Pierre Boulet
Communication Efficace pour les Scientifiques
Pierre.Boulet@lifl.fr http://www.lifl.fr/~boulet
Typographie générale Résumé. La typographie est l’art de dessiner avec les caractères, c’est-à-dire de choisir leur forme et leur emplacement sur la page. Son but est à la fois fonctionnel, améliorer la lisibilité, et esthétique, rendre le document beau et agréable à lire. Nous donnons ici quelques bases, conseils et références sur la micro-typographie (choix de polices de caractères et de mise en page) et l’ortho-typographie (conventions d’écriture). Une bonne typographie est invisible, par contre une mauvaise typographie peut gêner la lecture et donc desservir le message du document.
L
buts de la typographie sont d’inviter le lecteur dans la page, de révéler la teneur et le contenu du texte, de clarifier la structure et l’ordre du texte, de lier le texte et les autres éléments graphiques et enfin de rendre la lecture dynamique et plaisante. L’essentiel de ce document parlera de micro-typographie, c’est-à-dire de la façon de choisir ses polices de caractères et la mise en page du document. Pour ce qui est de l’ortho-typographie, nous donnerons des références et un document complémentaire [10] donnant les principales règles de la typographie française. Enfin, nous discuterons des principales différences de conventions entre le français et l’anglais.
1. Micro-typographie Il existe de nombreux livres sur la typographie, certains sont grand public [6], d’autres sont plutôt orientés graphisme [8, 12] et quelques uns peuvent être considérés comme des références et vont plus loin dans les détails [3, 5]. Pour les utilisateurs de LATEX, la documentation de la classe memoir donne à la fois une vue théorique de la composition d’un livre [13] et les commandes pour réaliser la composition choisie [14]. De même, le livre [2] est une introduction complète à la typographie et à la mise en page avec OpenOffice.org. 1.1. Familles de caractères
Une famille de caractères est composée de plusieurs polices de caractères apparentées, de formes semblables mais de proportions différentes, qui con-
tiennent elles-mêmes plusieurs fontes, dont en générale une romaine, une italique, une grasse et une italique grasse. Il existe plusieurs formats de fontes. Nous ne citerons ici que les formats vectoriels qui sont les seuls qui ont un intérêt pour la composition de documents écrits. En effets, ces formats sont indépendants de la résolution de l’imprimante. Le premier format standard a été le PostScript. Il a été rejoint et concurrencé quelques années plus tard par le TrueType, plus performant mais dont les possibilités ont rarement été complètement utilisées. Les deux sont en voie de réconciliation avec le format OpenType qui peut inclure les deux précédents. On peut aussi citer le format Metafont, spécifique à TEX dont l’usage est en voie de disparition. Les polices de caractères sont de qualité très variable et en particulier le nombre de polices de bonne qualité gratuites est très réduit, mais en expansion. Il en existe par contre de très nombreuses commerciales (voir par exemple le site http://www.myfonts. com/). Les nombreuses classifications de polices distinguent en général au moins les polices avec empattements ou sérifs — telles que celle utilisée pour le texte courant de ce document —, les polices sans empattements ou sans-sérifs ou bâton — telles que celle utilisée pour les titre, résumé et sous-titres de ce document — et les polices à chasse fixe — telles que celle utilisée en général pour composer des extraits de code. On fera attention à choisir des polices selon le type de texte, faisant ressentir une impression adaptée au lecteur. On évitera donc les polices fantaisies ou cursives pour les textes scientifiques ! Les livres [3,6,8] proposent chacun une étude comparée des grands classiques.
