Cours de communication avancee pour les scientifiques

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Pierre Boulet

Communication Efficace pour les Scientifiques

Pierre.Boulet@lifl.fr http://www.lifl.fr/~boulet

Illustrations graphiques Résumé. Nous donnons ici un cadre théorique, le design analytique, et des conseils pratiques pour la réalisation et l’insertion des graphiques illustrant des documents scientifiques. Nous discutons des images, diagrammes, schémas et cartes, et pour chacun donnons des règles pour aider à les construire pour qu’ils soient les plus utiles et efficaces.

L

’ de graphiques pour illustrer un document scientifique peut se réléler extrêmement efficace. En effet, le lecteur va pouvoir les comprendre de façon intuitive et globale contrairement au texte. On dit qu’une image vaut 1 000 mots ; pour que cet adage soit vrai, encore faut-il que cette image soit facilement compréhensible et que son message soit utile à l’argumentaire développé dans le document. Dans ses quatre ouvrages [4–7] Tufte a développé la théorie du design analytique pour faire ressortir les grands principes de conception des illustrations graphiques efficaces. Les autres références [1–3] se basent sur la connaissance du fonctionnement de la perception humaine pour établir des règles de construction des illustrations et diagrammes dans un but de clareté maximale pour faciliter la communication ou l’analyse de grands ensembles de données. Dans la suite nous nous basons sur ces théories pour proposer des conseils pour la conception des illustrations scientifiques.

1. Principes du design analytique En partant de l’analyse de graphiques venant de multiples pays (de l’Asie à l’Europe en passant par les Amériques) sur une période couvrant toute l’histoire des documents imprimés, Tufte [7] propose les « principes du design analytique » (voir le cadre cicontre) qui doivent guider le concepteur d’un document destiné à analyser, expliquer ou présenter des phénomènes complexes . Il les applique en particulier à la conception des illustrations graphiques de ce type de documents. Insistons particulièrement sur le 6e principe, le contenu compte plus que tout. On ne pourra proposer une illustration de qualité qu’à partir de données de qualité. Une illustration peut être très bien conçue, mais si elle ne donne pas d’informations pertinentes par rapport à l’argumentation développée dans le document, elle est complètement inutile. Il faut donc se poser la question de pourquoi la construire, de quel

Principes du design analytique

1. Montrer des comparaisons, des contrastes et des différences ; 2. montrer des liens de causalité, des explications, des structures systématiques ; 3. montrer des données multidimensionnelles (plus d’une ou deux variables) ; 4. intégrer complètement mots, nombres, images et diagrammes ; 5. décrire complètement la preuve : titre, auteurs et sponsors, sources de données, échelles de mesure, problèmes possibles ; 6. le contenu compte plus que tout (qualité, pertinence, intégrité).

est son message. Enfin, comme dans tout le reste du document, il convient d’être honnête lors de la conception des illustrations. Il est très facile de manipuler le lecteur en lui présentant des données de telle façon qu’il se trompe dans leur interprétation. Deux façons simples de mentir avec un graphique sont de représenter des valeurs croissantes avec des grandeurs décroissantes (plus doit représenter plus) et d’utiliser des surfaces pour représenter des grandeurs linéaires (on trompe ainsi sur les rapports entre les valeurs). Pour apporter du crédit aux illustrations, il faut documenter les sources de données, mentionner les erreurs possibles dans les données, ne pas oublier les données qui semblent incohérentes, démontrer les mécanismes de causalité et reconnaitre la nature multidimensionnelle des phénomènes complexes. Il faut en particulier se rappeler que corrélation ne veut pas dire causalité et explorer les explications alternatives. Voyons maintenant comment ces principes s’appliquent aux différents types de graphiques.


2. Types d’illustrations graphiques Avant de passer en revue les différents types d’illustrations graphiques en fonction de la façon dont elles sont construites (images, diagrammes, schémas ou cartes), considérons les un moment selon la façon dont elles sont traitées par le cerveau. Selon [1], on peut classer les images selon deux axes : leur caractère figuratif (ressemble-t-elle à ce qu’elle représente ?) et leur caractère litéral (signifiet-elle ce qu’elle représente ?). Une image peut être réaliste, schématique ou abstraite d’une part et avoir une signification litérale, métaphorique ou conventionnelle d’autre part. Ces différentes interprétations possibles peuvent rendre les images ambiguës et il est de la responsabilité de l’auteur d’essayer de lever ces ambiguïtés au maximum. Images

