5 minute read

(R)évolution

Par Hervé Lévy — Illustration d’Éric Meyer pour Poly es scintillements du Guépard , vision habitée du basculement entre le vieux et le nouveau monde au moment du Risorgimento – signée Giuseppe Tomasi di Lampedusa et portée à l’écran par Luchino Visconti – offre une phrase riche de mille possibles : « Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi. » Souvent abusivement traduit en français – par « Il faut que tout change pour que rien ne change », – ce superbe aphorisme est toujours d’une brûlante actualité. Il pose une essentielle question, celle du changement (et de la survie subséquente), opposant le statisme (générant une progressive disparition après une phase de déclin qui peut, certes, être sublime, mais demeure mortifère) et le mouvement. D’une certaine manière, c’est à cette maxime que nous avons adhéré en décidant de reprendre le site szenik.eu, qui prendra bientôt

Lde nouveaux atours. On parle d’ores et déjà de Szenik by Poly L’alliance entre le premier web magazine transfrontalier dédié aux arts de la scène (concerts, opéra, théâtre, danse, cirque, festivals, etc.), avec ses 200 000 visiteurs et le leader de la presse culturelle bilingue (un mensuel de référence riche de sept numéros franco-allemands par an au tirage de 50 000 exemplaires) est naturelle. La complémentarité entre nos deux supports est en effet forte, que ce soit en termes d’information brute (montrer la richesse d’un territoire avec des agendas d’une grande densité, mais aussi proposer des vidéos pour en savoir plus sur des spectacles) ou de réflexion autour des programmations : interviews avec metteurs en scènes, dramaturges ou acteurs, critiques, dossiers thématiques… Faire ce choix est aussi une manière d’ancrer notre action dans une vision transfrontalière entre France, Luxembourg, Suisse, Allemagne et Belgique, puisque nos médias incarnent une certaine idée de l’Europe dans le domaine de la culture telle qu’elle pourrait être – foisonnante, ouverte, curieuse, généreuse – avec un peu de (bonne) volonté.

Advertisement

Hiver bosnien

Alors étudiant, Olivier Claudon prit part au convoi Alsace-Sarajevo composé de 70 poids lourds, qui quitta Strasbourg pour la cité assiégée le 17 février 1993, en pleine Guerre de Bosnie-Herzégovine. De cette expérience fondatrice, notre confrère des Dernières nouvelles d’Alsace tire un beau roman, son troisième. Intitulé La Route de Sarajevo, il met en scène un jeune conducteur mystérieux, prénommé Ludwig, qui semble fuir la France. Et soudain le mystère se fait plus épais : ces camions transportent-ils tous de l’aide humanitaire ? Pourquoi notre homme est-il tellement pressé de partir ? En parallèle, le lecteur suit Darko, un jeune sniper serbe harcelant la population depuis les immeubles abandonnés. Road movie haletant, le livre questionne avec habileté l’engagement et l’action humanitaire. Spécialiste de l’Europe centrale et orientale, Marie Paret propose, en annexe, un utile cahier historique permettant de mieux saisir les enjeux de cette période complexe. (H.L.)

Paru à la Nuée Bleue (23 €) nueebleue.com

La reconstruction

Un beau jour, Marie rentre chez elle, à Paris, après avoir passé Noël dans son Alsace natale avec Marc et leur fille Jeanne. La petite famille ne peut plus pénétrer dans son foyer et constate que son appartement est habité par d’autres. Voilà la première étape d’une descente aux enfers : la jeune femme découvre que son époux, qu’elle croyait connaître, a menti sur (presque) tout. Il ne travaille pas. Est perclus de dettes, jusqu’à faire vendre leur logement aux enchères pour s’en sortir. L’Imposture est l’histoire vraie de Marie Bosch, dont la vie s’est effondrée en quelques semaines… Elle a couché cette aventure intime sur le papier comme une catharsis. Le lecteur la suit dans son processus post-traumatique, la voyant passer par les différentes étapes du deuil, qui forment autant de chapitres : déni, sidération, colère, tristesse, acceptation et reconstruction. Le trait est pétri de délicatesse, le ton ne renonce jamais à la douceur, ni à un humour allant jusqu’à l’autodérision. (H.L.)

