Poly 218 - Mars 2019

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N°218

MARS 2019

poly.fr

Magazine Open Codes | ZKM Françoiz Breut Denis Podalydès VINCENT VANOLI



LIRE En honneur de l’écrivain sarrois Ludwig Harig (1927-2018), le Ministre de la culture du Land, Ulrich Commerçon a créé une bourse dotée de 10 000 € pour des auteurs (francophones ou germanophones) écrivant sur la Grande Région Sarre-Lor-Lux. Chacun peut envoyer sa candidature accompagnée d’une esquisse du projet à : Ministerium für Bildung und Kultur, Referat E6, “Ludwig Harig Stipendium“, Trierer Str. 33, 66111 Saarbrücken, Allemagne. saarland.de

Ukraine, Maidan to Donbass © Guillaume Herbaut

© Literaturarchiv Saar-Lor-Lux-Elsass

BRÈVES

VOIR

La troisième édition du Week-end de l’Art contemporain Grand Est, organisée par Versant Est (1517/03) réserve des parcours inédits avec Mulhouse, Strasbourg, Sélestat ou encore Bâle comme points de départ. De nombreux lieux d’exposition comme La Chambre, La Fondation François Schneider mais aussi des Écoles telles que la HEAR ouvriront leurs portes pour une plongée au cœur de la création actuelle. versantest.org

ÉCOUTER

Quatre concerts d’une belle variété sont au programme de la quinzième édition des Heures Musicales du Kochersberg (02-30/03, Espace Terminus, Truchtersheim). Des sonorités cuivrées de l’Harmonie de la Garde républicaine (24/03) au tango revisité post-Piazzolla du SpiriTango Quartet (30/03), en passant par la plongée dans la Motown du sextet Opus Jam (02/03, en photo). Notre coup de cœur dans ce quatuor ? Le jazz mâtiné de musique classique du Trio Aïrés – Airelle Besson à la trompette, Édouard Ferlet au piano et Stéphane Kerecki à la contrebasse – qui entraîne Bach, Ravel, Fauré ou Tchaïkovski vers de nouvelles mélodies improvisées (17/03). hmko.fr Poly 218

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BRÈVES

AU-DELÀ DES CLICHÉS

© Sophie Dupressoir

Voici venu le temps de la troisième édition de Strasbourg art photography (01-30/03), dense et protéiforme parcours artistique dans la cité. Au programme un excitant panorama en forme d’état des lieux, un inédit concours de la jeune photographie (ouvert aux jeunes de 8 à 18 ans, images à envoyer avant le 22/03), des tables rondes, des rencontres… Bref un concentré d’émotion grâce à une soixantaine d’artistes venus de onze pays montrés dans toute la ville, de la Maison de la Région Grand Est au classieux restaurant Chut en passant par la Galerie du Ciarus. Y alternent un sensible voyage dans la cité vietnamienne en plein boom économique de Danang avec Sophie Dupressoir comme guide, une réflexion sur les migrations toute en finesse signée Isidore Hibou, des corps prégnants en noir et blanc shootés par Ryo Tomo ou encore les vibrations d’un violoncelle saisies par Pierre Rich. strasbourg-artphotography.fr

© Agence GG

BÉBÊTE CHAUD

Après avoir convié Héllène Gaulier à réaliser Rotor, boule de Noël humoristico-technique (avec son complice Gwenolé Gasnier, en 2017), le Centre international d’Art verrier de Meisenthal récidive. À l’occasion des Journées européennes des Métiers d’Art (06 & 07/04), la malicieuse designeuse mêle verre en fusion et pièces en laiton pour créer une série de Pitres, sortes de Shadoks aussi précieux que ridicules. ciav-meisenthal.fr

SUPER SARRE

Une exposition éclair : voilà ce que propose le Patrimoine mondial Völklinger Hütte de Völklingen avec Made im Saarland (jusqu’au 31/03). Les clichés de Robby Lorenz constituent une fascinante plongée dans la culture industrielle et les paysages au cœur d’une région attachante. voelklinger-huette.org Poly 218

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BRÈVES

Et le temps abdique devant la couleur © Jean-Claude Durmeyer

DREAMING

SINGING Le Château de Courcelles de Montigny-lès-Metz expose l’œuvre de Freddy Ruhlmann (jusqu’au 31/03). Découvrez toiles où se mêlent des couleurs évoquant parfois Nicolas de Staël et sculptures racées d’un artiste alsacien disparu il y a quelques années.

Formé par la soprano Clarissa Worsdale et la pianiste Motoko Harunari, le strasbourgeois Duo Absinthes explore l’univers du cabaret, nous entraînant dans une promenade spatio-temporelle de Paris en 1919 à Berlin, en 1933. À découvrir à Heidelberg (Haus der Begegnung, 05/03), Muttersholtz (10/03, Textures), Strasbourg (Galerie Bertrand Gillig, 17/03, puis dans le cadre de Musiques éclatées, voir page 42). cabarecites.com

montigny-les-metz.fr

DANCING

La Quinzaine culturelle iranienne fête sa 6e édition (1124/03) pour les 10 ans de Strass’Iran à Strasbourg : expositions à la Maison de la Région (les grandes manifestations immortalisées par Nafiseh Moshahsheh) ou d’artistes féminines à la Galerie Brûlée (les couleurs de Golnaz Afraz) mais aussi du cinéma au Star (A Thousand Girls Like Me de Sahra Mani). Ne manquez pas de venir danser à la Fête du Feu (12/03, parc de l’Orangerie) pour l’arrivée du printemps et la nouvelle année iranienne ! strassiran.org

HEARING

Dans la catégorie “enregistrement de l’année”, les Victoires de la Musique classique viennent de couronner le CD des Troyens de Berlioz (Erato). Un casting d’enfer avec notamment Joyce DiDonato (Didon) et Michael Spyres (Énée), un John Nelson à la baguette agile et un Orchestre philharmonique de Strasbourg au sommet de son Art font de ce disque un incontournable. philharmonique-strasbourg.eu Poly 218

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Ce numéro est dédié à la mémoire de Tomi Ungerer (1931-2019) qui incarne, mieux que tout autre, notre vision de la culture

sommaire

17 Denis Podalydès met en scène Le Triomphe de l’Amour de Marivaux à Luxembourg

20 Pièce documentaire de Milo Rau sur l’héritage migratoire de l’Europe, Empire envahit le Maillon

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24 Spectacle jeune public, Fracasse est une ode au temps de l’innocence

28 Avec Romances Inciertos, François Chaignaud revisite Orlando de Virginia Woolf

30 Retour en force d’EXTRADANSE, festival porté par Pôle Sud 32 À la Comédie de l’Est, Françoiz Breut est de la party 40 Le Printemps des bretelles ou l’accordéon dans tous ses

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états

47 Emmanuelle Haïm dirige Les Boréades de Rameau à l’Opéra de Dijon

50 L’art contemporain roumain se dévoile à La Kunsthalle de Mulhouse

54 Digitalisation du monde dans Open Codes au ZKM 56 Plongée dans la Semaine de l’illustration à Strasbourg

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60 Randonnée aux Trois Châteaux d’Eguisheim 64 La cuisine du cœur du Gavroche 66 Un dernier pour la route : portrait de Yann Bury et Boris Kachelhoffer

COUVERTURE

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Dans l’installation du ZKM Faces in the Mist (lire p.54-55), Antoine Chapon et Nicolas Gourault détournent un programme de reconnaissance faciale pour détecter des formes signifiantes dans un flux nuageux informe. Les portraits originaux sont ceux de personnages historiques impliqués dans le changement climatique. Le logiciel autonome tente de maîtriser – dans un procédé si humain – le chaos par la science et l’imagination, produisant des nuages cotonneux à n’en plus finir… nicolasgourault.fr

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OURS · ILS FONT POLY

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Emmanuel Dosda

Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une quinzaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren.

Thomas Flagel

Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes dans Poly. Back in USSR © Hervé Levy poly.fr

Sarah Maria Krein

Cette française de cœur qui vient d’outre-Rhin a plus d’un tour dans son sac : traduction, rédaction, corrections… Ajoutons “coaching des troupes en cas de coup de mou” pour compléter la liste des compétences de SMK.

Entre clics frénétiques et plaisanteries de baraque à frites, elle illumine le studio graphique de son rire atomique et maquette à la vitesse d’une Renault Captur lancée entre Strasbourg et Bietlenheim. Véridique !

Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly Administration, gestion, abonnements : 03 90 22 93 30 Mélissa Hufschmitt / melissa.hufschmitt@bkn.fr Diffusion : 03 90 22 93 32 Vincent Bourgin / vincent.bourgin@bkn.fr

Éric Meyer

Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. ericaerodyne.blogspot.com

Contacts pub : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Sarah Krein / sarah.krein@bkn.fr Linda Marchal-Zelfani / linda.m@bkn.fr Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 € 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : février 2019 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE © Poly 2019. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs.

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Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Stagiaire de la rédaction Anthony Niang

Développement web Cécile Bourret / webmaster@bkn.fr

Il papote archi avec son copain Rudy, cherche des cèpes dans les forêts alsaciennes, se perd dans les sables de Namibie… Mais comment fait-il pour, en plus, diriger la publication de Poly ?

Adresse………………………………………………………………………… Adresse………………………………………………………………………… Mail………………………………………………………………………………

Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr

Graphistes Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Alicia Roussel / alicia.roussel@bkn.fr Stagiaire du studio graphique Anaïs Holtzer

Julien Schick

Nom……………………………………………………………………………… Prénom…………………………………………………………………………

Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr

Ont participé à ce numéro Cécile Gastaldo, Benoît Linder, Claire Lorentz-Augier, Stéphane Louis, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann

Anaïs Guillon

COMMUNICATION

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RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49

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ÉDITO

paroles… paroles… Par Hervé Lévy Illustration d’Éric Meyer pour Poly

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lash-back. Respectant une promesse de campagne, le Maire de Strasbourg Roland Ries lançait des Assises de la Culture (avril à novembre 2009). Des dizaines de réunions, des ateliers en veux-tu en voilà, des prises de position : on a beaucoup parlé, échangé, papoté et glosé. Les idées ont fusé. Les suggestions et les controverses furent légion. De ce vaste et coûteux (en temps et en argent) processus de concertation impliquant les acteurs de la vie culturelle – et tous les Strasbourgeois qui le désiraient – n’est… rien sorti. Retour au présent. Réagissant à l’absence criante de la culture dans le Grand débat national, Beaux Arts magazine et la Fondation du patrimoine (sous le patronage bienveillant du Ministère) viennent de lancer une plateforme participative (granddebatculture.fr) et des débats publics dont deux rendez-vous parisiens majeurs (05/03 à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts et 10/03 au

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Centquatre). Les résultats de la concertation seront remis mi-avril à Franck Riester qui affirme : « Je serai particulièrement attentif aux propositions qui en ressortiront. » L’intention est certes louable pour ne pas dire sympa, mais le modus operandi agace. En mettant bout à bout les rapports, consultations, contributions et autres enquêtes dans le domaine, on obtiendrait sans doute un truc approchant de la distance reliant la terre à la lune. Il est vain de construire les fondations d’une nouvelle usine à gaz. Plutôt que de se gaver de mots, il est plus urgent d’agir et de se confronter au réel, au risque de connaître une éclatante bérézina. À l’heure où Alain Finkielkraut est insulté en raison de sa religion, où les cimetières et les églises sont profanés, où la haine suinte du peuple de France, nous avons besoin, plus que jamais, de culture. Pas de mots et de bonnes intentions visant à dresser les contours d’une politique culturelle.



chroniques

PICASSO, ANATOMIE UNE JEUNESSE D’UN COLLABO L’exposition avait créé l’événement il y a quelques mois dans l’Hexagone : présentée au Musée d’Orsay jusqu’au 6 janvier, Picasso bleu et rose se translate à la Fondation Beyeler, à quelques encablures de Bâle (jusqu’au 26 mai) avec un corpus d’œuvres quelque peu réduit, un accrochage nouveau et un éclairage époustouflant. Pour se préparer à la visite ou la prolonger, la lecture du catalogue parisien s’impose (pas de VF pour la publication helvète). Œuvre collective, voilà une référence concernant la période si importante pour le peintre allant de 1900 à 1906. Reproductions impeccables et textes éclairants (notamment d’Émilia Philippot sur le Bateau-Lavoir ou de Malén Gual Pascual explorant la dimension érotique de Picasso) font de ce catalogue indispensable à tout amateur. (H.L.)

Professeur en Histoire contemporaine à l’Université de Haute-Alsace, Renaud Meltz vient de publier une biographie monstre (1 200 pages) consacrée à Pierre Laval. Sous titrée Un Mystère français, elle permet de découvrir la trajectoire d’un pur produit de la IIIe République (qui fut quatre fois Président du Conseil et encore plus souvent ministre, entre 1925 et 1936). L’auteur analyse la trajectoire d’un politique obsédé par le pouvoir et fasciné par l’argent : “Homme de l’année” pour Time (1931), centriste tendance roublard et pacifiste convaincu, il fut également l’initiateur de la loi sur les assurances sociales… La suite effacera tout cela puisqu’il jeta les bases de la collaboration avec le Troisième Reich, allant jusqu’à livrer des Juifs aux bourreaux, sachant parfaitement quelle serait leur destinée. (H.L.)

Paru chez Hazan (45 €) editions-hazan.fr

Paru chez Perrin (35 €) lisez.com

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DUO DE FEU Associer les personnages ubuesques (animaux et humains très caricaturalement humains) et l’humour potache d’Anouk Ricard aux décors rétro-futuristes et clinquant-kitschs d’Étienne Chaize relevait d’une folle audace. Anciens des Arts décoratifs de Strasbourg, ils ont su trouver un langage commun pour composer à quatre mains Boule de Feu, parodie d’héroïc fantasy. Le brave Fernando est envoyé à travers les mondes chercher le mage Patrix. La puissance de l’astre magique alimentant la barrière de protection séparant son village des vilains (et peu fute-fute) Maruflants les menace. Mais sur Terre, le mage s’est-il transformé en Didier, chauve-moustachu, ou en son chien Rocky ? On croise des brouillards de marais de morve, des Chevoules ailés aux blagues vaseuses et de chouettes références populaires. (T.F.) Paru aux Éditions 2024 (24,50 €) editions2024.com Dans le cadre des Rencontres de l’illustration (voir page 56), le duo investit de manière décalée les collections du Musée Historique de la Ville de Strasbourg (22/03-30/06) avec À la poursuite du machin magique ! — musees.strasbourg.eu


Live à Saint-Pierre-Le-Vieux © Céline Vareillaud

chroniques

SILENCE MES ANGES

LES FLEURS DU MAL

LE GRAND FAUVE

Installée dans la cité phocéenne, Amélie Jackowski a fourbi ses crayons aux Arts déco strasbourgeois dans les années 1990. Elle signe un livre cartonné pour tout-petits (dès 1 an) à lire comme une berceuse dans la tiédeur naissante d’un lit, au moment du coucher. Chut ! Il ne faut pas réveiller les petits lapins qui dorment fonctionne comme une ritournelle magique, talisman à partager avec ses enfants, évoquant tout à la fois le calme de la nuit à venir comme le réveil du lendemain avec ses gestes quotidiens rassurants. Mélange de collages et de peintures, de douceur et de chaleur, cet album invite à un imaginaire de formes et d’associations d’idées autour de tout ce qui habite le monde lorsque nous sommes assoupis. Grande ourse, lune dodue, moutons somnolants, chat au pas discret sur ses coussinets… autant de compagnons pour accompagner les rêves. (I.S.)

Pop post-orgasmic, rock psychologic ou chanson hyper-toxic, Divin’O plonge ses guitares et synthés dans la noirceur eighties de Cure, Jad Wio ou Joy Division dont le groupe strasbourgeois a repris l’immense She’s lost control le temps d’une relecture sous haute tension. The Flowers which brood on divin | Opium, nouvel album, poursuit les stupéfiantes explorations du quintet qui ouvre les hostilités avec l’électrique The Void dans un tourbillon classico-abyssal, suivi de Dice Man (The Bet), évoquant à la fois les Stones (les chœurs) et John Lydon (la voix). Les dés sont jetés : l’ensemble de ce longformat ressemble à un baiser empoisonné, une passion pornographique, une glaciale ville futuriste où nous nous perdons avec un pernicieux plaisir. (E.D.)

