Extraits Interdépendances 85 Ashoka

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Prix au numéro : 5 ¤ - ISSN : 1155-2859 avril-mai-juin 2012

N° 85

DOSSIER

Quelle école pour le xxie siècle ?

SANTé

DES HÉROS TRÈS DISCRETS

en inde

un toit pour tous

rédacteur en chef invité BILL DRAYTON, fondateur et directeur d’ashoka

parcours d’entrepreneur social

jean-louis Kiehl, contre le surrendettement



Édito

© louise bartlett

Tduouschangement acteurs bill drayton, rédacteur en chef invité Bill Drayton est président fondateur d’Ashoka, le plus grand réseau d’entrepreneurs sociaux dans le monde (3 000 dans 70 pays, sur tous les continents). Après avoir étudié à Yale, Oxford et Harvard, il a été consultant chez Mc Kinsey, professeur à la Harvard Kennedy School et à Stanford, puis il a fait partie de la direction de l’Agence américaine de l’environnement où il a créé notamment le marché des émissions de CO2. C’est en Inde qu’il a lancé Ashoka et sélectionné les premiers entrepreneurs sociaux innovants (fellows) en 1981. Depuis, sous son impulsion, cette organisation indépendante, laïque et sans but lucratif a développé une panoplie complète de programmes destinés à soutenir l’expansion du secteur de l’entrepreneuriat social (concours en ligne Changemakers, YouthVenture pour les 12-24 ans, Ashoka Academy, Globalizer, etc.) et à inciter chaque citoyen du monde à se faire « acteur de changement » face aux défis que connaît la société. Bill Drayton est aujourd’hui largement reconnu pour son action (dernières récompenses : le Prix Prince des Asturies, en juin 2011, et tout récemment un prix de la Harvard Kennedy School) et la presse américaine le place parmi les 50 leaders les plus respectés du pays.

Le changement accélère, le nombre d’acteurs de changement est en augmentation exponentielle, de même que les combinaisons – et combinaisons de combinaisons – de ces personnes et de leurs initiatives. Ces trois faits, qui évidemment se renforcent mutuellement, constituent la force centrale et historique de notre époque. Chaque aspect de nos vies est concerné : les compétences dont nous avons besoin, notre façon de communiquer, la façon dont nous nous organisons – et comment nous devenons toujours plus créatifs et interdépendants. De plus, ces changements sont contagieux : chacun déclenche plus de changements encore dans d’autres secteurs de notre système social. Le changement amène le changement. Voilà le nouveau principe d’organisation autour duquel la société se restructure. Pendant notre préhistoire évolutionnaire et jusqu’à très récemment, la vie humaine s’est organisée autour d’un principe totalement opposé : la répétition. Les morceaux s’imbriquaient les uns aux autres car chacun restait stable. Pour bien grandir, il fallait maîtriser un ensemble de savoirs et les règles qui y étaient associées, et l’on s’attachait ensuite à les répéter sa vie durant, que l’on soit boulanger ou banquier. Les institutions sont conçues pour permettre une répétition efficace, dans un cabinet d’avocats comme sur une chaîne de montage. Un petit nombre de personnes organise ou donne des directives ; le système nerveux est limité et se déroule principalement de haut en bas ; et la vie est segmentée par de nombreux murs. Bien que ce monde de répétition confortable soit encore un peu présent dans nos esprits et organisations, il est en train de mourir. Dans un monde où tout change, et où chaque changement crée plus de changement encore, l’institution est en train d’être remplacée par le fonctionnement ouvert et fluide de l’équipe d’équipes. Un fonctionnement de plus en plus répandu parmi les eco-systèmes sociaux et économiques à succès – des Jésuites à la Silicon Valley ou Bangalore. Quel est le facteur clé du succès dans ce nouvel environnement ? C’est d’attirer et de retenir les acteurs de changement du plus haut niveau – essentiellement en leur permettant de travailler ensemble de la manière la plus ouverte et la plus fluide qui soit. Une équipe ne peut exister que si tous ses membres sont acteurs. Et, dans un monde de plus en plus défini par un courant de changements interconnectés et en développement, l’on a peu de chances d’être un acteur de valeur, si l’on ne contribue pas soi-même au changement.

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Édito

Quelles sont les compétences requises dans ce nouveau jeu ? La première et la plus importante est un haut niveau d’empathie. Dans un monde en cours de changement rapide, les règles priment de moins en moins. Quiconque n’ayant pas de capacité d’empathie peut être blessant avec des personnes et perturber des groupes. Il ou elle risque ainsi d’être mis à l’écart, peu importent ses connaissances en informatique ou tout autre domaine. Il est essentiel que les jeunes de 12 à 20 ans, pratiquent l’empathie et le travail d’équipe, (la nouvelle forme de) leadership, et le changement. Nous savons à quel point c’est important, car quasiment tous les entrepreneurs sociaux fellows soutenus par Ashoka (plus de la moitié ont, dans les cinq ans après leur sélection, contribué à des changements à l’échelle de leur pays) ont lancé leur premier projet durant l’adolescence. Qu’est-ce que cela peut signifier pour chacun d’entre nous, et pour nos entourages, les groupes qui nous sont proches ? • Il faut d’abord, nous-mêmes, développer quatre compétences clé – empathie, travail d’équipe, (le nouveau type de) leadership, et l’aptitude à contribuer au changement. Et ensuite : • Aider nos amis à les développer aussi. • Aider les enfants auxquels nous tenons à pratiquer l’empathie. Aider les jeunes que nous côtoyons à avoir des rêves et à provoquer un impact positif durable. Les encourager, sans faire à leur place, à s’attaquer à tout problème qu’ils perçoivent. Les aider à comprendre à quel point ces compétences sont essentielles pour l’avenir. • Aider notre entourage et tous les groupes dont nous sommes proches à effectuer la transition d’une équipe conçue pour la répétition à une équipe d’équipes d’acteurs de changement ? Il y a deux ans, une jeune femme noire de 15 ans de Philadelphie est intervenue après un dîner durant un sommet du programme Ashoka Youth Venture. « Je comprends maintenant : ce n’est ni le genre ni la couleur de peau qui comptent, c’est le fait d’être ou non un acteur de changement qui détermine notre capacité à réussir ou non dans la vie. » Les lecteurs du magazine Interdépendances font partie de ces personnes qui ont les compétences et la confiance pour être acteurs de changement. De ces personnes qui aiment les défis, car ils permettent de se montrer créatif et généreux. Que dire des personnes qui n’ont pas ces compétences ? Qui se voient dépassées ? Imaginez ce que peut être ce monde de changement croissant pour eux : c’est terrifiant. Toute ville ou tout pays qui échouerait aujourd’hui à faire de ses habitants des acteurs de changement prendrait un billet sans retour pour l’échec. Et cela concernerait la totalité de ses habitants (même les quelques trop rares acteurs de changement). Comment une entreprise (ou tout autre groupe de cette société) peut-elle être concurrentielle si elle n’a pas la possibilité d’embaucher des acteurs de changement, alors que c’est précisément la clé du succès ? Nous devons tous nous engager à faire le maximum pour assurer que chacun soit en mesure d’être acteur de changement. d

La première compétence est un haut niveau d’empathie

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regarder

événements

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ça m’intér’ess

10 L’ESS à travers le monde

85 N°

www.interdependances.org

entreprendre savoir-faire

12 Les entrepreneurs sociaux de demain

parcours d’entrepreneur social 13 Jean-Louis Kiehl

CULTURE

61 La sélection de Bill Drayton, rédacteur en chef invité de ce numéro : livres, films, pièce de théâtre, musique l’ayant marqué ou inspiré.

choisir

64 Mode, déco, loisirs... responsables

dossier p. 24 quelle école pour

le XXIe siècle ? découvrir zoom 16 Google “Toujours un défi à relever”

société culture 49 Jouer pour changer le monde

PORTRAIT 38 Gandhi, l’inspirateur

métier 19 Entrepreneur social, l’action à valeur ajoutée rendement 21 Comment mesurer l’impact social ?

