N ° 1 3 3 – M a i / J u i n 2 0 1 0 – w w w. p o l y. f r
MY WAY // GÜNTER GRASS À ERSTEIN // FOULES, FOOLS À MULHOUSE // LES ATELIERS OUVERTS // FESTIVAL PREMIÈRES & FESTIVAL NOUVELLES À STRASBOURG // DOSSIER : L’ÉCOLE DU TNS
À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”
Recherche colorée
Le Musée des Beaux-arts de Mulhouse expose les peintures à l’huile d’Évelyne Widmaier jusqu’au 23 mai. Originaire de Strasbourg, l’artiste joue avec les couleurs depuis plus de 30 ans. Elle tente de donner vie à ses souvenirs, impressions, sentiments… à la recherche d’elle-même.
www.musees-mulhouse.fr Évelyne Widmaier, La Crèche de la rue d’Alsace
Les modernes
FEU D’ARTIFICE MUSICAL
Ami de Giacometti, confident de Dubuffet, proche d’Ernst Beyeler, Jean Planque (1910-1998) fut peintre, amateur d’art éclairé et collectionneur reconnu pour son œil. L’Espace d’art contemporain Fernet-Branca de Saint-Louis expose, du 30 mai au 25 octobre, 130 peintures et œuvres sur papier issues de la collection Jean Planque. De Degas à Picasso réunit les cubistes – Gris, Braque… – et leur père, Cézanne, confronte Delaunay, Léger et Klee, rassemble Rouault, Tapiès et de Staël. Grâce à cette vaste exposition, nous comprendrons Jean Planque lorsqu’il dit : « Un tableau c’est une chose, une chose infinie… dans les sensations qu’il procure ». Nous en reparlerons plus en détails dans notre prochain numéro. www.museefernetbranca.org
Cette année, la (désormais) traditionnelle Symphonie des Deux Rives se déroulera samedi 12 juin (en cas d’intempéries, report le lendemain) au Jardin des Deux Rives. Avec des solistes de renom comme Didier Lockwood, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg fera vibrer le public… sous les étoiles. www.philharmonique-strasbourg.com
PRIMÉE
Pablo Picasso, Femme au chapeau dans un fauteuil © 2001, ProLitteris, Zurich
Du Tenor au Sud Avec le combo africain Kabu Kabu ou aux côtés du Nigérian Tony Allen, batteur de Fela Kuti : depuis quelques années et une poignée d’albums, le blondinet finlandais Jimi Tenor explore les terres afrobeat. Pour se faire une idée du résultat de ses recherches musicales débridées – un mélange bouillonnant de jazz cosmique, de funk nordique et de rythmes d’Afrique – rendez-vous à l’Auditorium ou dans la nef (notoriété de Tenor et d’Allen oblige…) du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, jeudi 6 mai. © Tommi Grönlund
www.musees-strasbourg.org
Photos instantanées Les travaux d’Anne Immelé envahissent l’espace d’Art Contemporain André Malraux de Colmar jusqu’au 30 mai. Ainsi 39 clichés de la série Antichambres dévoilent des bâtisses, sols et parcs vides visités par la photographe lors de son immersion dans l’espace urbain rhénan, mettant en avant des malaises étouffés et une impression d’immobilisme. On reste dans la paralysie du temps avec l’agencement Memento Mori, expression signifiant « Souviens-toi que tu mourras », où l’artiste nous rappelle le sens même de la photographie : montrer ce qui ne sera jamais plus. www.colmar.fr
À l’occasion de Traduire l’Europe / 5e Rencontres européennes de littérature, la Ville de Strasbourg a remis le Prix européen de littérature (assorti d’une bourse de traduction) à la Grecque Kiki Dimoula. www.prixeuropeendelitterature.eu
LA VILLE DE DEMAIN Dans le cadre des Débats de l’Agence culturelle d’Alsace, la conférence “Inventer et construire les territoires de demain” (jeudi 20 mai à l’Hémicycle de la Région Alsace) abordera les transformations urbaines, sociologiques et culturelles de notre territoire. Avec ces évolutions, quels seront les rapports entre les villes et les espaces ruraux ? www.culture-alsace.org
PREMIÈRE L’Opéra national du Rhin est la première maison d’Europe (continentale) à avoir mis en place son application iPhone. Bravo ! Qui a dit que l’opéra était un art du passé ? www.operanationaldurhin.eu
ABSTRACT Du 8 mai au 31 octobre, on pourra découvrir à Colmar l’œuvre du peintre américain Joe Downing. Avec Un Américain en France, le Musée d’Unterlinden présente une rétrospective en quelque 125 œuvres d’une des figures de la peinture abstraite américaine. www.musee-unterlinden.com