La dernière livraison d’Europe (numéro double 1077/1078 d’une institution qui a près de cent ans) est dédiée à l’écrivain italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Placée sous la direction de Pascal Dethurens, professeur de Littérature comparée à l’Université de Strasbourg, elle permet de redécouvrir l’auteur du Guépard, son unique roman, publié en 1958. Il s’agit en effet bien d’une relecture d’un chef-d’œuvre trop souvent réduit à des stéréotypes figés dans l’image qu’en donna Luchino Visconti : la fin d’un monde, le portrait d’un aristocrate mélancolique, etc. Parmi les multiples contributions, mentionnons celle de Maria Maruggi et Mathieu Jung sur les espaces et paysages modernistes qui se déploient au fil des pages et celle de Lise Bossi illustrant que, bien souvent, un « livre est composé d’une mosaïque de tous les livres ». (H.L.)

Paru au Rouergue (14 €) lerouergue.com

divino.bandcamp.com

Édité par la Revue Europe (20 €) europe-revue.net

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THÉÂTRE

se souvenir de l’avenir Porté par un humour acéré et une répartie acerbe, l’auteure et metteuse en scène Pauline Sales fait un état des lieux de quarantenaires en pleine crise. Vu l’état du monde, elle s’interroge : J’ai bien fait ? Par Irina Schrag Photo de Tristan Jeanne Valès

Au Taps Scala (Strasbourg), du 12 au 14 mars taps.strasbourg.eu Au Théâtre en Bois (Thionville), du 19 au 21 mars nest-theatre.fr Bus Metz-Thionville, jeudi 21 mars à 19h, départ devant l’Arsenal À l’ACB (Bar-le-Duc), vendredi 22 mars acbscene.com À La Comédie de l’Est (Colmar), jeudi 23 et vendredi 24 mai comedie-est.com

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ne figure tutélaire plane sur la genèse de cette pièce. Celle d’Ivan Illich, penseur de l’écologie, critique de l’industrialisation et de la normalisation des institutions étatiques. Dans les années soixante, il militait pour Une Société sans école, préférant l’idée du partage de connaissance entre pairs à celui d’un savoir pyramidal porteur de valeurs détestables et contre-productives. Pas un hasard donc si le personnage principal du spectacle de Pauline Sales est professeure de français. À 40 ans, mère de deux enfants déjà grands, elle pique sa crise existentielle en débarquant dans l’atelier de son artiste de frère après avoir abandonné ses élèves en pleine sortie dans Paris. Craquage à tous les étages, pleurs et crise. Les nerfs à vif, le grand déballage commence entre ras-le-bol général, lassitude d’un mari biologiste et illusions perdues sur son rôle dans la société. Différents personnages (frère, mari, élève) explorent une pluralité de théâtralités mêlant adresses directes, plongées dans leurs pensées monologuées, chansons et dialogues aussi classiques qu’incisifs. Jubilatoire si ce n’était si criant de vérité. Valentine n’épargne rien à ses proches, du cynisme aux coups bas. L’irruption de Manhattan, une de ses anciennes élèves, sera la goutte de trop. C’était la plus odieuse et douée, « la figure même d’un échec potentiel à faire fructifier qui donne un sens à l’action de chaque prof », se moque son époux. L’en-

seignante reproche à celle ayant tout plaqué en Terminale un grand gâchi, refusant cette voie dissidente choisie par la jeune femme. Ne se reconnaissant pas dans ce monde qui lui déplaît et dont elle ne comprend pas les évolutions. Mais elle n’aura pas le monopole des reproches. Les attentats du 13 novembre 2015 font irruption. Dans sa bouche, les réactions de sa fille, effrayée à l’idée de « mourir en prenant une bière ou allant au concert », souhaitant ardemment que les terroristes visent la génération de ses parents, celle « n’ayant connu aucune guerre, ayant tout saccagé : la terre est en unité de soins palliatifs et tout le monde s’en fout. » Choc des générations à l’heure des comptes. La rage adolescente balaie les bonnes intentions et les compromis des quarantenaires présents. La critique n’épargne pas le monde de la finance. « On peut croire personne, il faut ouvrir les yeux sur tout », hurle-t-elle avec assez de recul pour se détester elle-même de penser cela en mangeant à sa faim et s’ennuyant « dans son adolescence de merde ». Ayant connu son petit succès quelques années auparavant, les états d’âme de Paul, luttant pour être plus qu’un artiste « aux moments d’exaltation solitaires », se déballent en alignant comme à la parade des dizaines d’édredons blancs jonchant le sol pour former un tas bien rangé. Bien propre. Comme les petits fagots qui peuplent nos consciences…


amères amours Luxembourg accueille l’énergique et féroce production du Triomphe de l’Amour de Marivaux signée par Denis Podalydès, réflexion sur les mots et les sentiments.

Par Claire Lorentz-Augier Photo de Pascal Gely

Au Grand Théâtre (Luxembourg), du 20 au 22 mars theatres.lu

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n jardin d’herbes hautes, une cabane de bois. Dans ce paysage de marais humide vivent, retirés du monde, le philosophe Hermocrate, sa sœur Léontine et le jeune Agis. « J’aime la figure du philosophe à l’écart », concède Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie française. « Hermocrate a constitué une petite société organisée selon ses principes. On y jardine, on y fait de la musique, on y lit, on y boit et mange, mais on n’y aime point. L’Utopie tient à ce renoncement. L’harmonie règne au prix d’une mutilation. » Surgit la princesse Léonide, travestie en homme sous le nom de Phocion. Pour rendre le pouvoir au prince Agis, héritier légitime du trône dont elle est éprise, « elle mène simultanément trois conquêtes amoureuses avec autant de virtuosité que d’innocence. Hermocrate, sa sœur Léontine et le Prince succombent, non parce qu’ils ont affaire à une femme diabolique, mais à l’Ange, à l’Amour en personne, qu’ils avaient cru chasser du jardin. » Comme souvent chez Marivaux, la légèreté affichée des personnages cache une analyse fine des rapports de pouvoir et de la cruauté

du jeu amoureux. Manipulations, mensonges, trahisons, quiproquos et travestissements se succèdent. La langue de cette comédie de 1732, est éblouissante ; c’est finalement le premier sujet de la pièce et la mise en scène, ponctuée par les interventions enlevées du violoncelliste Christophe Coin, en souligne toute la cruauté. « Marivaux regarde de tout près comment agit le désir amoureux : d’où ça part, ça monte, comment ça vient aux lèvres, comment ça éclate. Le langage est le champ de bataille. » On rit parfois de bon cœur devant le spectacle de cette guerre sans merci – les valets sont désopilants – mais le final est cinglant. « Le Triomphe de l’Amour est un saccage, une hécatombe », conclut Denis Podalydès. « L’homme ou la femme qui aime se transforme en monstre, séduit et fait peur, bouleverse, affole, laisse les amants exsangues. Il n’y a pas d’amour heureux : l’amour-propre, l’orgueil humain, l’inconscient, conduisent le cœur et se jouent de la raison. Ils veulent bien jouer la comédie, rire et faire rire, mais que ceci soit payé de la chair de l’autre. » À l’aune de cet éclairage, l’ironie grinçante du titre de la pièce prend toute son épaisseur. Poly 218

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THÉÂTRE

all apologies Dans la nouvelle pièce de Stanislas Nordey, un des premiers textes de Wajdi Mouawad, Damien Gabriac se glisse dans la peau de John1. Un adolescent enregistrant une confession à sa famille avant de se suicider. Par Thomas Flagel Photos de Jean-Louis Fernandez

Au Théâtre national de Strasbourg, du 18 au 29 mars tns.fr Au Théâtre des Quartiers d’Ivry, du 8 au 19 avril theatre-quartiers-ivry.com Au CCAM (Vandœuvre-lès-Nancy), du 4 au 8 février 2020 centremalraux.com

Cette pièce a été créée dans une version “légère” dans le cadre du programme Éducation & Proximité porté par le TNS, La Colline et La Comédie de Reims. Un parcours spectateurs et des ateliers de pratique mélangeant lycéens d’établissements d’enseignement général et professionnel tns.fr/education-proximite 2 Autre pièce de Wajdi Mouawad montée par Stanislas Nordey en 2008 et reprise en 2016 au TNS, voir Poly n°187 ou sur poly.fr 1

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Comment approche-t-on un texte aussi frontal et dur, racontant sans détour colère et douleur trop insupportables pour continuer à vivre ? Ce n’est pas anodin mais c’est aussi une très belle matière à jouer. John est traversé par beaucoup d’émotions avant d’en finir et lorsqu’il parle il nous touche sans artifices. Son geste reste extrême mais je me raccroche au vivant, à ce qu’il pense. Il peut apparaître sensible, fou, normal, plein de colère, faisant des enfantillages ou être violent… Vous jouiez Simon dans Incendies 2. John paraît très proche de lui. Interpréterez-vous ses mots fleuris d’expressions québécoises de la même manière ? Pour moi c’est le même personnage dans une autre pièce. Leurs similitudes sont incroyables. Avant d’être metteur en scène, Wajdi Mouawad était comédien. C’est pourquoi ce qu’il écrit est toujours un réel plaisir à jouer car tout est clair à la lecture. Je devais déjà dire pas mal de « criss », « câlisse », « hostie » avec l’accent français, car je ne suis pas québécois. Là, il y en a énormément et je ne suis toujours pas québécois donc je ne mets pas l’accent. Mais ça passe très bien, créant une langue étrange comme peut l’être l’argot qui évolue tous les trois mois d’un jeune d’aujourd’hui ! Cela dessine une figure d’adolescence réaliste.

Comment vous préparez-vous à être, dès votre entrée sur la plateau, ce jeune rempli de haine pour sa « criss de vache de mère » ayant une brique à la place du cœur, qui ne se supporte plus et veux « juste plus avoir mal »… J’impose d’être seul et pas dérangé 45 minutes avant le début. J’ai besoin de ce temps pour me concentrer, faire monter beaucoup d’émotions en moi car le rapport sur scène est très frontal : la caméra est placée au premier rang, je suis à un mètre cinquante du public ! Tout est très “timé” : je dois être très impressionnant par mon état émotionnel dès mon entrée. Tout au long du spectacle, j’ai des rendez-vous obligatoire : en colère contre ma mère, puis en larmes… C’est un mélange de technique pure et d’émotion avec mes vraies larmes et rires. Une véritable performance de tenir un cheval au galop durant 45 minutes. Le seul moment de plaisir est le moment de jeu au plateau. Arrivez-vous à sentir le public, à lâcher prise ou êtes-vous dans votre bulle de jeu ? Il y a un grand rapport avec le public, souvent un silence de mort où personne ne bouge ne serait-ce que ses jambes. Il y a beaucoup de pleurs. La pièce est sombre, sur un sujet tabou. Même si Nelly, la sœur de John, fait un monologue réparateur à la fin, cela reste noir.



THÉÂTRE

notre liberté, la solitude Avec Empire, le metteur en scène Milo Rau clôt sa trilogie de l’Europe. Un théâtre documentaire à la recherche intime de la violence constitutive de notre histoire commune. Par Thomas Flagel Photos de Marc Stephan / IIPM

Au Maillon-Wacken (Strasbourg), mercredi 13 et jeudi 14 mars (en arabe, grec, kurde et roumain, surtitré en français et en allemand) maillon.eu

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Lire Poly n°186 ou sur poly.fr Lire Poly n°192 ou sur poly.fr international-institute.de

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importance et l’originalité du travail de Milo Rau dans le théâtre actuel se mesure aisément à ses invitations successives sur de nombreuses scènes du Rhin supérieur. De la Kaserne de Bâle au festival franco-allemand Perspectives (Sarrebrück et Forbach) en passant par Le Maillon strasbourgeois, les curieux d’entre-nous ont eu de multiples chances de découvrir Hate Radio 1, Five Easy Pieces ou Compassion. L’histoire de la mitraillette2. Des pièces ultra documentées, plongeant dans les horreurs génocidaires contemporaines avec son International Institute of Political Murder3, maison de produc-

tion fondée en 2007 par celui qui était nommé l’an passé à la direction du Théâtre national de Gand (NTGent). Exils Après The Civil Wars où il interrogeait les motivations de jeunes recrutés pour faire le djihad et The Dark Ages qui revenait sur l’éclatement des Balkans, Empire clôt cette trilogie secouant l’Europe en réunissant à nouveau quatre acteurs grec, roumain et syriens pour évoquer leur vie et leur avenir, leur traversée du chaos du monde et leur renaissance. La pièce s’ouvre sur une façade


THÉÂTRE

d’immeuble en pierre avec balcon métallique, ruinée par des traces de combats. Elle sera rapidement retournée par les comédiens sur un air de piano d’Eléni Karaïndrou tiré de L’Éternité et Un jour, film de Theo Angelópoulos, Palme d’or 1998. Instants de poésie avant un flot de confessions âpres, livrées sur le mode du récit personnel. Ici on ne joue guère, on raconte sa vie dans une petite cuisine fidèle à celle de l’appartement de Ramo Ali, en Syrie. Un intérieur chargé de cadres, photos et babioles (carte, globe terrestre, icône…). Une table et des chaises. Au-dessus, un écran sur lequel sont projetés les visages des protagonistes en gros plan, captés par une caméra manipulée par leur soin dans un angle. Les micro-expressions, contenant peines, rires et émotions, nous happent littéralement. Fidèle au premier point du manifeste qu’il signa à sa prise de fonction à Gand, Milo Rau n’entend « plus seulement dépeindre le monde. Il s’agit de le changer. Le but n’est pas de représenter le réel, mais de rendre la représentation elle-même réelle. » Exit le spectaculaire. Ce sont des couches de vie qui se dévoilent. Dans une douceur toute introspective, Ramo raconte son enfance, 13e d’une fratrie de 14 Kurdes vivant au Nord de la Syrie, dans cette bande entre la Turquie et l’Iraq. La violence paternelle remplie d’injustice pour forger « un homme fort ». Le théâtre, commencé petit dans la troupe du parti Baas. Rami Khalaf se remémore aussi sa Syrie natale, son père militaire, le massacre des frères musulmans à Hama en 1982, les guerres avec Israël et, ensuite, le magasin familial qu’il tenait le plus souvent. Ses rêves de bananes, incroyablement chères lorsqu’il était petit et qu’il achète aujourd’hui par kilos, par vengeance, sans vraiment les consommer. La mort de son père à 76 ans, quatre mois avant la révolution syrienne et son soulagement « car il aurait peut-être été pro-régime ». Deux récits dans lesquels la fuite est vitale. Celle de l’enfermement et de la torture dans la prison de Palmyre pour avoir joué une pièce en kurde à Beyrouth, comme une présence sur des listes de terroristes pour avoir… manifesté. Les fausses identités empruntées pour fuir et un passé qui hante jusque dans la recherche méthodique d’un frère disparu au pays parmi près de 12 000 photos de prisonniers exécutés dans les prisons de Bachar el-Assad. Les quelques clichés projetés glacent autant que l’émoi submergeant Rami.

