Poly 130 - Décembre 2009 / Janvier 2010

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EXPOSITION

FREE _ N° 130 – DÉCEMBRE/JANVIER 2010

du 21 décembre 2009 au 30 janvier 2010

l ’ A lsace d ’ A lbert K ahn , Maison de la Région 1, place du Wacken à Strasbourg

du lundi au vendredi de 9h à 18h et les samedis 9, 16, 23 et 30 janvier de 9h à 17h

(fermé les dimanches, les jours fériés et le 31 décembre)

Entrée libre

Avec le concours du Département des Hauts-de-Seine - Musée Albert-Kahn

Crédit photo : Département des Hauts-de-Seine - Musée Albert-Kahn

premières photos couleurs 1918-1921

DOSSIER : LES TOURNAGES EN ALSACE // SOULAGES // RADIO MUEZZIN COLLECTIF KIM // TOMI UNGERER // TEMPEST : WITHOUT A BODY // ANITA MOLINERO


En attendant que la téléphonie mobile devienne aussi simple… Forfaits simplifiés

SMS et Internet illimités Budget maîtrisé

… le plus simple c’est de passer au Crédit Mutuel Quand le Crédit Mutuel décide de se lancer dans la téléphonie mobile, c’est qu’il a véritablement quelque chose de nouveau à vous apporter : la simplicité. Parce que, quand la téléphonie mobile devient simple, elle est accessible à tous. Forfaits simplifiés, budget maîtrisé, SMS et Internet illimités... profitez de l’offre téléphonie la plus innovante et la plus simple de la rentrée, Crédit Mutuel Mobile ! Venez vite vous renseigner dans votre Caisse de Crédit Mutuel.

Avec Crédit Mutuel Mobile, abonnez-vous à la simplicité ! OFFRE SOUMISE A CONDITIONS. Forfait C le Mobile premier avec engagement 12 ou 24 mois. SMS Illimités en France Métropolitaine entre 2 personnes physiques et à usage privé. Limitation du débit au-delà de 500 Mo d’usage Internet /mois. Services de l’opérateur NRJ Mobile proposés par le Crédit Mutuel.

COLLECTION BIJOUX w w w. b a c c a r a t . c o m

BOUTIQUE BACCARAT : 44 RUE DES HALLEBARDES – STRASBOURG – TÉL. 03 88 32 32 10 – anne-sophie.moreau@baccarat.fr


À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”

Vos billets, s’il vous plaît

Nouvelle édition de Momix (du 28 janvier au 7 février), festival jeune public du Créa de Kingersheim. Une trentaine de spectacles pour les mômes et les grands enfants. Plus d’infos dans le prochain Poly… Ouverture de la billetterie le 7 décembre ! m www.momix.org Ein Stück Autokino

Go !

COME IN Les artistes du Parc Gruber (à Strasbourg-Koenigshoffen) ouvrent leurs ateliers les 28-29 novembre et les 5-6 décembre. L’occasion de boire un verre et de découvrir les lieux de création de dessinateurs, plasticiens, céramistes et sculpteurs. http://artistesparcgruber.blogspot. com

14 édition de St-Art, foire européenne d’art contemporain de Strasbourg, au Parc des expositions du Wacken, du 26 au 30 novembre. Son mot d’ordre en 2009 ? L’énergie : « Celle de détecter les artistes et les galeries qui s’engagent dans l’époque, en captent les bouleversements pour écrire les nouvelles pages de l’histoire de l’art ». Une centaine de galeristes du monde entier ont été conviés. Patrick-Gilles Persin, nouveau directeur artistique, a choisi de continuer à se focaliser sur des régions spécifiques, cette année sur la Turquie. Nouveauté : l’exposition de réalisations de l’Atelier 3 spécialisé dans la tapisserie d’art, dont les motifs ont été transposés à partir d’œuvres de Combas ou d’Alechinsky. e

m www.st-art.com

NOUVEAU NOM

Istanbul Underconstruction Series Bosphorus II, Sakir Gokcebag

Comme à la récré Les Weepers Circus nous l’avaient promis, leur livre-disque grand format à destination des minots est sorti : 16 chansons et autres comptines (Au clair de la lune, Lundi matin…), toutes illustrées par Tomi Ungerer. À la manière des featuring du hip-hop, À la récré réunit pléthore de guests : Didier Lockwood y fait résonner son violon, Juliette y interprète Boby Lapointe… et même Roger Siffer y chante en dialecte ! Vendu 19,80 e (15 e le CD seul) m www.weeperscircus.com

Happy Hawnay to You ! Pour ses dix ans d’activisme culturel, Komakino organise un concert sacrément déluré, mercredi 9 décembre à la galerie strasbourgeoise Stimultania. Le MC de cette fiesta ? Vice Cooler, alias Hawnay Troof. Le style pratiqué par cet énergumène venu d’Amérique ? Un improbable crossover electro-punk-hip-hop. Un son volontiers crado, un flow digne des Beastie Boys, un sens de la provoc’ proche de Peaches, des attitudes de vilain garçon et un fort penchant pour l’autodérision : les bons ingrédients pour une belle soirée d’anniversaire. Parions que Hawnay Troof n’oubliera pas de mettre dix pétards sur le gâteau. m www.komakino.org

Le Chœur de Chambre de Strasbourg, formation à géométrie variable qui se consacre principalement au répertoire contemporain, dirigée par Catherine Bolzinger, change de nom. Il se nomme désormais Voix de Strass. Longue vie à ce “nouvel” ensemble ! http://voixdestrass.free.fr

BUG SUR LE BLOG Depuis fin septembre, le Strasbourgeois Konan Régis Kanté, alias >kaReJka<, poste une série web qui fera 15 épisodes sur son site. Film musical ? Art vidéo ? “Vidéopéra” electro ? Entre 2 infinis est l’œuvre – torturée – d’un homme-orchestre tourmenté mais connecté. www.karejka.com/e2i

SUR LA ROUTE Détour SXB, présentée au Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Strasbourg (jusqu’au 8 janvier), est la troisième exposition du cycle consacré à l’architecture en Norvège. Elle nous mène sur les routes norvégiennes à la découverte des interventions a rch i t e c t u r a l e s e t p a y s a g è res… souvent audacieuses. www.caue67.com

EN DÉDICACE Samedi 28 novembre, la Librairie Kléber (Strasbourg) accueille Marguerite Abouet et Clément Oubrerie : ils dédicaceront la BD culte Aya de Yopougon, une chronique hilarante et sentimentale d’un quartier populaire d’Abidjan, dont le cinquième volume vient de paraître chez Gallimard. www.librairie-kleber.com

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ORChEStRE

PhIlhARMONIqUE DE StRASBOURg

ORChEStRE NAtIONAl

SAISON O9/1O DÉCEMBRE MER. 09/12 | 20h30 | PMC SAllE ÉRASME

MARC AlBRECht / DIRECtION BÉAtRICE URIA MONzON / MEzzO DEBUSSY / RAVEl

JEU. 17/12 & VEN. 18/12 | 20h30 | PMC SAllE ÉRASME

hAENDEl lE

MESSIE

JOhN NElSON / DIRECtION ANNE SChwANEwIlMS / SOPRANO PAtRICIA BARDON / AltO RAINER tROSt / tENOR ANDREw FOStER wIllIAMS / BASSE ChœUR DE l’OPS CAthERINE BOlzINgER / ChEF DE ChœUR

JEU. 31/12 | 20h | PMC SAllE ÉRASME

CONCERt DE lA SAINt SYlVEStRE

MAMBO ! FAIçAl kAROUI / DIRECtION gIlDA SOlVE / ChANtEUSE FABIEN RUIz / ClAqUEttE

BERNStEIN / gERShwIN / ADAMS / MARqUEz

RENSEIgNEMENtS : 03 69 06 37 06 / www.PhIlhARMONIqUE-StRASBOURg.COM BIllEttERIE : CAISSE OPS ENtRÉE SChwEItzER DU lUNDI AU VENDREDI DE 10h À 18h / BOUtIqUE CUltURE, 10 PlACE DE lA CAthÉDRAlE DU MARDI AU SAMEDI DE 12h À 19h © CONCEPtION : hORStAXE.FR | PhOtOgRAPhIE : ChRIStOPhE URBAIN I MONtAgE BkN.FR | IMP INt C.U. StRASBOURg / lICENCES D’ENtREPRENEURS DE SPECtAClES N° 2 : 1006168 Et N°3 : 10066169


À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”

Spirit of cachemire

Le Musée de l’Impression sur étoffes de Mulhouse expose, en collaboration avec Christian Lacroix et Beauvillé, jusqu’au 16 octobre 2010 des châles, des motifs et des dessins de cachemires, réalisés notamment par les manufacturiers alsaciens depuis le XIXe siècle.

www.musee-impression.com Châle (détail) imprimé sur mousseline de laine, Alsace vers 1860

Archives d’Alsace

DE KRO COUPS DE POUCE Le 18 novembre, la fondation des Brasseries Kronenbourg a remis des prix à des associations sélectionnées pour leur engagement en matière de responsabilité sociale, sociétale et environnementale. Le Cadhame de Meisenthal a été honoré du Grand Prix de la Fondation Kronenbourg. www.fondation-kronenbourg.com

Au cours de sa vie, Albert Kahn, riche banquier et célèbre mécène né à Marmoutier en 1860, fut un grand collectionneur. Il est l’initiateur du fonds de photos couleur datant du début du XXe siècle, nommé Les Archives de la Planète et conservé au musée départemental Albert-Kahn. L’homme est un voyageur au long cours. Japon, Chine, États-Unis, Uruguay, Argentine, Brésil, Scandinavie, Mongolie… Lors de ses périples, Albert Kahn est accompagné de photographes qui fixent la réalité du monde. Parmi les milliers de photos accumulées, il y a les 57 clichés inédits exposés à Strasbourg, à la Région Alsace (du 21 décembre au 30 janvier). Ces images en couleur montrent le visage de l’Alsace entre 1917 et 1921.

DANCER IN THE DARK

www.region-alsace.eu © Musée Albert-Kahn – Dept. des Hauts-de-Seine

Auditive fascination Ils sont quatre. Ils sont pleins de talent. La charmante chanteuse Jeanne Barbieri, le brillant violoncelliste Anil Eraslan, le virevoltant guitariste Max Roncart et le percutant percussionniste Olivier Maurel. Ils ont formé Auditive Connection et évoluent entre musiques traditionnelles turques, improvisations et textes littéraires, signés notamment du grand poète turc Nazim Hikmet. On les découvre à Strasbourg, toutes affaires cessantes, à la Salle de la Bourse jeudi 3 décembre. www.strasmed.com / www.anileraslan.com

9e Art Du 28 novembre au 17 janvier 2010, le Musée des Beaux-Arts de Mulhouse présente des dessins et des planches de bande dessinée issues de collections privées. De petites perles griffées Franquin, Moebius, Pratt, Bilal, Loisel, Manara ou encore Uderzo qui comptent parmi les dessinateurs consacrés. En parallèle, le musée présente des planches tirées de la toute nouvelle Histoire d’Alsace en bande dessinée dont les deux premiers numéros sont parus aux éditions du Signe en octobre. www.musees-mulhouse.fr

Les fans d’electro-pop eighties, de Crystal Castles ou de La Roux se rendront à La Laiterie (Strasbourg) le 11 décembre pour autoKratz. En première partie du duo anglais adepte de sonorités rétros et percutantes, se produiront les Strasbourgo-Berlinois de Velvet Condom. www.artefact.org

SUR MESURE « L’échantillonnage est un vrai postulat artistique. Je suis venu à la musique par ce biais », dixit Wax Tailor. Auteur de compos abstract-hip-soul cinématiques, le musicien / artisan est aujourd’hui devenu un véritable chef d’orchestre. En concert le 5 décembre au Nouma de Mulhouse. www.noumatrouff.com

LA FLEUR DE MON SECRET Jusqu’au 24 décembre, Nicole Hametner expose 25 clichés à la galerie strasbourgeoise Stimultania. Photos en noir et blanc ou en couleur, paysages urbains, portraits, natures mortes, éléments architecturaux… Sombres et sobres, captées by night, les images de la série Aster décrivent un univers énigmatique. www.stimultania.org

GIRL POWER

Gir / Moebius, illustration pour la Galerie Stardom, col. privée

Soirée electrotrash à Colmar, au Grillen, le 23 janvier en (charmante) compagnie du duo composé de Gina V. D’Orio et Annika Trost : Cobra Killer. Les deux ex-collègues du fou furieux Alec Empire produisent un punk électronique et germanique diablement sexy. www.hiero.fr

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Il décore le sapin pendant les Fêtes Il permet de l’emballer facilement après et de le jeter avec les déchets verts Il donne naissance à un nouveau sapin

Le cycle naturel du Sac à Sapin

/  RCS Lyon B 380 259 044 – Crédit illustration : Bupla

Il se décompose naturellement

Il se transforme en terreau

Il a plus d’un tour dans son sac !

1,,30

revers personnée en faveur des s handica pées

100% biodégradable, le sac à sapin Handicap International vous permettra d’emballer votre sapin tout en participant au respect de l’environnement. Mais ce n’est pas tout ! Pour chaque sac à Sapin acheté, 1,30 e est reversé à Handicap International en faveur des personnes handicapées. Faites un geste écologique et généreux pour les fêtes ! www.handicap-international.fr


À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”

Breaking the wall

Du 8 janvier au 6 février 2010, le photographe Jean-Philippe Senn présente, à l’Espace Insight (Strasbourg), le second volet de son travail photographique M.U.R.S., initié l’an passé au Cheval Blanc. www.espace-insight.org – www.myspace.com/jp_senn

Sono Et si on écoutait un disque ? Pour de vrai, des deux oreilles, attentivement, tout simplement. C’est la proposition (presque) folle que nous fait le département Musique & Cinéma de la Médiathèque Malraux à Strasbourg. Au programme, jeudi 10 décembre : l’écoute intégrale de Loveless, chefd’œuvre signé My Bloody Valentine (1992). 40 minutes de bonheur noisesque. Prochaine session (le 15 avril) : I Care Because You Do, mètre-étalon de la musique moderne réalisé par Aphex Twin en 1995. m www.mediatheques-cus.fr

Rock caritatif

Les Ogres de Barback © Pierre Wetzel

Samedi 19 décembre, Sélestat est capitale du cœur : Les Tanzmatten (en association avec Zone 51) accueillent en effet un concert un rien particulier. L’affiche regroupe les Ogres de Barback et leurs chansons réalistes vrillées de reliefs tziganes et de musette, le duo des Tit’Nassels, entre fraîcheur et causticité, et le “punk Ellington” de la Souris Déglinguée. Un concert normal ? En apparences, oui. Mis à part son prix d’entrée : un jouet neuf qui sera donné à un enfant défavorisé. Si on peut écouter du bon son en faisant une bonne action, que demander de plus ? m www.tanzmatten.fr – www.zone51.net

LA SEMENCERIE ENSEMENCÉE Au cours du mois de décembre la strasbourgeoise Semencerie s’ouvrira, par périodes, au public, histoire de mieux savoir ce qui se passe dans les murs de cette friche bouillonnante. www.lasemencerie.org

GRATOS Aujourd’hui, tout s’achète ? Presque. Pas les revues d’art contemporain (comme Point d’Ironie, édité par Agnès B.) réunies par l’association Rhinoceros et présentées avec le dispositif Éventaire, dans divers lieux (comme le Frac Alsace). Depuis peu, La Kunsthalle de Mulhouse est devenue un nouvel espace de diffusion. Quand l’art contemporain devient accessible… w w w. k u n s t h a l l e m u l h o u s e . c o m http://rhinocerosetc.free.fr

BRAVO Vendredi 11 décembre au Grillen colmarien, le public est convié à soutenir les Découvertes 2010 du Printemps de Bourges. Les groupes sélectionnés à cette audition alsacienne ? Caterva (electro), Colt Silvers (rock), Jesers (chanson), Plus Guest (rock) et The Electric Suicide Club (rock). www.grillen.fr

RIDEAU

Dessine-moi un Tram Architecte passionné de dessin, Laurent Kohler passe ses journées à croquer ses contemporains sur de petits bristols format “carte de visite”. Compulsivement. Un de ses terrains de chasse privilégiés est le Tram. Il montre ses réalisations “made in CTS” par grappes dans sa “galerie informelle”, Iwan (que l’on trouve 9 rue du Fil à Strasbourg) entre le 11 et le 23 décembre. Il a ainsi parcouru des centaines de kilomètres redonnant au transport sa dimension méditative. Le résultat ? En quelques traits, nous voici face au spectacle de la vie de tous les jours, des visages et des corps saisis dans leur fugacité et leur diversité. Toute une société en mouvement ! m laurentkohler@gmail.com

Marie Dréa, photographe et dessinatrice, co-auteure de Champ rouge – Traces (Les petites vagues éditions), ouvrage sur Steinheil (site industriel textile de la Haute Bruche), présente Falls & Memories à l’Espace Lézard de Colmar. Cette expo (jusqu’au 20 décembre) prouve son intérêt pour les plis, tissus, drapés et rideaux… www.lezard.org

SCOUT TOUJOURS Dès le 14 janvier, et jusqu’au 20 mars, la Salle des Fêtes de Schiltigheim accueille la Revue Scoute 2010. Au programme, du bon, du beau, du cabaret. Le thème ? Hum, il paraîtrait que ces trublions vont parler de la reprise, la vraie ! La reprise, c’est comme avant mais en mieux… www.ville-schiltigheim.fr Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10_ 7


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sommaire & couverture

12 ­_ Édito 14 ­_ Livres, BD, CD et DVD 16 ­_ T’es qui toi ?

Iamwill

18 ­_ CALVIN EXPOSÉ À LA BNU 20 ­_ Cinq questions à…

Philippe Dorin

22 ­_ DIALOGUE D’UN CHIEN AVEC SON MAÎTRE

Dans le cadre des Régionales

24 ­_ Dossier : Les tournages en Alsace 28 ­_ Portfolio : La Décennie Zéro

Carte blanche à trois photographes

32 ­_ VINCENT VAN GOGH À AUVERS

Rencontre avec Wouter van der Veen, co-auteur du livre

34 ­_ WOYZECK ON THE HIGHVELD

Dernières représentations mondiales du spectacle de la Hands Puppet Company

36 ­_ TERRITOIRES DE L’ÂME

Création de Jonathan Pontier

56 ­_ TEMPEST : WITHOUT A BODY

Découvrez la danse engagée made in Nouvelle-Zélande de Lemi Ponifasio

58 ­_ ALADIN ET LA LAMPE MERVEILLEUSE

Création française à L’Opéra national du Rhin

60 ­_ ULTIME CAILLOU

Exposition d’Anita Molinero au Frac Alsace

62 ­_ LE MESSIE

L’OPS présente l’Oratorio de Haendel

64 ­_ Une ville vue par un artiste

Hambourg / Tomi Ungerer

66 ­_ Les hommes de l’ombre

Philippe Lepeut et Joachim Montessuis de l’atelier Phonon à l’Ésad

68 ­_ L’illustratrice

Éloïse Rey

70 ­_ Escapades en Lorraine

Les Boules de Noël du CIAV La Vie parisienne à l’Opéra national de Lorraine

72 ­_ En Suisse

La Grande-Duchesse de Gérolstein au Theater Basel / Robert Rauschenberg au Musée Tinguely

73 ­_ En Allemagne

De Rodin à Giacometti à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe

38 ­_ PASSAGE À FAUNE

74 ­_ Un week-end ailleurs

40 ­_ SYLVAIN CATHALA

76 ­_ À Paris 78 ­_ Culture scientifique

Exposition du CRAC à Altkirch Interview du leader de Print

42 ­_ RADIO MUEZZIN

Stefan Kaegi se penche sur le sort des muezzins du Caire au Maillon

44 ­_ Portrait

Plongée dans le Collectif KIM

48 ­_ IL ÉTAIT UNE FOIS GERMAINE TILLION

Interview de Xavier Marchand

50 ­_ REGIONALE 10

Et si la Régionale était un pays ?

52 ­_ SOULAGES, LE TEMPS DU PAPIER

Rencontre avec le maître de l’“outrenoir”

54 ­_ Urban intrusion

Visite clandestine dans une caserne mulhousienne

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Berlin

Paris / Design en mutation au Musée EDF Electropolis

80 ­_ Culture gastronomique

La formule jeunes des Étoiles d’Alsace

82 ­_ Last but not least…

Gilbert Gress

COUVERTURE Sur les hauteurs de Plainfaing, dans la forêt vosgienne, Franck Falise patiente avant le tournage d’une scène clé du film Les Gens ne savent pas peut-être. Pour son premier rôle, ce jeune homme de 21 ans hyper concentré profite de l’air frais pour se décontracter avant d’en découdre, sur le plateau, avec sa famille.

Photo : Benoît Linder / French co.


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à La Filature, Scène nationale - Mulhouse

arts du cirque / à voir en famille mardi 8 et vendredi 11 décembre à 20 h 30 mercredi 9 et jeudi 10 décembre à 19 h 30

TRACES

crédits photos : Valerie Remise

Cie Les 7 doigts de la main À travers d’époustouflantes acrobaties et des performances circassiennes au parfum de hip-hop, cinq jeunes artistes exceptionnels à la fois athlètes, comédiens et musiciens, soudés comme « les sept doigts de la main », développent une poésie irréelle et nous émerveillent.

WWW. LAFILATURE.ORG +33 (0)3 89 36 28 28

Pas de tables de fêtes sans Grands Blancs ! Les Vins d’Alsace accompagnent toujours les grands moments. L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, CONSOMMEZ AVEC MODÉRATION

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contributeurs & qui a vu l’ours ?

