Poly 216 - Janvier 2019

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N°216

janvier 2019

poly.fr

Magazine

LES VAGAMONDES Arthur H Füssli Lomepal



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SACRÉ

Le Musée de la Cour d’or de Metz présente une exposition d’importance explorant Art et dévotions, de Liège à Turin, entre le Xe et le XVIIIe siècle. Intitulée Splendeurs du Christianisme (jusqu’au 27/01), elle présente des chefs-d’œuvre comme une statue reliquaire de Saint-Martin (1612), un élégant buste de calcaire de Marie-Madeleine (vers 1443), une Vierge de l’Apocalypse de l’ancienne église des Célestins de Metz (vers 1375-1376, en photo) ou encore un extraordinaire ostensoir de la fin du XVIIe siècle.

© Caroline Ablain

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Métropole / L. Kieff

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BRÈVES

FESTOCHE Du 21 janvier au 6 février, le CDCN Dijon Bourgogne Franche-Comté organise Danse à Dijon. Un festival conviant Marine Chesnais et son complice Swann pour un duo vibratoire et sensoriel (Rhein, 21/01), Catherine Diverrès (Blow the bloody doors off, 24/01) avec huit danseurs et sept musiciens à la recherche d’un espace-temps déplaçant nos consciences ou encore une mise en corps du Howl de Ginsberg par Shlomi Tuizer (Holy, 04/02). art-danse.org

musee.metzmetropole.fr

CHINE & CHOC Pour sa 13e édition, le strasbourgeois Salon Européen Antiquité, Brocante & Design de la Bourse (19 & 20/01, Salle de Bourse) propose un plateau séduisant. Au menu de cet événement (labélisé par le très exigeant Syndicat national du commerce de l’antiquité, de l’occasion et des galeries d’art), belle brocante et stands d’antiquaires de haut niveau, de design, de vêtements et accessoires vintages, mais aussi de mobilier XVIIIe, de tableaux, d’appareils photo anciens et de daguerréotypes. Mentionnons également la présence d’un spécialiste mondialement reconnu des émaux de Longwy et de l’Art nouveau et de Chris’Broc avec notamment un couple dansant pétri de délicatesse sculpté en 2015 par Pascale Ladevèze. Cette harmonieuse composition de stands d’une modernité baroque permettra à chaque visiteur de trouver son bonheur. brocantes-strasbourg.fr

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© Musée du Pays de Sarrebourg

BRÈVES

C’EST LE BOUQUET ! Le Bouquet de Delphine © Musée du Pays de Sarrebourg

Voilà une exposition permettant de présenter au public, pour la première fois, une pièce exceptionnelle destinée à Delphine de Custine (1770-1826) : un incroyable bouquet réaliste et poétique réalisé par les ouvriers de la Manufacture de Niderviller pour celle qui fut surnommée “la Reine des roses” et était… l’épouse du propriétaire ! Autour de ce chef-d’œuvre acquis par le musée, l’exposition Pétales de porcelaines (jusqu’au 09/01, Musée du Pays de Sarrebourg) réunit des œuvres florales – notamment d’extraordinaires fleurs modelées – des plus grandes manufactures : Meissen, Vincennes, Lunéville, Strasbourg… Sont également à découvrir, les créations contemporaines inspirées du monde végétal de Rose-Marie Crespin. sarrebourg.fr

ESPACES Les œuvres de l’artiste nantais Patrick Cornillet sont présentées à Strasbourg, sur les cimaises de la Galerie Bertrand Gillig (12/01-02/02). Marquées par l’antinomie de la présence et de l’absence ainsi que par les notions de trace et de mémoire, ses peintures confrontent une architecture brute et inachevée à la nature, sans la moindre trace d’être humain. Entre poésie pure et cauchemar postapocalyptique. bertrandgillig.fr

© Caroline Doutre

Heavy Light 6, 2018

DUO DE CHOC Lorsque deux immenses virtuoses se retrouvent cela donne un concert d’exception. Voilà ce qui nous attend à L’Arsenal de Metz (16/01) avec le pianiste François-Frédéric Guy et le violoniste Tedi Papavrami. Ils vont dialoguer autour de pièces de Mozart, Debussy et Beethoven dont sera donnée la célébrissime Sonate à Kreutzer. À la pureté du son et au phrasé expressif du prodige albanais se conjugueront le piano clair et l’articulation précise de l’instrumentiste français. citemusicale-metz.fr Poly 216

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BRÈVES

INDIEN

Point fort des collections du Museum Rietberg, les miniatures indiennes sont le sujet d’une passionnante exposition de l’institution zurichoise : Liens de famille (jusqu’au 17/02) met en pleine lumière deux frères qui œuvrèrent au XVIIIe siècle, Mânaku – qui a illustré avec couleur et fantaisie des contes populaires mythiques – et Nainsukh. rietberg.ch

Lutte entre des singes et des ours ivres, vers 1720. Photo : Rainer Wolfsberger, Musée Rietberg, Zurich

G. Barborini, Le Premier territoire, 2017 © M-C Conilh de Beyssac

NATUREL

À Castel Coucou (Forbach), le Master 2 Art de l’exposition et de la scénographie de l’Université de Lorraine, organise l’exposition Particules sauvages (jusqu’au 22/02). Sont rassemblées des œuvres (issues de la collection du Frac Lorraine et réalisées par de jeunes artistes de la région) évoquant une réflexion sur le sort des liens physiques et spirituels unissant l’espèce humaine et son environnement naturel. castelcoucou.fr

Historisches Museum Basel - Barfüsserkirche © Natascha Jansen

NOCTURNE

Vendredi 18 janvier à 18h sera donné le coup d’envoi de la 19e Nuit des Musées de Bâle (jusqu’à deux heures du matin). 36 institutions de la cité helvète ouvrent leurs portes, proposant plus de 200 animations en tout genre. Voilà belle manière de découvrir différemment l’Antikenmuseum, le Cartoonmuseum, le Kunstmuseum, la Fondation Beyeler, et bien d’autres… La Fondation Fernet-Branca de Saint-Louis où officiera DJ Céline.b (dès 22h) sera aussi de la partie. museumsnacht.ch

FANTASTIQUE

Avec comme présidents du jury Benoît Delépine et Gustave Kervern, le 26e Festival international du Film fantastique de Gérardmer (30/01-03/02), part sur de bonnes bases. La nouveauté du cru 2018 ? Une section Rétromania où sont présentés des films fantastiques de patrimoine rares comme Maniac de William Lustig ou La Rose écorchée de Claude Mulot. festival-gerardmer.com

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sommaire

16 Rencontre avec Nicolas Mathieu, Prix Goncourt venu de Lorraine

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18 Les Vagamondes célèbrent les Cultures du Sud 22 Dernière pour le festival Décalages 24 Interview avec le chorégraphe Alban Richard, entre poésie et psychologie des foules

28 Rencontre avec Bruno Meyssat autour de 20 mSv, pièce sur le nucléaire

36 Entretien avec Arthur H, docteur love de la chanson

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38 Lomepal à la folie ! 42 L’OPS et Le Maillon présentent un Winterreise new style en forme de réflexion sur les migrations

46 L ’art contemporain namibien se dévoile au Musée Würth

48 Exposition sur L’Opera ! nancéien 36

50 1518, la fièvre de la danse, analysée au Musée de l’Œuvre Notre-Dame

54 J ohann Heinrich Füssli, un romantique noir au Kunstmuseum Basel

58 Richter Architectes et associés : Équerre d’Argent, la plus importante distinction en France !

60 Promenade autour du Hilsenfirst 66 Un dernier pour la route : révolution chinoise en Bourgogne

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COUVERTURE Cette photographie signée Nathalie Sternalski retranscrit l’atmosphère de Ce que le jour doit à la nuit de Hervé Koubi (18/01, dans le cadre des Vagamondes organisée par La Filature de Mulhouse, voir page 18). Une quête envoûtante des racines algériennes du chorégraphe inspirée par le roman éponyme de Yasmina Kadra. cie-koubi.fr – lafilature.org nathaliesternalski.com 8

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OURS · ILS FONT POLY

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Emmanuel Dosda

Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une quinzaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren.

Thomas Flagel

Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes dans Poly. Amsterdam, 2018 © Irina Schrag poly.fr

Sarah Maria Krein

Cette française de cœur qui vient d’outre-Rhin a plus d’un tour dans son sac : traduction, rédaction, corrections… Ajoutons “coaching des troupes en cas de coup de mou” pour compléter la liste des compétences de SMK.

RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Ont participé à ce numéro Claire Lorentz-Augier, Stéphane Louis, Christian Pion, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel, Cécile Walschaerts-Kranzer et Raphaël Zimmermann

Anaïs Guillon

Entre clics frénétiques et plaisanteries de baraque à frites, elle illumine le studio graphique de son rire atomique et maquette à la vitesse d’une Renault Captur lancée entre Strasbourg et Bietlenheim. Véridique !

Graphistes Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Alicia Roussel / alicia.roussel@bkn.fr Développement web Cécile Bourret / webmaster@bkn.fr

Julien Schick

Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly

Il papote archi avec son copain Rudy, cherche des cèpes dans les forêts alsaciennes, se perd dans les sables de Namibie… Mais comment fait-il pour, en plus, diriger la publication de Poly ?

Administration, gestion, abonnements : 03 90 22 93 30 Mélissa Hufschmitt / melissa.hufschmitt@bkn.fr Diffusion : 03 90 22 93 32 Vincent Bourgin / vincent.bourgin@bkn.fr Contacts pub : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Sarah Krein / sarah.krein@bkn.fr Linda Marchal-Zelfani / linda.m@bkn.fr

Éric Meyer

Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. ericaerodyne.blogspot.com

Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 € 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : décembre 2018 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE © Poly 2018. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. COMMUNICATION

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ÉDITO

2019, an neuf Par Hervé Lévy Illustration d’Éric Meyer pour Poly

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L’

année débute dans la persistante grisaille de celle qui l’a précédée. La destinée des Gilets jaunes et de leurs camps retranchés érigés à grand renfort de palettes sur des centaines de ronds-points – évoquant le bivouac des survivants dans The Walking Dead – n’est pas connue. Malgré ses délires complotistes, le mouvement n’est néanmoins qu’un prolongement, certes anarchique, de la vie du pays et ses stigmates correspondent aux blessures douloureuses d’un monde en crise. Il demeure, dans tous les cas, une part constitutive du débat démocratique. En revanche, les traces de l’attentat qui a ensanglanté Strasbourg le 11 décembre sont d’une toute autre nature. Se plaçant délibérément en dehors de la société des hommes, leur auteur nous met, une fois encore, face à l’indicible : la funeste trinité composée par l’incompréhension, la tristesse et la colère gagne les esprits et les cœurs. Nous ne pourrons jamais oublier les victimes. S’il est possible de se rallier à la vision du philosophe slovène Slavoj Žižek – « Nous ne vaincrons

pas le terrorisme si nous ne nous affranchissons pas de la doxa libérale-démocrate », écrivait-il, il y a quelques années – invitant à un changement de paradigme, il nous semble tout aussi essentiel, pour lutter au quotidien contre cette barbarie qui monte, de poursuivre avec force notre engagement pour une culture indissociable de l’éducation : « Il faut lire beaucoup de livres pour résister à un livre », affirme l’écrivain algérien Kamel Daoud, qui pointe tous les fondamentalismes. Alors oui, cherchons toujours à comprendre, plongeons dans romans, poèmes et essais, jouissons du verbe cascadant au théâtre et des notes bondissantes à l’opéra, laissons nos yeux errer dans l’immensité d’une toile, profitons de l’extase des corps dansants et permettons au simple bonheur de vivre de nous habiter au restaurant avec, à l’esprit, ces mots de l’immense Omar Khayyām « Bois du vin, puisque tu ignores d’où tu es venu ; vis joyeux, puisque tu ignores où tu iras ». C’est tout ce que nous pouvons vous souhaiter pour 2019.



chroniques

PREMIÈRE CLASSE

DANSE AVEC LES LOUPS

PROMENADE CISTERCIENNE

Gustave Doré n’a que 15 ans lorsque sont édités Les Travaux d’Hercule en 1847, son tout premier album. Dans cette parodie d’épisodes antiques, son Hercule au fort embonpoint relève les douze défis de son frère pour… une bouteille de spiritueux ! Tout y passe, lion, hydre à 7 têtes ou biche aux cornes d’or qui le fera courir un an et demi, tel Forrest Gump. Il fait preuve (déjà !) de tout son talent de caricaturiste, se moquant aussi bien du Cid de Corneille (Ô rage, ô désespoir) que du milieu de l’art, Hercule posant de manière héroïque lorsqu’il n’est pas tiré par des canards tel un roitelet d’apparat dans une coquille. Son incroyable modernité éblouit dans ses personnages devenant amas de traits sous la vitesse comme dans d’audacieux décentrages. Le gotha de la BD ne s’y est d’ailleurs pas trompé, sélection officielle de la section patrimoine du festival d’Angoulême en poche. (T.F.)

Fin 2018, dans les locaux du label Deaf Rock, nous assistons au showcase intimiste durant lequel Stanislas Poupaud, alias Yarol (ex-FFF), se produit en one man band. Le mini-concert du strasbourgeois The Wooden Wolf retiendra davantage notre attention : cordes de guitare pincées d’un geste fragile, voix tremblotante… Le visage planqué sous sa casquette, Alex Keiling présente en avant-première les titres de la bande-son de cet hiver brumeux : Winter Variations, Op. 6. Des cloches sonnent au loin et des ombres planent (notamment celles de Red House Painters ou de Palace Brothers). Les fantômes passent et l’ivresse demeure. (E.D.)

Voilà l’un des sites les plus intéressants de toute la Champagne : fondée en 1115, L’Abbaye de Clairvaux (Aube) rayonna avec intensité sur la Chrétienté cistercienne. Ce petit ouvrage fort bien écrit de la collection Parcours du Patrimoine fait découvrir au lecteur des bâtiments imposants datant, pour la plupart, du XVIIIe siècle qui furent sauvés à la Révolution grâce à l’installation de la plus grande… prison de France dont la fermeture est annoncée. Entre visite dans une abbaye extrêmement bien conservée (pourvue d’un pavillon de chimie avec un cabinet d’histoire naturelle unique dans l’Hexagone) et réflexion sur l’enfermement, ce livre réalisé par le Service Inventaires et Patrimoine de la Région Grand Est est un véritable petit bijou. (H.L.)

Paru aux Éditions 2024 (26 €) editions2024.com

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Édité par Deaf Rock (12 €) thewoodenwolf.deafrock.fr

Paru aux éditions Lieux Dits (8,50 €) lieuxdits.fr – grandest.fr


chroniques

L’ALSACE FURIEUSE

DANS TA CULOTTE

hybridation enchantée

Notre confrère des Dernières nouvelles d’Alsace Emmanuel Viau se sent comme un poisson dans l’eau au… Moyen-Âge. Après les très réussies Légions furieuses – où il entraînait son lecteur, avant Jean Teulé, au cœur de l’épidémie de danse qui secoua Strasbourg en 1518 (voir page 50) – il publie Le Sang des paysans. Dans ce nouveau polar historique – où se retrouvent certains protagonistes – très documenté et fort bien troussé, il nous emporte en 1525. S’y découvrentdes figures historiques comme Erasme Gerber, le leader charismatique des “rustauds”, et une foule de personnages bien campés, un curé sympathisant des combats paysans, une jeune femme diablement séduisante… Haletants et sanglants, ces deux livres appellent un troisième qui couronnera bientôt l’ensemble. (H.L.)

À la manière d’Elli & Jacno scato ou de Sexy Sushi sous LSD, Hermance Vasodila (chant et claviers) et Arnaud Dieterlen (prog’ et batterie) forment un duo electro-popi-caca auteur de titres coquins, voire plus si affinités, Mouse DTC. Avec Dead the Cat, les souris déglinguées jouent à chat perché sur des sonorités fluo et à saute-mouton avec des gros mots. Les espiègles bestioles mulhousiennes se jettent sur le dance-floor de la discothèque gay de Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ et en font des tartines pour nous parler des choses essentielles de La Vie comme la télé du voisin, les gens kiçonkons, Satanas et Diabolo… Les chansons de DTC font l’effet d’une fessée déculottée à dada sur mon bidet. (E.D.)

Tombé dans l’oubli depuis un siècle et demi, Le Mirliton merveilleux renaît. En 1868, on assiste peut-être pour la première fois à un duo auteur-dessinateur pour une BD. Jules Rostaing délaisse ses habituels livrets d’opéra comique et ouvrages sur la magie pour ce conte pour enfants qu’illustre le strasbourgeois Telory (connu alors pour ses dessins de presse sous le pseudo d’Henry Emy). Leur collaboration débouche sur une histoire merveilleuse, peuplée d’hybridations humaines et animales, de transformations, de sorts et d’enchantements. Le roi Berlingo et son épouse Tapioka voient une vile fée alliée du Soleil transformer leur bébé en ourson. Mais la flûte magique du titre exauce tous les vœux tant qu’ils sont demandés en musique. On se délecte de jeux de mots et de décors aussi mirifiques qu’exotiques. (T.F.)

Parus aux Éditions du Signe (20 € chacun) editionsdusigne.fr

Édité par Médiapop mousedtc.org

Coédité par les Éditions 2024 et les Éditions de la BnF (28 €) editions2024.com

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LITTÉRATURE

au pays des -ange Prix Goncourt 2018, Leurs Enfants après eux est avant tout un très grand livre, une fresque romanesque à hauteur d’homme avec pour cadre l’agonie industrielle de la Lorraine. Rencontre avec son auteur, Nicolas Mathieu.

