Douleur et gate control

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Le « gate control » vous connaissez ?

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es progrès thérapeutiques en matière de prise en charge de la douleur vasculaire et/ou orthopédique ont permis d’améliorer le quotidien des patients. De nombreuses solutions sont disponibles : la compression élastique, le drainage lymphatique, différentes orthèses orthopédiques, l’électrostimulation, l’acupuncture, la fasciathérapie. À première vue, rien de commun entre ces différents traitements et pourtant…

Cet œdème, voire le membre en totalité va devenir l’objet de toutes leurs plaintes et progressivement, insidieusement le membre va se retrouver « gommé » de leur schéma corporel. « Je ne le regarde plus, il ne m’appartient plus, je l’ai rejeté, comme oublié… »

En lymphologie Un certain nombre de patient(e)s décrivent des douleurs anormalement importantes par rapport au volume de l’œdème. Ce sont ces patients qui se plaignent de se cogner dans les chambranles des portes, d’avoir des difficultés à entrer et à sortir de leur voiture. Chaque mouvement est douloureux.

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L’expérience sensorielle de la douleur repose sur des mécanismes complexes. Comment parvenir à soulager nos patients ?


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pascal filori

masseur-kinésithérapeute. spécialisé en lymphologie à marseille au centre méditerranéen de lymphologie. Doktorat der lymphologie (Vienne-autriche). chargé d’enseignement à l’université aix-marseille ii et à Paris Vi.

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Comment comprendre ?

Il existe plusieurs fibres nerveuses sensitives : • des fibres A α β, entourées d’une gaine de myéline, qui accélère la transmission de l’influx nerveux. Elles conduisent très rapidement les informations sensorielles : sensation de chaud, de froid ou de pression ; • des fibres C, celles-là très fines, non gainées de myéline. Elles conduisent l’influx nerveux nettement plus lentement. Elles vont répondre à diverses stimulations nociceptives (thermiques, mécaniques, chimiques) dans la mesure où elles sont suffisamment intenses. Les fibres à conduction rapide rejoignent le cortex par la voie lemniscale. Les fibres à conduction lente pour la sensibilité noci-

 schéma : homonculus sensitif. Source : wilder Penfield et rasmussen 1957

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ceptive utilisent la voie extra-lemniscale pour rejoindre le cortex. L’ensemble stimule au niveau du cortex telle ou telle zone de l’homonculus sensitif (schéma).

La théorie du « Gate Control » ou du portillon En 1965 Wall et Melzack ont découvert qu’il existe une compétition dans la corne postérieure de la moelle entre les informations nociceptives (douleur) et les sensations du toucher. Le message nociceptif (douleur) suit les fibres lentes, le message sensitif tactile suit les fibres rapides, beaucoup plus grosses, myélinisées (fibres A α et ß). Dans la corne postérieure de la moelle, des interneurones stimulés par les fibres rapides inhibent le message nociceptif (douleur). Il en résulte que la sensation du toucher devient prioritaire et « qu’elle ferme la porte à la douleur » : c’est la théorie du « gate control » ou du portillon. En l’absence de stimulation, le neurone inhibiteur empêche le neurone de projection d’envoyer des signaux au cerveau. Le portillon est fermé (fig. 1). La douleur peut être ressentie à la suite d’un excès de stimulation des fibres nociceptives qui va stimuler le neurone de projection. Elle va alors : • inhiber l’activité spontanée des interneurones inhibiteurs, dépolarisant ainsi le neurone de projection ;


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• et déclencher des potentiels d’action vers le cerveau. Le portillon est ouvert (fig. 2). Bien que la théorie du « gate control » ne nous dise pas tout sur la perception de la douleur, elle permet de comprendre certains phénomènes courants. Pourquoi se frotte-t-on la main après s’être cogné les doigts ? Les fibres du toucher qui sont activées par le frottement excitent le neurone de projection. Elles excitent également les interneurones inhibiteurs. Ainsi lorsque la stimulation

tactile est soutenue, il se produit une forte hyperpolarisation sur le neurone de projection, bloquant les potentiels d’action vers le cerveau (fig. 3).

Une preuve clinique Une étude menée au sein du Centre Méditerranéen de Lymphologie en collaboration avec l’Institut Paoli Calmette (centre régional de lutte contre le cancer) sur une population de 110 personnes présentant un lymphœdème post-mastectomie avec une augmentation de circonférence du membre atteint de plus 3 cm. Lors de l’inclusion, la douleur sur l’échelle EVA est de 6,5 +/– 2,5. Sont également pratiqués un test de douleurs neuropathiques DN4 et un questionnaire de qualité de vie EORTC QLC BRé23. 15 séances de Drainage Lymphatique Manuel ont été pratiquées. À l’issue de ces soins, 67 % des patients ont une douleur sur l’échelle EVA diminuée de moitié (3,2 +/– 0,5). La différence est significative (p < 0,05). Le Drainage Lymphatique Manuel par son alternance rythmique entre compression et étirement du tissu, stimule la sensibilité fine épicritique. La transmission des messages nociceptifs est inhibée par un phénomène de « gate control ». >>>

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3  figures 1-3. a = fibres α et ß ; c = fibres c ; i = neurone inhibiteur ; P = neurone de projection

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Aujourd’hui faire participer le patient à son traitement, c’est lui permettre de reprendre pleinement possession de son corps et de réintégrer ainsi son schéma corporel. Outre l’utilisation du drainage lymphatique, d’autres outils agissent sans doute partiellement par ce mode d’action : • les bandages en permettant de mobiliser les plans sous-cutanés stimulent les récepteurs sensoriels cutanés. D’autre part, l’œdème est littéralement pris en « sandwich » entre le muscle lors de la contraction et le bandage rigide. Le bandage entraîne une réduction de volume

mais aussi une stimulation des fibres A diminuant les douleurs sans doute en partie par un phénomène de Gate control. • La fasciathérapie qui en libérant les tensions du tissu conjonctif qui entoure les muscles (fascia), relâche les tensions musculaires induites par le phénomène douloureux. • L’électrostimulation électrique : directement inspirée des travaux de Melzack et Wall la « neurostimulation électrique transcutanée » (TENS), inhibe la conduction du message nociceptif. Le phénomène de « gate control » intervient dans les traitements de la douleur. Il permet de comprendre leur efficacité et d’affirmer qu’ils ne relèvent pas d’un effet placebo… ■ Pascal Filori

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D’autres moyens thérapeutiques

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