Ours : Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Pascal Bastien (né en 1970) Libération, Télérama, Le Monde… et Poly : Pascal Bastien est un fidèle de notre magazine. Il alterne commandes pour la presse et travaux personnels menant notamment une réflexion photographique sur les zones frontalières en Alsace. m www.pascalbastien.com Photo : Pascal Bastien

Benoît Linder (né en 1969) Ce membre de l’agence French co. vit à Strasbourg. Son travail d’auteur se nourrit, discrètement, de temps suspendus et d’errances improbables au cœur de nuits urbaines et autres grands nulles parts modernes. m www.frenchco.eu/benoitlinder Photo : Benoît Linder

Stéphane Louis (né en 1973) Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. On lui doit aussi un passionnant ouvrage, Portraits, Acteurs du cinéma français (textes de Romain Sublon). m www.stephanelouis.com Crédit photo : Elias Zitronenbaum

Loïc Sander (né en 1987) Graphiste passionné de typographie, il aime créer des caractères et pratique chez Arthénon avec deux livres d’art à son actif, dont Portraits, Acteurs du cinéma français, en 2007. Photographe à ses heures, on peut découvrir sa production protéiforme sur son site… m www.akalollip.com Photo : Günther Dragocewicz

Jean-Philippe Senn (né en 1977) La photo est pour lui une affaire d’osmose, d’atmosphère : s’imprégner lentement, aller au plus profond des choses pour bien les voir. Il s’approprie la ville, elle l’irrigue comme si elle était un organisme vivant. Et ensuite jaillissent des éclats oniriques d’une réalité qu’il a su saisir avec son objectif. m www.ultra-book.com/-jean-philippesenn Photo : Jean-Philippe Senn

Maxime Stange (né en 1982)

Tunnel menant à la Siegessäule (Berlin) – Photo : Hervé Lévy

http://blogpoly.canalblog.com RÉDACTION / GRAPHISME > redaction@poly.fr - 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Secrétaire de rédaction : Valérie Kempf / valerie.kempf@poly.fr Rédacteurs : Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Ont participé à ce numéro : Geneviève Charras, Paul Munch, Pierre Reichert, Florian Rivière, Irina Schrag, Daniel Vogel, Arnaud Weber, Raphaël Zimmerman. Graphiste : Pierre Muller / pierre.muller@bkn.fr © Poly 2009. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs.

ADMINISTRATION et publicité Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Éditeur : Luc Buckenmeyer / luc.buckenmeyer@bkn.fr Associé co-fondateur : Vincent Nebois / vincent.nebois@bkn.fr Administration, gestion, diffusion, abonnements Gwenaëlle Lecointe / 03 90 22 93 38 / gwenaelle.lecointe@bkn.fr Publicité : Julien Schick / 03 90 22 93 30 / julien.schick@bkn.fr Luc Buckenmeyer / 03 90 22 93 40 / luc.buckenmeyer@poly.fr Magazine bimestriel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100.000 e 16 rue Edouard Teutsch - 67000 STRASBOURG

Quand on lui demande, exercice périlleux entre mille, de se définir, le photographe strasbourgeois installé à Paris nous répond avec cette mosaïque sémantique et lexicale : « Jeune & Vieux, décalé, étrange, philanthrope & misanthrope, passionné, curieux, jamais en pause, névrotique ».

COMMUNICATION

m www.maxime-stange.com

BKN Éditeur / BKN Studio - www.bkn.fr

Photo : Kevin Soobrayen

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Dépôt légal : novembre 2009 - SIRET : 402 074 678 000 36 – ISSN 1956-9130 Impression : SICOP


ANITA MOLINERO « ULTIME CAILLOU »

FONDS RÉGIONAL D’ART CONTEMPORAIN AGENCE CULTURELLE D’ALSACE 1 ROUTE DE MARCKOLSHEIM F-67600 SÉLESTAT HTTP://FRAC.CULTURE-ALSACE.ORG

ANITA MOLINERO, SANS TITRE (LA NOIRE), 2007 (DÉTAIL)

EXPOSITION / AUSSTELLUNG 13:11:2009 C 07:02:2010


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édito

Paix sur la terre ?

N

oël est une fête qui déchaîne les passions. En Alsace, tout du moins. La com’ institutionnelle – et c’est bien légitime – tente de persuader le monde entier que la région en est la capitale. D’autres le revendiquent également. Voir Rovaniemi en Finlande, où, dit-on, le Père Noël a établi ses quartiers. Peu importe. Chaque année, les touristes déferlent sur l’Alsace. Et l’autochtone de se poser l’angoissante question qui revient régulièrement à la charnière des mois de novembre et décembre. Quelle sera la tendance des « bonnet bonnet » pour la saison 2009 / 2010 ? Clignotant version K2000, avec pompon torsadé comme une queue de cochon, ou encore sobriété revendiquée ? S’ils sont nombreux à communier dans la bousculade des marchés de Noël, un sourire béat aux lèvres et un verre de vin chaud à la main, certains salauds veulent à tout prix gâcher le plaisir des masses heureuses. On ne vous parlera pas des terroristes d’Al-Qaida qui, dit-on, avaient la volonté de faire sauter les cabanes de la place de la Cathédrale, mais de bien plus sympathiques trublions qui on fait parvenir une lettre à la rédaction. En voici le contenu : Assez des orgies de consommation Assez des crétins heureux à Noël Assez de Strasbourg capitale de Noël Nous allons troubler cela et mener des actions artistiques et subversives. Nous revendiquons la liberté de ne pas aimer les Fêtes. Notre première mesure sera de sticker les murs de Strasbourg avec ça ! Signé : Le SCAN (Section Carrément Anti Noël)

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Y était joint l’autocollant ici reproduit. D’où vient le mystérieux SCAN ? Quelques recherches. Rien. Pas vu. Pas pris. Une enveloppe anonyme, postée à Strasbourg-Marseillaise. Alors ? Des plaisantins ? Des élèves des Arts déco qui nous refont le coup de dada ? L’arrivée en Alsace de Julien Coupat et de sa bande de dangereux agitateurs made in Tarnac ? Un groupe organisé aux multiples ramifications ? Un individu isolé et un peu frappé ? Jean-Pierre Treiber qui passe, juste avant sa capture, un message subliminal – nous on transmet – à son Hartzala ? Une action de com’ à rebours de la Ville de Strasbourg (non, ça on n’y croit vraiment pas) ? Reste à voir la pérennité de la chose. Les murs seront-ils vraiment remplis d’autocollants ? D’autres actions sont-elles envisagées ? Nous garderons les yeux ouverts tout au long du mois, d’autant que la Ville de Strasbourg vient d’annoncer que TOUS les marchés resteront en place jusqu’au 31 décembre. Reste que cette missive permet de s’interroger de manière salutaire, quelques jours avant le début de la folle frénésie, sur l’essence de la célébration de Noël, entre ballon d’air bienvenu pour l’économie locale en période de crise, projection de l’Alsace dans les médias du monde entier et consumérisme frénétique. Nous percevons le germe d’une contestation qui, pour une fois, semble ne pas rester confinée aux conversations de bistrot. Voilà qui est intéressant… Hervé Lévy


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DE WILLIAM SHAKESPEARE MISE EN SCÈNE OSKARAS KORSUNOVAS


LIVRES / CD / DVD

MAD E I N ALSACE

parklife 060 Factory records ⁄ section 25 ⁄ the names ⁄ Psychic tv ⁄ Pierre mikailoFF antoine Bernardt ⁄ eric t lurick ⁄ Pull ⁄ du Bandit au GiBus ⁄ sons des disco manson’s child ⁄ sordide sentimental ⁄ dj cheche ⁄ cd manson’s child

ALBUM LIVRE

Je suis pas une courge Un cuistot totalement toqué, un massacreur à la tronçonneuse, des super-héros colorés, un cow-boy complètement à poêle, un serial cutter, un vicelard qui exhibe ses poiscailles, un chauffard au volant d’un caddie bien rempli… Qui sontils, quésako, wasabi ? Ces personnages cocasses et affamés nous accompagnent tout au long de Je suis pas une courge, livre de cuisine déluré (confère les illus’ et le ton), pratique (il se pose comme un chevalet) et économique (période de vaches maigres oblige…). Ils nous concoctent, dans l’ordre, des bouchées aux deux chocolats, des boulettes de bœuf aux herbes, des brochettes de poulet mariné, des burgers-crêpes, des chaussons de lotte, des gratins de colin, une poêlée de courgettes. Autant de recettes classées thématiquement, mitonnées par la petite frisée qui ne mâche pas ses mots, Johanna Kaufmann, starlette strasbourgeoise du web (www.jesuispasunecourge.com) ou de la télévision (www.cuisine.tv), et mises en image par Joël Christophe, graphiste et illustrateur vraiment nouille. (E.D.) m Paru chez Flammarion (16,50 €) www.editions.flammarion.com

L’Ébouriffée CD

Il est des premières fois inoubliables, symboles d’une enfance révolue qu’on aimerait garder tout contre soi, hors du temps. L’album de Clémence Pollet, jeune illustratrice actuellement sur les bancs des Arts déco de Strasbourg, est un condensé poétique et rêveur de ces instants. Son coup de crayon très travaillé, allié à une pratique ancienne (le photomontage), en fait un ouvrage sans pareil. L’Ébouriffée est une traversée en locomotive rouge dans les pensées d’un jeune garçon éperdument amoureux d’une petite fille aux longs cheveux. Mots d’enfants, rêves à l’imaginaire débordant de malice, perspectives aussi belles qu’impossibles… un mélange de souvenirs, de détails et de juxtapositions rappelant les jeux que nous inventions à partir d’un rien et cette fille aux nattes noires qui habitait à côté et provoquait l’accélération des battements de notre cœur. (T.F.) m Paru aux éditions du Rouergue (14,50 €) www.lerouergue.com http://clemence.pollet.free.fr/

Manson’s Child Fasciné par l’esthétique du label 80’s anglais Factory (New Order, Section 25, etc.), influencé par la pop indé de Yo La Tengo, Pavement ou Sonic Youth, séduit par les vieux de la vieille (Wire ou Psychic TV) autant que par les jeunes pousses électroniques (le duo Sons des Disco signé sur leur label Parklife Records*), le quatuor colmarien Manson’s Child sort un nouvel EP. Six titres – dont deux reprises, une des rockers de Wire, l’autre des space-popeux de Stereolab dont ils sont très proches – qui flirtent avec le shoegazing et le rock atmosphérique (Monk’s Ecstasy, pris dans un brouillard sonique) ou l’electo-rock nippon (Onetwoxyou, chanté en compagnie d’une certaine Yuko Oshima). Un maxi dont la sortie est accompagnée du très élégant fanzine Parklife 060 réalisé par le label des Manson’s Child où il est question de Factory Records, de Section 25, de Psychic TV ou de Sons des Disco… La boucle est bouclée. (E.D.) * Parklife sera un des seuls partenaires de la soirée A Factory Night Again, le 12 décembre à Bruxelles, au Plan K www.lefantastique.net/factory

m Monks ?, Parklife Records (8 € avec le fanzine) www.mansonschild.com

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LIVRE

BEAU LIVRE

Poudre aux moineaux Non content d’exposer les dessins polymorphes de Paul van der Eerden à La Chaufferie (Foul rain, voir Poly n°127), l’École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg coédite, avec les Éditions Buchet-Chastel, une belle monographie bilingue intitulée Poudre aux moineaux. On y retrouve “avec plaisir” les thèmes récurrents de l’artiste hollandais : solitude, détresse, peur, violence des rapports humains, folie, métamorphose et bataille des sexes. La concentration de ses dessins produit un effet de résonance qui accentue leur force expressive autant que leur simplicité d’exécution. Des captures d’instants ténébreux, quotidiens et inquiétants, comme la face sombre et déjantée d’un Keith Haring. Et Guillaume Dégé, directeur du département Illustration de l’Ésad, de conclure : « Le dessin est dedans la page, scellant le regard du spectateur et le temps de l’artiste, laissant à découvert tout ce qu’il tait. » (I.S.) m Paru aux éditions Buchet-Chastel, collection Les Cahiers Dessinés (17 €)

L’Alsace des as Ils se sont mis à trois – Frédéric Cronenberger, Luc Knittel et Xavier Casile – pour réaliser cet ouvrage “encyclopéludique” qui, en 50 entrées, classées par ordre alphabétique (d’Abd al Malik à Wolfberger) rassemble une sélection des talents alsaciens. Dans cet inventaire à la Prévert, on trouve des hommes illustres (Bartholdi ou Ungerer), de multiples réussites économiques emblématiques (Mezzo di Pasta, Météor ou Soprema), des lieux et autres symboles. Bref, un concentré d’Alsace (même si on peut regretter l’absence de certains, mais sélection rime forcément avec choix) présenté de manière amusante et décalée, agrémenté d’une multitude d’anecdotes. Savez-vous, par exemple, qu’un berger éthiopien est à l’origine des Cafés Reck ? Vous êtesvous demandé pourquoi les chaussures Heschung ont sauvé la vie de Bourvil ? Réponses à ces questions existentielles – et à bien d’autres – dans ce petit livre rouge. (P.R.) m Paru chez GOOD HEIDI Production (19,50 €) www.alsacedesas.com

LIVRE

Sherlock Holmes et le mystère

du Haut-Kœnigsbourg

Il y a 150 ans naissait Sir Arthur Conan Doyle (1859-1930). Pour célébrer cet anniversaire, Jacques Fortier, par ailleurs journaliste aux DNA, emporte les deux héros emblématiques sur les rives du Rhin. Un beau jour de mai 1909, Sherlock Holmes et le docteur Watson débarquent à Strasbourg pour résoudre une énigme perchée au sommet du Haut-Kœnigsbourg, tout juste reconstruit par Bodo Ebhardt sur ordre de l’Empereur Guillaume II. Mais pourquoi avoir relevé les murs du château médiéval ? S’agissait-il simplement d’affirmer la germanité d’une région annexée depuis 1871 ? Derrière la volonté politique se cachent de plus sombres desseins : quel mystérieux objet est caché là-haut ? Le talent du détective de Baker Street permettra – évidemment – de démêler un imbroglio complexe. Écrit avec une certaine verve par un spécialiste du fait religieux (omniprésent dans cette enquête apocryphe), ce policier qui ouvre une nouvelle collection, “Les enquêtes rhénanes”, se lit d’une traite. (H.L.) m Paru au Verger (9,50 €)

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t’es qui toi ?

Une intervention mystérieuse dans l’espace public. À la recherche de son auteur.

Messages d’inutilité publique De nombreux stickers fluorescents porteurs de messages peuplent les gouttières de Strasbourg. Iamwill prend un malin plaisir à détourner les mots de leur sens initial pour en faire découvrir les visages cachés.

I

l a 28 ans. Est originaire de Tours. A pris Iamwill comme “nom de rue”. Premier jeu avec les mots : il s’agit en effet tout simplement de son prénom – William – en verlan. Diplômé des Beaux-arts d’Épinal, le garçon a débarqué à Strasbourg en 2006. S’y est senti comme un poisson dans l’eau. Y est resté. Depuis, il y “sticke” comme un malade. Une

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pratique initiée à Nancy en 2004, cité étape entre les Vosges et l’Alsace. Pour lui, le process a tout simplement été « un moyen pour mieux supporter la solitude inhérente à l’arrivée dans une nouvelle ville. J’avais du temps. Autant l’employer et utiliser la rue comme une zone de partage dans laquelle j’essaye d’exprimer quelque chose aux passants. »


Les mots, matière de création Son travail artistique personnel est principalement axé sur une recherche autour des images et du collage. Dans la rue, il sort de ce cadre, utilisant les stickers comme medium pour s’exprimer et se servant essentielle-

« Les stickers sont des alarmes citoyennes dont la couleur fluo est un appel, un flash pour interpeller le regard » ment de mots pour faire passer ses “messages”. Iamwill affirme « utiliser la “matière mot” comme on peut se servir des images. Toujours un carnet d’idées dans la poche, je crée mes jeux de mots par grappes, dix à vingt

d’un coup, quand ça me prend, de manière complètement instinctive, non réfléchie ». Comment alors ne pas penser à Ben qui, lui aussi, a placé le mot au centre de son art ? On découvre, en regardant l’intégralité de sa (volumineuse) production, cinq thèmes récurrents. Il y a bien évidemment l’art (l’art est public, libre art bite) et la rue (pavé pas pris, appât rue, mot rue), mais aussi, au sens général, des préoccupations sociales et sociétales (tous égo, media bolique, cri zzz..., quipro quoi ?, défense d’affliger, poison d’avril) et le passant (toi oui, toi passe passe)… Dernier thème, le support lui-même, le sticker (sarca stick, narciss stik, déchire moi, je reviens). Au fond, toutes ces petites phrases sont autant de pistes de réflexion, et comme dans les toiles de Ben, ressemblent à des épures débarrassées de tout artefact pictural, de parfaites quêtes de sens qui jouent de manière mi-ironique, mi-sérieuse, sur le langage.

La rue, support d’expression La plupart des stickers sont collés en hauteur, sur des gouttières ou à l’arrière des panneaux. Au total, plus d’une centaine ont été composés : ils apparaissent et disparaissent au rythme des interventions croisées de Iamwill, des brigades de nettoyage et des collectionneurs. « Je marque sur un plan les zones contaminées afin de créer un maillage dans la ville pour que tout le monde puisse lire mes messages. Les stickers sont des alarmes citoyennes dont la couleur fluo est un appel, un flash pour interpeller le regard », explique le “street artist”. Pour lui, la simplicité du medium est un gage de bonne réception du message. Chaque phrase possède son histoire. Prenons Tchat de gouttière : « Il définit le mieux [s]on travail. Mes messages permettent de

créer un lieu de rencontre libre d’expression, sur de réelles gouttières. La réflexion y est ouverte à tous ». Poison d’avril a été imaginé « comme beaucoup de slogans, en fonction de l’actualité du moment. À l’époque, nous étions en 2007, au moment des élections présidentielles. » La rue ? Un forum urbain, où convergent des dizaines de milliers de personnes et de tous les âges, tous les milieux, pour débattre, discuter, se cultiver, partager leurs connaissances. Sur ces stickers jaune fluo, les lettres se détachent. Claquent. Interpellent le regard. De l’Arte povera ? Un minimalisme ? Certes. Mais revendiqué et signifiant. m www.myspace.com/entubox Texte : Florian Rivière (Démocratie Créative) Photos : Jean-Philippe Senn


EXPOSITION – BNU

O

n fête cette année le 500e anniversaire de la naissance de Jean Calvin (1509-1564). Cette exposition vient jeter un éclairage particulier sur la période passée à Strasbourg. Un de ses deux commissaires, Matthieu Arnold, professeur à la Faculté de Théologie protestante de l’Université de Strasbourg, en pose clairement les enjeux : « Ces années sont comprises tantôt comme une simple parenthèse entre deux séjours genevois (1536-1538 et 1541-1564), tantôt comme la période la plus importante pour Calvin. » Mais revenons au point de départ : expulsé de Genève en avril 1538, en raison de controverses religieuses et de dissensions politiques, Calvin s’installe à Bâle. Martin Bucer le fait venir à Strasbourg, où il prêche les “idées nouvelles” (elles y ont triomphé en 1529). Dans la “ville libre” habitent de multiples réfugiés de langue française, Lorrains en

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Strasbourg au XVIe siècle, BNUS, iconographie alsatique

Jean Calvin, collection Paul Lienhardt, Société de l’Histoire du Protestantisme français

Trois ans de réflexion

La BNU et la Faculté de Théologie protestante proposent une exposition évoquant, à travers quelque 130 documents, les années strasbourgeoises de Calvin. Panorama de la vie intellectuelle et spirituelle du grand réformateur entre 1538 et 1541.

particulier. Il leur faut un pasteur. Ce sera Calvin qui arrive dans la capitale alsacienne en septembre 1538. À la BNU, on prend conscience de toute l’activité qu’il déploya dans la cité, élaborant notamment la première version française de son Institution de la religion chrétienne (1541) et enseignant l’exégèse biblique à la Schola Argentoratensis – qu’on traduit généralement par Haute École – fondée par Jean Sturm… devenue le Gymnase Jean Sturm. Dommage que sa chaire, un témoignage émouvant, conservée aujourd’hui encore dans l’établissement scolaire, n’ait pu être montrée ici. La présentation permet aussi de découvrir un Calvin impliqué dans les affaires temporelles et préoccupé par les grands enjeux du temps. Livres, gravures, manuscrits, registres, lettres (dont l’exceptionnel Fonds Sarrau, un ensemble de

15 missives reçues par Calvin) peuvent former un ensemble austère a priori. Il suffit cependant de s’immerger dans l’exposition, de prendre le temps de lire les cartels intelligemment rédigés pour plonger dans le bouillonnement d’une époque marquée par une intense activité intellectuelle et des querelles doctrinales passionnantes, avec les catholiques évidemment, mais aussi au sein de la Réforme. On constate ainsi que les trois années passées à Strasbourg par Calvin furent fécondes et fondatrices. Texte : Pierre Reichert

m À Strasbourg, à la Bibliothèque Nationale et Universitaire, jusqu’au 12 décembre (conférence de Matthieu Arnold sur “L’actualité de Calvin”, lundi 7 décembre) 03 88 25 28 00 – www.bnu.fr


Cinq artistes. Cinq sacs de toile sérigraphiés. Une œuvre solidaire. A l’occasion de la foire d’art contemporain St’Art, le Groupe Coop Alsace organise une action artistique mobilisant 5 peintres et sculpteurs travaillant en Alsace : Sylvie Lander, Raymond-Emile Waydelich, Christophe Meyer, Daniel Depoutot et Christian Geiger. Chacun des cinq artistes a réalisé une œuvre sérigraphiée sur un sac en tissu ; celui-ci sera vendu en sortie de caisse dans tous les magasins du Groupe Coop Alsace, des hypermarchés Leclerc et des supermarchés Leclerc Express. En avant première, pour son lancement lors de St’Art, on pourra repartir avec un simple sac signé, ou contenu dans son écrin, ou encadré, respectivement pour 5, 50 et 150 euros.

