©photographie Laurent Alvarez / création graphique presscode
héros ordinaires
ELLE EST LIBRE THANH ’est une brindille de 48 ans avec un débit de mitraillette. Thanh Nghiem, jean large et cheveux courts, parle sans filet et tutoie d’emblée. On la
h 20
Française d’origine vietnamienne, Thanh Nghiem a d’abord brillé comme directrice associée, dans une grande boîte de conseil, avant de mettre ses compétences au service de l’intérêt général. C’est dans l’open-source et le retour à ses racines qu’elle s’est trouvée. Aujourd’hui, elle « pollinise » les savoirs.
surnomme « la petite abeille ». Ce qu’elle essaime, ce sont des projets innovants : elle les convertit en code open-source et les dissémine, gratuitement, quelques milliers de kilomètres plus loin [voir encadré]. Difficile d’imaginer qu’il y a 18 ans, l’abeille était plutôt un gros frelon sillonnant l’Asie pour distiller ses conseils en fusion-acquisition. Thanh
UP
décembre 2014 - février 2015
héros ordinaires
Nghiem a été, pendant 5 ans, directrice
idée. Avec un petit noyau de déve-
associée chez McKinsey, une presti-
loppeurs, elle crée l’algorithme « pour
gieuse société américaine. C’est la pre-
combiner la puissance de l’open-source
mière femme française à avoir décroché
avec des projets durables ». Des modes
un tel poste. Un quotidien de bosseuse
d’emploi qui permettent à qui veut de
et la vie de golden girl qui va avec : gros
s’approprier le mode de vie dont il rêve,
salaire, tailleurs Armani et Porsche à la
gratuitement. Un moyen de nous faire
clé. « J’étais une vraie machine, se sou-
la courte-échelle, tout en respectant les
vient-elle. Je dormais 3 à 4 fois par mois
envies de chacun. « Tu peux vouloir te
chez moi. Deux secrétaires géraient
mettre au vélo, mais continuer à man-
mon emploi du temps. Tous mes repas
ger de la viande ! »
étaient optimisés en rendez-vous pro-
Un livre en préparation Plus personnel que « Des abeilles et des hommes » (éditions Bayard, 2010), « Chaque jour est une vie » est prévu pour fin 2015. Thanh Nghiem y parlera féminité, libre-arbitre, mémoire… Son choix d’éditeur n’est pas encore arrêté.
pour un homme. Son grand-père est le premier Vietnamien à avoir fait Poly-
fessionnels. » L’aboutissement d’un par-
Amnésie vietnamienne
technique. Il est devenu ministre de
cours sans faute conditionné par une
Un jour de 2012, alors qu’elle s’apprête
l’Éducation dans le premier gouverne-
insulte trop souvent entendue dans la
à donner une conférence Ted X, une
ment indépendant du pays, en 1945.
cour de récré : « Sale chinetoque ! »
coach la pousse dans ses retranche-
Aujourd’hui, c’est dans ce pays d’ori-
ments : « On a l’impression que si on
gine que Thanh Nghiem accompagne
Vie de zombie
te coupait, le sang ne coulerait pas. »
les innovateurs sociaux. En 2013, elle
Elle grandit à Orsay, en banlieue pari-
Quelques mois plus tard, elle prend
y a organisé le premier hackathon sur
sienne, avec deux frères, un papa pro-
un billet pour Hanoï. Thanh Nghiem a
l'innovation sociétale. On lui demande
fesseur de fac et une maman pianiste.
46 ans et c’est la première fois qu’elle
si elle se sent wonder woman avec un
Elle intègre l’école des Mines à 17 ans,
se rend dans le pays. « Avec ce complexe
tel parcours ? « J’aime briller, je peux
trouve le moyen de « faire le mur pour
que j’ai trimballé pendant des années,
parfois être excessive et envahissante
aller écouter Bourdieu à la Sorbonne »,
j’avais oublié que j’étais vietnamienne ».
mais je ne me sens pas proche du per-
d’assurer ses cours de piano, un peu de
Elle confie : « Ça a été le grand choc.
sonnage de BD aux gros seins qui sauve
mannequinat et de bénévolat. Deux ans
Les bruits, les odeurs, tout me semblait
le monde. Par contre, wonder au sens
plus tard, c’est l’entreprise McKinsey
familier. Je me suis rendue compte que
de l’émerveillement pour ce qui est nou-
elle-même qui la démarche. Embauchée en tant qu’apprentie, elle finit douze ans après au plus haut échelon. « J’étais programmée pour l’excellence, résumet-elle. Grisée par le pouvoir, j’étais devenue un vrai zombie. » Son cœur bat pour des hommes, des femmes. Elle
veau et peut faire bouger le monde. Là
« Je me suis dite qu’il fallait trouver une nouvelle forme d’intelligence collective »
oui, je peux être une wonder woman ». Noémie Fossey-Sergent
papillonne dans le milieu de la nuit, se marie deux fois, divorce. En 1998, le
je parlais vietnamien. C’est revenu d’un
zombie se prend le mur. « J’apprends
coup ! » L’ingénieure vient en fait d’une
que ma mère a un cancer. » Elle a 34 ans
famille prestigieuse. Sa grand-mère
et décide de faire une pause sabbatique.
a fait l’université en se faisant passer
Inscrivez-vous à la UP Conferences du 15 janvier 2015, avec Thanh Nghiem !
Parenthèse étrange où elle écoute, la nuit, sa mère parler de la mort et, par ricochet, de la vie. Elle plaque tout en 2001. Se cherche d’abord dans les ONG mais en revient déçue : « C’est un monde très cloisonné. Les ONG pour l’environnement d’un côté, celles pour les droits
De Londres au Nord-Pas-de-Calais
Angenius en 2002, un incubateur de
Parmi les projets que Thanh Nghiem a essaimés : celui du quartier écolo de BedZED à Londres, en 2004. « C’est un îlot de 82 logements qui réussit à vivre en divisant par deux son empreinte écologique, sans retourner à l’âge de pierre, explique-t-elle. Aujourd’hui, 1 million d’habitations sont inspirées de cette méthode. » Encore plus bluffant : son travail réalisé à Loos-en-Gohelle dans le Nord-Pasde-Calais. À la demande du maire, elle relève le défi de faire de la commune, située dans le bassin minier, une ville pilote du développement durable. Elle a aussi participé à l’ouverture de l’outil de calcul de l’empreinte écologique.
projets DD. Mais c’est en fréquentant
www.movilab.eu
de l’homme de l’autre. Je me suis dite qu’il fallait trouver une nouvelle forme d’intelligence collective. »
Hybrider le libre et le durable C’est dans cette perspective qu’elle crée
le petit monde des hackers, « ces gens qui gravitent autour du "libre", comme Wikipédia », qu’elle trouve la bonne
décembre 2014 - février 2015
UP
21