Par Hervé Lévy Photo de Sophie Dupressoir pour Poly

Paru chez Actes Sud (21,80 €) actes-sud.fr

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Voir Poly n°168 ou sur poly.fr Parue dans L’Exil et le royaume

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e ne m’appartiens plus. Je suis devenu une institution, comme Miss France », glisse dans un sourire le nouveau Prix Goncourt, devant un verre de Riesling, Chez Yvonne au cours de l’étape strasbourgeoise de son marathon promotionnel. La journée de Nicolas Mathieu sera longue, puisque sont encore programmés la rencontre avec une centaine de lycéens et un dialogue / dédicace à la Librairie Kléber. Si son premier ouvrage, polar white trash intitulé Aux Animaux la guerre1 (2014) – devenu une série télé en novembre dernier –, nous avait séduits, le natif d’Épinal passe à la vitesse supérieure, quittant dans son deuxième roman, ses chères Vosges qu’il dépeignait version Zone blanche. Dans Leurs Enfants après eux, direction Heillange (où l’on reconnaît sans peine Hayange, mais ce pourrait être Florange, Hagondange, etc.), bourg lorrain où la sidérurgie est en phase terminale au début des années 1990 pour un ample roman d’apprentissage, « même si c’est en quelque sorte aussi un roman noir », coupe Nicolas. « Il en respecte certaines règles. L’intrigue criminelle sert à parler d’autre chose. C’est un état des lieux de la société. » Et de citer la définition du genre signée Jean-Patrick Manchette : « La littérature de la crise. » 1992, 1994, 1996 et 1998 : un groupe de personnages est suivi quatre années durant. L’écrivain s’est, par exemple, « plongé dans des livres de sociologie comme Des Capuches et des hommes de Fabien Truong pour décrire au plus près les jeunes de banlieue. »

Saga sociale, texte générationnel, roman d’apprentissage dans la droite lignée de Flaubert dont il est proche (bien plus que de Zola), lui rendant hommage avec une scène rappelant diablement celle des comices agricoles de Madame Bovary : Leurs Enfants après eux est tout cela à la fois. Autour de la figure de deux adolescents, Anthony et Hacine, évolue tout un petit monde tuant l’ennui dans la moiteur de quatre étés – « La période idéale, où la circulation sociale est plus fluide, pour évoquer l’éveil des sens dans des corps où la vie pulse avec force » – entre centre historique d’une ville périphérique en voie de désertification, banlieue pavillonnaire mortifère et cité ghetto. « Les siens, il les trouvait finalement bien petits, par leur taille, leur situation, leurs espoirs, leurs malheurs même, répandus et conjoncturels. Chez eux, on était licencié, divorcé, cocu ou cancéreux. On était normal en somme, et tout ce qui existait en dehors passait pour relativement inadmissible » : tel est le résumé fulgurant d’un univers dont les échappées belles sont rares et transitoires. À peine quelques chevauchées à moto dans une « recherche de vitesse et d’ivresse » et une éblouissante scène narrant un radieux après-midi à la piscine évoquant la nouvelle d’Albert Camus, La Femme adultère2 : « En dramaturgie, cela s’appelle “l’effet Gillette”. Dans les anciens rasoirs,


quand on avait mis une nouvelle lame, il fallait serrer à fond, puis donner un quart de tour en arrière pour ne pas qu’elle casse. Lorsque vous poussez l’action à fond, des instants de respiration, des remontées à la surface sont indispensables. » Il y a quelque chose de profondément houellebecquien dans ce livre à la sourde désespérance qui décrit le désœuvrement avec densité et maestria. « Je voulais dépeindre une époque, une vallée et une poignée de personnages. Il n’y a pas de nostalgie des années 1990, mais une immense mélancolie, le sentiment aigu du temps qui passe, attaquant les corps et les ambitions. Le texte parle de ce que nous avons été, évoque ce à quoi nous avons renoncé. La nostalgie c’est de dire et de croire que c’était mieux avant. La mélancolie ressemble à la promesse de la mort et consiste à dire que ce ne sera jamais plus. »

fragments du questionnaire de proust Le pays où vous désireriez vivre ? La France me convient plutôt. Que voulez vous, on s’attache. Vos auteurs favoris en prose ? Flaubert, Céline, Annie Ernaux. Vos poètes préférés ? Rimbaud, Aragon, Baudelaire, René Char. Rien de très original. Vos héros favoris dans la fiction ? Sherlock Holmes, Hank Chinaski, Rocky, Long John Silver. Vos héroïnes favorites dans la fiction ? Marylin dans Les Désaxés de John Huston, Gloria de Cassavetes, Rita Kleber dans Aux animaux la guerre, Arya Stark dans Game of Thrones. Vos compositeurs préférés ? Bach, Satie, Hans Zimmer. Vos peintres favoris ? Chardin, Bonnard, De Stael. Vos héros dans la vie réelle ? Jean-Luc Godard, Guy Debord, John Ford. Vos héroïnes dans l’histoire ? Jeanne d’Arc (surtout chez Dreyer), Aspasie, Virginia Woolf. Comment aimeriez-vous mourir ? Tard, subitement, debout. État d’esprit actuel ? Une joie exténuée. Poly 216

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au cœur des conflits La septième édition des Vagamondes, festival des Cultures du Sud de La Filature, propose un focus sur le Moyen-Orient. Spectacles, expos, films et conférences, pour ne rien rater des mutations du monde. Par Irina Schrag Photo de Luc Vleminckx, à gauche (Summerless) et de Muzaffar Salman, à droite (Chroniques d’une ville)

À La Filature et à l’Afsco (Mulhouse) et à l’Espace Tival (Kingersheim), aux Dominicains (Guebwiller), au Relais culturel Pierre Schilé (Thann), à l’ED&N (Sausheim), à l’Espace 110 (Illzach), à La Passerelle (Rixheim) et à La Kaserne (Bâle), du 9 au 20 janvier lafilature.org

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Voir Poly n°164 ou sur poly.fr

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K now Why the Rebel Sings. Le joli titre choisi par la jeune photographe iranienne Newsha Tavakolian n’est pas sans rappeler celui du roman autobiographique de Maya Angelou, poétesse et figure de la lutte pour les Droits civiques, I Know Why the Caged Bird Sings. De quoi donner le ton des Vagamondes, festival s’ouvrant sur les clichés d’un des grands talents actuels du photojournalisme, recruté par la prestigieuse agence Magnum. Celle qui couvrit conflits régionaux et Guerre en Irak à tout juste 20 ans, s’est ensuite tournée vers des reportages au long cours, en forme de séries auprès des combattantes au Kurdistan irakien. Ses portraits de la société iranienne livrent un regard sans fard sur une jeunesse avide de liberté face au plafond de verre islamiste, des chanteuses iraniennes interdites d’exercer leur art jusqu’à la vie quotidienne sous la censure. L’Iran encore et toujours se dévoile dans sa contemporanéité avec le retour d’Amir Reza Koohestani. Le metteur en scène clôt sa trilogie initiée par Timeloss et Hearing*. Summerless nous entraîne à la rencontre de trois personnages : un peintre, une surveillante d’école et une jeune mère. Les deux premiers vécurent ensemble, un

temps. Mais l’envie de vivre de son art de celui dont, malheureusement, les toiles ne se vendaient pas, n’était guère compatible avec celle d’avoir, pour elle, un enfant avant qu’il ne soit trop tard. Chargée de faire redécorer l’école, elle se tourne vers la seule personne qu’elle connaît, son ancien amant, pour recouvrir les slogans s’étalant sur les murs depuis la Révolution. Le peintre prend son temps, discutant chaque jour avec une maman attendant la sonnerie, assise sur le tourniquet des enfants. Petit à petit, elle découvre que c’est son portrait qui prend forme sur le mur… Amir Reza Koohestani approche la solitude de ses personnages dans un récit courant sur neuf mois. Le politique se noue dans l’intime. Passé et présent fusionnent les espoirs déchus et les rêves de possibles en trois saisons, sans été en pente douce, au plus près des êtres et de leur fragilité. Fly Like a Bird Autre événement du festival, la venue de la nouvelle pièce de Wajdi Mouawad, tout juste créée à La Colline. Tous des oiseaux renoue avec les grandes fresques du cycle du Sang des promesses (Ciels, Incendies, Littoral, Forêts) qui en firent l’incontour-


nable auteur et metteur en scène du XXI e siècle débutant. Comme souvent les destins intimes se voient bouleversés par la violence du monde et les héritages familiaux qui nous lient, surtout quand ils sont invisibles : Wahida, étudiante américaine d’origine arabe, poursuit une thèse sur Hassan Ibn Muhamed el Wazzan, diplomate musulman du XVI e siècle obligé de se convertir au christianisme après avoir été capturé par des corsaires. Eitan, jeune biologiste allemand et juif enquête sur ses origines en Israël lorsqu’il est victime d’un attentat dans un bus. Leur amour, déjà bien entamé par les raideurs parentales, se retrouve balayé par le conflit israélo-palestinien. Les identités se dévoilent, se défont et se recomposent en quatre langues (allemand, anglais, arabe et hébreu). Le drame de l’histoire secoue une génération ployant sous le poids de plaies non refermées, suintant encore et toujours une bile sombre.

Lumière sur la ville Yes Godot de l’irakien Anas Abdul Samad et Chroniques d’une ville qu’on croit connaître de Wael Kadour et Mohamad Al Rashi constituent deux créations mondiales finalisées à Mulhouse après une période de résidence. Les deux artistes syriens évoquent Damas par le biais de multiples personnages qui, tous, connaissaient Nour (infirmière, journaliste, parents, etc.). Une amie proche de l’auteur de théâtre Wael Kadour, qui mit fin à ses jours en 2011, alors que les soubresauts des Printemps arabes faisaient miroiter un changement. S’il s’exila en France, Mohamad Al Rashi n’eut pas cette chance, croupissant dans les geôles du régime. Les deux artistes se retrouvent en France autour du geste de désespoir de Nour, proposant une exploration sensible de la férocité à l’œuvre dans les systèmes politiques, économiques et religieux syriens, bien avant la guerre civile.

I know why the rebel sings, exposition de Newsha Tavakolian, à la Galerie de La Filature (Mulhouse), du 9 janvier au 17 février Summerless d’Amir Reza Koohestani, vendredi 11 et samedi 12 janvier au Relais culturel Pierre Schielé (Thann), puis mercredi 16 et jeudi 17 janvier à La Kaserne (Bâle) Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, à La Filature (Mulhouse), mercredi 16 et jeudi 17 janvier, puis au Carreau (Forbach) jeudi 7 et vendredi 8 février Yes Godot d’Anas Abdul Samad, à La Filature (Mulhouse), du 9 au 17 janvier Chroniques d’une ville qu’on croit connaître de Wael Kadour & Mohamad Al Rashi, à La Filature (Mulhouse), mardi 15 et mercredi 16 janvier

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© Sileks

jeune public

notre dû Très concernée par les changements climatiques, la danseuse et chorégraphe Héloïse Desfarges mène depuis plusieurs années avec la compagnie La Débordante une réflexion sur la crise écologique, économique et humaine qui bouleverse la planète. Comment le corps de l’artiste est-il traversé par ces questions ? La danse peut-elle éveiller un questionnement politique et changer les consciences ? Avec la complicité du comédien et metteur en scène Antoine Raimondi, Ce qui m’est dû met en mouvement le corps et la pensée de deux artistes qui ont pris conscience depuis

longtemps d’une urgence environnementale. De la ZAD à la COP, en passant par le récit intime ou des discours entendus, la force du texte déclamé rejoint l’alchimie du rythme d’une chorégraphie où le spectateur ne sait parfois plus très bien qui parle, qui danse. Cette joute physique et poétique entre un homme et une femme donne à voir la danse du monde autrement, nourri de l’envie d’agir. Vite ! (C.W.) À L’Illiade (Illkirch-Graffenstaden), jeudi 31 janvier (dès 10 ans) illiade.com

a comme ailleurs

© Christophe Loiseau

Imaginez que vous êtes invité à visiter une exposition sur le paradis. Du moins, c’est ce que vous croyez. Le titre énigmatique de l’événement est A. La pièce dans laquelle vous entrez est légèrement plongée dans la pénombre. Pas de chaise, vous déambulez donc à votre rythme, à la découverte d’une cartographie de l’Éden sur terre. Mais un intrus poussant un chariot de ménage, interprété par Paolo Cardona, et un gardien d’expo, sous les traits de Fabrizio Cenci, viennent troubler le parcours. Ils accumulent les maladresses finissent par mettre en branle tout un univers poétique. L’expo se transforme en spectacle. Tandis que le paradis se décompose sous vos yeux, de nouveaux éléments naissent de cette destruction : une maison s’envole, une mer de sable apparaît, des bateaux s’échouent sur une plage… Depuis 2015, la compagnie Skappa! & associés explore le thème du paradis, celui que nous quittons, celui auquel nous aspirons. Ce spectacle burlesque modifie les codes de la configuration théâtrale et transporte petits et grands au cœur de l’exil. Sommes-nous tous libres de choisir ? Avons-nous la possibilité de reconstruire ailleurs ? (C.W.) Au PréO (Oberhausbergen), dans le cadre des Régionales, samedi 26 janvier (dès 6 ans) le-preo.fr – culturegrandest.fr 20

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SCÈNES

Imaginez un monde où investisseurs privés et Éducation nationale auraient poussé leur collusion jusqu’à mettre sur pieds des établissements entièrement dédiés aux écrans pour une rééducation à la pratique permanente d’Internet. Les profils et données des kids de demain représentent une manne financière où se télescoperont profilages psychologique, commercial et idéologique. Une cartographie superbe d’un monde invisible permettant de manipuler le visible. Quiprocosmos, L’institut Perséphone n’est pas le nouvel épisode de Black Mirror mais un texte commandé à l’auteure alsacienne Céline Bernard, dont vous avez pu découvrir Anissa / Fragments aux Actuelles 2017. Marion Grandjean et sa compagnie Les Anges nus montent cette comédie d’anticipation – guère éloignée de ce qui nous attend – par le prisme d’un travail sonore (chant, gui-

© Tatiana Chevalier

parfaite cible tare, accordéon) amplifiant ce monde d’écrans connectant comédiens et spectateurs, personnes présentes et ceux recluses ailleurs, mais toujours online. « Ils sont attendrissants derrière leurs écrans. Une cible parfaite… » (D.V.) Au Taps Laiterie (Strasbourg), du 22 au 26 janvier taps.strasbourg.eu

© Géraldine Aresteanu

ubiquité

Scotchés par Celui qui tombe (voir Poly n°209 ou sur poly. fr), vous ne manquerez pas la nouvelle création de Yoann Bourgeois. Scala ne défie plus la gravité en jouant de la force centrifuge, mais les dédoublements. Dans un intérieur monochrome où le mobilier, comme par magie, s’effondre et disparaît dans des trappes qui attrapent, les personnages démultipliés à l’envi portent jean et chemise à carreaux (hommes), short jaune et haut gris (femmes). Autant de clones jetés dans un décor angoissant de neutralité où l’escalier central ne mène nulle part. Avec la virtuosité qu’on lui

connaît, le metteur en scène circassien multiplie les trouvailles : sauts dans l’espace grâce à des trampolines dissimulés pour donner l’illusion de l’envol et de l’apesanteur (devenue signature de l’artiste), apparitions et disparitions, dédoublements et jeux de miroirs, absence inquiétantes. Le tout sans un mot, sans une explication. On pense à Kafka comme à Brazil, à Mr. Vertigo et Dans la peau de John Malkovich. À nos rêves d’ubiquité… (D.V.) Au Carreau (Forbach), mardi 22 janvier carreau-forbach.com

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last but not least Créé en 2009 par les Scènes du Nord Alsace, le Festival Décalages baissera le rideau après cette dernière édition, pleine de rires à gorge déployée et de regards obliques sur le monde dans une ambiance fin de règne. Par Emmanuel Dosda & Thomas Flagel

Festival Décalages, dans les Scènes du Nord (Bischwiller, Haguenau, Reichshoffen, Saverne, Soultz-sous-Forêts et Wissembourg), du 12 au 29 janvier scènes-du-nord.fr Léopoldine HH, à l’Espace Rohan (Saverne), jeudi 17 janvier Garden-Party, au Théâtre de Haguenau, mardi 29 janvier puis au PréO (Oberhausbergen), samedi 2 février

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Q

ui mieux que la strasbourgeoise Léopoldine HH pour un dernier round festivalier à l’Espace Rohan ? Celle qui fut finaliste de la Nouvelle Star en 2014 avant de remporter le vénérable prix Georges Moutaski 2017 – célébrant l’album indépendant de l’année – pour son premier opus demeure une éternelle enfant qui lit du Brecht en se goinfrant de bonbons Haribo. La jeune polyglotte, auteure de chansons aussi lettrées que déjantées s’amuse « à mêler des éléments très enfantins et des références à des textes littéraires, à convoquer des pensées philosophiques tout en mangeant des crocodiles en gélatine ! » Léopoldine mixe les mots d’Olivier Cadiot et le son de la boîte à meuh, tresses blondes façon Heidi et chapitres de Gwenaëlle Aubry, mini-harpe et Hans Arp, références dada et fraises Tagada. Ses paroles, prenant parfois la forme de cadavres exquis, sont empruntées aux ouvrages des auteurs évoqués ci-dessus ou encore de Roland Topor ou de Gildas Milin. « Je n’envisage pas, pour le moment, de parler de moi autrement que par le prisme de textes d’écrivains ou poètes qui expriment mon intimité mieux que je ne saurais le faire. » Une idée résumée dans Blumen im Topf, album où elle entonne : « Ne me demande pas ce que j’ai dans la tête. Si tu

ouvres un bouquin, tu me trouveras page 7 ». Un disque où le spleen submerge et la violente ivresse virevolte sur une musique balkanique et cabaristique. Mais c’est sur scène qu’elle explose, en compagnie de sa « bande », Maxime Kerzanet et Charly Marty. Ils montent des concerts théâtraux dingos et multilingues (français, allemand, anglais et… alsacien) dans lesquels le trio se retrouve toujours, à un moment ou un autre, en maillot de bain. L’ambiance ne sera pas moins joyeuse avec la Compagnie n°8 multipliant attentats artistiques, images esthétiques vivantes, situations burlesques, scènes absurdes ou encore gestes poétiques. La Garden-Party qui se profile au Théâtre de Haguenau fait écho, par la satire, à cette France va mal, qui s’écroule et a perdu sa dignité. À l’opposé de la gronde des Gilets jaunes, des spécimens (rares ?) de l’aristocratie s’offrent un remède à la morosité ambiante. Une véritable sociologie du superflu se dévoile sans un mot. Tout en outrances, provocations, rires forcés et attitudes grandiloquentes, ces mondains d’un autre temps – s’amusant envers et surtout contre tout – débordent d’insouciance et d’indécence. Ce cabaret kaléidoscopique de comportements humains suinte de petits jeux cruels d’une bêtise crasse dépassant toutes les classes sociales.