COOP ART Alsace

ST’ART - STAnD A20 En devenant propriétaire d’un sac de courses COOP ART Alsace, chacun gardera une œuvre tout en contribuant au financement de deux actions solidaires. Les bénéfices seront intégralement reversés à deux « ESAT » (Etablissements et Services d’Aide par le Travail) de la région.

26.11.09 > 30.11.09

26.11.09

L'ARTOTHÈQUE de Strasbourg

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L'artothèque de Strasbourg

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...................................................... Le stand de la Ville de Strasbourg « Carte blanche à… » à la foire d’art contemporain ST’ART, du 26 au 30 novembre 2009, présentera l’Artothèque de Strasbourg. L'artothèque sera localisée dans la Médiathèque de Neudorf et ouvrira ses portes aux printemps 2010. 500 oeuvres seront disponibles au prêt, témoignant de la création visuelle contemporaine. Trois types de supports seront principalement représentés : des estampes, des photographies et des vidéos d’artistes. L'emprunt individuel d'oeuvres sera ouvert à tous les détenteurs d’une Carte « PASS’relle » (tarif multimédia). Les pièces pourront être empruntées pour une durée d’un mois. Renseignements : 03 88 60 93 74 30.11.09


cinq questions à...

Philippe Dorin Pour ses Dix jours pour un auteur, le TJP accueille quatre spectacles de Phillipe Dorin, auteur cinquantenaire de retour dans la ville de ses débuts.

4 1 3 5 2

Comment êtes-vous venu à l’écriture et, par extension, à l’écriture pour le jeune public ? Tout a débuté au Théâtre Jeune Public de Strasbourg, à l’époque de l’ancienne Maison des arts et des loisirs située en lieu et place du TJP petite scène. Avec mon diplôme d’animateur culturel, j’en assurais la programmation. Nous voulions en faire un lieu tourné vers les enfants et avions donc monté un spectacle pour eux. Je me suis proposé d’écrire le texte, devenant auteur de manière très accidentelle. Avec le recul, mon apprentissage s’est déroulé de 1980 à 1992 avec de petits textes et des contes pour enfants. Mais j’essayais de trop bien faire, toujours dans l’admiration des grandes plumes et ne me considérant pas comme un écrivain. Ma rencontre avec la metteuse en scène Sylviane Fortuny a été déterminante, posant les fondements de nos futures collaborations. À partir d’ateliers avec des enfants autour de portraits d’écrivains effectués avec des brouillons, jetés en boule dans les poubelles, nous avons réalisé un premier spectacle : Le Monde point à la ligne. Il est rare qu’un auteur fonde une compagnie, comme vous en 1994 avec Sylvianne Fortuny (Compagnie Pour Ainsi Dire). C’est votre manière d’envisager l’écriture, non pour elle-même, mais pour qu’elle soit portée à la scène ? Absolument. J’écris des textes pour qu’ils aboutissent à un spectacle. C’est mon objectif et, surtout, une grande motivation. Je pense à l’espace de création du futur spectacle, aux acteurs, aux décors. J’aime faire de mes écrits des outils théâtraux et littéraires aidant les comédiens à sortir les choses. Je l’envisage comme un travail collectif avec toute l’équipe d’un spectacle.

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Quatre de vos textes seront montés par trois compagnies dans le cadre des Dix jours pour un auteur. Une belle reconnaissance après le Molière du spectacle jeune public décerné en 2008 à L’Hiver, quatre chiens mordent mes pieds et mes mains ? Je suis très fier que ces spectacles aient été choisis par le TJP. Cela a été une belle surprise, notamment de voir des pièces anciennes. Une nouvelle mise en scène de Sacré silence (créée en 1988 sous le titre Ram Dam, le miroir sonore) qui confronte un personnage à un autre, son Écho, n’arrêtant pas de répéter tout ce qu’il dit. Domination, moquerie, rapports réduits au silence… Autant de thèmes jalonnant cette pièce très musicale. Je suis ravi que Les Acteurs de Bonne Foi soient à l’origine de cette reprise car j’ai travaillé avec eux par le passé. Je le prends comme un retour aux sources. Avec Dans ma

« Au théâtre, on peut tout dire, surtout à des enfants, car ils n’ont pas l’expérience de la vie pour les consoler »

maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu, Denis Woelffel s’empare, quant à lui, d’un spectacle poétique et abstrait contant la rencontre d’une vieille dame en train de mourir avec une petite fille à l’écart du monde. Le théâtre jeune public souffre encore d’une étiquette de genre “mineur”. En osant aborder des sujets comme la vie, la mort, la solitude, le temps qui passe, mais aussi l’immigration et le respect de l’autre comme dans Babel France, vous

luttez contre l’idée qu’on ne peut pas tout dire à des enfants ? Bien sûr qu’on peut tout dire ! Surtout à des enfants, car ils n’ont pas l’expérience de la vie pour les consoler de l’amour trahi, des déceptions, de l’incompréhension… Ils n’ont que les contes pour en parler. À nous de ne pas les laisser de côté, de leur parler de la solitude, du mal être, de la mort. Notre seule responsabilité est de faire en sorte que la vie triomphe toujours à la fin. Il faut trouver les mots et la simplicité pour les toucher, tout en conservant l’exigence de notre propos d’adulte. Vous vous êtes aussi essayé à l’écriture pour adultes, notamment pour Ismaïl Safwan et la Cie Flash marionnettes avec Les Enchaînés. Qu’est-ce que cela change et qu’apprenez-vous sur vous-même ? Écrire pour les adultes est encombrant, car on est trop tenté par le commentaire et je n’arrive pas bien à m’en dépêtrer. Mais dans les pièces pour enfants, les adultes doivent s’y retrouver ! Il est important que les adultes soient physiquement présents dans le public car les enfants avancent et apprennent par comparaison, par référence. Nous devons leur renvoyer quelque chose. En écrivant, on espère se soulager alors qu’en fait on raconte ce que l’on est. Il est difficile de le dissimuler et nos histoires ne sont jamais celles que l’on croyait écrire au départ. Propos recueillis par Thomas Flagel Portrait : Maxime Stange

m À Strasbourg, au TJP Sacré silence (dès 5 ans), les 23 et 24 janvier L’Hiver, quatre chiens mordent mes pieds et mes mains (dès 8 ans), du 26 au 29 janvier Abeilles, habillez-moi de vous ! (dès 7 ans), du 26 au 31 janvier Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu (dès 8 ans), samedi 30 janvier et au Préo d’Oberhausbergen mardi 8 juin www.le-preo.fr – www.theatre-jeune-public.com


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Dialogue d’un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis est l’un des 18 spectacles sélectionnés par Les Régionales pour la tournée 2009/2010 sur les scènes d’Alsace. Un duo de clowns tristes et drôles par le Théâtre National de la Communauté française de Belgique.

I

ls sont belges et n’ont peur de rien. Depuis l’impertinence joyeuse de Toréadors en 1999, Philippe Sireuil entretient une relation particulière aux textes de Jean-Marie Piemme, auteur de ce dialogue entre deux grandes gueules, deux « dikkeneke » comme on dit dans la capitale bruxelloise. Sur scène, une caravane miteuse et un vieux fauteuil, les seuls biens que possède le portier de l’Hôtel Claridge. Cet homme abîmé, qui donne le change et fait le beau devant les baronnes qu’il accueille chaque jour, a perdu le goût de tout depuis qu’une assistante sociale lui a enlevé sa fille de huit ans. Le motif ? Il n’avait pas la télé et risquait donc d’en faire une « cervelée » ! Le décor est posé, il ne manque que le trublion : un chien aux propos tout sauf bienséants – bâtard joyeux et fier car « les races pures, on sait où ça mène » – qui s’amuse à « faire des cabrioles devant les bagnoles pour goûter aux 22 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

crissements des carambolages » sur la bretelle d’autoroute voisine. Leur rencontre, dans un déluge d’échanges verbaux incisifs, provoquera un dialogue sur la vie, la marche à l’envers du monde, les reculs de la société… De paumé à paumé, entre méfiance et défiance, ils chercheront à se gruger l’un l’autre, se rapprochant inconsciemment, partageant un « même appétit à égratigner les puissants de notre monde, à pourfendre la bêtise des uns et l’égoïsme des autres », confie un Philippe Sireuil, enthousiaste. À travers la mise à nu de l’hypocrisie de nos sociétés dites évoluées, dans lesquelles les animaux de compagnie sont mieux traités – et considérés – que l’humain sans toit d’à côté, transparaît un immense besoin d’amour, aboyé à tue-tête par deux fidèles comédiens de Sireuil : Philippe Jeusette, aperçu dans L’Enfant et Le Silence de Lorna des frères Dardenne, et Fabrice Schillaci, vu

aux côtés de Poelvoorde dans Cow-boy. Et le public de goûter son plaisir, de se délecter d’une plâtrée de bons mots et d’une galerie de personnages, allant du ministre trop porté sur la bouteille au musicien spécialiste de la note de frais. Un duo fantasque qui élabore, avec ses modestes moyens, les lignes d’une humanité qu’on se plairait à voir proliférer. Texte : Daniel Vogel Photo : Véronique Vercheval

m En 2010, la pièce sera jouée en janvier à Sélestat (aux Tanzmatten le 7), à Obernai (à l’Espace Athic le 8), à Reichshoffen (à La Castine le 9), à Haguenau (au Théâtre Municipal le 12), à Saverne (à l’Espace Rohan le 14), à Ostwald (au Point d’Eau le 15), à Cernay (à l’Espace Grün le 16), à Kingersheim (à l’Espace Tival le 30). Puis à Strasbourg (au Taps Scala du 2 au 4 février) m Retrouvez le programme complet des Régionales au www.culture-alsace.org/spectacle-vivant/


Saul Steinberg, Parade (détail), 1952. Technique mixte sur papier, 36 x 57,5 cm. Collection M. et Mme Niemann. © The Saul Steinberg Foundation / ARS, ADAGP Paris 2009. © Musées de la Ville de Strasbourg /Mathieu Bertola. Graphisme : Rebeka Aginako

27 NOVEMBRE 2009 28 FÉVRIER 2010

MUSÉE TOMI UNGERER CENTRE INTERNATIONAL DE L’ILLUSTRATION WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG

Au milieu du désordre

Pierre Meunier 7 > 20 décembre

Woyzeck on the highveld

Georg Büchner / William Kentridge Avec la Handspring Puppet Company 8 > 20 décembre En anglais surtitré

abonnement / location

03 88 24 88 24 www.tns.fr

En coréalisation avec le TJP


DOSSIER – LES TOURNAGES EN ALSACE

Moteur ! Depuis quelques années, l’Alsace est devenue plus attractive pour les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. Grâce à l’action conjuguée de la CUS et de la Région, de nombreux tournages prennent en effet leurs quartiers dans la région. État des lieux.

A

vec 19 projets menés en 2009 (onze courts métrages, quatre longs métrages, trois téléfilms et une série TV) pour 227 jours de tournage cumulés, la plus petite des régions françaises accroît de près d’un tiers son activité cinéma & audiovisuel depuis 1999. Ce résultat flatteur, même s’il demeure en retrait par rapport à celui des “mastodontes” que sont Île-de-France, PACA ou Rhône-Alpes, est le fruit d’une politique volontariste des collectivités locales. Si l’Alsace avait déjà un riche passé avec l’accueil des tournages de La Grande illusion (1937) de Jean Renoir, Jules et Jim (1962) de François Truffaut ou La Décade prodigieuse de Claude Chabrol (avec Orson Welles, 1971), il aura fallu attendre 2004 pour « crédibiliser le territoire » souligne Glenn Handley du Bureau d’accueil de tournages de l’Agence Culturelle d’Alsace. C’est à cette date que les compétences et qualités développées par le vivier de techniciens locaux (230 environ sont recensés à ce jour) ont commencé à être reconnues par la profession et les tout-puissants directeurs de production parisiens. Il n’aura fallu qu’une dizaine d’années pour que les politiques initiées par la Région et la Communauté urbaine de Strasbourg portent leurs fruits.

Deux structures complémentaires

Fondé en 1994 par la Région, le fonds de soutien à la création et à la production audiovisuelle et cinématographique a été complété par le Bureau d’accueil des tournages de l’ACA quatre ans plus tard. Chose unique en France, une structure similaire a été mise en place au niveau de la CUS en 1997. Les 24 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

deux entités ont des liens forts : édition commune du Guide des repérages d’Alsace (une “Bible” compilant contacts, lieux potentiels de tournages, pluviométrie…) et soutien logistique croisé. Les commissions d’attribution des subventions demeurent indépendantes, même si les données prises en compte sont du même ordre. Anne Fantinel du Bureau des tournages de la CUS explique que « les critères de décision de la commission d’attribution du fonds de soutien1 tiennent compte du traitement des techniciens, figurants et comédiens autant que de la réputation de la société productrice, de la faisabilité du projet, du scénario et des retombées sur l’économie locale ». En effet toute production aidée doit dépenser localement au moins 120% de l’équivalent du montant de l’aide reçue. Et Anne Fantinel de conclure : « Finalement, l’image du projet lui-même est plus importante que les images de la ville à l’écran. » Pour 2009, le budget régional est d’environ 1,2 millions d’euros tandis que celui de la CUS est de 836 250 e. Six longs métrages, huit courts, une série télé (Les Invincibles) et 23 documentaires ont ainsi bénéficié des aides alsaciennes. La répartition est quasi-identique à la CUS, preuve s’il en fallait des synergies existantes.

Une prospérité fragile ?

Le travail de prospection des deux bureaux de tournage pour trouver des décors (démarches auprès des communes, des entreprises, des particuliers…) et la gestion des ressources humaines3 permettent d’attirer un nombre croissant de productions. Mieux, le directeur de celle des Invincibles, série québécoise adap-

tée par ARTE4 et tournée intégralement à Strasbourg, souhaite revenir dans le coin avec son prochain projet. Une tendance positive à mettre en parallèle avec la présence d’une vingtaine de sociétés de production locales, majoritairement axées sur le documentaire. « Un genre le plus souvent lié à des commandes de chaînes de télévision » explique Glenn Handley. Si les subventions sont conséquentes, Gautier Gumpper, co-fondateur en 1993 d’Ana Films à Strasbourg, met en garde contre « la restructuration annoncée de France 3 qui avait historiquement créé l’appel d’air en ouvrant des cases de programmes documentaires. Si le regroupement des unités de production de la chaîne a lieu, nous serons fragilisés car dans notre métier, c’est la diffusion qui est le plus difficile. » Pour sa part, Gérard Traband, président de la commission Développement culturel, sport et identité régionale du Conseil Régional, s’inquiète « de la probable suppression de la taxe professionnelle et de ses répercussions sur l’enveloppe culturelle de la Région ». Une menace qui mettra le volontarisme des élus à rude épreuve. Pour les producteurs, la crise est peut-être à venir… 1 Composée de professionnels de l’audiovisuel et du cinéma et présidée par Souad El Maysour, vice-présidente de la CUS en charge de la culture et de la lecture publique 2 Ces deux chiffres tiennent compte du “un pour deux” du Centre National du Cinéma, un mécanisme d’abondement : pour 2 e versés par la collectivité publique, 1 e supplémentaire est ajouté par le CNC 3 Une base de données, nommée TAF – Techniciens Artistes Figurants – recense toutes les compétences de la région 4 Diffusion de la Saison 1 annoncée pour mars 2010 www.arte.tv

Texte : Hervé Lévy et Thomas Flagel Photo : Benoît Linder / French co.

m www.strasbourg-films.com www.culture-alsace.org www.region-alsace.eu



DOSSIER – LES TOURNAGES EN ALSACE

Thriller dans les Vosges Unlimited, basé à Schiltigheim, produit le premier long métrage de Roland Edzard, Les Gens ne savent pas peut-être. Un film de genre au scénario décapant sur fond de secrets de famille, tourné en Alsace et Lorraine. Reportage sur le plateau.

A

près quelques jours à Grendelbruch, l’équipe de Roland Edzard est passée de l’autre côté du Col du Bonhomme pour se nicher dans deux maisons aux abords de la forêt, sur les hauteurs de Plainfaing. Les Gens ne savent pas peut-être à petit budget (moins d’un million d’euros) est un vrai pari. Après plusieurs reports dus à des difficultés financières, son tournage a débuté en octobre. « Mon film raconte l’histoire d’un gamin accusé à tort par sa famille d’avoir mis le feu à la voiture de sa mère, qui va révéler les problèmes de toute la fratrie par sa violence » , explique le réalisateur.

Jeune premier

Pour le premier rôle, il a déniché Franck Falise, jeune homme de 21 ans qui n’avait jamais tourné ni joué la comédie. Une vraie gueule au regard troublant et profond. Il impressionne par sa concentration depuis ses premiers pas sur le plateau. « Pas évident de découvrir l’envers du décor » pour ce commerçant

« Si je ne faisais pas ce film en pellicule, je savais que je n’en ferai jamais d’autres car nous vivons ses derniers soubresauts » ambulant de métier, qui court habituellement les marchés et les foires pour vendre des roses en bois. Pour autant, Franck apprend à grands pas, prend un maximum de plaisir et séduit par son authenticité. Son rôle, il lui « colle à la peau. Jean a un passif difficile, un

26 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

mal être intérieur, comme s’il portait un poids. Il me suffit de me remémorer mon parcours personnel pour entrer dans le rôle. » Autour de ce nouveau visage, Roland Edzard a effectué un casting de choix : Maia Morgenstern, Thierry Frémont ou encore Carlo Brandt.

Paysages vosgiens

Diplômé de l’École des Arts déco de Strasbourg avant de passer par le Studio national du Fresnoy, le réalisateur de 29 ans connaît bien cette région. Il a grandi sur le versant alsacien des Vosges qui a nourri son imaginaire. « J’ai écrit Les Gens ne savent pas peut-être en pensant à ce paysage que je connaissais », confie-t-il. Arrivé à mi-tournage, il ne cache pas que « le planning est hyper serré, comme le budget ». Du 35 mm trop coûteux, il s’est rabattu sur du 16 mm. « Si je ne faisais pas ce film en pellicule, je savais que je n’en ferai jamais d’autres car nous vivons

ses derniers soubresauts, le numérique progresse à une telle vitesse… » Après un repas avalé en quatrième vitesse, il retourne sur le plateau. Au programme, « le début de la fin, avant le rendez-vous final. Jean vient défier sa famille au petit matin ». Pour Roland, la course contre la montre avec la tombée de la nuit est enclenchée. Clap ! Texte : Thomas Flagel Photo : Benoît Linder / French co.

Budget : moins d’un million d’euros  Date de tournage : 20 octobre – 25 novembre 2009  Équipe : 45 techniciens  Matériel : tournage en super 16 mm  Musique originale : Christine Ott  Date de sortie : fin 2010 À voir, les “carnets de tournage” sur http://alsace.france3.fr/


SCHILTIGHEIM CULTURE

ABONNEZ-VOUS!

Décembre / Janvier

à 20h30 à la Salle des Fêtes Musique du monde avec Strasbourg Méditérannée le 2 décembre Yasmin Levy

KAMILYA JUBRAN + YASMIN LEVY le 5 décembre

KARDES TÜRKÜLER le 4 décembre

Loïc Lantoine

LOÏC LANTOINE Cinéma / Théâtre le 19 décembre

LE BONHEUR

Compagnie Cartoun Sardines

à 20h30 au Cheval Blanc Le Bonheur

Jazz le 15 décembre

CONGOPUNQ / Cyril Atef duo

Lecture / Chanson le 18 décembre

JEAN-MARIE KOLTÈS Jazz le 7 janvier

Diego Imbert

DIEGO IMBERT QUARTET

RÉSERVATIONS ET ABONNEMENTS

WWW.VILLE-SCHILTIGHEIM.FR - 03 88 83 84 85 - FNAC


Décennie Zéro 2000 / 2010 Toute la saison, Poly donne carte blanche à des photographes pour explorer les problématiques essentielles de la première décennie du XXIe siècle.