1.2. Unités de mesure
1.4. Lisibilité
L’unité de mesure principale est le point. Il en existe plusieurs variantes qui valent toutes à peu près 0,4 mm. Il sert en particulier à mesurer la taille du corps de la police de caractères utilisée. Il s’agit de la hauteur de la boîte englobante des caractères. Elle inclut ainsi les ascendantes, les descendantes et les majuscules. On y ajoute en plus un léger espace vertical appelé talus. De la police de caractères utilisée et de son corps, on déduit deux grandeurs relatives à cette police : le cadratin, largeur d’un M, en général égale au corps, et l’œil ou hauteur d’x, la hauteur des minuscules.
La lisibilité peut être décomposée en deux aspects : la lisibilité typographique qui correspond à la facilité d’identification des lettres et la lisibilité linguistique qui correspond à l’intelligibilité du texte, la facilité de compréhension du contenu de ce texte. La première a bien entendu une forte influence sur la deuxième. La lisibilité typographique est déterminée par les formes respectives des caractères, l’interlettrage, la taille de la police, la couleur d’écriture mais aussi des facteurs culturels. Les tailles optimales de texte vont de 9 à 12 pt, le romain est en général plus lisible que l’italique ou le gras, les polices avec sérifs sont réputées plus lisibles que les polices sans sérifs et rien n’est plus lisible que le noir sur fond blanc. La lisibilité linguistique dépend de la lisibilité typographique, de la longueur des lignes, de l’espacement des mots et de l’interligne. Ces trois paramètres sont interdépendants. On considère qu’une bonne longueur de ligne est entre 40 et 75 caractères avec un optimal entre 60 et 66 caractères. La difficulté de lecture due aux lignes trop longues peut être partiellement compensée pas un interligne agrandi.
1.3. Espacement
Les espacements verticaux entre les lignes et horizontaux entre les lettres et les mots sont des paramètres fondamentaux influant sur la lisibilité du texte. L’espace vertical s’appelle l’interligne. Il doit être au moins égal au corps et suffisamment grand pour créer des lignes blanches qui guident l’œil le long des lignes de texte lors de la lecture. En LATEX on peut le régler avec la commande \baselinestretch. Les espaces horizontaux sont plus variés. Entre les lettres d’un texte, on place un espace uniforme appelé interlettrage ou approche. Pour s’adapter à la forme des caractères, on peut être amené à réduire cet espace, comme entre les lettres T et a. Ce processus s’appelle le crénage et se définit paire de caractères par paire de caractères. Voici ce que donne Ta sans crénage : Ta. Enfin, certaines paires de lettres sont composés en utilisant un seul caractère, une ligature. Les cinq principales ligatures sont fi, fl, ff, ffi et ffl. Voici ce que donnent ces suites de caractères sans ligature : fi, fl, ff, ffi et ffl. D’autres ligatures peuvent exister selon les fontes. Ces paramètres sont très dépendants de la forme des caractères et sont donc inclus dans la définition de la fonte. Le dernier espacement horizontal à régler est celui qui sépare les mots. Sa valeur moyenne est, elle aussi, incluse dans la définition de la police ; mais pour justifier les lignes, on peut être amené à l’augmenter légèrement. Il peut être insécable (interdisant la coupure d’un ligne) dans certains cas (voir section 2) et sa taille doit être inférieure à l’interligne pour favoriser le mouvement horizontal de l’œil nécessaire à la lecture. (Remarque le mot « espace » utilisé pour nommer le caractère blanc séparant les mots est féminin en typographie, on parle d’une espace insécable.)
1.5. Alignement
Le choix de l’alignement des lignes est un autre facteur important de lisibilité linguistique. On rencontre quatre alignements classiques : à gauche, justifié, à droite et centré. L’alignement à gauche, comme dans les cadres « aide mémoire » et « conseil », est plus simple à composer, permet des espaces constants entre les mots et est donc particulièrement bien adapté aux colonnes étroites. On l’emploie en général plutôt pour des documents courts. L’alignement justifié, comme pour le texte courant de ce document, donne des blocs de texte très nets et très équilibrés, par contre la coupure des mots (ou césure) est indispensable pour parvenir à équilibrer les espaces entre les mots. Les algorithmes de césure utilisent des dictionnaires adaptés à la langue du document et peuvent prendre en compte plusieurs lignes à la fois et faire varier très légèrement les espaces entre caractères voire la forme de ces caractères (le paquetage microtype de LATEX permet ces raffinements). On considère qu’il faut 10 à 12 mots par ligne pour permettre une composition élégante.
