dans des régions aussi inhospitalières : « Je m’étais dit que quitte à partir dans un pays compliqué, autant vivre ça tout de suite au degré maximum » répond-il sans rien éluder. « Aller quelque part quand il fait beau, c’est facile, mais ça ne permet pas de se rendre compte de grand-chose. Le choix de partir en hiver, avec quelques heures à peine de faible luminosité par jour, était vraiment délibéré… »

Le trajet prévu emmenait l’aventurier à longer la côte Sud du pays en évitant l’immense et impressionnant glacier du Vatnajökull qui barre tout le sud-est du pays, l’objectif étant de passer le Nouvel An à Reyjavik, qu’il atteindra après trois semaines passées au pied du célèbre volcan Eyjafjallajökull, désormais rendormi depuis son éruption catastrophique de 2010.

Passés les dix jours dans la capitale islandaise, Thomas s’est consacré au woofing, cette pratique qui consiste à travailler bénévolement dans une ferme en échange du gite et du couvert. « Et c’est là que j’ai commencé à me poser les vraies questions concernant les raisons profondes de ma présence ici » se souvient-il. « Je me rendais compte chaque jour de la chance que j’avais : tu bosses, tu tournes la tête, tu as un glacier avec un volcan en-dessous, tu te retournes et à peine deux kilomètres plus loin, tu as l’océan Atlantique ! Souvent, le soleil ne montant vraiment pas très haut et pas longtemps dans le ciel, les lumières en-dessous des nuages étaient fantastiques… Mais, malgré tout, au bout de trois semaines, je me suis senti devenir un peu blasé de l’endroit… Je me suis dit que je vivais ce que j’avais envie de vivre, certes, mais que mon voyage intérieur était bien plus gigantesque encore…

J’ai donc repris la route, des heures et des heures à ne croiser aucune voiture, Covid oblige. Mais des haltes inoubliables face à des paysages incroyables et inédits. Trois mois après mon arrivée sur la côte Est, j’avais effectué le tour complet de l’île, quasiment 9 000 km… »

Il me fallait cette violence-là…

Aujourd’hui, trois ans après son incroyable périple au cœur de l’hiver islandais, Thomas Waeldele reconnait avoir eu la réponse à beaucoup de questions qui le harcelaient. « L’avantage de ce voyage a été de me retrouver en perte totale de repères, car à mon arrivée en Islande, je ne connaissais vraiment pas grand chose du pays. Je me suis donc débrouillé tout seul pour tout et ce ne fut pas une mince affaire, avec les trois mots d’islandais que je baragouinais.

Ce voyage m’a fait comprendre une réalité profonde : je n’étais plus fait pour les grands systèmes, tels que ceux dans lesquels je baignais depuis si longtemps. Quelque chose d’autre a joué aussi dans le sens d’une prise de conscience totale : il y a quand même eu une paire de jours où j’ai réalisé de près que ma vie pouvait s’arrêter dans les minutes qui suivaient. Quand tu roules à peine à 10 km/h dans le blizzard, les feux plein pot, que tu passes le fameux piquet sans voir le suivant et que tu sais que d’un côté tu as la falaise et de l’autre le ravin, ça t’amène à profondément réfléchir, tu relativises beaucoup de choses, crois-moi…

Il me fallait cette violence-là pour pouvoir vivre ce que j’avais au plus profond de moi. Et ce que j’avais, c’était la conviction que c’est le local avant tout qui m’inspire : ça repose sur une seule envie, à partir de là où on habite, pouvoir construire son logement, se nourrir et pouvoir éventuellement trouver les plantes pour se soigner.

Fort de cette réalité, ma réalité en fait, de retour en France, j’ai entamé une formation de naturopathe, mais je l’ai arrêtée, car elle m’emmenait de nouveau dans le schéma que j’avais si mal vécu auparavant.

Alors, depuis la mi-mai dernier, j’ai entamé un tour de France dans un fourgon aménagé pour rencontrer toutes sortes de gens dans des écolieux, des communautés, pour voir comment ils vivent avec des formats de vie plus simples mais ensemble ! La prochaine étape sera de m’installer quelque part : soit je crée mon lieu de vie, soit je m’intègre dans un lieu de vie existant et qui me correspond. Je viens de terminer une formation de permaculture en Bretagne pour acquérir les bases de l’essentiel du cycle de la nature et travailler les ressources qu’on a naturellement autour de soi. Et à partir du printemps prochain, je vais reprendre la route… Je vais ainsi continuer de cultiver ce que j’ai appris de la phrase du grand aventurier Mike Horn : “Pour commencer à marcher, il suffit d’avoir la réponse à 5 % des questions qu’on se pose. Le reste, les 95 %, ils viennent en marchant…” Et puis, il y a cette conviction que j’ai acquise grâce à l’Islande et qui est désormais si enracinée en moi : j’aurai ce qu’il faut au moment où il le faudra… » c

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