Photo : Stéphane Louis 28 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

www.stephanelouis.com


ÉCOLOGIE / SURVEILLANCE / RELIGIONS / DÉLOCALISATION / BI, ÜBER, MÉTRO, TRANS, HOMO / KRACH / WORLD WIDE WEB

Photo : Pascal Bastien

www.pascalbastien.com Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10_ 29


Décennie Zéro 2000 / 2010

Photo : Maxime Stange 30 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

www.maxime-stange.com

RELIGIONS


Così fan tutte

W.A. Mozart Direction musicale Ottavio Dantone Mise en scène originale David McVicar Metteur en scène associé Chris Rolls

Photo Alain Willaume • Graphisme OnR • Licences 2-1026712 et 3-1026713 • saison 2009-2010

Chœurs de l’Opéra national du Rhin Orchestre symphonique de Mulhouse

Strasbourg, Opéra 11, 14, 16, 21, 23, 26 (17 h) déc. 20 h Mulhouse, La Filature 8, 10 (15 h) janv. 20 h

www.operanationaldurhin.eu


BEAU LIVRE – PEINTURE

Vincent van Gogh retrouvé

À

35 ans, l’universitaire strasbourgeois Wouter van der Veen est considéré comme un des plus grands spécialistes de l’œuvre de Vincent van Gogh : il a notamment collaboré à l’édition critique de la correspondance complète de l’artiste récemment parue1. Ce sont justement ces lettres qui constituent l’épine dorsale de Vincent van Gogh à Auvers réalisé avec le photographe et plasticien Peter Knapp. Grâce à elles, on peut en effet reconstituer une chronologie satisfaisante de cette période, sans conteste la plus complexe de l’existence du peintre. Les journées du 20 mai au 29 juillet 1890 (date de sa mort) sont restituées dans une première partie en forme d’essai documentaire. La deuxième

L’historien d’art Wouter van der Veen cosigne Vincent van Gogh à Auvers, ouvrage passionnant qui se concentre sur les derniers jours du peintre. Son mérite est de faire voler les stéréotypes en éclats, donnant une image de l’auteur des Tournesols bien différente du cliché généralement véhiculé.

est consacrée à la reproduction et au commentaire de la totalité (le travail de recherche et de rassemblement des images fut titanesque) des tableaux et études de van Gogh à Auvers, où l’on retrouve une campagne étonnamment similaire à celle d’aujourd’hui.

Rectifications

« Avant d’arriver à Auvers », explique Wouter van der Veen, « van Gogh avait eu 37 adresses en 37 ans. À chaque déménagement, il avait beaucoup jeté. Pour les 71 derniers jours de sa vie, nous disposons de tous ses brouillons, études et tableaux. On peut ainsi tenter de retracer, à travers ses hésitations, son processus créatif ». En affirmant ainsi que cette période est la plus pro-

Vincent van Gogh, Le jardin de Daubigny au chat, croquis dans la lettre du 23 juillet 1890 © agence lovetc

lifique de l’existence de l’artiste, on se trompe. Les autres l’étaient sans doute tout autant, mais il avait eu le temps de faire le tri. Si on dispose de plus de 80 œuvres, cela ne signifie pas de plus que l’étiquette “tableau” qu’on a collée sur certaines d’entre-elles soit juste. L’ouvrage tente de rétablir une classification plausible au sein d’une production importante. Dans le Val d’Oise, van Gogh « travaille énormément. Il se lève à 5h du matin, se couche à 21h. Dans l’intervalle, il ne cesse presque pas de peindre ». Une autre idée reçue est ici battue en brèche. « Comment voulez-vous », interroge Wouter van der Veen, « qu’un homme miné par l’alcool, rongé par la folie et complètement exalté ait un tel rythme ? Il ne faut pas oublier qu’il passait ses journées à battre la campagne avec vingt kilos de matériel sur le dos ! » En lisant ce livre, nous sommes bien loin de l’image qu’on a généralement de Vincent van Gogh. Exit Jacques Dutronc dans le film de Maurice Pialat. Exit les essais savants décrivant avec un luxe de détails les – multiples – pathologies dont il souffrait. « Comment pouvez-vous analyser l’état de santé d’un homme qui a vécu il y a 130 ans ? La vérité c’est qu’on aime projeter ses propres fantasmes sur l’artiste. Il y a toute une littérature qui explore ce champ pseudo-scientifique ».

Expérimentations

Pour l’artiste maudit, on repassera d’autant que Wouter van der Veen nous présente un homme érudit (parlant quatre langues), venu d’une famille bourgeoise qui a toujours vécu confortable32 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10


BEAU LIVRE – PEINTURE

ment, reconnu et entouré de l’amour des siens. Ce n’est sans doute pas un hasard si la veuve de Théo, Johanna Bonger (à laquelle est consacrée l’éclairante troisième partie de l’ouvrage) a

« Vincent van Gogh n’était pas un paria, solitaire, halluciné, pauvre et asocial » dédié toute sa vie à la reconnaissance de l’œuvre de son beau-frère. « Non, il n’avait pas, au cours de sa vie vendu qu’un seul tableau, comme on le prétend. Vincent van Gogh n’était pas un

paria, solitaire, halluciné, pauvre et asocial », résume Wouter van der Veen. Il faut sortir de ce raccourci trompeur et reconnaître le génie de celui qui avait ses compositions en tête et les jetait sur la toile avec une habileté et une technicité impressionnantes. Le parallèle avec Mozart se fait séduisant… On découvre l’artiste sous un jour nouveau au fil de ces quelque 300 pages écrites avec fluidité, sans afféteries, où la rigueur scientifique sait ne pas se faire austère2. Lisibilité grande, donc. Renforcée par une partition graphique, signée Peter Knapp, placée sous le signe de la modernité, appliquée et interprétée avec brio par Fanny Walz. À Auvers, Vincent van Gogh, lui aussi, fait preuve de “modernité” et ne cesse d’expérimenter, de chercher, « mettant au point

un vocabulaire graphique fascinant, une sorte d’alphabet. Un système où par exemple, les feuilles d’arbres ont une forme de fer à cheval ». Ses dessins sont également ébouriffants : « En trois traits, il représente une poule. Elle est vivante. Elle vibre ». Wouter livre là, en quelques mots, une définition du génie… Six volumes, en coffret, aux éditions Actes Sud www.actes-sud.fr Il n’y a, par exemple, aucune note de bas de page, un choix délibéré de Wouter van der Veen « pour éviter le surréférencement »

1

2

Texte : Hervé Lévy

m Vincent van Gogh à Auvers est paru aux Éditions du Chêne (45 €) www.editionsduchene.fr www.arthenon.com/showVG

Vincent van Gogh, Champs de blé aux coquelicots, collection particulière, © D. R.

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MARIONNETTES – TNS, TJP & FILATURE

Apartheid de l’esprit Créé en 1992, Woyzeck on the Highveld est la transposition de la pièce inachevée de Büchner au contexte politique, social et racial de l’Afrique du Sud. Après 17 années de tournée mondiale, William Kentridge et la Handspring Puppet Company1 joueront pour la dernière fois ce spectacle de marionnettes au TNS.

34 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

E

n 1837, Georg Büchner s’éteint. Il a 23 ans et le typhus ne lui a pas laissé le temps d’achever sa dernière pièce, Woyzeck. Devenue un classique du théâtre allemand, cette lente chute dans la folie d’un soldat allemand au début du XIXe siècle est un texte empli de colère contre la société et de désespoir en l’homme qui n’a cessé de résonner en William Kentridge depuis les années 70. Il en vit alors une représentation en Afrique du Sud, dont les images ne cessèrent de l’accompagner dans son travail. Célèbre artiste de Johannesburg connu pour ses sculptures et dessins d’animation au charbon, il débute une collaboration féconde avec la Handspring Puppet Company en 1992. La fin officielle de l’apartheid n’a qu’un an et Nelson Mandela est libre après 27 ans d’emprisonnement. Mais la question raciale est encore loin d’être résolue. Monter Woyzeck on the

Highveld avec des comédiens et des manipulateurs de marionnettes blancs et noirs constituait (et constitue toujours) un acte de résistance active, tant dans son propos que dans sa réalisation.

L’abîme de l’âme

Woyzeck y est un travailleur migrant qui erre dans les paysages fantomatiques du plateau minier du Highveld situé dans le Transvaal2. Sur fond d’industrialisation à grande vitesse dans les années 50, ce mineur noir sans le sou est aux prises avec un contremaître blanc raciste et un médecin – blanc lui aussi – qui l’utilise comme cobaye pour d’étranges expérimentations. La pression sociale, la violence de la pauvreté et l’amour s’estompant de sa compagne succombant aux charmes d’un autre poussent irrémédiablement Woyzeck dans la folie. À la beauté plastique de marionnettes aux têtes sculptées dans


du bois qui leur confèrent des traits aux aspérités expressives s’ajoutent les superbes animations constituées de dessins au charbon du metteur en scène projetées en toile de fond. Tour à tour, s’y révèlent les pensées des protagonistes et leur imaginaire, les lignes d’un paysage chaotique ou d’un intérieur dépouillé. Une constellation d’objets y prend forme, dessinant une allégorie poétique des bouleversements psychologiques et des obsessions d’un personnage principal malmené par la vie et la marche en avant de la société moderne.

La magie du jeu

Flottant dans ses fripes, Woyzeck est manipulé à vue comme toutes les autres marionnettes à tiges du spectacle. Le talent des membres du Handspring Puppet resplendit lorsqu’ils évoluent à côté des marionnettes, quittant le mur de planches les dissimulant quand ils sont en dessous d’elles. L’effet “magique” de mouvement des pantins est atténué par la présence, à leur hauteur, des comédiens-manipulateurs. Pourtant, l’expressivité et l’intensité de leur jeu et de leur

maniement apportent un supplément d’âme et de sens à l’action : le ballet à trois (une marionnette évoluant grâce à deux acteurs) d’un mineur creusant sur un rythme et des chants africains, le délire du Monsieur Loyal de la pièce qui, armé de son porte-voix, présente un tour de dressage de rhinocéros…

Monter Woyzeck on the Highveld avec une compagnie composée de Blancs et de Noirs dans l’Afrique du Sud postapartheid constitue un acte de résistance active Inéluctablement, notre héros torturé perd pied sous le regard malveillant de son médecin qui ne voit en lui qu’un « sujet intéressant » parmi d’autres. Dans une économie de mots, William Kentridge s’appuie sur la force suggestive des images et un phénoménal travail de composition sonore et musicale pour

avancer dans l’histoire et pénétrer les ténèbres de l’existence humaine. La pièce de Büchner – inspirée d’un fait divers – retrouve, dans cette adaptation au contexte de l’apartheid, les accents d’authenticité et de fine acuité que l’auteur lui avait conféré. Cruelle ironie de l’Histoire, c’est en plein débat – posé en des termes aussi démagogiques que nauséabonds – sur “l’identité nationale” orchestré par le gouvernement français que prendront définitivement fin les représentations de cette relecture poignante et engagée de Woyzeck. 1 2

www.handspringpuppet.co.za Région du nord de l’Afrique du Sud Texte : Thomas Flagel Photos : Barney Simon

m À Mulhouse, à La Filature, du 1er au 3 décembre 03 89 36 28 29 – www.lafilature.org m À Strasbourg, au TNS (en collaboration avec le TJP), du 8 au 20 décembre 03 88 24 88 00 – ww.tns.fr 03 88 35 70 10 www.theatre-jeune-public.com

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SPECTACLE MULTIMÉDIA – LA FILATURE

Hybridations Technologiques Titre : Territoires de l’âme. Sous-titre : Rituel multimédia pour 12 307 amis, un comédien et sa Wii. Auteur : Jonathan Pontier qui livre quelques clefs de sa nouvelle création proposée à La Filature, en partenariat avec les Dominicains.

N

é en 1977, Jonathan Pontier est un compositeur qui sait ce que le mot “fusion” veut dire : pour son nouveau spectacle, « le cadre est electro, mais on voyage pas mal » avec un mélange musical « bordélique et irraisonné ». Pas étonnant pour celui qui affirme que « la musique dite contemporaine manque souvent de vie. C’est beau comme le latin… mais presque également une langue morte. Je ne me retrouve pas dans une musique élitiste et complexe. Créer des “crossover” avec la rue me semble primordial, mais c’est aussi ce que firent des compositeurs aujourd’hui qualifiés de “classiques”,

« Une fable autour des nouvelles technologies » comme Bartók, en intégrant le folklore de différents pays dans leur œuvre. » Ses Territoires de l’âme sont une partition hybride, mi-écrite mi-improvisée, jouée par quatre musiciens sur scène (clarinettes, saxophones, guitare, percus et scratch pour simplifier). Il lâche quelques référents, « post-Zappa », « musi-

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que contemporaine qui se transcende vers Radiohead ». Cet objet artistique multiple, sorte de concert scénique, évoque en outre, par certains aspects, Heiner Goebbels, mêlant musiques, vidéos et textes (un comédien et des anonymes qui ont enregistré des phrases sur le site http://territoiresdelame.free.fr). Mais quel est le sujet de cet « opéra du XXIe siècle sans voix – Ah si, une voix off » ? Jonathan Pontier le définit en quelques mots : il s’agit d’une « fable autour des nouvelles technologies ». D’où le sous-titre : « rituel multimédia est une association antinomique qui évoque à la fois les aspects mythologiques et technologiques du spectacle ». Et les 12 307 amis ? Et la Wii ? « Le sous-titre est aussi là pour foutre la m**** » sourit-il. Avec un tel intitulé, la curiosité est néanmoins puissamment titillée. Reste que, sur scène, le comédien aura une Wii… et un iPhone, « les deux sceptres du mage accomplissant un rite initiatique, célébrant le grand mystère

technologique de l’homme ». Puisque c’est bien de cela qu’il s’agit : ausculter le rapport à la magie de l’être humain, du silex au GPS. « Vous n’avez pas remarqué ? », demande le compositeur. « Aujourd’hui les gens avancent parce qu’ils voient où ils vont sur l’écran de leur téléphone mobile. Cela induit de nouveaux comportements. De nouvelles postures et même des gestes inédits. » C’est aussi cette évolution de l’homo sapiens analogicus vers l’homo technologicens numericus qu’explorent ces étonnants Territoires de l’âme. Texte : Hervé Lévy Photo : Christophe Raynaud de Lage

m À Mulhouse, à La Filature, mardi 26 et mercredi 27 janvier 2010 03 89 36 28 29 – www.lafilature.org 03 89 62 21 82 – www.les-dominicains.com


la Regionale ? était un

pays

Barbara BUGG I Gianin CONRAD I Ildiko CSAPO Chloé DUGIT-GROS I Katja FLIEGER I Andreas FRICK Bertrand GONDOIN I Anita KURATLE Comenius ROETHLISBERGER & Admir JAHIC Christina SCHMID I Bruno STEINER Emanuel STRASSLE I Selma WEBER Et Tina Z’ROTZ & Markus SCHWANDER

La KunsthaLLe MuLhouse Centre d’art ConteMporain Tél. +33 (0)3 69 77 66 47 www.kunsthallemulhouse.com

une exposition de Bertrand LeMonnier et sandrine WYMann

5, rue de la Manufacture des Tabacs, Strasbourg www.esad-stg.org/chaufferie

Exposition

Ultralight Harmen liemburg

Du 11 décembre 2009 au 17 janvier 2010 Jeudi 10 décembre : 17 h 30 conférence/19 h vernissage Ouvert du mercredi au samedi 15-19 h. Nocturne le jeudi

31 OCTOBRE 2009 3 JANVIER 2010

MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN 1, PLACE HANS JEAN ARP / STRASBOURG WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG Graphisme : Rebeka Aginako

Barbara Bugg - David, 2009 — Conception : médiapop.fr + STARHLIGHT

27.11.09 ➳ 10.01.10

La Chaufferie galerie de l’école supérieure des arts décoratifs de strasbourg

et si

la Chaufferie


Art contemporain – CRAC Alsace

l e e r Extra Bertille Bak et Damien Cadio ont investi les salles du Crac Alsace avec leurs œuvres, les mêlant dans le large couloir, devenu un Passage à faune.

uand deux univers sont distincts, mais que des liens évidents existent entre eux, on crée, pour les relier, des voies de communication nommées “passages à faune” : ici, celle des émotions, des impressions, des intuitions… Les peintures de Damien Cadio, trentenaire français installé à Berlin – « ville qui au contraire de Paris laisse une énergie intacte pour créer » – provoquent une réelle fascination. Sa pratique très maîtrisée de la peinture à l’huile et le respect des artistes du XIXe pour lesquels il a « ressenti un coup de foudre à Orsay », son choix récurrent « d’un fond noir, violent, calmé par des couleurs très pures mais salies », font basculer l’anecdotique, le fantastique ou l’horreur vers une semi-réalité suspendue et esthétisée. Un rapport intime où l’inquiétant n’est pas effrayant, où l’infime devient intéressant, s’installe doucement, parlant parfois avec humour du chaos potentiel. Peut-être celui même qui préside à la création : « J’amasse des milliers d’images et je cherche ce qui va finir en tableau, en en peignant dix en même temps pour être sûr de ne rien maîtriser. » Dans l’arythmie entre les formats exposés, naît aussi œuvre après œuvre une narration individuelle, émotionnelle.

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Damien Cadio, Deep sea diver, 2009, Courtesy Damien Cadio

Mais dans ce même espace, d’autres faunes sensibles surgissent. Ils portent l’histoire de “vrais gens”, ceux de peu qui ont travaillé dans le nord de la France toute leur vie et sont riches de leurs souvenirs heureux, quand leur cité minière est déjà morte. Avec ce regard d’artiste qui voit les oiseaux dans les cintres, Bertille Bak capture en vidéo la mémoire cristallisée de belles et vieilles âmes humaines, crée des situations surréalistes, ou encore questionne ces vies de travail dans une installation mettant en scène des fourmis. À défaut de sauver le monde, elle « dit tout haut ce qui est étouffé et donne la parole aux gens qui ne sont pas écoutés ». Elle s’improvise conservatrice d’un patrimoine immatériel qui disparaît : le lien social, chassé avec les pauvres d’un immobilier neuf aux loyers triplés. Du Radeau

de la Méduse qu’elle fait tisser de ville en ville par les derniers représentants de ce monde fini, elle aura retenu au-delà de la fatalité, l’humanité. Les œuvres de Damien Cadio et de Bertille Bak dialoguent ainsi dans un hors-temps, une extra-réalité qui laisse affleurer l’impromptu et le magique, faisant du spectateur un passeur des faunes qui peuplent son cœur d’humain. Texte : Arnaud Weber

m À Altkirch, au Crac Alsace, jusqu’au 3 janvier 2010 03 89 08 82 59 – www.cracalsace.com


ORChEStRE

PhIlhARMONIqUE dE StRASBOURg

ORChEStRE NAtIONAl

SAISON O9/1O JANVIER JEU. 14/01 & VEN. 15/01 | 20h30 | PMC SAllE ÉRASME

SIR ANdREw dAVIS / dIRECtION thIERRy ESCAICh / ORgUE BARBER MEdEA’S MEdItAtION ANd

dANCE

Of VENgEANCE

ElgAR IN thE SOUth (AlASSIO) SAINt-SAëNS SyMPhONIE N°3

EN Ut MINEUR,

dItE «AVEC ORgUE»

dIM. 17/01 | 11h | CItÉ dE lA MUSIqUE Et dE lA dANSE AUdItORIUM

ANNE ClAyEttE / flûtE_SÉBAStIEN gIOt / hAUtBOIS SÉBAStIEN KOEBEl / ClARINEttE_SÉBAStIEN lENtz / COR gUIlhAUME SANtANA / BASSON_dANy ROUEt / PIANO

SAINt-SAëNS

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CAPRICE SUR dES AIRS dANOIS Et RUSSES POUR flûtE, ClARINEttE, hAUtBOIS Et PIANO

CAPlEt

qUINtEttE POUR flûtE, hAUtBOIS, ClARINEttE, BASSON Et PIANO

ROUSSEl

dIVERtISSEMENt POUR PIANO Et qUINtEttE

à VENt

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RENSEIgNEMENtS : 03 69 06 37 06 / www.PhIlhARMONIqUE-StRASBOURg.COM BIllEttERIE : CAISSE OPS ENtRÉE SChwEItzER dU lUNdI AU VENdREdI dE 10h à 18h / BOUtIqUE CUltURE, 10 PlACE dE lA CAthÉdRAlE dU MARdI AU SAMEdI dE 12h à 19h © CONCEPtION : hORStAxE.fR | PhOtOgRAPhIE : ChRIStOPhE URBAIN I MONtAgE BKN.fR | IMP INt C.U. StRASBOURg / lICENCES d’ENtREPRENEURS dE SPECtAClES N° 2 : 1006168 Et N°3 : 10066169


JAZZ – PÔLE SUD

T'imprimes ?