où avoir la place de se trouver, s’inventer, se construire dans son imaginaire. De se prendre pour un poète. De jouer très mal de la guitare dans un groupe mais d’avoir du succès. De se retrouver par hasard dans une pièce en étant simplement là, dans son « minimalisme dépressif » et faire carrière. Maia Morgenstern est la dernière de la bande des quatre. 28 ans passé sous Ceaușescu, dans une famille juive non pratiquante et communiste forcenée. Un père russophone de Bessarabie (Moldavie actuelle), mathématicien, chassé de l’Université pour avoir critiqué le régime. Celle qui jouait Marie dans La Passion du Christ de Mel Gibson, alors qu’elle était enceinte, se souvient des polémiques sans fin à la sortie du film. Lors d’un tournage pour un long métrage à Auschwitz, elle prend conscience de son histoire familiale, du rôle de la Roumanie dans les déportations de Juifs comme son grand-père qu’on ne retrouva jamais. De ceux ayant eu plus de chance, comme sa grand-mère et son père, même si elle ne peut retenir ses tremblements en racontant son père s’énervant au souvenir de ce qu’il subit dans les camps de travail. Milo Rau confronte patiemment ces récits personnels – les croyances, religions et identités plurielles, bousculées par les événements du monde – à de grandes mythes : Jason et Médée, Jésus et la Vierge Marie. Se dessine ainsi le portrait d’une Europe à l’origine de la plupart des conflits entraînant les déplacements de population, productrice de violence tout en étant terre d’accueil et de salut provisoire pour les réfugiés. Face au retour impossible, la douleur à distance est omniprésente. Le théâtre devient cet endroit de partage, une reconstruction sur les ruines de ce qu’était leur vie. Le début d’une réconciliation qui se clôt par quelques vers de L’Orestie : « La tempête du malheur gronde encore, et de la cendre qui meurt lentement s’échappent encore les vapeurs épaisses de la fortune. Oh, cette vie humaine ! Quand elle est heureuse une ombre suffit à la transformer. Dans le malheur, une éponge humide l’essuie et l’écriture disparaît… »

Deuils Il y a aussi Akillas Karazissis dont les grands-parents fuirent les répressions de la Révolution d’Octobre de Kiev à Odessa en passant par Vladivostok, pour finir à Thessalonique sans le sou. L’exode et ses ravages, une grand-mère jetée dans le ghetto russe, sans ses fils, par sa belle famille aisée. Un père piètre peintre qui s’est battu contre les Italiens pendant la Seconde Guerre mondiale avant d’y rester perfectionner son art, la Dictature des Colonels et l’hystérie anti-communiste des dramatiques radio sur les espions yougoslaves nourrissant ses peurs d’enfant de les voir débarquer et l’exécuter. La maison paternelle de vacances, totalement isolée et sa fuite à Heidelberg – « loin des Ladas noires de la police secrète grecque » – dans l’Allemagne de Fassbinder, celle du bal des cœurs solitaires où les jeunes immigrés séduisent des quinquagénaires allemandes en mal d’aventures. Un endroit Poly 218

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essais transformés Avec Voyage en Italie, le metteur en scène Michel Didym propose une création adaptée de Montaigne. Rencontre avec le directeur du Théâtre de la Manufacture. Par Claire Lorentz-Augier Photo d’Éric Didym

Au Théâtre de la Manufacture (Nancy), du 12 au 22 mars theatre-manufacture.fr À La Comète (Châlons-enChampagne), mardi 2 et mercredi 3 avril la-comete.fr

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artout où le vent m’emporte, je m’installe un moment » : cette ode au voyage est gravée sur une solive de la “librairie” du château périgourdin de Michel Eyquem de Montaigne. « Le philosophe a longtemps été présenté comme un sage méditant dans sa bibliothèque sur le sens des sentences grecques inscrites sur son plafond », s’amuse Michel Didym. « Or depuis Starobinski, entre autres, on sait qu’il a toujours été en mouvement. » En témoigne son Journal de voyage en Italie, redécouvert à la fin du XVIIIe siècle. En 1580, alors que les Guerres de Religion font rage, Montaigne décide d’entreprendre un tour de dix-sept mois à travers l’Europe. Prétextant vouloir soigner sa gravelle – des calculs rénaux – en visitant les villes d’eaux, il s’engage avec son équipage dans un périple qui le mène de l’Aquitaine à l’Italie en passant par l’Alsace, la Lorraine, la Suisse et l’Allemagne. À Rome, il rencontre le Pape afin d’obtenir l’imprimatur de l’Église romaine pour la publication des Essais.

« En chemin, le penseur découvre différents us et coutumes », poursuit Michel Didym. « Il les décrit avec acuité, humour et souvent dans un style imagé. Il a le goût des chemins inconnus et, passionné par l’Homme, ne cesse 22

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de s’émerveiller. Son journal est truffé d’anecdotes architecturales, culinaires, ethnologiques…» Au fanatisme religieux, il oppose la Raison et s’efforce d’apaiser les tensions entre Catholiques et Protestants. « Je suis frappé par la modernité de son discours : il est l’ancêtre de l’intellectuel engagé ! » Le texte, savoureux et théâtral, emprunte au patois et aux langues vernaculaires, tandis que la mise en scène rend compte du mouvement de l’esprit : l’acteur principal progresse à cheval dans un espace ouvert où évoluent deux poules. « Le rythme balancé de la marche favorise la méditation. Les digressions, ruptures et jeux de questions nourrissent les dialogues avec le palefrenier, le secrétaire, le cheval et le public. » Enfin, un univers sonore original (bruits de la nature, chanson à cheval, musiques folklorique et électroniques, etc.) contribue à élargir l’espace. Le 7 septembre 1581, Montaigne, élu maire de Bordeaux, est finalement contraint de mettre fin à son itinérance. Son Journal demeure un témoignage précieux qui fait curieusement écho à l’actualité. « Engagé dans cet essai de soi qu’est le voyage, Montaigne y prend à partie, dans une langue toujours inventive, ceux qui aujourd’hui l’entendent et s’efforcent de résister aux tentations de l’obscurantisme. »


THÉÂTRE

souffler est jouer Dans Sopro, le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues signe une ode à la vie et au théâtre, aux mystères du futur et à ce souffle vital qui nous tient vent debout.

Par Thomas Flagel Photos de Christophe Raynaud De Lage

Au Centre dramatique national de Besançon (co-réalisé avec Les 2 Scènes), du 5 au 8 mars (en portugais surtitré en français) cdn-besancon.fr les2scenes.fr Au Théâtre de Montbéliard, samedi 16 mars (en portugais surtitré en français) magranit.org

Lire Notre âme d’amants dans Poly n°199 ou sur poly.fr Il signe le texte de la nouvelle pièce du célèbre collectif auprès duquel il s’est lui-même formé, alors qu’il était étudiant, en 1997. À voir au Maillon (Strasbourg), du 20 au 22 mars maillon.eu 1

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es fidèles du Maillon l’ont découvert il y a une poignée d’années avec António e Cleópatra 1. Avant de le retrouver avec tg STAN dans The Way She Dies 2, le directeur du Théâtre national de Lisbonne rend hommage dans Sopro à Cristina Vidal, l’une des dernières souffleuses. Plus d’un quart de siècle d’activité. Un métier pourtant voué à disparaître, que Tiago Rodrigues choisit de sublimer. Le temps d’un spectacle, Cristina sera en scène, dans un décor de théâtre en ruine, entouré de voiles blancs. La lumière irradiant depuis le sol et les herbes folles émergeant des trous d’un vieux plancher renforcent l’impression fantomatique de son apparition bien avant l’arrivée des spectateurs. Tout de noir vêtue, elle les épie du regard, scrute la salle, arpente son domaine avec son chronomètre et son livret en main. Gardienne de l’héritage du théâtre, chantre de la partition des mots, compagne de plateau, âme errant au milieu du jeu, la voilà distribuant les rôles, convoquant les uns et les autres pour les placer. Mais toujours dans le murmure auquel elle a dédié sa vie professionnelle et artistique. Celle qui se plait à être habituellement invisible et surtout jamais félicitée – ce qui signifie qu’elle n’aura pas eu à “aider” un

acteur en panne de mémoire – se trouve au cœur de Sopro. Pas question pour autant de prendre réellement la lumière. À mi-chemin entre son personnage et sa fonction, elle erre au milieu des comédiens qui jouent le rôle de Tiago Rodrigues et le sien. Jusqu’à l’exquise scène finale, elle ne s’adressera pas directement à la salle, susurrant son texte à l’oreille de ceux qu’elle a toujours choyé du regard. Cadavre exquis théâtral Si la pièce évoque subtilement les traces laissées dans les théâtres par les œuvres qui s’y donnent autant que la fabrique d’une mémoire collective souvent ignorée, le metteur en scène offre surtout un incroyable cadavre exquis théâtral : sont rejouées pour nous les répliques oubliées durant toute la carrière de notre souffleuse, allant des Trois Sœurs à L’Avare, en passant par Antigone ou Bérénice. Un peu plus de 18 minutes disparues dans l’oubli, livrées entre anecdotes et réflexions sur les liens unissant, à la vie à la mort, l’art et la vie : la beauté de l’éphémère, la force du souvenir et des traces, les menaces planant sur ces lieux à la fois hors du temps et totalement du notre.

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THÉÂTRE

une enfance fracassée Avec Fracasse ou la Révolte des enfants des Vermiraux (dès 8 ans), Nicolas Turon, de la mosellane Compagnie des Ô, livre une ode au temps de l’innocence. Pour le metteur en scène et comédien, il faut « grandir toujours, ne jamais vieillir » ! Par Emmanuel Dosda Photo de Clément Martin

À l’Espace Rhénan (Kembs), vendredi 8 mars espace-rhenan.fr À La Margelle (Staffenfelden), samedi 9 mars lamargelle.net Au Point d’Eau (Ostwald), mercredi 13 et jeudi 14 mars lepointdeau.com Au CSF Victor Hugo Léo Lagrange (Schiltigheim), samedi 16 mars ville-schiltigheim.fr À La Passerelle (Rixheim), jeudi 21 et vendredi 22 mars En tournée avec Les Régionales culturegrandest.fr

Le spectacle a été récompensé par le Prix des familles à l’issue de la dernière édition du festival jeune public Momix — momix.org

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J’ai vu des adultes terrifiés et des enfants pleurer lors de votre pièce Sherlock Holmes, son dernier coup d’archet… Vous malmenez toujours ainsi votre public ? Si des gamins chialent durant Sherlock, c’est qu’ils n’ont pas l’âge d’y assister… mais comme les gosses de bobos sont toujours “très” intelligents et “très” en avance, ils viennent, même s’ils n’ont pas les huit ans requis [rires] ! Plus sérieusement, l’atmosphère est totalement différente à chacun de nos spectacles : dans Fracasse, il n’y a pas de sarcasme, mais des émotions. Notre fil rouge est la proximité avec le public qui n’est pas confortablement installé dans son gros fauteuil rouge, mais assis sur des tabourets branlants. Il peut nous sentir, nous entendre respirer et les sentiments se transmettent par capillarité. Le théâtre, ça n’est pas qu’être protégés dans une boîte noire avec de la lumière dans la gueule ! Fracasse ou la Révolte des enfants des Vermiraux* est un cadavre exquis mêlant l’œuvre de Théophile Gautier (Le Capitaine Fracasse, édité en 1863), un fait divers de 1911 concernant des orphelins maltraités s’étant rebellés contre l’Assistance publique et vos propres expériences… Oui, j’ai tout lié et passé dans ma moulinette afin qu’il n’y ait qu’une seule langue : il y a des motifs, des punchlines, mais plus un seul mot de Gautier. Il a fallu coudre ensemble des histoires pour affirmer, comme dans la pièce, que « Fracasse, c’est ce qui s’est cassé un jour en nous, et que nous cherchons à recoller ».

Vous interrogez sans cesse le monde de l’enfance dans vos créations : moment béni dégagé des conventions adultes ou difficile période de construction ? Les deux mon capitaine ! On ne s’emmerde pas trop avec les faux semblants, Laura Zauner, Fayssal Benbahmed et moi. D’ailleurs, nous nous exprimons en tant que comédiens durant Fracasse : nous parlons de notre quotidien et notre choix quant au métier d’artiste. Lors et en dehors de nos représentations, nous sommes comme des enfants car nous adoptons le comportement qu’il nous plait. Juste avant le spectacle, hier, nous jouions aux foot avec les gamins du quartier : on n’était pas en train de faire du yoga en mangeant du quinoa ! Ce qui nous fascine dans cette histoire, c’est de voir jusqu’à quel moment on peut pousser l’enfant au point


qu’il se révolte, qu’il dise : “J’ai huit ans, mais il faut que j’agisse !” Il y a du vécu là-dessous ? J’ai grandi dans un contexte de violence familiale : j’en parle par bribes dans Fracasse. C’est pour ça qu’il me paraissait essentiel que les enfants gagnent à la fin. C’est une revanche ! Sauf qu’ils perdent leur innocence en se battant… Oui, mais on peut se rattraper, en devenant enfant plus tard. À propose du spectacle, vous parlez d’une “révolte face à la maltraitance par l’imaginaire”. S’agit-il d’un remède contre le mal ? Bien sûr ! Si je n’avais pas rencontré les livres

et le théâtre, je n’en serais pas là aujourd’hui. Toutes les rébellions sont conduites par des grandes idées. Je pense notamment aux Corinthians, club de foot de São Paulo prônant une organisation hyper-démocratique qui, dans les années 1980, se sont opposés au régime dictatorial brésilien. Au début de Fracasse, il est dit qu’« il n’y a pas d’adultes, il n’y a que des enfants qui abandonnent. » Oui, mais le spectacle n’est pas moralisateur. On peut y voir un conte à la Dickens avec de pauvres orphelins comme un endroit où l’on projette ses traumas pour en sortir secoué, voire transformé. Nous ne faisons que poser cette question : avonsnous encore des capacités d’imaginaire et de révolte ?

Nicolas Turon a sorti un livre, Le Roman de la rue (Édition Le Goûteur Chauve), découlant d’une série de performances durant lesquelles il a « habité le trottoir, à la rencontre du passant, de l’habitant ». Il s’est même fait tatouer le plan de son parcours urbain sur le dos, « pour imprimer l’expérience de ce trajet ». leromandelarue.com compagniedeso.com

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© Jean-Louis Fernandez

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barrage contre le pacifique Adaptation d’un roman de Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer nous entraîne dans un drame passé sous silence de l’histoire américaine. Celui de milliers de jeunes japonaises qui pensèrent y trouver un eldorado au début du XXe siècle, fiancées à distance à des compatriotes partis faire fortune des années avant. Dans une scénographie panoramique avec écrans blancs où se projettent des visages floutés d’archive, Richard Brunel met en corps la violence subie, mélange de racisme, de travail harassant, de suspicion pour ces nouveaux américains. L’histoire d’interdits intériorisés de ceux qui savaient aller certains jours à la piscine quand ils ne dérangeaient pas, ne pas se rendre au cinéma, ni se trouver seul le soir dans les

ruelles après la tombée de la nuit. Dissimuler leurs peurs, taire les pleurs. Le récit choral des douze acteurs (japonais et français) chemine de l’espoir au désenchantement suite à l’attaque surprise de Pearl Harbour qui les obligera à un chaotique retour précipité. Au milieu de longs tissus blancs donnant des allures fantomatiques à l’espace, le metteur en scène rythme le récit en sautant d’un espace à l’autre, crée des images saisissantes à l’instar de ces corps entourés de cellophane à jamais accrochés à leurs machines à coudre. Après la disparition, l’absence sera livrée par une étonnante Natalie Dessay. (D.V.) Au Théâtre Dijon Bourgogne, du 13 au 15 mars tdb-cdn.com

to beat or not to beat

© Donata Ettlin

S’il y a bien quelque chose de pourri au royaume de Boris Nikitin, le Hamlet du metteur en scène bâlois se tient à bonne distance du drame shakespearien. Son prince se nomme Julian Meding, performeur androgyne – crâne et sourcils rasés – navigant lui aussi au milieu des spectres, fuyant l’insoutenable réalité. Personnage queer étrange et inquiétant, cherchant à « ne pas avoir à être » et « ne pas avoir à être soi » invite à « mettre sur la place publique ce qui nous rend honteux ». Entre vacuité du monde et sentiment de farce à jouer par tous, la réalité devient un jeu dont il est le héros où feindre la folie revient à exister au-delà du jugement des autres. À ne pas finir par se planter un couteau dans le cœur. Accompagnées d’un quatuor baroque lancinant, les vraies-fausses confessions du chanteur, placé devant un large écran au milieu d’une scénographie vide, troublent nos perceptions : l’empathie pour cet homme aux airs de rock star perchée faisant de son corps l’objet d’une tragédie en cours, celle d’un monde sans repères que se dispute norme et monstruosité dans lequel chacun erre en quête de soi. (T.F.) Au Carreau (Forbach), jeudi 14 mars en allemand surtitré en français carreau-forbach.com