Anne Immelé, photo extraite de Memento mori
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RCS Belley 545 920 076
C’EST UN PUZZLE. 8 quai Kellermann 67000 Strasbourg – tél. 03 88 23 16 23 5 rue du Commerce 67202 Wolfisheim – tél. 03 88 78 22 26
À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”
Voyage à Tenerife
Jusqu’au 15 mai, la Galerie Chantal Bamberger (Strasbourg) nous invite dans l’univers d’Enrique Fuentes avec Apprendre à voler. Ce peintre, dont l’œuvre est en constante évolution, était en résidence à Tenerife pour la réalisation de ces tableaux. www.galeriebamberger.com Enrique Fuentes, Expression I, 2009
CHAPI CHAPO
On va s’amusées Seize musées – historiques, techniques ou de traditions populaires – des Vosges du Nord proposent, pour la septième fois, Les Amuse Musées, parcours pédagogique, ludique et gourmand. Tim et Zoé, sympathiques mascottes, ont concocté animations, jeux, goûters et rencontres au Musée du Sabotier de Soucht ou encore au Musée de la Bataille du 6 août 1870 de Woerth, à vivre en famille jusqu’au 24 octobre. Nouveau : des vignettes à collecter, de site en site, et à coller sur le dépliant Amuse Musées. http://amusemusees.com
Le tour du monde en quatre jours Quatorzième édition des Musiques Métisses, du 20 au 23 mai, au Cercle Saint-Martin à Colmar. Cette année, l’association Lézard a concocté un Festival (forcément) métissé, un patchwork de sonorités orientales et occidentales, balkaniques, occitanes ou andalouses, avec chaque soir à 18h un concert gratuit en guise d’amuse-bouche. Au menu de cette mosaïque musicale ? Outre Lavach’, qui mixe gnawa mexicain et samba roumaine, citons le chanteur-poète-slameur gascon Alain Mainvielle, la musique cubano-freeorientale d’IvRim, les Bulgaro-Mongoles de Violons Barbares ou le cabaret yiddish de Daniel Kahn & the Painted Birds. Colmar prend des couleurs… Alain Manvielle © Pierre Terrasson
www.lezard.org
Rêves africains Une femme entre sur scène sur un curieux trône à roulettes, orné d’un bric-à-brac improbable. Elle chante et raconte des comptines africaines liées à l’enfance. Bienvenue dans Berceuses Kitoko. Marie-Claire Mahela incarne cette conteuse en quête de partage au Théâtre Jeune Public de Strasbourg (du 19 au 29 mai). Elle s’adresse aux tout-petits (dès 18 mois), s’appuyant sur des mots qui voyagent entre le français et les langues d’Afrique (lingala, swahili, bambara, etc.). Un spectacle mêlant le chant à la manipulation d’objets et de marionnettes pour transporter nos bouts de chou dans un univers de songes envoûtants. www.theatre-jeune-public.com
Groupe international (ses membres sont français, allemands ou écossais) basé en Angleterre, The Chap – en concert à Strasbourg dimanche 9 mai à Stimultania – ne sait jamais ce qu’il veut. Faire de l’electro intello ? Pratiquer le rock fourre-tout ? Inventer la dancemusic de demain ? The Chap travaille vraiment du chapeau… www.komakino.org
DREAMS ARE MY REALITY Le Ballet du Rhin organise la sixième édition de Rêves, une manifestation permettant aux plus jeunes de découvrir la magie de la danse. À Mulhouse, au Théâtre de la Sinne samedi 22 mai, puis à La Manufacture de Colmar les 10 et 11 juin, et à L’Illiade d’Illkirch-Graffenstaden les 24 et 25. www.operanationaldurhin.eu
PREMIER SUR LE RAP Quand Art District, combo hip-hop jazzy alsacien, fête la sortie de son album, il ne fait pas les choses à moitié. À l’occasion de sa release party organisée à Strasbourg (au Molodoï, lundi 10 mai) le groupe convie DJ Q, La Fanfare en pétard ou encore… DJ Premier, légende East Coast, responsable – entre autres – des productions de Gang Starr. www.molodoi.net www.myspace.com/pelpass
GOSSIP GIRLS Après des débuts dans la totale confidentialité, la plantureuse Beth Ditto et ses Gossip se payent une bonne tranche de Zénith strasbourgeois (mardi 1er juin). Gourmands ! www.label-ln.com
UN ENFANT DE LA BALLE L’Espace culturel de Vendenheim accueille Warren Zavatta (mardi 18 mai). Seul en scène, le petitfils d’Achille nous livre un show ébouriffant. Musicien, comédien, acrobate, jongleur… Un spectacle multiforme. www.vendenheim.fr Poly 133 - Mai / Juin 10 _ 5