DANSE

haranguer la foule Directeur du Centre chorégraphique national de Caen, Alban Richard présente deux pièces dans le Grand Est : la bulle poétique Nombrer les étoiles et une exploration de ce qui meut les foules dans Fix Me.

Par Thomas Flagel Photos d’Agathe Poupeney

Nombrer les étoiles, au Centre Pompidou-Metz, jeudi 10 janvier centrepompidou-metz.fr Fix Me, au Manège (Reims), vendredi 11 et samedi 12 janvier (en partenariat avec La Cartonnerie) manege-reims.eu Rencontre avec l’équipe artistique, vendredi 11 janvier à l’issue de la représentation

À la base de Fix Me se trouve un travail autour de sermons de pasteurs américains, symbole du pouvoir d’un individu sur une communauté… C’est la continuité de mes questionnements sur la manière dont le corps peut traduire rythmiquement la prosodie. Dans Nombrer les étoiles, je partais des troubadours des XIIe et XIIIe siècles pour trouver comment faire passer la durée des mots, des vers et des poèmes par le mouvement. Comme j’ai toujours travaillé avec du live, des musiciens sur le plateau ou des ensembles, je me suis dit qu’après cette bulle poétique, zen et épurée, j’aimerai travailler la surprésence et l’obsession de la répétition. Je suis tombé sur des icônes du hip-hop féministe (Lady Leshurr, Nadia Rose, Princess Nokia…) et sur d’incroyables prêches de pasteurs évangélistes. L’ensemble se liait dans cette obsession pour la persuasion et la présence.

Ces sermons sont très politiques dans l’énergie mise pour manipuler les foules, les guider. C’est plus fort que n’importe quel meeting politique, voire même James Brown sur scène ! En effet, ils haranguent, invectivent pour mettre en mouvement, pour créer un soulèvement. Tout cela est hyper ritualisé, de l’attente au changement d’état de conscience proche de la transe. Cela se rapproche du monde de la techno, des raves et des clubs dans leur recherche de libération du corps via la pulsation. Associer un musicien comme Arnaud Rebotini à mes danseurs était un défi : comment faire en sorte que l’efficacité et le pouvoir de sa musique n’écrase pas les corps ? Comment casser la relation d’autorité de la musique et déconstruire le rapport au corps ? Quelles ont été vos pistes de travail pour prendre le pouvoir par la chorégraphie ? Nous avons travaillé en contrepoint, mais ralentir les mouvement était trop simple. Nous avons alors adopté une stratégie consistant à traduire corporellement les différentes sources textuelles qui nous habitaient (prêches, morceaux de hip-hop…), même si elles ne se retrouvent pas forcément beaucoup dans le spectacle final : un éventail de transpositions a vu le jour, allant du dénué d’affect à la caricature, en passant par un simple travail isolant le rythme, l’énergie, le sens… J’ai ensuite pu composer une partition à partir de ces éléments à agencer. Très charismatique, Arnaud Rebotini joue en live avec des machines d’époque. Quel est son rapport aux quatre danseurs ? Il est l’un des cinq prêcheurs car c’est en luimême un véritable personnage sur un plateau ! Chacun a créé son rôle sur scène, construisant sa personnalité et son costume. Nous avons

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travaillé sur l’efficacité du temps présent : durant 45 minutes, ils ne lâchent pas le public, dont ils veulent tous capter l’attention de manière continue. Les contraintes que j’ai apportées ont permis de sculpter leurs déplacements, très “timés” et composés. Le titre de la pièce, Fix Me, renvoie à la fois à un appel évangéliste à l’aide de Jésus, qu’à un shoot de drogue ou un besoin d’être regardé. Ces trois acceptions restent ouvertes ? Oui, tout se mélange comme autant de pistes de lecture possibles pour le spectateur. Notre objectif reste de trouver comment rendre son corps visible dans l’insistance à la persuasion. Les interprètes ont ainsi diverses stratégies de colonisation des propositions concurrentielles des autres, comme de ralentir le rythme proposé, car ainsi on attire l’attention. Au final les prêches sont très peu présents. Le spectacle débute comme une installation sonore et lumineuse : les voix des sermons s’y mêlent comme une présence fantomatique. Mais tout cela n’est qu’un échafaudage pour bâtir la relation d’une ha-

rangue exhortant d’autres à se mouvoir comme nous le voulons ! Comment avez-vous travaillé l’entrelacement musique / partition chorégraphique, fortement interdépendantes ? J’ai rencontré Arnaud il y a trois ans pour ce projet. C’est long ! Ma proposition était de créer de la techno sur le modèle d’une symphonie classique en quatre mouvements et donc, cinq vitesses de pulsations différentes. Il me proposait des choses et nous nous nous accordions sur des textures au fur et à mesure. Le travail était simultané avec le plateau. Certains mouvements se sont radicalisés. Il a même fait un pas de côté, à ma demande, en jouant un morceau pianissimo, pas du tout dans son style, qu’il regarde comme de l’extérieur. En quoi son retour à l’utilisation d’instruments analogiques des années 1970 et 1980 a-t-il été déterminant ? Je n’aurais pas voulu d’un musicien jouant derrière un laptop ! J’aime sa présence physique et la physicalité qu’il

met en créant sa musique, allant de la console aux instruments. Le geste du musicien est donné à voir comme ce qu’il est : une chorégraphie en soi. Et puis la qualité de son est sans égale. C’est pourquoi, depuis 10 ans, il ne joue que du synthé dans ses concerts. Les danseurs empilent des blocs de carton, font et défont l’espace… Je souhaitais une scénographie en constante transformation avec un matériau brut. Ces plaques de carton sont les seuls endroits où la prise de parole des individus peut avoir lieu. Ils montent et démontent leur plateforme pour la prendre. Cela fait écho à la crise de 1929 aux États-Unis où les prêcheurs montaient sur des soap-boxes (caisses à savon) pour se faire entendre. Si l’espace est modulaire, c’est aussi en référence aux Zones autonomes temporaires, comme les raves qui sont des communautés provisoires créant des règles sur trois jours. Après, tout disparaît, même si cet endroit de société a existé.

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avis de tempête Avec Tempête !, la metteuse en scène Irina Brook propose une réinterprétation fantasque et transgressive de la dernière pièce de Shakespeare. Par Claire Lorentz-Augier Photo de Gaëlle Simon

À la Comédie de l’Est (Colmar), du 17 au 19 janvier (rencontre avec les artistes à l’issue du spectacle du 17/01) comedie-est.com À La Manufacture (Nancy), du 29 janvier au 2 février theatre-manufacture.fr

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n auteur « microcosmique » : c’est ainsi qu’Irina Brook définit Shakespeare. « Il est le metteur en scène de l’âme humaine. On peut revenir sans cesse à ses textes, il n’y a pas de limites de temps et de lieu. Tout est compris dans son œuvre. » Elle a ainsi choisi de conserver l’intrigue originelle dans Tempête ! en lui donnant une touche contemporaine : le magicien Prospero vit, banni et exilé, sur une île depuis vingt ans avec sa fille Miranda. Avide de vengeance, il règne en despote et tyrannise ses esclaves, Ariel et Caliban. Dans l’œuvre, il est Duc de Milan, trahi par son frère. Irina Brook en fait un ex-meilleur pizzaïolo de Naples, dépossédé de son titre par son meilleur ami Alonso. Lorsque le bateau du félon s’échoue sur son île – suite à une tempête qu’il a sciemment provoquée – Prospero est tiraillé entre vengeance et réconciliation. « Au départ, c’est la relation père / fille qui m’a fascinée dans cette pièce », note dans un sourire cette enfant de la balle, fille de Peter Brook. « Comment rester l’enfant de quelqu’un – qui que ce soit – puis grandir et s’en libérer ? Mais le texte aborde également la question du pardon, de la réparation du passé. ». Prospero finira en effet par donner

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sa fille, transie d’amour, au fils d’Alonso et pardonnera à son ancien ennemi. « Les textes de Shakespeare offrent différents niveaux de lecture, du divertissement à la spiritualité la plus profonde » : pour celle qui envisage le théâtre comme un « outil de transformation sociale », il était important de proposer « une version joyeuse et légère de La Tempête à un public qui, sinon, n’irait jamais voir Shakespeare. Une version qui passe par le cœur et fait la part belle au rire... Car le théâtre n’estil pas l’un des derniers lieux de rassemblement autour d’une parole qui nous élève, autour d’une histoire commune ? » La metteuse en scène resserre l’intrigue et la distribution : une bande déjantée de cinq comédiens interprète avec brio les neuf rôles originaux dans l’esprit d’un théâtre de tréteaux. Le texte a été travaillé à voix haute, collectivement, « la façon la plus fidèle de traduire Shakespeare ». Personnages flamboyants, tours de magie, airs entêtants de mandoline… Dans une fête scénique jubilatoire, le romantisme côtoie l’extravagance, la féérie se mêle au burlesque, la poésie à l’humour dans un désordre fellinien en technicolor. « Je n’oublie jamais la devise de mon père : au théâtre, le diable, c’est l’ennui », conclut-elle malicieusement.


tableaux vivants Avec Reims Scènes d’Europe, la Ville des Sacres se positionne comme l’un des pôles les plus attrayants pour les amateurs de découvertes scéniques européennes.

Par Thomas Flagel Photo de Simon Gosselin (Dans le pays d’hiver)

Reims Scènes d’Europe, à La Cartonnerie, au Césaré, à La Comédie, au Frac ChampagneArdenne, au Manège, à Nova Villa et à l’Opéra, du 24 janvier au 7 février scenesdeurope.eu The Beggar’s Opera, à l’Opéra de Reims, samedi 26 et dimanche 27 janvier Voronia, au Manège (Reims), vendredi 25 et samedi 26 janvier Bacchantes, au Manège (Reims), mercredi 6 et jeudi 7 février Dans le pays d’hiver, à La Comédie de Reims, mardi 29 et mercredi 30 janvier puis en tournée au TJP (Strasbourg, en partenariat avec Le Maillon), du 2 au 4 mai

Lire Unchained dans Poly n°215 ou sur poly.fr 2 Voir Poly n°213 ou sur poly.fr

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L

e programme est dantesque, allant de l’immanquable The Beggar’s Opera du duo phare Robert Carsen / William Christie à la danse contemporaine la plus inventive de Marcos Morau dans Voronia, comme les superbes Bacchantes de Marlene Monteiro Freitas1. À ceux qui seraient tentés de découvrir les dernières pièces d’El Conde de Torrefiel (La Posibilidad que desaparece frente al paisaje) ou de Sanja Mitrović (My Revolution is better than yours 2), guère enthousiasmantes, nous conseillerions plutôt le focus sur les nouvelles dramaturgies espagnoles. Mais aussi de se laisser tenter par l’esthétique léchée d’une des figures montantes du théâtre italien, connue pour être l’une des collaboratrices artistiques de Romeo Castellucci. Silvia Costa adapte une poignée des Dialogues avec Leuco de Cesare Pavese. Les mythes revisités Dans le pays d’hiver touchent au mystère, à la mère, à la bête comme aux dieux. Ce plateau épuré où tout appartient au symbolique est signé par la metteuse en scène qui est aussi l’une des trois interprètes, engoncées telles des statues grecques dans des corsets d’argile blanche.

Conférer à cet ouvrage sur lequel l’auteur italien griffonna ses derniers mots avant de se donner la mort relève de la gageure. Des récits doubles, à la fois poétiques et porteurs d’une part sombre de souffrance et de violence dont l’ambivalence nous laisse au-dessus d’un précipice. Ainsi Silvia Costa compose-t-elle des tableaux vivants dans lesquels le moindre geste s’exécute tel un lent rituel, immuable et secret, liant vie et mort, ciel et terre, Divinités et Hommes. Qu’elles placent une lance audessus d’elles, fracassent une maison d’argile ou se parent de bijoux les reliant en filaments dorés comme de peaux issues des entrailles de la Louve, tout semble toucher au sacré sans que quiconque n’ait le mode d’emploi. Il convient ici, plus qu’ailleurs encore, de ne pas tenter de tout comprendre. Mais de se laisser happer par les incantations de mouvements précis. Le sacrifice n’est jamais loin, tel ce sang rouge coulant sur Romulus et Rémus. Une manière pour l’artiste de révéler le monde, les mots de Pavese constituant « un volcan qu’il faut réveiller pour qu’il éructe une fois encore sa lave vivante sur la croûte glacée de la réalité ». Poly 216

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atom heart mother Dix ans après Observer* dans laquelle Bruno Meyssat tentait d’approcher les conséquences d’Hiroshima et Nagasaki en mettant des images là où elles faisaient défaut, le metteur en scène porte un regard documenté sur le nucléaire civil. Interview autour de 20 mSv, récit d’une impossible sureté. Par Thomas Flagel Photos de Bruno Meyssat

Au Théâtre national de Strasbourg, du 8 au 18 janvier tns.fr

* Lire Poly n°215 ou sur poly.fr

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Vous parlez de 20 mSv comme d’un théâtre documenté et non documentaire… Au départ, je ne savais pas quelle forme prendrait cette pièce. Dans ce travail autour du nucléaire civil, l’équipe était très ignorante de beaucoup de choses, comme je l’étais avant de m’y pencher. Il est donc apparu nécessaire de donner des clés au public afin de pouvoir ensuite le mettre en route avec nous. La conséquence est qu’on retrouve bien plus de textes répartis dans le spectacle. Ils sont lus, passent sur des bandes sonores ou sont vidéoprojetés. Délivrer des outils de compréhension permet de confronter le spectateur aux images que nous lui proposons et aux liens que nous créons. Le titre correspond à la limite annuelle d’exposition aux radiations fixée par le gouvernement japonais, en-dessous de laquelle la population de Fukushima a été autorisée à revenir sur les lieux, en 2011. Cette limite était 20 fois moindre

avant et reste, notamment en France, fixée à 1 millisievert / an… Même en dehors de la préfecture de Fukushima, le taux est resté à 1 mSv. Les autorités ont arbitrairement fixé le nouveau taux “acceptable”, alors même que la décontamination est impossible… Mais si l’on change la norme, alors la population peut revenir. Doit revenir ! Les biologistes trouvent cela fou, surtout que l’Homme ne réagit pas de la même manière aux radiations. Il est démontré que les enfants sont par exemple plus sensibles à l’exposition que les personnes âgées. Et puis passer quelques années dans cet environnement ou toute une vie n’est pas pareil ! Les dédommagements s’arrêtent et dans cette population plutôt modeste – plus de 120 000 habitants vivaient dans cette préfecture avant la catastrophe – nombreux se voient contraints au retour. Malgré les incitations du gouvernement qui a construit d’immenses lotissements, les sacs noirs de décontamination, entassés par dizaines de milliers sont plus nombreux ! Le pire c’est que cette nouvelle norme crée un


théâtre

précédent et va paramétrer le futur niveau mondial pour les prochaines zones post accident. Vous rappelez d’ailleurs que la plupart des Français vivent à moins de 100 km d’une centrale… En effet, peu de régions sont exemptées. De plus, nous parlons de grandes villes, pas comme Fukushima. Lyon, Marseille, Bordeaux, Paris… Nous sommes massivement exposés et le risque est tu. C’est cette dimension de refoulement qui vous intéresse ? Nous parlons des risques, mais ce sujet hautement important est souvent enfoui. Au théâtre, nous apportons la réponse d’un groupe de comédiens ayant travaillé six mois ce sujet, se rendant sur place, faisant rencontres et interviews. Par glissement, on part de Fukushima pour aboutir à la situation pré-accidentelle française. Le tout s’éclaire grâce à notre travail de documentation. Mais nous ne faisons pas une pièce dans l’idée d’apprendre des choses au public. Il s’agit d’exciter la curiosité sur un sujet présent absolument partout, mais caché car non représentable : la radioactivité est invisible, les cancers se développent sur vingt ans, etc. Nous n’avons aucune maîtrise des dangers, les déchets sont impossibles à traiter : eau et océan Pacifique contaminés, ballots de terre dans des décharges à ciel ouvert, même la pègre des Yakuzas s’est emparée du business du nettoyage de la zone contaminée… Décontaminer une zone nécessite un travail coordonné de nombreuses personnes, entre 4 000 et 5 000, mais pas de manière continue sur de longues périodes afin d’éviter une trop grande exposition aux radiations. De nombreuses personnes sont prêtes à travailler pour presque rien. Nous avons rencontré un journaliste infiltré, travaillant depuis six mois à Fukushima pour 80 € par jour alors même qu’il risque sa vie. Mais les entreprises sous-traitent jusqu’à huit niveaux. Donc c’est un marché comme un autre où chacun se sert au passage. Être pourvoyeur de main-d’œuvre comme multiplier les intermédiaires, les Yakuzas savent faire !