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SPECTACLE

chevaux rebelles

© Joerg Metzner

Quand la chorégraphe néerlandaise Wies Merkx part sur les chemins chaotiques de l’adolescence avec la compagnie De Dansers, portés par un live rock revigorant, cela donne The Basement. Une heure dans les sous-sols crasseux des possibles où grondent les sentiments, s’affrontent sensations extrêmes et ivresse de nouvelles découvertes. Comme enfermés dans la tête d’un ado, les six interprètes – quatre danseurs et deux musiciens à la batterie et à la guitare – se lancent dans des défis et corps à corps magnifiant force et chair. Traversés de saccades, les êtres se meuvent avec intensité, se laissent habiter de pulsions pour mieux renaître, autres. Ils partent à l’assaut de leur solitude initiale dans une scénographie de palettes empilées contre lesquelles ils se jettent, montent et se mesurent lors de face-à-face à géométrie variable. Ça pulse, gronde et transpire. Ça mature contre la nature des choses dans une quête de soi permanente. (I.S.) Au Manège (Reims), vendredi 29 mars (dès 12 ans) dans le cadre du festival Méli’môme (du 21 mars au 5 avril) manege-reims.eu – ­ nova-villa.com

© Gervaise Gournay

freee

Si le dadaïsme ne connut pas le succès du surréalisme – qui lui dut pourtant quasiment tout –, nombreux sont les artistes, un siècle plus tard, à se replonger dans sa totale irrévérence et sa liberté langagière. Dans Dadaaa, Amélie Poirier s’empare pour le très jeune public (dès 2 ans) des marionnettes cubistes et minimalistes de Sophie Taeuber-Arp et des photomontages d’Hannah Höch. Cette nouvelle création chorégraphique, marionnettique et sonore inspirée par les poèmes d’Hugo Ball et Tristan Tzara met volontairement en avant des objets d’art créés par des femmes, questionnant leur place dans le champ de la création. Trois danseurs-marionnettistes et un contreténor performeur œuvrent dans un monde imaginaire, un univers plastique où les échelles sont volontairement bousculées. S’y rejoignent espace sensoriel et questionnements politiques à même de toucher les plus grands en collant à l’esprit dada. Coller, agréger, mélanger, travestir ou encore détourner dans une révolution permanente. (D.V.) Au TJP Petite scène (Strasbourg), du 21 au 28 mars dès 2 ans tjp-strasbourg.com Au Festival Méli’môme (Reims, du 21 mars au 5 avril), mardi 2 et mercredi 3 avril nova-villa.com Au Festival mondial des Théâtres de marionnettes (Charleville-Mézières), du 20 au 29 septembre festival-marionnette.com

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la grâce du genre François Chaignaud traverse plusieurs siècles de musique traditionnelle et de danse espagnole dans Romances Inciertos, Un autre Orlando. Travestissements et personnages androgynes forment une seule et même figure se référant au fantastique Orlando de Virginia Woolf.

Par Thomas Flagel Photos de Nino Laisné

À La Filature (Mulhouse), du 20 au 22 mars (présenté dans le cadre de La Quinzaine de la danse de l’Espace 110 d’Illzach, du 12 au 23 mars) lafilature.org espace110.org Au Manège (Reims), jeudi 13 juin manege-reims.eu

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evant des bandes de tapisseries renaissance, un air baroque nous saisit. Bandonéon, viole de gambe, théorbe (sorte de grand luth à cordes pincées) et percussions évoquent un temps étrangement lointain et pourtant familier, fruit du travail de composition de Nino Laisné. Vêtu d’un casque de conquistador, d’une épaulière et d’une cubitière, François Chaignaud incarne la Doncella guerrera, demoiselle déguisée en soldat, refusant d’épouser le jeune prince qui lui est promis en préférant la mort à son impossibilité d’être ce qu’elle souhaite : une combattante. Le danseur, pieds nus et ongles

faits, multiplie courbures, passes revisitées des danses populaires d’époque et fentes tirées du boléro. Dans ce mélange de genres il entonne un chant de douleur expressionniste, tout en sautillant et tournoyant. Son passage au sol, membres fendant l’espace vers le ciel s’accompagne du glissement subtil d’une voix jusqu’ici de tête à une voix de poitrine. Dédoublement de l’être, androgynéité du personnage et de son interprète évoquant le mystérieux destin d’Orlando auquel Virginia Woolf inventa d’extraordinaires réincarnations d’époques en époques, d’un corps d’homme à celui de femme.


Baroque en grâce Le temps passe, les tapisseries s’élèvent et laissent apparaître un décor plus étrange que la clairière pastorale inaugurale. Le danger rôde, des cerfs s’ébattent dans les eaux, proches de la noyade dans cette forêt où rôdent des bêtes indomptées. La musique, doucement savoureuse et inspirante, nous emmène jusqu’à San Miguel, personnage travesti portant haut la jupe orangée, un châle recouvrant les mains sur ses hanches. Avec ses pointes, François Chaignaud, juché sur des échasses oblongues, tourne sans vergogne comme les hommes de la traditionnelle danse des échasses du Nord de l’Espagne escortant les statues de Marie-Madeleine. Leur mouvement continu, encourageant la course du soleil pour favoriser les récoltes, se voit ici détourné et mêlé à la contrainte d’un cadencement vif : celui d’une jota, danse sautillante faite de lancers de jambes impressionnants accompagnés de castagnettes marquant ses ruptures. Le chorégraphe-performeur puise dans le folklore les rituels et métissages qu’il pousse à bout dans la passion, l’expressivité des tressaillements. Le moindre geste se fait syncope extrême, vers la force comme la fragilité. La douleur émerge, sous-jacente, omniprésente. Libéré quasi chancelant du

piédestal qui le retenait par deux musiciens, il retrouve le sol, chantant tout en lançant une ronde ralentie, jambes fléchies sur ses pointes dorées, regagnant toute majesté. Renaissance gitane Mirage de passions dévorantes, la dernière figure de cet hybride Orlando prend les atours de la Tarara. Personnage de dévotion rare à l’identité – comme aux appétits sexuels – trouble. Cette gitane andalouse, prisée du cinéma et souvent dépeinte comme démente, souffre elle aussi de romances incertaines. Dans le déséquilibre infaillible mais contenu qui caractérise son corps depuis le début, voilà notre danseur, mèche brune sur le front, défiant la rectitude avec son buste courbe. Il s’agite et se pavane, fier sur ses talons, le flamenco suintant de toutes ses arabesques. Dans une ivresse solitaire et mélancolique dont on ne saurait dire si elle tient de la ténacité ou d’une émotion brute le submergeant, il joue encore et toujours de son art du travestissement. Torse nu et bretelles noires, les derniers moulins à vent du bras initient une sérénade finale dans laquelle il s’abandonne, totalement courbé vers le ciel, telle une offrande sublime.

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extra connectivité Retour en force d’EXTRADANSE, festival porté par Pôle Sud qui invite une nouvelle génération d’artistes à Strasbourg pour évoquer le monde de demain. Par Thomas Flagel

À Pôle Sud, au TJP et au Théâtre de Hautepierre (Strasbourg) mais aussi au Point d’Eau (Ostwald), du 19 mars au 5 avril pole-sud.fr

Légendes 1. Forecasting, Barbara Matijević et Giuseppe Chic 2. NÄSS (Les Gens), Fouad Boussouf © Charlotte Audureau 3. Sweet tyranny, Pere Faura © Tristan Perez-Martin

1 Lire Denses Danses dans Poly n°158 ou sur poly.fr 2 Voir Premières Classes dans Poly n°149 ou sur poly.fr

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vant une édition inédite d’EXTRAPÔLE – renommée pour l’occasion EXTRA ORDINAIRE dont les participants investiront la Meinau et le Neuhof pour trois semaines de résidence et trois jours d’interventions publiques (13-15/05) – Pôle Sud signe un festival printanier bigarré aux écritures de plateau inhabituelles. Poreux aux mutations bousculant nos manières de vivre, de se représenter comme d’appréhender le monde, divers artistes s’emparent du numérique et de notre tendance à l’hyper connectivité. Ainsi en va-t-il de Barbara Matijević et Giuseppe Chico (Forecasting, 02 & 03/04, présenté avec le TJP), glanant des vidéos amateurs sur YouTube qui défilent sur un écran d’ordinateur. Barbara utilise son corps dans l’espace vide pour reconstituer le contexte manquant des images, jouant de son inventivité et de son humour pour les compléter telles qu’elle les imagine. Allongée au sol pour lécher des pieds, braquant un flingue ou passant son bras derrière l’écran pour qu’il se prolonge avec une radio de main aux doigts extraordinairement longs. Se dessine une réflexion sur l’influence des images et de leur partage via de tels formats sur les

représentations intimes que nous avons de nous-mêmes. Internet est aussi en jeu dans Ode to the attempt (22 & 23/03, Pôle Sud) où le flamand Jan Martens fouille les fichiers de son portable dans un zapping vidéo projeté sur grand écran. De sa collection de selfies à ses chansons préférées, il passe du coqà-l’âne, d’un florilège d’images à son corps dansant. Son solo introspectif est suivi, dans la même soirée, de Together_till the end. Le chorégraphe Arno Schuitemaker y propulse deux danseurs dans une transe de ving-cinq minutes menée cœur battant sur une hypnotique pulsation electro. Leurs mouvements circulaires inarrêtables se mêlent à l’interaction des énergies animant les corps et leur interdépendance. Participatif Cette édition sera aussi l’occasion de retrouver des figures familières, à l’instar de Martin Schick. Le performer suisse, installé à Berlin, avait déjà illuminé le festival Nouvelles1 de Pôle Sud en 2013 avec un ovni post-capitaliste requérant la participation du public (Not my piece). Sur le plateau se retrouvaient tous les objets dont nous n’aurions plus besoin si


FESTIVAL

nous ne consommions plus à outrance (toilettes sèches, vélo générant de l’électricité…). Le trublion faisait aussi partie de CMMN SNS PRJCT invité par le défunt festival Premières2, en 2012. Dynamitant et réinventant les codes du théâtre avec la danseuse argentine Laura Kalauz, il prenait le parti de l’interactivité en échangeant des objets avec les spectateurs. L’inconnu dans lequel on tombait en se faisant offrir quelque chose créait une relation basée sur un mécanisme non-marchand, à partir duquel les deux performers questionnaient les relations économiques et humaines. Vertigineusement édifiant et d’une efficacité imparable. Son retour à Strasbourg avec Halfbreadtechnique (20/03, Pôle Sud) s’inscrit dans le même esprit provocateur. Cette fois, c’est l’économie du spectacle vivant qu’il revisite dans le cadre de ses « Low Budget Series ». Il pousse l’idée du partage jusque dans ses limites, touchant à l’absurde. Il décide de diviser tout en deux pour en faire bénéficier un danseur invité d’un pays « économiquement troublé », son cachet et son espace – c’est-à-dire la scène du spectacle qui propose donc deux performances sans rapport, en simultané. Parfois, c’est au public qu’il fait ce don, dynamitant la position même d’observateur. Êtes-vous prêts à faire fiftyfifty et laisser de côté vos attentes ? Festif Dans un tout autre registre, le chorégraphe et danseur catalan Pere Faura bouscule à sa manière les représentations de la danse dans Sweet tyranny (19 & 20/03, Pôle Sud). Il esquisse un catalogue rempli d’humour autour des gestes pop qui le fascinent, décomposant Flashdance ou les mouvements de John Travolta qu’il adule, offrant une réflexion sur le plaisir de danser et les icônes populaires. Cette plongée joyeuse et intime dans ses goûts se poursuit jusque dans l’art de l’effeuillage auquel il dédie le solo Striptease (22 & 23/03, Pôle Sud). Les amateurs d’ensembles plus importants se jetteront dans NÄSS (Les Gens, 03-05/04, présenté avec Le Maillon au Théâtre de Hautepierre) de Fouad Boussouf. Vitalité et intensité sont au menu d’une pièce s’inspirant de la culture gnawa. Sept danseurs y évoluent dans des élans hip-hop mâtinés de danse traditionnelle marocaine formant des rondes ultra rythmées et entraînantes. Pulsation de vie et vibrations inspirantes composée par Roman Bestion animent un spectacle diablement efficace et sautillant, battant la chamade de cœurs à l’unisson.

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françoiz in slumbreutland Dans le cadre d’une grande Party, Émilie Capliez et Matthieu Cruciani, directeurs de La Comédie de l’Est1, ont convié Françoiz Breut à participer à un spectacle basé sur la BD Little Nemo in Slumberland et à donner un concert. L’occasion de questionner son rapport à l’image, aux traits et aux notes.

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portrait

Par Emmanuel Dosda

À La Comédie de l’Est (Colmar), mercredi 6 et samedi 9 mars comedie-est.com The Party, carte blanche d’Émilie Capliez et Matthieu Cruciani 15h : Little Nemo (première étape de création, les 6 & 9 mars à 15h) 17h : Rapport sur moi (du 5 au 9 mars) 19h : Surprise scénique : création originale inspirée du dernier roman de Grégoire Bouillier avec Pierre Maillet et Matthieu Cruciani 20h30 : Concert de Françoiz Breut & Stéphane Daubersy

1 Lire le portrait chinois du tandem dans Poly n°213 ou sur poly.fr

B

ien avant de se mettre à la chanson, notamment auprès de Dominique A (le grisant Twenty-two bar, donnant le sentiment que nos têtes virevoltent), Françoiz se destine aux Beaux-Arts et à l’illustration, avec pour modèles Bosch, Brueghel et Winsor McCay, trio de soucieux du détail, à la fois inspirés par le réel le plus prosaïque et guidés par le dieu Morphée. Rien d’étonnant à ce qu’Émilie Capliez – metteuse en scène, avec Matthieu Cruciani, de la compagnie The Party qui donne son nom à une manifestation aussi colorée que le perroquet du film éponyme de Black Edwards – ait fait appel à la “chirurgienne des sentiments” pour l’accompagner dans sa création autour de Little Nemo, jeune personnage lunaire, héros de comic strips aux pays des songes créé en 1905. En mars sera montrée une première étape de travail d’un spectacle tout public (dès 8 ans) présenté en 2020 et impliquant Paul Schirck, Stéphane Daubersy et Françoiz Breut, fascinée par les (més)aventures nocturnes de ce « petit garçon qui raconte ses rêves chaque matin après avoir brutalement chuté de son lit ». La Bruxelloise d’adoption y est allée « à tâtons » : à l’heure où nous écrivons ces lignes, « le fil de l’histoire n’est pas encore fixé. Avec le multi-instrumentiste Stéphane Daubersy, mon binôme, nous sommes dans un joli

brouillard narratif… » qui n’est pas sans déplaire à celle qui aime avancer À L’Aveuglette. « Mes chansons naissent souvent d’un mot ou d’une lettre, d’une vidéo débile ou d’un film d’auteur, parfois d’une rencontre comme la bergère dont il est question dans La Proie, sur l’album Zoo. » Même si ses propres dessins n’ont encore jamais donné naissance à un morceau, La Danse de l’ombre vient d’une image, issue d’une séquence « genre Vidéo Gag » : une fillette effrayée par son ombre. « Je trouvais ça très émouvant et de là est partie l’idée de parler de notre part sombre ou lumineuse », en gardant à l’esprit les estampes symbolistes et inquiétantes de Léon Spilliaert, ses personnages fantomatiques et ses cieux crépusculaires. Légère & calme Non, Françoiz n’est pas légère et calme. Encore moins disciplinée : « Je ne suis pas fière d’être toujours assez “mauvaise élève”, mais ma terrifiante feuille blanche se remplit difficilement mot par mot. » Plus « instinctif », le dessin vient quant à lui naturellement, sans réflexion, « comme dans l’écriture automatique. Je peux partir d’un collage sans savoir ce que les images vont créer ensemble. Écrire un morceau, c’est être contraint par un format court. C’est foisonnant, baroque, j’ajoute des couches, comme dans mes collages. J’enfonce le clou en redisant la même chose avec d’autres mots. J’aime beaucoup les descriptions interminables, comme chez Andreï Makine décrivant les paysages sibériens dans La femme qui attendait. » Françoiz & compagnie Écrivains, musiciens, comédiens… Françoiz Breut multiplie les travaux collaboratifs qui tiennent une place de choix dans sa démarche. Émilie Capliez & Matthieu Cruciani (duo qui cherche sans cesse à musicaliser le théâtre), le fabuleux Yann Tiersen, l’exigeant Christian Quermalet, les arizoniens de Calexico, Adrian Utley de Portishead, Don Niño du groupe NLF3, le multi-étiquettes Julien Ribot, l’écrivain Arnaud Cathrine ou le trublion Philippe Katerine sont autant de personnalités, « de magiciens » qui la nourrissent. Quermalet, tête pensante et chantante de Married Monk2, ex-Tétines Noires – groupe d’« empêcheurs de tourner en rond » inspiré, selon l’intéressé, « par la poésie sonore de Jean-Jacques Lebel ou encore le Lettrisme d’Isidore Isou » – Poly 218

