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Ces Alsaciens
c ISLANDE
Jean-Luc Fournier
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Ces Alsaciens sous les aurores boréales
Ils s’appellent Karim, Catherine, Valentin, Florent ou encore Thomas… Tous ont en point commun un désir d’Islande, survenu plus ou moins tôt, prémédité ou moins, mais, au final, toujours assouvi, car tous ont osé franchir le pas et se mesurer à ce pays unique et quelquefois si étrange. Nous les avons rencontrés à Reykjavik ou en France. Ils racontent ce qu’ils vivent ou ont vécu. Dans leurs yeux se reflètent les mille nuances de l’Islande. Et l’émerveillement ne les a jamais quittés…
Ces Alsaciens sous les aurores boréales Karim Dahmane : l’Islande, comme une évidence…
Il est Strasbourgeois d’origine et il avoue bien volontiers « avoir depuis toujours eu la bougeotte ». Alors, très tôt, il a assumé ses envies et le voyage est devenu pour lui une seconde nature. « L’Islande m’a permis de devenir celui qui est au fond de moi » dit-il joliment…
Voyager a toujours été un objectif quasi obsessionnel pour vous…
Je ne sais pas si on peut dire ça comme ça, mais oui, très vite, j’ai eu en tête l’idée de pouvoir joindre à l’utile à l’agréable c’est-à-dire d’être à même de voyager, mais aussi de vivre ma vie depuis une destination lointaine. Je travaille donc dans le tourisme depuis trente ans. J’ai commencé à travailler comme guide à Terres d’aventures, me spécialisant sur les zones désertiques, sahariennes principalement. J’emmenais les gens marcher. Peu à peu, j’ai ajouté les zones arctiques, le Groenland et le Spitzberg, à mon programme…
Comment s’est passée votre rencontre avec l’Islande ?
Au tout départ, j’ai posé pour la première fois le pied sur le sol islandais pour une question liée à l’impératif d’une escale lors d’un vol aérien vers le Groenland. Et j’ai fait la connaissance d’un ami qui vivait en Islande ce qui m’a permis de multiplier les petits séjours lors des escales, dans les années 90. Il y a eu ensuite pas mal de choses qui ont changé au sein des agences de voyages pour lesquelles je travaillais, des rachats et regroupements surtout. Comme
notre statut de travailleur indépendant est d’une grande fragilité, j’ai réalisé que je n’allais pas tarder à rencontrer des problèmes et qu’il allait falloir que je me prépare une solution de sortie. Je restais cependant très attaché à mon point d’ancrage qui était Strasbourg et à ma terre d’Alsace…
Comment les choses ont-elles bougé ?
Le tourisme n’a jamais été pour moi une fin en soi, mais j’y ai toujours cherché un réel potentiel de rencontres, car ce sont ces rencontres qui, pour moi, nous font évoluer et génèrent le changement. J’ai donc un temps arrêté de collaborer avec les sociétés habituelles et au début des années 2000, mon ami en Islande m’a incité à venir dans l’île où j’ai commencé à guider jusqu’à finir par rencontrer Silja, une FrancoIslandaise qui est devenue depuis la mère de mes enfants. Elle vivait à Paris et elle venait en Islande pour encadrer des voyages d’été. On a décidé de s’installer là-bas parce que je me disais que c’était un beau pays où nous pouvions à l’évidence réaliser pas mal de choses. C’est donc l’amour qui m’a amené vers l’Islande et j’ai très vite réalisé que ce pays me permettait de devenir celui que j’avais au plus profond de moi depuis toujours. Elle me paraissait bien, cette idée. Nous nous sommes installés en Islande en 2008. Au meilleur moment…
C’est à dire au moment où la crise financière mondiale a éclaté…
C’est cela. Ce fut un enfer. heureusement, le pays a pu assez rapidement rebondir. Et nous avons fini par pouvoir nous intégrer assez correctement. J’ai beaucoup de reconnaissance pour ce pays où j’ai finalement pu me réaliser. J’en ai aussi pour les Islandais qui, en référence à un passé historique qui n’a pas toujours été pour eux une partie de plaisir, savent aujourd’hui se battre et affronter crânement l’adversité. Ils l’ont notamment prouvé dans les années 60/70 où ils ont su affronter les bateaux anglais qui venaient pêcher dans leurs eaux territoriales en vertu d’acquis historiques qui n’avaient aucune légalité justifiée.
Comment votre activité s’est-elle finalement développée ?
Malgré l’éruption-surprise de l’Eyjafjallajökull deux ans après avoir lancé mon agence, ce qui est venu encore un peu plus compliquer les choses, sur le coup, je peux dire aujourd’hui que ça marche plutôt pas mal. En fait, j’ai profité du boom touristique que nous connaissons depuis dix ans en Islande…
Parmi toutes les qualités que vous reconnaissez à ce pays et parmi tout ce qui fait que vous avez décidé d’y construire votre vie, quel est peut-être le point le plus remarquable que vous avez envie de souligner ?