pas les dommages que l’on cause car ils nous dépassent. La population, elle, se cantonne à la jouissance immédiate qu’elle tire de la technologie. N’oublions pas que Tepco, la multinationale gérant le site nucléaire de Fukushima Daiichi, est une agence privée, cotée en bourse. Elle a caché des malversations, des accidents, truqué des mesures… Autant d’éléments ayant conduit à la catastrophe. On s’inquiète aujourd’hui du recours à la sous-traitance par EDF qui n’est pas insensible à la demande de profit. Or Tepco est justement tombée par cet appât du gain. Une autre centrale, située un peu plus au Nord a reçu encore plus fortement le tsunami sans avoir les moindres dégâts. Les erreurs étaient humaines et antérieures, voilà ce qu’a conclu la commission d’enquête parlementaire japonaise. Mais la communication de masse a gagné, pour tout le monde le tsunami est la cause de la catastrophe, ce qui est faux. Quel univers plastique avez-vous imaginé ? La pièce se déroule en deux temps. J’aimerais garder la surprise mais il y a un sol en plastique blanc formant comme une grande cabine de douche de décontamination. La seconde partie englobe une partie de celui d’Observer, le décor du nucléaire civil encadrant et dépassant littéralement celui du militaire…

Dans Observer, vous faisiez référence au philosophe Günther Anders expliquant comment dans la technologie moderne, le déclenchement d’une action et son effet ne cessent de se séparer et de s’éloigner, empêchant la représentation de ses actes, paralysant aussi l’imaginaire. Le nucléaire civil procède des mêmes effets… Totalement. Anders a réalisé une analyse quasiment définitive entre nos inventions technologiques et notre incapacité à en imaginer les conséquences. Le nucléaire civil est entièrement lié au militaire, en France comme au Japon. Les décisions que nous pouvons prendre sont décalées des informations émotionnelles, brisant toute relation entre ce qu’on croit faire et ce que l’on fait vraiment. On ne se représente Poly 216

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mémoire des embruns La compagnie Espèce de collectif donne corps à sa nouvelle pièce après plusieurs années de recherche. Laisse le vent du soir décider où la genèse d’une création à trois, entre incertitude, chaos et hasard. Par Thomas Flagel Photo de Naohiro Ninomiya

Laisse le vent du soir décider, au TJP Grande Scène (Strasbourg), jeudi 24 et vendredi 25 janvier en coréalisation avec Pôle Sud tjp-strasbourg.com pole-sud.fr Pour en découdre, leur précédent duo à voir au Manège (Reims), vendredi 17 mai dans le cadre du festival Hors les murs ! du Laboratoire chorégraphique de Reims manege-reims.eu laboratoire-choregraphique.fr especedecollectif.org

* Lire Le Casse du siècle sur Archivolte dans Poly n°194 ou sur poly.fr

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M

i-décembre 2018, c’est au Théâtre Christiane Stroë de Bouxwiller qu’Étienne Fanteguzzi, Damien Briançon et David Séchaud terminent leur dernière résidence. À une semaine de la création au CCAM de Vandœuvre-lès-Nancy, ils présentent la seconde partie de leur pièce. La première, comme l’assure Étienne, est « très écrite, très douce, très claire. Vraiment différente. » Tandis que l’artiste sonore Gaëtan Gromer finit de triturer et traficoter ses nappes sonores où se mêlent sons enregistrés, extraits de Maria Callas ou de Schubert, chacun se prépare. Après une ritournelle italienne (La Befana), le chaos s’invite sur le plateau. Dans la lignée de son travail solo*, David Séchaud a conçu des morceaux de bois troués, issus de longues périodes de travail collectif de recherche autour des articulations et des matériaux. Grâce à des douilles de fixation, ils bougent en axe ou comme une rotule. Avec un système de poulies et de drisses, tout en ajoutant manuellement quelques liens d’attache, prend vie un module suspendu se dépliant et s’animant sous les assauts du trio qui tire, bascule, se jette au milieu d’une bataille rangée où quand l’un danse librement, les autres

s’attaquent comme des gosses avec des flots de baguettes de bois, d’anneaux, balles de beer-pong. Comme suspendus aux cordages d’un bateau échoué et sans voiles, multipliant glissades et tours à l’horizontale au ras du sol, ils activent cette structure qui oscille et prend vie, lancée dans un mouvement perpétuel, en partie laissé au hasard. « Nous l’avons apprivoisée, mais il arrive que sa manipulation nous échappe aussi, qu’elle parte dans des directions inhabituelles », confie Damien Briançon. « Nous tenons beaucoup à ce côté expérimental du spectacle car nous nous sommes tout de même payés le luxe de faire quasiment un an de recherche pure. » Soit vingt-cinq filages d’une heure, entièrement filmés mais non regardés, pour laisser la mémoire de ce qui advient se décanter. « Une écriture du jamais figé et d’une structure qui se traverse, le tout dans la négociation permanente avec les autres », explique Étienne. Et David, le non-danseur des trois de louer « le peu d’égo de chacun. Nous avons créé par le réel, en jetant la direction d’acteurs sur le plateau, en dépassant de loin l’idée initiale d’un simple Meccano géant. » Bien décidés à se laisser guider par le vent du soir…


SCÈNES

dream man

© Clémence Veilhan

Le petit bijou des Italiens du Teatro delle Briciole avait ébloui le festival Momix 2017. Ma avec Granit offre deux séances de rattrapage à ceux qui n’auraient eu la chance de découvrir John Tammet. Un spectacle tout public (dès 9 ans) autour des rêves et des troubles de ce touchant personnage atteint du syndrome d’Asperger qui accompagnent le public longtemps après la fin de ce solo plein d’émotions, de simplicité et de bizarreries. Dans un rapport frontal dynamitant toute distance, celui qui excelle en calculs mentaux inaccessibles pour le commun des mortels, avoue ne pas comprendre les ressorts habituels du langage humain. Décalé, jamais en phase avec ses interlocuteurs. Ses adresses directes à l’assistance volontairement laissée dans la lumière font mouche. Les mots sont pris à la lettre, avec une logique peu commune, autre, mais non moins sensible. Entre Rain Man et Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer, voici un poète de l’anecdotique ne supportant pas le mensonge, ni les images de certaines expressions comme mourir de rire. Lui ne rêve que de système solaire et d’espace où observer galaxies et planètes gigantesques dans une solitude d’astronaute. Loin de ce monde dans lequel il peine à trouver sa place. (T.F.) Aux Bains douches (Montbéliard), samedi 26 janvier À La Coopérative (Belfort), dimanche 30 janvier magranit.org

Avec son école de danse ouverte aux quatre vents dans la favela de Maré, l’une des plus violentes du Nord de Rio de Janeiro, la chorégraphe Lia Rodrigues vit telle une Carioca, intensément dans le présent. Dans sa nouvelle création, Fúria, une dizaine de danseurs prolongent le travail entamé dans Pour que le ciel ne tombe pas. Le mythe des furies romaines, divinités des Enfers, est ici revisité à grand renfort de physicalité contrainte, corps secoués et tordus, tensions et tourments. S’y lit tout le désarroi d’une société gangrénée de violence et de coups du sort, de vies balayées par les balles perdues et les morts soudaines. L’hyper expressivité des interprètes, qui ne s’appartiennent plus, évoque leur possession par un mal-être dont l’exorcisme paraît impossible. Multipliant les postures de supplices et les attitudes de colère, de dégoût ou de souffrance, une rage les anime. Quotidienne et éternelle. (I.S.) À VIADANSE (Belfort), samedi 19 janvier (en partenariat avec Ma avec Granit) viadanse.com — magranit.org

© Sammi Landweer

de battre mon cœur s’est entêté

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DANSE

en eaux troubles Dans la nouvelle création du Ballet de l’Opéra national du Rhin, Radhouane El Meddeb revisite Le Lac des cygnes. Rencontre avec un chorégraphe atypique, lancé dans un dépoussiérage en règle d’un mythe de la danse classique.

Par Thomas Flagel Photos de répétition d’Agathe Poupeney

À l’Opéra (Strasbourg), du 10 au 15 janvier Au Théâtre municipal (Colmar), jeudi 24 et vendredi 25 janvier À La Filature (Mulhouse), du 1er au 3 février operanationaldurhin.eu Au Manège (Reims), du 22 au 24 mars manege-reims.eu Au Théâtre national de Chaillot (Paris), du 27 au 30 mars theatre-chaillot.fr Retrouvez l’intégralité de cet entretien sur poly.fr

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Vos pièces sont marquées par des présences incroyables, une grande émotion, une recherche d’adresse et de place laissée au public. Bien loin des codes du classique où la technique prime et l’approche du regard comme de la face sont totalement différentes… Mon projet réside dans cette rencontre. J’adore les danseurs et la danse. Le Lac des cygnes cristallise cette excellence de la profession et de la technique. Mes premiers émois viennent de ce ballet et de cette musique que j’ai découverte à la télévision, enfant, en Tunisie. Il y a aussi mon histoire de la danse, cette manière de m’approprier les sujets, les danses, leurs histoires, leurs vocabulaires, leurs techniques, pour les adresser au monde d’aujourd’hui. Ma façon aussi de mettre au centre la notion de l’interprète que je vois comme un citoyen engagé, conscient, qui se nourrit de tout ce qui se passe autour de lui. Je mélange ma démarche, très sensible et fra-

gile à une danse bourgeoise qui ne tient pas compte de l’humanité des uns et des autres, de ceux qui la font comme de ceux qui la regardent d’ailleurs. Il y a comme un défi pour être les plus beaux et une fascination chez les spectateurs qui ne prend pas source dans l’émotion mais dans la technicité. Ça a frotté avec les danseurs lorsque vous leur avez demandé de ne pas faire ce qu’ils savent faire ? Oh oui, et ça va continuer à frotter. Nous avons beaucoup parlé, ce qui n’est pas du tout habituel dans la formation des danseurs classiques. Ils sont au service de la danse, là pour la danse qu’ils dansent, et pas là pour nous montrer qui ils sont. Je suis arrivé en leur disant : je ne fais pas de la danse, mais je suis la danse que je fais. Voilà ce que je vous propose. Ils m’ont regardé avec de grands yeux, pleins d’incompréhension : qu’estce qu’être quelque chose mais ne pas faire ? Cela a été, et est encore, compliqué. Il est difficile de pousser ses limites et opérer des changements fondamentaux. Le sujet est pour eux le vocabulaire, la technique. Ce sont des reproductions historiques et fidèles. Je suis à l’opposé, dans le dépassement, l’intériorité, l’incarnation ici et maintenant. Ce sont deux mondes qui se sont rencontrés avec énormément de résistance. Certains ont été, et sont peut-être encore, dans un étonnement ou un mécontentement, dans une interrogation sur le résultat car ils ont, ce que j’admire d’ailleurs, un respect pour une reproduction fidèle, voire intouchable et sacrée ! J’ai mis les mains dans tout cela, changé des postures, retrafiqué des choses pour les rendre plus humaines. Je ne tords pas le cou au classique. Au contraire, j’essaie de le sublimer, de le rendre un peu plus proche de moi et de nous. Je souhaite lui redonner un souffle contemporain et universel que chacun puisse regarder sans cette sublimation de la performance physique.


Vous partez de la version du Lac des cygnes modernisée par Rudolf Noureev dans les années 1980. Il en fait un long rêve du prince et un jeu de doubles et d’interdits. Qu’y apportez-vous ? Noureev a énormément développé la psychologie des personnages. J’ai pris cette version pour son excellence technique qui la rend très difficile à danser. Sa quête dans son parcours m’a touché. Il a écrit son Lac pour montrer qui il était après avoir quitté son pays pour Paris, ce qui me plait. J’ai essayé de souligner des choses que lui-même relevait tout en mettant de mon rêve personnel : j’ai reçu deux chocs, la découverte de Tchaïkovski et de la danse. Je gomme un peu le rêve initial du prince. Je suis aussi en rupture avec la hiérarchie et les attributions de rôles. Mes danseurs sont tous le prince et Odette. Nous avons tous une part d’Odile en nous et le cygne noir n’apparait pas, même s’il est, lui aussi, en chacun. Tous seront le cygne. Cela fait écho à l’une de mes problématiques récurrentes autour du genre. On l’observe dans le dédoublement. Je me concentre sur cette histoire d’amour que chacun traversera un jour : le doute, la quête de l’autre… Quand on est amoureux, on est tous femme, tous homme. On ne sait plus quel genre on est ni où on veut aller. L’amour nous suspend entre ciel et terre. Les danseurs connaissaient-ils votre travail ? Je ne crois pas. Je suis un ovni dans un palais, avec ma corpulence, ma manière de faire, de parler. Les danseurs me regardent comme un étranger à la danse. Mais je serais ravi de revenir dans deux trois ans pour voir quel chemin cette expérience aura fait en eux.

Plusieurs fins existent. Laquelle avez-vous choisie ? J’accumule les choses dans cette urgence aujourd’hui de dire une certaine catastrophe qui nous menace, et dont Strasbourg a été victime il y a quelques jours. Je la sens dans mon corps. J’essaie de voir comment cette histoire d’amour connecte, réellement ou pas. Je passe par un rapport à la danse et à l’épuisement qui est nécessaire : comment peutil raconter le ballet, alerter sur ce tsunami qui peut nous anéantir ? Et ils le seront anéantis. Peut-être que la musique est plus forte que nous… Au final, qu’est ce qui vous rendra satisfait ? Je suis très content de ce qu’on produit. J’ai toujours fonctionné en essayant d’aller au-delà de mes limites, d’ouvrir d’autres portes et de pousser les fenêtres pour me placer en des endroits sans confort. Il ne me va pas, j’aime les eaux troubles. Un danseur a évidemment peur de cela, peur de se blesser, de rater… Je commence à voir de la lumière en eux et j’espère qu’ils le seront, lumineux. Je leur ai donné pas mal d’images et de références. J’ai essayé de les nourrir, de parler de Pessoa et son rapport à l’intranquillité, cette chose sous-jacente qui ronge avec beaucoup de poésie, j’ai aussi conseillé Nostalghia de Tarkovski, et à d’autres des images de corps chez le cinéaste Angelopoulos où l’on voit les gens se regarder, se parler, s’accompagner. On est loin de l’œuvre du répertoire qu’ils maîtrisent et connaissent. Je leur dis souvent que je fais les choses pour eux, avec eux puis contre eux.

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Danse

shining stars Amala Dianor, artiste associé à Pôle Sud, crée The Falling Stardust, sa première grande pièce de groupe. Il y confronte des danseurs contemporains et classiques à son langage métissé.

Par Irina Schrag Photo de Jef Rabillon

Au Théâtre de Hautepierre (Strasbourg), du 16 au 18 janvier pole-sud.fr

* Lire notre article sur le collectif Scenopolis dans Poly n°178 ou sur poly.fr

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n immense cristal à facettes impose sa minéralité sur le plateau. Tel un astre, il bruisse et tourne, animé de sa propre énergie. Autour, neufs interprètes choisis par Amala Dianor. Cinq viennent d’une formation classique, une nouveauté pour le chorégraphe. « Comme souvent lorsqu’on parle de ce genre, de l’excellence, de la danse des rois, on évoque tout ce qui est de l’ordre de l’intouchable, des étoiles. Et comme je viens de la terre, c’est tout ce chemin pour aller toucher les étoiles qui m’intéresse. Forcément, en marchant sur cette voie lointaine, on ramène de la poussière. Je voulais rencontrer ces poussières d’étoiles. Celles qui ont été oubliées, mises de côté. » Il le promet, les entrechats vont s’entrechoquer et les styles se mêler au-delà des pratiques premières de chacun. Son croisement des langages des danseurs castés avec sa propre écriture chorégraphique – allant du hip-hop à la danse africaine et contemporaine – « révèle la nature humaine à travers le mouvement ». S’il pensait partir du classique pour arriver à des formes plus

actuelles, les répétitions amènent un mouvement inverse. Il dut entraîner le groupe vers sa gestuelle, « leur donnant beaucoup de matériel contemporain, travaillant sur les torsions, le rapport au sol ». Une immersion collective permettant ensuite de « détacher le mouvement et d’essayer d’aller vers la verticalité. Celle de la danse classique » conditionnée par cet énorme lustre revisité par le scénographe Clément Debras, ancien élève de la Hear*. La confrontation avec cet espace contraint oblige les danseurs à composer avec d’autres énergies, casser les codes et bousculer l’attendu. Fidèle à son amour des détournements de techniques, Amala Dianor porte son intérêt sur le chemin du mouvement. Exit la figure frontale et la recherche de posture finale parfaite du classique. Il s’appuie en cela sur les personnalités de ses interprètes, dont certains ont des pratiques chorégraphiques diverses, du pop aux autres disciplines hiphop. Quand les contractions musculaires très précises et techniques se mêlent à la grâce du geste classique, l’éventail de composition prend une autre dimension.


Cerebro En formant les spectateurs aux techniques de mentalisme, de l’hypnose et de la philosophie orientale, utilisée dans des domaines variés tels que la politique ou le marketing, Matthieu Villatelle expérimente la magie directement avec eux. Le mentaliste interroge les capacités de notre cerveau et de notre corps à travers des expériences de Body Magic. 11 & 12/01, La Comète (Châlons-en-Champagne) la-comete.fr

Fury (1) La chorégraphe française Sarah Baltzinger a imaginé une pièce extrêmement rythmée : des danses hypnotiques et extatiques se déploient sur les sons électriques de la guitare de Guillaume Jullien. 12/01, Theater (Fribourg-en-Brisgau) theater.freiburg.de

Sap-Sap Poussière Un voyage imaginaire inspiré du Congo, le pays de la “Sapologie”. Que l’on soit pauvre ou riche, se faire beau, se pavaner est devenu un mode de relation, un enjeu de style, une alternative face aux incertitudes du quotidien. Ce jeu des apparences est à la fois joyeux et grave, social et intime. 16/01, Espace Malraux (Geispolsheim) illiade.com

Les Ballets Jazz de Montréal (2) L’une des plus prestigieuses compagnies de la planète est en tournée, proposant trois chorégraphies, Kosmos et Soul d’Andonis Foniadakis et O Balcao de Amor d’Itzik Galili. 18/01, Burghof (Lörrach) burghof.com

Peer Gynt

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qui veut être lui-même et ne réaliser que de grandes choses. Des expéditions fantastiques, mais aussi des mots pour dire les rêves, les récits débordants, les questionnements du héros. 18 & 19/01, Grand Théâtre (Luxembourg) theatres.lu

Carton plein Deux personnages, une petite maison. Sont-ils des demifrères ? Deux vieux amis ? Avec ce huis clos singulier d’après Serge Valletti, la metteuse en scène Marie-Anne Jamaux nous entraïne dans un univers où le temps s’écoule lentement. 18 & 19/01, Le Brassin (Schiltigheim) ville-schiltigheim.fr

Constellations La pièce interroge notre libre arbitre, notre rapport au couple et à l’amour. S’appuyant sur un décor sobre propice à l’imagination, elle met en valeur la force et la singularité du texte de Nick Payne. Avec brio, le metteur en scène Arnaud Anckaert décline tous les possibles d’une relation amoureuse, joue avec l’arbitraire du récit et les hasards de la vie. 25/01, La Méridienne (Lunéville) lameridienne-luneville.fr

B. Traven Nul ne connaît le visage de ce mystérieux personnage, romancier majeur du XXe siècle qui, de son vivant, sous de multiples identités, a toujours mis en doute la vérité. Après George Kaplan (voir Poly n°167 ou sur poly.fr) et Walter Benjamin, Frédéric Sonntag clôt sa Trilogie Fantôme, cycle théâtral qui investigue le concept d’identité à travers trois personnages énigmatiques. 29-31/01, Théâtre Dijon Bourgogne tdb-cdn.com

Après la danse (Dios proveerá) et l’opéra (The Rake’s Progress), David Bobée, entraîne le public luxembourgeois au cœur de l’univers d’Ibsen, dans l’errance de ce jeune homme Poly 216

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© Svetla Atanasova

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© Cyrille Guir

sélection scènes


musique

docteur love & mister h Piano solo et envolées disco. Trips balkaniques et symphonies mélancoliques. Douleurs fendant le cœur et infinis bonheurs : le dernier album d’Arthur H est un généreux diptyque. Rencontre avec un homme qui aime comme un (chien) fou.

Par Emmanuel Dosda Photo de Léonore Mercier

Au Théâtre Municipal (Thionville), samedi 19 janvier 2019 theatre.thionville.fr

Édité chez Believe arthur-h.net

En concert, votre faculté d’improvisation impressionne : un problème technique se transforme en running gag et une anecdote devient un long récit avec détails et digressions… Par définition, l’imaginaire est sans limites. Dès lors que nous acceptons de nous affranchir des barrières, nous avons accès à une multitude d’informations. L’impro est un moyen de rendre un concert unique, d’éviter de livrer quelque chose de figé, de raide et de mort ! Poétique et musicale, elle permet de rester dans le mouvement. Vous permettez-vous des lâcher-prises pour écrire vos chansons ? Non, mes morceaux sont très construits et je passe beaucoup de temps dessus afin de raconter des histoires très précises, de manière travaillée. Je pense cependant que pour recevoir de nouvelles idées, il faut savoir se vider la tête… Rythmes d’Addis-Abeba, Carnaval chaotique et escapades cacophoniques : votre

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album est une expédition donnant l’impression que vous êtes musicien avant d’être conteur… En effet, je me considère comme un musicien qui touche aux mots. Je m’éloigne des maîtres de la chanson française : le son pur est plus important que les textes. Tous mes disques sont comme ça ! J’aime qu’on se perde dans un long périple qui fait décoller du réel… non pas pour fuir, mais pour replonger dans un monde sensitif. Pourquoi utiliser des sonorités éthiopiques sur Tokyo Kiss ? D’abord, ce morceau mélange deux de mes principales influences : les Doors et le funk éthiopien. La découverte des éthiopiques m’a fortement marquée et j’ai fait quelques chansons dans ces tonalités. Ça n’est pas exotique, au contraire : ces mélodies me sont très familières. Ensuite, ce titre prouve que je suis un véritable médium car j’ai deviné que j’allais embrasser mon amoureuse à Tokyo. C’est une chanson auto-prédictive : la prophétie s’est accomplie !


Sur France Inter, vous étiez Docteur Love, répondant au soit disant courrier du cœur des auditeurs. Quel conseil pourriezvous me donner pour alimenter le feu de l’amour ? Il faut tout simplement louer une suite royale dans l’hôtel le plus cher de Las Vegas, remplir la baignoire du Champagne le plus onéreux et prendre un bain tous les deux. À mon avis, là, c’est dans la poche… Doit-on aimer comme un “chien fou” ? Ne s’agit-il pas d’un comportement risqué ? La force du chien fou est de ne pas réfléchir et de se jeter sur la personne qu’il aime avec tout son corps, son cœur et son être. Il est très important – enfin, en privé – de s’abandonner à une forme de joie spontanée. Dans une société sous contrôle, il n’est franchement pas raison-

nable de prôner le frétillage de queue et l’aboiement… Si on est amoureux, il faut absolument inoculer la rage ! Dans la comédie Le Grand bain, l’entraîneuse des nageurs synchronisés demande aux hommes de libérer la femme qui est en eux. Vous la laissez souvent s’exprimer ? Elle domine l’homme que je suis. Je crois que les femmes sont plus passionnantes, plus complexes, alors lorsque je veux être “intéressante”, je laisse la femme qui est en moi se manifester librement. Il vous arrive de porter un masque, notamment dans vos clips. Pourquoi se grimer ? Il permet une plus grande liberté. Je ne me définis absolument pas par mon apparence extérieure. C’est essentiel de s’oublier : sur scène, je ne pense pas

une seconde à moi et suis totalement dans l’action. C’est un plaisir nécessaire pour se régénérer. D’ailleurs, je viens tout juste de faire une série de photos avec une espèce de bonnet péruvien sur la tête : c’est agréable de se quitter, se laisser partir, s’abandonner. Le masque permet de jouer à être quelqu’un d’autre. À la mort de votre père, Jacques Higelin, vous avez écrit une touchante lettre ouverte où il était question de rires, de musique, de gaieté… malgré les larmes. Votre album, composé de son vivant, peut-il être perçu comme un hommage ? Il s’agit sans doute du témoignage de mon respect le plus total pour son esprit de liberté. J’y suis très fidèle et j’assume complètement cette filiation !

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à la folie Lomepal ne fait pas partie de ces artistes qui « se la racontent comme un sac à main Gucci ». Sur des instrus’ electro, le rappeur rend hommage à (feu) sa grand-mère un peu fêlée avec un second album vraiment ouf, Jeannine.

Par Emmanuel Dosda Photo de Viktor Vauthier

Au Zénith (Strasbourg), vendredi 1er février zenith-strasbourg.fr

Édité par Grand Musique Management lomepal.com

Ensemble d’artistes morts à l’âge de 27 ans : Kurt Cobain, Jim Morrison, Jimi Hendrix, Janis Joplin ou Amy Winehouse 2 Membre de formations rock comme Nirvana, Foo Fighters ou Queens of the Stone Ange 1

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Vous craignez vraiment de rejoindre le Club des 271, comme vous le prétendez sur votre nouveau disque ? C’est davantage une blague… Je ne suis pas superstitieux, mais j’aime bien ce genre d’anecdote. Quitte à mourir, je préfère que ça soit maintenant qu’à 28 ans, pour entrer à mon tour dans la légende !

lippe Katerine, qui apparaît sur une de vos chansons ? Philippe n’est pas fou, c’est plutôt un marginal qui a décidé de ne pas se plier aux codes médiatiques et aux normes de la société. C’est beau à voir, car il est très pertinent et j’adore l’écouter parler : chaque mot a son importance chez lui. Il est libre !

Vous apparaissiez maquillé et en robe sur la pochette de Flip : une manière d’assumer votre part de féminité ? Je me présentais plutôt comme un adolescent cherchant son identité, en quête de sa personnalité. Je suis déguisé en fille, mais ça ne marche pas trop : je montre une fragilité, une vulnérabilité. Si mon second disque s’appelle Jeannine, c’est pour parler de la folie de ma grand-mère, pas pour utiliser un prénom féminin.

C’est un peu fou d’avoir appelé un morceau Dave Grohl2, non ? Je ne le connais pas vraiment, d’ailleurs je connais à peine Nirvana, mais j’aimais cette image de cœur qui bat à la vitesse d’un batteur de rock comme Grohl ! Ce morceau parle du manque, de la tristesse du célibat. Je raconte que tu as beau enchaîner les conquêtes, le chagrin demeure…

Vous considérez-vous comme fou ? J’accepte la folie des autres et jamais je ne rejetterais quelqu’un pour ça. Si elle était amenée à devenir dangereuse ou malsaine, je m’en écarterais bien sûr. Personnellement, je ne me sens pas fou, mais j’atteins parfois un état second, de lâcher-prise, notamment sur scène, mais je parviens à canaliser tout ça. Même si je peux perdre le sens de la réalité dans ces moments-là, je suis plutôt quelqu’un de rationnel. Quel est votre hurluberlu favori ? Phi-

Le fait de travailler avec des producteurs différents et d’avoir des guests (Roméo Elvis, Orelsan, Katerine…) sur vos morceaux vous permet-il de contrer la solitude ? Non car celle qui me torture est profonde, bien enfouie dans ma poitrine depuis l’enfance, même si je suis entouré de mes amis. À quel moment souhaitez-vous que « les grains du sablier se coincent » ? J’aimerais pouvoir figer les instants de plaisir : lorsque je rencontre une personne exceptionnelle, que je suis sur scène ou que je ris avec mes amis.


musique

shiny happy people La sunshine pop de Manson’s Child illumine les ruelles colmariennes depuis 1992. La longévité du plus anglo-saxon des groupes du Grand Est est célébrée avec un Catalog, double compile vinyle tubesque.

Par Emmanuel Dosda

Concert (sur invitation), samedi 26 janvier à la Villa K (Colmar). Réservation obligatoire : parklife@calixo.net parkliferecords.bandcamp.com mansonschild.com

Édité par Médiapop records (25 €) mediapop-records.fr

D’

abord, pourquoi Manson’s Child ? Quelle est la raison de ce clin d’œil d’un groupe si cool à un odieux personnage ? En 1990, un bruit courait aux États-Unis : le dangereux gourou fou Charles Manson, responsable de l’assassinat de la femme de Polanski en 1969, devait sortir de taule. Une infox qui amusa la scène indépendante américaine, prétextant l’hypothétique libération de cet être immonde pour organiser un show provoc, au début des nineties. Sonic Youth (notamment auteur du titre Death Valley ’69) ou Pavement étaient de la partie. Mathieu Marmillot décida que Colmar devait jouer dans la cour des grands et monta une opération similaire… à dimension alsacienne. Le nom de quatuor créé en 1992 était tout trouvé, même si Mathieu, Brigitte, Karine et Samuel sont sans cesse contraints d’expliquer leur choix, presque de s’en excuser. « Il y a peu, j’ai même dû justifier le port de mon tshirt The Jesus and Mary Chain auprès d’un politique local, comme si j’étais sataniste », se mare Mathieu, leader des Manson’s. Les influences du groupe ? Il faut plutôt chercher du côté du Velvet (« à la base de toute la musique actuelle ») et la brit-pop enjouée de Blur : le label lancé par les Manson’s, Parklife, est un hommage au morceau de la bande à Damon Albarn. « Ce titre met tout le monde d’accord.

Il donne envie de danser frénétiquement, un verre de bière à la main ! » Dans le panthéon des deux gars et deux filles (« Le parfait équilibre »), il y a aussi la musique kraut-spacemarxiste de Stereolab, des copains. On trouve d’ailleurs une reprise du groupe de Lætitia Sadier en face D du vinyle sorti chez Médiapop. « Avec sa démesure légendaire », l’éditeur mulhousien n’imaginait pas autre chose qu’un double album. « Et encore, il voulait faire un picture disc ! » Exit les instrumentaux et les (rares) morceaux qui bastonnent : la compilation met en lumière la face la plus shiny du quatuor et rassemble quelques raretés, inédits ou reprises (dont une relecture des mythiques punks hexagonaux Olivensteins). Pour la photo de couv’, Mathieu, fan absolu du label anglais Factory (New Order, Happy Mondays…) a fait appel à Philippe Carly, photographe ayant mitraillé Joy Division et autres Cabaret Voltaire au Plan K, club bruxellois légendaire des eighties. « Il est venu un matin d’automne à Colmar et nous avons fait une série d’images devant la grille du Rectorat », explique simplement celui qui a repris la société paternelle Marmillot, spécialisée dans la peinture et le ravalement. « Manson’s Child est synonyme de liberté car nos vies professionnelles sont à 20 000 lieues de la musique : lorsqu’on répète, on est à 200%. » Poly 216

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musique

piano solaire

© Esther Haase / Deutsche Grammophon

Figure phare de l’écurie Deutsche Grammophon, la musicienne germano-japonaise Alice Sara Ott est aujourd’hui au firmament de son art : on retrouve donc avec bonheur la pianiste aux pieds nus et aux doigts d’acier. Silhouette longiligne dont la fragilité n’est qu’apparente, elle entraîne avec subtilité l’auditeur dans un puissant tourbillon de sentiments mêlés, choisissant de composer un récital à la tonalité très française. À côté de quelques échappées belles dans le royaume nocturne de Chopin, se découvriront ainsi des tubes comme la Suite bergamasque de Debussy où se trouve le célébrissime Clair de Lune. Également au menu, Gaspard de la Nuit de Ravel est une page d’une virtuosité diabolique nimbée par une profonde noirceur entrant en résonance avec des poèmes d’Aloysius Bertrand (1807-1841) lui conférant son titre. Il faudra quelques pièces bondissantes – deux Gnossiennes et une Gymnopédie – d’Erik Satie pour nous redonner le sourire, lui qui résumait son existence en un aphorisme lapidaire : « Je suis venu au monde très jeune dans un temps très vieux. » (H.L.) Au Festspielhaus (Baden-Baden), samedi 19 janvier festspielhaus.de

À moins de trente ans, elle croule sous les prix et les distinctions : étoile montante de la galaxie classique au son d’une intense profondeur, Sophie Pacini est une surdouée du clavier. Preuve en sera apportée dans un récital dijonnais où la mélancolie des deux premières Consolations de Liszt baignées d’un romantisme dans lequel pointe la plume de Lamartine répond au bonheur primesautier des vignettes du Carnaval de Schumann. Le musicien dresse là une géniale galerie de portraits en évolution constante où l’on croise des personnages de la Commedia dell’arte (Arlequin, Pierrot ou Colombine), mais également le compositeur lui-même – sous les traits d’Eusebius et Florestan –, son aimée Clara ou encore Chopin et Paganini qu’il admirait tant. Une autre facette du talent de l’interprète virtuose sera à découvrir à Sarrebruck avec le Saarländisches Staatsorchester sous la baguette de Sébastien Rouland (voir Poly n°215 ou sur poly.fr). Elle y interprétera le Concerto pour piano et orchestre n°21 de Mozart, chef-d’œuvre d’équilibre classique empli de majesté et de noblesse. (H.L.) À l’Opéra (Dijon), mardi 15 janvier – opera-dijon.fr À la Congresshalle (Sarrebruck), dimanche 28 et lundi 29 avril – staatstheater.saarland