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portrait

Édité par Microcultures microcultures.fr

Dernier album : Headgearalienpoo (édité par Ici d’Ailleurs, lire Poly n°208 ou sur poly.fr) icidailleurs.com 3 Julien Ribot, qui sortira un nouvel album courant 2019, année chargée (long-métrage à finaliser, projet théâtral à mener...), vient de réaliser le psychédélique clip poético-dégoulinant de Son Of Mystery d’Orouni (son album Partitions sortira le 19 avril sur le label December Square) julienribotstudio.com 4 Son passionnant album Rhapsody For The Dead Butterflies sortira le 29 mars sur Prohibited Records prohibitedrecords.com 2

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se souvient des moments passés aux BeauxArts de Nantes en compagnie de la Cherbourgeoise au début des nineties : « Ses premiers pas dans l’ombre de Dominique A n’ont pas dû être évidents, mais au fil des années, elle a su trouver un son, des mélodies et des textes bien à elle. Graphiquement, son univers faussement naïf et onirique correspond parfaitement à sa musique. » Julien Ribot 3, chanteur, compositeur, réalisateur et illustrateur, perçoit la voix de Françoiz comme « une matière. Lors de l’enregistrement de la chanson nommée “?” sur mon premier album, nous avions essayé une prise très belle, dans les aigus. Je l’avais encouragée à continuer dans ce sens, mais elle a finalement préféré garder sa voix haute. Peut-être faut-il y voir un lien avec son univers graphique », plus grave qu’il n’y parait. Nicolas Laureau, alias Don Niño 4, l’a épaulée sur l’album La Chirurgie des sentiments, lorsqu’« elle avait ce désir d’écrire et d’assumer sa part d’auteure ». Pour Nicolas, « cette démarche conférait de la force à son geste artistique : ça semblait couler de source, un peu comme pour sa pratique régulière du dessin. Ce que j’aime le plus chez Françoiz est sa détermination : elle n’hésite

jamais sur ses choix et la direction à prendre. C’est très agréable de collaborer avec elle, car nos échanges sont riches et ses décisions sont tranchées. On ne tombe pas dans le compromis ! » L’ombre est lumière Pas si tranquille, mais décomplexée, Françoiz, amoureuse des allégories animalières, compare son corps à un zoo : elle doit composer avec l’araignée tissant une toile dans sa boîte crânienne, les matous miaulant en équilibre sur ses cordes vocales, le papillon voletant dans son ventre ou l’éléphant assis de tout son poids pachydermique sur son dos. Ses projets hétéroclites (albums jeunesse, disques, pièces…) lui permettent de dompter cette encombrante ménagerie. Elle ne pactise pas avec L’Ennemi invisible, mais fait avec. Elle ne fuit pas les ténèbres, préférant danser dans l’obscurité et y repérer « toutes sortes de nuances, de tons inespérés ». Françoiz ne craint pas la nuit, elle s’y engouffre pour, comme le petit Nemo, revenir des souvenirs plein la tête, des ectoplasmes auxquels donner formes, des bribes de mots à mettre sous L’Éclat du jour.



MUSIQUE

sueurs froides Malik Djoudi ne pourra plus longtemps échapper aux feux de la rampe : épaulé par le FAIR1, il s’apprête à une grande tournée hexagonale, un second album introspectif sous le bras. Coup de projo sur un chanteur adoubé par Daho souhaitant Épouser la nuit.

Par Emmanuel Dosda Photo de Marcel Hartmann

À La Laiterie (Strasbourg), vendredi 29 mars dans le cadre du festival FAIR : le tour (avec Catastrophe) artefact.org Au Moloco (Audincourt), samedi 30 mars dans le cadre du festival FAIR : le tour (avec Radio Elvis) lemoloco.com À L’Autre Canal (Nancy), jeudi 4 avril lautrecanalnancy.fr À la salle Jeanne d’Arc (Verdun), samedi 13 avril verdun.fr

Dispositif de soutien au démarrage de carrière et de professionnalisation en musiques actuelles, le FAIR, qui fête ses 30 ans, a aidé des artistes comme NTM, Wax Tailor, Moriarty, Christine and the Queens, La Femme ou Feu! Chatterton à mettre un pied à l’étrier ­– lefair.org 2 « Onze enregistrements tout aussi synthétiques qu’authentiques qui dépassent et métissent la synthpop. » À écouter sur souterraine.biz 1

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eul dans une salle sombre baignée d’une lumière azur et le visage à contre-jour, Malik Djoudi est Au cinéma. Il regarde et vit une tragédie américaine, passant de l’autre côté du miroir, du grand écran. Dans ce clip, une blonde hitchcockienne (interprétée par Cécile de France), tente de fuir quelqu’un (ou quelque chose) qui la traque, esquivant les spots lights qui la chassent. Pourquoi a-t-elle la mort aux trousses ? Mystère… Le premier disque de Malik n’a curieusement pas connu la mise en lumière qu’il méritait. Son second long format, Tempéraments, devrait réparer cette injustice : un profond et Essentiel album de pop synthétique, ayant un goût de miel mais inhalant de Belles sueurs, avec des mots bleus et de la Folie douce. Il s’est entouré d’Ash Workman, ingé’ son de Metronomy, ou encore d’Amaury Ranger de Frànçois and the Atlas Mountains, conseiller artistique de luxe. Il y a aussi un duo, avec un de ses héros. Qui est À tes côtés, Malik ? Étienne Daho. Ils chantent à l’unisson, se confiant l’un à l’autre « en stéréo » sur une ritournelle électronique qui scelle une amitié quasi « organique ». Nous soumettons une liste, sorte d’arbre généalogique d’hypothétiques parents – outre l’homme Tombé pour la France – qui auraient artistiquement pu engendrer Djoudi : l’androgynie vocale de Prince, Kim Wild dont il reprend Cambodia en live, Christophe pour sa beauté bizarre et bien sûr Suicide et ses Rockets électroniques. Il acquiesce mais précise : « Il faudrait ajouter Gainsbourg, James Blake, Blonde Redhead – le groupe qui m’a

donné envie de faire de la musique –, Connan Mockasin et Sébastien Tellier. Christophe, je l’ai découvert assez tardivement, à force que l’on me parle de lui. Prince ? C’est la première fois qu’on me compare à lui et je trouve que c’est tout à fait justifié… même si j’ai essentiellement écouté Michael Jackson étant plus jeune. » Banco ! Auteur de BO, metteur en son de spots TV, performer pour le chorégraphe Pierre Rigal (on a notamment pu le voir chanter et se mouvoir sur le plateau de Micro), membre de divers bandes rock, Malik n’a peur de rien, « à part du vide », et se lance tardivement en solo avec Un premier album, comprenant le mini hit Sous garantie, remarqué et compilé par les défricheurs de pop made in France de


La Souterraine. Benjamin Caschera, co-fondateur de la plateforme musicale, se souvient d’un gaillard « venu chez nous après avoir présenté son premier album à pas mal de labels qui l’ont snobé. J’ai écouté Sous garantie et j’ai direct dit “banco” ! Cette chanson, qui ouvre la compilation numérique Sainte Pop 2, est probablement l’un des plus gros succès, pour ne pas dire tube, qu’on ait hébergé. Malik a trouvé sa propre voie, entre variété et électronique underground. » Ses chansons synthétiques, jazzesques par instants (Dis-moi qu’t’y penses) ont un sacré Tempérament, invoquant le clair-obscur pictural en vogue au XVIIe siècle ou le pré-impressionnisme brumeux de Turner. « Ses toiles me procurent une émotion que j’aimerais pouvoir retranscrire musicale-

ment. Mes morceaux sont des assemblages de couleurs », plutôt dans un camaïeu bleuté. « Ils ne racontent rien de précis », mais s’adressent à chacun, plongeant la tête de l’auditeur dans les profondeurs spleeniques, puis le remontant vers l’aveuglante clarté de la surface sur un beat clubesque. Fan de cinéma (de Fenêtre sur cour à Moonlight), Malik use volontiers d’un vocabulaire issu du septième Art, évoquant le contre-jour et le hors-cadre : rien n’est frontal chez lui, tout est pudeur. Il ne se considère pas comme un maître du suspens, mais sait faire monter la tension, en se laissant mener par ses propres compos, nageant « entre les ballades et le rythme ». Musicien autodidacte, il ne connaît pas les notes, galère avec les suites d’accords, mais sait parfaitement comment faire « grincer les harmonies » et naviguer en eaux troubles.

Tempéraments, sortira le 22 mars sur Cinq7 – cinq7.com malikdjoudi.com

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raging bull À ma gauche, des boxeurs prêts à en découdre. À ma droite, General Elektriks, claviériste aux doigts d’argent et aux jambes élastiques. Ils partageront le ring pour une soirée DisKO upperpercutante. Par Emmanuel Dosda Photo de Tim Deussen

Au Palais des sports Ghani Yalouz (Besançon), vendredi 22 mars localboxeclub.fr besancon.fr General Elektriks sera également en concert au Noumatrouff (Mulhouse), dimanche 31 mars noumatrouff.fr

Édité par Cinq7 — cinq7.com general-elektriks.com

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Lire Poly n°185 ou sur poly.fr

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dée folle que celle de Philippe Haag et Morrade Hakkar du Local Boxe Club de Besançon qui, en 2017, rassemblèrent à La Rodia les champions Antoine Villedieu, Martin Kebrhel et… Corine, nouvelle icône pop à paillettes. Saugrenue ? Pas tant que ça : vu le succès de cet événement qui fit salle comble, l’équipe réenfile les gants pour un second round, en hommage à Jean Josselin, combattant bisontin des sixties aujourd’hui à la retraite que le club de boxe a décidé d’aider financièrement. Poing culminant de la manifestation : le championnat de France professionnel des poids lourds opposant Raphaël Tronché à son chalenger Zakaria Azzouzi. D’autres combats (masculins et féminins) sont programmés lors de ce meeting sportif… et musical. Véritable pile elektriks sur scène, faisant percuter les notes et castagner les sons… j’ai nommé : General Elektriks*, auteur de hits cogneurs comme Whisper to

me, Raid the radio ou Take Back the instant. Son arme secrète ? Les claviers ! Il est tombé dedans à huit ans. « Après le classique, j’ai versé dans l’impro, le jazz ou le boogie-woogie. Je me suis alors ouvert à d’autres sons que j’entendais dans la pop ou le funk et passionné pour les claviers vintage. Wonder et Hancock ont eu une utilisation très intéressante du Clavinet qui est devenu mon instrument de prédilection car il se joue de manière très percussive. Lorsque j’ai découvert son potentiel rythmique, j’ai su que c’était pour moi », nous confie celui qui aujourd’hui cite aussi bien le hip-hop des nineties que les Charts des années 1960 / 1970 (notamment Purple Haze de Jimi Hendrix), son ami Chief Xcel de Blackalicious ou son modèle, Beck, période Odelay (1996). Un show costaud dans le cadre d’une soirée qui nous mettra assurément KO !



FESTIVAL

beau temps pour un festival Le retour des beaux jours signifie également celui du Printemps des Bretelles. Pour la 22e édition de ce festival, l’accordéon est une vedette que chaque artiste s’applique à adapter à son style musical.

Par Anthony Niang Photo de Vadym Kulikov

À L’Illiade (Illkirch-Graffenstaden) du 15 au 24 mars illiade.com printempsdesbretelles.com

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est en alliant, dans une programmation de 110 concerts, des bals et spectacles, avec morceaux classiques et modernes que le festival met en valeur la contemporanéité d’un instrument, souvent associé à au passé. Le duo Turfu (21/03) le prouve avec éclat. Composé de Raphaël Decoster à l’accordéon et Matthieu Suchet à la batterie/synthé, le groupe mêle piano à bretelles et musique electro, concoctant un son résolument axé sur la transe. Sur un registre proche, Dakhabrakha (20/03, en photo) prend un malin plaisir à assembler compositions folkloriques ukrainiennes et

instrumentations africaines, bulgares, orientales, mises en harmonie avec des rythmiques et des sonorités de hip-hop. Cela donne naissance à un alliage que le groupe décrit comme un « chaos ethnique », un univers musical insolite, joyeux et entraînant. Il marque nonseulement par la créativité de ses compositions mais aussi par la mise en scène de ses spectacles, son univers visuel et ses danses au rythme endiablé. L’instrument à bretelles a été adopté par de nombreuses cultures, ce qui permet au festival, de proposer un voyage aux quatre coins du globe. Explorant l’autre côté de l’Atlantique en guise d’ouverture, l’honneur revient aux Caraïbes, et à l’Amérique latine, avec la compagnie du Tire-Laine (15/03), dont le répertoire navigue entre le chacha, le forró, sans nier ses racines européennes en exploitant la sirba moldave et la tarentelle italienne. La soirée se poursuivra avec Kumbia Boruka, groupe originaire de Monterrey au Mexique, où l’on danse la cumbia colombienne des années 1960 à laquelle le groupe apporte une approche à la fois moderne et fidèle. Dans un tout autre registre, le Printemps des Bretelles accueille The Moorings (22/03) mélangeant folk celtique et rock alternatif créant un cocktail énergique aux saveurs de l’Irlande, leur style faisant écho aux Dropkick Murphys avec qui ils partagèrent la scène en 2014. Le pays des trèfles est également abordé sur une note plus douce : Dallahan (18/03) joue sur des éléments de jazz, de pop, de musique classique ou de funk. Le festival compte également des représentants du jazz, du gospels et des negro spirituals, avec le concert de Marcel Loeffler, accordéoniste-jazziste bas-rhinois réputé, en compagnie de Lisa Doby et des Nishati Gospel Singers (17/03).


FESTIVAL

swinguez ! Quatorzième édition du festival international de jazz classique Marckolswing. Christophe Erard, président de l’association Marckodrom, fait le point sur cet événement musical groovy. Par Cécile Gastaldo Photo du Hot Swing Sextet

À la Salle des fêtes (Marckolsheim), du 21 au 23 mars marckolswing.fr

Comment est né Marckolswing ? À l’origine, il n’y avait qu’une bande de copains, férus de jazz manouche, qui grattaient la guitare dans un jardin de Marckolsheim, baptisé aujourd’hui Jardin dans les nuages. De fil en aiguille, nous étions de plus en plus nombreux et l’association Marckodrom est née. Dès 2010, il a fallu créer une structure de plus grande ampleur. Aujourd’hui encore, bien que Marckolswing soit centré sur le jazz classique traditionnel, le jazz manouche demeure présents dans toutes les éditions. Depuis cinq ans, la danse a fait son apparition, offrant à tous les publics, la possibilité de venir tester la piste ! La Savoy Night, soirée dansante accompagnée de deux orchestres, affiche déjà complet !