Une image peut être une photographie, une copie d’écran ou une représentation synthétique ou artistique de la réalité. Il existe deux grandes familles de formats d’images : les formats matriciels et les formats vectoriels. Les formats matriciels sont des collections de pavés de couleur. La qualité de leur rendu dépend donc de leur résolution (en général exprimée en points par pouce, noté ppp en français et dpi en anglais). Les dispositifs d’impression actuels permettent une résolution d’au moins 1200 ppp et on considère que la résolution de 300 ppp est le minimum pour un bon rendu des photographies. En deçà, on observe des phénomènes de pixélisation (on voit les points). Outre la résolution, il y a deux classes de formats de compression d’images matricielles : les formats sans pertes (ex. : PNG pour Portable Network Graphics) et les formats avec pertes (ex. : JPEG pour Joint Photographic Experts Group) qui permettent un taux de compression beaucoup plus élevé. Ces derniers fonctionnent bien avec des photographies mais sont à proscrire avec des dessins « au trait » ou des copies d’écran. Des outils libres permettant la manipulation de telles images sont le Gimp 1 et ImageMagick 2 . Les formats vectoriels consistent en une description géométrique de l’image. Ils sont ainsi indépendants de la résolution d’affichage ou d’impression. Pour cette raison on les préférera le plus possible aux formats matriciels. Les formats vectoriels incluent le 1. http://www.gimp.org 2. http://www.imagemagick.org

Exemple d’image matricielle (au format JPEG) Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:DigitalPicture.jpg

postscript encapsulé (.eps), le PDF et le SVG (Structured Vector Graphics). Parmi les outils libres permettant de les manipuler ont peut citer Inkscape 3 , OpenOffice.org Draw et Ghostscript 4 . On peut aussi les construire par programmation. Ainsi les paquetages pgf 5 et pstricks de LATEX permettent une description de haut niveau des illustrations vectorielles directement dans le fichier source LATEX. On peut aussi les utiliser pour créer des diagrammes, schémas et cartes. Diagrammes

Les diagrammes sont un rendu graphique de valeurs statistiques (des tableaux de nombres). Il en existe de nombreux formats : secteurs, lignes, colonnes, nuages de points, etc. Le choix de ce format doit être familier au lecteur. Nous proposons cidessous les choix typiques en fonction du type de données à représenter. Si les données sont des pourcentages ou des proportions, on utilisera des secteurs (camemberts) ou des pourcentages empilés. Si les données sont quantitatives et ordonnées, on peut utiliser – une table visuelle construite à partir d’images de taille proportionnelle à la valeur à représenter, ce qui est rarement utile, toujours imprécis et souvent trompeur ; – des diagrammes en colonnes (histogrammes), on les utilisera quand la grandeur en abscisse est mesurée sur une échelle discrète et on décidera d’un format horizontal ou vertical en 3. http://www.inkscape.org/ 4. http://www.ghostcript.com/awki 5. on trouvera de nombreux exemples de code pgf sur http: //www.fauskes.net/pgftikzexamples/


fonction des données ; – des diagrammes en lignes si l’abscisse est sur une échelle continue ou si on a plusieurs grandeurs sur un même diagramme ; – des diagrammes en escaliers si l’abscisse est sur une échelle discrète et qu’on veut faire porter l’emphase sur les variations ou tendances ; – des nuages de points si on veut montrer des relations entre 2 grandeurs. On évitera de tracer plusieurs nuages sur un même diagramme et on tracera la droite ou la courbe de régression si c’est pertinent. Si les données sont des totaux cumulatifs on utilisera des colonnes empilées si l’abscisse est sur une échelle discrète et des lignes empilées si l’abscisse est sur une échelle continue ou encore pour illustrer des variations dans les parties. De façon optionnelle, on tracera sur les diagrammes des barres d’erreur, des lignes ou régions de référence ou encore une grille. Les lignes ou régions de référence facilitent les comparaisons. Par contre, une grille n’est utile que quand la connaissance des valeurs précises est nécessaire et dans tous les cas, elle doit être moins visible que les données. On pourra aussi représenter plusieurs variables indépendantes sur le même diagramme, mais seulement si on veut montrer une comparaison entre celles-ci. Conseil : quelle variable en abscisse ? Par ordre de priorité on placera les variables suivantes en abscisse d’un diagramme :

1. le temps ; 2. la variable indépendante la plus importante ; 3. une variable avec une échelle continue ; 4. toutes choses égales par ailleurs celle qui donne le motif graphique le plus simple

On fera attention à l’ordre des grandeurs sur les dimensions du diagramme. Il doit être cohérent avec ce qu’elles représentent. Si ces grandeurs ne sont pas ordonnées, on les placera de manière à faciliter les comparaisons ou à produire le motif graphique le plus simple. Enfin, on ajustera les échelles pour permettre les comparaisons voulues (l’origine doit être la base des colonnes d’un histogramme). On utilisera des échelles linéaires ou logarithmiques quand c’est approprié pour distinguer les différences. On mettra des marques régulièrement espacées sur les axes et dirigées vers l’intérieur du diagramme et on en renforcera l’épaisseur pour les valeurs indiquées numéri-

quement ou textuellement. L’outil libre le plus utilisé pour la production de diagrammes est gnuplot 6 . Schémas

Les schémas servent à représenter des relations entre entités. On utilisera donc la proximité sur le dessin pour représenter ces relations. On qualifiera les flèches sur le schéma pour leur associer de manière non ambiguë une signification. Pour les organiser, il conviendra de regrouper les éléments par leur positionnement ou leurs attributs graphiques. Et on prendra soin de ne représenter sur le schéma que ce qui est nécessaire à la compréhension et de rendre les conventions graphiques claires. Cartes