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© Susanne Krauss

métamorphoses du piano


© Grégory Massat

musique

offenbach is back L’année 2019 marque le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach : pour l’occasion, Le Point d’Eau et les Gaités Lyriques (avec un orchestre composé de membres de l’OPS dirigés par leur collègue Aurélie Becuwe) s’associent pour lui rendre hommage, programmant son œuvre la plus célèbre, La Vie parisienne (27/01, 17h). Voilà une plongée pétillante dans les fastes de l’exposition universelle de 1867 mise en scène par Frédéric Schalck. Si le compositeur est passé à la postérité pour de tels opéras bouffes, il est aussi l’auteur de partitions moins célèbres, mais tout aussi excitantes, comme l’atteste la récente redécouverte de Barkouf

à l’Opéra national du Rhin (voir Poly n°215 ou sur poly.fr) : sont ainsi données deux raretés (26/01, 20h et 27/01, 11h), deux opérettes courtes qui se répondent dans un concert bondissant : Lischen et Fritzchen, dialogue désopilant entre une soprano et un baryton au fort accent alsacien au carrefour d’une route, et Monsieur Choufleuri restera chez lui le…, parodie belcantiste brocardant avec maestria les nouveaux riches. (H.L.) Au Point d’Eau (Ostwald), samedi 26 et dimanche 27 janvier lepointdeau.com

l’archet russe

© Benjamin Ealovega

Il est l’un des meilleurs violonistes de la planète. Précis, pointu, affûté, il transcende les limites techniques, en préservant la puissante émotion des partitions. Maxim Vengerov se produit aux côtés du Filarmonica della Scala et de son directeur musical, Riccardo Chailly (qui interpréteront également le redoutable Concerto pour orchestre de Bartók) à La Philharmonie de Luxembourg. Il donnera le célèbre Concerto pour violon et orchestre n°1 de Chostakovitch, une page à l’ampleur symphonique créée en 1955. Écrite juste après la fin de la guerre, l’œuvre replonge l’auditeur dans une période douloureuse au cours de laquelle le compositeur joue au chat et à la souris avec la censure et les canons du réalisme socialiste. Poétique, extatique, populaire et profonde, cette pièce est célèbre pour son Scherzo « maléfique, démoniaque et épineux », comme l’affirmait son dédicataire, l’immense David Oïstrakh. (H.L.) À La Philharmonie (Luxembourg), mardi 29 janvier philharmonie.lu

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sur la route L’Orchestre philharmonique de Strasbourg et Le Maillon présentent le Winterreise de Zender passé à la moulinette de Kornél Mundruczó qui crée un ciné-concert théâtral en forme de réflexion sur les migrants. Par Hervé Lévy Photo de Bálint Hrotkó

Au Maillon-Wacken (Strasbourg), jeudi 17 et vendredi 18 janvier maillon.eu philharmonique.strasbourg.eu Conférence “Figures et réalité d’exil, d’hier et d’aujourd’hui” au Centre Emmanuel Mounier (14/01, 20h30) Bord de plateau avec János Szemenyei et le chef Thierry Fischer à l’issue du spectacle (17/01)

Voir nos précédents articles dans Poly n°143, 167 et 208 ou sur poly.fr Terme allemand difficilement traduisible désignant un vagabond errant, un homme des forêts 1

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e compositeur Hans Zender (né en 1936) aime dialoguer avec ses prédécesseurs, utilisant avec jubilation le substrat de pièces du passé (signées Haydn, Debussy, etc.) pour ce qu’il nomme des « transformations créatrices ». Fascinante, celle réalisée en 1993 du Winterreise de Schubert – page pour piano et voix aux atmosphères glacées et solitaires où évoluent d’angoissantes ombres – consiste en une adaptation pour un orchestre atypique (avec accordéon, saxophone, machine à vent, guitare, etc.). « Ma propre lecture du Voyage d’hiver ne cherche pas une nouvelle interprétation expressive, mais profite des libertés que chaque interprète s’attribue normalement de façon intuitive : ralentissement ou accélération du tempo, transposition dans d’autres tons, mise en valeur et nuancement des couleurs. À cela s’ajoutent les possibilités de “lectures” : sauts à l’intérieur du texte, lignes répétées plusieurs fois, continuité

interrompue, comparaison de lectures différentes d’un même passage », résume-t-il. S’emparant de cette partition, le metteur en scène hongrois Kornél Mundruczó1 métamorphose la figure du Wanderer2 schubertien : pour lui, il incarne le migrant du XXIe siècle. Chanté par János Szemenyei – dont l’accent bien peu germanique renforce le sentiment d’altérité –, l’œuvre est une réflexion sur l’errance. Un homme en caleçon regarde la salle. Derrière lui, l’image d’un frigo désespérément vide. On va le suivre dans sa chambre sordide, les mots du poète Wilhelm Müller entrant en résonance avec les vidéos défilant sur l’écran, filmées dans un camp hongrois de réfugiés, en 2014 : visages saisis dans leur détresse, murs lépreux d’abris de fortune où gambadent des cafards, etc. Le voyage d’un amoureux désespéré devient alors la circumnavigation d’une intense tristesse des migrants sur le continent européen.


thriller Dans sa mise en scène de Tosca, Paul-Émile Fourny se concentre sur les relations unissant les quatre protagonistes principaux, créant une intime théâtralité. Entretien avec le directeur de l’OpéraThéâtre de Metz Métropole.

Par Hervé Lévy Maquettes de costumes de Giovanna Fiorentini

À l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, du 1er au 5 février opera.metzmetropole.fr Répétition publique (26/01, 14h), entrée libre sans réservation

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Voir Poly n°191 ou sur poly.fr

Après avoir monté Il Trittico en 2016* vous revenez à Puccini avec son opéra le plus célèbre, Tosca… Il n’avait pas été donné depuis longtemps à Metz. Avant une nouvelle production de Madama Butterfly dans un an et demi, j’avais envie de mettre en scène un opéra très contemporain. Pourtant, Tosca est temporellement déterminé. Les références historiques abondent dans un opéra se déroulant à Rome, en juin 1800. En quoi est-il actuel ? Il est irrigué par une profonde théâtralité et une grande intimité : c’est presque un huis clos entre quatre personnages où le chœur intervient sporadiquement. Il y est question de folie religieuse, de jeux de pouvoir et de séduction… On pourrait se croire au XXI e siècle ! À quelle époque de déroule votre mise en scène ? On a souvent transposé l’œuvre dans l’Italie fasciste ou dans un futur totalitaire. J’ai préféré ne pas changer d’époque et rester dans

un univers évoquant le début du XIXe siècle. Pour les décors, j’ai fait appel à la projection vidéo, car je n’avais pas envie qu’un cadre imposant écrase la finesse du propos. Cela me semblait d’autant plus pertinent que Tosca est un opéra profondément cinématographique ! Avez-vous été filmer dans les décors prévus dans l’opéra ? Je ne voulais pas de copier / coller et de plate illustration. Pas de Palais Farnèse ou de Château Saint-Ange, mais des évocations métaphoriques de ces lieux. Quelle est la substance de Tosca ? Il existe un rythme particulier dans cet ouvrage qui débute sans ouverture : le spectateur est directement plongé dans l’action. Il s’agit presque d’un thriller où quatre personnes meurent en l’espace de 24 heures. Il y a une fatalité dans cette histoire, c’est pour cela que j’ai souhaité placer, à côté de chacun, son ange gardien, un observateur muet qui n’intervient pas. Il montre que les choses auraient pu s’arranger, mais que le destin frappe de manière abominable, constatant le désarroi, la désolation. Poly 216

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bons baisers de russie Les trois dernières symphonies de Dmitri Chostakovitch sont réunies en un cycle par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Son directeur musical et artistique Marko Letonja en livre les clefs. Par Hervé Lévy Photo de Grégory Massat

Au Palais de la Musique et des Congrès (Strasbourg), jeudi 24 et vendredi 25 janvier, jeudi 31 janvier et vendredi 1er février, jeudi 7 et vendredi 8 février philharmonique.strasbourg.eu Opus Café en direct avec Marko Letonja et Jean-Guihen Queyras sur la radio Accent 4 (24/01, 12h) – accent4.com

Il se produira en musique de chambre avec des membres de l’OPS (27/01, Cité de la Musique et de la Danse) – jeanguihenqueyras.com 2 Les 29 et 30 septembre 1941, plus de 33 000 Juifs sont convoqués au lieu-dit Babi Yar, où ils sont massacrés à la mitrailleuse par les Einsatzgruppen 1

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Quelle idée irrigue ce cycle Chostakovitch ? Il me semble essentiel de faire écouter au public les trois ultimes symphonies de celui qui fut le maître du genre au XXe siècle. Elles sont mal connues et éloignées de l’image d’un compositeur trop souvent réduit à sa dimension politique : sa relation complexe avec le pouvoir soviétique qui s’incarne dans le “tube” qu’est la Symphonie n°5 écrase tout ! Avec ces œuvres, se découvre un Chostakovitch complexe et intime. Le premier concert rassemble sa Symphonie n°15 et son deuxième Concerto pour violoncelle (24 & 25/01) : quel est son substrat ? Ce sont des vendanges tardives avec une symphonie testamentaire pleine de lumière, mais également parcourue de zones d’ombres. Cette pièce éminemment mystérieuse et dense – dont j’explore depuis quelques mois les arcanes – permet de mieux comprendre quel homme il était. Elle entre en résonance avec le Concerto que j’ai confié à notre artiste en résidence pour 2019, Jean-Guihen Queyras1, un des plus intéressants violoncellistes d’aujourd’hui. Pourquoi avez-vous ensuite choisi de rassembler des partitions de Haydn

– le père de la symphonie – et Chostakovitch (31/01 & 01/02) ? La Symphonie n°49 du premier et la Symphonie n°14 du second se répondent, entretenant un dialogue dark. Le Haydn qui s’amuse créant des effets pour surprendre le public et le Haydn qui puise son inspiration dans les musiques populaires hongroises ou croates sont bien connus. Son côté obscur, beaucoup moins. Ce bloc d’une puissante et expressive noirceur va comme un gant avec une symphonie presque chambriste de Chostakovitch rythmée par des poèmes lugubres de Rilke, Apollinaire ou Garcia Lorca. Dans le dernier concert (07 & 08/02), quel est le rapport entre les symphonies de Haydn et Chostakovitch ? C’est très différent. La Symphonie n°73 de Haydn, dont le caractère presque mécanique est obsédant, est placée en ouverture du concert pour créer un contraste puissant avec la Symphonie n°13 de Chostakovitch sous-titrée Babi Yar. Elle fait référence aux persécutions des Juifs à travers l’Histoire en évoquant un des plus grands massacres de la Seconde Guerre mondiale qui s’est déroulé en Ukraine2. Il me semble essentiel de la jouer en ces temps troublés.


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Médée / Medea Senecae

Création mondiale du premier opéra de Frederik Neyrinck, mélange hybride de shooting photo, de tournage et de concert avec pour sujet “l’inconnue de la Seine”, une jeune femme qui s’est noyée dans le fleuve. Un récit universel sur la beauté, la fugacité de l’existence et la mort, une expérience totale où rêve et réalité sont interchangeables.

Sous la baguette de Sébastien Rouland sont rassemblées, au cours de la même soirée, la baroque Médée de Cherubini et la contemporaine Medea Senecae de Xenakis. Voilà un projet extrêmement excitant !

08 & 09/01, Grand Théâtre (Luxembourg) theatres.lu

Evita (1) Une comédie musicale culte narrant la destinée d’une icône du XXe siècle, signée du duo formé par le compositeur Andrew Lloyd Webber et le librettiste Tim Rice. À ne pas manquer (voir Poly n°215 ou sur poly.fr) 09-13/01, Festspielhaus (Baden-Baden) bb-promotion.com – festspielhaus.de

Bachar Mar-Khalifé Fils d’un légendaire oudiste et chanteur, il ne cesse de secouer les registres pour faire valser les étiquettes, assimilant sa formation classique à un univers electro teinté de sonorités orientales. Sa voix sombre, profonde, langoureuse parfois, porte les accents de son Liban natal. Le concert sera plongé dans un univers numérique. Dans le cadre des Vagamondes (voir page 18). 10/01, Les Dominicains de Haute-Alsace (Guebwiller) les-dominicains.com

Péplum Théo Ceccaldi et Fantazio, c’est l’union d’un performeurcontrebassiste et d’une désormais grande figure du violon jazz, tous deux fous d’improvisation pour un spectacle débridé. 12/01, L’Espace (Besançon) scenenationaledebesancon.fr

Rentrée 2019

19/01-27/04, Saarländisches Staatstheater (Sarrebruck) staatstheater.saarland

Miossec (2) Après la sortie de son onzième album Les Rescapés, le voici en concert, animé par un souffle, une envie bien particulière : que l’on sente l’homme, la femme, derrière chaque son, que l’on sente les êtres vivants. 24/01, La Vapeur (Dijon) 08/03, L’Autre Canal (Nancy) 09/03, Le Noumatrouff (Mulhouse) 23/03, La Laiterie (Strasbourg) 30/03, La Cartonnerie (Reims) christophemiossec.com

The Beggar’s Opera Ce chef-d’œuvre du XVIIIe siècle de John Gay n’a rien perdu de son mordant et résonne avec force dans l’actualité politique. Dans cette nouvelle production, la mise en scène de Robert Carsen retranscrit toutes ses subtilités piquantes rythmées par les musiciens des Arts Florissants. Dans le cadre de Reims Scènes d’Europe (voir page 27) 26 & 27/01, Opéra (Reims) operadereims.com

GéNéRiQ Imprévisible, généreuse et plus que jamais participative, la formule 2019 du festival chahutera les oreilles et les idées préconçues sur quatre lieux, avec 27 groupes ! Avec notamment Anna Calvi et Flavien Berger. On en reparle bientôt. 07-10/02, dans divers lieux generiq-festival.com

Pour ouvrir l’année, la Licence Pro MOSEL (IUT de Belfort-Montbéliard) et le Moloco s’associent pour une soirée atypique et gratuite à la tonalité teintée de rose ! 17/01, Le Moloco (Audincourt) lemoloco.com Poly 216

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© Yann Orhan

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© Pamela Raith

sélection musiques


birth of a nation Quelque 150 œuvres d’une quarantaine d’artistes : L’Art d’une jeune géNérATION dresse un passionnant panorama de la scène contemporaine namibienne. Par Hervé Lévy

Au Musée Würth (Erstein), jusqu’au 26 mai musee-wurth.fr

Légende Nicola Brandt, Illuminated, Unrecounted, 2013, collection de l’artiste

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evenue indépendante en 1990, la Namibie demeure marquée par un passé colonial douloureux : les photographies et les vidéos de Nicola Brandt questionnent cette histoire, explorant des lieux de mémoire souvent oubliés. Ces images rappellent qu’un paysage presque désertique, qui semble aujourd’hui anodin, fut un cadre pour le massacre des Hereros et des Namas au début du XXe siècle par les troupes allemandes commandées par Lothar von Trotha. Des traces de la présence germanique sont aussi perceptibles dans les peintures à la naïveté revendiquée de Paul Kiddo : maisons de Kolmanskop rongées par le sable dans une jolie métaphore, église luthérienne posée au cœur d’une cité d’Afrique de l’Ouest… Plus récente, la domination sud-africaine et le régime d’apartheid imprègnent encore les esprits. Au fil des salles d’une exposition organisée thématiquement, se font jour de belles découvertes appartenant pour la plupart à la collection rassemblée par Reinhold Würth, tombé amoureux du pays, comme les œuvres de Fillipus Sheehama qui dessinent un tableau de la société namibienne marquée par des inégalités sociales violentes. Pour l’artiste,

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elles sont « une forme contemporaine de colonialisme ». Dans d’immenses compositions faites avec des emballages recyclés, déchets de la société de consommation, apparaissent des silhouettes d’hommes s’ennuyant ferme et picolant idem ou de chiens errants symbolisant la pauvreté. C’est une préoccupation identique qui irrigue les paysages de John Kalunda, vues d’habitats précaires où les pigments se mêlent à des morceaux de tôle ou de bois pour figurer de mélancoliques bidonvilles plantés en plein désert. Se découvrent également un de ses dioramas intitulé 1990 Living style still exists, montrant que l’indépendance, finalement, n’a pas fondamentalement métamorphosé les conditions de vie de la population. Paysages grandioses (les huiles mystérieuses de Barbara Böhlke), questionnement sur la spiritualité (les statues de bois sens dessus dessous de Ndasuunje Papa Shikongeni) ou problématiques politiques (avec les sculptures de fil de fer d’Elvis Garoeb) : le parcours est captivant et s’achève, comme un clin d’œil avec le plus namibien des plasticiens alsaciens, Raymond Waydelich qui a dédié une série de pièces au pays qu’il aime tant, lui rendant hommage avec ses célèbres animaux griffus et dentus.



opéra-ci, opéra-là Sobrement intitulée Opéra ! cette exposition retrace une odyssée de plus de trois siècles à Nancy, celle des salles de spectacle, de la période du Duc Léopold à 2019, année où le bâtiment actuel fête son centenaire.

Par Hervé Lévy

À la Galerie Poirel (Nancy), jusqu’au 24 févier poirel.nancy.fr opera-national-lorraine.fr Visites commentées de l’exposition, chaque dimanche (15h) Visites commentées de l’Opéra national de Lorraine (18/01 et 15/02, 18h) Pour le jeune public : Dessine-moi un opéra (06/01, 14h) et L’Atelier du chapelier (14 & 21/02, 14h30)

Légendes 1. La salle du nouveau théâtre (début XXe siècle) © Bibliothèques de Nancy. Photo : J-Y Lacôte 2. Semiramide, 2017 © C2Images pour l’Opéra national de Lorraine 3. Agence Hornecker, Escaliers d’honneur, 1911 © Bibliothèques de Nancy. Photo : J-Y Lacôte

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«L’

Histoire des théâtres est un reflet de l’Histoire de Nancy », résume Pierre-Hippolyte Pénet, commissaire d’une exposition construite en trois actes (ponctués de costumes et de maquettes de productions récentes de l’Opéra national de Lorraine) correspondant chacun à une époque. Et de poursuivre : « Trois salles de spectacle majeures ont été construites dans la ville au fil des ans. Elles structurent le parcours » se déployant dans une scénographie toute en rouge et noir, entraînant le regard de la scène aux coulisses, du présent au passé. Accueillis par des mannequins vêtus de costumes de la mythique production d’Artaserse (2012) réunissant la crème de la crème du chant baroque, le visiteur plonge dans le XVIIIe siècle sur des musiques de Leonardo Vinci baignant la salle. Aristocratie Le Duc Léopold et son épouse Élisabeth-Charlotte d’Orléans, nièce de Louis XIV – dont sont

présentés des bustes d’un délicat classicisme – règnent sur le Duché de Lorraine. Amateurs de spectacles (dans lesquels, tel le Roi Soleil, la duchesse se produit avec pages et dames de la cour), ils décident de faire construire une salle dédiée à leur passion dans leur palais. Inaugurée en 1709, il n’en reste rien : réalisés par l’architecte italien Francesco Galli da Bibiena, des dessins d’une grande élégance évoquent cette merveille de style baroque où cascadent les ors. « Elle est également un manifeste de souveraineté et d’indépendance par rapport au Royaume de France », souligne PierreHippolyte Pénet : « Des symboles comme la croix de Lorraine ou la Couronne de Jérusalem – dont Léopold était aussi Roi – y sont très visibles. » Reconstituée en miniature pour l’exposition, cette salle imposante (69 mètres sur 26) et pourvue d’imposantes machineries « était une des plus belles d’Europe ». Ses éléments décoratifs et techniques déplacés à Lunéville ou Florence, elle n’est plus qu’une coquille vide en 1736. Mais le Duc Stanislas


Leszczynski a de nouveaux plans : amateur de théâtre (qui fait se produire sur scène “son” nain Bébé dont une effigie costumée rappelle la renommée), il décide de créer la place qui porte désormais son nom pour relier la ville médiévale et la cité nouvelle. L’architecte Emmanuel Héré imagine un ensemble cohérent intégrant la nouvelle Comédie côté ouest, à l’emplacement actuel du Musée des Beaux-Arts. Toiles, dessins (dont une émouvante gouache anonyme) et statues évoquent ce chantier. Dès son inauguration en 1755 – avec le très propagandiste Triomphe de l’Humanité où Stanislas est comparé à Titus, Trajan et Marc-Aurèle –, le lieu devient incontournable, accueillant une troupe de 14 comédiens, un orchestre de 9 musiciens, un chœur de 12 chanteurs et les plus grandes stars de l’époque (ce dont témoignent des portraits de Fleury ou Lekain).

après la fin de la Guerre, puisqu’il s’agit de montrer aux Allemands, que la République possède aussi des compositeurs majeurs. L’auteur de l’opéra était en effet surnommé le “Wagner français”. » La fin de l’exposition évoque la vie de l’institution entre théâtre de boulevard un brin kitsch des Galas Karsenty-Herbert, échappées belles dansées et grands moments lyriques dont l’obtention du label “Opéra national” en 2006 ou Donna abbandonata, spectacle d’Antoine Bourseiller de 1987, révélant une Cecilia Bartoli de vingt ans.

République La vie de l’institution au XIXe siècle (où se déroulent opéra, ballet et pièces de théâtre) est décrite avec ses heures de gloire – la venue de Coquelin, créateur du rôle de Cyrano, ou de Sarah Bernhardt – et ses vicissitudes, parfois comiques. Un arrêté du Maire de Nancy stipule, par exemple, en 1824 : « Il est défendu à toute personne d’uriner dans le corridor. » Détruit par un incendie en 1906, l’Opéra sera rebâti en face : plans, dessins (montrant notamment le grandiose projet d’Émile André et Gaston Munier refusé car manquant d’escaliers d’évacuation), et photographies illustrent la construction d’un bâtiment signé Joseph Hornecker. Innovant, cet édifice est 100% en béton, puisque de l’ancien Hôtel des Fermes n’a été conservée que la façade. Il a nécessité l’installation d’une gigantesque grue par l’entreprise France-Lanord & Bichaton. Les polémiques liées au chantier sont aussi rappelées, une partie de la population qualifiant le nouveau bâtiment de « verrue kolossale », évoquant peu élégamment les origines alsaciennes de son auteur. Il est inauguré le 14 octobre 1919, avec Sigurd d’Ernest Reyer « un acte politique Poly 216

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EXPOSITION

emportés par la foule Au Musée de l’Œuvre Notre-Dame, l’exposition 1518, la fièvre de la danse revient sur un étrange phénomène de déambulation collective, chorégraphique et gesticulante. Saint-Guy, priez pour nous !

Par Emmanuel Dosda

Au Musée de l’Œuvre NotreDame (Strasbourg), jusqu’au 24 février musees.strasbourg.eu

Visites commentées à 11h : 06, 13, 20 et 27/01 & 03, 10, 17 et 24/02 Un regard neuropsychologique : visite / rencontre, 26/01 (14h30)

Légende La Mort dansant, vers 1520, Strasbourg, Musée de l’Œuvre NotreDame. Photo : Musées de Strasbourg, Mathieu Bertola

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«A

u mois de juillet 1518, la ville de Strasbourg est confrontée à un curieux problème de santé publique. Quelque cinquante personnes se mettent à danser jusqu’à l’épuisement dans les rues… » Dans le catalogue de l’exposition, l’historienne Élisabeth Clementz décrit cette abracadabrantesque hystérie collective produisant mouvements démoniaques et crises spasmo-épileptiques sur le son strident de la cornemuse. Cette “maladie contagieuse”, appelée danse de Saint-Guy – du nom du patron des maladies convulsionnaires – demeure mystérieuse, même s’il ne s’agit pas d’une manifestation isolée. Il y eut nombre de pèlerinages dansés, jusqu’à la fin du XVIe siècle. Reste que l’épisode alsacien fut si impressionnant (rassemblant parfois plus d’une centaine de ravers médiévaux) que le 2 août, le magistrat de la ville exige l’interdiction de toute procession dans la cité. On a songé aux conséquences d’une chute de météorite dans la région (véridique !), à un trouble dû à l’ingurgitation de céréales infectées par de dangereux champignons, à une manifestation diabolique ou aux effets secondaires d’une immense famine… alors que Strasbourg était plutôt prospère à l’époque. Le diagnostic de la médecine face à l’épidémie ? « Une conjonc-

tion astrale et la canicule. » Mais c’est bien sûr : les (mauvaises) étoiles ont donné la fièvre à une population en surchauffe. « Pour la ville de l’imprimerie, peu de documents rendent compte de l’événement », regrette Cécile Dupeux, conservatrice et commissaire. Dans les salles du Musée, on découvre un extrait du registre des Mandats et Règlements de la Ville, une lithographie de Charles Spindler de 1893 illustrant La Danse de Saint-Guy, une magnifique statue en bois de La Mort dansant (vers 1520), une sublimissime femme sans visage sculptée dans la pierre, figée dans un mouvement de torsion corporelle : la Danse extatique d’une ménade antique du culte de Dionysos, copie romaine d’une œuvre de Scopas du IVe siècle avant Jésus-Christ. On retient aussi et surtout la scénographie de Philippe Poirier qui est à l’image des décors de Matisse, « une expression forte vivifiant les alentours », résume-t-il. Colorée, chaleureuse, vivante, elle se compose essentiellement de grands panneaux où sont reproduits des « motifs inspirés de la gravure de la fin du Moyen-Âge ». Une expo « théâtralisée », selon Cécile Dupeux, plongée dans une lumière diffuse, d’une « “vision” décrivant le contexte et l’imaginaire de l’époque ».



EXPOSITION

drôles de drames Depuis 1999, la distillerie Fernet-Branca, ne produit plus d’alcool, mais accueille des expositions dont cette dernière, 5 Femmes : l’engagement poétique. Le quintet d’artistes a trempé ses pinceaux dans la liqueur amère avant de nous tendre un miroir déformant le réel.

Par Emmanuel Dosda Peinture de Vanessa Fanuele (Echoes) À la Fondation Fernet-Branca (Saint-Louis), jusqu’au 10 février fondationfernet-branca.org

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es vapeurs enivrantes semblent émaner du lieu marqué par le souvenir de la fabrication d’une boisson à 42° : le travail de Marie-Amélie Germain, Marine Joatton ou Haleh Zahedi perturbe notre perception, tord le visible, trouble nos sens, nous enferme dans une sombre cabane sans portes ni fenêtres, brûle nos cœurs et fait un lâcher d’oiseaux de malheur. Entre rêverie et ivresse, se dévoile le « langage poétique qui matérialise le réel et lui donne sa vérité », insiste Pierre-Jean Sugier, directeur, qui cite l’ouvrage de Laure Adler, Les Femmes artistes sont dangereuses. Aujourd’hui encore, « elles sont sous-représentées par rapport aux hommes » regrette celui qui, à travers ses expositions, leur donne la place que les plasticiennes méritent. Selon lui, chacune a son propre vocabulaire, mais toutes décrivent « des univers en tensions, où paysages, fleurs et personnages convergent dans une inquiétante familiarité ». Les toiles de Marine Joatton, brutes, sans châssis, surpeuplées (« Il y a du monde dans ses tableaux ! » sourit Pierre-Jean Sugier) montrent de terrifiantes Apparitions au jardin ou de bien tristes Tropiques. Les dessins d’Haleh Zahedi dépeignent quant à eux un monde « fictivement réel » pour reprendre ses mots. Ses biscornues formes organico-végétales naissent « dans la brume du fusain » : on ne sait pas trop s’il s’agit d’un membre humain surréaliste, d’un obscur paysage extraordinaire ou d’une plante mutante inconnue. La créatrice s’empare des Métamorphoses d’Ovide pour inventer des objets hybrides faisant froid dans le dos à la manière d’une croisière à bord de la Nef des fous. Dans ses plus de cinquante nuances de gris, se dissimule le volatile aux griffes acérées, le mauvais œil.

Le Livre de la jungle Les peintures de Marie-Hélène Fabra – qui mène un effroyable corps à corps avec la matière colorée – ou de Vanessa Fanuele revisitent également la mythologie, relisant les aventures d’Hercule ou nous plongeant aux enfers en compagnie d’Orphée. Trouble reflet de Narcisse, effrayantes chimères, inquiétant Minotaure, Icare se cramant les ailes, promenade sur le Styx, voyage au pays des contes cruels. Vanessa Fanuele a abandonné l’architecture mais continue à peindre comme d’autres élaborent des plans de bâtisses. Inspirée par le Douanier Rousseau (et sans aucun doute par Peter Doig), elle “construit” des paysages naturels nocturnes hyper structurés, habités par un bestiaire incongru : une hyène la gueule ensanglantée laissant une carcasse, reste d’un festin, au beau milieu d’une luxuriante savane, un antipathique primate couronné évoquant les mésaventures du Mowgli de Kipling, un oiseau hautain voleur de colliers de perles scintillant dans la nuit… Pour expliquer « l’inquiétante étrangeté » de ses huiles, il faut remonter un peu en arrière, lorsque la créatrice trouve des boîtes chez sa grand-mère décédée : en découvrant ce qu’elles recelaient – diverses choses à la semblance d’ex-voto, des ossements… –, c’est comme si elle avait libéré des esprits malins. « Inconsciemment, ma grand-mère m’a mis sur le chemin de l’Art qui est devenu un véritable engagement », nous confit Vanessa. Afin de nimber ses œuvres d’un supplément de mystère, elle les recouvre d’un mince voile « de pudeur » pictural, un délicat brouillard, un « rideau », une fine peau enveloppant la fragilité d’un univers hanté par le monde de l’enfance. Pas si insouciant…


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EXPOSITION

du côté obscur Une passionnante exposition du Kunstmuseum Basel met en lumière les inspirations littéraires et théâtrales de Johann Heinrich Füssli à travers quelque 70 toiles. lorsqu’on contemple une des versions du célèbre Cauchemar, où se mêlent un érotisme sourd et un romantisme noir. Une femme alanguie semble dormir, observée par une tête de cheval, tandis qu’une inquiétante bestiole est assise sur son ventre. À une époque où certains artistes exploitent la part de ténèbres des Lumières (alors supposées déverser leurs vertus bienfaitrices sur l’univers tout entier), le peintre helvète donne le la d’un sabbat fantasmagorique où se rencontrent créatures sataniques, bestioles merveilleuses et autres spectres.

Par Hervé Lévy

Au Kunstmuseum Basel, jusqu’au 10 février kunstmuseumbasel.ch Légende Amor und Psyche, vers 1810 © Kunsthaus Zürich

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üssli (1741-1825) « refusa toutes les conventions. Surnommé le “Suisse sauvage”, il était profondément incorrect. À bien les regarder, ses tableaux sont très contemporains », résume Eva Reifert commissaire d’une exposition dont le soustitre Drame et Théâtre est un beau résumé. Rien d’étonnant s’il fut considéré par les Surréalistes comme l’un de leurs précurseurs

Analysant ses sources littéraires – des textes dont ses images constituent de puissantes théâtralisations – cette présentation explore principalement trois directions, les mythologies, qu’elles soient gréco-latines ou nordiques, tout d’abord. Le visiteur y découvre la sensualité langoureuse et les corps lourds de désir et de mort d’Amour et Psyché et Ulysse faisant face aux éléments déchaînés, entre Charybde et Scylla, mais aussi le combat sans merci opposant Thor et Jörmungand, gigantesque serpent de mer. Une autre série de toiles est inspirée de Shakespeare avec un somptueux Réveil de Titania (extrait du Songe d’une nuit d’été) ou un angoissant trio de sorcières sorti de Macbeth. Füssli représente aussi le dramaturge dans une géniale composition où l’auteur du Roi Lear, enfant joufflu et innocent, semble hésiter entre la tragédie et la comédie penchées sur son berceau. Autre source d’inspiration majeure, Milton – auquel le peintre s’identifie – est portraituré en vieil homme aveugle dictant son texte à sa fille. Ce sont cependant les images tirées de son ouvrage le plus connu, Le Paradis perdu qui génèrent la fascination : traité sur le mode épique, ce sujet biblique permet à l’artiste d’héroïser son propos. Le visiteur est irrémédiablement happé par cet univers fantasmagorique, gothique et horrifique.



sélection expos Ferdinand Hodler, Thunersee mit Niesen, 1910. Privatsammlung, Schweiz. © Peter Schälchli, Zürich

Rain Une présentation monographique dédiée à l’artiste allemande Isa Melsheimer qui entretient un dialogue critique avec les réalisations du Corbusier à travers sculptures, installations, images et dessins. Jusqu’au 13/01, Le 19 (Montbéliard) le19crac.com

Hodler//Parallélisme Pour le 100 anniversaire de la disparition d’un peintre suisse parmi les plus renommés, son œuvre est passée au prisme inédit du parallélisme. Dans sa peinture, il cherchait à mettre en relief cet ordre qu’il avait décelé dans la nature au moyen de divers principes de composition : symétrie, reflet et répétition. e

Jusqu’au 13/01, Kunstmuseum (Berne) kunstmuseumbern.ch

Victor Vasarely Plongée Dans le Labyrinthe du modernisme avec le fondateur de l’Op Art dont sont accrochés des tableaux anciens et fondateurs comme Zèbres (1937) et des chefs-d’œuvre de la série des années 1970 intitulée Vega. Jusqu’au 13/01, Städel Museum (Francfort) staedelmuseum.de

Fabriques de contre-savoirs À travers une exposition collective sont mis en lumière des processus non-systématiques de dissémination de l’information, des modalités alternatives de partage des savoirs, en écho à la démarche de l’artiste conceptuel britannique John Latham. Jusqu’au 10/02, Frac Lorraine (Metz) fraclorraine.org

Oskar Kokoschka Parmi les quelque 200 œuvres de cette rétrospective, dédiée à un artiste expressionniste resté fidèle à la peinture figurative alors que l’abstraction renforçait sa prédominance, on découvre le triptyque monumental La Saga de Prométhée. Jusqu’au 10/03, Kunsthaus (Zurich) kunsthaus.ch

La Mythique École de Leipzig Une exploration d’une école majeure de la peinture européenne de 1960 à nos jours avec des œuvres d’Erich Kissing, Leif Borges, Michael Triegel, etc. Une très belle découverte ! Jusqu’au 28/04, Sammlung Hurrle (Durbach) museum-hurrle.de

Légende Queen Elizabeth II Zoom sur la souveraine grâce à l’incroyable collection Luciano Pelizzari où se dévoilent des photos, des peintures, des timbres et des pièces de monnaie à l’effigie de la doyenne des monarques… et bien d’autres choses encore ! Jusqu’au 22/04, Patrimoine culturel mondial Völklinger Hütte (Völklingen) voelklinger-huette.org

Newsha Tavakolian

Le sculpteur luxembourgeois est connu principalement pour ses réalisations exotiques comme le buste du cuisinier chinois Chi-Fan, produit en série. Son parcours est ici retracé dans son intégralité.

La jeune photographe iranienne est déjà une pointure internationale qui a collaboré entre autres journaux avec Newsweek, le New York Times ou Der Spiegel. S’éloignant du photoreportage pur, elle explore aujourd’hui avec une écriture plus artistique, les conflits internationaux de l’intérieur comme la société iranienne. Dans le cadre des Vagamondes (voir page 18).

Jusqu’au 31/03, MNHA (Luxembourg) mnha.lu

09/01-17/02, La Filature (Mulhouse) lafilature.org

Jean Mich

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ARCHITECTURE

réparer les vivants Espaces végétalisés, façades vitrées et coque de béton artistiquement customisée, le minéral Centre de soins psychiatriques de Metz Queuleu1 réalisé par l’agence strasbourgeoise Richter Architectes & associés2 a récemment été récompensé par la prestigieuse Équerre d’argent 2018.

Par Emmanuel Dosda Photos de Luc Boegly et portrait d’Alexis Delon / Preview

Centre de soins psychiatriques de Metz Queuleu, ZAC Hautes de Queuleu ch-jury.fr richterarchitectes.com

Lire l’article sur l’écoquartier Danube à Strasbourg dans Poly n°139 ou sur poly.fr 2 Maîtrise d’ouvrage : Centre hospitalier spécialisé de Jury 3 L’Unité de vie protégée – EHPAD Le Solem à Vagney ou l’Équipement de santé dans le quartier du centre à Nanterre 1

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e prix, c’est un peu comme la Palme d’or ou le Goncourt : l’assurance d’avoir de beaux lendemains, d’attirer les regards et de susciter l’intérêt. Le bâtiment conçu par Pascale Richter, son frère Jan et AnneLaure Better a été choisi parmi les centaines d’autres réalisés, exclusivement en France, par des architectes de tous horizons, dont Jean Nouvel ou Rem Koolhaas cette année. Le jury fut séduit par la réponse de l’agence alsacienne qui a porté une attention toute particulière aux usagers nécessitant des soins psychiatriques. Adultes et enfants sont regroupés dans un même bâtiment d’une surface de 2 200 m², mais séparés physiquement. Ce projet “sensible” est situé sur une zone d’activités de la périphérie messine, « sans ordre apparent, ni urbanité particulière », souligne Pascale. Il est à proximité de deux stations services et d’un concessionnaire automobile (comme couramment dans les ZAC)… mais aussi des transports en commun : son accessibilité est essentielle. « On appréhende l’architecture par le corps » Pour tenir compte de cette spécificité program-

matique, le trio a voulu que « l’architecture participe au protocole de soins. Nous avons déjà beaucoup travaillé sur des centres médicaux-sociaux3 et sommes convaincus que nous pouvons être utiles, en ne se cantonnant pas à répondre à des besoins fonctionnels mais aller au-delà. » Jan prend le relai : « Notre démarche est calquée sur le process de prise en charge des patients en psychiatrie. L’accueil, l’enveloppement, la protection, la création d’appuis, l’ouverture progressive, la confidentialité, le lien entre l’intérieur et l’extérieur… » Le projet de l’agence parvient à résoudre ce paradoxe entre volonté d’ouverture et nécessité de fermeture. Une coque en béton englobe des patios qui sont autant de petits coins de nature, des poumons intégrés à la bâtisse. De double culture, française et allemande, les Richter ont une sensibilité « romantique. Chaque point de vue propose un rapport différent au paysage, plutôt sauvage », affirment-ils, pas peu fiers de leur construction « dépliée et contenue à la fois », comptant quatorze façades ! Halls à double hauteur, lieux d’accueil, bureaux centraux, salles de consultations ou d’ateliers thérapeutiques… l’espace baigné dans une lumière naturelle s’étire dans toute sa générosité et sa douceur : bois blanchi au plafond et résine rose poudré au sol. Pascale : « Notre posture est, sur un terrain pentu, de révéler la topographie du lieu grâce à l’enveloppe protectrice qui se soulève, se retourne et se découpe. Le bâtiment donne le sentiment de toujours avoir été présent. Le béton a été traité de façon à donner l’impression d’émerger du sol. » Le plasticien Grégoire Hespel est intervenu directement sur la façade, non pas avec ses pinceaux et tubes de peinture, mais en “attaquant” directement le béton fraîchement décoffré au Kärcher pour accentuer l’aspect terreux du centre de soins. Y pénétrer relève de « la promenade ininterrompue » entre nature et architecture.


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putain de guerre De combats mythiques à un contre cent en pilonnages incessants : le Hilsenfirst a gardé les stigmates de la guerre. Randonnée sur les pentes d’un lieu de mémoire oublié de 14-18.

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Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

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out au bout de la vallée de Munster, Sondernach s’alanguit doucement aux pieds des montagnes, impasse magnifique placée sous la protection du massif clocher d’une “église-mémorial” bâtie au cours des années 1920 dans un style patrioticopatrimonial caractéristique de la Troisième République. L’inscription ornant sa façade donne le ton – « À nos vaillants soldats, l’Alsace reconnaissante » – comme un étonnant vitrail où un poilu expirant est veillé par un ange. Les traces de la Grande Guerre sont encore présentes. C’est à peine si le Square Anne-Aymone, ainsi nommé pour rappeler la venue de l’épouse de VGE en 1976, peut faire sourire. Quelques hectomètres plus loin, la voiture posée sur les bords de la Fecht, une raide randonnée peut débuter. Algérie Une pancarte accompagnée d’un rond jaune indique “Mt. Sidi-Brahim” : jusqu’au monument, la montée ne laissera pas de répit, aisée dans un premier temps sur d’amples sentiers serpentant mollement, rude une fois les sols enneigés atteints. Le souffle court, chacun se laisse bercer par le rythme d’une marche que rien ne vient contrarier. Les bois semblent déserts et nous ne sommes pas fâchés de ne rencontrer randonneur qui vive. Seul le bruit sourd des pas précipités et lointains d’un gibier pressé de rentrer se mettre à l’abri ou celui, mat et tranchant, d’un tronc éclatant sous l’effet du gel distraient l’esprit du grand silence de la forêt hivernale. Peu à peu, le paysage devient insensiblement plus

lugubre. Quelques traces de la guerre apparaissent, discrètes dans un premier temps : morceaux d’acier jaillissant de terre, complexion étrange du sol qui pourrait évoquer la naissance d’une tranchée… Les pentes sur lesquelles nous nous trouvons ont été le cadre de violents combats au cours de la “Der des Ders”, mais au contraire de célèbres endroits – Linge et Hartmannswillerkopf en tête – ce champ de bataille est demeuré oublié, rendu à l’éternelle paix de l’Histoire. Une simple plaque de marbre indiquant “Sidi-Brahim” est vissée sur un rocher. À ses pieds, un ruban tricolore donne un peu de couleur au paysage noyé dans une blancheur immaculée. Rien à voir (ou presque) avec le picrate le plus célèbre d’Afrique, étoile viticole de l’Algérie française désormais produit… en Tunisie. L’endroit fut le théâtre d’un fait d’armes héroïque, en juin 1915 : pendant quatre jours des soldats en infériorité numérique commandés par le capitaine Manhès résistèrent aux Allemands, se battant avec tout ce qu’il trouvèrent : « Sur une astucieuse initiative de Moreau, mes chasseurs avaient rassemblé le long du sentier (…) un amas d’assez gros cailloux, de vrais rochers de grès et de granit. On bascule le tout sur la pente, et c’est une véritable avalanche, réellement impressionnante, qui vient déferler sur l’adversaire en pleine ascension. Rochers et Allemands disparaissent à toute allure vers les fonds », écrivit-il. Par ordre du général Louis Ernest de Maud’huy, la 6e compagnie du 7 e Bataillon de Chasseurs alpins sera dénommée “Compagnie Poly 216

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de Sidi-Brahim” rappelant la bataille qui s’était déroulée du 23 au 26 septembre 1845 entre les troupes françaises et Abd el-Kader, au cours de laquelle une poignée de chasseurs et de hussards tinrent tête aux 10 000 hommes de l’émir. Vosges Le silence est total. Les bruits assourdis par un lourd manteau neigeux. Nous montons lentement à travers une végétation dont les formes torturées rappellent le passé. Au loin, quelques chamois fuient allègrement. Le sommet du Hilsenfirst (1 274 mètres) est lunaire. Le sol porte encore les traces des violents combats de 1915 et des tirs d’artillerie incessants : « Tous les coups longs sont pour nous, et nous tombent un peu à droite, un peu à gauche. Leur choc sur le sol et la violence des explosions nous soulèvent de terre et nous couvrent de débris ; les éclats s’éparpillent avec des sifflements, des hululements, d’on ne sait quels effrayants oiseaux de nuit, redescendent en fredonnant sur des tons divers, et s’abattent, frrt ! avec un bruit sec et mat. La poussière et la fumée nous aveuglent ; nous suffoquons. Et il faut être là, passifs, stoïques, résignés à la mort », écrivit le sergent Joseph-Auguste Bernardin dans ses souvenirs. Aujourd’hui, tout est calme sur le sommet battu par les vents qui éparpillent les nuages. Dans une belle trouée bleue, la vue sur le Schnepfenried est imprenable. Soudain, une rafale plonge toute la montagne dans la nuit. Le soleil n’est plus qu’une ombre, se reflétant, blafarde, sur la neige. Nous pique-niquons pelotonnés, protégés par un bosquet famélique. Le foie gras d’oie de la Ferme Schmitt (Bischoffsheim) fait bondir le sang dans nos artères. Laissant cet univers de glace et de fantômes (parfois célèbres, puisque le “renard du désert” Erwin Rommel, en 1916, et Harry Truman, le futur président des États-Unis, en 1918, combattirent ici) derrière nous, la descente vers la vallée s’amorce. L’esprit a envie de fuir ces souvenirs funestes. Mille et un prétextes s’offrent à lui pour s’évader : la forme de mousses s’enroulant autour d’un tronc évoquant l’Op Art de Vasarely, un visage qu’on dirait peint par Picasso apparaissant dans la glace recouvrant une flaque, les enchevêtrements cubistes de souches de bois étrangement rassemblées sur le bord du sentier… La vie a repris ses droits lorsque nous arrivons à la voiture.

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hilsenfirst Distance 11,5 km Temps estimé 5h15 Dénivelé 670 m

Strasbourg 100 km

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délices des montagnes Une cinquantaine de recettes signées Frédéric Kempf, qui a notamment fait son apprentissage à la mythique Auberge de l’Ill et officie désormais aux Clarines d’argent, restaurant de l’hôtel Aux deux clefs de Metzeral. Voilà ce que contient un joli ouvrage intitulé La Bonne cuisine des montagnes des Vosges (22 €). Structuré selon les saisons, le livre contient des délices comme des grenouilles en tempura d’ail des ours, un Parmentier de canard ou encore une étonnante figue farcie au munster frais et miel de sapin !

monument Sidi-Brahim Hilsenfirst (1274 m) Mulhouse 70 km

editions-belvedere.com – aux-deux-clefs.com

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération

riesling stein 2015 « Dans les bois glacés, cette bouteille sera un merveilleux souvenir de l’automne débutant. Comme un coup de chaleur », prévient Jean-Pierre Rietsch, un des vignerons les plus intéressants du paysage alsacien lorsque nous lui rendons visite à Mittelbergheim. Conversion des vignes en bio, vendanges manuelles, approche naturelle de la vinification avec des interventions les plus réduites possible, ses flacons sont des chefs d’œuvre d’équilibre. Ce riesling élevé trois ans sur lies est ciselé avec précision : tendu, fluide et d’une belle complexité, il ressemble à une explosion de bonheur sur les chaumes gelées, même si, avouons-le, la température de dégustation était un peu basse. Nous réessayerons avec des bouchées à la reine, promis, Jean-Pierre ! alsace-rietsch.eu

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sapide & limpide Depuis l’automne 2016, Patrick Fréchin enchante Nancy avec son restaurant dont le nom résume la philosophie. Visite chez Transparence. Par Hervé Lévy Photo de Stéphane Louis pour Poly

Transparence est situé 28 rue Stanislas à Nancy. Fermé dimanche et lundi. Menus de 32 € (au déjeuner, sauf samedi) à 80 € restaurant-transparence.fr

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quelques mètres des grilles mondialement célèbres de la place Stanislas se niche un restaurant au décor d’une raide élégance, sobrement contemporaine, étoilé au Guide Michelin depuis l’année passée. Avec sa cuisine centrale vitrée, où l’on peut observer la brigade au travail, Transparence n’est « pas qu’un nom, mais une philosophie », résume le maître des lieux, Patrick Fréchin. « Ici, on ne cache rien. Chacun sait ce qu’il a dans son assiette », affirme un chef adepte de la sainte trinité de la gastronomie contemporaine : inventivité, saisonnalité, et proximité. Cette dernière s’exprimant jusque dans le choix de certains flacons, comme le racé chardonnay meusien du Domaine de Muzy (2016) et le langoureux pinot noir mosellan “Les Clos” (2016) du Château de Vaux. Attaché à sa ville de Nancy, le chef quinqua (dont les racines plongent dans les Vosges) a la cuisine dans le sang – « À quatre ans, j’ai dit à mes parents que je ferai ce métier. Du reste je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre », affirme-t-il dans un sourire – et une belle expérience derrière lui : de pres-

tigieuses maisons helvètes et une Étoile au Grenier à Sel de la cité lorraine, entre 2006 et 2011. Après quelques années complexes au Grand Hôtel de la Reine, le voici chez lui. Parmi les réalisations emblématiques d’un chef dont l’intense probité n’est plus à démontrer, mentionnons un très graphique terre / mer à l’aspect agréablement lisse : cette compression de foie gras et Saint-Jacques trouve sa profonde cohérence grâce à la truffe, idoine passerelle entre deux univers, présente dans une vinaigrette et une quenelle crémeuse à souhait. Les hostilités se poursuivent avec un bar rôti à l’unilatérale en consommé de coquillages, joyeusement parfumé et légèrement acidulé, mais la plus belle réalisation est sans conteste un filet de bœuf lorrain au charbon végétal… Une purée d’aubergines à l’encre de seiche relevée d’une pointe d’ail confère un puissant goût à l’animal – dont la cuisson frise la perfection – notamment accompagné de pommes de terre soufflées d’une incroyable légèreté et de quelques éclats papillonnants de chou.



UN DERNIER POUR LA ROUTE

de la chine à la bourgogne Minuscule village, Chorey-les-Beaune donne son nom à une AOP peu connue : coup de cœur pour les flacons d’une pureté renversante de Zhengyu Wang au Domaine Petit Roy.

Bourguignon, héritier spirituel d’une famille qui consacre sa vie au vin depuis trois générations, alsacien d’adoption, fan de cuisine, convivial par nature, Christian Pion partage avec nous ses découvertes, son enthousiasme et ses coups de gueule.

Domaine Petit Roy 3 rue Jacques Germain (Chorey-Les-Beaune)

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é en Chine, Zhengyu Wang a également vécu au Japon. Pétri de cette double culture, il a débarqué en Bourgogne depuis un peu plus d’une dizaine d’années, travaillant dans de nombreux domaines de renom afin de parfaire sa connaissance du vignoble et de la vinification. Il apprend énormément aux domaines Leflaive (Puligny-Montrachet), Jacques Frédéric Mugnier (Chambolle-Musigny), Rousseau (Gevrey-Chambertin), mais aussi aux côtés de Dominique Lafon. Fort de cette expérience, il s’installe à partir de 2016 avec deux hectares de vignes du Domaine Petit Roy et quelques arpents en fermage. La conduite des vignes est en bio (mais non certifié) et en bio-dynamie, car pour Zhengyu, les traitements bios sont trop industriels et saturent les sols en cuivre. Il privilégie le “sans soufre” à la vigne en utilisant des traitements au petit lait et aux huiles essentielles… Les rouges sont vinifiés en vendange entière si le raisin le permet. Le viticulteur s’adapte à chaque terroir et chaque qualité de fruit pour en exprimer le potentiel et optimiser l’expression de sa pureté. Les appellations sont ici modestes : Bourgogne rouge en sélection parcellaire, Chorey-les-Beaune, Hautes Côtes de Beaune, Côte de nuits villages en rouge, Bourgogne blanc, Aligoté, Maranges, Saint Romain le Perrière en blanc. La dégustation de ses vins étonne néanmoins par le style frais et longiligne de chaque cuvée. Les arômes des rouges sont d’une franchise absolue, mêlant avec entrain les petits fruits rouges, des notes aériennes de fleur et une minéralité fine. Les bouches sont pures, précises et persistantes, associant plaisir immédiat du croquant du fruit à une structure millimétrée. Les blancs sont déjà expressifs sur le plan aromatique,

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avec des saveurs de fruits blancs et d’agrumes ainsi que des touches d’épices, tandis que les bouches sont ciselées par une acidité mûre et salivante. Les vins du domaine ne sont pas revendiqués “nature”, le vigneron ne s’interdisant pas, d’ajouter un peu de soufre à la mise pour préserver la pureté. Zhengyu démontre que les terroirs modestes ont le potentiel de produire des flacons d’émotion qui respectent la nature de leur sol pour peu qu’ils soient entre les mains d’un vigneron de grand talent !

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération

Par Christian Pion




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