Quels sont vos coups de cœur pour 2019 ? Dur de choisir au sein d’une telle programmation ! Je dirais notre tête d’affiche, Angélo Debarre, grande pointure du jazz manouche (22/03, Salle des fêtes), suivi de mon second coup de cœur, le groupe espagnol Enric Peidro Swingtet, qui nous offrira un concert dansant enflammé ! Mais aussi le groupe bordelais Hot Swing Sextet (21/03, Salle des fêtes), qui ouvrira le bal dès le premier soir. Sans oublier notre record entertainer, Stephan Wuthe, venu spécialement de Berlin. Chaque soir après les concerts, il vous fera découvrir son impressionnante collection de 78 tours d’époque, ainsi qu’une belle sélection de gramophones authentiques.

Le festival s’ouvre avec l’arrivée du bus du Swing… Le swing, cette façon si singulière de vivre le rythme, tient une place à part dans l’univers du jazz. C’est la mission du bus, dans son jus 1930, qui parcourt le village et les écoles. Le festival nous transporte dans cet âge d’or des orchestres Big Band des années 1920-1940…

Qu’est-ce que l’événement hors festival nommé Les Vendredis du jazz ? Il s’agit d’une jam session entre musiciens amateurs organisée environ sept fois par an depuis 2011. On y retrouve l’esprit initial de Marckolswing, un rendez-vous convivial et musical, soutenu par une cinquantaine de bénévoles. Poly 218

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la folle journée Jazz, répertoire contemporain, cabaret, world… Musiques éclatées mixe les styles dans un parcours strasbourgeois en dix stations. Initiateur du projet, le compositeur Paul Clouvel en décrit l’essence. Par Hervé Lévy Photo de Carla Rosa Martinez

Dans dix lieux (Strasbourg), samedi 30 mars musiques-eclatees.fr

Pour sa deuxième édition, Musiques éclatées reste fidèle à la recette qui a fait son succès, accueillant 1 700 spectateurs et en refusant 500, l’an passé : une journée, dix concerts gratuits. Quel est l’objectif de l’événement ? Notre premier désir est de montrer la vitalité de la scène musicale strasbourgeoise et de permettre à de nouveaux publics d’aller à la découverte de sonorités variées dans des endroits décalés. Ce n’est pas tous les jours, par exemple, qu’on peut entendre un concert dans le grand escalier des Galeries Lafayette. Les filles de Voix de Stras’ y créeront une version a cappella très contemporaine des Quatre Saisons de Vivaldi signée Arturo Gervasoni (15h)

mais expérimentent… L’aspect recherche est essentiel pour nous. Il ne suffit pas de se mettre derrière un pupitre et de jouer des œuvres bien connues, mais de commander des partitions à des compositeurs, d’innover dans les modes de jeu, de croiser les disciplines, de repenser le rapport à la scène. La rencontre entre la musique électronique d’ErikM et l’univers hypnotique d’HANATSU miroir dans la crypte de la Cathédrale (14h) promet, par exemple, tout comme le contrebassiste Stéphane Clor qui donnera Perturbation Locomotive dans une chambre de l’Hôtel Graffalgar (11h), un spectacle expérimental envoûtant, où le temps et l’espace se distendent.

Comment les ensembles ont-ils été choisis ? Nous avons souhaité mêler les musiciens reconnus tel Accroche Note (17h, Hôtel de Ville) – proposant un programme 100% Aperghis – et les jeunes pousses comme Roots 4 Clarinets (12h, MAMCS) dont les membres se sont rencontrés à la Haute École des Arts du Rhin. Voilà un quatuor de clarinettes qui monte.

Il s’agit d’un parcours cohérent que le public peut suivre, allant de station en station, découvrant la cité sous un jour nouveau… C’est aussi un de nos désirs : celui qui suivra ce marathon découvrira des univers très variés, parfois bien balisés comme celui du Duo Absinthes (19h, AEDAEN Gallery) pour un programme cabaret autour de Kurt Weill, parfois très surprenant comme le tango du XXIe siècle du quatuor de saxophones RE/ SONO (18h, Opéra).

La plupart des ensembles retenus ne se contentent pas d’explorer le répertoire, 42

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viva argentina ! Festival pluridisciplinaire initié par l’Opéra national du Rhin, Arsmondo met l’Argentine en pleine lumière. Sélection parmi une très dense programmation.

Par Hervé Lévy Photo de Grégory Massat

À l’Opéra, au Cinéma Odyssée, à l’Université, à la Librairie Kléber, etc. (Strasbourg) et à La Filature (Mulhouse), du 15 mars au 17 mai operanationaldurhin.eu

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Voir Poly n°207 ou sur poly.fr

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A

près une première édition couronnée de succès dédiée au Japon*, le festival Arsmondo traverse l’Atlantique en direction de l’Argentine. Les liens culturels unissant le pays à la France « n’ont jamais cessé depuis le milieu du XIXe siècle. Nous ignorons souvent que l’architecte du premier théâtre d’opéra de Buenos Aires, Charles Henri Pellegrini, était originaire de Chambéry », souligne la directrice de l’Opéra national du Rhin, Eva Kleinitz. Pièce maîtresse de ce festival, la création française de Beatrix Cenci, opéra d’Alberto Ginastera (17/03-07/04) est une histoire d’amour et de mort, celle d’une jeune fille martyrisée et violée par son père qui ne voit d’autre issue que le parricide. Elle sera exécutée… Du même compositeur, on découvrira les étonnantes Variations concertantes (28 & 29/03, PMC), passionnante page fifties annonçant la musique répétitive d’un Steve Reich, interprétée par Marko Letonja et ses musiciens de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. L’incontournable créateur argentin et grand rénovateur du tango Astor Piazzolla, sera lui aussi bien présent avec notamment un excitant concert de musique de chambre du Trio C’est pas si grave

composé de musiciens de l’OPS (24/03, Cité de la musique et de la danse) qui donnera sa version des Quatre Saisons de Buenos Aires, jolie conversation entre culture sud-américaine et baroque vénitien. Au fil du festival, il sera évidemment beaucoup question de la danse nationale du pays : on craque pour l’Impossible Tango (23/03, Opéra), concert du Wonder Brass Ensemble (en photo), rassemblant cuivres et percussions pour interpréter des pièces d’Enrique Crespo, Astor Piazzolla ou Lalo Schiffrin et des tangos revisités par des compositeurs du monde entier ! Mentionnons également le récital du baryton Armando Noguera (22/03, Opéra) : accompagné d’un guitariste, d’un pianiste et d’un bandonéoniste, il propose un voyage en terre argentine… S’il est évidemment impossible d’égrener tous les événements qui rythmeront ce riche festival, citons cependant deux incontournables, une exposition intitulée Beatrice Cenci, héroïne tragique au Musée des Beaux-Arts (15/0330/05) et une lecture de textes de Julio Cortázar par Mathieu Amalric avec l’Ensemble Linea (31/03). Wahou !



MUSIQUE

humain & divin Gabriela Gómez Abaitua monte Orphée et Eurydice de Gluck à l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole. Plongée dans une « expérience hors du temps ».

Par Hervé Lévy Maquette de costume de Valérian Antoine et Brice Lourenço

À l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, du 15 au 19 mars opera.metzmetropole.fr

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urydice est morte. Orphée est désespéré. Grâce à la puissance et à la beauté de son chant, il va faire revenir sa belle des Enfers, la ramenant dans le monde des vivants… à la condition qu’il ne pose pas son regard sur elle. Et que croyez-vous qu’il fit ? En prenant le mythe pour fondement, Christoph Willibald Gluck livra une partition sublime traduisant avec une grande profondeur les sentiments humains et le pouvoir de l’amour sur la mort. À son propos, JeanJacques Rousseau écrivit même : « Puisqu’on peut avoir un si grand plaisir pendant deux heures, je conçois que la vie peut être bonne à quelque chose. » Il fait allusion non seulement à la luxuriance de la musique et aux airs virtuoses, mais aussi au happy end que choisit le compositeur baroque : alors qu’Orphée est sur le point de mettre fin à ses jours lorsqu’il perd Eurydice pour la seconde fois, Amour, la lui rend. Gabriela Gómez Abaitua est profondément touchée par une pièce qu’elle avait interprétée, danseuse, au Grand Théâtre de Genève, dans la chorégraphie culte de Mats Ek. Dans sa mise en scène, elle désire « interroger les rapports existant entre les mondes humains

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et divins. La musique permet de lier les deux univers. Elle forme un pont entre celui d’Orphée et celui d’Eurydice. J’ai souhaité donner corps à cet échange », résume-t-elle. « C’est une histoire atemporelle qui a beaucoup à nous dire aujourd’hui, alors que les rapports humains sont souvent “endommagés”. Pour l’exprimer, nous avons choisi une scénographie très épurée, minimaliste et des costumes qui ne sont pas datés. L’opéra se déroule hors du temps, dans au-delà qui n’aurait, tout comme la spiritualité, ni d’heure ni de lieu. » Elle a aussi eu la volonté de placer musique et danse au même niveau, “doublant” les trois rôles principaux (Orphée, Eurydice et Amour) qui « seront chacun incarnés par un chanteur et un danseur. Ils ne symbolisent pas un dialogue possible entre les deux parties d’un même personnage mais véhiculent une émotion d’essence similaire, l’amplifiant par leur dualité. » Si la voix peut légitimement être associée à la sphère divine et le corps aux actions humaines, cette dichotomie « n’est pas fixe. J’ai envie de la laisser toute liberté au spectateur, de lui donner la possibilité de se perdre et se laisser emporter », résume la chorégraphe.


liberté, liberté chérie Pour monter Les Boréades de Rameau, l’Opéra de Dijon fait appel à un duo de choc, invitant Emmanuelle Haïm à la tête de son Concert d’Astrée et le metteur en scène Barrie Kosky. Par Hervé Lévy Portrait d’Emmanuelle Haïm par Gilles Abegg

À l’Opéra de Dijon, du 22 au 28 mars opera-dijon.fr Rencontre avec les artistes après la représentation et atelier destiné aux enfants pendant la représentation (24/03)

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ierre angulaire de la saison 2018 / 2019 de l’Opéra de Dijon, cette production des Boréades en épouse parfaitement le thème. Dans l’Acte II, au cours d’une célébration à Apollon, est en effet chanté : « C’est la liberté qu’il faut que l’on aime, le bien suprême, c’est la liberté. » Il était logique de confier la baguette de cette nouvelle production à Emmanuelle Haïm, artiste associée à la maison bourguignonne (qui y poursuit son cycle dédié au compositeur après Castor et Pollux, Dardanus ou encore Pygmalion) dont l’interprétation de l’ultime pièce de Jean-Philippe Rameau à l’Opéra national du Rhin, en 2005, nous avait bluffés. Elle évoquait alors pour nous une page « d’une incroyable richesse d’écriture. C’est l’œuvre d’un homme âgé (qui a commencé tardivement sa carrière dans le genre) qui va mourir pendant les répétitions et qui ne se préoccupe plus de ce que les gens pourront penser. Il laisse alors libre cours au “délire” d’une musique extrêmement sophistiquée et emplie d’une profonde sensualité. On sent bien là que la tragédie lyrique vit ses ultimes et sublimes soubresauts ». L’histoire est celle « d’un véri-

table hymne à la liberté, celle d’une femme qui l’a choisie… plutôt que l’amour ». Nous sommes en 1764 le souffle des idées nouvelles qui emporteront tout sur leur passage une vingtaine d’années plus tard est déjà perceptible : « On pense parfois aux différentes étapes d’une initiation maçonnique : celui qui aime doit passer par différentes épreuves pour voir son amour couronné par les Dieux. » Tout cela est en outre fort virtuose et « la question se posée parfois de savoir si la partition est jouable ou s’il s’agit d’une simple vue de l’esprit. Les acteurs de cette tragédie lyrique sont poussés dans leurs extrêmes. » À la mise en scène, on retrouvera le directeur de la Komische Oper de Berlin, Barrie Kosky aux options scéniques toujours très tranchantes qui avait dépoussiéré avec verve Castor et Pollux à Dijon, en 2014. Il proposait également, il y a quelques mois, une vision ultra expressive et éminemment germanique – qui pose néanmoins question pour un répertoire profondément français – de Pelléas et Mélisande de Debussy à l’Opéra national du Rhin. Poly 218

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MUSIQUE

En résidence aux Dominicains, la Compagnie La Tempête a imaginé, en compagnie de Jem the Misfit – qui projette ses images en temps réel sur des structures géométriques disséminées au sein de l’orchestre –, un spectacle construisant des ponts entre l’âge baroque et la période contemporaine. Bach the minimalist est un objet sonore et visuel éblouissant confrontant certaines partitions emblématiques du Cantor de Leipzig – comme son Concerto en ré mineur pour clavecin – avec des pièces de notre époque, illustrant leur profonde parenté : rythmiques envoûtantes susceptibles de générer une certaine transe, répétitions et autres boucles sonores ou encore poésie mathématique… En écoutant Shaker Loops de John Adams, les liens de Bach avec la musique répétitive sont manifestes. Et que dire de la mystique minimaliste et planante d’Arvo Pärt (Orient et Occident) ou de celle, ancrée dans la terre de Pologne, d’Henryk Górecki dont sera interprété le Concerto pour clavecin ? La soirée s’achèvera avec les Litanies à l’orgue gorgées d’une ardente foi de Jehan Alain. (H.L.) Aux Dominicains de Haute-Alsace (Guebwiller), vendredi 29 mars les-dominicains.com compagnielatempete.com

une affaire de femmes

© Atelier Marge Design

Trois femmes ont choisi de rendre hommage à autant de compositrices : voilà un concert marquant et riche de découvertes dans la saison de musique de chambre de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. La violoniste Claire Boisson, la violoncelliste Juliette Farago et la pianiste Cordelia Huberti débutent avec une page de Clara Schumann qui n’a pas à rougir de la comparaison avec son illustre époux. Suivront des œuvres de Germaine Tailleferre – seul élément féminin du Groupe des Six – et Lili Boulanger, météore de l’Histoire de la musique (et première femme à remporter le Grand Prix de Rome de composition, en 1913) qui disparut à 24 ans, emportée par la tuberculose. Sera donné son diptyque D’un Soir triste / D’un Matin de printemps, portrait “Janus” d’une artiste à la fois éminemment grave et extrêmement gaie. Sur un même thème se déploient des climats antagonistes évoquant, parfois curieusement, Ravel ou Debussy. (H.L.) À l’Opéra (Strasbourg), jeudi 21 mars philharmonique.strasbourg.eu

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Mapping de Jem the Misfit

bach, le contemporain



vacances roumaines À travers les œuvres d’une quarantaine de plasticiens, La Brique dresse un riche panorama de l’évolution de l’art roumain depuis le milieu du XXe siècle. Par Raphaël Zimmermann

À La Kunsthalle (Mulhouse), jusqu’au 28 avril dans le cadre de la Saison France-Roumanie kunsthallemulhouse.com saisonfranceroumanie.com Lecture participative du roman Catalogue d’une exposivie d’Hélène Bourdel en sa présence (15/03, 18h30) “Marges et contemporanéité, situations d’avant-garde de l’art en Roumanie”, conférence de Bogdan Ghiu (21/03, 18h30)

Légende Ion Bârlădeanu, Collage 522, courtesy of Ovidiu Sandor Collection

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rôle de titre pour une exposition : La Brique, The Brick, Cărămida fait référence à une pièce emblématique d’Ana Lupaș, icône de l’avant-garde. Voilà l’occasion de découvrir la diversité de la création contemporaine roumaine à travers 54 œuvres (dont deux, signées Pusha Petrov et Alex Mirutziu, ont été créées spécialement) de 43 artistes, issues de la collection réunie à Timișoara – ville jumelée avec Mulhouse – par Ovidiu Șandor. On y croise les “grands ancêtres” comme Brassaï dont les mystérieux Graffitis photographiques consistent en une exploration des traces laissées, telles des cicatrices, sur les murs de la cité, Constantin Brâncuși ou Victor Brauner et ses circonvolutions surréalistes. Moins connus sont les membres du Groupe 111 fondé par Ștefan Bertalan, Constantin Flondor et Roman Cotoșman : éminemment sixties, leur création explore des voies évoquant l’art cinétique ou le Bauhaus revisité avec notamment les vasareliennes Séquences visuelles du dernier nommé. Au fil de la visite se déploie un corpus original et protéiforme : en témoignent