Elles servent en général à représenter des informations géolocalisées. Il faut autant que possible y éviter les distorsions visuelles et faire attention à les utiliser avec le bon niveau de détail. Multiples dans le temps et l’espace

Quand on traite des données complexes ou nombreuses, on pourra répéter des graphiques côte à côte pour en faciliter la comparaison grâce au parallélisme de la représentation. D’autre part la répétition intensifie et renforce la signification de ces illustrations. Dans le même ordre d’idée, il est souvent intéressant d’utiliser des graphiques différents en même temps pour montrer différents aspects d’un ensemble de données complexes. On prendra alors soin d’utiliser les mêmes attributs graphiques pour les mêmes points dans les différents graphiques. On pourra aussi montrer simultanément une vue globale des données et un zoom sur une partie particulièrement intéressante de celles-ci.

3. Conseils de design Une fois le choix du type de graphique effectué, il faut maintenant le réaliser. Nous donnons pour finir des conseils pratiques pour faire des illustrations élégantes et efficaces. 6. http://www.gnuplot.info/


– les vibrations venant d’effets de moiré quand on utilise des hachures, de choix de couleur malheureux (ex. : rouge sur vert) ou de cadres abusifs (qui rendent actif l’espace blanc entre les cadres) ; – la grille qu’on peut souvent supprimer ou en tout cas rendre moins active que les données ; – les décorations non nécessaires et qui entrent en compétition avec les données.

Maximiser la densité d’information

Il faut montrer les données avant tout. Un moyen de s’en assurer est de maximiser le ratio données/ encre. C’est à dire enlever dans des limites raisonnables tout ce qui n’est pas utile dans le graphique. On pourra ainsi très souvent diminuer la taille du graphique afin de se rapprocher de la densité typographique (nombre de mots par unité de surface). Cette diminution offre la possibilité d’utiliser des petits multiples qui permettent la représentation d’au moins une dimension supplémentaire des données. Poussant ce principe jusqu’au bout, Tufte propose dans [7] la construction de graphiques à l’échelle du mot à insérer directement dans le texte, les sparklines. Proposer plusieurs niveaux de lecture

Quand les données représentées sont complexes, il faut essayer de proposer plusieurs niveaux de lecture à une illustration. Il y a en général un niveau macroscopique où la vue d’ensemble donne des informations et un niveau microscopique qui est porteur de nombreuses informations détaillées. Dans ce cas, il faut rendre évidente la relation entre les couches d’information par l’utilisation de la couleur ou des variations de forme ou typographiques. Quantifier les informations

Il faut toujours indiquer les échelles et donner une légende à un graphique. Cette légende doit dire ce que représente le graphique et pourquoi il est utile. Éviter la pollution visuelle

Il y a trois sources principales de pollution visuelle :

Comment utiliser la couleur ?

La couleur peut servir à nommer (établir une correspondance entre le texte et le graphique), mesurer par des variations de valeur, de teinte ou de saturation, représenter la réalité (photographies, cartes topographiques) ou décorer (mettre en valeur). Selon l’aire de la surface à colorer, on utilisera des couleurs plus ou moins denses et saturées. On réservera les couleurs vives et intenses à de petites surfaces où elles ont un effet très efficace. Par contre pour le fond ou les grandes surfaces, on utilisera des couleurs désaturées ou délavées, typiquement issues de la nature (bleus, verts, jaunes, marrons, gris). Les distinctions visuelles seront choisies les plus subtiles possibles tout en restant claires et effectives car elles permettent un plus grand nombre de distinctions et donc enrichissent la représentation visuelle. Soigner la finition

Le soin apporté à la réalisation d’un graphique montre l’intérêt que l’auteur porte à ses lecteurs. On tâchera donc de soigner la finition. Il est préférable d’étiqueter le dessin en écrivant les explications directement sur le dessin là où elles sont utiles en montrant en particulier les valeurs importantes pour la compréhension du message. Et comme pour le texte, on portera un grand soin à la typographie.

Références [1] Doumont (Jean-Luc). – Trees, maps, and theorems. Effective communication for rational minds. – Principiæ, 2009. http://www.treesmapsandtheorems.com/. [2] Few (Stephen). – Now you see it. – Analytics Press, 2009. [3] Kosslyn (Stephen M.). – Graph Design for the Eye and Mind. – Oxford University Press, 2006. [4] Tufte (Edward R.). – Envisioning Information. – Cheshire, Connecticut, Graphics Press LLC, 1990. [5] Tufte (Edward R.). – Visual Explanations : Images and Quantities, Evidence and Narrative. – Cheshire, Connecticut, Graphics Press LLC, 1997. [6] Tufte (Edward R.). – The Visual Display of Quantitative Information, Second Edition. – Cheshire, Connecticut, Graphics Press LLC, janvier 2001. [7] Tufte (Edward R.). – Beautiful Evidence. – Cheshire, Connecticut, Graphics Press LLC, juillet 2006.


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