L’alignement à droite est de bien moins bonne lisibilité. Il est inhabituel et doit être réservé à de petits blocs de texte (citation, légende de figure, ...). L’alignement centré est lui aussi de faible lisibilité. Il n’est employé que pour des éléments courts comme les titres et les formules mathématiques. La coupure des lignes doit y être manuelle. 1.6. Mise en page
La mise en page est le choix des polices de caractères, des espacements et de la structure de la page. Les critères de choix sont la lisibilité, la commodité de lecture et l’esthétique (impact, expressivité, attrait visuel). Les différentiations entre les éléments peuvent se faire en faisant varier la taille, la graisse, la police, la couleur et la position des caractères. On utilise le gras plutôt pour les éléments de navigation (titres), l’italique pour l’accentuation et les locutions étrangères et les petites capitales pour les sigles et les noms d’auteurs dont on cite les ouvrages (uniquement quand on écrit en français). Pour séparer les paragraphes entre eux ou utilise au choix l’indentation, sauf après un titre ou un sous-titre en anglais, ou un espace vertical d’un interligne ou d’un demi-interligne, mais pas les deux méthodes. Les sous-titres doivent être clairement différenciés de manière hiérarchique. La classe memoir et le paquetage titlesec permettent de nombreuses variations de la composition des sous-titres en LATEX. Le choix de la taille des marges prend en compte leurs multiples rôles : inscrire le texte dans la page, lier les colonnes entre elles, encadrer le texte (valeur esthétique) et protéger le texte (il faut assez de place pour mettre les pouces). De nombreuses constructions géométriques peuvent être utilisées pour calculer la taille des marges en fonction de la taille de la feuille de papier. On retiendra les paquetages typearea, flowfram et geometry ainsi que la classe memoir en LATEX. Les classes classicthesis, sa variante arsclassica et tufte-latex proposent d’excellentes typographies qui peuvent être utilisées pour mettre en page des thèses.
2. Ortho-typographie Les conventions d’écriture dans chaque langue sont le résultat d’une longue évolution et sont répertoriées dans des codes. Pour le français, on se rapportera avantageusement à [7,9], et pour l’anglais à [11].
Aide mémoire : objectifs de la typographie. La typographie doit rester au service du contenu. Il faut donc – faire en sorte que le texte soit le plus facile à lire possible ; – rendre le texte agréable à lire ; – rendre la structure évidente ; – lier visuellement les illustrations au texte en respectant leur lien sémantique ; – choisir des polices adaptées au contenu ; – construire la mise en page pour honorer et révéler chaque élément, chaque relation entre éléments et chaque nuance du texte. Conseil : bonnes habitudes. – Ne changer qu’un paramètre à la fois ; – ne pas composer des phrases entières en capitales ; – interlettrer les petites capitales ; – limiter l’utilisation du gras ; – marquer le début du texte par exemple par une lettrine (voir le paquetage lettrine en LATEX) ; – utiliser sobrement la couleur (avec les paquetages color et xcolor en LATEX) et avec un code constant dans le document ; – préférer les notes en marge aux notes en bas de page, les garder courtes et composées dans une petite taille ; – utiliser généreusement l’espace blanc car il attire l’œil et ajoute du dynamisme s’il est non symétrique, de la « qualité » et de la fonctionnalité (espace pour prendre des notes).