Il y en aurait à l’évidence plus d’un. Mais je voudrais mettre en valeur le fait que les Islandais sont des gens fantastiques notamment pour le fait que s’ils constatent que vous avez trouvé votre chemin et que vous avez une idée qui vous porte, ils vous font très facilement une place. Vous n’avez aucunement besoin d’apparaître comme quelqu’un qui brasse beaucoup d’argent, vous pouvez être un artiste ou simplement quelqu’un qui s’est fait son petit boulot, ils vous intègrent bien. Ici, au final, j’ai donné une autre direction à ma vie, j’ai élevé mes enfants. L’Islande m’a ouvert ses bras… » c
Ces Alsaciens sous les aurores boréales Catherine Ulrich, l’Islande au cœur…
« Alsacienne et Strasbourgeoise de souche » tient-elle d’entrée à préciser, Catherine Ulrich vit depuis toujours une incroyable histoire d’amour avec l’Islande. Nos rencontres à Strasbourg d’abord puis à Reykjavik – pour son 77e séjour là-bas ! – ont révélé chez elle un attachement quasi viscéral à l’île perdue dans l’Atlantique-Nord dont elle nous parle avec une passion intacte. Portrait…
N
ous sommes dans les années cinquante. C’est un simple livre dans une bibliothèque familiale d’un appartement strasbourgeois de l’allée de la Robertsau. La petite fille a sept ou huit ans, peut-être… Elle est devenue octogénaire aujourd’hui (même si on lui donne facilement quinze ans de moins), mais elle se souvient bien de ce livre et surtout de sa couverture : « Il appartenait à mes parents » raconte Catherine Ulrich avec une pointe de nostalgie dans la voix « et je me souviens comme si c’était hier de sa couverture et de la photo de cette église de Háteigskirkja et ses quatre clochers (une église d’un quartier de Reykjavik – ndlr). Le cliché avait dû être pris au lever ou au coucher du soleil, je pense, car je me rappelle bien de ses couleurs orangées. Ce livre, j’ai dû le feuilleter des centaines et des centaines de fois. Je ne rêvais pas encore de volcans ou de geysers, mais pour moi, toute petite fille, ce livre et cette couverture résumaient l’Islande. Et je me suis mise à me passionner pour ce pays… Mais, malgré tout cela, j’ai mis très longtemps avant de poser le pied sur cette terre. Je suis devenue veuve très tôt, j’élevais seule mes trois enfants et se rendre à quatre en Islande, à cette époque, était largement hors de mes moyens pour la simple professeur de musique que j’étais. Mais je me suis toujours sentie attirée par les pays nordiques, alors nous avons souvent voyagé l’été en Norvège, on louait des huttes sur les campings, on a même poussé un jour jusqu’au Cap Nord. Mais l’Islande, pour moi, restait inatteignable, malgré ma connexion persistante avec le petit livre de mon enfance… »
Un heureux engrenage
La vie, quelquefois, souvent, se charge de mettre sur pied ces rendez-vous qu’on croit impossibles, qu’on s’imagine ne pouvoir ne vivre que dans nos rêves. Pour Catherine, c’est la rencontre avec celui qui deviendra son deuxième époux.
Il y a trente ans, pour ses cinquante ans, elle se voit offrir le précieux cadeau, son premier voyage en Islande. Elle se souvient parfaitement de sa première sensation : « À l’époque, l’aéroport international de Keflavik (situé à 50 km de Reykjavik) n’existait pas, on atterrissait sur l’aéroport de Reykjavíkurflugvöllur, à proximité immédiate du centre de la capitale islandaise (cet aéroport est réservé aujourd’hui aux vols intérieurs du pays – ndlr).