Au terme d’une résidence à Pôle Sud, le saxophoniste Sylvain Cathala présentera la nouvelle création de son quartet fondé en 1996, Print. Impressions… Les titres de vos œuvres et le nom de vos formations (Print ou Rolex) sont à la fois très simples et chargés de sens… Il faut signaler que le Trio Rolex va changer de nom car c’est une marque déposée… et qu’on nous a beaucoup demandé si nous étions un groupe sarkoziste (rires). Pour répondre à votre question, j’aime bien qu’il y ait divers angles possibles. Par exemple, chez Print, il y a souvent plusieurs rythmes superposés. L’auditeur choisit de se baser sur l’un ou d’en privilégier un autre. Pour les titres et les pochettes, j’essaye de travailler sur ce même principe de multiplicité d’approches. Qui joue dans Print ? Il y a eu plusieurs musiciens en son sein, mais la formation est stable depuis une dizaine d’années. Je dois avouer que j’ai beaucoup de chance. Le contrebassiste Jean-Philippe Morel apporte une vision très personnelle. Franck Vaillant, je le dis et le répète, est pour moi un des meilleurs batteurs du monde ! Quant à Stéphane Payen, au saxo alto, C’est un incroyable soliste, un ami de longue date, mon alter ego. Lorsque vous composez, vous apportez un matériau musical de base, puis les orchestrations se tissent, lors des répétitions ou des performances scéniques… J’apporte la matière première, mais en laissant des portes ouvertes. Autrement dit, les compositions sont écrites, mais 40 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

en pensant aux autres membres du groupe. Duke Ellington travaillait déjà comme ça. Le live est important, nous faisons une musique de scène. Hélas, nous rencontrons des problèmes de diffusion. Est-ce dû au style inclassable de Print, entre jazz, musique contemporaine et rock alternatif ? J’ai posé la question aux programmateurs de festivals de jazz qui n’ont pas clairement répondu. Nous faisons une musique métissée et sommes attentifs à ce qui se fait du côté du rock, de la musique classique, ethnique, folklorique. Maintenant, pour savoir dans quelle mesure ces influences sont présentes dans notre musique… Quelques mots sur votre résidence à Pôle Sud… Une résidence est un temps de travail professionnel nécessaire dont Print n’a encore jamais vraiment bénéficié. Il permet de réunir notre équipe pour explorer

un nouveau répertoire et développer des habitudes de jeu que nous avons forgées. Nous allons peut-être enregistrer, en studio ou en live, le résultat de cette résidence qui arrive à point nommé : en 2010, Print part tourner dans les pays scandinaves. Propos recueillis par Emmanuel Dosda Photo : Nicolas Kontos

m À Strasbourg, à Pôle Sud, vendredi 22 janvier (rencontre avec le groupe à l’issue du concert) ; master-class avec Sylvain Cathala, dans le cadre de la résidence, mardi 19 janvier (inscription obligatoire) 03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr


Roger Dale, LA peinture & Christian lapie, sculpture VOIX DU MAÎTRE présente Galerie la le peintre Roger DALE etVoix le du Maître sculpteur Christian LAPIE à la art Karlsruhe, Halle 3, stand H36 Foire « Art Karlsruhe 2010 » Photo Alain Hatat

Foire d‘art moderne et contemporain 4 au 7 mars 2010 www.lavoixdumaitre.eu

ART KARLSRUHE Messe 2010Karlsruhe

7ÈMEwww.art-karlsruhe.de ÉDITION

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UAtrE VOIx

à la foi

A

près les routiers bulgares dans Cargo Sofia, les retraités suisses passionnés de modélisme ferroviaire de Mnemopark, et les rêves d’avenir des enfants nomades d’Airportkids, Stefan Kaegi se penche sur le sort des muezzins du Caire. En voyage dans la ville aux mille minarets – on y dénombrerait en fait pas moins de 30 000 mosquées –, le metteur en scène fait « l’expérience acoustique la plus impressionnante de [s]a vie » à l’heure de l’appel à la prière. Le brouhaha de cette ville de plus de huit millions d’habitants est, cinq fois par jour, noyé par les chants rituels invitant les musulmans à prier. Une situation à laquelle le Ministère des affaires religieuses a décidé 42 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

Stefan Kaegi, co-fondateur du collectif Rimini Protokoll1, revient au Maillon avec Radio Muezzin. Un “docu-théâtre” sur le quotidien et le devenir de quatre muezzins égyptiens, menacés d’être remplacés par une radiodiffusion généralisée.

de remédier, dès l’an prochain, en sélectionnant une quarantaine de muezzins, parmi les milliers officiants. À tour de rôle, leur azan2 sera retransmis sur les ondes radios dans toutes les mosquées de la ville.

De voies en voix Le Rimini Protokoll s’entoure quasi exclusivement de “spécialistes”, des personnes jouant leur propre rôle. Stefan Kaegi a rencontré des dizaines de muezzins du Caire. Quatre d’entre eux se retrouvent sur scène, accompagnés par un technicien de la radio cairote. Sur un tapis de prière rouge, ils content leur histoire, font résonner le azan, litanie religieuse aussi mélodieuse qu’ob-

sédante. Né aveugle, Hussein Gouda Hussein effectue deux heures de trajet en bus chaque jour pour se rendre dans sa petite mosquée où il enseigne le Coran. Un habit d’apparat représente six mois de son maigre salaire. Un second est électricien de profession. Allant de chantier en chantier en Arabie Saoudite après un passage dans l’armée pour la guerre des six jours en 67 et celle du Kippour en 73, cet ancien qui arbore une barbe blanche fournie n’a débuté la lecture du Coran qu’après un grave accident lui ayant laissé une plaque de métal et six broches dans la jambe. Les photos qui défilent sur chacun des quatre écrans placés derrière eux montrent à quel point leur parcours, leur rôle


THÉÂTRE – LE MAILLON

social, leur quotidien, leur érudition et même leur avenir divergent. Les foyers de travailleurs où logea toute sa vie l’électricien tranchent avec les clichés de Mohammed Ali. Cet ancien haltérophile (homonyme du célèbre boxeur afro-américain), au physique de déménageur coincé dans un costard européen, est devenu recordman de lecture du Coran sur une radio koweitienne. Depuis lors, il est invité dans les plus beaux palaces par les grands de ce monde. Lui, fera partie des 40 futurs muezzins radiophoniques.

Théâtre documentaire Par sa mise en scène épurée rappelant le dépouillement et la sobriété des lieux de prière musulmans, Stefan Kaegi invite à la contemplation et à l’écoute. Son travail de l’obscurité et des halos de lumière qui entourent les muezzins à chaque prise de parole sacralise l’espace scénique et renforce l’attention portée aux chants et versets entonnés. Le public non-arabophone, dégagé du sens des paroles, se laisse aisément emporter par la grâce à l’émotion brute de leur interprétation, par la vibration intérieure de leurs envolées. Désormais désignées par le Ministère des affaires religieuses comme remplaçables et interchangeables, ces quatre voix témoignent sous nos yeux, et de la plus belle

des manières, de leur particularisme : chaque spectateur fait l’expérience de la confrontation de ces chants avec son cœur profane. La beauté tout en simplicité de la présentation frontale de ces vies – très joli travail vidéo sur les quatre écrans – évite les écueils du misérabilisme, du sentiment de supériorité et de la prise de parti. Un théâtre du réel qui n’en laisse pas moins transparaître la place

Nous voilà en prise directe avec les témoins impuissants de la fin d’une époque des femmes (derrière des paravents), les charges de travail et la précarité sous-jacente : Mansour Abdel Salam Mansour, quatrième muezzin, est ainsi chargé de passer l’aspirateur dans sa mosquée et travaille dans une boulangerie, le soir venu, pour subvenir aux besoins de sa famille.

dardisation de la cérémonie de l’appel à la prière est érigée en progrès ultime. Pourtant, comme toute normalisation, celle-ci n’est pas sans arrière-pensée pour le pouvoir en place. Faire passer les muezzins d’un millier à une quarantaine, c’est reprendre en main les mosquées, tarir la diversité, niveler un peu plus le rapport des fidèles au religieux, alors même que l’azan n’est pas défini mélodiquement dans le Coran. Un miroir sans fard d’une pratique religieuse et sociale soumise aux bouleversements de la modernité que les muezzins disent, pour l’un ouvertement, pour d’autres à demi-mots, ne pas comprendre. 1 2

www.rimini-protokoll.de azan (prononcé adhân) signifie appel à la prière en égyptien

Texte : Thomas Flagel Photos : Braun/drama-berlin.de

m À Strasbourg, au Maillon-Wacken, du 3 au 5 décembre 03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com m À Forbach, au Carreau, mercredi 9 et jeudi 10 décembre 03 87 84 64 34 – www.carreau-forbach.com

Tradition et modernité Nous voilà en prise directe avec les témoins impuissants de la fin d’une époque, de l’avancée implacable du monde moderne et de la technologie au mépris du quotidien et du lien social. La stan-

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portrait

Jeunesse sonique Hier encore discret, le jeune Collectif KIM est devenu incontournable dans la sphère pop strasbourgeoise : avalanche de sorties de disques, de concerts des membres du clan, d’événements organisés au Molodoï et ailleurs… Qui est KIM ? Portrait de groupe. ntoine et Josh, pierres angulaires actuelles du collectif qui regroupe des « projets musicaux parallèles ou croisés », ne se connaissaient pas en 1994. Pourtant, ils ont eu une même révélation, cette année-là à la Meinau, lors du show de Pink Floyd. Une claque. Suivront, l’écoute en boucle des sorties britpop, les groupes composés « de copains du lycée », les expériences associatives… Et KIM, en hommage à la blonde charismatique Kim Gordon. Un (pré)nom tout trouvé d’autant que la ressemblance entre Constance d’Away From Luka (membre de KIM), et la chanteuse de Sonic Youth est frappante. Début 2006 : Antoine, Christophe et Audrey de L.I.P.S. et / ou de Ventre, deux groupes de rock atmosphérique influencés par Sonic Youth, fondent le collectif. Il regroupe L.I.P.S. et Ventre, mais aussi A Second of June, The Secretive Show, Away From Luka et Volga. Autant de formations dont les membres se croisent (voir discographie) et qui partagent un même local de répétition à Geispolsheim. « Mutualiser. » Voilà le but de KIM qui, pour Josh, a « la volonté de mettre en commun, de collectiviser les énergies de chacun ». Mais aussi pour vocation d’« offrir de la visibilité

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aux différents projets, de leur donner corps » grâce, notamment, à un site Internet et à une communication efficace : affiches, flyers sur papier glacé qu’ils éditent depuis octobre 2009… Une grande partie des membres de KIM sont profs ou instits. Tous donnent beaucoup de leur temps libre au collectif qui aimerait devenir, d’après Antoine, « une véritable plateforme pour produire sur scène des groupes peu connus », à tarif abordable. « Un vecteur de découvertes. » Outre l’organisation de concerts de ses formations, le collectif

propose des lives – de plus en plus nombreux – de gens proches de l’esprit de la tribu : « un côté expérimental, hors des sentiers battus ». Ainsi, le collectif organise des soirées thématiques, essayant toujours de « donner une cohérence maximale entre les groupes locaux et les têtes d’affiche ». Ainsi, A Second Of June a fait la première partie de For Against, Volga de Swell, L.I.P.S. de Stellardrive, The Secretive Show d’Exonvaldes, Ventre de Dianogah ou Plokk... Tous ont joué dans des galeries (Stimultania…), des bistrots (Le Zanzibar, le MFK…) et surtout au Molodoï, scène


Quelques disques commentés par KIM Like In Primal Scum (L.I.P.S.) (Christophe, Florian, Audrey, Thierry, Antoine) - #1 Première sortie du Collectif, le #1 de L.I.P.S a été enregistré live par Phil Scrotum en 2006. Les ancêtres de KIM jouent un post-rock joyeux et décomplexé, sans limite sonore, fait de longues montées, de basses intenses, de guitares mêlées et croisées de dialogues cinématographiques. Ventre (Josh, Laure, Antonin, Audrey) - S/T L’unique disque de Ventre a été enregistré par Vincent Robert (Herzfeld). Il a marqué l’histoire du Collectif par la qualité et la radicalité de ses compositions et de sa production. Formation inclassable, Ventre torture les guitares et pose des voix inquiètes sur une solide et profonde base rythmique.

underground gérée par l’association du même nom. KIM se réjouit : la Ville vient tout juste de renouveler son bail pour 12 ans. « Le Molodoï

Josh : « nous n’organisons pas des soirées “ fourre-tout ” » n’est pas un endroit crasseux, mais de culture » insiste le collectif qui cherche à « redorer son image ». Dernièrement, KIM y a convié Be My

Weapon, projet folk sombre de David Freel, ex-Swell, ou encore Troy Von Balthazar, nouveau projet solo de l’ancien Chokebore. Swell, Chokebore, mais aussi Cat Power, Elliott Smith, Fugazi, My Bloody Valentine… Des formations “indé” des années 90 (un âge d’or) qui ont forgé la personnalité des membres du collectif. À la liste des modèles, il faudrait ajouter Do Make Say Think ou encore Godspeed You! Black Emperor, groupes postrock de Constellation Records, label montréalais indépendant, radical, engagé et communautaire, un exemple pour KIM.

A Second of June (Grégory, Olivier, Josh, Elsa) - The Inside Laws Changement de cap par rapport aux sorties précédentes, The Inside Laws, très bien reçu par la critique, apporte un souffle wave à KIM. Il s’agit du premier véritable album produit par le collectif qui a découvert A Second of June lors de son concert avec Early Day Miners au Molodoï. The Secretive Show (Antoine, Constance, Rémy, William) - (A dot of Dust) in the Burning Plight Entièrement autoproduit, c’est le premier album de Secretive Show qui était alors un duo. Enregistré à la maison avec des rythmiques issues d’objets du quotidien, il est fait de nombreux gimmicks folk joués à la maison, et qu’on s’est finalement décidé à enregistrer.

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KIM, un label ? Si la plupart des artistes du collectif ont sorti un ou plusieurs CD’s estampillés KIM, son catalogue, visuellement éclectique (chaque artiste est libre quant à ses choix esthétiques, « son impact visuel »), regroupe CD’s bien conditionnés (boîtier cristal, etc.) et disques au packaging plus do it yourself. Chaque auteur des enregistrements édités prend en charge les frais de pressage et d’impression ainsi que sa propre distribution. Même si KIM aimerait devenir un “vrai” label distribué nationalement, il est heureux d’être un tremplin pour ses artistes. Ainsi, le nouvel album pop-wave d’A Second Of June sortira au printemps 2010 sur Herzfeld. Selon Renaud Sachet, le boss, « il y a des ponts entre KIM et Herzfeld » qui aiment « travailler par capillarité ». Et d’ajouter : « A Second Of June est un groupe talentueux, et

on leur a proposé de sortir un disque, simplement. Après, KIM vit sa vie et nous aussi. Pas de tentative d’OPA de notre part ». Hésitations par rapport au local de répét’ qu’il cherche à quitter, inquiétudes quant à la fréquentation du public du Molodoï qui « est de plus en plus inégale ces temps-ci », fragilité de l’économie KIM (disques vendus essentiellement lors des concerts, cachets des artistes à régler, etc.), conciliation entre vie du collectif et vie personnelle et professionnelle… Pas le genre de détails qui feraient baisser les (nombreux) bras du collectif qui veut se développer encore et, toujours, « garder la flamme ». Texte : Emmanuel Dosda Photos : Jean-Philippe Senn

m www.collectifkim.org

KIM Records - V/A A priori éclectique, cette compilation de deux titres de chacun des groupes du collectif se révèle étonnement homogène. Elle dévoile la griffe KIM, faite d’une sensibilité et d’influences communes qui se déclinent aussi bien en post-rock qu’en mélodies pop ou en chansons folk. Away from Luka (Stéphane, Constance, Rémy, William, Thierry) - S/T - fin 2009 AFL livrera plusieurs singles auto-enregistrés et sérigraphiés par Audrey Canalès. Une véritable synthèse de l’esprit KIM : on y retrouve le folk de Secretive Show et la voix de Constance commune aux deux groupes, les claviers éthérés de Volga et de Second of June, l’efficacité des guitares de Ventre, et même quelques accents post-rock chers à L.I.P.S. The Secretive Show - Blow sortie janvier 2010 Ce 6 titres, enregistré au Kid Studio (à Brouviller en Moselle), célèbre une nouvelle formation en quatuor et annonce un futur album. Chansons pop plus enlevées, mélodies moins mélancoliques et les voix de Constance et d’Antoine qui ne cessent de se poursuivre au fil des couplets. Inclus : deux remixes electro de William, alias Willbe, batteur et créateur de sons.

Prochains concerts A Second of June : L’Emile Vache, à Metz, le 20 février 2010 The Secretive Show & Away from Luka : Le Korrigan à Strasbourg le 3 décembre ; Jeannette et les Cycleux à Strasbourg le 10 décembre ; Stimultania le 21 janvier (AFL avec performance de dessins avec Audrey Canalès) ; Le Café des Anges le 9 février Away from Luka : La Laiterie le 4 décembre ; Le Café des Anges le 10 février (avec Audrey Canalès)


2009 2010

Beyrouth adrénaline de Hala Ghosn et Jalie Barcilon mise en scène Hala Ghosn en partenariat avec le festival Strasbourg Méditerranée

LE SPECTACLE VIVANT EN TOURNÉE 18 SPECTACLES DANS 36 VILLES D’ALSACE

LES CRÉATIONS DE LA SAISON

La Compagnie Jamaux/Jacquot crée

Fans

au Relais culturel de Wissembourg :: 12, 13 ET 14 NOV. 20h30 Chapiteau du Relais culturel, Wissembourg :: 26 NOV. 20h30 - La Coupole, Saint-Louis :: 18 DÉC. 14h30 et 20h30 - Espace Grün, Cernay :: 30 MARS 20h30 - Espace Athic, Obernai :: 27 AVRIL 20h30 - Tanzmatten, Sélestat

Taps Scala en décembre les 4 et 5 à 20h30, dim. 6 à 17h Production La Poursuite et Cie Makizart – Création 06

Le plus heureux des trois

Fans

d’Eugène Labiche au Théâtre Municipal de Haguenau

mise en scène Dominique Jacquot assisté de Marie-Anne Jamaux

Unique & Compagnie crée

:: 25 ET 26 FÉV. 20h30 Théâtre Municipal, Haguenau :: 2 MARS 20h30 - Espace Athic, Obernai :: 6 MARS 20h30 - Saline, Soultz-sous-Forêts :: 23 MARS 20h30 - Espace Rohan, Saverne :: 3 AVRIL 20h30 - PréO, Oberhausbergen Graphisme polo po.lo, lo. photos Raoul Gilibert

La Compagnie Les oreilles et la queue crée

Mademoiselle Maria K dans Médée de Sénèque en solo, en intégrale (ou presque) au Relais Culturel d’Erstein :: 4 MARS 20h30 Salle de spectacle du C.H.E, Erstein :: 6 MARS 20h30 - Salle polyvalente, La Broque :: 7 MAI 20h30 - Espace Athic, Obernai

Retrouvez toute la programmation sur www.culture-alsace.org

Taps Gare en décembre du 8 au 12 à 20h30, dim. 13 à 17h Production Cie Jamaux-Jacquot, Strasbourg – Création 09

Un théâtre dans la ville, Les Taps

03 88 34 10 36 – www.strasbourg.eu – resataps@cus-strasbourg.net


THÉÂTRE – COMÉDIE DE L’EST

Le temoignage est un sport de COMBAT En pleine création d’Il était une fois Germaine Tillion à la Comédie de l’Est, le metteur en scène Xavier Marchand évoque son travail autour de cette figure de l’ethnologie et de la Résistance française disparue, l’an passé, à 100 ans. Comment est née votre envie de monter une pièce autour des textes de Germaine Tillion ? Je l’écoutais un soir à la radio, sachant simplement qu’elle était une grande figure de la Résistance. J’ai ensuite lu ses livres et découvert qui était cette ethnologue qui a fréquenté les Chaouïas dans les Aurès. Je rêvais depuis des années d’aller en Algérie. Mais à cause de la guerre civile dans les années 90, on ne pouvait pas. J’ai fait le voyage en 2008. On y est accueillis comme des cousins. La perception que peuvent avoir les Algériens des Français n’est pas du tout la même que celle des Français vis-à-vis des Algériens de France.

« Ce qu’on a appris à Ravensbrück, c’est qu’il faut toujours se méfier du SS qui est en nous » Pourquoi les jeunes que j’ai rencontrés considèrent que la guerre d’Algérie est de l’histoire ancienne alors que chez nous, c’est une histoire qu’on a encore beaucoup de mal à dire et à avaler ? Pourquoi dans les livres d’histoire de mes enfants cela ne représente-t-il qu’une page, voire moins ? Autant de choses qui ont une répercussion sur la

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notion de nationalité et le sentiment d’appartenance à un pays, questions qui jalonnent l’œuvre et l’expérience de Germaine Tillion. C’est important de confronter ses écrits clairvoyants au contexte actuel de notre société ? Germaine Tillion est importante car c’est une figure de l’engagement. Vers quoi tend actuellement la société française ? L’augmentation du contrôle de nos espaces de liberté, un traitement honteux des immigrés… Sa pensée nous invite à la vigilance. Quand elle écrit son opérette à Ravensbrück (Le Verfügbar aux enfers, NDLR), on ne peut imaginer ses conditions de vie dans les camps. Elle le dit elle-même, ne pas avoir vécu un événement est une source d’incompréhension radicale. Les appels qui duraient 12 heures, les départs pour les chambres à gaz, l’odeur de la mort… Sentant qu’il fallait lutter contre la déshumanisation et garder une pensée vive pour ne pas sombrer, elle compose un texte plein de causticité et d’autodérision. Son déchirement a été d’autant plus grand lors du conflit algérien où la patrie qu’elle avait tant défendue se comportait de la façon dont on sait, alors que Germaine Tillion était en parfaite empathie avec ceux qu’on considérait comme des terroristes, inscrits dans la même posture qu’elle en 1940.