Ces codes expliquent comment écrire les abréviations, les titres (M., Mme), les nombres, l’emploi des majuscules, de la ponctuation, des accents et de très nombreux autres sujets. 2.1. Conventions françaises
Voir le chapitre 1 du document joint, « le petit typographe rationnel » d’Eddie Saudrais [10]. 2.2. Ponctuation selon la langue
Une des difficultés principales de la rédaction de documents est l’emploi des règles de ponctuation. En effet, celles-ci diffèrent selon les langues et elles ont un effet très visible sur l’aspect du document. Le paquetage babel de LATEX permet une gestion adaptée à la langue de la ponctuation et des règles de césure.
En français, les « guillemets » sont des chevrons séparés du texte par une espace insécable fine. Les ponctuations doubles sont précédées d’une espace insécable fine sauf pour les deux-points : ils sont précédés d’une espace intermots insécable ! Les points de suspension sont collés... Les tirets longs peuvent s’employer à la place des parenthèses — comme ici —, ils sont alors encadrés par des espaces intermots sécables (et on ne met pas d’espace à l’intérieur des parenthèses). Enfin, les listes sont – introduites par des tirets ; – chaque item est – terminé par un point-virgule, – ceux des listes imbriquées par une virgule, – sauf le dernier par un point ou un pointvirgule selon le niveau d’imbrication ; – et l’espace vertical est compact. In English, the “quotation marks” are typeset as shown. The punctuation signs are also typeset without separation from the preceding text! The ellipsis dots are separated by insecable spaces … The dashes can be used instead of the parentheses—as here—and there is no space around them (tough the parentheses are used as in French). Finaly the lists
• Are introduced by a bullet. • The first word of each item is capitalized. • And the vertical space is loose.
2.3. Autres variations selon la langue
L’emploi des capitales, la notation des abréviations et des sigles, l’écriture des nombres et des dates sont les autres variations des conventions typographiques selon la langue du texte. Il faut toujours utiliser les règles de la langue du texte en cours, y compris lors de citations courtes dans un texte écrit dans une autre langue.
Pour compléter cette brève introduction à un sujet aussi large, on pourra se reporter aux ouvrages déjà cités et au site faqtypo [1] qui donne des articles de fond et de nombreux liens très intéressants. Par ailleurs, toutes les extensions de LATEX citées sont disponibles sur CTAN [4].
Références [1] André (Jacques). – FAQTYPO. – http://jacques-andre.fr/faqtypo/. [2] Barzilai (Igor). – Mise en page avec OpenOffice.org Writer – De la conception à la réalisation. – Eyrolles, 2007. [3] Bringhurst (Robert). – The elements of typographic style (version 3.2). – Hartley & Marks, Publishers, 2008. [4] The Comprehensive TEX Archive Network. – http://www.ctan.org/. [5] Felici (James). – Le manuel complet de typographie. – Peachpit Press, 2003. [6] Hill (Will). – Le langage de la typographie. – Eyrolles, 2006. [7] Imprimerie nationale. – Lexique des règles typographiques en usage à l’imprimerie nationale. – Imprimerie nationale, 2002. [8] Lupton (Ellen). – Comprendre la typographie. – Editions Pyramid, 2007. [9] Ramat (Aurel). – Le Ramat de la typographie (Édition 2005 conforme aux deux orthographes). – Aurel Ramat, 2004. [10] Saudrais (Eddie). – Le petit typographe rationnel. – http://perso.wanadoo.fr/eddie.saudrais/prepa/typo.pdf, 2005. [11] University of Chicago Press Staff (édité par). – The Chicago Manual of Style. – University of Chicago Press, 2005. [12] White (Alex W.). – The elements of graphic design. – Allworth press, 2002. [13] Wilson (Peter). – A few notes on book design. – The Herries Press, 2009. http://mirror.ctan.org/info/ memdesign/memdesign.pdf. [14] Wilson (Peter). – The memoir class for configurable typesetting, user guide (eighth edition). – The Herries Press, 2009. http://mirror.ctan.org/macros/latex/contrib/memoir/memman.pdf.