À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”
C’est beau un musée la nuit
À la tombée de la nuit, les musées de 39 pays européens ouvriront leurs portes samedi 15 mai. Au menu de cette sixième édition de la Nuit des Musées : visites, musiques, projections, spectacles… www.nuitdesmusees.culture.fr La serre de Barry éclairée lors de la Nuit des musées au Jardin Botanique de Strasbourg. Photo : Pascal Disdier / Université de Strasbourg – Jardin des Sciences
L’ART EN VITRINE Avec Entrez, c’est fermé (qui regroupe des œuvres d’Étienne Pressager et Nicolas Schneider), l’espace sélestadien Schaufenster, qui permet au passant de découvrir l’art, nous propose deux installations déclinant des univers bien différents. Un dialogue à voir du 15 mai au 6 juin. www.schaufenster.fr
POÉSIE & DESSINS Jusqu’au 29 mai, la Médiathèque André Malraux (Strasbourg) explore les liens tissés par le poète Lucien Baumann avec ceux qui ont illustré ses œuvres. www.mediatheques-cus.fr
Biodiversifions-nous ! L’homme peut-il vivre avec son environnement ? Notre mode de vie est-il durablement compatible avec les ressources de la nature ? Quelles agricultures pour demain ?... Pour mieux comprendre l’impact de l’homme sur ce qui l’entoure, mais aussi l’importance de la biodiversité dans le domaine de la santé, de l’économie ou de l’agriculture durable, rendez-vous aux conférences qui se déroulent tous les jeudis – d’avril à juin – à 18h, au Jardin des sciences de l’Université de Strasbourg. Le public pourra débattre avec des chercheurs autour d’une thématique générale “Biodiversité et Société”. http://science-ouverte.unistra.fr
CHICA GO GO GO !
27 histoires
Le Collectif Kim fait intervenir – quatre fois ! – les groupes américains Jon Drake & The Shakes et Jaime Rojo à Strasbourg, en mai. Ambiance folk et pop chorale (dans la lignée de Sufjan Stevens période Illinois) le 20 au Molodoï (avec Solaris Great Confusion), le 21 aux Expats, le 25 au Café des Anges (avec Kimberlie & Clark), et enfin le 28 mai à L’Artichaut (avec Marxer). En avant trombones et trompettes ! http://collectifkim.free.fr
MUSIQUES D’UNE NUIT D’ÉTÉ Avec My Name is Felix, l’ensemble vocal et instrumental La Forlane nous propose une soirée dédiée à Mendelssohn. À déguster sans modération aucune, dans la nef des Dominicains de Haute-Alsace à Guebwiller, dimanche 6 juin. www.les-dominicains.com
DANSES SYMPHONIQUES Clôture de saison vendredi 25 juin pour l’Orchestre symphonique de Mulhouse. Sous la baguette de son directeur musical Daniel Klajner, il transformera La Filature en salle de cinéma. La projection sur trois écrans d’images dansées, Equi Voci (film signé Thierry de Mey) répondra aux musiques de Debussy et Ravel. www.mulhouse.fr www.lafilature.org 6 _ Poly 133 - Mai / Juin 10
Photo extraite du film 1
À l’occasion de la journée de l’Europe dimanche 9 mai, l’UGC Ciné Cité Strasbourg-Étoile vous fera découvrir le cinéma de 27 pays de l’Union européenne. March de l’Autrichien Klaus Händl nous conte l’existence des proches de Christian et Berni qui ont mis fin à leurs jours. Ils traversent le même drame, mais n’arrivent pas à communiquer. Le thriller hongrois 1 nous parle de l’apparition d’un mystérieux livre du même nom décrivant ce qui arrive à l’humanité tout entière en une minute. Enfin, avec La Disparition d’Alice Creed, on se demande pourquoi cette jeune Anglaise est enlevée par deux hommes… www.ugc.fr
Au pays du matin calme Champs libres met le cap vers la Corée (du Sud) : du 5 au 19 juin, le festival imaginé par l’Ensemble Linea nous invite à faire résonner la musique contemporaine avec d’autres disciplines (dans différents lieux à Strasbourg). Du pansori – opéra traditionnel coréen – à Isang Yun, pionnier de la musique contemporaine coréenne en passant par l’art vidéo de Nam June Paik ou les filles de Sorea, nous assisterons à deux créations mondiales et six premières françaises. À ne pas manquer : les prestations de l’Ensemble TIMF, invité d’honneur du festival (les 17&18 juin au Hall des Chars). www.festival-champs-libres.fr www.ensemble-linea.com
Le groupe Sorea DR
s
À pied, à table, dans le tram ou chez vous, la culture “Vite fait, mais bien fait !”