Paru aux Enfants rouges (18 €) enfantsrouges.com

Cosmos intime

Pas encore 30 ans mais déjà plusieurs albums publiés ( La Vérité sur les fantômes ou Avant l’oubli), Lisa Blumen a une trajectoire météore. Sa prochaine BD, Astra Nova, repose une nouvelle fois sur ce qui précède un événement (le départ de l’héroïne, au regard inaccessible derrière des lunettes aux verres opaques, pour une mission solo et sans retour sur une planète à des dizaines d’années de la Terre), déclencheur de questionnements introspectifs dont l’imminence d’une rupture dans le fil de la vie implique une grande honnêteté. La science-fiction sert de prétexte à l’exploration du bouleversement intime de celle qui est obligée de se soumettre à une fête d’adieu. La solitude dans laquelle elle s’est enfermée se confronte à celles de trois amis perdus de vue, englués dans leurs existences (la maternité écrasante d’Yseult, le personnage de drag-queen enfermant d’Alan…). La Strasbourgeoise y fait preuve d’une incroyable maîtrise de la couleur, dosant les superpositions au feutre pour créer une matière vibrante et sublime. (T.F.)

À paraître le 17 mars chez L’Employé du moi (24 €) employe-du-moi.org

Dreamer

Diplômé des Arts déco de Strasbourg en 2009, Guillaume Chauchat en est depuis devenu l’un des enseignants, a remporté le Prix Jeunes Talents du festival d’Angoulême et signé des albums à l’encre de chine dans lesquels son imaginaire déborde et se poursuit en sculptures en fil de fer (un autre de ses talents). Dans La Villa Nuit – entendez “la vie la nuit” –, à lire dès 5 ans, le petit Jean est troublé par ses rêves. Incapable d’y retrouver une chenille qu’il avait pourtant bien rangée, il se questionne, met à l’abri ce qu’il a de plus précieux (camion, ours, crayons, casquette) pour ne pas qu’ils disparaissent comme les meubles de sa maison. Cette histoire autour de l’oubli, du souvenir qui s’efface et de la frustration de ne pouvoir contrôler ses rêves, est rythmée par un quotidien répétitif (s’habiller, brosser ses dents, aller à l’école) en noir et blanc, à l’inverse de l’espace des songes, en aplats de couleurs primaires changeant à chaque case. La petite larme qui l’accompagne sera une alliée fidèle pour s’inventer la suite… (T.F.)

Paru chez Biscoto (16 €) biscotojournal.com guillaumechauchat.com

Aux enfers

« Ce livre n’est pas un livre de plus, mais un livre en plus. » Ainsi commence J’avais 10 ans à Bergen-Belsen, ouvrage retraçant l’histoire de Léon Placek, ancien déporté juif durant la Seconde Guerre mondiale, né à Hussigny en Meurthe-etMoselle, tout près de la ligne Maginot. Publié en collaboration avec le journaliste Philippe Legrand, le texte donne la parole à l’un des derniers témoins de l’enfer des camps de concentration. Il n’était qu’un enfant au moment des faits, mais se souvient encore très bien de sa mère, Ida, sacrifiant sa ration de nourriture pour lui et son frère. Il n’oublie pas non plus la silhouette frêle d’Anne Frank, car « c’est dans le camp où [il était] qu’elle a trouvé la mort ». Les 155 pages de ce récit à l’os redonnent vie à la mémoire tragique de ces gamins ayant « vécu en accéléré sans pouvoir prendre le temps de grandir, avec cette précipitation qui finit par brûler les étapes. » Invités par la ville de Metz, les deux auteurs tiennent une conférence au Musée de la Cour d’Or (09/03) et reviennent sur ce nécessaire témoignage, lauréat du Prix Licra Paris 2022. (J.P.)

Paru au Cherche-Midi (15€) lisez.com

Lady jazz

La douceur d’un univers piano-voix, la poésie de la langue de Shakespeare et la fraicheur de mélodies un brin distordues, aux dissonances captivantes : tels sont les ingrédients avec lesquels Melissa Weikart tisse sa toile. Originaire de Boston, la chanteuse et musicienne franco-américaine vit aujourd’hui à Strasbourg. Première femme lauréate du tremplin musical Nancy Jazz Up ! en 2022, et programmée en ouverture du dernier festival estival Jazz à la Petite France, l’artiste a sorti son premier album, Here, There, dans la foulée. Huit titres d’une folle liberté, sur lesquels la virtuose à la palette étendue se questionne sur l’amour et ses déconvenues :

« It’s like some kind of obsession, I want all of your attention » (« C’est une sorte d’obsession, je veux toute ton attention »), chante-t-elle sur Diamond. Une musique entre douceur et expérimentation, à découvrir sur scène au festival Pratiqu’am (Pont-à-Mousson, 10/03), ainsi qu’à L’Illiade (Illkirch-Graffenstaden, 11/03) et à L’Orée 85 (Strasbourg, 17/03). (J.P.)

Édité par Northern Spy Records (prix libre) northernspyrecs.com melissaweikart.com

This article is from: