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Des experts en prothétique qui créent la première queue artificielle pour dauphin. Une histoire qui inspire, forcément…
Un dauphin et des Hommes
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n décembre 2005, un pêcheur qui se trouve près des côtes de Cap Canaveral en Floride fait une rencontre assez inattendue. Alors qu’il remonte ses pièges à crabes, il entend des cris. Il découvre un grand dauphin femelle à peine âgé de quelques mois en fâcheuse posture : son museau et sa queue sont solidement pris dans un piège. Le pêcheur réussit péniblement à l’en extirper et un appel de secours est lancé. Le dauphin est transporté au Clearwater Marine Aquarium (CMA) où il sera recueilli et soigné durant les semaines suivantes. L’animal souffre de plusieurs blessures dont une particulièrement importante à la queue. L’équipe qui prend en charge l’animal se prend d’affection pour elle (c’est une fille). Nous sommes en décembre, ‘Winter’ sera son nom. Malgré une amélioration de son état général, Winter finit par perdre sa queue suite à une nécrose. Elle continue à nager tant bien que mal en effectuant des mouvements de queue horizontaux similaires à ceux des poissons et cela n’augure rien de bon : elle
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pourrait vite souffrir de séquelles irréversibles au niveau de la colonne vertébrale.
Le déclic En 2006, Kevin Caroll, un prothésiste de renom outre-atlantique et vice-président du département prothèses de la société américaine Hanger propose d’offrir à Winter une queue artificielle. Il ne faut pas moins de 18 mois à Caroll et à son collègue Dan Strzempka (lui-même amputé de la jambe) pour proposer un prototype. La tâche s’avère plus ardue que prévue. Caroll explique : « Lorsque vous adaptez une prothèse sur une personne, le membre n’est composé que d’un os qui ne se meut pas dans toutes les directions. Chez le dauphin, la prothèse doit bouger en synergie avec la colonne vertébrale. » C’est l’une des difficultés majeures : faire en sorte que la queue artificielle reste en place et qu’elle puisse permettre de propulser un dauphin de 200 kilos à plus de 3 mètres hors de l’eau !
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LE GROUPE HANGER
L’orthoprothésiste Kevin Caroll et Winter le dauphin.
La division prothèses et orthèses est le fer de lance du groupe Hanger. Le groupe dispense des solutions à plus de 650 000 patients tous les ans. Avec plus de 600 centres spécialisés aux États-Unis, Hanger emploie près de 25 % des prothésistes et orthopédistes du territoire nord américain.
Plus d’infos sur : www.hanger.com
Le défi est lancé. Le soir et les week-ends, Caroll et Strzempka élisent domicile au CMA où ils développent de nombreux prototypes en partenariat avec ALPS, société spécialisée entre autres dans >>>
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les orthoprothésistes du groupe hanger, Dan strzempka (à gauche) et Kevin carroll (à droite) élaborent une prothèse de queue munie d’un manchon révolutionnaire « le winter’s Gel » qui profite aujourd’hui à de nombreux patients aux usa.
la conception de manchons à base de gels à haute tolérance cutanée. Ce partenariat donnera naissance au WintersGel® un silicone d’interface qui améliore le confort de la prothèse sur le membre résiduel. Ceci est particulièrement intéressant chez les personnes souffrant de fragilités cutanées ou de douleurs d’adaptation aux prothèses. La nouvelle queue de Winter conçue pour résister à l’eau de mer adhère par succion (à la manière des gants chirurgicaux).
Un patient pas comme les autres La nature extraordinaire de la relation qui unit Winter à ses sauveurs suscite une vive curiosité à travers le monde.
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La relation thérapeute/patient transposée à l’animal évoque un mystère aussi vieux que la domestication de l’animal par l’Homme. Contre toute attente, Winter semble rapidement accepter le rituel qui conduit à la mise en place de sa prothèse. Après quelques mois, elle adopte automatiquement la position initiale qui consiste à présenter son moignon au personnel soignant. Un impressionnant travail de dressage rendu possible grâce à l’investissement du personnel de l’aquarium habitué à recueillir des animaux blessés. C’est en particulier grâce à Abby Stone, sa maman d’adoption (c’est ainsi qu’elle se décrit) que Winter apprend à nager avec sa prothèse. Une relation de grande confiance qui conduira Winter à accepter la présence
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de l’équipe du film « A Winter’s Tale » des studios Disney en 2010. Abby Stone avait invité les membres de l’équipe à évoluer autour du bassin de Winter avec de fausses caméras afin de l’habituer à leur présence en vue du tournage. Winter participe régulièrement aux représentations publiques de l’aquarium, mais c’est auprès des
personnes amputées qu’elle est la plus utile. À propos des vétérans de guerre, l’un des thèmes abordé par le film, Abby Stone raconte : « Ils s’identifient à elle car ils ont traversé des épreuves difficiles qui ont irrémédiablement changé leur vie et doivent apprendre à s’adapter. » Ainsi, la réalité rejoint la fiction. Il est peu probable que Winter puisse jamais faire des bonds hors de l’eau avec une prothèse mais ses progrès se mesurent au quotidien. Elle est amenée à nager normalement plusieurs heures avec sa prothèse et ce temps n’a cessé d’augmenter.
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La 3D dans tous ses états
mise en place de la prothèse.
Comment adapte-t-on une prothèse sur un animal ? Grâce aux technologies de reconstruction 3D, il a été possible à l’équipe de Hanger d’obtenir un modèle fidèle au moignon de queue. La technique proposée par le groupe Hanger a cela d’intéressant qu’elle permet de réaliser des modélisations alors que le patient bouge. Et contrairement au moulage classique, le système Insignia™, c’est son nom, permet de capter les moindres détails du membre résiduel. >>>
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scanner 3D insigna™ du pédoncule caudal de winter.
sculpture du pédoncule assistée par ordinateur.
La prothétique chez les animaux Aujourd’hui, partout dans le monde et sur la toile, Winter est devenu un véritable phénomène. Son histoire est une véritable source d’inspiration pour de nombreuses personnes y compris chez les « valides ». Elle ne permet d’entrevoir qu’une infime partie de cette discipline. Voici une sélection tirée du magazine américain de vulgarisation scientifique « Wired » :
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Il y a Molly, une ponette abandonnée dans le chaos qui a suivi l’ouragan Katrina. Elle a perdu une patte suite à l’agression par des pitbulls errants. Molly a ensuite porté différents modèles de prothèses. Elle porte actuellement une patte artificielle développée par Dwayne Mara of Bayou Orthtotic & Prosthetic. Une prouesse lorsque l’on sait qu’un cheval adulte pèse en moyenne 500 kilos. Ce type de prothèse permettrait d’éviter l’euthanasie systématique des chevaux de course blessés. Chrisie, une grue du Canada, eut la patte arrachée par une balle de golf. Elle fut recueillie par Lee Fox qui dirige l’association « Save our seabirds ». Ce bricoleur inspiré eut l’idée de créer une patte à partir d’un tuyau de PVC e t d’un bouchon d’évier... mais c’était avant d’entendre parler de Kevin Carroll. Caroll effectua un moule de la patte de Chrisie afin de lui proposer un membre sur-mesure. La prothèse (en développement) ressemblera beaucoup à la Cheetah d’Ossür portée par Oscar Pistorius.
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c to rs tte u Sh
Quand technologie et compassion font bon ménage… Il est presque impossible de tirer de grandes règles de conception de dispositifs médicaux pour animaux tant les spécificités anatomiques varient d’une espèce à l’autre. Ce constat est également valable entre individus de même race. Certains gros chiens souffrant de dysplasie auraient besoin d’un remplacement total de hanche afin de rétablir la fonction articulaire. Parallèlement à la médecine, les vétérinaires ont développé des prothèses de hanche en titane pour chiens. (cf. http:// orthopets.com/) Chez les humains, on considère le membre artificiel comme partie intégrante du processus de la réhabilitation physique et
émotionnel. Les animaux sont affectés de la même manière ; c’est ce qui explique qu’un chien équipé d’une patte artificielle bien adaptée retrouvera rapidement sa vitalité. Les animaux ne se préoccupent pas de la pression sociale générée par la modification de leur apparence physique ce qui facilite leur adaptation. La prothétique pour animaux est relativement nouvelle et évolue rapidement grâce aux progrès des technologies médicales. La passion des experts semble avoir ouvert un dialogue interdisciplinaire constant. Grâce à ces avancées, il est aujourd’hui possible d’augmenter l’acceptation des prothèses chez des patients réputés inappareillables et de mieux comprendre certaines pathologies méconnues. ■ T.B.
Vous souhaitez voir Winter évoluer en direct ? Connectez-vous sur : http://kila.lu/wintercam pour accéder à la webcam du bassin de Winter au Clear Marine Water Aquarium de Floride.
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Ensuite, il y a Penny, un lévrier amputé de la patte après qu’un cancer des os fut diagnostiqué. Deux professeurs de l’Université de Caroline du Nord – Denis MarcellinLittle et Ola Harrysson – créèrent une prothèse faite de plastique thermoformé avec un manchon en mousse. Sa forme incurvée permet une déformation vers l’avant. Cette forme particulière évite à Penny de se retrouver piégée dans certains obstacles comme les escaliers par exemple. Marcellin-Little étudie actuellement l’influence de la forme du pied sur la déambulation des chiens équipés de prothèses. Retrouvez les photos et vidéos relatives à ces exemples sur : http://kila.lu/cowired
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