environnement 41 Unifier pour mieux trier

justice

BONNES PRATIQUES 42 Tisser des liens contre le rejet

52 Prévenir et réinsérer

santé

44 Des héros très discrets

territoire

réfléchir

55 Le marché qui valait 4 milliards

46 Un toit pour tous est une publication trimestrielle de Presscode pour Insertion et Alternatives / Groupe SOS  - e-mail : contact@interdependances.org. En ligne : www.interdependances. org Directeur de la publication : Jean-Marc Borello (jmb@groupe-sos.org). Editeur : Gilles Dumoulin (gd@groupe-sos.org). Comité d’orientation : Johanne Azous, Julien Bayou, Rémi CamyPeyret, Eve Chiapello, Stéphane Coste, Vincent David, Hichem Demortier, Hervé Defalvard, Alain Détolle, Myriam Faivre, Tarik Ghezali, Matthieu Grosset, Olivier Joviado, Eric Larpin, Jean-Marie Legrand, François Longérinas, Philippe Merlant, Jean-Philippe Milésy, Pierre Rabhi, Florence Rizzo, Patrick Viveret, Laura Winn. Directeur de la rédaction : Nicolas Froissard (nicolas.froissard@ interdependances.org). Rédacteurs en chef : Bill Drayton, Louise Bartlett (louise.bartlett@interdependances.org) Secrétariat de rédaction : Magali Jourdan (magali.jourdan@interdependances.org), Marie-Line Lybrecht. Ont collaboré à ce numéro : Christelle Destombes, Réjane Ereau, Alain Le Bacquer, Augustin Le Gall, Catherine Leroy-Jay, Alyssa Boente, Emilie Drugeon, La Navette, Guillaume Guitton, Thibaut Ringô, Florence Rizzo, Thomas Roure, Magali Sennane, Louise Swistek, Tendance Floue. Direction artistique : François Bégnez (françois.begnez@presscode.fr) Maquettiste : Blandine Ollivier (www.presscode.fr). Illustrations : François Bégnez, Sébastien Chevalier, Charlotte Moreau. Impression : Graph 2000 - 61203 Argentan (imprimerie certifiée PEFC et Imprim’vert). Dépôt légal : à parution. Commission paritaire : 1011 G 83337. Numéro ISSN : 1155-2859. La reproduction, même partielle, d’articles ou de documents parus dans Interdépendances est soumise à notre autorisation préalable. Pôle média du Groupe SOS : Guillaume Guitton (guillaume.guitton@groupe-sos.org). SOS Insertion et Alternatives est une association loi de 1901. Siège social et délégation générale Groupe SOS : 102, rue Amelot, 75011 Paris - Tél. : 01 58 30 55 55 - Fax : 01 58 30 55 79 - www.groupe-sos.org Entreprise sociale, le Groupe SOS développe des activités qui concilient efficacité économique et intérêt général. Créé il y a 28 ans, il répond aux besoins fondamentaux de la société : éducation, santé, insertion, logement, emploi… Le Groupe SOS compte aujourd’hui près de 10 000 salariés au sein de 283 établissements et services présents en France métropolitaine, en Guyane, à Mayotte et à la Réunion. Gestion des abonnés : Philippe Morlhon, France Hennique. Tél. : 04 96 11 05 89 (abonnements@interdependances.org). Edition : Presscode - 27, rue Vacon - 13001 Marseille - Tél. : 04 96 11 05 80 - Fax : 04 96 11 05 81  - www.presscode.fr Impression réalisée sur papier 100 % recyclé

Régie publicitaire & partenariats : Mediathic - Fayçal Boulkout. Tél. : 06 37 15 34 07 / 01 56 63 94 58 - faycal.boukout@groupe-sos.org - 80/84, rue de Paris - 93100 Montreuil


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Sofiane et Selma Ouissi, Sejnane, Tunisie Photo d’Augustin Le Gall (Afrique in visu) Frère et sœur et artistes-chorégraphes, Sofiane et Selma Ouissi sont codirecteurs du festival Dreamcity qui a lieu tous les deux ans dans la médina de Tunis. Animée par un collectif d’artistes, la biennale défend une société rêvée, où les artistes seraient pleinement impliqués. Sofiane et Selma réfléchissent sur le lien entre action artistique et action citoyenne, insistant sur la relation entre l’artiste et son environnement et plus largement la place de l’art dans la société. Dans le village de Jmaïhat à quelques kilomètres de Sejnane (au Nord de la Tunisie), Sofiane et Selma ont lancé en 2011 le projet Laaroussa (« la poupée »). Le projet œuvre pour décentraliser l’action artistique et construire des ponts avec les savoir-faire artisanaux de communautés de femmes de la région et l’art contemporain, pour réfléchir sur le vivre ensemble. 6

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Concert, favela de Cantagale, Brésil Photo d’Alain Le Bacquer, issue de la série Favela sociale La chorale “Harmonicanto” en concert lors d’une fête dans la favela. Cassia Oliveira, 51 ans, professeur de musique, s’est installée il y a quelques années dans la favela de Cantagale située sur les hauteurs près d’Ipanema, un quartier riche de Rio de Janeiro. L’association qu’elle a fondée, Musique et Citoyenneté Harmonicanto, a reçu le soutien du programme SESC Rio, fondation sociale financée par les PME et artisans de la ville. L’association dispense des cours de musique aux enfants de Cantagale dès l’age de 6 ans. La maison de Cassia est devenue un lieu de passage et de refuge pour les enfants du quartier après la classe. On y trouve une salle de musique, une salle de jeux et une bibliothèque, fournis avec peu de moyens, grâce à la récupération ici et là d’instruments, de livres et de jouets. avril-mai-juin 2012 | Interdépendances n ° 85

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entreprendre | savoir-faire

Youth Venture

Les entrepreneurs sociaux de demain

Depuis 1997 aux Etats-Unis, le programme Youth Venture accompagne les jeunes de 12 à 24 ans dans la réalisation de leurs projets à caractère solidaire et/ou environnemental. changemakers. « L’idée, c’est de créer un réseau mondial de jeunes acteurs du changement, explique Thomas Blettery, coordinateur du volet français de Youth Venture. On les aide à passer de l’idée au projet, à développer leur créativité, à acquérir des qualités humaines et de leadership qui seront des éléments clés dans la réussite de leur vie future. » Pour Ashoka, un individu qui intègre des valeurs citoyennes et solidaires dès son plus jeune âge a plus de chance de les accroître et de les transmettre dans sa vie personnelle et professionnelle à venir.

un prix allant de 500 à 1 500 euros, lors d’une cérémonie le 6 juin. «  A ce stade, ils sont encore loin d’avoir concrétisé leurs idées. Ils ont surtout été choisis pour leur motivation, leur fibre sociale et leur engagement », explique Thomas Blettery, le coordinateur de Jeunes Changemakers. Pour ceux qui voudraient se lancer dans l’aventure, les appels à projets sont clos pour cette année, mais « les jeunes qui veulent s’engager peuvent toujours entrer en contact avec nous, on les orientera », précise Thomas Blettery. Le concours est en train de prendre de l’ampleur et des éditions régionales devraient voir le jour dès 2013 ! Magali Sennane

S’engager autrement Pour ceux qui veulent passer à l’action, il est possible, dès l’âge de 13 ans, de créer une « junior association ». Celle-ci donne un cadre juridique aux projets des moins de 18 ans et leur permet de bénéficier d’outils indispensables comme une assurance et un compte bancaire. La démarche est simple : il suffit d’être au moins deux, de compléter un dossier d’habilitation accompagné d’un chèque de cotisation de 10 euros et de l’envoyer à l’un des relais départementaux.

