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Les pouvoirs de la musique
from POLY 255 - Mars 2023
by Poly
Timbre grave et débit nonchalant, Bertrand Belin revient avec Tambour Vision, entre pulsation vitale, rock synthé et prose crue, toujours aussi travaillée.
Tambour Vision, c’est le nom de ce septième album…
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J’aime beaucoup ce mot de tambour, à la fois simple et enfantin, inoffensif et guerrier. C’est aussi l’un des principaux instruments de musique, celui qui est aux germes de la pulsation. Au fond, le titre est une invitation à mettre plus de physicalité dans la musique.
Aller davantage du côté du corps ?
Oui… et de la danse. Rappeler que la musique ne s’appréhende pas seulement par l’intellect et les outils cognitifs. Elle nous prend tout entiers. C’est même là l’un de ses plus grands mystères. Il ne s’agit pas de faire des tubes à danser, mais simplement de retrouver la pulsation élémentaire, celle du cœur qui bat.
« Je viens d’une longue lignée d’ivrognes / Trouble-fêtes / Gâcheurs de noces / Épouvantails d’abris-bus ». Parlez-moi de Que dalle tout…
Que voulez-vous que je vous dise, le sujet en est clair, non ? C’est une réalité factuelle et historique. Il n’y a aucun sens caché. Par contre, je pense que le refrain est plus intéressant que ce couplet : « Desquels j’ai hérité / De tout et que dalle ». Certains héritent de châteaux ou d’entreprises... Moi, de ma famille, je n’ai hérité de rien d’un point de vue matériel, mais de tout d’un point de vue culturel.
Quel rapport entretenez-vous avec votre classe sociale ? Le thème hante vos albums comme vos livres, de Vrac à Grands Carnivores. Vous êtes-vous construit en son sein ou contre elle ?
Nous appartenons tous à un certain milieu. Et on en hérite nécessairement quelque chose de très puissant, avec lequel il faudra négocier toute sa vie. Pour certains chanceux, le monde parfois se déplie un peu, ouvrant la possibilité d’un regard critique sur sa classe d’origine. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’on ne se rend pas compte des mécanismes qui la maintiennent dans cet état. On peut tout à la fois être dans le désamour de sa condition d’extraction et se retrouver à défendre la culture populaire la plus triviale.
Vous êtes venu à la chanson sur le tard. Pourquoi avoir si longtemps accompagné les autres ?
Mon premier album est arrivé tard, mais j’écrivais déjà des chansons à 17 ans ! Après avoir quitté la Bretagne pour Paris, j’ai longtemps vécu dans des conditions précaires, dormant tantôt à l’hôtel, tantôt chez des copains. Donc j’ai tout misé sur la guitare, parce que c’est avec elle que je pouvais récupérer un petit billet de temps en temps. Et puis ça a marché, j’ai commencé à accompagner des gens. Mais j’ai toujours écrit dans mon coin, quoique dans l’indifférence générale… certainement méritée ! [Rires]
Y a-t-il un mot que vous aimez particulièrement ? “Bec” revient souvent, “cul” aussi !
C’est vrai. J’aime aussi beaucoup “clavicule”, même si je ne l’ai jamais mis dans une chanson. Ça fait penser à un clavier de culs, comme si on pouvait jouer des pets !
Sur Marguerite, vous chantez « Allons au jardin public, pour cueillir la marguerite qui nous revient ». Le commentaire politique n’est jamais loin dans vos textes…
En effet. Marguerite est une façon de dire qu’il y a quelque chose qui nous appartient à tous et nous appartiendra toujours. Si le vent des changements politiques fait l’histoire officielle, il y a en réalité des millions d’histoires individuelles qui se jouent. Quant à Tambour, elle fait référence à la flatterie dont se rendent coupables les candidats à des postes importants, capables de courtiser leur électorat de la pire des manières. La politique passe par la langue. Or, cette dernière est tout pour moi : chaque endroit où elle se joue m’intéresse.
Finalement, vous êtes plutôt Bashung ou Brassens ?
Votre univers se distingue par cette écriture très travaillée. La langue, vous aimez lui faire prendre des tours inattendus…
J’ai toujours eu beaucoup de plaisir à écrire, même si, à 17 ans, je n’avais pas de culture littéraire, ni stylistique. Je connaissais Verlaine, les auteurs qu’on apprend à l’école, guère plus. C’était aussi une époque où le pied, la rime, la versification me semblaient être les seuls moyens d’entrer dans la chanson. Puis, petit à petit, je me suis écarté de cette dimension-là pour chercher d’autres formes, des choses à moi. Quoiqu’on en dise, il y a dans le classicisme cette idée que le bon français appartient aux personnes occupant une certaine place dans le monde. Dégrader la langue, c’est évidemment me l’approprier, en faire autre chose que la seule langue bourgeoise.
Franchement, c’est assez clair, non ? Je m’inscris plus dans la tradition de Bashung, même si j’aime les deux tout autant. Il y a chez Brassens cette versification dont on parlait, une écriture très métrée, qui produit cependant des sens inattendus et puissants. C’est ce que j’aime aussi chez Renaud. Moi, idéalement, je voudrais réconcilier les deux lignées !
À la BAM (Metz) jeudi 2 mars, à L’Autre Canal (Nancy) vendredi 3 mars, à la Rodia (Besançon) samedi 4 mars et à La Laiterie (Strasbourg) mercredi 17 mai bertrandbelin.com