Ma toute première sensation, je m’en souviens comme si c’était hier, c’est, dès avoir quitté le tarmac, avoir marché comme sur la lune, sur ces roches volcaniques si particulières. Une sensation quasi identique à celle que j’avais déjà ressentie dans l’enfance quand le concierge de notre immeuble vidait chaque matin la chaudière des restes du charbon consumé, les scories du combustible avaient le même aspect et on entendait ce crissement très particulier quand on marchait dessus. Ce qui m’avait également aussitôt frappé lors de mon tout premier voyage, c’était les lumières tout à fait singulières qui baignaient ce pays. Les ciels sont très souvent bas, mais rarement lourds ou oppressants. Je crois que c’est la proximité du pôle Nord qui explique ce phénomène. J’ai toujours eu l’âme très sensible et pour moi, les ciels d’Islande me rapprochent des disparus qui me restent chers. Ce fut un véritable voyage initiatique et comme j’étais membre très active d’une chorale et d’un orchestre, je me suis tout de suite dit qu’il fallait que j’amène tout le monde dans ce pays. Ça s’est fait sous la forme d’un échange avec une chorale islandaise de la Côte-Nord de l’île… »
Sans le savoir, Catherine Ulrich venait de mettre le doigt dans un (heureux) engrenage. Un voyage, puis un autre, puis encore un autre et, très vite, elle sera à l’origine de la création de Alsace-Islande, une association culturelle qui deviendra une vraie référence en matière… d’organisation de voyages et de conférences. « Ce n’était pas notre seul but » commente Catherine « mais c’est vrai que je me suis passionnée pour cet aspect-là de notre activité associative. Peu à peu, j’ai développé une sorte d’expertise, j’avais mes parcours, mes références d’hébergements, mes restaurants incontournables et le bouche-à-oreille a fait le reste. L’Islande est devenue ma destination privilégiée, voire unique, et je n’ai cessé d’éprouver du plaisir à la faire découvrir à des centaines de gens, au fil des
ans. Je n’ai jamais cessé d’être bénévole, je n’en ai jamais fait un métier, mais j’ai sans cesse su m’adapter. Par exemple, il y a une quinzaine d’années, j’ai eu affaire à de plus en plus de femmes seules et des exigences d’un hébergement plus confortable se sont faites jour. Alors, j’ai fait évoluer en conséquence ma gamme d’hôtels, un peu comme l’agence de voyages que nous n’étions pas, mais dont je m’efforçais de copier le professionnalisme. J’ai même un jour pu organiser un voyage pour une cinquantaine d’étudiants d’une école d’ingénieurs, l’INSA, venus sur place pour étudier concrètement la géothermie, notamment. Ils en gardent tous un superbe souvenir, je crois… (des propos que confirme un grand ami de Or Norme, leur ex-professeur Armand Erb, aujourd’hui à la retraite – ndlr). Voilà pourquoi je peux aujourd’hui afficher 77 voyages en Islande à mon compteur » sourit Catherine qui compte bien atteindre le chiffre rond de cent voyages. Mais ce ne seront plus des voyages qu’elle organisera, car elle a mis fin à cette activité quelques mois avant que le Covid ne vienne tout perturber.
Les solides particularités d’un si petit peuple…
Reste que, parfaitement bilingue, la néo-octogénaire reste une formidable personne-ressource : quand nous avons en partie préparé notre voyage là-bas avec elle, il n’y a pas un lieu, un site, un hôtel ou un restaurant d’étape qu’elle ne connaissait pas. Quasi incroyable…
Cette parfaite connaisseuse de l’Islande est bien placée pour évoquer l’évolution contemporaine de ce pays, elle qui l’a connue à une époque où il restait assez enclavé, mais si follement « nature ». Je me souviens même » raconte-t-elle, « qu’il y a trente ans, on roulait sur des routes sans asphalte vers le Snaefellsjökull (le glacier qui inspira Jules Verne pour son formidable Voyage au centre de la Terre – ndlr) et qu’on suivait parfois une arroseuse publique qui projetait de l’eau sur la piste pour qu’elle ne s’érode pas trop quand elle devenait trop sèche. Ce type de routes existent encore aujourd’hui, mais l’asphalte est devenu beaucoup plus fréquent, bien sûr.
Ceci dit, l’Islande contemporaine a beaucoup évolué, à l’évidence. Le tourisme est arrivé en masse, surtout à Reykjavik et dans l’ouest du pays et il a forcément eu un impact, car moins de 400 000 Islandais vivent sur leur ile. Mais, néanmoins, ce petit peuple, par le nombre d’âmes, conserve ses solides particularités : il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, mais parmi elles, il y a par exemple cette tradition d’accueil concernant les émigrés. Il y a ici beaucoup de gens d’origine polonaise, voire russe, beaucoup d’Asiatiques aussi et même, ces derniers temps, des Ukrainiens et les Islandais que je connais vivent ça plutôt bien. Certains revendiquent même ce brassage de population, car cela permet de “mélanger leur sang” comme ils disent. En effet, les risques de consanguinité ne sont pas rares dans une population aussi petite.
J’admire aussi leur façon d’éduquer leurs enfants, très vite et de façon très surprenante pour nous autres Français, les jeunes couples islandais leur accordant une autonomie qui ne cesse de grandir, et çà, je le constate depuis trente ans, en effet. Au bord des cascades, ils laissent leur bébé trottiner tout seul, car il doit apprendre le plus vite possible à se sentir le plus indépendant possible. Quasi impensable en France…
Je crois que pas mal de nos compatriotes seraient très étonnés des particularités réelles de ce si petit peuple… » conclut Catherine, la passionnée, dont l’œil ne cesse de briller dès que le mot Islande est prononcé.