Soutenir les initiatives On peut avoir moins de 24 ans et être acteur de changement. Pour soutenir les jeunes porteurs de projet, Ashoka leur a dédié tout un programme : Youth Venture. Présent dans 22 pays, il a déjà permis à près de 5 000 équipes de créer leurs activités, lesquelles profitent à plus d’un million de personnes dans le monde. La déclinaison française du programme a vu le jour en novembre 2011, sous le nom de Jeunes 12

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Lutte contre les maladies, la faim, la malnutrition, aide à l’éducation, protection de l’environnement… Parmi les projets, plus variés les uns que les autres, développés grâce à ce programme, il y a celui de Sejal Hathi. En 2007, cette Américaine âgée d’à peine 15 ans lance, avec le soutien d’Ashoka, « Girls Helping Girls », un réseau mondial d’entraide pour les jeunes filles défavorisées. Aujourd’hui, Sejal Hathi est devenue ambassadrice de Youth Venture. Son organisation a pris de l’ampleur et a soutenu plus de 30 000 filles dans le monde. En France, le lancement du programme Jeunes changemakers s’accompagne du concours « Dream it. Do it. ». Onze équipes de binômes ont été sélectionnées en février 2012 pour mettre au point le plan d’action qui permettra de réaliser leur projet. Elles ont pu notamment participer à deux week-ends de formation (31 mars1er avril et 5-6 mai). A l’issue de ce travail, les trois meilleurs projets recevront

A cliquer

De l’idée au concret

Le site français de Youth Venture www.france.ashoka.org Le site du concours « Dream it. Do it » www.concours-dreamdoit.fr Annuaire des relais départementaux disponible sur www.juniorassociation.org


parcours d’entrepreneur social | entreprendre

Jean-Louis Kiehl crésus

En finir avec

le surrendettement

C

ouples déchirés, enfants sans perspectives d’études, suicide*… « Le surendettement crée des sous-citoyens ». Si la voix reste calme, les propos sont indignés. Jean-Louis Kiehl est président de la Fédération des associations Crésus. Elles luttent contre le surendettement, mais travaillent également à le prévenir, en apportant information et éducation pour mieux gérer un budget, et ne pas se laisser embarquer dans le tourbillon. Le côté obscur du crédit non maîtrisé, et de l’endettement qui en résulte est souvent brutal, et parfois tragique. A bientôt 60 ans, JeanLouis Kiehl compte consacrer les sept prochaines années, son « septennat »,

D.R.

Sortir de la honte, cesser le non-dit : Jean-Louis Kiehl, 60 ans, se consacre avec la fédération Crésus qu’il préside, à l’accompagnement de personnes surendettées. Il tient à développer la prévention d’un drame qui risque de toucher près de trois millions de ménages dans les deux prochaines années.

jusqu’à sa retraite, à la réduction des cas de surendettement en France au sein de l’organisation.

Du marketing au social L’homme a une longue carrière derrière lui. Il intègre le monde du travail à 14 ans, au service administratif de Daimler Chrysler. Il gravit les échelons pour finir responsable de toute la communication institutionnelle de la marque en Afrique de l’Ouest et certains pays anglophones du continent, dont le Ghana et le Nigeria. Après quinze ans à ce poste, il revient avec son épouse

en France, travaille à mi-temps pour s’occuper de leur fille, et reprend des études, en droit. Premier choc : le droit, jargonneux par excellence, « est un instrument de liberté quand il est bien compris ». Il termine son 3e cycle premier lauréat du concours général. « Je voulais de l’action » : au lieu de faire une thèse, il devient délégué du médiateur de la République à la préfecture de Strasbourg. C’est pendant ces dix années de service qu’il découvre l’ampleur du surendettement. « Je recevais des personnes qui n’étaient pas en mesure de payer leurs impôts. Pouravril-mai-juin 2012 | Interdépendances n ° 85

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entreprendre | parcours d’entrepreneur social

Fichier positif du crédit Jean Louis Kiehl milite avec Crésus pour l’instauration d’un fichier positif du crédit. Tous les pays de la zone euro en disposent, à l’exception de la Finlande, la France, la Slovénie et la Slovaquie. Ce fichier recensant les crédits souscrits permettrait aux organismes de crédit de vérifier la situation d’un demandeur et de sécuriser la souscription. Il pourrait rendre le crédit accessible à un public plus large, en faisant baisser son coût (risque de défaut de paiement amoindri). Sa création recueillait 86 % d’opinion favorables dans un sondage Ifop pour la Fédération du commerce et de la distribution en septembre 2011.

tant leurs revenus auraient du le leur permettre. Sauf qu’avec 8, 9, voire 10 crédits sur le dos, ça leur devenait impossible ». En cherchant des solutions pour ces personnes, il rencontre Crésus, une structure alsacienne qui accompagne les ménages surendettés. Il rejoint l’association en 2000, en tant que bénévole. Il le restera huit années durant, avant d’en prendre la direction en 2008. Aujourd’hui, la Fédération Crésus réunit 600 bénévoles (banquiers, avocats, magistrats) et 28 salariés au sein de 18 associationssur le territoire français, la première, alsacienne, ayant servi de modèle aux suivantes. Sans subventions publiques, avec quelques dons de

Itinéraire

banques mis à disposition des petites associations qui rejoignaient la fédération, Crésus a reçu 53 000 ménages en 2011. Le surendettement touche les classes moyennes, et notamment les fonctionnaires auxquels on accorde plus facilement des crédits. Pour en sortir, il faut en moyenne huit ans, huit années pendant lesquelles vivre avec le RSA. Crésus accompagne les personnes, dès le dépôt du dossier de surendettement et bien au-delà.

Dialogue, prévention et solutions Il y avait 900 000 cas de personnes surendettées en France en 2010, et la tendance est à la hausse. « Les diffi-

1952

1996 Naissance de Jean-Louis Kiehl, dans une famille aux revenus modestes, mais loin du surendettement.

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cultés financières sont vues comme une situation honteuse, on n’en parle pas et les problèmes s’aggravent. Il faut parler d’argent, savoir faire un budget. Nous voulons montrer que le surendettement n’est pas une fatalité ». L’intervention de Crésus se veut double, avec un volet curatif (accompagnement psychologique, juridique et social des ménages surendettés), mais aussi un volet préventif. En aidant les jeunes par exemple à faire un budget pour gérer leurs premiers salaires. Mais la fédération milite également, sous la houlette de Jean-Louis Kiehl, pour la mise en place d’un mécanisme de prévention avec les banques et assurances, pour que

2000 Retour en France après 15 ans à la communication institutionnelle de la marque Daimler Chrysler en Afrique.

Découvre Crésus en cherchant des solutions pour les ménages surendettés. Devient bénévole.


parcours d’entrepreneur social | entreprendre

ces dernières mettent des clients aux finances fragiles en contact avec Crésus. Lorsque ces établissements, dont la Banque Postale premier partenaire, leur transfèrent des personnes, deux tiers des cas peuvent être redressés sans dossier de surendettement. Les membres de la fédération peuvent renégocier les taux d’intérêt et aider les personnes à gérer leur budget. Cela évite des pertes aux prêteurs, qui ne récupèrent pas l’intégralité de la somme accordée en cas de surendettement, mais aussi, bien sûr, permet de limiter les dégâts d’une crise financière à échelle domestique. Jean-Louis Kiehl demande également aux pouvoirs publics depuis de nombreuses années la création d’un registre « positif » du crédit [voir encadré page 14], qui permettrait aux banques de s’assurer de la situation de chaque personne qui souhaite en souscrire un.

mes d’argent, les gens s’enferment dans la honte, dans une bulle. Or quand on a le mal il faut le traiter. On les aide à retrouver le courage, à espérer ». Le surendettement est selon Jean-Louis Kiehl un facteur culturel : « On veut acheter, jouir, être heureux, et on creuse sa tombe si l’on n’a pas les outils pour faire des choix. ». A Crésus, « on tente de redonner aux consommateurs le goût de la citoyenneté ». Et de l’éveiller chez les banques aussi… Elément fondamental de l’action de Crésus selon son directeur : travailler avec les banques, et pas contre elles. Le surendettement leur fait

perdre plusieurs centaines de millions d’euros par an en France [lire encadré ci-dessous]. « Les banques cherchent la rentabilité, et peuvent le faire de façon durable », d’autant plus que la RSE prend de l’importance, pour l’image, et petit à petit sur le fond aussi. « La crise peut être une “chance”, elle doit servir à changer le fonctionnement en profondeur », estime l’entrepreneur. Guillaume Guitton, louise bartlett * Selon Crésus, 1 400 suicides par an seraient imputables au surendettement.

