Poly 146 - Février 2012

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N° 146 JANVIER /  FÉVRIER 2012 www.poly.fr

MAGAZINE Dossier Coop, la fin d’un modèle Les Atomics Théâtre citoyen à La Filature Israël Nisand Questions de bioéthique Festival Momix 21e édition du rendez-vous jeune public


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D’ici 2020 :

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Strasbourg s’engage


BRÈVES

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heart of © Bassirou Sidy N’Diaye dit Bass

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The revolution will be

Du 20 janvier au 25 février, la Médiathèque André Malraux de Strasbourg nous invite à découvrir une technique en vogue au cours des XVIIIe et XIXe siècles en Alsace : la peinture sous verre. Les expos, ateliers et conférences proposés montreront notamment que l’art du “souwère” (sous-verre en wolof… pas en langage JCVD) se pratique encore aujourd’hui et même au Sénégal. www.mediatheques-cus.fr

tropical Gil Scott-Heron (1949-2011) n’est plus… mais certains musiciens, tel Anthony Joseph, ravivent la flamme avec talent. Le Britannique né à Trinidad qui mêle rythmes des Caraïbes, cadences afrobeat, résonances funky, jazz cosmique et spoken-word, accompagné de son fidèle Spasm Band, est la tête d’affiche de La Nuit Tropicale, samedi 28 janvier au PréO d’Oberhausbergen. www.lesnuits.eu – www.le-preo.fr

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t’es rococo,

tip top Au Fou du Roi (4 rue du faisan à Strasbourg), Tip Ton trône fièrement parmi les autres heureuses créations des designers. Œuvre de l’agence Barber Osgerby (pour Vitra), la chaise synthétique (entièrement recyclable) qui bascule ne manque pas de caractère. Son inclinaison vers l’avant renforce l’activité musculaire et favorise la circulation sanguine, pour une assise optimale. Le modèle se décline en huit couleurs, sobres ou flashy. www.fouduroi.org

coco

Jeudi 16 février, L’Auditorium du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (en partenariat avec Hiéro) convie l’un des plus brillants héritiers de Kraftwerk : To Rococo Rot. Le trio berlinois composé des frères Lippok et de Stefan Schneider – tous membres d’autres formations cultes d’electro-post-rock allemand – nous invite à une performance percutante. Ne surtout pas rater le jeu spectaculairement élastique du batteur. www.musees.strasbourg.eu – http://hiero.eu Poly 146 Janvier / Février 12

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OBSERVER 10 > 22 janvier 2012 • Conception et réalisation Bruno Meyssat • 03 88 24 88 24 • www.tns.fr

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S O l E i l cOuchant 17 > 29 janvier 2012 • De I saac B aBel • Mise en scène I rène B onnaud 03 88 24 88 24 • www.tns.fr

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clubbed to death

BRÈVES

Techno, dubstep ou house : l’ambiance sera club aux Tanzmatten de Sélestat, samedi 3 mars de 21h à 5h, lors de la 9e édition du festival Epidemic Experience. Une manifestation électronique répartie sur trois espaces et rythmée par les beats de Thomas Schumacher, Borgore, Elisa Do Brasil ou, la tête d’affiche, Étienne de Crécy (photo de Julien Kauffmann). www.tanzmatten.fr – www.zone51.net

carré VIP À l’occasion de l’exposition Il était une fois… L’enfant dans le tissu imprimé de 1750 à nos jours au Musée de l’Impression sur Etoffes, le couturier Jean-Charles de Castelbajac a signé un carré 100% coton édité par l’établissement mulhousien. Des oursons, des ailes, des étoiles… Des motifs enfantins et beaucoup de couleurs pour un foulard collector à prix sympa (59 €). www.musee-impression.com

un show

et Hollie !

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Hollie Cook, enfant d’un Sex Pistols et d’une artiste qui officia auprès de Boy George, fut (forcément) plongée dans la musique dès son plus jeune âge. Normal que, suivant l’exemple de papa / maman, ce joli brin de fille se distingue aujourd’hui par ses talents de chanteuse. Sa musique ? Entraînante comme un couplet des Specials, ensoleillée comme une plage jamaïcaine, légère comme une bulle de dub. À découvrir mardi 7 février à La Laiterie (Strasbourg). www.laiterie.artefact.org

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à

volonté EPCC Saline Royale

La carte PASS Musées permet l’accès illimité, durant une année, dans les expos permanentes et temporaires de 230 musées français, suisses ou allemands. Nouveau en 2012 : le précieux sésame s’ouvre à deux autres régions : celle de Stuttgart (Museum Würth de Künzelsau, Schloss Ludwigsburg…) et de Franche-Comté (la Saline Royale d’Arc-et-Senans, le Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon…). www.museumspass.com Poly 146 Janvier / Février 12

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ON RALLUME !

Ça faisait cinq ans que les amateurs de culture de Saint-Louis attendaient la réouverture du Caveau du Café littéraire (19 avenue du Général de Gaulle) géré par le service culturel de la ville. C’est chose faite en 2012, après de longs et salutaires travaux. Pour fêter l’événement, l’espace dédié à la littérature, certes, mais aussi au théâtre, à la danse, à la musique et même aux formes plus contemporaines (voire expérimentales), propose de bien belles manifestations… gratuites ! À découvrir en ce début d’année : Le sentiment d’autrui chez le Dodo, “conférence extravagante” de Pierre Cleitman (25 janvier) ou encore Le dîner de moules, “lecture dégustative” de Birgit Vanderbeke (15 février). Nouveau, le Caveau propose des séances de ciné-piano : des courts-métrages de Chaplin et Keaton (jeudi 1er mars) illustrés musicalement par les notes de Delphine Guitard ou Le Mécano de la General de Clyde Bruckman et Buster Keaton (jeudi 12 avril) accompagné par Éric Lotz. wwww.saint-louis.fr

DÉRACINÉE Inspiré par la vie d’Aglaja Veteranyi, Mes poupées ont beaucoup maigri, elles ne comprennent pas les langues étrangères (de la compagnie Les Acteurs de Bonne Foi) est le poignant monologue d’une enfant, présenté vendredi 20 janvier à la Maison des Arts de Lingolsheim. La fuite du régime de Ceaucescu, l’exil, la peur…

© Benoît Linder

© Julien Hoffschir

BRÈVES

www.lingolsheim.fr

POUR LE PLAISIR DES YEUX Depuis un an, la Eye Food Factory, sise à Mulhouse, commercialise sur Internet des séries limitées (entre 50 et 100 pièces) d’une dizaine d’artistes urbains locaux : les techniques mixtes de Nicolas Blind (dessin, collages, pochoir), les peintures de Pierre Fraenkel (voir photo)… Les prix varient en fonction des dimensions des toiles, de 39 € (40x40 cm) à 149 € (100x100). Enjoy ! www.eyefoodfactory.com

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VOS PROCHAINS RENDEZ-VOUS! LE LAC DEs CYGNEs

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BRÈVES

EN

ORBITE

La cathédrale de Strasbourg s’élevant dans les airs, comme une fusée spatiale ? Il faut le voir pour le croire… Rendez-vous à La Chaufferie (jusqu’au 25 février) à l’occasion de Cosmic Ray, exposition de Juan Aizpitarte – en connivence avec des élèves de l’Ésad – qui questionne la véracité du flux d’infos nous submergeant quotidiennement. www.esad-stg.org/chaufferie

BELLES BÊTES

Philippe Starck, Kenzo Takada ou Ettore Sottsass… Baccarat aime collaborer avec de brillants créateurs. Fidèle à la cristallerie, le baroque Jaime Hayon, considéré comme le Pedro Almodovar du design, a conçu de charmantes boîtes zoomorphes en cristal (clair ou coloré) et porcelaine. Découvrez la collection Zoo à la boutique strasbourgeoise, 44 rue des Hallebardes. www.baccarat.fr

ART ACADEMY Un Yucca ou un Ficus de Peter Rösel, des aquarelles fleuries d’Anne Ferrer, une vidéo (Outside the Living Room, voir photo) de Pia Rönicke ou un ensemble d’huiles sur photos de Philippe Cognée… L’expo Nature & Paysage : Points de vue contemporains rassemble, jusqu’au 16 mars, des œuvres issues des collections du Frac Alsace au Lycée Sainte-Clotilde. Avec leurs propres travaux, les élèves ont construit un dialogue artistique à découvrir dans l’établissement strasbourgeois.

www.clotilde.org – www.culture-alsace.org

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METRONOMY

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Dans le cadre de la Semaine du son 2012 (du 23 au 29 janvier à Strasbourg), ne pas rater Le Poème symphonique pour 100 métronomes de György Ligeti qui ouvre la manifestation (le 23 à midi pile) à la Cité de la musique et de la danse. Vous possédez un métronome mécanique ? N’hésitez pas à participer à cette performance ayant le sens du tempo (contact : cie.lebruit@gmail.com). www.lasemaineduson.org Poly 146 Janvier / Février 12

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sommaire

18 Cinq questions à Philippe Schlienger, directeur du festival jeune public alsacien Momix

20 Dossier : Coop, la fin d’un modèle 24

Israël Nisand livre sa vision du Forum européen de bioéthique

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28 Interview de Jacques Osinski autour

de sa “trilogie de l’errance” au TNS

30 Après une aventure citoyenne dans les quartiers, la compagnie HVDZ présente Les Atomics à La Filature

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Caterina Sagna est en résidence à Pôle Sud avec sa sœur

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L’Europe des esprits souffle sur le MAMCS

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Rencontre avec Jean-Michel Rabeux au cours des répétitions des Quatre jumelles de Copi, au Maillon

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Samuel Rousseau montre la société comme une broyeuse à humains au CEAAC

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Éclats : le verre s’expose chez Würth

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Stéphane de Sousa, designer privilégiant les formes simples et géométriques

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COUVERTURE Tiré du spectacle Cinématique d’Adrien Mondot (lire page 46), cette photo donne un aperçu des incroyables potentialités du logiciel eMotion, créé et utilisé par l’artiste. Issu du monde du cirque, le jongleur interagit avec ce programme pour créer des mondes, des pics et des crevasses, mais aussi des murs de mots qui s’écroulent au moindre geste. Preuve s’il en fallait du renouveau du cirque.

" Soutenez Poly, abonnez-vous ! Poly est un magazine gratuit. Mais pour le recevoir, dès sa sortie, abonnez-vous. 5 numéros 20 �� 10 numéros 40 � �

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OURS / ILS FONT POLY

Ours Emmanuel Dosda (né en 1974) Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une dizaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Thomas Flagel (né en 1982) Théâtre moldave, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs algériens… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis trois ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr

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Dorothée Lachmann (née en 1978) Née dans le Val de Villé, mulhousienne d’adoption, elle écrit pour le plaisir des traits d’union et des points de suspension. Et puis aussi pour le frisson du rideau qui se lève, ensuite, quand s’éteint la lumière. dorothee.lachmann@poly.fr

Benoît Linder (né en 1969) Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com

Stéphane Louis (né en 1973) Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

Éric Meyer (né en 1965) Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com/

www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Dorothée Lachmann / dorothee.lachmann@poly.fr Ont participé à ce numéro Geoffroy Krempp, Pierre Reichert, Irina Schrag, Lisa Vallin Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphistes Pierre Muller / pierre.muller@bkn.fr Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly © Poly 2011. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. ADMINISTRATION / publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Co-fondateur : Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr

Fanny Walz (née en 1983) Décomposition & recomposition : voilà peut-être les deux pôles autour desquels cette graphiste (print & multimédia) évolue. Passionnée des images qui bougent, font bouger et rêver, elle avoue un réel penchant pour dada et les constructivistes russes. www.fannywalz.com

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Administration, gestion, diffusion, abonnements : 03 90 22 93 38 Gwenaëlle Lecointe / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Nathalie Hemmendinger / gestion@bkn.fr Publicité : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Catherine Prompicai / catherine.prompicai@bkn.fr Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Magazine bimestriel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 e 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : janvier 2012 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – www.bkn.fr


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édito

Au pays des Bisounours L

e dimanche soir est un moment rêvé pour aller voir le phénomène qui vient juste de dépasser La Grande vadrouille au box-office français avec 17 320 000 entrées comptabilisées (au 8 janvier). Bientôt, sans doute, les vingt millions et quelque de Bienvenue chez les Ch’tis et de Titanic ne seront plus qu’un souvenir et Intouchables brillera, seul, au firmament du cinéma dans l’hexagone. À 21h30, nous ne sommes que huit dans la Salle 2 du Vox, mais mes compagnons se pâmeront pour cent. Et pourtant… Que voit-on 1h52 durant ? Une fable poussive, ruisselante de bons sentiments et de guimauve, émaillée néanmoins de quelques gags réussis – ouf – qui montre que les lascars des cités ne sont pas tous de dangereux braqueurs ou des terroristes prêts à se faire exploser à la FNAC et que les riches ont un cœur. Waouh !!! Voilà une morale révolutionnaire ! Jacques Mandelbaum du Monde pousse même sa plume dans ses derniers retranchements lyriques en 14

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décrivant, bouleversé, « tout l’intérêt de l’association entre la Vieille France paralysée sur ses privilèges et la force vitale de la jeunesse issue de l’immigration ». La recette éculée, mais qui fait toujours mouche, du buddy movie – un film associant deux personnages que tout oppose, mais qui deviennent super potes à la fin – est ici usée jusqu’à la corde pour la plus grande joie du public et de la critique unanime (à la notable et salutaire exception des Inrocks et des Cahiers du cinéma) qui s’est laissée prendre au piège jusqu’à en oublier de faire son boulot. Il est vrai qu’en temps de crise, les gens ont besoin de rire et d’oublier la sinistrose ambiante… À son époque, Frank Capra l’a montré avec maestria, mais le duo qui a commis Intouchables est aux antipodes du talent du réalisateur de Monsieur Smith au Sénat. Il y a cependant plus grave que cette absence de vista cinématographique. Que révèle en effet cette pesante pochade ? À l’occasion d’une représentation du Freischütz

de Weber, que l’opéra c’est chiant… et en plus c’est chanté en allemand. Lors d’une visite dans une galerie, qu’un tableau contemporain n’est qu’un gribouillis et pourrait avoir été peint par un enfant. Bonjour les clichés ! Voilà une conception un brin populiste de l’art qui ne propose, en contrepartie, aucune vision, si ce n’est celle de l’entertainment creux, de la fascination pour les grosses bagnoles et de la gentillesse érigée comme absolu philosophique. Si 17 320 000 personnes ont trouvé cela génial, on peut être inquiets.

Par Hervé Lévy Illustration signée Éric Meyer pour Poly


Foire d´art moderne et contemporain 8 au 11 mars 2012 Messe Karlsruhe www.art-karlsruhe.de


LIVRES – BD – CD – DVD

Tant va la cruche... Il était une fois… un couple vivant dans une carafe. Entre eux, ça tourne au vinaigre : l’espace exigu où l’homme et la femme habitent ne facilite pas la cohabitation. Un beau jour, en pleine scène de ménage, un volatile au plumage d’or vient sortir le duo de ce pétrin et l’installe dans une jolie maisonnette à colombages. Ils vécurent heureux et cætera ? Hélas… comme l’oiseau magique répond à leur insatiable folie des grandeurs, les deux capricieux en demandent toujours plus, plongeant dans la surenchère. Cet ancien conte alsacien, exhumé par les nou-

velles éditions strasbourgeoises La Tulipe noire, est illustré par le minutieux Valentin Michaut. Un dessin très méticuleux au crayon de mine (« du 6H, le plus clair, au 9B, le plus foncé » précise l’intéressé), agrémenté de quelques aplats colorés, appuie cette morale : Tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin, elle se brise. La Tulipe noire saura s’y référer afin de poursuivre sa route… qu’on lui souhaite longue. (E.D.) L’Homme et la Femme dans la cruche à vinaigre, publié par les Éditions La Tulipe noire (à partir de 6 ans, disponible en français, en alsacien et même en mandarin), 12,50 € http://editionslatulipenoire.eklablog.com

CHIPIE CHÉRIE Voilà un charmant livre d’une centaine de pages où Claude Lapointe, fondateur de l’atelier d’illustration de l’École des Arts décoratifs de Strasbourg, s’amuse à explorer les relations – éminemment complexes – entre l’homme et son compagnon à quatre pattes. Dans ses dessins, c’est généralement le chien qui parle… Entre humour malicieux, tendresse de tous les instants, drôlerie un brin désuète, la lecture est très agréable. Le trait, toujours délicat, sans être cabot – s’y trouve parfois une étonnante parenté avec un des autres grands de l’illustration, Tetsu – accompagne un propos souvent cinglant. Pensons à ce poivrot considérant d’un œil embrumé un basset au regard tristouille et lui demandant : « Vous… j’vous… z’ai d’ja rencontré quèq part, non ? » Et le chien désabusé : « Quel con, on vit ensemble depuis treize ans. » Les autres dessins sont à l’avenant. Wouf, wouf !!! On jappe de plaisir à la lecture de ce bouquin qui a du chien. (H.L.) Les états d’âme de Chipie, paru au Verger (12 €) www.verger-editeur.fr

L’ALSACE AU CŒUR Voilà un imposant ouvrage richement illustré de très nombreux inédits dédié à L’Artiste de l’âme alsacienne – son sous-titre – signé par Paul-André Befort et Fernand Gastebois, un des plus grands collectionneurs des œuvres du dessinateur. Henri Loux (1873-1907) est surtout connu pour avoir été le créateur du décor du service de table Obernai produit par les faïenceries de Sarreguemines que l’on trouve encore dans toute Winstub qui se respecte. Son art va cependant bien au-delà de cette célébrité culinaire : il fut le barde de l’Alsace à la fracture du XIXe et du XXe siècle, illustrant les contes et légendes de la région, dessinant sans relâche ses châteaux, ses costumes traditionnels ou ses villages. Marqué par une grande finesse et une intense précision, son trait, plus d’un siècle plus tard, nous émeut toujours autant. (H.L.) Henri Loux, paru aux éditions À propos de (55 €)

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Liza, cherchemoi des poux

3d OLD SCHOOL Fans de 3D, plongez dans l’ombro-cinéma, technique d’animation ancestrale, redécouverte par Michaël Leblond (auteur diplômé de l’École nationale supérieure d’Art de Nancy) au gré de déambulations hasardeuses dans un musée japonais. En passant plus ou moins vite une simple feuille de papier quadrillée (un rhodoïde rayé pour les puristes, fourni avec l’album) sur les pages de New York en Pyjamarama, les illustrations de Frédérique Bertrand (illustratrice passée elle aussi par Nancy) s’animent, oscillent et virevoltent. Le rêve de l’enfant héros nous transporte dans une Big Apple littéralement fourmillante avec un florilège de lumières, de feuilles qui bruissent de tout poil, de files d’attente qui avancent telles un flot de voitures dans un tourbillon dirigé par… le lecteur et son fameux quadrillage. Aussi magique qu’un film de Méliès et plus amusant qu’un pop-up… (T.F.)