Enchantements chambristes
Sous la direction artistique de l’immense violoncelliste qu’est Marc Coppey, Les Musicales, attachant festival de musique de chambre colmarien (au Théâtre municipal du 12 au 16 mai ), fait un tour à Vienne… Tout un programme ! www.les-musicales.com Marc Coppey Photo : Adrien Hippolyte
Beauté artificielle
DES NOTES Lors de la 8 e édition du Festival rock O’Zone, dix groupes défileront sur le terrain de foot de Mietesheim (28 & 29 mai) : X-Makina, Karavan Orchestra, Roots Noise, etc. Après minuit, place à la musique indépendante avec le Cabaret electro. http://fennecspression.free.fr
À l’occasion de la Fête de l’Eau, Wattwiller organise un parcours d’art contemporain intitulé Fleurs plastiques. Du 13 au 23 juin, huit artistes exposeront leurs œuvres florales. Exploration d’un organisme vivant considéré comme le symbole du cycle de la vie en raison de son caractère éphémère, qui représente autant la beauté et la pureté que la futilité ou l’artifice. Installations, sculptures, peintures et dessins… Cette exposition, qui s’étend dans les lieux culturels alentours (comme l’Espace Grün de Cernay), met en avant la vision de ces plasticiens sur notre rapport à la nature et à la vie. Ils feront également des interventions pédagogiques auprès d’un public scolaire afin de les initier aux arts.
DES BULLES
www.fetedeleauwattwiller.org
Christophe Dalecki, ArtsŽnat, 2008
Glade rock
Strasbulles change de nom et devient le Festival Européen de la Bande Dessinée de Strasbourg. Le concept de cette 3e édition parrainée par F’Murrr reste le même. Faire se rencontrer (du 1 er au 6 juin), à la Salle de la Bourse & alentours, auteurs et visiteurs dans une ambiance conviviale : tables rondes, expos, ateliers d’initiation, dédicaces… www.strasbulles.fr
DES MOTS
Aka Glade propose la sixième édition de Concept’art, événement qui convie plasticiens (Chris Kolb…) et musiciens, membres du collectif mulhousien (Domino_e et The Botany Talk Home qui fêtera la sortie de son album), ou amis (Volga ou Tis de la galaxie Kim)… Des images et du son – à tendance folk / rock sombre – à la Chapelle Saint-Jean de Mulhouse, les 5 & 6 juin. www.myspace.com/associationakaglade
Entre conférences et concerts donnés par l’ensemble vocal Voix de Strass, Entre-deux, la manifestation se déroulant à la Cour Européenne des droits de l’homme (du 10 au 12 mai) mêle musique et réflexion et permet une (re)découverte d’un lieu emblématique de la capitale européenne. http://voixdestrass.free.fr
DES LIEUX Le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement du Bas-Rhin à Strasbourg accueille l’exposition Actualité de l’architecture du 3 mai au 30 juin. Treize futurs bâtiments et espaces publics du département (écoles, équipements sportifs…) à venir – ou rénovés – seront présentés. www.caue67.co
Genres multiples À Strasbourg, la Médiathèque Centre ville nous invite à découvrir (du 11 mai au 26 juin) les créations de David Sala. Entre planches de BD, croquis, illustrations, peintures, photographies, ce Strasbourgeois de 37 ans est un touche-à-tout dans le domaine de l’édition. Diplômé de l’École de dessin Émile Cohl de Lyon, il publie avec le scénariste argentin Jorje Zentner, Replay (Casterman). Une série qui lui vaut le Prix Uderzo du meilleur dessin. Les deux complices sont aussi les auteurs de la remarquable adaptation en bande dessinée de la saga (entre Moyen-Âge et SF) de l’écrivain italien Valerio Evangelisti, Nicolas Eymerich (quatre volumes chez Delcourt). www.mediatheques-cus.fr
DES SOUVENIRS
© David Sala
Retour de résidence – à Banja Luka (fin 2009) – de Mathieu Boisadan et François Génot avec une installation / paysage, chez Apollonia (du 5 au 30 juin). À Strasbourg, le duo a recréé une rivière de BosnieHerzégovine qui, quasi-asséchée, laissait apparaître les traces d’un lourd passé. www.apollonia-art-exchanges.com Poly 133 - Mai / Juin 10 _ 7
Poly 133 – Mai / Juin 10
sommaire & couverture