Tout cela grâce à la magie aujourd’hui lointaine, mais toujours présente d’une couverture orangée dans la petite bibliothèque de son enfance… c
Ces Alsaciens sous les aurores boréales Valentin Fels-Camilleri, le battant…
Aussi loin qu’il se souvienne, ce Haut-Rhinois d’origine, passé par Strasbourg pour ses études supérieures à la Faculté des Sciences du sport, a toujours voulu voyager et élargir son horizon. Après quelques étapes déterminantes, il s’est fixé à Reykjavik où nous l’avons rencontré. Il nous parle avec une belle jubilation de sa nouvelle vie en Islande…
On découvre le Mjölnir (le nom islandais du marteau du dieu Thor) en haut d’une mini-colline, quasi protégé des regards dans une zone sans commerciale sans âme de la proche banlieue de la capitale islandaise. Le bâtiment ne paie pas trop de mine, mais sa visite, aussitôt entamée en suivant les pas de Valentin Fells-Camilleri, révélera vite qu’il est plutôt bien pensé, suffisamment en tout cas pour avoir gagné assez vite ses galons de premier club de sport de Reykjavik. Autour d’une tasse de café, Valentin se prête avec un entrain non feint au jeu des souvenirs…
Tu n’as que 31 ans, mais ton parcours révèle déjà une belle appétence pour l’ailleurs, les voyages, la découverte de beaucoup d’horizons…
C’est certain. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu voyager, mais j’ai commencé somme toute assez tard. L’Islande, une première fois, fut mon premier grand voyage sans mes parents. J’avais 21 ans. Et j’ai passé des vacances ici après avoir rencontré un Islandais, Gunnar, qui était jeune homme au pair à Colmar et avec lequel j’ai bien accroché. C’est lui qui m’a fait découvrir l’Islande durant trois semaines à l’été 2012. J’ai été immédiatement et totalement séduit. C’était avant le boom touristique de ces dernières années et j’avais été fasciné par ces paysages grandioses quasi vides de toute présence humaine. J’ai ensuite continué mes études à Strasbourg et s’est présentée une superbe opportunité à six mois de la fin de ma cinquième année de Master à Strasbourg où j’ai pu bénéficier d’un stage de fin d’études en Australie, au laboratoire de sport et de nutrition de l’Université de Brisbane. Six mois fantastiques où j’ai pu continuer mes entrainements de jiu-jitsu et même participer à quelques compétitions, en même temps que je finissais ma thèse. Une fois le stage terminé, j’ai passé quelques jours en Asie puis en Nouvelle-Zélande, j’ai fait le tour du coin, quoi (rires). De retour en Alsace, mon diplôme en poche, j’ai fini par tourner un peu en rond, j’ai eu du mal à développer l’activité de coach que j’avais prévu d’exercer et, pour être franc, j’ai compris que si je voulais continuer à développer mon entrainement et être au top de mon sport, il allait falloir que je parte. J’ai pensé à Paris, aux États-Unis, j’étais très indécis… Au printemps 2016, je suis revenu à Reykjavik, à Mjölnir, pour préparer les championnats d’Europe et le staff du club m’a alors dit que le club allait se développer en ouvrant une structure plus grande et m’a fait comprendre qu’il y aurait sans doute une opportunité pour moi. À mon retour en France, j’ai mis un maximum d’argent de côté et je suis finalement revenu en Islande au début de l’automne en me disant que je ne risquais rien à tenter ma chance au club, d’abord en m’y entraînant puis peu à peu, en y prenant des responsabilités en tant que salarié. Je raccourcis le récit, mais le hasard a bien fait les choses, vers la fin de l’année : le responsable de la section de compétition de jiu-jitsu a annoncé qu’il quittait son poste pour un autre job et, immédiatement, on m’a proposé sa place ! J’ai
accepté, mais franchement, je me sentais un peu nerveux : cet homme était mon modèle et je me suis dit qu’il allait vraiment falloir que je sois convaincant pour m’affirmer. Je me suis lancé, et, au fur et à mesure, tout s’est bien passé côté professionnel puisque je suis devenu entraîneur en chef de cette section de compétition, mais aussi au niveau sportif avec une belle troisième place à l’équivalent des qualifications européennes pour les JO, une victoire aux championnats nationaux chaque année depuis quatre ans et récemment une prestation remarquée lors du plus grand show européen de mon sport. Enfin, j’ai ouvert ma propre structure à Akranes (une localité à une cinquantaine de kilomètres du nord-est de Reykjavik – ndlr). Bon, j’ai volontairement occulté jusque-là une des raisons principales qui m’avaient fait m’établir durablement dans ce pays : je suis tombé amoureux d’une Islandaise, Tina, que j’ai rencontrée il y a cinq ans. On a eu notre bébé, Lena-Katrin, il y a deux ans… Tina est originaire de Akranes, voilà pourquoi nous vivons là-bas.
C’est une très belle histoire. Parle-moi maintenant des Islandais, vus avec les yeux de l’Alsacien que tu es toujours, mais qui vit à demeure depuis plus de six ans dans ce pays surprenant…
Sincèrement, je vois que beaucoup de mes habitudes ont changé. Je pourrais raconter une multitude d’anecdotes, évidemment… L’une est assez révélatrice, surtout avec l’époque que nous vivons aujourd’hui. Au début de ma vie de couple avec Tina, j’avais du mal à comprendre un truc qui était incroyable à mes yeux : les gens gardaient tout le temps les lumières allumées et ils n’étaient absolument pas économes avec l’eau, par exemple. Tout cela me paraissait aberrant, au vu de mon éducation française même si la latitude de l’Islande fait qu’en décembre ou janvier, on n’a au mieux que trois heures de lumière du jour quotidiennement. Au début, je passais systématiquement derrière elle pour éteindre la lumière et elle la rallumait aussi sec. C’est d’ailleurs devenu un jeu entre nous, depuis. Mais le prix de l’électricité, ici, c’est peanuts compte-tenu qu’elle est quasiment entièrement d’origine géothermique ou hydraulique. C’est pareil pour le chauffage, les gens laissent couramment les fenêtres grandes ouvertes et le chauffage à fond, ce n’est pas un problème. Les voitures électriques sont en plein boom dans le pays et la recharge est tout aussi peu coûteuse… Sur un autre plan, il m’a fallu m’adapter. Tiens, rien que la traditionnelle bise à la française. Tant au niveau des hommes que des femmes, elle n’est pas du tout dans la culture islandaise. Ça ne se fait pas du tout ici. D’ailleurs, assez souvent, même dire bonjour ou au revoir n’est pas usuel non plus. Ça doit tenir au fait que nous sommes, au fond, une petite communauté, moins de 400 000 personnes sur toute l’île. Avec mes potes on se quitte le soir sans se saluer et le lendemain, en se retrouvant, on peut même redémarrer la conversation là où on l’avait laissée la veille. C’est assez étrange hein ?
Quelles sont les deux ou trois qualités, en général, que tu apprécies le plus chez les Islandais ?
Il y a cette valeur bien spécifique au peuple islandais qui est l’entraide. Sans doute là encore est-ce dû à cette petite communauté que nous formons. Les connexions spontanées sont beaucoup plus importantes que partout ailleurs. Si je rencontre quelqu’un que je ne connais pas, je peux être à peu près certain que pas mal de mes amis le connaissent. Alors, si on essaie de promouvoir des valeurs comme la bonté ou l’empathie par exemple, il y a de bonnes chances que beaucoup de rencontres deviennent très vite très positives. Bon, ça marche aussi dans l’autre sens, s’il y a un problème ça se sait très vite. Du coup, énormément d’opportunités inattendues se présentent : par exemple, je me suis souvent retrouvé dans des tournages de séries hollywoodiennes ou chinoises qui recherchaient des acteurs pour des séquences de combat. Dans un autre pays, il y aurait un casting d’acteurs, mais ici, c’est tellement petit qu’ils passent au club de sport le plus renommé et ils tombent vite immanquablement sur toi…
Si je me base sur les gens que j’ai connus ici, dès qu’on dépasse la première couche de personnalité juste après la rencontre, ils deviennent vite très authentiques et s’étalent alors volontiers sur qui ils sont, ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils vivent, ce qu’ils pensent. Mais je reviens sans cesse sur cette solidarité qui les caractérise tous. Je crois bien qu’elle est là la toute première qualité des Islandais. Elle se manifeste d’autant plus dans les tout petits villages : quand tu y arrives, tu n’auras sans doute pas droit tout de suite aux grands sourires et aux grands discours, mais l’entraide se manifestera assez vite.
Du côté du très positif, je pense aussi à la façon dont est considérée la maternité. J’en ai évidemment bien pris conscience en devenant père il y a deux ans, c’est bluffant. Le congé de maternité, ici, c’est six mois pour la mère et cinq mois pour le père, sans parler d’un ou deux mois supplémentaires auxquels tu peux avoir accès en option. Au total, ton bébé peut rester avec toi pendant plus d’un an et tu es encore payé. Et ça vaut aussi pour les indépendants, ce n’est pas que pour les salariés. J’ai eu de la chance : en ajoutant les effets du Covid, j’ai eu ce privilège et ce bonheur d’être près de ma petite fille pendant presque deux ans. Elle comprend le français aussi bien que l’islandais et la connexion que j’ai avec elle est merveilleuse…
Et puis, il faut que je parle de cette ville étonnante qu’est Reykjavik. Bien sûr, elle n’est ni Londres ni Paris, mais il y a ici des intellectuels, des artistes, des créateurs et toutes sortes de gens curieux de tout, qui ne cessent de développer des modes et des tendances… Et comme la ville est petite, on les rencontre très facilement. Et je ne te parle même pas de l’atout le plus fantastique de la capitale : en moins de dix minutes de voiture, tu as accès à cette nature brute, l’océan, les montagnes… ça c’est un vrai, un gros, un énorme atout. Ici, le mix entre l’urbain et la nature est fantastique.
Et, a contrario, le négatif ?
En toute sincérité, pas grand-chose, vraiment… En me creusant fort, je dirais que nos quatre saisons traditionnelles en Alsace me manquent et il en va de même avec la langue française : comme je suis en contact avant plein d’Islandais, je parle tout le temps en anglais. Mon islandais est celui d’un gamin de cinq ans, j’avoue, mais je comprends l’essentiel de ce qui se dit. Du coup, en te parlant de ça, me vient à l’idée un trait de caractère qui serait un tantinet négatif : quand ils sont en groupe et que tu es avec eux, ils basculent très vite de l’anglais à l’islandais. Bon, rien de grave, c’est malgré eux, rien de volontaire… Finalement, ce qui est le plus handicapant est lié à l’insularité. En partir et y revenir est très coûteux, c’est une réalité.
Mais, tu vois, je cherche et je cherche pour trouver des choses à redire et au fond, il y en a si peu. Il y a un dicton, ici, qui dit un truc du genre : « Bah, pas de souci, ça va le faire… » Les Islandais sont un peu les Brésiliens de l’Europe : ils vont être un peu en retard, pas tout à fait carrés, mais, pas de souci, ça fonctionnera quand même, ils vont s’adapter tout en restant cool, mais, au final, tout se fera toujours comme prévu ou comme promis… » c
Ces Alsaciens sous les aurores boréales Florent Gast « Mes attaches sont désormais dans ce pays… »
Alsacien d’origine puisque natif d’Obernai (mais il a vécu dans les Vosges dès l’âge de deux ans), Florent Gast, 34 ans, est passé par la Fac de Nancy pour une licence d’Anglais puis un Master de Français - Langues étrangères qui l’aura finalement amené en Islande pour un stage d’un semestre à l’étranger. Et ce fut le coup de foudre…
Il avait prévenu : la rencontre et l’interview ne pourraient se faire qu’avec ses deux filles, dont il avait la charge lors de la semaine. Aucun problème pour un tel deal sauf qu’on ne peut pas contraindre deux enfants de moins de dix ans à rester stoïquement sages pendant cinquante minutes, pendant que le papa raconte tant de choses à ce monsieur étranger qui veut tout savoir. « Pas de problème, je vais choisir un endroit où elles pourront jouer dehors… » avait dit Florent qui avait fixé le rendez-vous une fin d’après-midi, dans un bar à proximité immédiate de l’aéroport de Reykjavíkurflugvöllur réservé aux vols intérieurs islandais.
Situé à peine quelques kilomètres du centre de Reykjavik, l’endroit ressemble à une vague zone commerciale un peu désertée et le bar convenu occupe un de ces ex-hangars typiques de l’armée de l’air, avec son toit arrondi, qui pullulent dans la zone. L’intérieur, cependant, est joliment agencé et décoré et s’avère être un des spots les plus tendance de la capitale islandaise.
Florent n’aura besoin que d’un rapide coup d’œil, après avoir stationné son véhicule, pour juger l’endroit tout à fait sûr et pendant une heure, Andrea et Júlia gambaderont en totale liberté au milieu de quelques jeux d’enfants en plein air. Une seule fois durant l’heure de l’interview, leur papa sortira du bar pour jeter un coup d’œil : ce n’est pas la première fois où on réalise que, décidément, les enfants bénéficient ici d’une éducation à la responsabilité qui ne pourrait certainement pas s’exercer ainsi en France…
L’Islande en tête
« Pour ce trimestre à l’étranger dans le cadre de mon Master » raconte Florent, « j’avais postulé un peu partout, en Norvège, en Lituanie mais aussi en Islande. En fait, j’avais depuis longtemps l’Islande en tête : je suis passionné de volcanisme depuis toujours et cette passion est née grâce à deux héros alsaciens, Katia et Maurice Krafft, cet incroyable couple de vulcanologues qui ont été victimes de leur passion en 1991, Katia et Maurice Krafft ont été emportés le 3 juin 1991 par une coulée pyroclastique sur les flancs du volcan Unzen au Japon. » (Un très beau doc réalisé par Werner Herzog, Requiem pour Katia et Maurice Krafft est encore disponible en streaming sur le replay de Arte – ndlr). « Je me souviens aussi des images de l’éruption de Heimaey sur les îles Vestmann, au large de l’Islande, que j’avais découvertes dans un livre qu’on m’avait offert alors que j’étais encore enfant. Et je ne vous parle même pas, bien sûr, de l’éruption de l’Eyjafjallajökull, en 2010, situé à peine 150 kilomètres de l’endroit où nous nous rencontrons… »
En 2011, Florent postule donc pour un stage à l’Alliance française de Reykjavik, programmé dans le cadre de son mémoire de Master. Début février, sous le statut de freelance, il enseigne le français à l’Alliance puis il profite d’un poste d’assistant de direction qui se libère pour se fixer en Islande. « Le poste recouvre en fait une multiplicité de responsabilités qui vont de l’administratif à la communication en passant par l’organisation d’examens et l’animation culturelle. Le tout notamment au profit d’une communauté française qui tourne autour de 300 résidents permanents mais il y a aussi pas mal de saisonniers qui s’ajoutent à ce nombre. Mais mon rôle principal n’est pas de m’adresser spécifiquement à eux, au contraire il s’adresse aux Islandais auprès de qui nous essayons de diffuser la culture française sous toutes ses formes ainsi que la Francophonie… »
« On m’a fait confiance dès le départ… »
Le temps de prendre quelques instants pour se lever et jeter un rapide coup
d’œil sur ses deux filles qui jouent à l’extérieur, Florent se met à commenter sa vie à Reykjavik : « Au niveau privé, j’ai un conjoint avec qui je vis et ce sont ses deux enfants naturels, je me suis donc très naturellement intégré à cette famille. Ici, tout est très ouvert d’esprit sur ces sujets, très gay friendly… Cela fait maintenant dix ans que je vis en Islande et franchement, je m’y sens très bien dans ma peau. En dehors de mon job à l’Alliance, je guide durant les mois d’été ce qui fait que je connais bien le pays. Au fur et à mesure de ces dix ans, j’ai appris l’islandais, ce qui me permet également de faire un peu d’interprétariat. La société islandaise est tellement petite que, très souvent, on rencontre des gens qui ont plusieurs casquettes, plusieurs cordes à leur arc. C’est fréquent. Mes activités me permettent donc de rencontrer beaucoup de gens et c’est autant d’échanges d’expériences.
Depuis 2010, il y a eu un boom touristique impressionnant et cet engouement pour l’Islande ne s’est pas démenti depuis. C’est d’ailleurs ce phénomène qui m’a permis de devenir guide, il y avait un fort manque local en ce domaine. On m’a fait confiance dès le départ, ça c’est un trait de caractère local. Ici, se lancer dans des projets transversaux est somme toute assez facile, au contraire de la France où il faut être bardé de diplômes et d’expérience.
Aujourd’hui que je suis devenu islandais de nationalité, je me sens suffisamment implanté pour essayer de parler de ce pays. Pour moi, il y a eu un avant et un après l’apprentissage de la langue. Quand on ne parle pas l’islandais, on a l’étiquette du visiteur qui finira toujours par repartir un jour ou l’autre : les gens sont polis et courtois mais ce sera assez difficile de nouer de vrais liens d’amitié. Mais l’islandais reste une langue très difficile à apprendre, ce qui est un handicap pour le pays qui a beaucoup besoin d’émigrés pour se développer. Sincèrement, les portes ne se sont vraiment ouvertes pour moi que lorsque je me suis senti assez confiant pour parler la langue quasiment en permanence… Alors, je pense que je suis légitime pour parler des Islandais : ce sont des gens chaleureux, sympas, sans doute un peu froids en apparence lors des premiers échanges, un peu comme des volcans qui seraient recouverts par un glacier ; l’image n’est pas de moi, elle est d’une jeune femme expatriée que j’ai connue ici… C’est peutêtre aussi dû au climat : il pleut souvent, il peut faire froid même si, curieusement, il fait en moyenne moins froid en Islande qu’en Alsace ! Il y a aussi ces deux mois d’hiver où la luminosité manque. Alors, il faut s’occuper, il faut avoir des amis, il faut faire du sport et tout ça permet d’oublier et de surmonter cette obscurité qui n’est quand même pas totale : au solstice d’hiver, le soleil le lève vers onze heures le matin et se couche vers quinze heures. En attendant, nos deux filles ont eu droit à leur cuillère de foie de morue chaque matin à l’école : c’est un puissant apport de vitamine D… »
Une société paisible
Mais c’est sur les thématiques liées à la tolérance que Florent s’exprime le plus volontiers. Il en souligne les aspects très particuliers : « Ici, à Reykjavik, la gay pride annuelle est comme une institution, elle n’est pas fêtée que par les gays ou les transgenres. C’est une fête familiale, c’est la fête de l’amour universel. Quant au profil atypique de notre famille, il n’a jamais fait l’objet du moindre questionnement autour de nous, à l’école par exemple. En fait, j’oublie totalement ce qui pourrait être considéré comme une exception en France : certes, nous ne vivons pas comme la majorité des gens autour de nous mais ce n’est pas un sujet, je ne me pose pas de questions. Je n’ai jamais éprouvé le besoin de me justifier.
Sur un plan plus global, je sens que l’Islande est dans la bonne direction. L’insularité et le faible nombre d’habitants imposent que ce pays puisse s’ouvrir et c’est le cas, les Islandais le souhaitent dans leur très grande majorité. Les gens sont conscients que cet apport d’immigrés est indispensable.
Il n’y a globalement pas de gros problèmes de sécurité en Islande, vous le voyez bien d’ailleurs, mes deux filles jouent tranquillement dehors sans que je n’éprouve le besoin de les avoir sous les yeux toutes les cinq minutes. Dans le quartier que j’habite ; c’est très cool aussi. Les enfants prennent très vite l’habitude de se fréquenter dans les familles. Nous sommes tous reliés par une petite application style WhatsApp et quand je pose la question : « Où est Andrea ? », la réponse arrive vite : « Elle est chez nous, en train de prendre son goûter… » J’avoue que nous vivons dans une société paisible et c’est très agréable, je le vis comme un privilège. C’est sans doute un des pays du monde où élever ses enfants est le plus facile et le plus agréable… Ceci dit, le fait d’être un petit peuple n’est pas sans inconvénient : c’est très difficile de sortir sans rencontrer quelqu’un qu’on connait. Ce sentiment est permanent. Quelquefois, on aimerait bien vivre dans un certain anonymat. Du coup, ça peut provoquer d’étranges sensations. Regardez nos maisons : elles n’ont pas de volets, elles ont de grandes baies vitrées, on ne cache rien, il n’y a rien à cacher… »
J’ai vraiment grandi…
Très vite, au cœur de ce bar branché de la capitale islandaise, la conversation bifurquera vers des thématiques liées à l’art et à la culture. Là encore, Florent n’est pas avare quand il s’agit de manifester sa satisfaction quant à son pays d’adoption : « On en a parlé, le climat et la luminosité quelquefois insuffisante poussent les gens à s’occuper de quelque façon que ce soit et dans ce cadre, l’art et la pratique artistique sont florissants. D’ailleurs, les Islandais consacrent beaucoup d’argent pour la décoration de leur intérieur et pour l’achat d’œuvres d’art. Il en va de même pour les équipements publics en la matière… » Et, très vite, de citer le Harpa, cette gigantesque salle de concerts et de conférences, à l’architecture d’une folle audace, construite à proximité immédiate du port, face à l’océan. « Je le raconte souvent quand je guide : la construction du Harpa a débuté très peu de temps avant la crise financière de 2008 et son édification a très vite été hors de prix. Il a même été question de stopper immédiatement les travaux. Mais il a été décidé que le contribuable mettrait la main à la poche et les travaux ont pu continuer. Quand il s’agit d’art, les Islandais réclament le meilleur et ce bâtiment est devenu finalement un marqueur, un emblème pour leur capitale… »
Tout au long de l’entretien, Florent sera resté soucieux de ne jamais employer un vocabulaire trop dithyrambique pour parler de ce pays qui l’a accueilli et où il se sent si bien tant professionnellement qu’humainement. Pour un peu le provoquer, en conclusion, on le pousse à se demander ce qu’il ferait si on lui proposait le même job très loin d’ici, avec un salaire doublé à la clé : « Pourquoi pas ? C’est d’ailleurs peut-être un projet de partir un temps ailleurs, oui, pourquoi pas ? Mais ce serait pour revenir tôt ou tard en Islande. Je sens que mes attaches sont désormais dans ce pays, il y a ici comme une forme d’insouciance, j’utilise mon vélo pour aller au travail, je suis à deux pas des montagnes et de l’océan, et partout en Islande, il y a cette belle ouverture d’esprit et ce gros potentiel d’opportunités. On m’a fait confiance sur énormément de choses. J’ai vraiment grandi. Je ne vois pas, pas plus en France qu’ailleurs, un pays où j’aurais pu réaliser aussi vite tout ce que j’ai fait ici… » c