Quelles sont les lignes directrices de votre mise en scène ? Germaine Tillion sera-t-elle incarnée sur scène ? J’ai choisi des extraits de trois de ses livres : Il était une fois l’ethnographie1, Ravensbrück2 et Les Ennemis complémentaires3. Une des cinq comédiens sur le plateau porte plus particulièrement la voix de Germaine Tillion mais sans l’incarner. Quels sont vos choix de décors ? Tout est fait pour créer l’écrin permettant à cette parole d’être entendue. La première partie est essentiellement constituée de manipulations ayant trait à une forme d’ethnologie inventée : de la musique préenregistrée et en direct, des projections de cartes, des objets et des figurines. Ravensbrück est entrelacé


avec l’opérette avec des parties chantées et dansées. Il n’y a pas de dialogues, mais une voix qui s’adresse au public. Un aller-retour entre Ravensbrück et l’opérette, avec le personnage du naturaliste – le pendant pour l’espèce animale de l’ethnologue chez l’homme – qui fait une conférence sur ce qu’est une Verfügbar : celle qui par esprit de résistance prenait, comme Germaine Tillion, une attitude suffisamment décatie pour ne pas faire partie des colonnes de travail partant chez Siemens. La troisième partie sur l’Algérie se compose d’archives de l’INA qui reflètent le discours de l’époque, radicalement différent de celui de l’ethnologue qui alla jusqu’à rencontrer Yacef Saâdi, l’un des principaux chefs du FLN, en pleine bataille d’Alger. L’homme le plus recherché du moment lui promet

à elle, qui n’a aucun pouvoir, d’arrêter les attentats si les exécutions capitales stoppent. Cette promesse, jusqu’à son arrestation, sera tenue. Un formidable moment du spectacle que la rencontre de cette dame sans pouvoir avec le grand chef terroriste, la voir lui parler de la même façon qu’à De Gaulle ou un anonyme. Vous n’avez pas été tenté de faire résonner sa propre voix par le biais d’extraits d’entretiens radiophoniques ? Si. Nous l’entendrons probablement à la toute fin du spectacle, une minute ou deux4. Alors âgée de 94 ans, elle affirme que Ravensbrück a été pour elle absolument formidable parce qu’elle y a connu toutes les femmes d’Europe. Et de conclure avec l’esprit et l’humour qui la

caractérisaient : « Les femmes en savent long sur ce que font les hommes ». Je garde aussi ce souvenir d’Anise PostelVinay, déportée avec elle, qui est venue voir nos répétitions et nous a confié : « Ce qu’on a appris à Ravensbrück, c’est qu’il faut toujours se méfier du SS qui est en nous. » Ça fait réfléchir… Comment nous engageons-nous en ce moment, vous, moi, nos proches ? Il était une fois l’ethnographie, Paris, Éd. du Seuil, 2000 Ravensbrück a connu plusieurs éditions entre 1973 (Éd. du Seuil) et 2005 (Éd. La Martinière) 3 Les Ennemis complémentaires, Paris, Éd. de Minuit, 1960 4 L’extrait est tiré d’Une conscience dans le siècle, documentaire de Christian Bromberger et Thierry Fabre (2002) 1 2

Propos recueillis par Thomas Flagel

m À Colmar, à la Comédie de l’Est, du 4 au 10 décembre 03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com

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EXPOSITION – ART CONTEMPORAIN

P

Exposition d’art contemporain, Regionale 10 encourage la coopération transfrontalière entre une quinzaine de pôles artistiques suisses, allemands et français. Les trois structures hexagonales participantes se sont réunies autour d’une thématique commune : Et si la Regionale était un pays ? Marion Ritzmann (Bâle), Wegweiser I, 2008, photographie

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rovoquer la mobilité. Faire en sorte que les acteurs culturels, les artistes et les publics du canton de Bâle, du Bade-Wurtemberg et d’Alsace circulent, traversent les frontières. Voici les préoccupations principales de Regionale, événement initié il y a dix ans par la Kunsthalle de Bâle, et qui rassemble aujourd’hui quinze institutions dédiées à l’art contemporain, en Suisse (Projektraum M54 à Bâle…), en Allemagne (Kunsthaus l6 à Fribourg…) et en France avec la Kunsthalle de Mulhouse, la FABRIKculture de Hégenheim et, pour la première fois à l’occasion de ce dixième anniversaire,


Accélérateur de Particules à Strasbourg. 680 dossiers épluchés. Beaucoup d’approches, de médiums et 200 candidats retenus. Les trois organismes hexagonaux ont choisi une thématique : Et si la Regionale était un pays ? Pour y répondre, ils ont rassemblé les œuvres autour de sous-thèmes : le “passage” (« la représentation de paysages utopiques ») pour La FABRIKculture, le “code” (« où se situent les frontières d’un espace ? ») pour la Kunsthalle, et le “ciel” (« un espace commun et sans limites ») pour Accélérateur. Les œuvres dialoguent entre elles : il s’agit d’un véritable travail de commissariat,

« pas d’une simple juxtaposition » note Sophie Kauffenstein, directrice d’Accelérateur et commissaire de l’exposition strasbourgeoise aux côtés d’Olivier Grasser, très impliqué dans le dialogue inter-structures.

Pourquoi participer à Regionale ? Cette opération trinationale a pour vocation de penser un territoire artistique et culturel, en plus d’un espace politique ou administratif. Elle permet aux acteurs du secteur d’évaluer les différences d’organisation entre les trois régions. En France, pays très centralisé, l’État, le service public, l’idée de gratuité et les initiatives collectives sont importantes alors que la culture est davantage liée à un investissement individuel chez nos collègues germanophones. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a moins de frilosité… Sur un petit territoire géographique, il y a une multitude de positionnements esthétiques de la part des artistes et des structures. Ces dernières sont très nombreuses alors que, paradoxalement, on parle de divorce entre le public et l’art d’aujourd’hui… Plus il y a de lieux, plus il y a de place pour les différents langages. Le problème est qu’en France il y a d’énormes lacunes dans les dispositifs pédagogiques. Nous sommes dans une période de resserrement budgétaire, de transformation du rôle de chacun des partenaires, entre autres de l’État. Il est nécessaire d’encourager la complémentarité. C’est pour cela qu’a été créé, en 2006, le réseau TransRheinArt*, initié par le Conseil Régional d’Alsace et la DRAC, coordonné par le Frac ? Oui, c’est un large réseau d’une trentaine d’acteurs, des structures fixes (Ceaac, Crac, Apollonia…) et de manifestations événementielles (Sélest’art…) d’échelles très diverses. Le réseau propose une communication commune et a mis en place des groupes de réflexion pour parler des résidences,

de la médiation… Des lieux, comme les Musées de Strasbourg, ont par exemple des pratiques performantes en matière de sensibilisation. Il y a donc intérêt à mutualiser nos connaissances, nos outils, d’échanger nos méthodes. D’après vous, l’art a une fonction politique. Comment cela se traduit-il dans les travaux exposés à Regionale 10 ? En filigrane. De nombreux travaux sont traversés par des réflexions et des constats sur le monde dans lequel nous vivons. C’est dans ce sens que je parle d’art politique. En Alsace, où la notion de frontière est historiquement importante, nous avons travaillé sur le thème Et si la Regionale était un pays ? qui renvoie à la notion de crise identitaire, de nationalisme, mais aussi à l’effacement des frontières, à la question de passage, de continuité plutôt que de limite. Quelles étaient les thématiques récurrentes dans les travaux qu’on vous a soumis ? Il y avait une extrême diversité artistique, mais de nombreuses œuvres traitaient de la question de l’architecture, de la déconstruction, en utilisant des matériaux pauvres. Ce sont des façons de parler des préoccupations de l’époque, de l’utopie de la construction et du progrès, de traduire les fragilités économiques, les bouleversements qui se produisent à l’échelle de la planète et se traduisent localement. *www.artenalsace.org Propos recueillis par Emmanuel Dosda

m Dans divers lieux en Suisse (Bâle), en Allemagne (Fribourg) et en France, du 28 novembre au 3 janvier 2010 m À Strasbourg, à Accélérateur de particules, du 2 au 31 décembre m À Hégenheim, à la FABRIKculture, du 30 novembre au 3 janvier 2010 m À Mulhouse, à La Kunsthalle, du 26 novembre au 10 janvier 2010 www.regionale10.net

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L’œuvre (imprimé) au noir 52 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

Eaux-fortes, sérigraphies et lithographies : le MAMCS propose, en quelque 120 pièces, une plongée exhaustive dans l’œuvre imprimé de Pierre Soulages, sans doute aujourd’hui l’artiste français le plus important.


EXPOSITION – MAMCS

Noir

Eau-forte XIII, 1957, collection particulière. Photo: F. Walch © ADAGP, Paris 2009

Lorsque Pierre Soulages (né en 1919) aborde l’eau-forte en 1952, il commence par faire des « gravures d’interprétation » très proches de ses tableaux. Peu convaincantes, à son avis. C’est en dépassant le modus operandi traditionnel qu’il trouvera sa voie, grâce à ce qu’il nomme désormais un « accident fondateur » qui s’est produit en 1957. « Le procédé », explique l’artiste, « permet d’imprimer grâce à des creux, réalisés avec de l’acide, dans une plaque de cuivre2. Au début, le graveur avec lequel je travaillais m’a dit : N’hésite pas, tant qu’il y a du cuivre, il y a de l’espoir.

On peut en effet toujours réparer une éventuelle erreur… Mais un jour, en creusant la plaque, à la recherche d’un noir encore plus noir, j’y ai fait un trou. Il n’y avait donc plus d’espoir ! J’ai néanmoins essayé de l’imprimer ». Le résultat fut une surprise : « Dans le trou, le papier avait gardé sa qualité. Il était en relief, comme gaufré. Son blanc paraissait plus blanc, car il était entouré

Lithographie XXXVII, 1974, collection particulière. Photo: F. Walch © ADAGP, Paris 2009

S

i l’on avait à composer un contemporain Dictionnaire des idées reçues, on trouverait, à l’entrée Pierre Soulages, une définition ressemblant à celle-ci : « Le peintre du noir ». Résumé doublement faux. Premièrement, l’artiste français n’est pas uniquement peintre : son œuvre imprimé est, pour lui, aussi important que sa peinture. En cela, l’exposition strasbourgeoise est un nécessaire pendant à la grande rétrospective parisienne 1 organisée (quasiment) en même temps. Deuxièmement, il ne s’intéresse pas tant au noir qu’à la lumière. En 1979, lorsqu’il forge le néologisme “outrenoir” il cherche en effet à désigner « un champ mental » plus qu’une couleur, un « au-delà naissant du reflet de la lumière sur le noir qui va toucher la sensibilité du visiteur ». Organisée technique par technique, la présentation du MAMCS permet de le vérifier.

« La lumière s’est mise à bouger.   Et j’ai commencé à travailler avec elle » de noir. Le papier n’était plus simplement un support, il devenait une couleur intégrée à l’organisation des formes ». Cet heureux accident deviendra très vite un processus de création : les plaques sont percées, découpées, rongées… Il ne faut pas cependant imaginer un créateur se laissant porter par les lois du hasard, travaillant au petit bonheur la chance. S’il aime expérimenter, Pierre Soulages n’en demeure pas moins d’une extrême rigueur. Ses compositions – le terme est, pour le coup, approprié , puisqu’il découpe plusieurs plaques et les agence ensemble pour composer une œuvre – possèdent toujours une architecture qui semble profondément réfléchie. On y sent, comme dans ses peintures, un mouvement précis et un permanent équilibre entre les formes. Des caractéristiques également présentes dans ses lithographies et sérigraphies, où parfois éclatent de manière incongrue pour ceux qui avaient érigé en dogme l’équation “Soulages = Noir”, des touches de couleur, bleue ou rouge.

Lumière

Pour Pierre Soulages, la peinture a engendré la gravure. Par un mouvement similaire, l’eau-forte va faire naître des sculptures (également montrées au MAMCS). « J’avais laissé les cuivres découpés par l’acide sur les étagères de l’atelier » explique-t-il. « Des gens ont trouvé cela très beau. Ils y ont vu des sculptures. Je leur répondais qu’elles avaient été faites en fonction de l’empreinte qu’elles devaient laisser sur le papier. Et puis un jour, en 1975, je me

suis dit qu’on pouvait peut-être faire quelque chose avec ce matériau et je les ai agrandies en bronze. Lorsque j’ai entamé le polissage, la lumière s’est mise à bouger. Et j’ai commencé à travailler avec elle ». Serait-ce le point de départ de ce “noir lumière” (devenu “outrenoir”) ? Pierre Soulages en rappelle la genèse : « Je suis devant une peinture que je suis en train de rater. Je suis malheureux. Le noir a tout envahi. La toile en est recouverte. Fatigué, je vais dormir. Réveillé une heure après, je retourne devant la toile et découvre que je ne travaillais plus avec le noir, mais avec la réflexion de la lumière sur le noir. » Aujourd’hui, il se demande si les bronzes n’ont pas fait germer ce rapport nouveau à la lumière qui, depuis, irrigue sa production picturale. Quoi qu’il en soit, peintures, eaux-fortes, lithographies, sculptures, sérigraphies ou encore vitraux3 forment une œuvre d’une intense cohérence… Au Centre Pompidou, jusqu’au 8 mars 2010 www.centrepompidou.fr 2 La plaque est recouverte d’une fine couche de vernis : l’artiste dessine dessus avec une pointe, mettant le métal à nu. Elle est plongée dans l’acide qui va creuser les zones ainsi dégagées. Le vernis est ensuite retiré, puis la plaque est encrée. 3 Pierre Soulages a réalisé ceux de l’abbaye de Conques 1

Texte : Hervé Lévy Portrait : Pascal Bastien

m À Strasbourg, au MAMCS, jusqu’au 3 janvier 2010 03 88 23 31 31 www.musees-strasbourg.org

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urban intrusion

Des lieux oubliés, fermés, abandonnés – visites clandestines

CASERNE MULHOUSE SAMEDI 24 JUIN 2003, 12 H 47°45’32’’ N / 07°20’41’’ E

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Les travaux ont débuté à la fin du mois d’octobre 2009. Pelleteuses et engins de chantier ont envahi la cour de la Caserne Lefebvre, rendant l’endroit désormais complètement inaccessible (alors que, longtemps, il avait été ouvert à – presque – tous les vents). Portes murées. Fenêtres barrées. Le processus de réhabilitation de ce bâtiment de 17 000 m2 est en cours : logements, surfaces réservées aux Papillons Blancs (association de prise en charge des handicapés mentaux) et espaces verts vont voir le jour dans ce qui fut l’une des plus belles casernes de la région. Elle a été construite en 1877 par Theodor Ecklin et baptisée

“Kaiser Wilhelm”. Les troupes allemandes et françaises vont s’y succéder jusqu’à sa fermeture – politique de restructuration des armées oblige – et son rachat par la Ville de Mulhouse en 1995. Seul le char Sherman M4A4, nommé Austerlitz, de Jean de Loisy (qui perdit la vie le 23 novembre 1944), symbole de la libération de Mulhouse, restera sur place afin de témoigner du passé militaire de l’endroit. Texte : Hervé Lévy Photos : Stéphane Louis Lieu non visitable

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DANSE – LE MAILLON & PÔLE SUD

Hakapolitik Lemi Ponifasio investit la scène du Maillon (spectacle co-présenté avec Pôle Sud) et propose, avec Tempest : Without a body, un acte politique et physique. Avec sa compagnie MAU, il fait souffler un vent venu des antipodes sur la danse.

D

e Polynésie arrive une sacrée tempête, à la fois ancrée dans une tradition ancestrale et engagée dans son époque. Ce singulier chorégraphe, encore inconnu en Europe, vit aujourd’hui en Nouvelle-Zélande,

Un manifeste dansé de la rébellion physique contre ce qui ligote le corps et sa liberté mais sa compagnie, MAU, reprend le nom d’un ancien mouvement indépendantiste samoan (d’où il est originaire). Repéré par Peter Sellars, qui l’a invité au festival de Vienne en 2006, Lemi Ponifasio n’a pas tardé à ricocher sur d’autres prestigieuses scènes européennes.

Traditions & Militantisme Son œuvre au titre symbolique est celle d’un artiste féru de philosophie et de politique : elle a le parfum noir du tableau de Paul Klee L’Angelus novus, auquel il se réfère, mettant en scène un puissant oratorio visuel et chorégraphique, où les réminiscences shakespeariennes se mêlent aux échos de l’après 11 Sep-

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tembre, à Bush et sa “War on terror”. Autre résonance : le 15 octobre 2007, l’activiste Maori Tame Iti fut embarqué avec 16 autres manifestants en Nouvelle-Zélande, lors d’un raid anti-terroriste. Célèbre défenseur des droits de la population aborigène, il a été libéré sous caution. Le chorégraphe lui offre un podium de taille en l’entraînant sur scène ! Dans cette histoire cruelle et dramatique, les corps font en effet écho à ses propos de révolte, à ses révélations sur l’oppression, sur l’humiliation, sur tout ce qu’un pouvoir sait faire pour comprimer les corps, sanctionner les actes, réguler les faits et gestes, statufier les êtres, les modeler, les asservir, les étouffer et les contraindre. Avec La Tempête de Shakespeare pour toile de fond, Ponifasio combine une réflexion sur l’injustice institutionnelle à la pensée du philosophe politique italien, Giorgio Agamben. Le chorégraphe introduit la réalité dans le monde illusoire. Ce théâtre de mouvements vous prend à la gorge non seulement par son style authentique, mais aussi par son contenu politique. Il nous parle en métaphore des conflits raciaux et du colonialisme, mais aussi de l’espoir d’une existence digne respectant sa propre culture. Déflagrations et cendres, voix comme venues d’un autre monde, saisissants tableaux composés par une

dizaine de danseurs issus des îles du Pacifique, font sourdre une stupeur à laquelle la présence sur le plateau du leader de la cause maorie, Tama Iti, confère un aspect cérémoniel autant que militant. Très inspiré des danses traditionnelles – le célèbre Haka – et des chorégraphies guerrières rituelles et minimalistes, ce spectacle est celui de la modernité qui puise ses racines dans le monde ancestral, histoire de savoir d’où l’on vient : celui aussi d’un monde colonisé, meurtri et souffrant de traces indélébiles.

Danse & Militantisme MAU – qui signifie “mon point de vue, ma destinée” – atteste de cette volonté


du chorégraphe militant de vouloir réagir. Comme L’Angelus de Klee bat des ailes, il s’appuie sur son passé pour ne pas basculer dans le gouffre de son destin. Univers sombre, stylisé à l’extrême dans une gestuelle puissante et rigoureuse. Les voix participent de ce rituel libératoire et la catharsis opère pour chacun des interprètes, comme une prière, un sacrifice public pour la cause des Maoris. Les métissages visuels engendrent des visions de danse butô et les origines finissent par se confondre. Parabole sur les tentacules du pouvoir politique, la pièce se joue et témoigne de l’aliénation des minorités ethniques en Polynésie… et bascule dans un manifeste dansé de la

rébellion physique contre ce qui ligote le corps et sa liberté. Solos et danses de groupe rappellent que l’humanité est riche, multiple mais aussi singulière. Les gestes sont précis, rares et les frappes rythmées. Les postures et attitudes hiératiques étayent le propos politique d’un metteur en scène, venu des antipodes pour nous conter une histoire d’aujourd’hui. Il y a en effet urgence de retrouver la voie – les voix – de l’expression, celle qui guide nos pas vers l’autre. Singulière démonstration d’une puissance inouïe, servie par des interprètes prêts à tout pour transmettre un message corporel, fort et poétique. De toute beauté aussi, sans esthétisme formel, mais dessinée par les signes ar-

chaïques où le corps fait figure de sanctuaire de la mémoire des ancêtres, bien vivante et charnelle. Une archéologie du présent, orchestrée par un don de mise en scène étonnant. Texte : Geneviève Charras Photos : Lemi Ponifasio / MAU

m À Strasbourg, au Maillon-Wacken, samedi 16 et dimanche 17 janvier 03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com 03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr

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JEUNE PUBLIC – OPÉRA NATIONAL DU RHIN

Un conte de 1001 notes

L’Opéra national du Rhin nous permet d’assister à la création française du conte lyrique à destination du jeune public de Nino Rota, Aladin et la lampe merveilleuse.

L’

occasion nous est donnée de découvrir une nouvelle facette de l’œuvre de Nino Rota, essentiellement connu pour ses compositions de bandes originales des films de Federico Fellini. Avec Aladin et la lampe merveilleuse, il nous entraîne au pays des 1001 nuits dans une histoire que l’on connaît bien, celle d’un petit garçon – dont le père était un pauvre tailleur – qui, comme tous les enfants, a envie de travailler le moins possible, préférant évidemment jouer. En revanche, il souhaite devenir riche, manger toujours à sa faim et épouser la plus belle fille de la région. Une métaphore de l’homme des sociétés contemporaines ? Reste que notre héros se voit confier un anneau magique par un perfide magicien qui ne souhaite qu’une chose, qu’il l’aide à s’emparer d’une certaine lampe magique. On sait la suite… Selon Flora Klein, responsable du jeune public de 58 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

l’Opéra national du Rhin, la grotte où la lampe est dissimulée « n’est autre que sa propre identité, dans laquelle il creuse pour faire vivre l’imagination. Pour le méchant mage qui veut posséder la lampe, elle symbolise ce don d’enfance, l’imaginaire, qu’il a perdu. » Le metteur en scène Waut Koeken a choisi de placer l’imagination au cœur de la production, utilisant des décors (un vaste plan incliné recouvert de tapis d’Orient) et des accessoires bien banals qu’il métamorphose en objets fascinants et magiques. Ainsi, un aspirateur se fait pipe à eau et une table à repasser devient un somptueux buffet. Afin de ne pas rester coincé dans l’archétype d’Aladin – dont la plus célèbre expression reste celle du dessin animé de Walt Disney – Waut Koeken a souhaité « introduire une bonne dose d’exagération, de gestes simples, caricaturaux, d’effets de lumiè-

res et de fumées » prouvant ainsi que le merveilleux pouvait naître du quotidien. Avec, dans les rôles principaux, les chanteurs de l’Opéra Studio (mais aussi des étudiants du Conservatoire de Strasbourg : trois chanteuses et un ensemble orchestral), cet opéra destiné au jeune public – accompagné de la parution d’un album inspiré de l’œuvre de Nino Rota – fait souffler un beau vent de fraîcheur sur cette fin d’année. Texte : Hervé Lévy Photo : Annemie Augustinjs

m À Colmar, au Théâtre municipal, jeudi 17 et vendredi 18 décembre 03 89 20 29 02 m À Mulhouse, au Théâtre de la Sinne, mardi 23 février 2010 – 03 89 33 78 01 m À Illkirch-Graffenstaden, à l’Illiade, mercredi 10 mars 2010 – 03 88 65 31 06 www.operanationaldurhin.eu


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EXPOSITION – FRAC ALSACE

Ma sorcière bien- aimée

Avec Ultime caillou, exposition présentée au Frac Alsace, Anita Molinero nous parle des peurs contemporaines. Rencontre avec une plasticienne qui aime jouer avec le feu.