Sa jolie frimousse maculée de taches de rousseur vous dit quelque chose ? Peut-être avezvous repéré son minois à la télé, au ciné ou au générique de Cheesecake, disque gourmand de Séverin qui convoquait toute une ribambelle d’interprètes filles ? À moins que vous ne l’ayez croisée dans les rues de Strasbourg d’où la demoiselle est originaire… Aujourd’hui, Liza Manili prend régulièrement Le petit train qui la ramène de Paris pour rendre visite à sa famille ou présenter ses chansons pop aux fans et amis. Les morceaux de son premier EP (en attendant l’album prévu pour fin février) ? Des mélodies sucrées et bien roulées sur lesquelles elle pose sa voix menue mais assurée. Non Non, les brunettes ne comptent pas pour des quetsches. (E.D.) Liza Manili, CD six titres sorti chez EMI www.emimusic.fr – http://lizamanili.fr

D. de CALAN D. MARY M. PICARD

New York en Pyjamarama, paru au Rouergue, 15,90 € (dès 3 ans) www.lerouergue.com

D. D E C A L A N

D. M A RY

M. PICARD

DERNIÈRE

VOLONTÉ

24 HEURES AVA N T L A F I N DU MONDE

LES PHOSPHÈNES

La Comète, paru aux Éditions Les Phosphènes (12 €) www.donatienmary.fr http://matthiaspicard.com

Didier de Calan (textes) et Donatien Mary (illustrations), auteurs du savoureux Les derniers dinosaures (Éditions 2024, chronique à lire sur www.poly.fr) se sont joint à Matthias Picard pour donner vie à La Comète. Un livre d’une soixantaine de pages avec une vingtaine d’eaux-fortes et de linos retraçant les dernières minutes précédant la fin du monde. Le 14 juillet 2012, une comète s’écrasera sur Terre. La veille, chacun croque la vie à sa manière : les touristes japonais devant la Tour Eiffel durant un trip de cinq jours en Europe, en amours clandestines et

superficielles pour deux anonymes, avec une lichette de “Côtes” pour Jojo le clodo et son meilleur compagnon Hannibal, etc. Quant au père Hugo – le titre est tiré de sa Légende des siècles – il est en bonne compagnie avec des citations savamment choisies : un Rabelais presque gouailleur, un courageux Jankelevitch… Si l’on se plait à deviner le trait de chacun des anciens pensionnaires des Arts déco de Strasbourg, ils brouillent petit à petit les pistes dans un délicat croisement des styles. (T.F.)

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cinq questions à…

philippe schlienger Le directeur du Créa1 de Kingersheim et de Momix évoque le festival jeune public, sa programmation bigarrée… et la difficulté d’interpeller les enfants d’aujourd’hui.

Par Emmanuel Dosda Portrait de Benoît Linder pour Poly

Momix, du 26 janvier au 5 février à Kingersheim (au Créa…), mais aussi à Rixheim (La Passerelle), Mulhouse (La Filature…), Huningue (Le Triangle), Cernay (Espace Grün), Strasbourg (TJP, Taps…), Bischheim (Salle du Cercle), Lingolsheim (La Maison des Arts), Ostwald (Le Point d’Eau)… 03 89 57 30 57 www.momix.org

Centre de rencontre, d’échange et d’animation, scène conventionnée jeune public www.crea-kingersheim.com 2 Momix propose une trentaine de spectacles, mais aussi des rencontres professionnelles ou des expos comme celle dédiée à Frédérique Bertrand (auteure de New York en Pyjamarama, voir page 17) qui a signé l’affiche de l’édition 2012

En passant en revue toutes les affiches du festival, on remarque des bestioles qui pullulent, des personnages qui grouillent, des explosions de couleurs… Cette profusion est-elle à l’image de la manifestation ? Momix, c’est une effervescence de projets 2 présentés sur un temps relativement court. L’idée qu’on puisse le signifier à travers notre communication s’est imposée dès la première édition où nous avons travaillé avec Daniel Depoutot. La diversité est importante pour nous. Aujourd’hui, les artistes explorent des champs très divers, arts plastiques ou vidéo, mais il y a une vingtaine d’années, le théâtre était le segment principal – avec la marionnette, à moindre échelle – du spectacle jeune public. En tant que site expérimental pour l’éducation artistique, nous désirions aussi aborder d’autres formes théâtrales, d’ombres ou d’objets, afin d’être témoins de cette richesse.

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Le visuel de cette 21 e édition met en scène un être hybride, mi-enfant, miadulte… comme votre public ? Nous avons plusieurs approches. D’abord autour de la petite enfance (à partir de 18 mois), en accueillant des créations bâties sur la sensorialité, l’émotion, la couleur ou le geste. Elles font preuve d’une grande créativité et prennent en compte la capacité de concentration des tout-petits. Les parents sont là pour donner une possibilité d’expérience artistique… qu’ils vivent un peu à distance. Nous proposons aussi des spectacles pour les plus grands, voire les ados, qui invitent l’adulte à participer en tant que spectateur. Nous nous intéressons au cirque, à la musique, à la danse contemporaine, à des formes exigeantes qui ne sont pas forcément dans le réseau jeune public.

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Comment s’est développé ce type de spectacle en vingt ans ? Quand j’ai démarré, l’offre française était plus classique, plus conventionnelle. L’innovation venait plutôt de l’étranger, de Belgique, d’Italie ou d’Espagne. Progressivement, le spectacle jeune public pluridisciplinaire, favorisant les

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croisements, s’est développé en France. Aujourd’hui, existe un vrai vivier, un véritable réseau, une structuration territoriale forte et des gens de théâtre, comme Joël Pommerat ou Jean Lambert-Wild, qui s’intéressent à ces questions d’“écriture jeune public”. Notre situation n’est pas si confortable : c’est un combat que de proposer un événement tel que Momix alors qu’offrir aux gamins des espaces de rencontres avec le spectacle vivant devrait être une priorité politique.

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Un œuf qui aimerait voler (Rawums), un spectacle qui se dévore À belles dents !, un Vaillant soldat de plomb unijambiste ou même l’histoire de l’univers des Ooorigines à nos jours. Est-ce important d’embrasser des thèmes si variés, comme cette année ? Nous pouvons parler de tout dans un spectacle, mais c’est la manière dont les créateurs s’emparent d’une thématique et la façon dont ils la traduisent scéniquement qui m’intéresse. L’énergie, la qualité de la mise en scène, l’interprétation et le jeu dans toute sa complexité sont plus importants que le sujet. Mais Momix n’est pas un laboratoire expérimental : nous invitons des compagnies comme Hop ! Hop ! Hop !, qui ont une démarche radicale, et des productions nettement plus classiques. Vous avez pour projet l’édition d’un guide. C’est si compliqué que ça, l’accompagnement du jeune spectateur ? L’ouvrage, qui rassemblera des témoignages et expertises, sera une aide à la formation, un outil de médiation à destination des enseignants ou des éducateurs. Un gamin d’aujourd’hui n’est pas tout à fait le même que celui d’il y a vingt ans. Les jeunes enfants, dans une effervescence constante, sont bombardés d’informations qui ne construisent pas forcément du sens et de l’intelligence. Ils ne sont plus disposés à rester durant une heure à regarder une pièce. Il faut donc les apostropher avec un propos qui leur est destiné et faire un travail de préparation au spectacle vivant pour le distinguer du divertissement, de ce qui se consomme.

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DOSSIER

Coop, rien ne va plus Si le modèle économique fondant Coop Alsace au moment de sa création en 1902 a perduré pendant de nombreuses années, il semble aujourd’hui à bout de souffle. Qu’est-il encore possible de sauver chez le deuxième employeur privé de la région avec quelque 3 500 salariés sur le point de s’allier à Casino ? Éléments de réponse.

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J’essaie de sauver ce qui peut l’être, malgré près de 20 millions de pertes par an, depuis 2008 Christian Duvillet PDG Coop Alsace

uatre directeurs généraux en quatorze mois, des pertes importantes (17,8 millions d’euros en 2010), des dettes de 123 millions d’euros pour 636 millions de chiffre d’affaires… La descente aux enfers de Coop Alsace, aujourd’hui placée sous mandat ad hoc1, s’est accélérée depuis un peu plus d’une année. Comment en est-on arrivé là ? Tout allait bien jusqu’au début du siècle resitue Raphaël Guina secrétaire général du syndicat CFTC du Bas-Rhin. Les années fastes se situent « entre 1997 et 2001. Alors, les hypers faisaient vivre la Proxi. » L’entreprise alsacienne rassemblant des hypermarchés, des supermarchés2 et des magasins de proximité n’a pas su épouser les évolutions sociétales (explosion du e-commerce, concentration des enseignes, essor du hard discount…) mais cela ne suffit pas à expliquer la chute d’un groupe qui n’a pas réussi à s’adapter au marché, ne rénovant, par exemple, pas ses magasins, renforçant une image vieillissante. Début 2009, Yves Zehr, alors PDG, signe un accord de partenariat avec Leclerc qui implique l’adhésion à une nouvelle centrale d’achats et un contrat d’enseigne : les hypermarchés du groupe passent sous appelation Leclerc et une vingtaine de supermarchés se transforment en Leclerc Express. Cette première entaille dans l’identité de la Coop – dont chaque sociétaire possède théoriquement le droit de participation aux grandes décisions – n’a pas suffi…

Le plan de la dernière chance

Un mandataire aide et conseille l’entreprise et son dirigeant, qui garde tous ses pouvoirs, notamment dans ses rapports avec les créanciers dans le cadre du rééchelonnement de la dette 2 Un supermarché est un établissement « réalisant plus des deux tiers de son chiffre d’affaires en alimentation et dont la surface de vente est comprise entre 400 et 2 500 m2 » selon l’INSEE 3 Le moyen pour le distributeur d’encaisser, outre la marge qu’il fait déjà sur le consommateur, une marge supplémentaire sur le fournisseur, en échange normalement, de la mise en avant d’un produit, d’opération commerciales… 1

Arrivé aux manettes en novembre 2011, l’ancien patron de la banque LCL, Christian Duvillet a choisi de fixer cinq priorités, essayant « de sauver ce qui peut l’être, malgré près de 20 millions de pertes par an, depuis 2008. Il nous faut : retrouver l’équilibre économique, sauvegarder le maximum d’emplois et de points de vente, s’adosser à de grands distributeurs et garder l’âme de la Coop. » Son plan annonce clairement une restructuration de l’entreprise créant trois entités différentes : la première regrouperait les hypermarchés et les supermarchés toujours exploités sous enseigne Leclerc. La seconde créerait une holding Coop contenant la dette, la plateforme logistique de Reichstett et l’ensemble du foncier, même s’il « ne reste pas grand-chose de l’immobilier, puisqu’on a vendu les bijoux de famille pour réduire les pertes depuis des années », affirme Laurent Hobel de Force Ouvrière. La troisième entité, une société en participation, rassemblerait le

secteur le plus déficitaire du groupe : les 155 magasins de proximité (636 salariés), dont « pas un seul n’est rentable » note Raphaël Guina. Elle serait détenue à 51% par la Coop et à 49% par Casino avec qui l’entreprise alsacienne a signé un accord de négociation exclusive fin décembre. Le montage servirait donc à enrayer les déficits. Mais n’y a-t-il pas un risque de dépeçage en règle ? C’est la grande inquiétude des syndicats puisque les bases de l’accord prévoient que le groupe stéphanois détienne 100% de la proximité au plus tard trois ans après son officialisation. Christian Duvillet assure n’avoir guère d’autre alternative. La solution “en solo”, envisagée par ses prédécesseurs, aurait impliqué 67 fermetures de magasins et 110 licenciements (à ajouter aux 370 personnes parties au cours d’un Plan de départs volontaires, de fin août à octobre 2011). « Casino est non seulement très bon sur la proximité mais permet surtout de conserver 141 points de vente avec la double enseigne Coop-Casino » rajoute le Président, évaluant les suppressions de postes entre 180 et 240. D’après un document interne que nous avons pu nous procurer, le Plan de sauvegarde de l’emploi prévoirait 473 suppressions de postes au total. La réduction de la voilure est donc enclenchée. Côté CFTC, Raphaël Guina résume : « On nous propose un choix entre la peste et le choléra. Notre volonté première est de maintenir les emplois. S’il faut changer de modèle pour les conserver, nous le ferons. Être responsable aujourd’hui c’est ne pas nier la réalité. » Autre son de cloche du côté de l’intersyndicale CGT-CFDT-FO où Laurent Hobel se veut plus radical : « Comment des personnes qui nous ont conduit dans cette situation peuvent-elles prétendre nous en sortir ? Refusant toute fermeture de magasin, « face à l’alternative que propose la direction, Casino ou la mort », il va jusqu’à préférer le « dépôt de bilan » (sic) ! Il s’agit de la stratégie jusqu’au-boutiste de ceux « qui n’ont plus rien à perdre » et qui ne sont pas prêts à participer activement au dépeçage du groupe Coop débuté avec le passage dans le giron Leclerc. L’association avec cette enseigne avait le double bénéfice de remplacer l’image vieillotte qui collait au groupe tout en offrant des prix bas. Mais les prix Leclerc ont aussi entraîné « une réduction drastique des marges arriè­ res3 » selon Raphaël Guina et donc des bénéfices pour les Hypers. La mauvaise santé financière fait aujourd’hui craindre une cession des magasins comme ceux de Saint-Louis et Poly 146 Janvier / Février 12

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DOSSIER

Par Hervé Lévy et Thomas Flagel


DOSSIER

Sélestat dans lesquels Leclerc est devenu majoritaire. « Si l’on fait ça avec nos six Hypers restants, l’équilibre avec la Proxi deviendra impossible et les ruines du modèle Coop sur lesquelles nous vivotons seront définitivement enterrées », analyse Raphaël Guina. Quant au modèle Casino en proximité (Petit Casino, Spar, Vival, Leader Price, Franprix) vanté par l’actuel président, il véhicule son lot de dégâts. Un accord entraînerait le passage de 90 gérants-salariés Coop au statut de gérantsmandataires sous Casino. Pas de salaire fixe, une responsabilité accrue, un retour sur les acquis sociaux liés à l’ancienneté…

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www.soutien-coop-alsace.org

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Ce n’est donc plus un modèle, ni des acquis que l’on tente de sauver, mais des emplois. Un pragmatisme dans lequel excelle Christian Duvillet qui n’a de toute façon pas le temps de regarder les erreurs de ses prédécesseurs dans le rétroviseur. Se profilent devant lui plusieurs chantiers : finaliser l’accord avec Casino, moderniser la plateforme de Reichstett dans les trois ans sans répéter les fiascos de l’informatisation et de l’automatisation, se lancer dans Internet qui « dispose d’un taux de développement aujourd’hui incontournable » et trouver les fonds nécessaires à la modernisation des points de vente afin de faire revenir les clients transfrontaliers, français et allemands. Laurent Hobel souligne ainsi que « Super U refait ses magasins à neuf tous les dix ans ». Duvillet est conscient du retard et « profite déjà du choc culturel actuel pour opérer les changements dans les horaires d’ouverture. Nous ne pouvons rester

sur un modèle d’il y a plus de vingt ans dans lequel les Coop sont fermées de 12h15 à 15h et, surtout, à compter de 17h30. L’Allemagne a su le faire ces dix dernières années avec une approche segmentée des produits et de la clientèle, pourquoi pas nous ? »

Des solutions alternatives ?

Face au projet mené par le président directeur général, certains proposent d’autres solutions qui vont d’un partenariat public / privé à l’exemple de Manurhin à Mulhouse où l’État a injecté de l’argent pour sauver 130 emplois à une réappropriation de l’entreprise par ses sociétaires. Sans réelle visibilité quant à leur viabilité possible… Dans cette optique a été fondée une Association régionale de Soutien aux Coop d’Alsace4 dont le président, Philippe Spitz « marque sa ferme opposition aux options proposées par l’actuelle direction ». Il souhaite que les collectivités locales organisent des états généraux de la distribution avec pour objectif « le sauvetage du groupe dans son esprit coopératif ». Finalement Coop Alsace ne se trouve-t-elle pas au cœur d’une équation impossible ? Comment, aujourd’hui, créer de la rentabilité avec un réseau majoritairement composé de petits points de vente largement répartis sur le territoire alsacien, jouant un important rôle de lien social et de diffusion des produits régionaux ? Devant l’ampleur des enjeux économiques et sociaux, les politiques ont massivement apporté leur soutien, sans que cela se transforme, pour l’instant, en actions concrètes. Les échéances électorales y changeront-elles quelque chose ?