Courbe de production (1969) où Horia Bernea détourne la propagande, métamorphosant les objectifs du Plan socialiste en langage poétique et coloré, ou Révolution culturelle (1972), photomontage signé Ion Grigorescu dans lequel il se joue avec une brillante ironie de l’idéologie qui écrasait alors le pays de Nicolae Ceaușescu. Se découvrent des pièces classiques comme les clichés d’Andrei Pandele restituant un Bucarest disparu ou la Bronze Hand de Paul Neagu (qui incitait à « gérer les choses, plus complètement, avec vos dix doigts, pores et muqueuses qu’avec deux yeux seulement ») et des créations d’avant-garde. Parmi elles, citons la série Pudgasnic (2019) où sont explorées les relations entre la femme, la jeune fille et la tradition par le prisme du costume folklorique revisité. On craque pour les collages hybrides de Ion Bârlădeanu (entre pop et dada, il trace une voie brocardant avec force le totalitarisme communiste et les délires du capitalisme débridé qui ont suivi sa chute) ou les toiles de Mi Kafchin dont est présenté Alchimie (2013).


l’œil de la nuit Au CCAM, Vincent Vanoli* s’interroge : Pour qui sonne le gris ? Il expose une sélection de planches en clair-obscur, tentant de répondre à cette question. Par Emmanuel Dosda

Au CCAM / Scène Nationale de Vandœuvre-lès-Nancy, du 6 mars au 5 avril centremalraux.com vincent-vanoli.fr

Édité par L’Association (collection Eperluette) lassociation.fr

*

Lire Poly n°203 ou sur poly.fr

L’

auteur lorrain de Rocco et la toison, L’Usine électrique ou L’Œil de la Nuit) décrit les errances de personnages fantomatiques. Socialement décalés, ils vagabondent, incertains, sur de tortueuses routes, dans des paysages confus naissant d’une matière charbonneuse. Vanoli construit une œuvre ténébreuse dans un camaïeu de gris qui habite ses œuvres comme il domine dans le « souvenir des murs de Mont-Saint-Martin, de Longwy ou du Pays-Haut industriel », selon lui. Adepte de la ligne pas très claire, son style est sombre, pictural, expressionniste : c’est à nouveau le cas avec son récent album, Simirniakov, conte historico-farfelu se déroulant durant l’hiver russe de 1917. À l’image des (anti)héros de ses livres, Vanoli se considère comme un homme égaré : « Obligé de devenir voyageur afin de trouver ma voie, la BD m’aide à mener ma vie. Depuis petit, c’est une

pratique qui me permet de m’ancrer en moimême. » À Vandœuvre, il expose des travaux en cinquante nuances de Grey, le gris étant “sa” couleur depuis, qui signifie « l’état intermédiaire, mal défini, variable entre le réel et le merveilleux ». Il creuse sa feuille, la frotte de pastel noir et réhausse nerveusement cette matière de gouache blanche, créant une page saturée où s’évade l’imaginaire du lecteur. Ses narrations naviguent entre authenticité historique et songe. « Sans retranscrire mes rêves, je cherche à traduire leur ambiance, avec leurs modes de fonctionnement, leurs chausse-trappes, leurs brouillards et les brisures de sens qui croisent parfois le mythe. Dans un état de rêverie éveillée, j’ausculte les choses de la vie quotidienne en contemplatif silencieux et à peine mobile, cherchant à faire apparaître un monde et à en révéler le merveilleux, le fantastique. » Poly 218

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tu veux ma photo ? À Apollonia, la collectionneuse Madeleine MillotDurrenberger propose un ludique jeu d’associations Tacites ou insoupçonnées entre photographie et arts plastiques. Par Emmanuel Dosda

À Apollonia (Strasbourg), jusqu’au 7 avril apollonia-art-exchanges.com

Légendes À gauche, École des Pays-Bas , Fillette à l’oiseau, premier quart du XVIe siècle et à droite Jacques Gimel, L’oiseau mort, 1963

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olontaires ou inconscientes, les références à la peinture sont légion dans la photo : compos, couleurs, lumière… Le projet de dialogue imaginé par Madeleine Millot-Durrenberger a vite séduit Dimitri Konstantinidis, directeur de l’Espace d’Art contemporain strasbourgeois, notamment pour sa dimension européenne, avec des « artistes cosmopolites venant d’Italie, d’Allemagne, de République Tchèque ou de France » et son « ambition pédagogique ». Tacites ou insoupçonnées – des intelligences furtives se compose d’une quinzaine de trios rassemblant photographie originale, reproduction de l’œuvre “modèle” et texte explicatif. Ainsi, voit-on une image de Bailly-MaîtreGrand montrant une assiette de soupe où se dessinent des formes aux courbes arpiennes, une carte postale d’une Constellation en bois gravé d’Arp et des mots de la collectionneuse expliquant son choix, « J’ai trouvé l’œuvre de Jean Arp la plus en accord avec

les “yeux de bouillon” cuisinés par Patrick Bailly-Maitre-Grand pour rendre hommage à l’artiste Dada qu’il admire… » Autre duo de choc : la Fente n°24 de Jean Daubas et L’Origine du monde de Gustave Courbet. Afin de faire un clin d’œil au maître ornanais, le photographe habitant au bord de la Loue a évité le piège consistant à participer à une « orgie de foufounes à l’air, barbouillis de minous, exhibition de choupettes, bref, mignardises à souhait », mais s’est rendu sur les pas du peintre « dans la campagne franc-comtoise pour photographier […] un paysage en fourche entre deux bras d’eau, une quantité de touffes de mousses sculptées naturellement comme un creux d’amour, des parois de roches fendues en amande. » Les autres tandems ? La Pomme sombre de Gábor Kerekes faisant écho à L’autre son de cloche de Magritte ou Les Trois Grâces hermaphrodites de Joel-Peter Witkin répondant à celles peintes par Raphaël en 1505.



EXPOSITION

ceci n’est pas une exposition Second volet d’une expérimentation XXL, Open Codes II revisite notre monde comme un immense champ de data. Le ZKM invite à une découverte historique, ludique et participative de la digitalisation. Par Thomas Flagel

Au ZKM (Karlsruhe), jusqu’au 7 avril zkm.de

Légendes 1. Vue de YOU : R : CODE par Dennis Dorwarth 2. im here to learn so :)))))) de Zach Blas et Jemima Wyman, 2017 © ZKM | Karlsruhe, photo : Uli Deck

Acronyme désignant les géants du Web : Google, Apple, Facebook et Amazon 2 Lire Poly n°144 ou sur poly.fr 1

son nouveau lieu préféré pour travailler. Quel café ou studio peut rivaliser avec les canapés Alcove Highback des frères Ronan et Erwan Bouroullec2, isolant ceux qui s’y lovent du reste du monde ? Une chose est sûre : l’utopie d’une institution muséale « capable de se réinventer – avec les citoyens – en tant que site de connaissance et d’autonomisation responsable, afin de retrouver un accès à la réalité à l’aide des instruments de la pensée » se matérialise. Bousculer les codes Si les cimaises, cartels et notices n’ont pas disparu, le ZKM met en pratique de nouvelles manières de présenter et de tisser des liens entre des œuvres aux médiums disparates, disséminées dans l’espace en utilisant des hashtags. Huit familles sont ainsi proposées (#Encoding, #VirtualReality, #GenealogyOfCode…), associées à une couleur et fonctionnent avec autant de plans regroupés en vues dynamiques. Il n’y a donc plus de sens imposé, le visiteur pouvant se laisser aller à l’instinct comme découvrir les liens entre les œuvres en suivant une thématique précise. La brochure classique est complétée par une application (EXPERIENCE_ZKM, développée il y a quelques mois) aux nombreux contenus allant de cartes pour se retrouver dans l’immensité des lieux, œuvres interactives, mais aussi audio-guides (uniquement en allemand pour l’instant). Un espace de lecture devant une bibliothèque permet même aux plus assidus de découvrir tous les ouvrages historiques et théoriques ayant servi à la genèse d’Open Codes II. Sur les murs entourant les sofas s’inscrit l’intégralité du code 3D de la pièce. Les lignes qui nous régissent Derrière cet emballage plein de promesses,

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epuis septembre dernier, les immenses espaces de l’Atrium du Centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe – ancienne manufacture de munitions – sont dévolus à ce que Peter Weibel, directeur de l’institution depuis 1999, qualifie de « concept faisant du musée une assemblée du XXIe siècle. » Open Codes II est une exposition qui n’en est pas une. Plusieurs milliers de mètres carrés décloisonnés dans lesquels se mêlent plus de 200 œuvres et des espaces de co-working pour curieux ou communautés cherchant à partager et transmettre en open source des expériences et un savoir digital. Il y a un côté GAFA1 où tout est ludique (table de ping-pong, baby-foot) et en libre accès (entrée gratuite, Wi-Fi haut débit, mais aussi boissons chaudes ou fruits que l’on trouve un peu partout). À faire regretter de ne pas habiter Karlsruhe et de ne pouvoir faire du ZKM

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se dévoile un florilège de créations nécessitant, comme bien souvent au ZKM, une belle disponibilité pour en approcher les diverses dimensions. On conseillera plusieurs venues pour, par exemple, regarder comme il se doit The Trial of Superdebthunterbot, installation vidéo de 45 minutes de l’anglaise Helen Knowles orchestrant la reconstitution du procès fictif d’un algorithme. D’éthique et de fiction, il est aussi question dans Ethical Autonomous Vehicles de Matthieu Cherubini qui invente une pluralité de scenarii pour algorithmes de véhicules intelligents. L’Intelligence Artificielle (IA) d’une voiture se retrouve face à un choix de collisions entre un piéton, un mur, un arbre en travers de la route et un panneau publicitaire. Elle doit décider selon un choix humaniste (sécurité optimale pour chacun), protectionniste (la sécurité du chauffeur et des passagers d’abord) ou basée sur l’économie (les dommages les moins coûteux pour son assureur). Le tout tenant aussi compte de l’évaluation de l’âge et de la renommée des victimes potentielles (un enfant vaut moins que Donald Trump, menacé ici de se faire écraser). Le décryptage des événements de chaque possibilité réserve son lot de questions (et de non-sens !) liées aux valeurs dont les créateurs pourvoiront les futurs IA des véhicules dont on nous promet, fallacieusement, qu’ils seront plus sûrs. Mention spéciale à l’humour d’un artiste facétieux, James Bridle qui, en traçant un cercle de sable autour d’un véhicule autonome, l’a condamné à une immuable immobilité (Autonomous Trap 001). Un exemple de hacking comme on les aime.

YOU : R : CODE Les expériences de réalité virtuelle demeurent comme toujours fort inégales, surtout lorsqu’un brin de poésie ou d’imaginaire en est absent. Ainsi le chandelier – clignotant et bien réel – de Cerith Wyn Evans (Astrophotography), transcription lumineuse du morse, nous parlera bien plus qu’un alignement de cubes en 3D dans un espace de lignes où se diriger joystick en main. Fascinante est la Learnmatrix imaginée en 1969 par Karl Steinbuch, préfigutration des IA actuelles comme Closed Loop, installation de Jake Elwes dans laquelle une IA décrit par des mots une image à une autre essayant d’en faire un dessin, avant que la première ne décrive à son tour l’image produite. Dans cette boucle infinie où les textes et images des deux IA devraient se rapprocher de plus en plus, le fiasco est tel qu’on se rend compte à quel point la créativité n’est pas codage facile. Produire une représentation d’une description peut être bien plus humain qu’on ne le pense. Ne partez pas de l’exposition sans votre Manifest asimovien. Le robotlab, d’après une idée de Peter Weibel himself, fait écrire à un bras articulé industriel Kuka, son propre manifeste pro-machine à partir d’une matière de milliers de manifestes et de lois existantes. Vous ressortirez en repassant devant YOU : R : CODE. Sept manières de vous représenter : depuis un simple miroir jusqu’aux codes les plus modernes possibles (3D, codes barres, génétique…) avec détections visuelles de votre âge, genre et taille. Vous avez dit digitalisation ?

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human after all Anne-Margot Ramstein réalise des illustrations jeunesse, des dessins classés X ou des carrés Hermès avec le constant souci d’« effacer le geste », comme un robot. Ses images dialoguent avec celles de Blutch pendant les Rencontres de l’illustration de Strasbourg.

Par Emmanuel Dosda Illustrations d'Anne-Margot Ramstein (image tirée d'Otto, ci-dessus, et du Dialogue de Dessins avec Blutch, à droite)

Dialogue de Dessins d’Anne Margot Ramstein et de Blutch, au Shadok (Strasbourg), du 21 au 31 mars (finissage le 29/03 à 18h30), dans le cadre de Central Vapeur, durant les Rencontres de l’illustration Rencontre avec le public au Salon des Indépendants (30/03 à 17h) centralvapeur.org anne-margot.com

Otto ou l'Île Miroir, paru aux Éditions 2024 (23 €) — editions2024.com

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iplômée de l’École des Arts décoratifs de Strasbourg, Anne-Margot Ramstein fut pensionnaire à l’Académie de France à Rome – Villa Médicis (2015-2016) où elle réalisa une série d’allégories autour d’Iconologia (1593), ouvrage de référence signé Cesare Ripa. Les vices, la luxure, la gourmandise… Les images d’Otto1, édité par 2024 l’an passé, ne font pas référence au livre jeunesse de Tomi Ungerer, plutôt à ses planches érotiques. « Vers sept ou huit ans, j’ai découvert son Kamasutra des grenouilles, caché chez moi par mes parents, et ai réalisé que, malgré l’aspect cartoon de ses images, la BD n’était pas un domaine réservé aux enfants. » La Strasbourgeoise ne s’inspire cependant pas graphiquement de l’auteur de Fornicon, mais des illustrations géométriques de Charley Harper ou de Magritte et ses peintures préhyperréalistes, lorsqu’il « faisait disparaître l’auteur derrière l’objet ». Anne-Margot s’évertue à « effacer l’indice du geste, annuler la main, supprimer la trace afin que les images soient le plus lisses possibles, comme

des étrangers, indépendants, détachées de moi ». Les planches semblent réalisées numériquement alors qu’elles ont été crayonnées patiemment, à la manière d’un minutieux artisan « en ébénisterie ou en marqueterie ». Dans des dégradés plus ou moins doux, nous suivons les aventures pornographiques d’un homme qui échoue sur une île inspirée des paysages réunionnais de l’enfance de l’auteure, sa plage de sable noir du Sud-Ouest ou ses forêts primaires et « intranquilles » de Belouve ou de Bebour. Impossible de ne pas songer au film – en noir et blanc, comme Otto – sorti simultanément : Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico2, fantastique long-métrage bizarro-sexuel… tourné à la Réunion et dont l’intrigue se campe dans une nature luxuriante aux formes phalliques ou vaginales. Nous pouvons dès lors parler d’une communauté d’esprit entre Mandico – proche de Blutch ! – et Ramstein. Non dénuées d’émotion, les formes lissées et érotisées d’Anne-Margaut répondront aux images de Blutch durant un ping-pong initié il


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Otto va connaître (en novembre, chez Albin Michel Jeunesse) une version « chaste » et colorée pour les enfants, toujours selon le procédé symétrique façon Rorschach, fidèlement à son grand frère psychédélique édité par 2024, lire Poly n°212 ou sur poly.fr 2 Programme de courts de Bertrand Mandico en sa présence, lundi 25 mars dans le cadre d’une carte blanche offerte par Central Vapeur au Cinéma Star – cinema-star.com 1

y a quelques mois. L’un et l’autre ont échangé par dessins interposés en vue d’une exposition au Shadok (et de l’édition d’un catalogue chez 2024) où l’on retrouve les obsessions de l’illustratrice « pour la béance, le trou, l’ouverture », comme une entrée de grotte où l’on perçoit des yeux scintillants dans l’obscurité influencés par Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul. Selon cette artiste du creux, « une chose se définit également par ce qu’elle

n’est pas, son inverse et son absence ». Si, munie de ses crayons de couleur, fidèle à son style minimaliste et stylisé, elle laisse s’exprimer le blanc du papier, Blutch sature ses planches de craie grasse, dans une attitude picturale. Le duo a créé une narration, relecture fantasma-érotique d’Alice au pays des Merveilles, avec êtres hybrides, clins d’œil au Surréalisme, paysages fantasmagoriques et terriers où se glisser.