C

eux qui se sont rendus à La Force de l’art 02 (avril / juin 2009) ont forcément gardé à l’esprit l’installation dégoulinante d’Anita Molinero, plasticienne marseillaise née en 1953. Au plafond de son box du Grand Palais, elle avait suspendu vingtdeux poubelles rouges en plastique fondu, le spectateur se trouvant ainsi sous une sorte d’étrange lustre coloré et coulant. Anita Molinero a une prédilection pour les objets usuels contemporains, les containers à ordures, les décharges, les rebuts et autres produits 100 % synthétiques. Son esthétique « post-Tchernobyl » peut nous rappeler les cités françaises après les émeutes de 2005, le Port du Rhin strasbourgeois au lendemain du sommet de l’Otan ou nous évoquer un futur apocalyptique.

L’écologie

« Attention ! Certaines œuvres de l’exposition présentent un danger potentiel de blessure », prévient une affichette collée sur la paroi vitrée du Frac où Anita Molinero n’a exposé (quasiment) que des œuvres produites pour l’occasion. L’avertissement vaut pour ses deux Jardins zen, pièces au nom ironique car faisant référence à « une construction naturelle, avec une intention harmonieuse artificielle » alors que ses œuvres se composent de cailloux cassants obtenus par le recyclage d’amiante, suite à un procédé de fusion. Ces “déchets ultimes” à l’apparence naturelle, posés sur un socle de poly styrène bleu, font écho au développement durable, problématique souvent abordée par la plasticienne. Pour cette passionnée de science-fiction et de scénarios catastrophes, « dans une projection, on peut imaginer une société post-déchets où l’on sera contraints de recréer la nature par l’artifice ».

La sculpture

Les préoccupations de cette artiste sont avant tout celles d’un sculpteur. À son sujet, on parle beaucoup d’un travail physique – fantasmé – entre elle (aidée

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par ses deux assistants) et la matière malaxée, torturée, brûlée au chalumeau, d’une – réelle – réflexion sur la sculpture. Cet assemblage de mares en polypropylène et de déambulateurs exposé au Frac est un bon exemple. Les bassins ont « des formes très modernes, proches de celles recherchées par Brancusi ou Arp, simples, géométriques, mais avec un souci naturaliste ». Anita Molinero s’inscrit pleinement dans cette histoire : « J’utilise le registre fondamental de la sculpture qui est le trou, le vide. Le premier à avoir fait ça, c’est Rodin avec son Balzac qu’il a vidé, travaillé de l’extérieur. Il n’y a plus de charpente. » Le choix des déambulateurs ne relève pas non plus du hasard. Selon Anita Molinero, ils nous ramènent à notre condition : « Il s’agit d’objets ergonomiques parfaits

qui ont les dimensions les plus proches du corps, mais qui permettent de se déplacer très lentement. »

La condition humaine

Une des œuvres du Frac met en scène des fauteuils roulants dans des postures anthropomorphiques. Ils semblent danser, s’étreindre, faire des acrobaties, et reposent sur une sorte de plate-forme en polystyrène à l’aspect lunaire, voire « excrémenteux ». Anita Molinero utilise beaucoup de matériaux composites, « moléculaires, qui ont complètement perdu leur référence au naturel et ont gagné en abstraction. Ils semblent menaçants et nous renvoient à notre vulnérabilité ». En les brûlant, elle « fait valoir quelque chose de fantasmatique », parle des peurs contemporaines, de la contami-

« Je ne dénonce rien, je vis avec cette virtualité du danger »

nation, des virus, de la pollution, de la nourriture industrielle ou encore du terrorisme… « Avec la disparition des blocs notamment, la menace est invisible, insaisissable, mais existante. Je ne dénonce rien, je vis avec cette virtualité du danger. » La plasticienne se réclame de la philosophe Isabelle Stengers et sa théorie du “monde des alternatives infernales”. Le fil à couper, le décapeur ou, surtout, la flamme : Anita Molinero utilise la destruction comme outil pour révéler des formes. Elle est fascinée par la figure de la sorcière, animée par le feu : « Il n’est pas difficile, pour une artiste, de se mettre dans la peau d’une sorcière ». Texte : Emmanuel Dosda Photos : Agence culturelle d’Alsace. Exposition Anita Molinero, Ultime caillou, 2009, Frac Alsace

m À Sélestat, au Frac Alsace, jusqu’au 7 février 2010 03 88 58 87 55 – www.culture-alsace.org

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Un oratorio théâtral Sous la baguette de John Nelson, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg nous propose d’entendre Le Messie de Haendel. Un choix des plus judicieux quelques jours avant Noël.

L

a musicologue Sophie Roughol, chargée de la conférence1 présentant ce concert de l’OPS, nous l’affirme d’emblée : Le Messie (écrit du 22 août au 14 septembre 1741 et créé l’année suivante à Dublin) « est une œuvre de foi, mais aussi – et surtout, devrait-on sans doute dire – un oratorio imaginé par un homme de théâtre. Le discours religieux développé par Haendel est bien peu orthodoxe ». Cette partition en forme de réflexion en trois parties sur la foi et la rédemption ressemble en effet, par bien des aspects, à un opéra2 – dont le chœur est le héros –, ne serait-ce que par sa progression dramatique et sa structure musicale, même s’il s’agit plus d’une juxtaposition de textes bibliques (en anglais) que d’un récit linéaire. On distingue trois parties dans l’œuvre de Haendel. La première est fondée sur le mystère de l’incarnation, les

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prophéties qui annoncent la venue du Rédempteur et la Nativité. Vient ensuite le temps de la Passion du Christ et de son triomphe qui s’achève par la victoire éternelle de Dieu dans un éclatant Alléluia. La dernière partie, fondée sur Saint Paul, est une variation sur la rédemption. L’ensemble présente un Christ triomphant et majestueux, assez éloigné du personnage douloureux auquel nous sommes accoutumés dans les Passions germaniques. Et Sophie Roughol de poursuivre : « Son aventure dramatique personnelle s’inscrit intimement dans la destinée et le salut de l’humanité. Le Christ est le personnage central, mais il n’est que peu présent de manière directe : Haendel procède par allusions ». Le “personnage” principal de l’œuvre est en effet le chœur : un sacré challenge à relever pour celui de l’OPS, dirigé par Catherine Bolzinger, qui nous a prouvé, au fil des concerts, qu’il était capable de grandes choses.

Finalement, ce Messie apparaît évidemment comme une exaltation de la foi, mais une foi détachée de tout dogmatisme et de toute doctrine, qui transcenderait toutes les chapelles… même si, au cours de l’histoire, l’œuvre a été associée à la religiosité moralisatrice de l’Angleterre victorienne. Reste ce « mélange entre méditation, intimité et épopée » – les mots sont de Sophie Roughol – qui nous touche en plein cœur. 1 Une heure avant la plupart des concerts de l’OPS, un spécialiste vient présenter la soirée 2 L’œuvre a ainsi déjà connu des mises en scène : une des plus réussies est celle de Claus Guth, découverte à l’Opéra national de Lorraine en avril 2009

Texte : Hervé Lévy Illustration : Loïc Sander

m À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès, jeudi 17 et vendredi 18 décembre – 03 69 06 37 06 www.philharmonique-strasbourg.com


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HAMBOURG / TOMI UNGERER

une ville vue par un artiste

Entre 1983 et 1986, Tomi Ungerer séjourne à Hambourg « de façon intermittente ». La cité hanséatique est le théâtre d’un de ses plus étonnants livres1, une passionnante immersion dans l’univers des Dominas, les « anges gardiens de l’enfer ».

P

our Tomi Ungerer, Hambourg est un lieu d’habitation naturel dans les années 80. Dessinateur pour le Stern (et plus que cela, puisqu’il arpente le pavé et « renifle des sujets »), il est à l’aise dans la capitale allemande de la presse, une cité qui le fascine : « un port plein de mélancolie »… et surtout, à une époque où le cul n’est pas encore passé au stade de la consommation (cathodique & virtuelle) de masse, un épicentre du sexe en Europe. Autour de la Reeperbahn, fleurissent clubs, sex-shops, bordels, cinémas et autres espaces interlopes.

Une rue

Rapidement, Tomi a envie d’enquêter sur la Herbertstrasse, un milieu très fermé au sens figuré… comme au sens propre, puisque la rue est 64 _ Poly 130 - Décembre 09 / Janvier 10

barrée, à ses deux extrémités, par un mur de métal. On y pénètre par une étroite chicane et seuls les hommes peuvent circuler dans un alignement de bordels où les filles en vitrine s’offrent à l’œil du passant. On lui présente Domenica, « l’impératrice de la prostitution, connue pour ses seins énormes et son visage de Madone », une tenancière de bordel qui lui ouvrira toutes les portes, lui confiant même les clefs de la chambre bleue de son établissement, où il établit sa « résidence secondaire ». Dans les maisons cohabitent celles qui « travaillent “normal” » et les Dominas, « l’aristocratie de la prostitution » auxquelles il va s’intéresser. Tina, Martha, Ellen, Astrid… Dans le livre, certaines sont interviewées, livrant un récit émouvant d’où tout voyeurisme est absent. Tomi découvre des « fem-


exposition – tomi ungerer

mes étonnantes et une atmosphère bon enfant, comme dans un village. Un jour », raconte-t-il, « alors que nous prenions le petit déjeuner, débarque un ponte de la Bundeswehr. Il était venu très tôt par discrétion. Tina monte avec lui. Redescend dix minutes plus tard et continue, paisible, à boire son café. Devant mon air surpris, elle m’explique : Il est crucifié. Nous avons bien une demi-heure pour finir de manger. » Voilà comment ça se passait avec ces filles qui ont des clients célèbres, mais restent discrètes, faisant preuve « d’une morale que bien des chrétiens pourraient leur envier ».

Des femmes

Si une prostituée met à disposition tous les orifices de son corps, une Domina est intouchable : « Il faut avoir la vocation. Elles ont un métier d’utilité publique, prenant le relais des psychiatres. Un client venait voir Astrid. Il ne pouvait avoir d’orgasme que si on lui arrachait un ongle », explique Tomi. « Quel psychiatre travaille avec une paire de tenailles ? Il vaut mieux que les gens se débloquent ainsi plutôt que de

femmes qui travaillent dans la Herbertstrasse n’ont pas de souteneur. Elles ont lutté pour cela. Voilà qui devrait être aujourd’hui un combat pour les féministes : tout faire pour que les prostituées soient reconnues par l’État, cotisent pour une retraite par exemple, et se dégagent enfin de la tutelle des maquereaux. C’est un métier comme un autre. On dit même que c’est le plus vieux du monde. Alors ? » Et de conclure : « Sartre a écrit La Putain respectueuse. Je préfère la putain respectable. » Et Hambourg ? Depuis une vingtaine d’années, la ville a changé. Pas tant que cela selon l’artiste, puisque la Herbertstrasse n’a pas bougé : « Il y a quelque chose de particulier dans ce

port. D’unique en Allemagne. Peutêtre le vent de la liberté qui souffle du grand large et son passé de “freie Stadt2”. » Et les Dominas ? « Elles sont toujours là, mais, aujourd’hui nous sommes dans l’ère d’Internet et du “do it yourself”. On peut construite sa salle de tortures chez soi » dit-il, le regard soudain voilé d’une impalpable tristesse. 1 S.M. paru aux éditions du cherche midi (2000) www.cherche-midi.com 2 Ville libre, un statut qu’a longtemps eu Hambourg

Texte : Hervé Lévy Photo : Pascal Bastien

m À Strasbourg, au Musée Tomi Ungerer, sixième accrochage des collections (jusqu’au 28 février 2010) & exposition dédiée à Saul Steinberg (du 27 novembre au 28 février 2010) 03 69 06 37 27 – www.musees-strasbourg.org

« Sartre a écrit La Putain respectueuse. Je préfère la putain respectable » faire du mal par frustration. Pour moi, chacun fait ce qu’il a envie de faire, tant que la chose se passe entre adultes consentants : I love what you love et tu aimes ce que j’aime… Une fois qu’on a cet accord, cela peut aller dans toutes les directions ». Table d’étirements, cage, fouet, lit carcan avec tire-couilles, couche de clous, injections d’eau salée dans le scrotum, aiguilles plantées dans le gland… Les témoignages recueillis sont passionnants et constituent une immersion dans un univers de cuir et de latex, une étude étonnante sur la torture monnayée (la plus fouillée qui soit selon le Dr. Schorsch, alors directeur du très sérieux Institut für Sexualforschung). C’est aussi un plaidoyer pour le statut des prostituées. « Les

Tomi Ungerer, sans titre (dessin inédit pour Les anges gardiens de l’enfer), 1985 Collection Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’Illustration, Strasbourg © Musées de la Ville de Strasbourg / Tomi Ungerer – Photo : Musées de la Ville de Strasbourg


les hommes de l’ombre

High Fidelity

S

ous-sol de l’annexe de l’Ésad. Un ordi portable. Deux, trois disques durs bien remplis. Un haut-parleur. Quelques câbles, des clefs USB et une connexion Internet. C’est tout, ou presque, pour le matériel, plutôt low tech. Une vingtaine d’élèves. Au milieu, Philippe Lepeut et Joachim Montessuis, deux passionnés de recherches sonores qui donnent des cours aux Arts décos depuis quelques années déjà et se chargent de l’atelier son depuis 2008. Les deux profs ont initié Phonon, un « paquet élémentaire de vibrations » en physique quantique. Loin de « la fascination technique », l’atelier mise plus sur « créativité que sur la qualité ». Pas de murs d’enceintes, de machines compliquées ou de logiciels complexes, mais une politique pédagogique solide qui repose sur l’histoire du son dans l’art, « assez massive » pour Joachim. Son compère ajoute : « La première pièce de musique aléatoire, c’est Duchamp ! » Phonon est un labo “art orienté son” et pas le contraire : « La porte d’entrée se fait par l’art », note Joachim Montessuis, fou de son qui s’est intéressé aux arts plastiques par la suite, alors que le glissement fut inverse pour Lepeut. Les cours débutent généralement par l’écoute d’œuvres, la projection de passages du Traité de bave et d’éternité (film expérimental d’Isou), des Hurlements en faveur de Sade de Debord, ou des extraits sonores de Pour en finir avec le jugement de Dieu d’Artaud pour, dans ce cas, travailler

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Phonon ? Un vrai labo. Partons à la découverte de “l’atelier son” géré par Philippe Lepeut et Joachim Montessuis à l’École des Arts décoratifs de Strasbourg. sur la notion du profane et du sacré. Durant les ateliers, on passera volontiers du visionnage du long métrage de Stephen Frears, High Fidelity, à des discussions autour de l’historien de l’art Aby Warburg. Philippe Lepeut résume : « On pose le cadre, on donne des éléments de réflexion ». Vient alors la pratique : de longues sessions où les élèves explorent les possibilités de logiciels, s’adonnent à la poésie sonore, triturent leurs voix, sculptent le son à partir d’enregistrements du quotidien… Ensuite, ils élaborent des lives collectifs à partir des sons et séquences préparés. Pour Philippe Lepeut, « c’est le cœur de notre philosophie, car notre pédagogie s’articule autour d’événements publics » qui ont lieu à la Mine (cafét’ des Arts décos), La Chaufferie, La Laiterie, La Semencerie ou encore au Quai de Mulhouse. Ces performances sont retransmises en streaming sur Internet. Joachim Montessuis insiste sur l’importance du direct et le fait d’« être dans l’action ». Et les deux professeurs de se réjouir de concert : « Phonon propose des cours “expérimentaux” mais tout à fait inscrits dans le cursus académique ». Texte : Emmanuel Dosda Photo : Benoît Linder / French co.

m Carte blanche à Phonon à La Chaufferie, du 25 au 30 janvier 2010 03 69 06 37 78 – www.esad-stg.org – www.phonon-lab.org


Gao Xingjian, Le luth (détail), 1988, Collection de l’artiste © Gao Xingjian – www.ithaque-design.fr

GALERIE HEITZ PALAIS ROHAN

ET PARCOURS-DÉCOUVERTE PROPOSÉ DANS LES MUSÉES DE LA VILLE DE STRASBOURG

WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG

Photo : Alice Bommer, Portrait de Hans Haug en 1945 (Doc. Musées de Strasbourg). Graphisme : Rebeka Aginako

HOMME DE MUSÉES UNE PASSION À L’ŒUVRE


l’illustratrice

Éloïse Rey Née il y a 25 ans entre deux montagnes, elle est depuis peu diplômée des Arts décoratifs de Strasbourg où elle a étudié le graphisme. Éloïse joue avec les mots, la photo, la vidéo, mais accorde au dessin une place privilégiée. Elle rêve beaucoup et, par-dessus tout, d’être illustratrice. Pour de vrai… http://eloiserey.fr

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Crédit photo BenoitLinder / MakingProd

1

La Communauté urbaine de Strasbourg soutient l’audiovisuel et le cinéma

LES INVINCIBLES

Saison

Série réalisée par Alexandre Castagnetti et Pierric Gantelmi d’Ille, produite par Makingprod Tournage à Strasbourg en 2008 et 2009 Diffusion de la 1ère saison sur Arte en mars 2010 www.strasbourg-film.com


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ESCAPADES EN LORRAINE

Ronde comme un ballon Hélium, la nouvelle boule de Noël du CIAV de Meisenthal, est signée V8. Le duo de designers strasbourgeois lui a donné l’aspect d’un ballon baudruche acidulé. Gonflé !

E

lle répond au nom d’Hélium et sort des ateliers du Centre International d’Art Verrier de Meisenthal qui, dès 1999, a décidé de donner un petit coup de jeune aux traditionnelles boules de Noël, vues comme des « passeurs de mémoires ». Avant elle, il y a eu OVNI d’Italo Zuffi, boule qui semblait prête à partir dans les étoiles ou, notre favorite, la Triplette de Jasper Morrison, un bestseller chez les boulistes. Nouveaux créateurs conviés par l’équipe du CIAV à travailler aux côtés des maîtres verriers maison : Pierre Bindreiff et Sébastien Geissert de V8. Ce duo “explosif” produit à la vitesse grand V des objets pince-sans-rire (voir leur Caféclope, drôle de tasse / cendrier) et conçoivent

des espaces bien pensés (le Musée du Verre de Meisenthal, voulu comme un “muséeatelier”). Leur réalisation en verre soufflé s’apparente à un ballon, de ceux que l’on achète dans les fêtes foraines. Légère, elle fleure bon la barbe à papa et la pomme d’amour. Effet madeleine de Proust garanti. Texte : Emmanuel Dosda Photo : Marie Prunier

m À Meisenthal, au CIAV, démonstrations / exposition / vente au détail (liste des points de vente, dont les principaux marchés de Noël d’Alsace, sur le site), jusqu’au 29 décembre 03 87 96 87 16 – www.ciav-meisenthal.fr www.v8designers.com

Pétillements emplis de sens Pour terminer l’année dans de joyeuses étincelles musicales, l’Opéra national de Lorraine programme La Vie parisienne de Jacques Offenbach.

A

près les très ibères Neveux du Capitaine Grant la saison passée, Carlos Wagner s’attaque, sur la scène nancéienne, à la partition sans doute la plus célèbre d’Offenbach. Selon le metteur en scène vénézuélien, derrière le divertissement diaphane on peut percevoir un message d’une grande profondeur, puisqu’il s’agit « d’un regard sans pitié sur l’hédonisme et l’égoïsme ». Et de poursuivre : « C’est une œuvre qui surprend tant elle reste poignante, tant son ironie et son mordant s’accordent avec la sensibilité contemporaine ». Sous la baguette de Claude Schnitzler se déploient les fastes de l’exposition universelle de 1867. Mais sommes-nous bien au cœur du Second Empire, période où le compositeur a situé l’action ? Pas vraiment… Carlos Wagner a en effet choisi de proposer une version intemporelle de La Vie parisienne : pour lui, la “ville lumière” est un invariant, un symbole, quelle que soit l’époque, du chic et de l’érotisme. C’est dans cette atemporalité qu’évoluent les personnages, entre plaisirs légers et critique sociale. Texte : Hervé Lévy

m À Nancy, à l’Opéra national de Lorraine, du 26 décembre au 1er janvier 2010 03 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr Décors de Rifail Ajdarpasic

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en suisse

Tiercé gagnant La Grande-Duchesse de Gérolstein proposée par le Theater Basel est, au vu de son casting, sans doute un des opéras les plus attendus de la saison sur les bords du Rhin.