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FORUM – STRASBOURG

hippocrate agora Israël Nisand, le très médiatique chef du pôle de gynécologie obstétrique des CHU de Strasbourg, répond à nos questions à quelques encablures de la seconde édition du Forum européen de bioéthique dont il est le vice-président.

Par Thomas Flagel Portrait de Benoît Linder pour Poly

À Strasbourg (à L’Aubette, au TNS, au Conseil régional, à la Librairie Kléber), deuxième Forum européen de la Bioéthique, Procréation : la famille en chantier !, du 30 janvier au 4 février 03 90 23 27 83 www.forumeuropeendebioethique.eu À découvrir aussi, en parallèle des rencontres-débats, le Forum Culture (propositions plastiques et spectacles vivants) et le Forum Jeunes (notamment au Vaisseau)

D’où est venue l’envie d’ouvrir un Forum européen de bioéthique au plus grand nombre ? En bioéthique, c’est important que le grand public donne son avis car le monde et la famille de demain sont en train de se construire. Est-ce qu’on autorise des personnes célibataires à avoir recours à des techniques de procréation médicalement assistées ? Autorise-t-on un couple homosexuel à faire un enfant ? Perfectionne-t-on les moyens de tri avant la naissance ? Autant de questions où j’estime que les experts ont une parole et qu’elle peut être influencée par les conflits d’intérêts : brevets déposés par les uns, recherche effectuée par les autres… Le progrès technique n’est pas toujours un progrès pour l’homme. Qui doit décider de ce que nous utilisons et n’utilisons pas : la société, pas les experts ! Une prise en charge mature de ces questions par la société française passe par des initiatives comme le Forum. Je ne fais pas de sondages d’opinion, pas plus que je n’ai l’intention de changer la loi à moi tout seul mais j’essaie de relever le niveau et de faire acte de pédagogie démocratique. On ne peut se contenter des querelles d’experts où celui qui a la meilleure formulation rhétorique l’emporte. En abordant la procréation et la famille sous toutes leurs formes, vous n’avez pas peur des polémiques à l’heure où l’extrême droite et les catholiques les plus radicaux manifestent contre les pièces de Rodrigo Garcia et Romeo Castellucci ? J’ai évité deux sujets car le forum est encore trop jeune pour s’offrir le risque de polémiques et autres troubles à l’ordre public. Je ne

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Le progrès ne doit pas être contrôlé par le marché, sans ça, nous deviendrons des objets

veux pas avoir besoin de flics pour encadrer les rencontres. J’ai enlevé l’IVG alors que ça faisait pleinement partie de la thématique du début de vie. Tout le monde connaît mes positions sur le sujet. Dans mon service on en pratique 2 200 par an. Je n’ai pas envie d’en discuter au Forum car j’ai assez d’opposants sur des thèmes comme la sexualité des ados, leur contraception et sa confidentialité pour ne pas emmener un débat dans des polémiques insolubles dues à des postures irréconciliables. L’homoparentalité et l’homofiliation sont les seconds sujets évités. L’homofiliation, c’est dans un carnet de naissance : “père Antoine, mère Pierre”. Ça s’appelle un mensonge institutionnel. L’homoparentalité existe de fait : 40 000 enfants naissent avec des parents de même sexe. Toutes les études montrent qu’elle ne pose pas de problème. La rencontre que je prévoyais permettait au public d’entendre les présidents et vice-présidents de l’association des parents gays et lesbiens qui ont finalement refusé de venir. Je souhaite une ouverture totale des invités : les curés, rabbins et imams, les libres-penseurs, les philosophes, les scientifiques, les francs-maçons, les politiques… Au public de se faire sa propre opinion.


GRAND ENTRETIEN Poly 146 Janvier / Février 12

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GRAND ENTRETIEN

FORUM – STRASBOURG

La bioéthique est une ma­ chine à perdre des voix, le Président de la République l’a fort bien compris

Retrouvez l’intégralité de notre entretien avec Israël Nisand sur notre site : www.poly.fr

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Qu’en est-il, selon vous, du rapport de force entre médecine et politique, progrès scientifiques et évolutions des législations qui apparaissent toujours très en retard ? Les choses n’évoluent pas. La bioéthique est une machine à perdre des voix, le Président de la République l’a fort bien compris en repoussant la révision de la loi de cinq à sept ans. Cela touche aux mœurs et émeut négativement l’électorat conservateur. Mais attention, la gauche en a tout aussi peur que la droite. Quand on m’a reproché d’avoir de trop nombreux grands témoins de droite, j’ai répondu la vérité : ce sont ceux qui ont accepté de venir ! Il y a une vingtaine d’années, la France a généralisé le dépistage prénatal. Les crédits alloués à la prise en charge des trisomiques et, plus généralement, des handicapés ont disparu au profit du dépistage. Ce choix, qui n’est pas partagé par nos voisins européens, donne l’impression d’avoir été pris sans débat. Certains vont jusqu’à reprocher l’eugénisme du recours à l’avortement thérapeutique systématique… Il y a de ça une dizaine d’années, un journaliste me disait : « Avec votre diagnostic prénatal, ne faites-vous pas une sorte d’eugénisme ? » J’étais très emmerdé, jusqu’au moment où j’ai lu le philosophe américain Philip Kitcher. Pour lui, on juge si un programme est eugénique grâce à quatre axes : est-ce contraint ? En accès libre ? Quel en est le fondement scientifique ? Quel est le but du programme ? Le parangon de la médecine eugénique est la médecine nazie : hautement coercitive, très discriminatoire, reposant sur un fondement génétique complètement idiot. La génétique est une loterie. Pour les parents aujourd’hui, le but du diagnostic prénatal est d’avoir des enfants en bonne santé, ce qui n’est pas la même chose. Il n’y a pas de visée populationnelle mais personnelle. Nous avons des programmes eugénistes dans notre pays. Le dépistage de la trisomie 21 en est stricto sensu un. Même si la loi française dit le contraire, aucun philosophe n’osera dire qu’elle n’en est pas un. Simplement c’est un eugénisme soft. Sous sa forme individuelle le diagnostic prénatal ne pose pas problème, mais sous sa forme collective si. Sur 830 000 grossesses cette année, 750 000 ont fait le dépistage de la trisomie 21. Un taux de couverture incroyable. Pourquoi ? Ce ne sont pas les

femmes qui décident mais les médecins. Ces derniers n’ont pas envie d’avoir un procès. Ils savent qu’on leur demandera des comptes et des dommages et intérêts si un trisomique 21 naît et qu’ils ont oublié de faire le dépistage. Au tribunal, c’est 4 millions et demi d’euros ! Cet état de fait est choquant… Terriblement choquant ! Ce sont les maillons d’une société un peu eugénique. Ce dépistage de la trisomie 21 est questionnable : comment vivent les trisomiques de 20 ans ? Pourquoi aide-t-on leur dépistage mais pas leur prise en charge ? Le dépistage ne s’est pas fait avec l’accord de la société. C’est un ministre, Hervé Gaymard qui a fait un calcul : un dépistage de trisomique 21 coûte deux ans de son existence. Or ils vivent 75 ans. Les PDG d’Amersham et Kodak, les grandes multinationales qui font les tests de dépistage, ne peuvent les vendre aux États-Unis parce qu’il n’y sont pas pris en charge. Ils le vendent en France, le seul pays au monde à le rembourser. Aucun industriel ne néglige un marché de 800 000 tests par an à 150 € pièce. Ces gens-là sont venus dire qu’ils employaient 50 000 personnes en France et qu’ils souhaitaient que les dépistages soient remboursés… Quand j’étais interne, il naissait 3 000 trisomiques par an. Aujourd’hui 300, mais on en avorte 1 600 ! Ces 1 600 là avec 75 ans d’espérance de vie, on ne peut pas payer. J’appelle cela de l’eugénisme économique. Quelles sont les prochaines révolutions à venir : les bébés médicaments, l’utilisation exponentielles de cellules souches, le clonage ? La prochaine révolution sera l’augmentation de l’humain (modification des gènes…) et la résistance au VIH. Un humain modifié et résistant aux contraintes environnementales, cela marchera. L’évolution du génome n’est pas un sanctuaire et on va y toucher. L’autre très grande révolution c’est le contrôle des comportements. On commence à savoir quelles sont les ambiances chimiques de zones précises du cerveau quand on est amoureux, triste, gai… Cela va devenir une vraie science et de nombreuses personnes auront intérêt à mettre la main dessus. Voilà une avancée technologique du monde scientifique qui doit être contrôlée par le peuple. Je ne suis pas un anti-progrès. Je dis juste qu’il ne doit pas être contrôlé par le marché, sans ça, nous deviendrons des objets.


MUSIQUE – strasbourg

french touch Sous la baguette de Petri Sakari, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg accueille un des plus intéressants pianistes de la scène internationale, Philippe Bianconi, héritier de la grande tradition française du clavier.

Par Hervé Lévy Photo de Lyn Bronson

À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, jeudi 9 et vendredi 10 février 03 69 06 37 06 www.philharmonique. strasbourg.eu

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ans l’hexagone, on connaît mal Philippe Bianconi, pianiste (trop) discret qui a fait l’essentiel de sa carrière à l’étranger, aux États-Unis principalement. Son succès au Concours Van Cliburn de Fort Worth – un des plus prestigieux au monde – en 1985, où il remporte la Médaille d’Argent, a en effet généré de multiples engagements américains. « C’est vrai que je ne venais pas trop en France », explique-t-il « mais, depuis quelques années j’essaie d’être plus présent. » Trop réservé, l’artiste ? « Vous savez, je ne me préoccupe guère de mon image. Peutêtre est-ce un défaut dans le monde actuel, mais en cultivant trop l’extérieur on oublie l’essentiel. » Le jeune quinqua est un éminent représentant de ce qu’il est convenu d’appeler “l’école française” : il a étudié au Conservatoire de Nice avec Simone Delbert-Février, une élève de Robert Casadesus, puis, à Paris, avec Gaby Casadesus, l’épouse de ce dernier, qui donnait à ses élèves des conseils reçus directement de la bouche de Maurice Ravel. Si certains se bornent à désigner sous cette appellation « un jeu perlé, très propre et sans effets de manche, la tradition française va au-delà d’un style marqué par une grande pureté

et une certaine sobriété » rappelle Philippe Bianconi. Et de rajouter : « Simone DelbertFévrier m’a enseigné l’intensité dans l’expression et nous travaillions la sonorité en allant au plus profond du clavier. Elle m’a aussi appris à ne jamais oublier d’être heureux en jouant. Avant un concours, elle me serrait les deux mains très fort, me regardait dans les yeux et disait : “Maintenant, oublie tout ce que nous avons dit et ne pense qu’à te faire plaisir”. J’essaie de m’en souvenir aujourd’hui encore. » À Strasbourg, le virtuose interprétera, au cœur d’un programme 100% russe (qui inclut aussi les Tableaux d’une exposition de Moussorgski, dans la très rare orchestration de Leo Funtek), le Concerto pour piano et orchestre n°3 de Rachmaninoff, « un véritable “monstre” à l’enivrante démesure. Avec cette écriture jusqu’au-boutiste, on a le sentiment d’aller jusqu’aux extrêmes limites de l’interprète. Pour rester cohérent, j’ai choisi, parmi les deux cadences possibles du premier mouvement, de laisser de côté la plus modeste. J’ai aussi souhaité ne pas faire les coupures que l’on opère parfois dans le troisième », conclut-il.

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© Pierre Grosbois

de guerre lasse

Avec Woyzeck de Büchner et Dehors devant la porte de Borchert, Jacques Osinski présente deux pièces de sa “trilogie de l’errance” au Théâtre national de Strasbourg. Entretien.

Par Thomas Flagel

Woyzeck de Georg Büchner, au Théâtre national de Strasbourg, du 7 au 11 février Dehors devant la porte de Wolfgang Borchert, au Théâtre national de Strasbourg, du 14 au 18 février 03 88 24 88 24 – www.tns.fr Rencontre avec Jacques Osinski autour du théâtre allemand, lundi 13 février au TNS Projection du téléfilm Woyzeck réalisé par Marcel Bluwal (ORTF, 1964) à l’Auditorium du MAMCS (en partenariat avec l’INA Grand-Est), mardi 21 février www.musees.strasbourg.eu

Un Fils de notre temps d’Ödön von Horváth est la deuxième pièce de la trilogie de l’errance de Jacques Osinski

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Woyzeck est souvent vu par les metteurs en scène comme un passage obligé, une confrontation à Büchner. Le temps était venu pour vous ? Oui et non. J’ai pas mal travaillé sur les auteurs allemands, notamment Horváth* et Büchner. Quand je suis arrivé à la direction de la MC2 Grenoble, j’avais envie d’affirmer un répertoire et de proposer un projet au long cours puisqu’il a été créé sur deux saisons : la première avec Woyzeck et Un Fils de notre temps, la seconde avec Dehors devant la porte. Woyzeck s’inscrit dans un cycle, je ne l’aurais peut-être pas fait s’il n’y avait eu en perspective toute cette histoire et ces auteurs. Ce n’est pas une pièce, mais un matériau fascinant, sans colonne vertébrale. Cette matière peut se réécrire et se changer comme un scénario, ce qui me plait énormément. J’avais vu de nombreux Woyzeck au théâtre mais aussi des mises en scène de l’opéra composé par Alban Berg dont la dramaturgie est extrêmement établie. J’ai découvert la version d’Herzog, un téléfilm avec Klaus Kinski dans le rôle principal. Ça se passe simplement, dans une petite ville de garnison allemande au XIXe, en costumes. L’ancien soldat Woyzeck n’est plus uniquement un animal de laboratoire plongeant lentement dans la folie…

La notion de cycle incluait de confier au même comédien, Vincent Berger (ancien du Groupe 29 de l’École du TNS), le rôle principal de Woyzeck et de Dehors devant la porte ? Ce sont les mêmes comédiens dans les deux pièces, un groupe avec lequel je travaille depuis longtemps maintenant. Ce cycle était un peu mon manifeste en arrivant à Grenoble, présentant ce que je voulais faire et les gens avec lesquels j’aime collaborer. Ma lecture de la pièce est plutôt ouverte. Je ne tente pas d’asséner que le capitaine est un monstre et Woyzeck un cobaye. Je l’oriente sur la restitution de l’opacité et de la complexité du personnage tel que le décrit Büchner. Ce n’est pas qu’une victime ou un bourreau. C’est bien plus ambigu que cela. Arriver avec ces spectacles qui ont tous pour toile de fond la guerre, les notions de vérité, de liberté et l’incapacité de dire les choses, c’est un point de vue politique sur le monde d’aujourd’hui… Je m’aperçois que c’est au cœur du travail même si je ne l’assène pas ! Nous avons fait Un Fils de notre temps dans le cadre de tournées décentralisées à la campagne. Nous avions un peu peur de la réception de ce petit roman


THÉÂTRE – STRASBOURG

noir d’Horváth contant le destin d’un homme qui se fait enrôler dans une armée fasciste. Ça s’est très bien passé, les gens s’emparent de ces histoires car elles résonnent en eux. Dehors devant la porte de Wolfgang Borchert n’est guère plus gai. Nous y revivons un ensemble de flashbacks, une matière très intéressante dans les possibilités de traitement qu’elles ouvrent pour la mise en scène ? Tout à fait. Je rêvais de monter cette pièce quasi inconnue depuis longtemps mais personne ne voulait m’y aider. Elle débute au moment où l’ancien soldat Beckmann va se jeter dans l’Elbe alors qu’il revient dans un Berlin totalement dévasté. Cela peut s’apparenter aux quelques secondes pendant lesquelles il tombe et va se noyer ! Comme lorsqu’on voit défiler sa vie devant ses yeux au moment de mourir. Ce flashback est comme un rêve onirique. Beckmann revisite son passé, il est repêché par une jeune femme qui l’emmène pour le soigner. Il va retrouver un colonel qui aurait envoyé des soldats se faire massacrer sur le front, un directeur de théâtre intéressé par son histoire avant de la trouver beaucoup trop noire… Ensuite il revient chez ses parents qui se sont suicidés.

Ces thèmes de l’exclusion, de l’identité, de l’impossibilité de partager ce qu’on ressent, ce qu’on a vu et vécu sont intemporels… On ne l’ancre pas dans les années 2000 mais il y a des échos extrêmement contemporains, comme pour Woyzeck : ces personnages qui ne savent pas comment se situer, qui sont déracinés, perdus… D’où le titre de “trilogie de l’errance”. Leur libre-arbitre est entravé pour diverses raisons, ce qui résonne fortement aujourd’hui. Les personnages que je choisis ou qui me choisissent sont souvent un peu perdus, décentrés, en quête d’identité. Portrait de Jacques Osinski, à Strasbourg, par Benoît Linder pour Poly

L’auteur nous propose aussi d’accéder à la conscience de Beckmann avec le personnage de l’Autre… C’est un personnage assez symbolique, comme si on était à l’intérieur de sa conscience au moment où Beckmann est en train de mourir et passe dans l’au-delà. Borchert raconte sa propre histoire : prisonnier sur le front russe, il meurt très jeune. Il écrit cette pièce en quelques jours, comme un cri, mais dans une forme très originale, assez sidérante et stupéfiante. Bien loin de la brutalité d’un récit à la première personne. Comment avez-vous composé le décor modulable des deux pièces ? C’est un espace unique. La pièce s’appelle Dehors devant la porte car il est sans cesse “mis à la porte”. Le haut du décor est celui de Woyzeck avec en bas trois portes en plexi translucides qui permettent de voir derrière. Là, il y a un couloir qui peut s’apparenter à celui entre la vie et la mort. On peut jouer le dedans ou le dehors avec un minimum d’accessoires qui arrivent, quasiment tous, en glissant. Mon spectacle est une version assez contemporaine, graphique et colorée. Poly 146 Janvier / Février 12

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SPECTACLE – MULHOUSE

veilleurs de jour Depuis sept ans, la compagnie HVDZ va à la rencontre des habitants des quartiers lors de Veillées. Les Atomics, présenté à La Filature, est la synthèse de cette aventure humaine et citoyenne qui se raconte à travers le cirque, la danse et le théâtre.