Convaincre les banques de participer La prévention et la nécessité de coconstruire sont essentielles aux yeux de celui qui milite pour une Journée nationale du budget familial et des économies. « On voudrait convaincre toutes les banques de participer, et de signaler des clients fragiles ». L’objectif, ambitieux, de la plateforme de prévention au sein de Crésus : compter 100 salariés et traiter 50 000 dossiers par an. « C’est la colère qui m’a conduit à faire ce métier. Le surendettement est une trappe à misère. Il faut prévenir ce mal. On permet aux ménages surendettés de reprendre leur destin en main. » En effet, l’association ne donne pas d’argent à ses usagers, et ne les désendette pas. « Quand ils ont des problè-

2008

Le manque à gagner des crédits non remboursés Le monde bancaire a tout à gagner à ce que le crédit soit mieux maîtrisé, car les ménages surendettés représentent un coût.  Du 1er janvier 2010 au 31 octobre 2010, les commissions de surendettement ont examiné et déclaré recevables 176 731 dossiers concernant 223 908 personnes. Le surendettement, c’est plus de 6 milliards d’euros de dettes, dont plus de 80 % auprès de banques. Selon les chiffres de la Banque de France, l’endettement moyen est de 40 000€ par dossier dont 17 600€ pour les crédits assortis d’une échéance et 19 900€ en moyenne pour les crédits renouvelables. En faisant baisser le nombre de cas de surendettements, une meilleure prévention entraînerait la baisse des coûts de traitement des dossiers de surendettement pour la Banque de France, estimé aujourd’hui à 215 M€ par an par la Cour des comptes. Source : Amendement au projet de loi “Droits, protection et information des consommateurs”, Sénat, 19/12/2011

A cliquer

2012 Devient dirigeant de Crésus Alsace et président de la fédération nationale.

Défend auprès des candidats à l’élection présidentielle l’instauration d’un fichier permettant de connaître la situation de demandeurs de crédit, pour limiter le risque de surendettement de personnes en difficulté.

www.radiocresus.fr Radio que les auditeurs peuvent appeler pour demander conseil ou être accompagnés dans leurs démarches

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entreprendre | ZOOM

Google

“Toujours un défi à relever” Voilà une entreprise qui fascine, tant par sa constante capacité d’innovation que par ses méthodes de fonctionnement. Souvent, l’esprit “start-up” a vécu. Chez Google, il reste une réalité. Recette d’un succès.

L

’histoire commence en 1995 dans la Silicon Valley. Larry Page et Sergey Brin ont 22 ans, sont étudiants à Stanford, ont des compétences en informatique… et une idée : développer un logiciel qui optimise les recherches sur le Web. Lorsqu’ils le démarchent, le fondateur de Yahoo les encourage à créer leur propre société. 1998, leur premier

siège social est un garage. Quatorze ans plus tard, ils emploient 32 000 personnes, possèdent 70 bureaux dans 40 pays, et sont incontournables sur le Net, tant par leur moteur de recherche que par leurs autres outils – messagerie, agenda, géolocalisation, navigateur, stockage photo, plate-forme vidéo… Cette capacité d’innovation tient non

seulement aux efforts de Google en recherche et développement (la moitié de ses effectifs sont des ingénieurs, ses investissements R & D s’élèvent à cinq milliards annuels, soit 13 % du CA), mais aussi à son mode de fonctionnement. « Dès le départ, ses fondateurs ont souhaité recréer les codes et l’émulation de la vie universitaire », commente AnneGabrielle Dauba-Pantanacce, directrice de la communication de Google France. Pas par lubie d’ados attardés, mais par conviction que « c’était le moyen de favoriser la créativité et de lancer des innovations tout à fait singulières ».

PHOTOS : GOOGLE

Entrepreneuriat collaboratif

Culture virtuelle Avril 2012, les musées d’Orsay et du Quai Branly font leur entrée au Google Art Project. Lancée il y a un an, la plate-forme gratuite de Google dédiée à l’art permet de vadrouiller virtuellement dans 151 musées du globe, à la découverte de 32 000 œuvres. Pour Google, ce projet s’inscrit dans une volonté de soutenir « toutes les formes d’art, cultures et civilisations à travers le monde ». Et de poursuivre son travail de numérisation et d’archivage tous azimuts, qui lui a valu une levée de boucliers sur Google Books, pour risque de position dominante sur le marché de la publication numérique, mais aussi pour non-respect des droits d’auteur et des ayants droit. En France, la justice a interdit à Google de poursuivre sans accord des éditeurs. Visité par vingt millions d’internautes depuis son lancement, Google Art Project ne semble pas faire de tort aux musées, mais au contraire booste leur fréquentation.

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Premier levier : un environnement de travail épanouissant. « Partout dans le monde, la cantine est gratuite, les espaces sont très colorés, très ouverts, il y a des coins snacks, des massages », décrit Anne-Gabrielle. Sans parler du mythique Googleplex, un campus de onze hectares en Californie où l’on va d’un bâtiment à l’autre à vélo ou en voiture électrique, où il y a des salles de repos, des terrains de sport, une piscine à vagues… « Et le vendredi à 17 heures, tous les salariés se réunissent autour d’un verre », ajoute Anne-Gabrielle. Nom de code : TGIF, « Thank Google it’s Friday » ! Un peu gadget ? « Le succès de l’entreprise ne tient pas à ses sofas ni à la couleur de ses murs, mais à une approche de management beaucoup plus globale », rappelle Anne-Gabrielle. Exit le fonctionnement pyramidal, protocolaire,


ZOOM | entreprendre

A l’embauche, le candidat est reçu et sélectionné par un panel constitué de tous les gens avec qui il sera amené à travailler  souvent inerte, de bon nombre d’organisations. « Ici, le leadership ne tient pas à un grade hiérarchique mais à la capacité à insuffler une idée, à porter un projet, à faire preuve d’adaptabilité. Le business d’Internet exige d’aller vite. Le rôle du manager est de savoir distribuer le pouvoir, favoriser l’esprit d’initiative, développer le travail en petites équipes, pour libérer la créativité. »  Concrètement, tout commence au recrutement. « Au-delà des compétences, on y jauge la googliness, c’est-à-dire l’aptitude à correspondre à la culture Google », commente Anne-Gabrielle. Etre capable de travailler dans un environnement multiculturel « où les gens abordent les sujets de manière parfois radicalement différente », savoir évoluer dans une structure légère ou chacun doit faire preuve à la fois d’esprit stratégique et d’efficacité opérationnelle – « à part les grands directeurs, personne n’a d’assistant ! » –, être à l’aise avec les outils collaboratifs « comme le chat instantané, la vidéo conférence ou le partage

de documents », et ne pas se sentir submergé par des cycles d’innovation et de décision extrêmement rapides. « Chez Google, le rythme de croisière n’existe pas. On n’a pas le temps de se poser, il y a toujours un produit ou une fonctionnalité à lancer, un chantier à ouvrir, un défi à relever, un pari à gagner. » Pour maintenir la dynamique, chaque salarié est évalué tous les trois mois, tant par ses responsables hiérarchiques que par ses collègues. « Idem à l’embauche, précise Anne-Gabrielle. Le candidat est reçu et sélectionné par un panel constitué de tous les gens avec qui il sera amené à travailler. »

Des temps de créativité Autre spécificité forte de Google : instituer des temps dédiés à la créativité. « Nos collaborateurs peuvent consacrer un jour sur cinq à un projet privé, indique Anne-Gabrielle – en lien tout de même avec nos métiers, il ne s’agit pas de faire du macramé ! » Bien pour l’individu, mais aussi pour

l’entreprise, puisque beaucoup d’innovations ont vu le jour dans ce cadre. « C’est parce qu’il voulait obtenir une revue de presse instantanée au moment du 11 septembre qu’un ingénieur indien a conçu un agrégateur d’informations, devenu Google News, explique AnneGabrielle. De même, un développeur passionné d’art qui travaille normalement sur Gmail pourra consacrer 20 % de son temps à Art Project. » L’entreprise fait des essais de voiture sans chauffeur, de lunettes avec réalité augmentée… « Ça ne mènera peut-être nulle part, mais c’est ainsi qu’on aboutit à des ruptures technologiques. L’acceptation de l’échec fait partie de la culture Google. On a lancé des tas de produits qui n’ont pas marché ! On en tire les enseignements et on continue sur autre chose. » La marque n’hésite pas à sortir ses nouveautés en version béta, « afin de bénéficier du retour du public pour les finaliser. Le lancement de notre réseau social Google +, par exemple, a été modeste. L’engouement s’est fait petit à petit. avril-mai-juin 2012 | Interdépendances n ° 85

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entreprendre | ZOOM

Aujourd’hui, il compte 100 millions d’utilisateurs. »

Controverses Un tel essor ne se fait pas sans heurts. 2006, Google accepte de brider son moteur de recherche chinois, « en application de la législation locale ». A ceux qui lui reprochent de faire le jeu de la censure, l’entreprise rétorque que « mieux vaut un Google imparfait que pas de Google du tout » et que google.cn contourne d’autres mécanismes de surveillance. « En Egypte, lorsque le gouvernement Moubarak a coupé Internet, ce sont des équipes de Google qui, en une nuit, ont

développé une technologie permettant aux manifestants de continuer à tweeter, via des messages vocaux, ajoute AnneGabrielle. Nos salariés sont portés par cet idéal de technologie utile et citoyenne. » Autres points sur lesquels Google est critiqué : le recours aux paradis fiscaux pour échapper aux impôts, la surconsommation énergétique engendrée par ses 900 000 serveurs – en contrepartie, la firme a investi 680 millions de dollars dans les énergies vertes –, les risques d’abus de position dominante (qui lui ont valu des condamnations par l’Union européenne), ainsi que de nonrespect de la vie privée, en cas d’utilisation douteuse des données recueillies sur ses utilisateurs.