O

n connaît le pitch des œuvres de Jacques Offenbach : de la légèreté, de la joie, des sautillements sonores… Mais, derrière cela, une réflexion sur le monde comment il (ne) tourne (pas rond). C’est le cas dans La Vie parisienne (présentée à Nancy, voir page 70) tout comme dans cette Grande-Duchesse de Gérolstein particulièrement excitante, que l’on pourra voir dans la cité helvète. Et il y a de quoi, au vu du trio de choix qui nous est proposé. À la direction musicale, on trouvera une des plus belles baguettes européennes, Hervé Niquet, baroqueux d’anthologie mais qui sait

aussi évoluer avec brio dans d’autres registres. On découvrira la mise en scène de Christoph Marthaler, dont on connaît la verve et la causticité. Au sein d’un plateau vocal de belle qualité, on aura la chance d’entendre, dans le rôle-titre, Anne Sofie von Otter (ici en photo) : la mezzo suédoise est en effet aujourd’hui une des chanteuses les plus intéressantes de la scène internationale. Texte : Hervé Lévy Photo : Mats Bäcker

m À Bâle, au Theater Basel, du 20 décembre au 24 janvier 2010 +41 61 295 11 33 – www.theater-basel.ch

Rauschenberg2 Le Musée Tinguely propose deux expositions dédiées à Robert Rauschenberg, disparu en 2008, un des maîtres de l’expressionnisme abstrait.

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Robert Rauschenberg, Mercury zero summer glut, 1987, Collection particulière Photo: Glenn Steigelman

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i l’on devait trouver un dénominateur commun à ces deux expositions, ce serait évidemment l’objet. Dans la première, on découvre en effet les collaborations qui ont rassemblé Robert Rauschenberg et Jean Tinguely. Leur complicité naît en 1960 avec la contribution de l’Américain (une machine à lancer de l’argent, le Money Thrower for Tinguely’s H.T.N.Y.) à l’éphémère Homage to New York du Suisse. L’un imaginera ensuite des œuvres dédiées à l’autre. Ils participeront ensemble à des expositions, où ils se rejoignent dans leur utilisation des rebuts afin de donner une représentation visuelle de la temporalité et du mouvement. C’est cette préoccupation que l’on retrouve dans la seconde ex-

position rassemblant des œuvres peu connues de Rauschnberg, les Gluts (un terme signifiant surabondance) : l’artiste donne une seconde vie à des choses avec ses « souvenirs sans nostalgie », puisqu’il « éprouve de la sympathie pour les objets abandonnés » et « fai[t] donc de [s]on mieux pour les sauver ». Réflexions sur la consommation, les potentialités des objets et le devenir, ces constructions hétéroclites sur lesquelles plane l’ombre de Tinguely sont fascinantes. Texte : Raphaël Zimmerman

m À Bâle, au Musée Tinguely, jusqu’au 17 janvier 2010 + 41 61 681 93 20 – www.tinguely.ch


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en Allemagne

Le temps des modernes De Rodin à Giacometti regroupe une centaine d’œuvres de quelque soixante artistes : c’est à un passionnant panorama de la sculpture entre 1900 et 1945 que nous invite la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe.

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ves, il transcendera le cubisme académique dans les années 30 en explorant de grands thèmes bibliques et mythologiques, créant une “sculpture existentielle” caractérisée par le mouvement, s’épanouissant dans un contexte marqué par la montée du nazisme. L’exposition s’achève avec deux sculptures signées Henry Moore et Alberto Giacometti qui semblent ouvrir la porte sur l’aprèsguerre… On attend donc désormais une troisième partie de cette saga de la sculpture qui nous entraînerait de la fin de la Seconde Guerre mondiale au début du XXIe siècle.

n 2007, nous avions découvert à Karlsruhe une exposition témoignant de la vitalité de la sculpture française au XIXe siècle, De Houdon à Rodin. Celle-ci en constitue une suite. Dans cette réflexion sur l’art moderne, il ne s’agit pas d’un parcours historique, mais d’une promenade poétique et esthétique permettant au visiteur d’aller à la rencontre de pièces majeures disposées deux par deux afin de rendre les confrontations plus fécondes. La présentation traverse néanmoins toutes les thématiques de la première moitié du XXe siècle, de l’importance toujours grande des “figures classiques” (avec, notamment, les rondeurs des corps féminins de Maillol) au ready-made (on voit avec plaisir La Roue de bicyclette de Duchamp). Sans oublier d’étonnantes sculptures expressionnistes (dont un très bel Homme dans le noir de

Max Beckmann), les formes originelles de Jean Arp, l’influence des arts non européens ou encore la perception nouvelle des corps, comme éclatée, induite par le futurisme.

Danseuse, Jacques Lipchitz (1913), Paris, Musée d’art moderne, © Roger-Viollet / VG Bild-Kunst, Bonn 2009

La Muse endormie II, Constantin Brancusi (vers 1925), Kunsthaus Zürich, © VG Bild-Kunst, Bonn 2009

En douze sections, le rapport émotionnel et corporel à l’espace pour fil directeur, le visiteur traverse une cinquantaine d’années de bouleversements fondamentaux en compagnie des “monstres sacrés” de l’histoire de l’art, les Rodin, Modigliani, Picasso, Calder… On redécouvre aussi des figures attachantes de cette épopée comme celle du sculpteur d’origine lituanienne, Jacques Lipchitz (1891-1973) dont les premières œuvres (entre 1913 et 1920) sont imprégnées du cubisme qui règne alors en maître : entrelacs anguleux et habiles symétries forment un ensemble en phase avec l’époque. Après quelques velléités figurati-

Texte : Raphaël Zimmermann

m À Karlsruhe, à la Staatliche Kunsthalle, du 28 novembre au 28 février 2010 + 49 721 926 33 59 www.kunsthalle-karlsruhe.de

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un week-end ailleurs…

Berlin Palace Hôtel Démolir et rebâtir (à l’identique ou non). Faire pousser des immeubles sur un terrain vague. Depuis 1990, Berlin est un fascinant terrain de jeu pour architectes. À la découverte d’une réalisation emblématique, l’Hôtel Adlon.

D

epuis vingt ans, Berlin ressemble à un immense chantier où l’on construit, rénove et reconstruit sans cesse avec des résultats plus ou moins heureux. Le no man’s land wendersien de la Potsdamer Platz s’est métamorphosé en patchwork architectural géant, où l’horreur (dont l’épicentre est le Sony Center) côtoie de belles réussites, sans vision urbanistique aucune. On a désormais achevé de raser le Palast der Republik, symbole de la RDA. Il n’y a plus, à sa place, qu’une immense étendue herbeuse… en attendant le début prochain de la reconstruction du Château. Va comprendre, Charles. En arpentant les rues de la capitale allemande, on est saisi

du sentiment étrange, bien plus puissant que partout ailleurs, de voir les strates du passé se mêler dans un puissant maelström. Parmi les plus beaux succès de ce “jeu de constructions” figure l’Hôtel Adlon, établissement luxueux et protagoniste centenaire de l’histoire berlinoise. Comment ne pas penser au Lutetia, à Paris, que Pierre Assouline prit comme personnage principal de l’un de ses romans (paru chez Gallimard en 2005) ? Situé sur Unter der Linden, à quelques mètres de la Porte de Brandebourg, il a été imaginé par les architectes Carl Gause et Robert Leibnitz. Inauguré en 1907, il était déjà, à l’époque, un des meilleurs établissements de la cité (avec

électricité et eau courante). Très vite, il accueille les célébrités du temps, Thomas Edison, Albert Einstein, Charlie Chaplin ou Marlene Dietrich. En mai 1945, un incendie détruit le bâtiment presque intégralement : l’aile survivante est brièvement utilisée par le régime communiste comme hôtel, avant de servir de foyer d’apprenties. Vétuste et insalubre, elle est rasée en 1984. Le merveilleux symbole des folles années 20 berlinoises n’existe plus. Après la chute du Mur et la réunification allemande, on décide rapidement de le reconstruire : il est rouvert en 1997. Avec ses 382 chambres et suites, il est aujourd’hui à nouveau un des plus beaux hôtels d’Allemagne et l’exemple d’une renaissance réussie. Bois précieux, marbres magnifiques, charmantes mosaïques… Tout cela, évidemment, est neuf, mais ne demande qu’à subir l’élégante patine du temps. Texte : Hervé Lévy Photos : Stéphane Louis

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à PARIS

A

près d’importants travaux de rénovation, le Musée Jean-Jacques Henner (sis dans le XVIIe arrondissement, 43 avenue de Villiers) a rouvert ses portes au public le 7 novembre. Voilà l’occasion de redécouvrir l’œuvre du peintre alsacien (né en 1829 à Bernwiller) qui avait fait le choix de la France en 1871, partant pour Paris, mais préservant toute sa vie des liens puissants avec sa région d’origine. Ils se manifestent dans nombre de ses toiles dont la célèbre L’Alsace. Elle attend. Prix de Rome en 1858, l’ar-

Paris

Jean-Jacques Henner, Hérodiade, vers 1887 © RMN Photo : Franck Raux

Un Alsacien à

tiste explore d’abord le naturalisme avant de se tourner vers la représentation d’une Antiquité aux résonances mythologiques. Entre idéalisation, réalisme et référence à la Renaissance italienne, son œuvre, emblématique du XIXe siècle, séduit. Outre les collections permanentes consacrées à Jean-Jacques Henner, le musée dédie une exposition temporaire inaugurale à La Tauromachie de Goya (jusqu’au 8 février 2010), un des chefs-d’œuvre de l’histoire de la gravure. (H.L.) m www.musee-henner.fr

Allemagne année A

llemagne, années 70. Des formations telles que Can, Faust ou Neu ! inventent un style qui fera date (et bien des émules) : le krautrock. Le nom est donné par la critique pour désigner une musique répétitive où la voix est placée au second plan et pratiquée par des musiciens inventifs, loin de pédaler dans la choucroute. Angleterre, années 90. Massive Attack, Portishead, Earthling ou Tricky créent un nouveau genre, planant, nommé trip-hop. Le lien entre ces deux styles, périodes et lieux ? Geoff Barrow le

zéro

fait avec Beak> (un premier album éponyme vient de sortir sur Invada Records), son nouveau projet. L’ex collaborateur de Massive Attack et seconde tête pensante de Portishead, épaulé par Billy Fuller et Matt Williams, reprend tout là où Neu ! et consorts se sont arrêtés. Le résultat : un album instrumental hypnotique, tripant, étonnant, teutonnant. À découvrir lors de son unique concert en France. (E.D.) m Au Nouveau casino de Paris, jeudi 10 décembre www.nouveaucasino.net

Merce C. E

n avril 2009, le jour même de ses 90 ans, Merce Cunningham dévoilait Nearly Ninety à New York, sa dernière création avant sa disparition, fin juillet. Ce monstre sacré de la danse contemporaine, égal de William Forsythe et Trisha Brown avec lesquels il révolutionna cet art, nous laisse ce cadeau d’adieu. Tout Cunningham tient en ces deux heures de constructions de l’aléatoire et d’absence totale de narration : la démultiplication à l’infini des espaces, des mouvements et des corps qui, par grappes, se dou-

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blent et se triplent avant d’essaimer par soubresauts dans l’espace. Une chorégraphie sauvage, énergique, tout en sensualité, faite de poésie abstraite et de pure émotion renforcée, dans cette nouvelle version, du spectacle par la présence de deux musiciens composant sur scène : Takehisa Kosugi et John Paul, l’ancien bassiste de Led Zeppelin. (I.S.) m Au Théâtre de la Ville, du 2 au 12 décembre www.theatredelaville-paris.com www.festival-automne.com Photo : © Anna Finke


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L’agence Bkn vous adresse ses meilleurs vœux pour l’année 2010

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culture scientifique

Nos objets

de demain Après Paris et avant Shanghai, l’exposition Paris / Design en mutation fait étape à Mulhouse, au Musée EDF Electropolis. Onze designers proposent de partir à la découverte des objets qui pourraient bien, demain, être notre quotidien.

C’

est à peine si l’on s’étonne ! Debout, immobiles sur leurs supports, les objets exposés nous regardent et nous parlent. D’emblée, ils paraissent familiers. De suite, ils éveillent l’intérêt. En effet, onze designers majeurs proposent ici leur vision de l’avenir. Si leurs rêves flottent avec délices dans ce futur imaginaire, ils ne s’ancrent pas moins dans une réalité qui prend en compte les enjeux de notre société (l’écologie en tête) et les dernières avancées de la science. Pensons, par exemple, à la procession des chaises de François Azambourg : une expérimentation de différents matériaux (bois, mousse, métal froissé, résine de maïs, fils de polyester), doublée d’une recherche d’économie pour

la production. Ainsi le modèle Pack, paquet compact dont le contenu se métamorphose à l’ouverture en une vraie chaise rigide. À côté, voici le climatiseur naturel de Jérôme Garzon et Fred Sionis (qui forment Machin Machin), astucieuse adaptation du “réfrigérateur africain” : un petit ventilateur, placé dans un pot en grès à double paroi (air & eau) et actionné par le souffle du vent, restitue de l’air frais de manière bien moins dispendieuse qu’une station de climatisation. Des principes ancestraux trouvent ici un usage contemporain. On découvre aussi l’étagère-diffuseur-audio ou le porte-écran de Jean-Louis Fréchin (affichage d’informations et d’images

François Azambourg, chaise Pack © Fillioux & Fillioux

d’ambiance), le générateur d’oxygène pour l’habitat de Mathieu Lehanneur (une sublimation des plantes vertes), les vases collecteurs d’eau de pluie ou de rosée d’Olivier Gassies (domestication de l’eau), ou encore les paniers à fruits de Delo Lindo (recyclage de tubes en PVC). Sans oublier la multiprise “anti-gaspillage” signée de la “cellule design” EDF, pour esquisser un futur où une meilleure information permet de gérer de manière plus rationnelle notre énergie. Une des pièces les plus fascinantes de l’exposition est sans doute le prototype d’hôtel volant de Jean-Marie Massaud : Manned Cloud, un dirigeable géant en forme de baleine glissant dans le ciel. À son bord, restaurant, librairie, salle de sport, bar et pas moins de 20 chambres… Il promène ses passagers à la découverte de sites vierges de manière “douce”, sans aucune pollution. Une alternative alléchante au tourisme actuel… Au final, l’exposition a le mérite d’interroger et d’interpeller le visiteur. En éveillant les consciences aux enjeux brulants du XXIe siècle (écologiques, économiques, énergétiques), elle nous responsabilise avec des objets porteurs d’un message clair : l’épanouissement individuel est indissociable de la symbiose entre l’homme et son environnement. Texte : Paul Munch

m À Mulhouse, au Musée EDF Electropolis, jusqu’au 28 février 2010 – 03 89 32 48 50 www.edf.electropolis.mulhouse.museum

Jean-Marie Massaud, vaisseau de croisière Maned Cloud © Studio Massaud

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culture gastronomique

À fond la formule La Formule jeunes, proposée par Les Étoiles d’Alsace, nous convie aux meilleures tables de la région grâce à une politique de prix abordables. Nos panses et nos porte-monnaie disent merci.

M

iam, les noix de St-Jacques et tourteau au gingembre du Crocodile strasbourgeois. Hum, la Mousseline de grenouille “Paul Haeberlin” concoctée par L’Auberge de l’Ill d’Illhaeusern. Irrésistibles, les tapas alsaciens imaginés par La Poste à Riedisheim. Renversant, le foie de canard d’Alsace rôti entier au four et accompagné de son jus de racine de primevère du Rosenmeer à Rosheim. Appétissant et inabordable ? C’est sans compter sur la Formule jeunes, réservée aux moins de 35 ans et inventée par Les Étoiles d’Alsace, association de professionnels de la bouche qui « réunissent leur savoir-faire

et échangent leurs expériences ». Les chefs et maîtres artisans nous proposent plusieurs formules : la Prestige à 84 € par personne (pour 90 l’an passé, merci la baisse de la TVA), Expression à 64 € au lieu de 68 et la formule Winstub à 34 € et non plus 36. L’offre comprend l’apéro, les vins, l’eau minérale et le café. De quoi se régaler sans se ruiner, au Cerf à Marlenheim, à L’Agneau de Pfaffenhoffen ou encore à l’Écrevisse de Brumath. Envie de prolonger la fête ? La Formule jeunes propose des nuits d’hôtel à petits prix. Une belle table, un bon lit : une soirée gourmande (et coquine ?) en perspective… À noter, un système de couponning*

Une trajectoire culinaire O

n se souvient de ce jour de 2006 où Antoine Westermann, en pleine gloire, cédait le Buerehiesel à son fils et renonçait, en précurseur, à ses trois Macarons au Guide Michelin pour choisir l’option d’une cuisine moins onéreuse. Celui qui officie désormais à Paris, au mythique Drouant – lieu de réunion de l’Académie Goncourt – et à Mon vieil ami (où « les légumes sont aux petits oignons ») revient, dans un long entretien, sur sa carrière. De son Alsace natale à ses aspirations culinaires d’aujourd’hui, en passant par la reprise, à 23 ans (en 1970), du Buerehiesel. Dans

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Cuisine-moi des étoiles, on trouve bien des confidences… mais aussi quelques recettes emblématiques, celles de l’enfance (un riz au lait à la vanille), celles de ses parents (pensons au petit pâté chaud de papa) et, bien évidemment, ses réalisations emblématiques de chef “étoilé” comme son Strudel de petits maquereaux à la mousse de légumes en vinaigrette au vin blanc. (H.L.) m Paru aux éditions du cherche midi (29 €) www.cherche-midi.com

a été mis en place et permet d’obtenir des pourcentages sur divers mets : les menus à emporter du Traiteur Patrick Fulgraff à Colmar ou encore les macarons de la Pâtisserie Laurent Kieny de Riedisheim. Les Étoiles d’Alsace ont trouvé la bonne formule. *Livret et coupons de réduction disponibles dans toutes les entreprises participantes, au siège des Étoiles d’Alsace et dans les offices du tourisme et agences de développement touristique Texte : Emmanuel Dosda

m Formule jeunes, jusqu’au 30 avril 2010 dans de nombreux établissements alsaciens (liste sur le site et dans le livret édité) 03 88 56 21 21 – www.etoiles-alsace.com www.formule-jeunes.com


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Last but not Least

Gilbert Gress

Gilbert Gress, mythe footballistique alsacien, rencontré au Snack Michel, vendredi 13 novembre

Dernier club. Le Racing club de Strasbourg. On ne peut pas dire autre chose… Avant le suivant

Dernier carton rouge. Aux journalistes Dernier de la presse coup de Dernière écrite, radio gueule. consigne. et télé ! Suite à un article Lorsque j’ai dédicacé paru dans Alsace Foot, mon livre à la Librairie une interview avec le Kléber, j’ai demandé à Robert Dernière “génial” Steven Pelé Grossmann de ne pas tricher faute (joueur du Racing, et de faire la queue, comme grave. NDLR) Dernière tout le monde, pour avoir Ne pas découverte. sa signature ! Dernier avoir suivi les Magaye Gueye bon souvenir conseils de ma lié au Racing. femme et être Un garçon de café croisé qui revenu au Dernier me dit : « Merci monsieur Gress, Racing livre paru. sans vous je ne serais pas là ». Fautes graves (un été Devant mon air surpris, je lui demande d’enfer à la Meinau) aux de préciser : « Lors de l’épopée de Éditions du Boulevard 1979, mes parents étaient fans. Un (9,90 €) soir de victoire contre Nancy, ils www.editionsduboulevard.fr étaient si heureux qu’ils ont fait l’amour… Me voilà ! »

Août 2009. Un mois et demi plus tard, Gress est débarqué après deux matchs seulement pour fautes graves. L’actionnaire majoritaire Philippe Ginestet revient aux affaires. Octobre 2009. Au soir du dixième match de la saison, soit deux mois après le licenciement de Gilbert Gress, le Racing n’a toujours pas gagné une seule rencontre. Pire, il se retrouve lanterne rouge de la Ligue 2 pour la première fois de son histoire. Quels sont les secrets de cette nouvelle crise ? – Pourquoi le Racing marche-t-il sur la tête ? – A-t-on voulu tuer le « mythe » Gress ? – Qui a tiré les ficelles ? – Quel rôle a joué la presse dans cette histoire ? Au Racing, la vérité dépasse souvent la fiction.

Photo : Jean-Philippe Senn

Gress Préface d’André Bord

Fautes graves

Juin 2009. L’Alsace fête les trente ans de son seul titre de champion de France pendant que le Racing reste en Ligue 2. L’entraîneur historique est rappelé au chevet d’un Racing moribond. Gilbert Gress revient dans le club de son coeur pour la troisième fois comme entraîneur, avec des rêves et des images plein la tête.

- Un été d’enfer à la Meinau

Avril 2009. Gilbert Gress revient pour la première fois depuis quinze ans au stade de la Meinau.

Dernier coup de blues. Le récent suicide du gardien de Hanovre, Robert Enke, qui s’est jeté sous un train

ISBN 978-2-35211-005-7

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Les Editions du Boul evar d

9,90 € (prix TTC France) Photo couverture : Chrystel Lux ISBN : 978-2-35211-005-7

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Gilbert Gress

Gilbert Gress revient sur un été d’enfer à la Meinau.

Fautes graves Un été d’enfer à la Meinau

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FREE _ N° 130 – DÉCEMBRE/JANVIER 2010

du 21 décembre 2009 au 30 janvier 2010

l ’ A lsace d ’ A lbert K ahn , Maison de la Région 1, place du Wacken à Strasbourg

du lundi au vendredi de 9h à 18h et les samedis 9, 16, 23 et 30 janvier de 9h à 17h

(fermé les dimanches, les jours fériés et le 31 décembre)

Entrée libre

Avec le concours du Département des Hauts-de-Seine - Musée Albert-Kahn

Crédit photo : Département des Hauts-de-Seine - Musée Albert-Kahn

premières photos couleurs 1918-1921

DOSSIER : LES TOURNAGES EN ALSACE // SOULAGES // RADIO MUEZZIN COLLECTIF KIM // TOMI UNGERER // TEMPEST : WITHOUT A BODY // ANITA MOLINERO


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