Par Dorothée Lachmann Photos de Aimée Thirion

À Mulhouse, à La Filature, mardi 14 et mercredi 15 février 03 89 36 28 28 www.lafilature.org www.hvdz.org

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out commença en 2004 alors que Lille devenait capitale européenne de la culture. Associée à Culture Commune, Scène nationale du Bassin minier du Pas-deCalais, la compagnie HVDZ eut pour mission d’imaginer des Veillées artistiques avec les habitants des cités ouvrières. « Comment concevoir des Veillées, aujourd’hui, en pratiquant cet art hybride qui mêle le cirque et la danse ? Je ne me voyais pas autour d’un feu de camp », raconte Guy Alloucherie. Le metteur en scène se souvient de son enfance, dans ces mêmes quartiers populaires. « Ma mère disait que la culture, ce n’était pas pour nous. J’ai entendu cela toute ma jeunesse. L’université qui m’a permis de franchir cette barrière, mais je continue de me sentir un “immigré de l’intérieur”, selon la formule de l’écrivaine Annie Ernaux. Sans ces Veillées,

qui lui ont donné du sens, je ne sais pas si j’aurais poursuivi mon travail artistique. Je n’ai rien contre l’art gratuit, mais je le laisse aux autres : mes créations doivent servir à quelque chose, socialement ou politiquement. »

Dans les quartiers

Alors il y va. Avec ses douze Veilleurs, l’art en bandoulière, ils posent leurs valises. Quinze jours, trois semaines, le temps d’une résidence pas comme les autres. Dans le Nord d’abord, puis ailleurs en France, de cité en cité. Avec un détour par le Brésil, dans les favelas de São Paulo. Pour rencontrer les gens, ils font du porte-à-porte, vont sur les marchés, dans les écoles. « Il y a une vraie vie dans ces endroits populaires. Si les dirigeants écoutaient davantage ce que proposent les habitants,


c’est sûr que tout pourrait aller mieux : ici, la solidarité et l’entraide sont une réalité et la démocratie participative existe de fait. Nous cherchons à mettre en valeur ce qui s’y passe en proposant des choses très spontanées », explique Guy Alloucherie. « Les gens ouvrent facilement leur porte, ils sont beaucoup plus accueillants qu’on le croit généralement. » Il faut peut-être juste l’art et la manière... « Quand on fait du porte-à-porte, on offre une danse sur le palier, par exemple. Pour créer le contact, laisser une trace, détourner du quotidien. Il s’agit de tout mettre au service de cette possibilité de rencontre. » Au cœur des Veillées, c’est d’abord la question de la culture et de sa perception qui nourrit les échanges et fournit matière à création pour la compagnie. « En rencontrant les habitants, nous leur demandons ce qu’ils ont chez eux de plus artistique. Beaucoup ont du mal à répondre. Après réflexion, un monsieur nous a parlé de son jardin, dont il avait effectivement fait une œuvre d’art. Pour d’autres, c’est un tableau, un tapis. Certains font un peu de provocation en évoquant leur télé. Au final, c’est toujours l’histoire du quartier qui ressort de ces discussions. » Chaque Veillée se conclut par une restitution en vidéo de l’expérience, à laquelle tout le monde est convié. Sur grand écran, la vie du lieu se dévoile grâce à la parole des uns et des autres. « Le spec-

tacle est autant dans la salle que sur la scène, tant il provoque la discussion », souligne Guy Alloucherie. « On se rend compte que tous viennent au spectacle ensemble, mais qu’ils ne s’y rendraient pas seuls. Pour cela, le rôle des centres sociaux est très important. »

À La Filature

Depuis toutes ces années, les Veilleurs de la compagnie HVDZ ont accumulé un matériau considérable. Et même si les résidences sont programmées pour durer encore de nombreux mois, il était sans doute temps de trier les photos pour partager l’album de souvenirs en revenant dans les théâtres avec un spectacle forcément inclassable. « Les Atomics est une synthèse composée d’extraits de Veillées. Les douze artistes prennent la parole pour expliquer le sens de ce travail, c’est un peu comme une conférence gesticulée et chorégraphiée », précise le metteur en scène. Comédiens, danseurs et circassiens racontent, chacun à sa façon, entre corde volante et mât chinois, « la vivacité et la profusion de ces quartiers ». Sur l’écran, le spectateur rencontre à son tour ces habitants d’ici et d’ailleurs, si proches. Un spectacle comme une expérience, où l’humain a le premier et le dernier mot. Et, pour tous, une belle aventure que Guy Alloucherie se plaît à considérer comme « le développement durable du théâtre ».

Mes créations doivent servir à quelque chose, socialement ou politiquement Guy Alloucherie

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ARTISTES EN RÉSIDENCE

double je Grâce à des budgets sanctuarisés1, Pôle Sud accueille dans une résidence au long cours2 la compagnie Caterina et Carlotta Sagna. Rencontre avec Caterina, l’aînée des sœurs chorégraphes.

Par Thomas Flagel

Nuda Vita de Caterina et Carlotta Sagna, à Strasbourg, à Pôle Sud, mardi 24 et mercredi 25 janvier 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr Ad Vitam de Carlotta Sagna, à Belfort, Au Granit, jeudi 2 février www.legranit.org Cuisses de Grenouille de Carlotta Sagna (dès 7 ans), à Vandoeuvre-lès-Nancy, au Centre culturel André Malraux, vendredi 9 et samedi 10 mars & à Strasbourg, à Pôle Sud, du 2 au 4 avril http://centremalraux.com/ 03 88 39 23 40 www.pole-sud.fr + Atelier choral et chorégraphique autour de chansons pop italiennes des années 70/80, du 21 janvier au 21 juin Inscription au 03 88 39 23 40

1 De la Drac, la Ville de Strasbourg, la Région et le Département par le biais de l’Adiam. L’Association départementale d’information et d’actions musicales et chorégraphiques du Bas-Rhin est un opérateur privilégié du développement de la politique du Conseil général du Bas-Rhin qui participe notamment au financement de résidences d’artistes www.adiam67.com 2 La première partie de la résidence se déroule de janvier à juin. Elle sera suivie de la création de Bal en Chine, en janvier 2013, à Pôle Sud

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Vous dites être habituellement plus stimulée par l’artistique que par les actions périphériques. Elles seront pourtant nombreuses : ateliers théorique, chorégraphique et choral, workshop autour de Nuda Vita… Qu’est-ce qui vous a décidée ? La liberté offerte par Pôle Sud de faire ce que l’on veut, sans contraintes. Chaque membre de la compagnie a un répertoire de propositions bien différentes autour de la présentation de plusieurs de nos pièces. Cette articulation de spectacles et d’actions tournées vers le public permet de rencontrer des gens sensibles à nos propositions artistiques. Ceux qui viendront danser, chanter et créer avec nous connaissent notre travail et auront donc une envie plus aiguë d’y participer. C’est très stimulant d’essayer des choses avec eux. Les ateliers et créations de la résidence concernent des publics variés : étudiants, amateurs, professionnels, enfants. Vous allez travailler comme dans votre compagnie ? Oui, nous allons décliner notre mode de création avec ces personnes. Dans la compagnie, président une confiance réciproque et une grande conscience des rôles de chacun. Notre estime mutuelle de travail et de regards nous permet de laisser de la place aux désirs et envies des différents membres. J’envisage cette résidence comme l’occasion de grandir ensemble dans un nouvel environnement. Vous parlez de résidence comme laboratoire d’idées nourrissant vos créations. Que pensez-vous y puiser ? C’est une occasion de vie qui, comme tout événement, nourrit notre travail, même indirectement. Quand on enseigne, on apprend aussi énormément de ces échanges. Je pense que l’homme à besoin d’apprendre, au moins un petit peu chaque jour, sinon il meurt à petit feu.

Une des spécificités de vos créations est l’importance de la dramaturgie, qui est d’habitude plus du ressort du théâtre que de la danse… Carlotta et moi avons deux façons distinctes d’aborder la dramaturgie. Depuis 2001, je travaille avec l’auteur et dramaturge Roberto Fratini Serafide. Avant ça, tout mon travail s’appuyait déjà sur des textes de Kafka, Büchner ou Cocteau. Tout part d’une narration, pas forcément logique ou chronologique, mais chaque scène prend appui sur du concret, une situation reconnaissable. Dans ma danse, la raison du mouvement a une réalité dans la vie. Ce n’est pas que du ressenti. Le travail avec un dramaturge permet d’aller plus vite et plus rapidement en profondeur. Les mots ne sont pas mon langage favori, je leur préfère le corps. Roberto m’aide en apportant des choses que je n’aurais pas trouvées seule. Je suis dans la pratique et la sensation, lui dans les mots et le théorique. Cela me nourrit, me renforce et contribue à renouveler mon travail. La première pièce que vous présentez sera Nuda Vita qui traite des mécanismes d’exclusion avec une apparente légèreté. Vous allez jusqu’à parler de saleté et de puanteur qui se dégagent des situations de la pièce… Les termes sont forts. Les quatre personnages sont complices. Ce sont des frères et sœurs ou des amis très proches avec un passé commun important. On découvre petit à petit la gravité de ce qui les réunit mais aussi qu’ils sont à l’origine de ces faits. Le mécanisme de ce passé commun les exclut des autres. De cette séparation se dégage une puanteur qui croît au fur et à mesure qu’on pénètre, sur scène, en elle. Le mécanisme se propage à l’intérieur même du groupe et l’exclusion se joue entre eux, cassant les apparences. Le tout est présenté avec beaucoup de légèreté car ils ont quand même grandi ensemble et ne


se jugent pas. C’est leur façon de vivre. D’ailleurs, le public est le premier à comprendre ce phénomène car c’est le premier exclu de la situation ! L’humour est un fil rouge de vos spectacles, comme s’il fallait aussi rire du pire ? Quand on parle de choses graves, pouvoir en rire crée un espace permettant d’aller plus en profondeur, de s’ouvrir et de décharger une quantité d’énergie nécessaire pour plonger en soi. Parlez-moi de la conception de Nuda Vita. Carlotta et vous êtes parties de mots ou de situations pour construire la narration ? Il y a de nombreux processus différents. Parfois c’est un état émotionnel, d’autres fois une situation totalement concrète. Ici, c’est une histoire de mots. Il est rare qu’on commence à bouger sans savoir pourquoi. Ce n’est pas ce qu’on fait qui compte, mais pourquoi on

le fait ! Mon rôle est de comprendre quel geste exprime le mieux notre volonté, notre sujet précis. Chaque interprète est à la création de ses propres mouvements. Ce sera pareil dans nos ateliers : il faut trouver et construire une manière de penser qui amène le mouvement. Vous êtes venue danser à Strasbourg pour la première fois, il y a dix ans, avec La Signora. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Je dirais, comme une évidence, la conscience. La Signora était un moment charnière pour moi car c’est avec ce spectacle que, pour la première fois, je réussissais à faire de l’ironie. Après dix ans de spectacles intimistes, j’arrivais enfin à rire de moi et à regarder le public en levant la tête. Mais j’en étais totalement inconsciente. Je m’étais jetée là-dedans comme dans un lac, sans savoir si je pourrai y nager et le traverser. Je n’avais qu’une envie : recommencer ! Depuis, je continue de chercher des esthétiques différentes, en prenant des risques.

Carlotta et Caterina Sagna, en répétitions, photo de Maarten Vanden Abeele

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EXPOSITION – STRASBOURG

poltergeist Avec L’Europe des esprits, le MAMCS présente œuvres, documents ou instruments démontrant le lien entre les phénomènes occultes, l’art et les sciences, de 1750 à 1950. Arrêt sur (une) image.

Par Emmanuel Dosda

À Strasbourg, au MAMCS, jusqu’au 12 février 03 88 23 31 31 www.musees.strasbourg.eu

Photographies qui rendent compte des séances de spiritisme Dans l’expo sont également présentées des photos qui font très directement référence à la peinture. Citons Gertrude Käsebier, artiste pictorialiste (le pictorialisme, fin XIXe, début XXe, voulait élever la photographie au rang d’art) dont le travail évoque Eugène Carrière 3 De nombreux scientifiques tels que William Crooks, britannique à l’origine des rayons X, ou Marie Curie, nobélisée pour ses recherches sur la radioactivité, s’intéressèrent de près aux médiums, à l’occultisme ou à la force psychique 4 Il fut le mécène de Robert Mapplethorpe 1

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ous parcourons les 2 500 m2 de l’exposition occupant deux étages du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg afin de choisir une pièce parmi les innombrables photos, toiles (500 œuvres en tout), objets (150) ou livres (150) rassemblés. L’horriblement belle Conjuration (1797-1798) – de vilaines sorcières aux visages expressionnistes s’abattant sur un pauvre bougre prostré – peinte par un Goya hanté par ses démons ? Robin GoodfellowPuck (1781-1790), personnage mi-ange midémon d’Henry Fuseli ? Une photo “mysticocosmique” de František Drtikol nourrie de théories chères aux théosophes ? Une toile symboliste, une estampe ésotérique, une table tournante ?

Nous nous arrêtons sur cet étrange cliché saisi par Eugène Thiébault en 1863 : un homme se débat, horrifié par le fantôme drapé de la tête (de mort) aux pieds (invisibles) qui tente de l’attraper. Les grands gestes surjoués et l’expression exagérée du malheureux portent à sourire… Son effroi est-il crédible ? Surtout en sachant que les photos de séances “d’apparitions” avaient généralement lieu dans le noir, avec un flash au magnésium qui faisait fermer les yeux des protagonistes, le visage blanchi. Très en vogue milieu XIXe, ce type de photographies (notamment celles d’Édouard Isidore Buguet, à découvrir dans l’expo) était sensé appuyer les hypothèses du chantre du spiritisme, Allan Kardec, auteur du Livre des esprits en 1857. Selon Héloïse Conésa, conservatrice au MAMCS, les photos spirites1, « nées aux USA après la Guerre de Sécession, dans un contexte où pesait la perte des proches », permettaient de convoquer le souvenir des absents. Ce qui explique leur succès au moment de la Première et Seconde Guerre mondiale en Europe. Mais tel n’est pas le propos de ce photomontage réalisé par Thiébault, virtuose du trucage visuel qui, avant d’apporter de l’eau au moulin spirite, soutient un message publicitaire.

Il s’agit d’une commande du magicien Henri Robin, sans doute prise dans son intérieur (sur la table, nous remarquons une carte de visite le représentant muni de sa baguette magique), pour l’affiche de ses spectacles. « L’image regarde avec humour les surimpressions de Buguet tout en cherchant à intriguer les spectateurs potentiels », souligne la conservatrice. Les shows de Robin ? Des fantasmagories, genre initié par le français Robertson, ancêtre du cinéma. L’illusionniste se produisait régulièrement dans son propre théâtre parisien. À l’aide de quelques “abracadabra”, de jeux de projection et de miroir, il faisait apparaître des spectres, dans la stupeur (et la crédulité ?) générale. Sur le bureau du prestidigitateur, nous distinguons aussi un sablier et un revolver : le temps qui passe, la mort… Cette épreuve sur papier albuminé (22,9 x 17,4 cm) peut également être perçue comme une allégorie ou une vanité. Faisant ainsi référence à la peinture2, jouant sur plusieurs registres, elle est symptomatique du passage de la photographie en tant qu’outil de témoignage à celui d’instrument de création. Les photos – qui accompagnent les nombreuses découvertes scientifiques 3 de l’époque – présentées à l’occasion de L’Europe des esprits entretiennent divers rapports avec l’occulte : “preuves” de scènes de lévitation, d’apparitions de revenants ou de fluides mesmériques (on lui conférait le pouvoir de capter ce que l’œil humain ne voit pas)… À cette époque, était souvent reproché à la photographie, technique inventée un peu plus d’une vingtaine d’années auparavant, « d’être trop triviale, de simplement reproduire le réel ». Ici, elle commence à s’affirmer : les surréalistes ou, plus tard, le collectionneur Sam Wagstaff4 ont contribué à la lecture artistique de ces images, entre réalité et imaginaire, qui captent la vie… et au-delà.


Poly 146 Janvier / Février 12 35 Eugène Thiébault, Henri Robin et un spectre (1863) Collection Gérard Lévy © Jean-Louis Losi


THÉÂTRE – STRASBOURG

pan, t’es mort Après une Nuit des Rois endiablée en 2011, Jean-Michel Rabeux crée Les Quatre jumelles de Copi au Maillon. Un huis clos déjanté, rythmé par des successions d’engueulades et de tueries, entre came dure et jeux d’enfants. Entretien au cœur des répétitions.

Par Thomas Flagel Illustration de Fanny Walz pour Poly

À Strasbourg, au Maillon-Wacken, du 1er au 4 février 03 88 27 61 81 www.le-maillon.com Rencontre avec le metteur en scène Jean-Michel Rabeux autour de Copi, jeudi 2 février, à 17h, à la Librairie Kléber

Copi, ça n’a l’air de rien mais ça vous cueille sans crier gare !

* La Maison de la Culture de la SeineSaint-Denis est installée à Bobigny www.mc93.com

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Dans l’un de vos éditos pour la MC 93* en 2007, vous vous énerviez contre les polices de la pensée contrôlant jusque nos désirs. Vous affirmiez à l’époque vouloir faire une pièce interdite aux moins de 18 ans, histoire de vous lâcher. Le choix des Quatre jumelles est dans cet esprit ? Je le pensais, de bonne foi, quand j’ai décidé de la monter. Nous sommes au milieu des répétitions et je m’aperçois qu’elle va être beaucoup moins interdite aux moins 18 ans que je l’espérais. Il m’a échappé que ce texte n’est absolument pas intéressé, contrairement à l’œuvre de Copi en général, par le sexe. Son désordre réside dans la “dope” et la mort. Il y a bien quelque chose du genre avec ces quatre jumelles complètement improbables. Hormis cela, rien d’érotique. Par contre elles se shootent toutes les dix secondes à l’héroïne, au camphre, à la morphine… Et elles meurent toutes les cinq minutes pour ressusciter peu de temps après. Le trouble et le bordel qu’aime tant Copi est là. Le texte ressemble à un poème trash qu’aurait pu écrire Sarah Kane, mais avec moins de gravité et bien plus d’humour. C’est par ce biais que vous l’abordez ? J’aime beaucoup rire au théâtre, mais s’il n’est que de surface, boulevardier, d’effet ou de gag comme le texte peut s’y prêter, il contient tout de même une mort toutes les cinq minutes. Et la mort, même si on déconne avec, c’est la mort. Deux des acteurs que j’ai choisi sont de vieux hommes, autour de 70 ans, ce qui crée un effet comique : ils se droguent comme des jeunes gens. Il y a quelque chose d’émouvant et d’amoureux derrière tous ces amusements. C’est tout à fait Copi qui était loin d’être un cynique. Le

rire n’est pas fait pour échapper, mais pour pouvoir recevoir le pire, un effroi terrible, l’horreur de la mort. Bien loin d’un rire de stupéfaction télévisuelle… Il est frappant de retrouver dans cette pièce de 1973, un langage si actuel : celui de junkies un peu paumées, escrocs, violentes mais hypersensibles… C’est en effet étrange. Il y a quelque chose de la brièveté de la langue. Copi était argentin. Il parlait français couramment mais le petit décalage qui existait dans son écriture la poétisait. Toutes les injures n’ont pas changé ! Vos quatre jumelles sont interprétées par trois hommes et une femme, d’âges variés. Une manière de contribuer au trouble ambiant de leurs relations ? Je connaissais Copi. Il l’avait écrit pour des mecs. Copi demeure très actuel car cette question du genre est assez récente, qui on est et quel sexe on a ? Lui la pose déjà. Être homme ou être femme est un détail à ses yeux. Vous présentez l’Alaska où est censée se dérouler la pièce comme « une banquise au-delà du périphérique, avec chiens de traîneau aussi carnassiers qu’enrubannés, icebergs en plastoc, dollars en papier cul, flingues de farce et attrape. Une banquise de boîte de travs. » Ça promet comme décorum déjanté… Les costumes ne sont pas tout à fait des costumes de travs, ils sont plus étranges, décalés pour ne pas aller dans le trash drag queen, ni dans l’effusion d’hémoglobine puisqu’ils se tuent tout le temps. Tout est plus rêvé même si nous y sommes bien, dans l’esprit.


La scénographie se compose d’une sorte d’arène noire. Le public sera très proche du plateau… Nous amenons les spectateurs sur scène, le décor étant lui-même un petit théâtre, une arène. Ils sont sur des gradins, tout en rond autour d’un plateau minuscule. Je voulais cette extrême proximité pour créer de l’humain, qu’on voit les comédiens juste à côté de soi. Quels trucs avez-vous trouvé pour mettre en scène tous ces meurtres et ressuscitations successives ? On en trouve à chaque fois mais ce qui fonctionne le mieux, c’est que ce soit faux. Ce ne sont pas des vrais morts avec un flingue et du sang qui coule mais plutôt des trucs de gosses : “poum, t’es

mort !” Il tombe mais en hurlant pendant trente secondes. Des morts jouées faux qui peuvent à la fois faire rire et effrayer.

le monde cauchemarde. Nos nuits sont morbides. C’est Copi, ça n’a l’air de rien mais ça vous cueille quand même.

Vous demandez beaucoup de personnalité et un jeu très travaillé à vos comédiens. Qu’est ce qui vous a surpris le plus dans leur apport en répétition ? Leur folie. Ils sont comme des enfants alors qu’ils ont entre 40 et 70 ans. Il est très émouvant de voir tout ce mal qu’on se donne pour des jeux d’enfants. La capacité de mes comédiens à aller vers leur propre folie m’a surpris car ce n’est pas facile de jouer la mort quand on a 70 ans. C’est le paradoxe des répétitions qui sont très joyeuses entre cette équipe qui se connaît depuis longtemps. Mais tout

Ce Copi-là, qui peut paraître outrageant et irrévérencieux, il combat la bienséance, la moralité et la sacro-sainte norme sociale… Oh oui. Il ne faut jamais oublier que c’était un exilé politique argentin attaqué par les fascistes. Quand on lui demandait pourquoi il y avait toujours des monstres dans ses spectacles, des pédés, des fous furieux, il répondait cette chose magnifique : « Il y a tellement de gens normaux. » Faisons autre chose, tout ce que l’on cache d’habitude pour exploser, un peu, le poids terrible de la fascisation de la normalité. Poly 146 Janvier / Février 12

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drive my hijâz’car L’Hijâz’Car, groupe évoluant entre jazz occidental et musiques d’Orient, écriture et impro, concocte un nouveau répertoire… plus sombre. Incursion au Cheval Blanc, durant une répétition.

Par Emmanuel Dosda Photo de Jean-Marie Guldner au cours d’une séance d’écoute de L’Hijâz’Car en répétitions au Cheval Blanc

À Schiltigheim, au Cheval Blanc, vendredi 20 et samedi 21 janvier 03 88 83 84 85 www.ville-schiltigheim.fr www.myspace.com/hijazcar

Ils jouent tous dans d’autres formations de L’Assoce Pikante (voir Poly n°123), structure qui se charge de L’Hijâz’, mais aussi de Maliétès, Boya ou Electrik GEM www.myspace.com/lassocepikante 2 L’Hijâz’Car y a joué en compagnie de la chanteuse algérienne Houria Aïchi avec laquelle ils ont beaucoup tourné (Algérie, Norvège, Italie…) et enregistré un disque, Cavaliers de L’Aurès (Accords croisés) 1

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trange Noël… Pas de Jingle bells, mais une langoureuse musique méditerranéenne s’échappant du toit blanchi par le givre de la salle schilikoise, en cette fin d’année 2011. Gregory Dargent (oud, un luth oriental), Nicolas Beck (tarhu, sorte de violon), Etienne Gruel (percussions), JeanLouis Marchand (clarinette basse) et, nouveau venu dans la formation, Vincent Posty (contrebasse), en résidence au Cheval Blanc, mettent au point les morceaux qu’ils y présenteront au public en janvier. Notes répétitives et jazzesques, moments nerveux, instants d’accalmie… puis, quelques secondes d’hésitation. « Faut qu’on lâche les chiens ! » balance Jean-Louis, déclenchant un long débat sur un satané “ré”, censé marquer le basculement de la phase écrite à l’improvisation. Amateurs de coups de gueule, passez votre chemin : les membres de L’Hijâz’Car, quasiment tous d’anciens du Conservatoire strasbourgeois, se connaissent depuis bien longtemps1. En douze ans d’existence et de tournées internationales, les membres du quintet, qui reviennent tout juste du Brésil2, ont appris à s’écouter. « Tout le monde compose et ramène des idées : quatre pages de partoches ou deux lignes de précisions d’arrangements. Les choses se font de manière fluide. On se recadre dans une confiance mutuelle » explique Gregory. « Nous jouons, creusons et fixons… mais pas pour l’éternité car nos compositions restent en mouvement » précise Jean-Louis. Chacun,

avec ses références artistiques, sa culture et son background, apporte des « lignes directrices esthétiques », sa pierre à l’édification d’un répertoire musical neuf qui aboutira à une série de concerts et l’enregistrement d’un disque. Leurs influences vont du compositeur libanais Rabih Abou-Khalil à la musique traditionnelle turque, de Stravinsky à Chostakovitch. Loin des jolis airs « qui font rêver de tapis volants ou de châteaux dans le Sahara », les récentes compos de L’Hijâz’ sont tendues, sombres. Moins “pittoresques”. « Nous perdons ce regard “ethnique” sur les musiques d’Orient. Le groupe est plus proche du rapport dynamique présent dans les quatuors à cordes qui peuvent être très narratifs avant d’“envoyer” » analyse Grégory Dargent. Les actuels remous dans le monde arabe – où ils se rendent régulièrement – ont-ils eu un impact sur leurs créations développant des ambiances dark et dérangées ? Forcément… « Un des morceaux a été écrit en pensant à Kadhafi qui hurlait un interminable discours avant de repartir avec sa voiture de golf électrique blindée. Hallucinant ! » Pour l’heure, les musiciens alignent des rythmiques « violentes et dramatiques », des thèmes à tiroirs et quelques mélodies « qui tuent ». Reste à monter l’ensemble, à ciseler et polir. « On aime quand c’est fin. »


danse on ice Conte chorégraphique dansé par Anne-Laure Rouxel, L’Inouîte est avant tout une fable, glaciale et brûlante à la fois, sur notre rapport au monde. Pour l’occasion, le Théâtre Jeune Public se métamorphose en immense banquise.

Par Hervé Lévy Photo de Hervé Cohonner

À Strasbourg, au TJP Grande Scène, du 25 au 29 janvier 03 88 35 70 10 www.theatre-jeune-public.com

1 Également metteur en scène, il enseigne au Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris et a dirigé l’atelier de sortie du Groupe 38 de l’École du TNS, en juin 2010, avec Sous l’œil d’Œdipe 2 Explorateur norvégien (1872-1928). Il fut le chef de l’expédition qui, la première, atteignit le pôle Sud en décembre 1911

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«

l a mis des mots sur ma danse » explique Anne-Laure Rouxel, interprète (et chorégraphe) seule en scène. “Il” c’est Joël Jouanneau, un des auteurs contemporains les plus marquants du théâtre français1. Tout est parti « de deux photographies. La première a été prise par Roald Amundsen2 et montre un enfant inuit vêtu de peaux de bêtes portant des lunettes pour se protéger de la luminosité de la neige. Sur la seconde, de la même époque, on peut voir deux gamins devant un igloo. Un frère et une sœur, vraisemblablement. » Dans un conte du grand nord, la danseuse incarne cette petite fille « descendue sur terre comme un flocon ». La pièce est l’histoire d’un chemin de vie, d’une découverte du monde qui part de l’immobilité – au début, elle est prise dans la glace – pour y revenir… Mais entre ces deux instants, il y aura « de la douleur, des colères, des états d’âme, de la séduction, de l’ennui, du plaisir, on volera comme un oiseau, pêchera dans un trou d’eau… » La danse et les mots alternent sans jamais se mêler, « se complètent et se répondent en permanence » dans un décor

glacé, un “sol miroir” où est installée une chambre d’enfant immobile dans laquelle tout un bric-à-brac, posé sur un lit vertical, est figé par le gel. Sur des musiques aux accents septentrionaux (de Meredith Monk à Björk, en passant par des sonorités naturelles où l’on entend des icebergs se briser ou le vent souffler), la danse se fait souple et poétique. Des influences chaleureuses, indiennes ou hawaïennes, y sont perceptibles. Anne-Laure Rouxel incarne la destinée de cette petite fille qui fera d’étranges rencontres. Celle de la tribu des Aglaklaks, les adorateurs de la lettre K est la plus surprenante : « Tu viens d’oùK ? », « Tu fais KoiK ? » Le dialogue est bizarroïde. Les mots s’entrechoquent, les cultures se heurtent… mais peu à peu, au rythme où le plateau se réchauffe, les cœurs se rapprochent. Réflexion sur la destinée individuelle et spectacle d’apprentissage, L’Inouîte se fait alors fable sur l’altérité et le respect des différences à usage « des enfants de 7 à 107 ans ».

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humanimal nature Gare au Gorille d’Alejandro Jodorowsky et son fils Brontis, fable poilue pas si poilante présentée dans le cadre du festival Décalages1. Un monologue sous forme de conférence, au Théâtre de Haguenau.

Par Emmanuel Dosda Photo de FeniceFestiva2008/ Ph Spot.it

À Haguenau, au Théâtre, mardi 24 janvier 03 88 73 30 54 www.relais-culturelhaguenau.com

À voir au festival Décalages Magic Dust (Compagnie du Azhar), le 17 janvier à la MAC de Bischwiller, Attila, Reine des Belges ou l’Odyssée d’une mère (Marie-Elisabeth Cornet), le 19 janvier à l’Espace Rohan de Saverne ou encore Matin brun (Compagnie L’Astrolabe), le 26 janvier au Moulin 9 de Niederbronn www.scenes-du-nord.fr

La quatrième édition du festival de théâtre innovant Décalages a lieu du 17 au 28 janvier, dans les sept relais culturels des Scènes du Nord Alsace. 2 Alejandro Jodorowsky est à la fois scénariste de BD (dessinées par Boucq ou Mœbius), réalisateur (notamment du western métaphysique El Topo où apparaît le tout jeune Brontis) et écrivain 1

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e Gorille – pièce adaptée du Rapport pour une académie de Franz Kafka par Jodorowsky père et fils – c’est un grand singe d’Afrique s’étant “humanisé” afin d’échapper aux cages du zoo. Sur le plateau, derrière un pupitre, le personnage à la face simiesque, mais fort bien accoutré, raconte son histoire : la jungle, sa capture, l’apprentissage de la parole, ses débuts dans le music-hall, etc. Un peu comme Tarzan une fois arraché à sa forêt ou le héros de Human Nature de Gondry, il s’est doucement sociabilisé et débarrassé (en apparence, car certains gestes le trahissent) de ses comportements animaux pour devenir un bon citoyen… en l’occurrence un riche industriel. Le Gorille – primate qui s’“auto-dresse” et se métamorphose, thème éminemment kafkaïen, en homme –, c’est l’évolution de Darwin résumée en une heure. Envisageant le théâtre comme un art collectif et étant marqué par « l’esprit de troupe » du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine qu’il fréquenta, Brontis Jodorowsky fut hésitant « lorsque [s]on metteur en scène de père [lui] a proposé ce solo » qui faisait suite à deux autres spectacles faits ensemble. Il accepte cependant ce « pas dans l’inconnu » et endosse ce rôle très physique. Le comédien parle et bouge beaucoup, faisant quelques “singeries”, une prothèse sur la tête et du maquillage couvrant son visage. Un défi pour lui, une performance où « le corps est impliqué, mais

la parole ne doit pas être essoufflée. Ariane Mnouchkine disait souvent : “Jouer, c’est mettre en forme des passions”. J’ai toujours aimé le travail du corps, mais je ne cherche qu’à raconter une histoire en trouvant l’endroit juste : ni trop singe, ni trop homme. » Le Gorille, c’est une création familiale, un « théâtre très épuré, basé sur l’acteur » dans une scénographie, une mise en scène et avec une musique signées Alejandro Jodorowsky, célèbre touche-à-tout2. Créée par un « enfant d’émigrés russo-juifs échoués au Chili » (dixit Alejandro) et son fils né au Mexique (et vivant en France), la pièce parle du déracinement et « de l’effort que l’on fait afin d’être accepté, ou plutôt toléré, par les autres en devenant ce que l’on n’est pas ». Le singe a adopté tous les comportements qu’il a observés pour répondre à des normes et entrer dans le moule. « Est-ce que tout ça en vaut la peine ? », se questionnera l’homme-singe sorti de sa cage mais devenu lucide quant à son enferment social. « Il faut se rendre compte qu’on est prisonnier dans un labyrinthe avant d’en chercher la sortie » positive le fils de celui qui inventa le mime de l’homme dans une cage de verre pour Marcel Marceau. Au spectateur de projeter ce que le gorille fera de cette prise de conscience car, selon Brontis Jodorowsky, « le théâtre est un gymnase-club où l’imagination se muscle. »


ange et démon Avec Erendira, d’après l’œuvre de Gabriel García Márquez, la compagnie Premier Acte offre un envoûtant poème visuel où rêve et réalité s’entremêlent pour donner vie au merveilleux.

Par Lisa Vallin Photos de David Anemian

À Cernay, à l’Espace Grün, mardi 7 février 03 89 75 74 88 www.espace-grun.net À Sélestat, aux Tanzmatten, jeudi 9 février 03 88 58 45 45 www.tanzmatten.fr À Obernai, à l’Espace Athic, samedi 11 février 03 88 95 68 19 www.espace-athic.com À Saverne, à l’Espace Rohan, mardi 14 février 03 88 01 80 40 www.espace-rohan.org À Illkirch-Graffenstaden, à L’Illiade, jeudi 16 février 03 88 65 31 06 www.illiade.com www.erendira.fr

J

« ’

ai rencontré, il y a longtemps, dans un village perdu des Caraïbes, une petite fille de onze ans qu’une vieille femme prostituait. Ce souvenir est resté ancré dans ma mémoire, non pas comme un roman, mais plutôt comme un drame imagé. » Voilà où Gabriel García Márquez a puisé pour écrire L’incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique, un recueil de nouvelles où se déploie, dans toute sa dimension enchanteresse, le réalisme magique de l’écrivain colombien. Matérialiser sur scène la complexité d’un univers, dont seule la littérature semble être à même de receler tous les secrets, est cependant un pari bien osé. Le metteur en scène Sarkis Tcheumlekdjian le relève avec sensibilité, en collant son oreille au crissement de la plume. « La prose de García Márquez réveille nos imaginations, fait resurgir des mondes que nous ignorions… alors même qu’ils nous habitaient. Il suffit de l’écouter pour s’apercevoir qu’elle est une musique avant d’être une image », confie-t-il. C’est donc par des notes que tout commence avec un choix misant sur la mémoire sensorielle du spectateur, autrement dit sur sa nostalgie. « La musique est le paysage merveilleux que ne dit pas forcément le décor. »

Pour dérouler le fil de cette incroyable histoire, deux conteuses ouvrent une porte dans la brume : orpheline de père et de mère, la jeune et belle Erendira est élevée par Grandmère, personnage mythique et diabolique, qui la fait travailler jusqu’à l’épuisement. À tel point qu’un soir, la jeune fille s’endort en oubliant d’éteindre sa chandelle : à l’aube, la somptueuse demeure n’est plus que cendres. Pour la rembourser, Erendira obéit à la vieille femme et accepte de se prostituer, vendant à prix d’or sa virginité. Grand-mère achète alors un âne et une tente, entraînant la jeune fille dans le désert, de place en place, pour récupérer l’argent de la dette. Au bout de six mois, elle a fait ses comptes et estime qu’elle sera remboursée « dans huit ans, sept mois et onze jours, à raison de soixante-dix hommes par jour ». « Ici, même l’effroyable est poétique », souligne le metteur en scène. « Autour des protagonistes, on rencontre une bicyclette qui avance en toute immobilité, un perroquet de chiffons, des rubans qui font retentir des clochettes, des personnages muets dont la voix vient d’ailleurs. Et toujours ces deux conteuses mêlant passé et présent, rêve et réalité, morts et vivants... »

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Sans titre (l’arbre et son ombre), 2008/09

l’éternité et un jour Si Samuel Rousseau*, exposé au CEAAC, ne cherche pas à « brasser la merde mondiale » grâce à ses œuvres, il représente – certes avec humour et poésie – les hommes comme des fourmis et la société en broyeuse. No future ? Non, la vie poursuit son cycle.

Par Emmanuel Dosda

À Strasbourg, au CEAAC, jusqu’au 12 février 03 88 25 69 70 www.ceeac.org

* Né en 1971 à Marseille, Samuel Rousseau est connu en Alsace pour son projet monumental Helioflore, installation lumineuse aménagée sur les parois du château d’Andlau www.samuelrousseau.com

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« Un squatter qui travaille pour Hermès », c’est ainsi que cet ex-Rmiste (« le RMI est la meilleure subvention jamais allouée aux artistes ») de longue durée, sélectionné par le prestigieux Prix Marcel Duchamp en 2011, se définit. Le cul entre deux chaises. À la fois porte drapeau du (feu) Brise-Glace, atelier alternatif grenoblois, et créateur d’une vidéo mettant en scène une collection de cravates pour la luxueuse griffe parisienne, Samuel Rousseau décrit un monde trop vaste et complexe pour nous, pauvres êtres sans repères qui cherchons à nous en sortir, comme son P’tit Bonhomme. Ce personnage dans une projection mise en boucle tente en vain de grimper sur l’escalier du CEAAC, tel Sisyphe. Symbolise-t-il la condition du plasticien ? Il s’agit plutôt d’une métaphore de la vie,

même si Samuel Rousseau avoue volontiers que « c’est dur d’être artiste. Il faut la foi, l’acharnement de P’tit Bonhomme. Parfois, la critique te casse en deux et tu mets quinze jours à t’en remettre. » Rousseau a opté pour ce « métier » parce qu’il lui offre une grande indépendance. « Ma liberté est ce qu’il y a de plus important. Si on devait comparer la culture à une pyramide, l’art serait le sommet, ce qu’il y a de plus aiguisé car il ne répond à aucun critère, à aucune demande », affirme cet autoproclamé « clown » et « petit-fils de Duchamp », prêt à faire le pitre en public, mais considérant très sérieusement son domaine. « L’art est vital pour notre âme… après une bonne choucroute », s’amuse-t-il.


ART CONTEMPORAIN – STRASBOURG

Une démarche politique

Ainsi, Samuel Rousseau, qui apprécie lorsque son travail lui échappe, octroie plusieurs niveaux de lecture à ses pièces. Chemical house, non présente au CEAAC – une foule de personnages vidéo se pressant dans des plaques de médicaments – nous évoque la représentation de l’enfermement de l’homme devenant malade ? Lui parle plutôt d’agents actifs capables de guérir. Soit, mais difficile cependant de ne pas voir la monstrueuse projection vidéo sur un bas-relief Brave old new world – assemblage de buildings en mouvement formant une sorte de vaisseau spatial / usine à gaz – comme l’image de la ville qui avance en broyant les êtres humains ? Samuel Rousseau acquiesce : « Brave old new world, c’est New York, la capitale du monde. Les mégalopoles sont des rouleaux compresseurs. Si tu trébuches, tu es réduit à néant. »

dans lequel nous évoluons n’est pas bien beau, ça n’est pas de la faute à Rousseau qui cherche au contraire à y glisser de l’imaginaire. L’artiste revendique le fait de réaliser, parfois, des « œuvres gentilles ». Durant l’expo, le visiteur se trouve immergé dans une Constellation de baisers, au milieu d’innombrables bouches qui semblent vouloir l’embrasser… peut-être pour le consoler de sa situation inconfortable, au pied de cette Montagne d’incertitude (pièce montrant « le corps face à la verticalité » et la difficulté) qu’il tente tant bien que mal de gravir.

L’art est vital pour notre âme… après une bonne choucroute

Un peu d’éternité, Samuel Rousseau, 2009

Nous songeons aussi à son Lessive raciale (non présente au CEAAC), machine à laver et essorer les hommes. « Je suis en réaction face au monde. Plus jeune, j’étais dans des groupuscules d’extrême gauche où on faisait de la politique à grands coups de manches de pioche… L’art est une meilleure façon de résister face au monde qui te contraint. » Sans pour autant chercher à rendre son travail « attractif » ou pur plaisir rétinien, il essaye de s’adresser « à tout le monde, dans n’importe quelle frange de la société, ici ou à 15 000 kilomètres de chez moi. » Son vocabulaire est riche, mais la technique reste discrète car « le médium n’est que le véhicule de l’idée », il est mis au service d’une forme épurée. « Plus tu es pur, plus tu ouvres les champs », selon celui qui aime à répéter : « J’essaye de faire des images mentales, de petites graines qui vont se figer dans le cerveau et se développer de façons différentes, en fonction des gens. »

Un art « gentil »

Au premier étage de la salle d’exposition, nous découvrons deux très belles œuvres : Un peu d’éternité (qui pourrait être un hommage à Gerhard Richter et aux vanités en général) et Sans titre (l’arbre et son ombre), sortes de haïkus en trompe-l’œil. La première met en scène une chandelle éteinte. Grâce à un tour de passe-passe artistique, son ombre devient incandescente. Jeu entre réel et virtuel, toujours, avec l’arbre miniature dont le reflet montre son cycle de vie, saison après saison, le principe de la vidéo en boucle rendant le végétal immortel, éternel. Car si le monde Poly 146 Janvier / Février 12

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MUSIQUE – STRASBOURG

adam et ève au shtetl Depuis 1992, le LufTeater œuvre à faire connaître la culture yiddish. Avec Les Chants du Pentateuque, la compagnie strasbourgeoise s’attaque à une des figures emblématiques du genre, l’écrivain Itzik Manger (1901-1969).

Par Hervé Lévy Illustration de Hadrien Gras

À Strasbourg, au TAPS Gare, du 14 au 19 février 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu www.lufteater.com

1 Un grand village ou un quartier juif en Europe de l’Est avant la Seconde guerre mondiale 2 Région des Carpates aujourd’hui située en Roumanie et en Ukraine

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A

strid Ruff prévient d’emblée : « Itzik Manger peut être considéré comme le troubadour de la littérature yiddish. Bien qu’il ait été très prolifique, il demeure néanmoins peu connu du grand public. » Le texte qu’elle a choisi de monter, après La Meguile et Mes Aventures au Jardin d’Eden, en yiddish (surtitré) est inspiré du premier livre de la Bible. « À l’époque où le recueil de poèmes est publié, le milieu des années 1930, tout le monde connaît ces histoires par cœur. La Genèse est presque le “quotidien” des gens. Le défi était de faire comprendre les saynètes à un public du XXIe siècle » explique Rafaël Goldwaser, son complice du LufTeater. Le moyen choisi ? Un spectacle chanté et dansé avec « une voix off qui éclaire le spectateur, en resituant ce qui se joue sur le plateau dans son contexte, en racontant ce qui lie les différents instants entre eux » selon la metteuse en scène Sabine Lemler. Malgré leur point d’appui religieux, les poèmes, une douzaine au total, sont tout sauf des pensums à visée moralisatrice, puisque leur auteur n’a peur, « ni des anachronismes, ni des caricatures, ni de la farce » selon Astrid Ruff. L’irrévérencieux Itzik Manger se

moque avec facétie et lyrisme de tout dogmatisme. Ses personnages sont humains, tellement humains. Il est donc logique que tout se déroule dans son shtetl 1 natal de Tchernovitz (Bucovine2) : on y croise Adam et Ève, Abraham et Sarah, Jacob et Isaac… pour une exégèse très décalée du texte sacré. Sur une scène dépouillée, où sont simplement projetées des illustrations d’Hadrien Gras, les chants virevoltent avec joie. Astrid Ruff et Rafaël Goldwaser incarnent deux saltimbanques des temps modernes qui parcourent les chemins – avec quelques accessoires – pour narrer l’épopée drolatique et poétique d’Itzik Manger. Ils nous entraînent dans un monde désormais presque disparu, l’enjeu étant évidemment, au-delà du spectacle, de continuer à faire exister une littérature et une langue qui, aujourd’hui, survivent uniquement grâce à ce genre d’initiatives. Au fil des minutes, progressivement, les assonances germaniques du yiddish associées à une musique composite – où se rencontrent rap, reggae, influences slaves… – transportent le public dans un univers singulier qui réinvente avec jubilation quelques histoires fondatrices de l’occident.


20.01.2012  20:30

Compagnie BlaCk BlanC Beur

jeune public

www.lacoupole.fr

tel. 03 89 70 03 13

N° de licence d’entrepreneur du spectacle : 136138-139-140 ~ Conception : starHlight / CHIC MEDIAS ~ Photo : ©Laurent Paillier

my tati freeze danse hip hop


eMotion digitale Les jongleurs humanoïdes rêvent-ils de balles virtuelles ? Nul doute à la vue du Cinématique d’Adrien Mondot, invité par Les Migrateurs et Le Maillon. Un voyage entre jonglage contact, danse et projections interactives. Par Thomas Flagel Photo d’Adrien Mondot

À Strasbourg, au Théâtre de Hautepierre, du 20 au 25 janvier 03 88 27 61 81 www.le-maillon.com www.lesmigrateurs.org Rencontre ludique avec Adrien Mondot, samedi 21 janvier à 15h (réservation au 03 88 27 61 81)

À Thionville, au Nord-Est Théâtre, du 29 au 31 mai 03 82 82 14 92 www.nest-theatre.fr

I

l aurait pu rester un scientifique atypique de l’Institut national de recherche en informatique et automatique de Grenoble, pratiquant en autodidacte passionné le jonglage. Mais le besoin de création et de liberté a été plus fort. C’est en enfant de la balle qu’Adrien Mondot vivra. Son intuition et sa fascination des images et du mouvement le poussent à délaisser la technicité pure de ses pairs circassiens pour concevoir des spectacles balayant toutes les frontières disciplinaires. Le développement, patient et assidu, de son propre logiciel informatique, eMotion – tout à la fois “émotion” et “electronic motion”, c’està-dire mouvement électronique – donne naissance à des spectacles totalement novateurs. Cette technologie permettant d’animer et de jouer avec des projections numériques (toutes sortes de lettres, symboles et formes) exerce un incroyable pouvoir de fascination. Mais Adrien n’est pas pour autant un technologiste, eMotion n’étant qu’un moyen de créer des matières virtuelles fonctionnant comme autant de paysages dans lesquels évoluer, se mouvoir pour émouvoir. Avec Cinématique, il nous emmène en balade, accompagné de la danseuse Satchie Noro. Dans un espace blanc, sorte de livre ouvert, les décors se manipulent sous nos yeux. De l’eau dans une boîte

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équipée d’une caméra donne un lac. De petits cailloux placés et déplacés en direct forment des rochers sur lesquels sauter. Une table retournée fait office de radeau de fortune, quelques gouttes d’encre noire créent le déferlement d’un déluge. Tout ici est épuré, les deux personnages confrontés à d’incessants changements de décors, comme autant de rêveries éveillées : l’eau se fige et craquelle sous leurs pieds en myriades de cristaux et lorsqu’elle se transforme en quadrillage 3D à la Tron, ce sont des pics de glace en anamorphoses que l’on découvre. Comme dans un jeu vidéo interactif qui tenterait sans cesse de les piéger, les deux compères dansent, jouent et vivent entre crevasses et bosses dans une fausse inertie toute poétique. Le défilement du décor (de gauche à droite mais aussi d’avant en arrière) amène une géniale réinvention des composantes de la danse par la dématérialisation du rapport entre le corps, les objets et l’environnement : l’énergie déployée prend appui sur la confrontation et la relation des corps aux espaces et aux temps créés, modifiés et animés à l’envi par les arts numériques. Les quelques phases de jonglage, fluides et inventives, déstabilisantes et tournoyantes, répondent aux claques visuelles de typhons de lettres et d’onomatopées naissant en un flux de fumée manipulé à vue.


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Poly_

univerre Proposée dans le cadre de la Biennale Internationale du Verre1, l’exposition Éclats ! permet au Musée Würth d’explorer les multiples possibilités d’un matériau ici montré dans tous ses états : moulé, taillé, thermocollé, soufflé, gravé…

Par Hervé Lévy Photo de Geoffroy Krempp pour Poly (Jaroslav Matouš, Kiwi, 2008)

À Erstein, au Musée Würth, jusqu’au 4 mars 03 88 64 74 84 www.musee-wurth.fr

1 Organisée par l’European Studio Glass Art Association du 14 octobre au 28 novembre www.biennaleduverre.eu 2 Complémentaire d’Éclats !, l’exposition Fragile, le verre contemporain européen dans la Collection Würth se tient jusqu’au 26 février au Kunstforum Würth de Turnhout (Belgique) www.wurth.be 3 Voir Poly n°145 et www.poly.fr

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C

e n’est que très récemment – depuis la fin des années 1950 – que le verre a acquis son statut de “medium artistique” et qu’il est entré dans les plus prestigieuses collections2. Dans ce mouvement d’émancipation visant à affranchir un matériau jusque-là intimement lié à l’artisanat et à l’industrie de ses attributs utilitaires, le rôle du Studio glass movement a été fondamental. Au premier étage du musée, on découvre des œuvres de son fondateur, Harvey K. Littleton (avec Blue green ribbon forms, une création torsadée et polychrome), et de ses héritiers qui ont su « se libérer de l’impératif fonctionnel » comme l’écrit, dans le catalogue, Bettina Tschumi, historienne de l’art et conservatrice de la Collection d’art verrier du Musée de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne. Au rez-de-chaussée, sont montrées des créations plus récentes.

Dans cette exposition se croisent ainsi les néons ludiques de François Morellet, les formes organiques de Caroline Prisse3, les délicates gravures d’Antoine Leperlier, les forêts de verre soufflé à l’aspect phallique de Vincent Breed, les jeux géométriques de William Velasquez, les facétieuses Raide boules de Daniel Depoutot ou encore les étrangetés abstraites faites d’écran de téléphone portable concassés signées Josepha Gasch-Muche. Si l’œuvre la plus impressionnante du parcours est sans conteste l’installation mystique de Renato Santarossa – elle occupe toute une salle et plonge le visiteur dans un univers flottant minéral et végétal à la fois – nous gardons une tendresse particulière pour des pièces plus intimes comme celles de Zora Palová, où l’on sent les influences de Henry Moore, et de Jaroslav Matouš avec son Kiwi à la subtile transparence.


Poly_Expo200x270_Poly_Doisneau200x270 10/01/12 14:24 Page1

www.region-alsace.eu

LA RÉGION ALSACE

EXPOSE... nvier

jusqu’au 27 ja

La Maison de la Région expose près d’une centaine d’œuvres emblématiques de Tomi Ungerer. Une partie de ces œuvres a été réalisée spécialement par l’artiste pour l’Association internationale des Amis de Tomi Ungerer. D’autres sont prêtées par des collectionneurs souvent anonymes, heureux de faire découvrir des documents originaux, affiches, sérigraphies ou objets créés par l’artiste. Un sablier accueille les visiteurs. Il a été élaboré par les étudiants et les professeurs de l’Institut National des Sciences Appliquées de Strasbourg, avec l’aide des élèves du lycée du Haut-Barr à Saverne, à partir du dessin réalisé par Tomi Ungerer pour son anniversaire.

Prochaine exposition à la Maison de la Région : L’histoire du football en Alsace du 1er au 24 février

1 Place Adrien Zeller ■ B.P. 91006 67070 STRASBOURG Cedex Ouvert du lundi au vendredi de 9 h à 18 h ■ Entrée libre Crédits photos : DR


ARTISTES ASSOCIÉS

être ou ne pas être macbeth En résidence à l’Espace 110, la Compagnie des Rives de l’Ill de Thomas Ress explore la plus sombre des tragédies shakespeariennes, dans une audacieuse réécriture. Ladies - Macbeth joue sur les ambiguïtés entre féminin et masculin pour dire l’humaine soif de pouvoir. François Mathey qui avait déjà adapté La Métamorphose de Kafka, présentée au dernier festival d’Avignon. « Dans Shakespeare, Macbeth a des réactions féminines et Lady Macbeth se conduit en homme. Ne souhaitet-elle pas être “désexuée” ? », s’interroge l’auteur de Ladies - Macbeth qui réussit à distiller l’ambiguïté tout en conservant la trame narrative originelle. L’archétype de la femme cruelle et manipulatrice disparaît pour mettre sur un pied d’égalité le couple diabolique. Alors Macbeth, homme ou femme ? À moins qu’il ne soit les deux à la fois ? La pièce dépasse le clivage des sexes, pour porter son regard sur le genre humain, ses failles, ses vices, ses vanités.

Par Dorothée Lachmann Photo de Thierry Sother

À Illzach, à l’Espace 110, du 26 au 28 janvier 03 89 52 18 81 www.espace110.org www.rivesdelill.fr

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«

S

hakespeare est un peu mon auteur fétiche », confie Thomas Ress, metteur en scène de la compagnie des Rives de l’Ill. « J’avais déjà monté Macbeth en 2005, pour un travail d’études, et j’ai eu envie d’aller plus loin et d’exploiter cette pièce en lui faisant dire d’autres choses. » Le jeune artiste mulhousien ne se contente pas de creuser la matière, il entend la transformer. « Ce qui me dérange dans la version shakespearienne, est cette image de la femme, serpent tentateur ou démon. J’ai préféré orienter la réflexion sur l’humain face à la quête du pouvoir, plutôt que sur la question du rapport homme / femme. » Pour cela, il a fait appel une nouvelle fois à l’auteur Jean-

Quatre comédiens jouent subtilement de ces ambiguïtés mises en abyme, en incarnant à la fois les personnages principaux et les rôles secondaires. Les fameuses sorcières ne seraient-elles pas l’autre visage de Lady Macbeth ? Thomas Ress les a voulues outrageusement vulgaires, imbibées d’alcool, mais s’exprimant dans l’impeccable langue de Shakespeare. Les acteurs, en déséquilibre sur un plan incliné jalonné de pièges, sont constamment mis en danger, parce que « jouer Macbeth, c’est tout donner. Les personnages sont conduits par leurs tripes, leur sexe, leur ambition, leur désir ». Derrière eux, l’inquiétante forêt de Birnam se meut par la magie d’une projection vidéo sur un rideau de fils, dans l’atmosphère musicale pénétrante créée par Vincent Eckert. « Un univers sans lumière habité par des êtres aveugles qui tournent en rond et se heurtent dans le noir. Et les plus désespérés sont les plus violents. Le tableau est sombre. Pourtant il est un cri à vif pour que l’espoir soit possible », conclut Jean-François Mathey.


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Le Pays de Montbéliard se réinvente à GRANDE VITESSE !


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À 40 ans, Nathacha Lesueur poursuit son exploration photographique des relations corps / aliments. Travail pointilleux de studio, cette éphémère mise en scène, pastiche d’un plat chinois (au jugé, beignet de crevettes en sauce ou canard laqué entier), constitue l’un des “détournements alimentaires” présenté à l’Arsenal. Dans la droite ligne de Giuseppe Arcimboldo, qui peignait des portraits à l’aide

d’astucieux assemblages de végétaux au XVIe siècle, la photographe se joue des mets et des matières pour mieux troubler le regard, distiller le doute sur la constitution de ce qui nous est donné à voir. Chair humaine ou cuisse de poulet ? Corps objet de consommation ou aliment sujet de fascination ? Cette nature morte revisitée pourrait bien être plus vivante qu’appétissante. Quoi que…


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Renée Fleming © Andrew Eccles/ Decca

carmen crue La mythique mise en scène de Carmen de Bizet que Calixto Bieito imagina en 1999 est reprise au Theater Basel. Entre franquisme déliquescent, sexualité torride et bohémiens très “kustiriciens”, elle n’a pas pris une ride.

Par Hervé Lévy Photo de Hans Jörg Michel

À Bâle, au Theater Basel, jusqu’au 17 juin +41 61 295 11 33 www.theater-basel.ch

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epuis sa création remarquée à l’hispanique Festival Castell de Peralada, la production de Carmen du metteur en scène catalan Calixto Bieito a tourné dans les plus grands théâtres d’Europe. On la vit récemment à Barcelone avec un couple de rêve, Béatrice Uria-Monzon / Roberto Alagna. La voici à Bâle, dans une nouvelle et harmonieuse distribution et sous la baguette alerte et inspirée de Gabriel Feltz. Sur la scène, pas de décors… ou si peu : une cabine téléphonique, un mât où flotte mollement le drapeau espagnol et une immense silhouette de taureau apparaissant à l’Acte III, décalque parfait du logo de la marque de spiritueux Osborne. L’action se déroule dans un espace temporel flou, quelque part entre la fin des années 1970 et le début des eighties, entre franquisme déclinant et Movida naissante, entre machisme traditionnel et libération sexuelle. Les gitans, eux, semblent tout droit sortis d’un film d’Emir Kusturica avec un look improbable et des Mercedes chargées jusqu’à la gueule de télés de contrebande envahissant la scène.

Le parfum de soufre qui a pu entourer une production jugée provoc’ il y a quelques années s’est dissipé : on a vu largement “pire” depuis… Ne demeure qu’une mise en 54

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scène paradoxalement épurée où l’important se concentre sur le jeu des chanteurs et les mouvements de foule. Quelques excès inutiles (les scènes de sexe presque explicites dans la taverne de Lillas Pastia avec Mercedes et Frasquita, cette dernière s’essuyant la bouche après une pipe ardente) sont à déplorer, mais l’ensemble trouve son sens dans une économie de moyens de tous les instants, (re)donnant leur puissance aux éclairages et à des artefacts aussi ancestraux que des fumerolles. Entre Eros et Thanatos, vulgarité et sensualité, la Carmen de Calixto Bieito est une femme fatale éternellement libre… C’est comme si le metteur en scène grattait le mythe jusqu’à l’os, nous entraînant au centre d’un « cirque plein de sang ». La force de cette production éclate dans l’extraordinaire scène collective du quatrième acte (« Les voici, les voici, voici la quadrille ! ») : face au public, les chanteurs, adultes et enfants rassemblés, simplement séparés de la fosse d’orchestre par une corde tendue à un mètre du sol, sautent sur place, agitent leurs bras… Voilà un instant suspendu, une chorégraphie construite sans afféterie aucune où la musique est parcourue d’une indicible énergie vitale qui, à elle seule, justifie le déplacement à Bâle.


ÉCHAPPÉES LYRIQUES

mythique Renée Fleming © Andrew Eccles/ Decca

Début 2012, le Festspielhaus de Baden-Baden est the place to be pour tous les lyricomanes : sa nouvelle production d’Ariadne auf Naxos de Richard Strauss (mise en scène par Philippe Arlaud) fait en effet figure d’idéal. Elle rassemble, autour du charismatique chef d’orchestre Christian Thielemann et de la Dresdner Staatskapelle, Sophie Koch, Renée Fleming, Jane Archibald et René Kollo. À découvrir du 18 au 25 février… s’il reste des places. www.festspielhaus.de

épique Au Théâtre de Besançon sera donnée, en version concertante, Dardanus, tragédie lyrique de Rameau (vendredi 17 février). Sous la baguette du jeune chef Raphaël Pichon (à la tête de l’Ensemble Pygmalion) évoluent quelques voix exquises, Gaëlle Arquez (photo) et Bernard Richter en tête. En route pour une épopée baroque où Amour règne en maître, lorsqu’il n’est troublé par Jalousie et Soupçons… www.letheatre-besancon.fr

(post) romantique Cette année, est célébré le 150e anniversaire de la naissance d’un compositeur bien oublié, Frederick Delius (18621934). Le Badisches Staatstheater de Karlsruhe nous propose de redécouvrir son opéra emblématique, A Village Romeo and Juliette (du 28 janvier au 12 mai) avec une mise en scène d’Arila Siegert. Il s’agit d’une transposition du mythe où les influences de Wagner sont perceptibles dans un univers… paysan. www.staatstheater.karlsruhe.de

Croquis du décor © Rifail Ajdarpasic

comique Avec cette Italienne à Alger de Rossini, coproduction entre l’Opéra national de Lorraine (à Nancy du 17 au 25 février) et l’Opéra-Théâtre de Metz (du 7 au 11 mars), les situations burlesques s’enchaînent à un rythme effréné… La mécanique comique culmine dans la cérémonie où le Bey intègre la confrérie des Pappataci (littéralement “mange et tais-toi”). Un immense et salutaire éclat de rire imaginé par un compositeur de 21 ans ! www.opera-national-lorraine.fr http://opera.metzmetropole.fr Poly 146 Janvier / Février 12

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la mort immortalisée Dans La Beauté et la Mort, plus de 120 œuvres retracent l’histoire de la nature morte animalière entre le XVIe et le XXe siècle. Lièvres, canards, chevreuils, homards, perdrix, brochets… Tout un bestiaire à jamais immobile.

Par Hervé Lévy Tableau de Frans Snyders, Cellier avec un servant (1615 / 1620), Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Alte Pinakothek, Munich / bpk

À Karlsruhe, à la Staatliche Kunsthalle, jusqu’au 19 février (visites guidées en français les samedis et dimanches à 14h30) + 49 721 926 33 59 www.kunsthalle-karlsruhe.de

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e parcours débute avec un Canard mort, aquarelle d’Albrecht Dürer qui écrivait : « En vérité, l’art est dans la nature et il faut l’y aller chercher », une phrase qui pourrait être le credo de cette passionnante exposition. Il s’achève par Faisan, une photographie en noir et blanc de Robert Mapplethorpe (1984) : si près de 500 ans séparent ces œuvres, elles n’en entretiennent pas moins une singulière parenté. Les deux volatiles figés dans la rigidité du trépas produisent en effet une impression similaire sur le visiteur montrant la permanence, à travers l’histoire, d’une thématique aux résonances multiples : simples études anatomiques, affirmation de la richesse et de la puissance des commanditaires, réflexion sur la fugacité de l’existence – l’homme n’est-il pas in fine un animal comme les autres ? – ou encore exaltation mystique de la richesse et de la beauté de la création divine. Entre ces deux pôles temporels se déploient des œuvres d’une grande diversité, tour à tour gaies, mélancoliques, austères, sereines, frivoles, décoratives… Parmi les multiples artistes présentés – Rubens, Rembrandt, Sisley, Goya, Ensor, Beckmann, Soutine etc. – certains sont de

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véritables maîtres du genre. Il en va ainsi de Frans Snyders (1579-1655) et de ses fascinants amoncellements d’animaux morts : dans Le Marché aux poissons, anguilles, crabes ou esturgeons s’empilent dans un pathétisme intensément baroque formant une pyramide d’écailles mouvante aux reflets argentés qui donne le sentiment d’une opulence vaguement gluante. Pensons également à Jan Weenix (1642-1719), un des derniers représentants de l’âge d’or hollandais. Ses multiples natures mortes au gibier composées avec sophistication sont le reflet du mode de vie des plus riches – on aperçoit souvent un château ou un parc en arrière-plan – et de leur passion favorite : la chasse. Baignées de luxe et d’élégance, ces toiles raffinées fourmillent de détails : un papillon volète autour d’oiseaux morts, un olifant de corne est délicatement placé à l’avant-plan… « On s’en approche et on s’en éloigne avec le même étonnement. Weenix réussit à insuffler la vie à des créatures qui en sont privées » écrivait Goethe à propos d’un artiste qui a su, avec virtuosité, aller au-delà de la réalité, un moyen de transcender et de surpasser la nature, en quelque sorte.



MARIONNETTES – MONTBÉLIARD

sur le bout des doigts Avec Hand Stories, MA Scène nationale accueille l’un des grands maîtres chinois de la marionnette, Yeung Faï. Sa dernière création transcende les codes traditionnels et évoque le destin bouleversant de sa famille.

son solo Scenes of the Beijing Opera, un spectacle devenu culte où il revisite la tradition avec beaucoup d’humour. Dans Hand Stories, sa nouvelle création, cette question de la survie d’une connaissance à travers les générations est au cœur de l’histoire. Histoire intime, familiale, qui évoque l’apprentissage d’un art de la marionnette devenu héréditaire. Histoire d’un pays aussi, de ses richesses et de ses traumatismes. Avec infiniment de grâce, Yeung Faï raconte la persécution dont fut victime son père pendant la Révolution culturelle, l’exil de son frère parti en quête du rêve américain.

Par Dorothée Lachmann Photo de Mario Del Curto / Strates

À Montbéliard, au Théâtre municipal, mardi 31 janvier 0 805 710 700 www.mascenenationale.com

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epuis l’âge de quatre ans, il entraîne et assouplit ses doigts, leur imposant une savante gymnastique. Pourtant, Yeung Faï l’affirme : « La force ne vient pas des mains, mais du plus profond de mon être. Mon esprit et mon corps doivent se trouver à l’unisson. » Héritier d’une tradition ancestrale, il est issu de cinq générations de maîtres marionnettistes. « Cette transmission de père en fils, de maître à élève, est très fragile. Dans l’histoire de ma famille, cette petite lumière a bien souvent failli s’éteindre. Aujourd’hui encore, un tel savoir est en danger, il y a donc, pour moi, une réelle urgence à transmettre ce patrimoine qui n’est pas spécifiquement chinois, mais universel. » Virtuose dans la fabrication autant que dans la manipulation des marionnettes à gaine, Yeung Faï a fait le tour du monde pendant plus de vingt ans avec

Mêlant le fantastique au réel, il convoque des dragons fabuleux, des tigres féroces, des soldats en kimono, des moines facétieux, des courtisanes séductrices… Les scènes de combat, les vestes qui s’envolent, les assiettes qui tournent : toutes ces images imprimées dans la tradition de l’Opéra de Pékin sont ici reproduites en miniature, avec une précision inouïe. Les saynètes sans paroles se succèdent, comme autant de petits poèmes vivants, visuels et sonores, où il est question d’engagement, de destin, de fraternité et de mémoire. D’un artiste condamné à l’errance, aussi. Le tragique y côtoie constamment la drôlerie, la fantaisie s’appuie avec respect sur la tradition. Par l’expressivité extraordinaire de ses figurines – dont la plus grande mesure cinquante centimètres – Yeung Faï réussit, d’un petit mouvement de phalange, à susciter des émotions profondes, faisant passer le spectateur, en un instant, du rire aux larmes…


AFFINITÉS, DÉCHIRURES & ATTRACTIONS FRAC ALSACE 8 FÉV C13 MAI

FELIX SCHRAMM

FRAC ALSACE 20 JUIN C 30 SEPT

FRAC ALSACE 14 NOV 2012 C 24 MARS 2013

VERNISSAGE 19 JUIN / 18H30

VERNISSAGE 7 FÉV / 18H30

VERNISSAGE 13 NOV / 18H30

NAJI KAMOUCHE

L.A.C. / SAINTE-MARIE -AUX-MINES 30 MARSC20 AVRIL VERNISSAGE 29 MARS À 18H

WEEK-END DE L’ART CONTEMPORAIN

FRAC ALSACE & DANS TOUTE L’ALSACE 17 + 18 MARS

NUIT DES MUSÉES

FRAC ALSACE 19 MAI DE 19H À 1H

FESTIVAL NOUVELLES STRASBOURG

FRAC ALSACE & PÔLE SUD 27 MAI DE 11H À 19H

FONDS RÉGIONAL D’ART CONTEMPORAIN Agence culturelle d’Alsace 1 espace Gilbert Estève Route de Marckolsheim BP 90025 F-67601 Sélestat Cedex tél. : + 33 (0)3 88 58 87 55 http://frac.culture-alsace.org

NICOLAS BOULARD

Visuel Kathleen Rousset, graphisme Polo

Liberté à Brême de Rainer Werner Fassbinder Éditions de L’Arche Mise en scène Mathias Moritz Cie Dinoponera / Howl Factory, Strasbourg Création 2010 Taps Gare (Laiterie) du mar. 24 au sam. 28 janvier à 20h30 dim. 29 janvier à 17h

Les Taps info. 03 88 34 10 36 www.taps.strasbourg.eu


GASTRONOMIE

le bonheur est dans le parc Il y a cinq ans exactement, Éric Westermann reprenait les rênes du Buerehiesel. Sa cuisine s’est rapidement imposée comme l’une des plus délicates de la région. Retour dans le Parc de l’Orangerie…

Par Hervé Lévy Photo de Stéphane Louis pour Poly

Le Buerehiesel est situé dans le Parc de l’Orangerie à Strasbourg. Ouvert du mardi au samedi (midi et soir). Menus de 35 € (uniquement à midi, sauf samedi) à 88 € 03 88 45 56 65 www.buerehiesel.fr

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orsqu’Antoine Westermann laisse, en février 2007, son prestigieux établissement (trois Macarons au Guide Michelin) à son fils Éric pour voler vers de nouvelles aventures, rien n’est gagné d’avance. Très rapidement cependant, l’adresse est (re)devenue incontournable. La recette ? Le chef la résume en une seule phrase : « J’ai voulu rendre la maison plus abordable, la rouvrir aux Strasbourgeois en travaillant toujours le produit avec exigence. » Exit donc l’atmosphère solennelle et quelque peu empesée de jadis. On vient ici « casser la croûte » dans une atmosphère plus détendue, sans argenterie, ni compositions florales alambiquées sur les tables, avec moins d’amuses bouches et un service qui a su trouver le juste équilibre entre décontraction et distinction. Et ce n’est pas l’obtention d’un premier Macaron, en 2008, qui a changé quelque chose, le menu de midi (35 €) conservant un rapport qualité / prix imbattable. Sur la carte, le produit est magnifié, qu’il soit noble ou plus banal – « On peut faire des choses sublimes avec un merlan » – les circuits courts sont privilégiés (le chef se

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voyant comme « le dernier maillon d’une chaîne initiée par le producteur ») et les références régionales assumées avec pour seul objectif de « faire plaisir au client ». Bien sûr, l’ombre du père plane encore parfois sur la cuisine du fils – évolution ne rimant pas forcément avec révolution – comme dans les mythiques et exquises Schniederspaetle et cuisses de grenouilles poêlées au cerfeuil… Reste qu’Éric Westermann a su se faire un prénom en proposant des symphonies délicates en harmonie avec les saisons. Preuve en est donnée avec un sublimissime Mulet de roche rôti, mijotée de légumes à la truffe noire, quelques feuilles de mâche et jus de volaille vinaigré ou encore avec des gibiers d’exception, « toujours chassés localement, à l’affût », la bête traquée n’ayant évidemment pas la même finesse (en raison des décharges d’adrénaline qui contribuent à déliter les chairs). Vérification faite avec le Carré de sanglier bête rousse rôti, tourte de pomme de terre aux pieds de cochon, boudin noir et champignons des bois… Voilà un giboyeux voyage d’hiver qui tient toutes ses savoureuses promesses.