Un équilibre subtil

Comment concilier esprit pionnier et situation hégémonique ?

Comment concilier esprit pionnier et situation hégémonique ? « C’est l’enjeu du moment, concède Anne-Gabrielle. La croissance ne doit pas faire oublier à Google sa vision de l’innovation, sa créativité originelle. Comme toute multinationale, elle a besoin de lignes directrices et de process, mais il lui faut aussi préserver les méthodes qui ont fait son succès. »  Un « équilibre subtil de formel et d’infor-

mel » qui explique le retour aux commandes il y a un an de Larry Page, l’un des fondateurs, en tant que PDG. « Il a par exemple exigé que les réunions ne durent pas plus de 45 minutes, réunissent cinq personnes maximum, aient un thème précis et aboutissent à des décisions, un agenda et un plan d’actions. » Autre clé : donner davantage de pouvoir aux équipes locales. « Un plan d’investissement très ambitieux a été développé pour la France dans les dix-huit derniers mois », explique Anne-Gabrielle, avec ouverture d’un siège parisien de dix mille mètres carrés, création d’un institut culturel « qui met notre technologie et le savoir-faire de nos ingénieurs au service de la valorisation en ligne des patrimoines culturels », et ouverture d’un centre de recherche et développement, afin à la fois de « se positionner en tant qu’acteur français » et « développer des produits à vocation mondiale ». Quatorze ans après sa création, la firme californienne fait-elle sa crise d’adolescence ? « Disons plutôt qu’on est en train de devenir un jeune adulte, avec ce que ça comporte de responsabilités », conclut Anne-Gabrielle. Réjane Ereau

De Gogol à Google Le nom du géant californien fait référence au terme mathématique « googol » (« gogol » en français), qui désigne 10100. Un nombre gigantesque (supérieur à la quantité de particules dans l’univers, évaluée à 1080), qui symbolise l’ambition de l’entreprise : organiser à l’échelle mondiale l’immense volume d’informations disponibles sur le Web, pour le rendre universellement accessible et utile. La marque figure désormais parmi les dix plus connues au monde, et certains dictionnaires ont inclus « to google » dans leurs pages, afin de désigner l’utilisation d’un moteur de recherche pour obtenir un renseignement sur le Web – « googleliser » en bon français ?

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métier | entreprendre

Entrepreneur social

L’action à valeur ajoutée Depuis les années 1990, le secteur des entreprises sociales s’est fortement développé en France comme à l’étranger. Associations ou coopératives, SARL ou SA, elles mettent les personnes au cœur de l’action, quelle qu’elle soit, et la rentabilité à son service.

L

’entrepreneur social entend agir dans l’intérêt collectif en développant des solutions innovantes qui répondent à des besoins sociétaux : lutte contre l’exclusion, la pauvreté, les inégalités, défense de la biodiversité et de l’environnement, promotion de la culture, de l’éducation, etc. L’objet de son entreprise la différencie d’emblée d’une entreprise dite classique. Ainsi, une société qui intègre les principes de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ne sera pas pour autant considérée comme une entreprise sociale si sa finalité n’est pas de répondre à un besoin sociétal ou environnemental. Elle se distingue par sa façon de produire (commerce équitable, conséquences sur l’environnement…), sa manière de recruter son personnel (emploi d’insertion, personnes handicapées…) ou encore par rapport au public auquel elle s’adresse (personnes défavorisées, handicapées, âgées, etc.).

Finalité sociale Le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) définit ces entreprises comme étant « à finalité sociale, sociétale ou environnementale et à lucrativité limitée. Elles cherchent à associer leurs parties prenantes à leur gouvernance ». La recherche du bénéfice n’est donc pas un but en soi. Cela n’exclut pour autant pas la possibilité de devenir rentable. Si c’est le cas, les excédents financiers sont réinvestis dans des projets solidaires, les salaires des dirigeants sont encadrés et les écarts de rémunaration limités. Se

Profil Il n’existe pas de profil type, toute personne qui souhaite monter un projet de ce genre peut le mener à terme, à condition d’être suffisamment préparé. Un intérêt et une sensibilité pour les thématiques de l’environnement, de l’économie sociale et solidaire et de la solidarité sont évidemment nécessaires. Une formation en management et/ou dans le domaine de l’économie sociale et solidaire est un plus qui saura être utile.

Formation Une formation d’école de commerce ou dans des filières ESS d’universités peuvent fournir des bases utiles. Pour en savoir plus, retrouvez sur le site www.interdependances.org une liste de formations qui permettent de s’orienter et de se familiariser avec les techniques de ce secteur.

lancer dans l’aventure est un parcours de longue haleine. Jeanne Granger, entrepreneur social et cofondatrice de La réserve des arts, association de récupération et de revalorisation de matériels pour le secteur culturel, raconte son expérience. « Nous sommes allés dans un incubateur d’entreprises pendant environ six mois, pour transformer notre idée en “business model”. On nous a aidés à définir la forme juridique et à aborder des questions techniques comme la comptabilité. Ensuite, il a fallu soumettre le plan de développement à des partenaires et nous avons obtenu des aides de la Région Ile-de-France. » Le réseau international Ashoka soutient le développement d’idées innovantes en aidant les promoteurs à professionnaliser leur activité, à monter des partenariats gagnants-gagnants, à trouver des systèmes de financement pérennes, etc. La motivation est importante, car le processus de sélection est long (de six à huit mois) et rigoureux, mais il permet des avril-mai-juin 2012 | Interdépendances n ° 85

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entreprendre | métier

remises en question utiles et, ensuite, aux fellows de bénéficier d’un réseau de 3 000 « pairs » présents dans 70 pays.

Babyloan, Café Projet, IIES Essec et SIFE France), deux outils instructifs et ludiques, téléchargeables sur Internet. Magali Sennane

Des réseaux en soutien

D.R.

Jeanne Granger, cofondatrice de la Réserve des arts, association de récupération et de revalorisation de matériels pour le secteur culturel Pourquoi avoir choisi la voie de l’entrepreneuriat social ?

Pour favoriser les initiatives et accompagner les futurs entrepreneurs, de nombreuses organisations et réseaux ont été créés : le Mouves (Mouvement des entrepreneurs sociaux), l’Avise (Agence de valorisation des initiatives socioéconomiques), Ashoka qui a également créé la plateforme changemakers.com, dédiée à la mise en réseau de tous les « acteurs de changement », Réseau Entreprendre, Entrepreneurs d’avenir… Leur activité consiste aussi à promouvoir le secteur de l’entrepreneuriat social auprès du grand public pour susciter des vocations. Le Mouves a ainsi créé le “kit pédagogique pour une première sensibilisation à l’entrepreneuriat social ” (en partenariat avec l’Avise) et la “boîte à outils pour enseigner l’entrepreneuriat social” (conçue avec l’Avise, Odyssem,

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L’entreprise du XXIe siècle sera sociale ou ne sera pas par Jean-Marc Borello, François BottollierDepois et Nicolas Hazard, éditions Rue de l’échiquier, 20 €

t

J’en donnerai trois ! Croire très fort en son idée, il faut être porté par elle et pouvoir se projeter dedans ; être très bien entouré, aussi bien au niveau personnel que professionnel (associés, associations, réseaux) ; avoir une force de conviction et ne jamais prendre un non pour une réponse ! recueilli par M.S.

Entrepreneuriat social : innover au service de l’intérêt général par Amandine Barthélémy et Romain Slitine, éditions Vuilbert, 18,05 €

tlet © Louise bar

Quels conseils donneriez-vous pour devenir entrepreneur social ?