total blutch

Les Rencontres de l’illustration font un large focus sur Blutch, ex des Arts déco qui raconta son enfance alsacienne dans Le Petit Christian. Grand Prix d’Angoulême 2009, auteur Total Jazz et 100% ciné, le dessinateur sera exposé à la Médiathèque André Malraux (planches du Petit Christian, Mais où est Kiki ? et Tif et Tondu), à L’Aubette 1928 (planches de Pour en finir avec le cinéma), au Musée Tomi Ungerer (vaste sélection d’illustrations pour la presse ou d’affiches) ou au Musée d’Art moderne et contemporain où il a choisi de rassembler des œuvres issues des collections muséales de la Ville pour les faire dialoguer avec son propre travail, dans un beau jeu de miroirs. C’est dans le cadre des Rencontres qu’aura lieu la neuvième édition du festival Central Vapeur. Au menu, une multitude de friandises (atelier de tatouages provisoires, portrait-maton, fanfare, cake contest, pesée de panier rempli de bouquins…), remise du prix pour le concours d’étiquettes avec Meteor (30/03), expo de cartes postales réalisées par collégiens et lycéens sur le thème de la Boule de Feu (titre de la BD d’Anouk Ricard et Etienne Chaize éditée par 2024 et faisant l’objet d’une exposition au Musée historique, voir page 14) ou Belle Échappée outdoor, quai des Bateliers où est affichée, dans des panneaux publicitaires, une vingtaine de paysages hypercolorés réalisés par Anne Laval. Pour rien au monde, il ne faudra rater la battle sans merci opposant huit illustrateurs célèbres pour la violence de leur coup de crayon (22/03, cinéma Star Saint-Ex) et l’expo vidéo-projetée rassemblant les collectifs Art Majeur et Passe en Profondeurs au Kalt (vernissage électroïde le 23/03). Événement phare de Central Vapeur, le Salon des indépendants (Salle des Colonnes, 30 & 31/03) rassemble éditeurs, magazines et collectifs engagés pour la cause illustrative ! Image de Blutch (tirée du Dialogue de Dessins avec Anne-Margot Ramstein)

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Dans divers lieux strasbourgeois (Musées, CEAAC, Aeden, librairie Quai des Brumes, Shadok, Hear, Médiathèques…), du 21 au 31 mars – strasbourgillustration.eu Expositions dédiées à Blutch au Musée Tomi Ungerer, au MAMCS et à l’Aubette 1928 jusqu’au 30 juin et au Musée Historique jusqu’au 23 juin



et un, et deux, et trois châteaux Trois forteresses s’alignant comme à la parade sur le même site, une autre tapie dans les bois en bonus : voilà randonnée éminemment castrale sur les hauteurs d’Eguisheim. 60

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PROMENADE

Par Hervé Lévy Photos de Stéphane Louis pour Poly

Plus de 500 000 signataires nousvoulonsdescoquelicots.org Poétesse (1888-1981) dont l’œuvre a été récompensée par le Prix Nathan Katz du Patrimoine en 2017. À découvrir ses Haïkus alsaciens traduits par Jean-Paul Gunsett (Arfuyen, 2017) – editionsarfuyen.com 1

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l n’y a pas âme qui vive. Les venelles d’Eguisheim sont désertes, en ce matin de février, période idoine pour découvrir une des cités fortifiées les plus charmantes d’Alsace. Vue depuis un drone, elle a la semblance d’un disque de pierre posé au cœur du vignoble, mais au ras du sol ses séductions se déploient avec une intensité égale : ce n’est pas un hasard si les téléspectateurs de France 2 l’ont plébiscitée en juin 2013, dans l’émission présentée par Stéphane Bern, Le Village préféré des français. Dès potronminet, nous arpentons les venelles encore nimbées d’un puissant mystère médiéval de l’endroit où l’unique pape alsacien vit le jour en 1002. Quittant le centre, la traversée d’une zone pavillonnaire s’impose… Tellement courte qu’elle n’en est pas même déprimante, pour débouler dans les vignes. Plus désolants sont les graffitis simplets ornant les murets bordant les parcelles qui vantent notamment les mérites d’un certain KFC CREW, sans nul doute une référence et un hommage à la plus affligeante des enseignes de restauration rapide. Des effluves de vomi flottent dans l’air. Vigne Les ceps s’alignent joyeusement sous le Soleil d’hiver que chanta si bien Niagara : « Et puis les nuages étincellent / Sur des étangs de miel / Et mes larmes s’emmêlent ». Pas après pas, nous tentons de reconnaître le riesling du pinot blanc ou du muscat en analysant les

différents pieds, nous laissant aller à goûter des raisins (archi) secs oubliés par les vendangeurs. Plus aisé est de faire la différence entre les vignes cultivées en bio et les autres. « D’un côté, il y a la vie, de l’autre la mort », pontifie l’un de nous, un coquelicot à la boutonnière, montrant qu’il est signataire de l’Appel pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse1. Combat légitime, mais vision un peu simpliste pour le pif. Même si… C’est autour d’intenses débats sur les engrais naturels, les sulfites et autres intrants en cave que se fait la traversée du vignoble, apéritif d’une courte montée à travers la forêt menant au premier château de la journée, le Hagueneck, charmante résidence au donjon quadrangulaire blottie au creux d’un vallon dont les ruines possèdent une grande noblesse et pourraient faire office d’archétype du vestige romantique de l’aire germanique. Sur ce site à la fois séduisant et profondément inquiétant où s’entremêlent bruissements des feuilles, cris lointains d’un rapace affamé et clapotis étouffés d’un ruisseau, planent comme des ombres, les mots de Victor Hugo dans sa recension de voyage sur Le Rhin : « J’allais et venais dans ces décombres, cherchant, furetant, interrogeant ; je retournais les pierres brisées dans l’espoir d’y trouver quelque inscription qui me signalerait un fait, ou quelque sculpture qui me révélerait une époque. (…) Je me suis penché à l’une de ces meurtrières en écartant la touffe de fleurs qui la bouche aujourd’hui. Poly 218

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PROMENADE

Le paysage, de cette fenêtre, n’est pas gai. Il y a là une vallée étroite et obscure, ou plutôt un déchirement de la montagne. » Forteresses Descente. Montée. Le mouvement se répète, inlassable et rassurant, dans des paysages enchanteurs plantés de chênes ou de pins jusqu’au lieu dit du Herren Sessel qui peut se traduire par fauteuil des messieurs. Son pendant féminin, le Damen Sessel, est situé à quelques encablures… Même la topographie ne déconne pas avec la parité. À 520 mètres d’altitude, la vue sur la vallée est reposante, malgré le ronron lancinant de l’autoroute qui arrive à nos oreilles à cause d’une piquante bise. Idéal pour pique-niquer, l’endroit est une halte bienvenue dans la grimpette menant au Haut-Eguisheim (591 mètres). À sa construction, au début du XIe siècle, il s’agissait d’un seul et unique édifice construit par Hugues IV, le père de Brunon d’Eguisheim seul pape alsacien de l’Histoire (élu en 1049) connu sous le nom de Léon IX qui inspira ces vers à la poétesse alsacienne Lina Ritter2: « Heureux Eguisheim ! Dans tes murs / Se trouvait le berceau du plus grands des fils d’Alsace ! / Entonne un chant parce que du plus haut trône / De la terre il était digne et le sera toujours ! » C’est lui qui chargea son neveu Henri Ier d’administrer le château. À sa mort, en 1065, il est partagé entre ses héritiers si bien qu’aujourd’hui on visite les ruines de trois châteaux. S’alignent comme de vulgaires semi-detached houses britanniques, les ruines du Dagsbourg, du Wahlenbourg et du Weckmund qu’il est mieux de découvrir en hiver et en semaine, la proximité d’un parking transformant la visite estivale en détestable bain de foule. À nos pieds, la vallée, Husseren-les-Châteaux au premier plan – dont les armoiries arborent symboliquement cette trilogie castrale – puis Colmar et ses faubourgs au loin avec la flèche de la trop méconnue Église Notre-Dame-de-l’Assomption de Wintzenheim, chef-d’œuvre Art déco de 1926 en béton armé. Arpentant ces vestiges de grès d’où émergent d’impressionnants et massifs donjons, skyline médiévale se détachant sur la plaine d’Alsace, nous découvrons quelques merveilles : un puits au noble arrondi, l’amorce d’une cheminée qu’on devine romane, une salle sombre percée d’une unique meurtrière… Gorgés de soleil et d’Histoire, la descente peut s’amorcer avec lenteur.

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PROMENADE

les trois châteaux d’eguisheim Hagueneck

Durée 5 heures Distance 13 kilomètres Dénivelé 450 mètres

Colmar 7 km

D Eguisheim (210 m) Trois châteaux d’Eguisheim

Mulhouse 40 km

du vin, encore du vin C’est à Eguisheim, cité abritant l’un des plus importants vignobles d’Alsace qu’est née une des plus fascinantes aventures économiques de la région. En 1902, les producteurs du village décidèrent de s’unir pour fonder une des premières coopératives, acquérant une soixantaine de grands foudres de chêne de Hongrie. Très rapidement il décident de se doter d’un nom : ce sera Wolfberger qui rassemble aujourd’hui 450 vignerons cultivant 1 200 hectares, c’est un des géants du secteur. Il y a peu, une Cuvée Léon IX a été mise sur le marché, joli clin d’œil à l’Histoire du village.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération

wolfberger.com

pinot noir rodern 2015 Fondée en 1895, la Cave de Ribeauvillé (la plus ancienne coopérative de France) regroupe aujourd’hui quelque 225 hectares, dont 15 ont été convertis au bio. C’est un début… Sombre et vif, ce pinot noir est cultivé à Rodern (18,20 €, prix départ cave) : issus de raisins vendangés à la main, ce vin – élevé en barriques – possède un nez puissant où domine la mûre. En bouche, c’est un joyeux mélange de fruits rouges et de vanille… Bref, un pinot noir qui fait plus que tenir la route et se marie joliment avec l’assortiment de charcuterie que nous avions emporté pour cette randonnée. vins-ribeauville.com

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GASTRONOMIE

une cuisine du cœur Retour au Gavroche, où officie désormais Alexy Fuchs qui piquète la philosophie de la maison de touches asiatiques, proposant une des tables les plus attachantes de Strasbourg.

Par Hervé Lévy Photo de Benoît Linder pour Poly

Le Gavroche, 4 rue Klein à Strasbourg. Ouvert du lundi au vendredi. Menus de 65 € à 95 € restaurantgavroche.com

E

n septembre 2018, Benoît et Nathalie Fuchs avaient transmis le Gavroche à leur fils Alexy qui était entré dans la maison, aux côtés de son père en 2007 et composait la carte depuis quelques années déjà. Si l’établissement a perdu son macaron au Guide Michelin (qui a considéré que

le changement était trop récent), il n’en a pas perdu son âme pour autant, illustrant au passage la relativité des accessits décernés par le petit livre rouge. « De toute manière, nous préférons voir briller des étoiles dans les yeux des clients qu’en arborer une sur la façade », s’amuse Lucile Weber, qui illumine la salle de sa gentillesse. Le couple perpétue l’esprit du lieu avec maestria dans un espace épuré aux allures d’écrin peuplé de discrètes références asiatiques où l’atmosphère est éminemment douce. À sa table, chaque convive se sent en effet comme dans une bulle de bonheur. Passé par les meilleures adresses strasbourgeoises – deux ans au Crocodile époque Émile Jung et autant au Buerehiesel période Antoine Westermann – Alexy Fuchs perpétue la tradition familiale (« une cuisine mettant en valeur des produits d’une fraîcheur maximale » venant de producteurs soigneusement choisis) y mettant une touche personnelle : « J’ai été plusieurs fois en Malaisie. Ce pays et ses marchés m’ont fasciné et j’aime relever mes plats d’une pointe asiatique », résume le chef. Généreuse, cette « cuisine du cœur » – comme il aime la résumer – possède un caractère affirmé. En témoigne une très graphique composition marine, toute en lignes parallèles et teintes douces, avec une langoustine rôtie aux éclats d’épices accompagnée d’un tourteau en croustillant et de radis formant un jardin croquant. Autre entrée aquatique bouillonnante, arrivant posée sur un morceau de granit entouré d’un lit odorant d’algues, les noix de Saint-Jacques rôties sont à déguster avec un velouté Dubarry crémeux à souhait. Suite marine avec une dorade également grillée et ses ravioles de blette à la thaï réhabilitant un légume trop souvent négligé relevé par la subtile acidité d’une aérienne émulsion citronnelle. Promis, nous reviendrons goûter les plats carnés…

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UN DERNIER POUR LA ROUTE

Yann Bury (avec Jérome François ancien charpentier et vigneron)

Boris Kachelhoffer

passionnés Dans les vignes, il y des… vignes, bien sûr, mais aussi des hommes sans les travaux desquels la parcelle serait une jungle impénétrable donnant bien peu ou trop de fruits. Portrait de deux passionnés, Yann Bury et Boris Kachelhoffer.

Bourguignon, héritier spirituel d’une famille qui consacre sa vie au vin depuis trois générations, alsacien d’adoption, fan de cuisine, convivial par nature, Christian Pion partage avec nous ses découvertes, son enthousiasme et ses coups de gueule.

Domaine Ostertag 87 rue Finkwiller (Epfig) domaine-ostertag.fr Domaine de la Grange de l’Oncle Charles 2 rue de la Fecht (Ostheim) lagrangedelonclecharles.com

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ann Bury – dit Yanou – du Domaine de la Grange de l’Oncle Charles (Ostheim) est un homme libre, grand, bien bâti, le poil roux, la petite trentaine fringante, la figure ouverte et rieuse, des yeux clairs et une envie constante de communiquer, de partager, la chanson au bord des lèvres. Il aime les voyages et les défis, les aventures au grand air, le contact physique, l’amitié virile et chaleureuse, l’ivresse qui libère. Gentil comme son grand père, il écoute, bienveillant, veut comprendre la vigne, partager avec elle son mystère, attend qu’elle lui parle, attentif et disponible aux signes, aux sons, aux odeurs, aux couleurs, tous les sens hérissés, saisir sa force, sa brutalité, ses caprices, ses souffrances… Ouvrier du dehors, il est à sa place au contact de la plante, les pieds dans la terre, bien campé sur le sol, terrestre et paysan, digne héritier de ses ancêtres vignerons Alsaciens. Il tend alentour un magnum de sa production, vin nature, imparfait, fraîchement piqué, superbement sincère, qui hérisse un peu les poils et qu’il finit au goulot, fière trompette, le cul levé au soleil. Son charisme tranquille, rieur et fêtard lance des étincelles… Quelle

générosité ! Les vignes ont bien de la chance d’avoir un si preux chevalier à leur service. Le deuxième magnum partagé était délicieux, frais et salivant… Boris Kachelhoffer, chef de culture d’un beau domaine mené en biodynamie, est aux antipodes, discret, réfléchi, posé, attentif et cérébral. Sa démarche patiente est bâtie sur l’observation sensible, et attentive de la vigne, de ses aléas, de sa vie tumultueuse. Responsable de la culture chez André Ostertag (Epfig), il épanouit ses connaissances et ses engagements en toute liberté, respectueux de ce pacte qui le lie aux engagements assumés des traitements en bio et biodynamie. La lutte est sévère contre les nombreuses et méchantes maladies de la vigne, les décisions nécessairement urgentes et engageantes afin d’endiguer avec succès la guerre contre les ravageurs, champignons et autres tout en respectant un cahier des charges contraignant et passionnant. Il fait la viticulture d’aujourd’hui et déjà celle de demain en restant à l’écoute de tous ceux qui, comme lui, croient en un art le plus naturel possible…

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération

Par Christian Pion




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