GASTRONOMIE

20 sur vin

www.vigneron-independant.com

1 prix L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération

Respect du terroir, travail de la vigne, récolte du raisin… les Vignerons indépendants qui nous convient à leur salon strasbourgeois sont résolument engagés dans leur métier. Tokay Pinot Gris, Côte de Nuits-Villages, Floc de Gascogne ou Saint-Nicolas-de-Bourgueil : tous les meilleurs crus répondront à l’appel(lation), du 17 au 20 février, au Parc des expositions du Wacken.

4 étoiles

© Jo Pesendorfer

Le Trophée de la clientèle des hôtels quatre et cinq étoiles a été remporté par La Cheneaudière. Les visiteurs ont plébiscité l’établissement de Colroyla-Roche, véritable havre de paix dont la table – qui n’est sans doute pas pour rien dans ce beau résultat – est également renommée… notamment pour son magnifique Homard entier en fricassée ou sa trilogie de foies gras.

Le palmarès du neuvième Concours international des “meilleurs effervescents du monde” 2011 est tombé il y a peu. Parmi les 24 pays représentés (soit plus de 550 échantillons testés par 100 experts), le Crémant d’Alsace Brut Wolfberger est devenu le meilleur effervescent blanc du monde ! À déguster à partir du mois de mars… www.wolfberger.com

www.cheneaudiere.com

Dans La Route des saveurs, la journaliste Nadine Rodd propose un tour de France insolite des chefs étoilés en 26 recettes. Ils nous dévoilent en outre toutes leurs adresses secrètes : un ouvrage pour savoir où Laurent Arbeit (Auberge SaintLaurent, Sierentz) aime manger italien, Julien Binz (Le Rendez-vous de Chasse, Colmar) achète ses fromages, Philippe Bohrer (Le Crocodile, Strasbourg) se fournit en vins, Olivier Nasti (Le Chambard, Kaysersberg) a l’habitude de déjeuner… Une mine de bons plans ! Paru aux éditions Sirius (19,90 e)

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération

26 chefs

1 001 sushis Planet sushi a ouvert son Testaurant (pas de faute d’orthographe, mais un jeu de mots) strasbourgeois il y a peu (2 place Saint-Pierre-le-Vieux). Au menu, les classiques nippons, sushis, sashimis et compagnie, mais aussi de surprenantes découvertes. Mentionnons simplement les makis parfumés au foie gras (en photo) ou au Nutella. C’est frais, c’est kawaii (comme le décor aux couleurs girly) et en plus on peut commander (08 26 00 33 33 ou sur le site). Que demande le peuple ? www.planetsushi.fr Poly 146 Janvier / Février 12

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ARCHITECTURE

la vie du rail L’arrivée à quai du TGV Rhin-Rhône marque un nouvel élan pour Mulhouse. Grâce à des travaux dirigés par SEURA architectes urbanistes, le quartier gare fait peau neuve, participant à l’actuelle “régénération” de la ville.

Par Emmanuel Dosda

www.seura.fr www.mulhouse.fr

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a Maison européenne de l’architecture – Rhin supérieur Europäisches Architekturhaus – Oberrhein

* La ZAC TGV-Canal est portée par la Communauté d’agglomération (M2A) et la Ville de Mulhouse

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nze décembre 2011. Inauguration de la branche Est (140 km sur 190 en tout) de la LGV Rhin-Rhône, reliant Mulhouse à Dijon en passant par Belfort et Besançon. Premier TGV “décentralisé” (qui ne passe pas par la case Paris), le train permet de joindre Lyon en 2h40 chrono, mais aussi la capitale, dans le même temps, via Dijon. Cette nouvelle impulsion sur la ville, proche de la Suisse et de l’Allemagne, est accompagnée d’une vaste opération d’aménagement du quartier gare.

Tous les moyens de transport aujourd’hui présents font de ce site un pôle multimodal attractif : TGV, mais aussi TER, tram-train, tramways, bus, automobiles (la voie Sud traversera prochainement le quartier), vélos (une piste sera bientôt achevée le long du canal), piétons (avec une nouvelle signalétique) ou même bateaux. D’où le projet d’en faire un quartier à dominante tertiaire : la ZAC TGVCanal*, à l’entrée de la ville et à proximité du centre, avec bureaux, hôtels et commerces, qui rassemblera sociétés et administrations

sur une zone s’étendant du quai d’Oran au quai d’Alger. Selon Jean Rottner, maire de Mulhouse, cette gare TGV permet d’affirmer la position stratégique de la cité, une situation géographique « rêvée qui peut intéresser les entreprises et séduire des investisseurs ». Reste à « donner confiance » en ce territoire. « Il ne faut pas avoir peur de dire que nous avons un foncier disponible, nettement moins cher qu’à Bâle », vante-t-il.

Une vue plongeante

Pour mener à bien ce projet de longue haleine (fin des travaux estimés à 2023), les opérations ont été confiées à SEURA, Société d’Études d’Urbanisme et d’Architecture

Plan-masse de la ZAC à terme

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(créée en 1989) qui a déjà planché sur le réaménagement du Quartier des Halles à Paris, un éco-quartier à Douai ou un parc d’activité à La Courneuve. L’architecte Philippe Solignac et les autres membres de l’agence parisienne furent d’abord interpellés par le canal Rhin-Rhône en sortant de la station SNCF construite vers 1930 : « Nous avons tout de suite pensé à la gare de Venise, Santa Lucia, qui donne sur le canal Grande. Une impression forte. » La présence de la voie d’eau mulhousienne n’était pas assez mise en valeur aux yeux de SEURA qui a « développé le projet dans ce sens-là. Parallèle au faisceau ferré, elle nous a permis de dessiner la traversée de la ville d’Est en Ouest, de mettre en place tout un aménagement paysagé suivant cette linéarité. » Pour une vision directe sur l’eau, SEURA a prévu la destruction de la dalle servant actuellement de dépose-minute et recouvrant le canal. Une fois supprimée, un passage piéton mènera droit vers le parc de la place du Général de Gaulle. Pour l’heure, les voyageurs peuvent (depuis fin 2011) profiter de l’extension du parvis de la gare – allant jusqu’aux ponts d’Altkirch et de Riedisheim – et bénéficier de la première tranche du parking-relais de deux niveaux (450 places, à terme).

Un passé industriel

Le parvis est perçu comme la « grande dorsale » liant les éléments présents sur la Zone d’aménagement concerté (ZAC) : le bâti-

ment de bureaux Lazard (déjà construit), l’ancien tri postal réhabilité en antenne du Conseil régional (permis de construire déposé), le bâtiment de l’ancienne société commerciale des potasses et de l’azote qui accueillera la souspréfecture (en phase finale) ou l’hôtel (objet d’un concours, il s’agira de « l’élément signal, autour duquel tout s’articule») d’une centaine de chambres. Des commerces, au rez-dechaussée, redynamiseront la ZAC où la nature a une place de choix, un rôle structurant : la végétation, présente au bord de l’eau, sera ramenée à l’intérieur des îlots, comme pour consolider ce fragment de ville. Afin d’assurer sa cohérence, SEURA a élaboré un cahier des charges à destination des futurs promoteurs et architectes. Philippe Solignac : « Nous leur laissons une liberté d’expression tout en donnant des orientations : couleurs, géométries, ambiances, gabarits ou hauteurs. » Un dialogue avec le passé industriel de Mulhouse est envisagé, « sans pastiches », mais grâce à quelques clins d’œil. Le prochain immeuble de bureaux construit (au-dessus de la nouvelle extension du parking) arborera une façade « en double peau de métal, comme du tissage. Son aspect cinétique sera lié à la vitesse, au mouvement ». Sans jamais faire « abstraction de l’existant », le nouveau pôle tertiaire “tisse” des liens avec l’histoire de l’ancienne grande ville des filatures et actuelle plaque tournante ouverte sur l’Europe qui regarde le futur arriver… à très grande vitesse.

À terme, un front urbain en continuité du bâtiment voyageur et un nouveau quartier gare, projet en cours d’étude

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DESIGN

un plan simple Discret designer indépendant installé à Strasbourg depuis 2004, Stéphane de Sousa privilégie toujours la simplicité des formes et la clarté du propos. Présentation de ses créations géométriques et pratiques.

Par Emmanuel Dosda

www.stephanedesousa.com

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urant notre entretien, attablés dans un café, le créateur saisit sa tasse et s’interroge : « Ne serait-il pas plus commode de placer l’anse sur la soucoupe afin de la porter comme un bougeoir ? » Il range cette astucieuse idée dans le tiroir “projets à réaliser” de sa tête avant de résumer

Bibliothèque Lee 64

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sa démarche. « Je ne fais pas partie de ces designers qui cherchent à initier des comportements. Ayant tendance à me trouver en retrait, en observation, je prends un malin plaisir à essayer de déceler une attitude, un comportement répandu et pas réellement conscient. » Et d’évoquer sa pièce emblématique, la table de chevet / marque-page en acier Aurora (2007, voir photo) qui permet de poser son bouquin, au bon chapitre, sans avoir besoin de le mettre à plat ou l’écorner. Étrangement, ce prototype n’est pas encore édité alors que très largement commenté dans la presse internationale (Wallpaper, etc.) ou par les pros. À bon entendeur… Aurora a cependant un cousin germain nommé Decoupe (2009) et édité par Ligne Roset : un porterevues réversible qui rappelle également l’art de l’origami et permet une « utilisation standard » tout en remplissant la fonction de marque-page. « Nous sommes tellement habitués aux objets de notre quotidien que nous ne les remettons plus en question », insiste-t-il. Intéressé par la notion de « lecture dans l’habitat », Stéphane de Sousa a créé un certain nombre d’objets qui s’adaptent à « nos modes de stockages et de consommation de livres ou de magazines, à la manière dont ils vivent dans une maison ». Suite à des visites chez de grands lecteurs, il remarque « des couloirs entiers de livres de poche rangés sur deux couches ». Sa solution ? Simplissime : une étagère adéquate, très peu profonde et munie d’un petit support « décoratif » pour poser un vase ou un bibelot. Cette bibliothèque en bois appelée Lee, spécialement conçue pour recevoir des collections 10-18 ou J’ai lu, est autoéditée en série limitée (2008, voir photo). Citons encore Esprit (2009), à la fois table basse et « joli écrin » pour présenter ses “beaux ouvrages d’art”… habituellement


Porte-revues réversible Decoupe

Quand je dessine un objet, il faut qu’en une image, on puisse le comprendre

« plus ou moins négligemment posés ». Stéphane de Sousa collectionne les idées qu’il accumule et trie avec de les proposer, au culot, à Roset, Cinna ou même Marionnaud, enseigne à laquelle il a soumis une gamme de cosmétiques rappelant le look de feutres colorés. Sa passion pour le design vient de sa ferveur pour le dessin. Depuis l’âge de cinq / six ans où il noircissait « des nappes de papier dans les restaurants », le jeune homme (né en 1975 à Colombes) dessine énormément. Ado, fan de voitures comme beaucoup de garçons de son âge, il s’imagine devenir designer automobile. Il en inventera une (de petit gabarit, économique, comme on en voit beaucoup sur les routes aujourd’hui), mais n’en réalisera jamais… Alors qu’il a pour modèle certains carrossiers (« les lignes très simples des prototypes de Pininfarina »), Jacobsen et le design scandinave ou les minimalistes japonais, Stéphane entre à l’ENSCI (École nationale supérieure de création industrielle à Paris). Il y pratique la photographie (son regard de photographe n’est pas étranger à la conception de ses « projets immédiatement lisibles ») et sort diplômé en 2000. Freelance dès l’année suivante, il travaille au sein d’entreprises (décoration, agencement…), pour des scénographies (l’exposition des 20 ans de l’agence VU’ à Paris…) et ses propres créations avec ce credo : « Si ce n’est pas simple, ce n’est pas une bonne idée. » Selon lui, « plus votre objet est simple plus il doit être soigné, au millimètre ». Ses futurs projets seront très certainement géométriques, « loin du biodesign de Luigi Colani » (des lignes ergonomiques inspirées par la nature), fidèles à son style. Il évoque une table basse composée de « quatre pièces en bois identiques qui s’imbriquent », des luminaires et un paravent, « rigide, sur une économie de matière ». Mais

toujours pas de chaise… considérée comme « une mise à l’épreuve de la créativité des designers. Comment faire quelque chose de nouveau, d’intéressant, qui n’est pas gratuit ? Je ne suis pas assez présomptueux : c’est l’objet ultime devant lequel, pour l’instant, je reste humble. »

Projet de lampe inspiré du lampadaire Arco de Castiglioni

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antoine de maximy, reporter voyageur Par Thomas Flagel

Dernier pays où vous avez failli ne pas réussir à dormir chez quelqu’un. En Iran. C’est le seul pays où j’ai cru ne pas réussir. Finalement, dans le car me ramenant à Téhéran la veille de mon vol retour, j’ai rencontré un jeune prof d’anglais avec lequel j’ai accroché tout de suite.

dormant chez les gens, et je risque d’y arriver, je les mettrais trop dans la galère, voire en danger par rapport au régime.

Dernier livre emmené en voyage. Je n’en emmène jamais. Je n’ai pas le temps pour ce média trop lent pour moi qui ai la bougeotte.

Dernière question que vous aimeriez qu’on vous pose. J’ai toujours sur moi une feuille toute prête (qu’il sort de son sac, NDLR) contenant les questions – et les réponses ! – qui reviennent tout le temps. Je leur donne, comme ça, on parle d’autre chose !

Dernier cliché combattu dans J’irai dormir chez vous. Il y a des questions à la con dans ton questionnaire “à la Proust” (rire). Quand tu fais un docu, tu le prépares et l’écris en te basant sur tes prédécesseurs qui ont fait de même. Il y a donc une grande inertie entre la préparation du documentaire, son tournage et la réalité du pays. Moi, je vais dans un pays tourner ce que je vois, sans rien préparer. Dernière destination où vous voudriez tourner J’irai dormir chez vous. La Birmanie, même s’il y en a d’autres. En 66

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Dernier moment de solitude. Ça arrive le dimanche. Chaque dimanche même… C’est un jour de merde où la terre s’arrête.

Dernier mode de transport que vous réemprunteriez. Mon Ambassador, en Inde. Dernière parution. J’irai dormir chez vous – Carnets d’un voyageur taquin, Éditions de la Martinière (25 €) www.lamartinieregroupe.com J’irai dormir en Amérique (Coffret 2 DVD) et J’irai dormir chez vous (Hawaï, Mongolie, Ghana, Corée du Sud et Albanie – Coffret 3 DVD)

CONCEPTION REYMANN COMMUNICATION // MONTAGE BKN.FR // LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

Last but not least


e e l a t i enn Cap é p ro

Orchestre PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG

eu

CONCEPTION REYMANN COMMUNICATION // MONTAGE BKN.FR // LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169

ORCHESTRE NATIONAL

JEUDI 9 & VENDREDI 10 FÉVRIER PMC Salle ÉraSMe - 20H30 • Petri Sakari direction • Philippe Bianconi piano

raCHManinoff Concerto pour piano et orchestre n° 3 en ré mineur op. 30

MouSSorgSki Tableaux d’une exposition (orchestration Leo Funtek)

SAISON 2011>2012

Renseignements : 03 69 06 37 06 / www.philharmonique.strasbourg.eu Billetterie : caisse OPS entrée Schweitzer du lundi au vendredi de 10h à 18h Boutique Culture, 10 place de la cathédrale du mardi au samedi de 12h à 19h

experts-comptables


EXPOSITION

BAS-RHIN / MADAGASCAR, ENTRE ILL ET GRANDE ILE

« DES ÉCHANGES SOLIDAIRES »

DU 11 JANVIER AU 5 FÉVRIER 2012 HÔTEL DU DÉPARTEMENT PLACE DU QUARTIER BLANC À STRASBOURG Du lundi au vendredi de 10h à 18h, le week-end de 14h à 18h.


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