Toutes les informations nécessaires sur la création d’une entreprise sociale, sur le site d’accompagnement et d’orientation pour les entrepreneurs sociaux www.entrepreneur-social.net

Devenez entrepreneur social guide à télécharger en ligne sur www.avise.org

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? En plus des difficultés quotidiennes de toute entreprise, c’était de n’avoir aucun modèle comparable à ce qu’on voulait faire. On a donc dû passer beaucoup de temps à sensibiliser et expliquer que notre projet était viable. Mais aujourd’hui, notre différence est devenue une force.

Le Mouvement des entrepreneurs sociaux www.mouves.org Ashoka, réseau de soutien au développement des entrepreneurs sociaux innovants http://france.ashoka.org www.changemakers.com/fr

A lire

Je partageais des valeurs prônées par l’économie sociale et solidaire, comme reconsidérer la façon dont on travaille et dont on produit. Je voulais mettre en adéquation mes valeurs personnelles et mon activité professionnelle.

Agence de valorisation des initiatives socio-économiques (Avise) www.avise.org

A cliquer

3 questions à…

Bill Drayton, rédacteur en chef invité « Les entrepreneurs changent les systèmes de base d’une société. Les entrepreneurs sociaux s’engagent personnellement et avec leur entreprise pour le bien-être de tous. Ainsi se compose le gyroscope d’une société en mutation. Nous sommes sans cesse reguidés vers l’objectif d’une société qui doit être juste économiquement et socialement, et qui respecte l’environnement. »


Dossier

Quelle école pour le xxie siècle ? Christelle destombes

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Le monde change mais que fait l’école ? Le xxie siècle aura besoin, selon une liste établie par l’Unesco, de créativité et d’innovation, de réflexion critique et de capacité à résoudre des problèmes, de communication et de collaboration. Quel type d’enseignement fera que ces compétences s’épanouissent chez les élèves d’aujourd’hui et de demain ?

© olivier culmann / tendance floue

C

’est une anecdote que François Taddéi, chercheur en biologie des systèmes à l’Inserm et penseur de l’éducation [cf. interview page 29], cite volontiers : « Lorsque mon fils est entré en CP, la maîtresse m’a dit : « il est charmant, mais il pose des questions ». Depuis, je m’interroge sur le système éducatif… » Quel parent n’a pas vécu l’angoisse diffuse d’avoir le mauvais enseignant pour son enfant ? Qui n’a pas rêvé d’une école où chaque individu serait pris en compte, contre la vision tayloriste d’une école qui « bourre le crâne » sans réellement préparer à la réflexion ? En juillet dernier, le baromètre des services publics en Europe BVA-Institut Paul Delouvrier [1] révèle que l’éducation est la priorité des Européens, et tout particulièrement des Français, devant l’emploi. 60 % de ceux-ci considèrent que les pouvoirs publics devraient s’occuper

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DOSSIER Quelle école pour le XXI siècle ? e

© Flore-Aël Surun, 2009

Photo ci-contre : L’école a l’ère du numérique. L’école élémentaire Jean de La Fontaine à Elancourt (Yvelines) est un établissement pionner en France. Elle dispose d’ordinateurs portables, de tableaux numériques interactifs (TNI) et de matériel de visioconférence.

Quatre piliers fondamentaux pour développer les compétences essentielles au xxie siècle : apprendre à connaître, à faire, à vivre ensemble et à être 26

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en priorité de l’éducation, soit 17 % de plus que lors de l’enquête réalisée en 2010. Et les Français sont aussi ceux qui portent le jugement le plus négatif sur l’action des pouvoirs publics en matière d’éducation, d’emploi et de santé. De fait, l’enseignement français semble incessamment se chercher. L’école de Jules Ferry avait pour objectif de permettre d’accéder à la raison et d’être maître de soi, un préalable à l’entrée dans la République naissante. Mais la nostalgie ne saurait faire oublier qu’elle n’avait « nullement les préoccupations de préparation à la vie professionnelle qui tendent à dominer aujourd’hui » [2]. L’école accompagne un projet de société, vécu comme politique : de la création du collège unique par la loi Haby de 1975, à la massification de l’enseignement et l’objectif de 80 % d’une classe d’âge arrivant au bac avec la loi d’orientation de 1989, ou encore avec la création des ZEP (zones d’éducation prioritaire) en 1982, l’institution s’adapte. Selon Jeremy Rifkin, dans “Une nouvelle conscience pour un monde en crise” [3] : « La révolution industrielle a été l’aiguillon de la création de l’école publique et de l’alphabétisation de masse afin de préparer les gens aux compétences professionnelles, techniques ou spécialisées nécessaires à la nouvelle économie. Ces nouvelles qualifications industrielles ont libéré des millions d’individus des vieux liens communautaires, en leur permettant de conclure des contrats de travail salarié et de devenir plus indépendants. » Cette phase est terminée. Les défis de l’adaptation au xxie siècle, « le siècle de la connaissance », ramènent l’école à une question centrale : celle de l’innovation, le modèle de l’imitation, qui a prévalu pendant les Trente Glorieuses, étant caduque.

Une réflexion internationale Tout le monde s’accorde à dire que dans notre société mondialisée, où la compétition économique est sans pitié, le temps du développement économique stable est fini. « Les compétences clés requises pour le futur doivent permettre, beaucoup plus qu’auparavant, la flexibilité, la prise de risque, la créativité et l’innova-


tion [4]. » C’est une des grandes priorités partagées par les institutions internationales et les gouvernements. Depuis le début des années 2000, l’Unesco évoque la nécessité de « préparer les populations à une économie fondée sur le savoir », Dans un rapport remis à l’Unesco dès 1996 [5], la commission sur l’éducation du xxie siècle présidée par Jacques Delors préconisait quatre piliers : apprendre à connaître, à faire, à vivre ensemble et à être, comme étant fondamentaux pour développer les compétences essentielles, soit créativité et innovation, réflexion critique et capacité à résoudre des problèmes, communication et collaboration [6].

tlet © Louise bar t

Bill Drayton, rédacteur en chef invité « Il est temps d’amener le monde vers une nouvelle définition du succès, fondée sur la maîtrise et la pratique de l’empathie et ayant pour principes de faire le plus de bien possible, et commettre le moins de mal, avec ses paroles et ses actes. De nombreuses méthodes d’éducation pour la paix et la nonviolence se fondent sur cette valeur. Elle est la clé pour comprendre ce que les autres vivent, en écoutant de tout son être, de sorte à saisir directement ce qui est là, devant soi, et non pas simplement entendre ou analyser des propos ou comportements. Les règles et connaissances qui pouvaient convenir à un monde statique sont obsolètes dans le monde actuel, où le changement ne cesse de se répandre. Maîtriser l’empathie dès l’enfance comme socle sur lequel développer le travail d’équipe (jusqu’à former des “équipes d’équipes” globales), ainsi qu’un leadership qui repose sur la collaboration, et mettre ces compétences au service du changement : voilà un nouveau paradigme, adapté à notre époque, dans laquelle la structure hiérarchique, millénaire, ne peut plus fonctionner. »

Finlande

Un modèle qui fait rêver Pas de notes avant l’âge de 12 ans, très peu de redoublement ; des profs bien formés (dès les années 70, obligation d’avoir un master même pour les professeurs des écoles, avec une grande part laissée à la pédagogie), dotés d’un assistant pour le travail en groupes ; pas de devoirs à la maison et de très bons résultats dans les classements internationaux*, avec les écarts les plus réduits entre élèves des différentes catégories socio-économicoculturelles. Le système éducatif finlandais, équitable et performant, fascine… Autrefois très élitiste et inégalitaire, il a été progressivement réformé à partir de 1968, région par région : tronc commun de l’enseignement jusqu’à 16 ans, défini par le plan national d’enseignement, gratuité pour tous (y compris la cantine), autonomie des municipalités pour le fonctionnement des écoles. De 1994 à 2002, cette autonomie est renforcée, les établissements se voyant confier le développement de leur programmes, en interaction avec les enseignants, les parents, les partenaires locaux et même les élèves. Jukka Sarjala, président de l’Office central de l’enseignement à Helsinki et l’un des co-fondateurs du système, déclarait en 2000** : « Nous avons une école pour tous les enfants, car nous avons besoin de chacun d’eux dans notre société. […] Cette position de principe conforte à la fois les élèves, les parents et les enseignants dans leur conviction de participer à égalité de droits au processus éducatif et d’en assumer leur part de responsabilité… » Avec cinq millions d’habitants et une société très homogène, la Finlande s’est forgé un système éducatif démocratique, source d’inspiration, et a rassemblé un groupe de spécialistes nationaux, Future learning Finland***, pour exporter son modèle. * Résultats de l’étude PISA 2000 : sur 32 pays, la Finlande s’est classée 1re en compréhension de l’écrit, 3e en sciences et 4e en mathématiques. En 2009, sur 65 pays, elle était 2e en sciences derrière Shanghai, 3e en compréhension de l’écrit et 5e en maths. ** www.ecolechangerdecap.net/spip.php?article107 *** www.futurelearningfinland.fi

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Un toit pour tous

D.R.

L’Inde. Un milliard cent soixante et un mille habitants. 18 % de l’humanité. 11 % de mal logés, dont 40 à 60 % dans les centres urbains. Une situation intenable à laquelle Ashoka a décidé de s’attaquer, via le programme Housing for All.

S

unita habite un bidonville d’Indiranagar, à quinze kilomètres d’Ahmedabad, dans l’état du Gujarat, au nord-ouest de l’Inde. Dix ans qu’elle vit là, avec son mari et ses deux fils, dans une pièce de 13 mètres carrés sans eau courante. Sunita est employée dans une banque. Depuis que ses enfants sont en âge de travailler, la famille gagne assez d’argent pour acquérir un logement moins étriqué. Posséder une maison : un placement sûr, le rêve de Sunita ! Un rêve impossible, faute d’accès au crédit et d’offre immobilière correspondant à ses revenus. Comme elle, 130 millions 46

A savoir Un milliard d’individus sur la planète, soit un sixième de l’humanité et 32 % de la population urbaine, vit dans des bidonvilles ou des logements insalubres. Leur nombre augmente de 500 000 par semaine. Si rien n’est fait, il triplera d’ici 2050.

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d’Indiens continuent de vivre dans des conditions précaires, voire insalubres.

Le marché des mal-logés Dans un système qui privilégie la spéculation, personne ne s’intéresse aux pauvres. Erreur, selon Ashoka, pour qui il est urgent de développer des habitations à prix modéré, et pas seulement par obligation morale envers les mal-logés, mais parce qu’il existe un marché. Economique. Rentable. Estimé à 190 milliards d’euros, générateur d’activité commerciale et d’emplois. Septembre 2008 : Ashoka India lance à Ahmedabad le

programme Housing for All, avec le soutien de la Fondation Hilti, en partenariat avec les associations SAATH et SAWA, respectivement dédiées à l’amélioration des conditions de vie dans les bidonvilles et le soutien aux femmes microentrepreneurs. « En Inde, on distingue trois types de mal-logés, précise Vishnu Swaminathan, directeur du programme. Pour les plus vulnérables, gagnant moins de 50 euros par mois, il faut des logements de transition, subventionnés par l’Etat. Dans le cas des ménages disposant de 100 à 150 euros mensuels, l’achat reste inenvisageable ; il faut


améliorer leur habitat actuel. Mais ceux qui touchent entre 150 et 400 euros ont les moyens de s’offrir un logement, si tant est qu’on s’adapte à leur cas. » Au point de constituer, selon Ashoka, un véritable marché. Et pour cause : deux-tiers des Indiens sont des microentrepreneurs ou des travailleurs du secteur informel, gagnant 1 500 à 3 000 euros par an. Une majorité à laquelle les secteurs bancaires et immobiliers ne s’étaient jusqu’à présent jamais intéressés, du fait notamment de l’irrégularité de leurs revenus.

Des chaînes de coopération « Les promoteurs et les financeurs privés ont accès aux terres et aux financements ; ils ont les capacités techniques et opérationnelles, mais une expérience limitée des besoins, du fonctionnement et des capacités des populations modestes, poursuit Vishnu. Pour que le projet réussisse, ils doivent travailler avec les associations locales, qui ont une connaissance approfondie du terrain, ainsi qu’avec les communautés. C’est ce qu’on appelle une Hybrid Value Chain [chaîne de valeur hybride, voir article page 55] : chacun amène une compétence spécifique, complémentaire à celle des autres. » Le rôle de Housing for All : créer des conditions favorables pour convaincre les différents acteurs de se lancer. « La mission d’Ashoka est d’initier des

opérations pilotes qui prouvent la faisabilité et le potentiel. Nous transférons nos outils et notre savoir-faire à des entrepreneurs locaux motivés, dotés d’une bonne connaissance du terrain. » Des entrepreneurs qui, contre rémunération, motivent les promoteurs de leur ville, dénichent les architectes, travaillent avec les acteurs sociaux à l’identification d’acheteurs potentiels, convainquent les organismes de crédit de jouer le jeu, et veillent à la bonne réalisation du projet, avec le soutien d’Ashoka et dans le respect de son cahier des charges.

Pas des maisons au rabais Après Ahmedabad, Housing for All a essaimé à Bangalore, Coimbatore, Delhi, Madurai, Mumbai, Pune et Satara, générant ainsi 5 500 logements d’ici fin 2012, au bénéfice de 27 500 personnes. « Mais rien ne sert de mettre des milliers d’habitations sur le marché si elles sont prises d’assaut par les investisseurs et les spéculateurs », tempère Vishnu. C’est pourquoi Housing for All en confie la commercialisation aux associations de terrain. Contre commission, et avec le soutien des responsables du programme, celles-ci sont chargées de faire connaître l’offre de nouveaux logements aux communautés, d’identifier des prospects solvables et de les diriger vers les partenaires privés.

D.R.

territoire | découvrir

Photo ci-dessus : Le programme Housing for All a permis la construction de logements à prix modérés dans le quartier d’Om Shanti Nagar à Ahmedabad. Photo page de gauche : Les membres des associations SAATH et SEWA, actives auprès des populations des bidonvilles d’Ahmedabad, ont soutenu le lancement du programme Housing for All dans leur ville.

« Autre point important : il ne s’agit pas juste de constructions à moindre frais, mais d’espaces pensés pour être durablement vivables, au meilleur rapport qualité-prix », rappelle Vishnu. D’autant que le logement n’est pas juste un toit, mais un lieu de vie et de socialisation. « Ma maison est à la fois mon atelier, mon patrimoine et mon espace de détente », confirme ainsi Manjula-Ben, fabricant d’encens à Ahmedabad. Avoir un logement décent, bien conçu, c’est gagner en confort, mais avril-mai-juin 2012 | Interdépendances n ° 85

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C’est Hystra !

aussi en dignité. C’est aussi éviter des surcoûts d’entretien, ainsi que certains risques sanitaires liés à l’insalubrité des lieux. D’où l’importance de collecter et respecter les attentes des populations modestes, via l’établissement d’un catalogue de bonnes idées, l’organisation de rencontres entre habitants et experts, et la mise en place d’une certification tenant compte de la qualité de la construction (optimisation de l’espace, choix des matériaux, sources de lumière et de ventilation…), mais aussi de l’environnement : vie de quartier, accès à l’éducation, au système de santé, aux transports, à l’eau courante, à l’électricité, à la collecte des ordures… Pour aller un cran plus loin, Housing for All a également lancé une enquête, à laquelle devraient participer plus de 40 000 foyers indiens d’ici 2014, afin de cerner les priorités des populations modestes en matière de relogement, et les ressources dont elles disposent.

Faire coopérer des organisations citoyennes et des entreprises privées ne s’improvise pas. Société de conseil en stratégies hybrides, Hystra travaille depuis 2009 avec les pionniers des deux mondes à la conception et à la mise en œuvre de modèles innovants, rentables et duplicables, à même de résoudre des problèmes sociaux et environnementaux tels que l’accès au logement, à l’énergie ou à l’eau potable. Organisation à but lucrative mais à vocation citoyenne, Hystra s’appuie sur une équipe de consultants expérimentés dirigée par Olivier Kayser, ancien du cabinet de consultants McKinsey, auparavant vice-président Europe d’Ashoka. Elle est aujourd’hui implantée dans 12 pays. www.hystra.com

Aujourd’hui, Sunita a le sourire. Elle vient de verser un acompte de 5 % pour un logement de vingt mètres carrés d’une valeur de 6 900 euros à Lambha, dans l’agglomération d’Ahmedabad. Sa demande de prêt est sur le point d’être acceptée, son rêve de devenir propriétaire d’un foyer plus spacieux et mieux aménagé n’est plus très loin ! Lui restera ensuite à payer 65 euros par mois pendant quinze ans. « Pour ces familles, le remboursement de l’emprunt représente 35 à 40 % du revenu annuel, précise Vishnu. Les taux d’intérêt sont de 12 à 14 %. » 48

photos © John Michael Moss

Un défi persistant

Pas toujours facile à assumer, d’autant que les banques demandent 20 % d’apport initial. « L’avenir dira si ces conditions sont tenables… Peut-être faudra-t-il inventer des outils de financement plus adaptés aux emprunteurs qui ne disposent pas des garanties habituellement requises. » Pour se développer correctement en Inde, le programme Housing for All devra aussi lever d’autres lièvres, dont l’absence d’un environnement politique favorable. « Ici, tout est lent, la corruption et le manque d’entrain de l’administration freinent le processus. Les permis sont longs à obtenir, entraînant des retards dans les plannings et les retours sur investissement. L’Etat a promis une subvention de 33 euros par mètre carré pour la construction d’habitations à prix modéré, mais les promoteurs vont devoir se battre pour l’obtenir. Et rien ne dit qu’elle aura vraiment un impact sur le prix des logements. » Autres problèmes : le manque

Photos ci-dessus : Les clients du programme Housing for All peuvent enfin accéder à un logement doté de l’électricité et de l’eau courante.

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de terres bon marché en zone urbaine, « les propriétaires et les investisseurs fonciers préférant s’engager dans des projets où les marges sont plus sûres et plus élevées », et la méfiance des habitants eux-mêmes : « Ils hésitent à verser un acompte pour un logement qui n’est pas encore construit. Ces avances sont pourtant indispensables au financement de la construction ». D’ici 2014, date à laquelle Ashoka India entend passer définitivement la main, le programme devrait avoir bénéficié à 500 000 ménages, dans une vingtaine de villes. De quoi créer un mouvement de fond… « Mais quand on sait que 17 millions de familles indiennes encore vivent dans les bidonvilles, qu’il manque près de 25 millions de logements, correspondant à 35 % de la population urbaine, on se dit que c’est sans fin. » Comment faire plus, plus vite ? « Ça nous empêche de dormir », conclut Vishnu dans un sourire. Réjane éreau


cULTURE Pour ce numéro spécial auquel il collabore en tant que rédacteur en chef invité, Bill Drayton propose une sélection d’œuvres – livres, films, pièce de théâtre, chanson – l’ayant marqué ou inspiré.

Before the Dawn Nicholas Wade Editions Penguin, 320 p., 2006

Journaliste scientifique au New York Times, Nicholas Wade nous propose dans cet ouvrage un retour aux sources de l’humanité, à l’aube de notre civilisation. S’appuyant sur de récentes découvertes scientifiques sur le génome humain, Wade remonte aux origines de notre lignée, lorsqu’elle se distingue de celles des gorilles et des chimpanzés, pour retracer l’histoire de nos plus vieux ancêtres et suivre l’évolution de la nature humaine. Les flux migratoires se sont opérés du premier homme africain à traverser la mer Rouge, jusqu’à la conquête de l’Islande il y a tout juste un millier d’années. Cet ouvrage montre à quel point l’analyse de l’ADN peut réécrire l’histoire de l’humanité.

Amazing Grace

William Wilberforce and the Heroic Campaign to End Slavery Eric Metaxas Editions HarperOne, 304 p., 2007

Amazing Grace retrace la vie extraordinaire de l’abolitionniste et parlementaire anglais William Wilberforce (1759-1833). Un personnage qui endossa plusieurs rôles tout au long de sa vie : militant des droits de l’homme, réformateur culturel et membre du Parlement anglais. Pendant plus de 20 ans, William Wilberforce lutta contre l’esclavagisme. Sa victoire, il l’obtiendra trois jours avant sa mort, en 1833, date à laquelle l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques est proclamée. On découvre à quel point cet homme trop peu connu a révolutionné la face du monde et a été une source d’inspiration pour le mouvement anti-esclavagiste en Amérique.

Genghis Khan and the Making of the Modern World Jack Weatherford Crown Edition, 352 p., 2004

Le célèbre conquérant mongol n’inspire pas que de la terreur aux historiens. L’écrivain et anthropologue américain Jack Weatherford défend l’influence progressiste de Genghis Khan auprès des nombreux peuples conquis avec ses troupes mongols. Sultanat perse, empires des Kara-Khitan, des Jin, du Khorassan, puis des Song du Sud, califat abbasside, alliance des cités russes et chevaliers teutoniques… La liste des peuples terrassés par Gengis Khan impressionne. Pourtant, Weatherford prend le lecteur à contre-pied en glorifiant la stratégie mise en œuvre par les Mongols pour étendre leur empire, plutôt que de fustiger leur barbarie légendaire. Il met en lumière un facteur qui témoigne du pragmatisme et de l’esprit novateur de Gengis Khan : sa capacité à intégrer systématiquement les innovations militaires des peuples conquis. L’auteur voit le chef de guerre comme un visionnaire porteur de valeurs très modernes : défense de la liberté religieuse et de l’esprit d’entreprise chez les peuples conquis, opposition aux systèmes féodaux, faisant élaborer un alphabet inspiré du syriaque en usage chez les Ouïghours, afin de codifier l’appareil d’Etat requis pour administrer les immenses étendues conquises. Bref, un précurseur. Pour Weatherford, « tous les aspects de la vie européenne changèrent durant la Renaissance sous l’influence mongole », grâce notamment à leur maîtrise de la science et la façon qu’ils ont eu d’assimiler les avancées technologiques des peuples conquis. Ce qui amène l’auteur à élever Gengis Khan au rang de « passeur de civilisation » et de bâtisseur du monde moderne.

And Quiet Flows the Don Mikhail Aleksandrovich Sholokhov, Vintage éditions

L’une des grandes épopées du XXe siècle racontée par le prix Nobel de littérature 1965. En cinq volumes, écrits entre 1926 et 1940, Mikhail Aleksandrovich Sholokhov dépeint la vie des Cosaques au cours de la 1re Guerre Mondiale et de la guerre civile russe (1912-1922), dans sa région natale du Don. Sholokhov suit l’histoire d’amour impossible de Gregor et d’Aksinia, l’engagement du jeune Gregor dans l’armée blanche, puis dans la cause nationaliste cosaque qu’il rejoint pour combattre l’armée rouge. Le roman de Sholokhov est souvent comparé à Guerre et paix de Léon Tolstoï.

Fist Stick Knife Gun Geoffrey Canada Editions Beacon Press, 192 p., 1996

Geoffrey Canada est un enfant du Bronx. Vulnérable, frêle et effrayé par la jungle urbaine qui l’entourait, il a dû apprendre par lui-même les codes qui régissaient les trottoirs de son quartier : le poing, le bâton, le couteau. Puis les rues ont changé, les enjeux sont devenus plus grands, la violence plus crue. Au fil des pages, Canada raconte une enfance profondément marquée par cette violence, présente à chaque coin de rue. Il écrit notamment : « Vous devez savoir qu’on y arrive pas en un jour, en une semaine, en un mois. Il faut des années de préparation avant d’être prêt à commettre un meurtre, à tuer ou mourir pour un coin de rue, pour une couleur ou pour une veste en cuir. »

The Baburnama Bâbur Modern Library Pbk. edition 608 p., 2002

Zahir ud-din Muhammad, dit Bâbur, littéralement « le tigre », n’est peut-être pas aussi célèbre que son ancêtre Gengis Khan, mais ses velléités de conquérant sanguinaire sont à la mesure des ambitions de ce dernier. Ce Turco-Mongol fut le premier de sa lignée à être empereur d’Inde au 15e siècle. Sa dynastie y règnera jusqu’au 19e siècle. Plutôt que de dresser le portrait d’un guerrier assoiffé de sang et de nouveaux territoires à conquérir, cette autobiographie dictée entre 1494 et 1529 raconte la fascinante histoire d’un érudit doué pour l’ethnographie, la musique et les lettres.

avril-mai-juin 2012 | Interdépendances n ° 85

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