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Paysages métaphysiques

Réunissant un riche corpus, le Musée des Beaux-Arts retrace la trajectoire de Maria Helena Vieira da Silva et revient sur le lien particulier l’attachant à Dijon.

Par Hervé Lévy

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Comment qualifier Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992) ? Par commodité, il est évidemment possible de l’intégrer à la nébuleuse de la seconde école de Paris, aux contours incertains et fluctuants. Dans son essai Espèce d’espaces, inclus dans le catalogue de l’exposition, l’historien de l’art Itzhak Goldberg résume cette indétermination : « Elle peut être assimilée tour à tour ou pis, en même temps, au postcubisme, à l’abstraction lyrique (…) ou même avoir l’honneur d’être une pionnière non reconnue de l’op art. » C’est la singularité d’une artiste solitaire que propose d’explorer l’exposition dijonnaise, structurée en deux parties qui se répondent l’une l’autre. l'artiste et…

Intitulée L’Œil du labyrinthe, la première est une rétrospective chronologique, débutant par les toiles figuratives des années 1930 : Marseille blanc (1931), écrasée d’un soleil brûlant et spectral, et Les Entrepôts (1931) illustrent une quête de la simplicité associée à une tentation pour l’abstraction. La grille de Villa des Camélias (1932) annonce la réflexion qu’elle mènera plus tard sur la fragmentation de l’espace. Les éléments de la grammaire stylistique de l’artiste – damier, spirale, etc. – se mettent progressivement en place. Preuve en est apportée avec les deux Composition (1936) et leurs entrelacs complexes, enchevêtrements jouant avec le plan et la perspective, mais aussi avec le bien nommé Les Lignes (1936), gigantesque mikado vibratoire, où des segments de toutes les teintes s’ordonnancent, semblant générer une architecture embryonnaire, hésitant entre des élans majestueux et une certaine timidité. La couleur est désormais présente. Explosive, le plus souvent, comme dans La Machine optique (1937) ou Le Héros (1939). Chef-d’œuvre absolu, La Partie d’échecs (1943) résonne comme un manifeste de l’art de Maria Helena Vieira da Silva : l’échiquier déborde, contamine tout l’espace, recouvrant les joueurs dans une géométrie aléatoire évoquant un kaléidoscope, où dominent noirs, blancs et bruns. Ressemblant à la surface de la mer, la toile ondule majestueusement dans de douces distorsions, qui n’en demeurent pas moins oppressantes. Moins cependant que d’autres compositions marquées par la guerre, à l’image de Naufrage (1944), qui ne laisse guère d’espoir. Rentrée de son exil brésilien en 1945, elle poursuit sa réflexion picturale sur l’espace : « Je crois que la beauté, l’harmonie sont toujours plus fortes que le malheur, la violence, l’effroi, la vilenie. Une œuvre belle laisse entendre ou voir que son auteur sait toute la douleur, la laideur, le drame qui font partie de la vie, mais sans les mettre en avant. Il cherche à exprimer les forces d’amour, même si son œuvre est lourde de toute la tragédie humaine. Je peins un spectacle qui se déroule en moi-même », affirmaitelle. Les damiers sont dans tous leurs états – Le Souterrain (1948) –, tandis que les espaces se (dé)fragmentent à l’envi dans une fascinante Bibliothèque (1949) rappelant les prisons impossibles de Piranèse. Structures labyrinthiques, villes tentaculaires et autres architectures mentales séduisent l’œil, avant que tout se dissolve dans des œuvres où l’onirisme le dispute au métaphysique : dans La Basilique (1964-1967), le lacis des lignes et la superposition des plans est ainsi tout sauf étouffant. Ce tissage pictural minutieux emporte le regard vers un ailleurs, tout comme ses ultimes pièces pétries d’une grande sérénité, où irradie une lumière blanche, comme si le silence s’installait progressivement, rythmé par des structures géométriques de plus en plus diaphanes (Ariane, 1988) et nimbées de spiritualité (Vers la lumière, 1991).

… les collectionneurs

Si le Musée des Beaux-Arts de Dijon conserve un important corpus de pièces de Maria Helena Vieira da Silva

– 18 peintures, 17 œuvres sur papier et un objet peint, tous exposés ici –, c’est principalement grâce aux dons des collectionneurs parisiens Kathleen et Pierre Granville. Dans sa seconde partie, l’exposition explore alors le lien d’amitié existant entre l’artiste et le couple : « Je n’ai jamais eu le souci de la collection. Mes choix ont été guidés par des réflexes amoureux », expliquait celui qui signait sous le pseudonyme de Chantelou ses chroniques de ventes aux enchères dans Le Monde . C’est l’intimité d’une relation que cette section invite à arpenter, avec notamment une émouvante boîte aux lettres peinte (1954), offerte par l’artiste à son amie et signée “Bicho” (petit animal, en portugais), surnom affectueux donné par ses proches. Rajoutons que l’artiste a elle-même fait des dons au Musée, à l’image de l’iconique Urbi et orbi (196372), la plus grande toile qu’elle ait réalisée. L’œil parcourt ce paysage abstrait de trois mètres sur quatre : d’étendues indéterminées en espaces structurés, l’immersion dans un camaïeu sourd de gris et de blancs, piqueté de quelques zones colorées, a la semblance d’une plongée irréelle, nimbée d’enjeux métaphysiques.

Au Musée des Beaux-Arts de Dijon jusqu’au 3 avril beaux-arts.dijon.fr

> Avec 100 % compositrices (09/03), le Trio des Aulnes, composé de musiciens de l’ODB, rend hommage à Clara Schumann, Fanny Mendelssohn et Germaine Tailleferre dans un programme offrant une correspondance musicale avec l’exposition. orchestredijonbourgogne.fr

> Une Ville de papier (29/03), performance poétique, plastique et musicale de la Compagnie La Gaillarde.

Légendes

1. Intérieur rouge, 1951, Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © musée des Beaux-Arts de Dijon/ François Jay © ADAGP, Paris 2022

2. La Partie d’échecs, 1943, Paris, Centre Pompidou –Musée national d'art moderne – Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais © ADAGP, Paris 2022

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