49 _ Foire du livre de Saint-Louis
Rencontre avec Daniel Picouly, président 2010
50 _ My way 12 _ Édito 14 _ Livres, BD, CD 16 _ La rue re-mue
Les rues de Wasselonne s’animent avec ZAZI
À La Filature, création de Joachim Latarjet
52 _ Festival Premières
Jeunes metteurs en scène européens à découvrir
54 _ Urban Intrusion
Tomi Ungerer au Canada
18 _ Journées de l’orgue en Alsace
56 _ N’Krumah Lawson Daku
20 _ Cinq questions à…
58 _ Jean Barbault et la fascination de l’Italie
Thierry Escaich improvise sur L’Aurore de Murnau Nathalie Jampoc-Bertrand, adjointe à la culture de Schiltigheim
22 _ L’art est un jeu
Les missions du FRAC Alsace ? L’exposition d’œuvres de sa collection nous éclaire
23 _ Propaganda
Acrobat fait sa propagande au Maillon
Un photographe africain expose à Stimultania
Le musée des Beaux-Arts strasbourgeois lève le voile sur cet artiste du xviiie siècle
60 _ L’illustrateur
Léon Maret, primé au festival d’Angoulême 2010
63 _ Jenufa
Le drame de Janácek à l’Opéra national du Rhin
24 _ Dossier : L’École du TNS 28 _ Loin
64 _ Une ville vue par un artiste
30 _ Chansons en herbe
Rachid Ouramdane à Pôle Sud
Günter Grass / Calcutta
66 _ Les Fourberies de Scapin Molière par Omar Porras à La Filature
32 _ Foules, fools
67 _ Contre-temps / Je ne savais pas que tu existais
33 _ La Cerisaie
68 _ Les hommes de l’ombre
36 _ Nunc Les archis font respirer l’hôpital de Hautepierre 37 _ L’Opéra des trois pays
70 _ Ailleurs
Les jeunes pousses aux Tanzmatten La Kunsthalle mulhousienne expose Stephen Wilks Création de la directrice du TNS, Julie Brochen
Une invitation au voyage kaléidoscopique
38 _ Pouchkine illustré
Les œuvres de l’auteur russe ont inspiré nombre d’artistes… exposés à la BNU
40 _ Une laborieuse entreprise
Une création à la Comédie de l’Est
Electro et groove d’Éthiopie / Explorations citadines à La Chaufferie
Wolgang Müller élabore les livrets-programmes du Festspielhaus de Baden-Baden Les événements à ne pas rater chez nos voisins
78 _ Culture scientifique
Rêves de Robots au musée Tinguely de Bâle
80 _ Culture gastronomique
Chez Yvonne & La bière Perle
82 _ Last but not least…
Angélique Bègue
42 _ Les ateliers ouverts
Entrez chez des artistes alsaciens
44 _ Portrait
Joanne Leighton en résidence à Pôle Sud
46 _ Darius
L’OPS offre un conte musical au jeune public
48 _ L’humour des notes
La Cie Luc Amoros dévoile sa Page blanche
COUVERTURE Cette photographie est tirée du spectacle My Way de Joachim Latarjet et Alexandra Fleischer (voir pages 50-51), créé à Lyon et repris à La Filature de Mulhouse où ils sont artistes associés. Nous y découvrons une partie du plateau constitué de dalles lumineuses qui prendront différentes teintes en fonction des scènes. Un théâtre musical où les personnages convient nos mémoires, interrogent notre intimité, explorent nos vies.
06 -15 août 2010
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
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contributeurs & qui a vu l’ours ? Ours :
Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)
Pascal Bastien (né en 1970) Libération, Télérama, Le Monde… et Poly : Pascal Bastien est un fidèle de notre magazine. Il alterne commandes pour la presse et travaux personnels menant notamment une réflexion photographique sur les zones frontalières en Alsace. m www.pascalbastien.com Photo : Pascal Bastien
Benoît Linder (né en 1969) Ce membre de l’agence French co. vit à Strasbourg. Son travail d’auteur se nourrit, discrètement, de temps suspendus et d’errances improbables au cœur de nuits urbaines et autres grands nulles parts modernes. m www.frenchco.eu/benoitlinder Photo : Benoît Linder
Stéphane Louis (né en 1973) Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. On lui doit aussi un passionnant ouvrage, Portraits, Acteurs du cinéma français (textes de Romain Sublon). m www.stephanelouis.com Photo : Elias Zitronenbaum
Publicité pour une guimbarde, Bonn, 2010 Photo : Pascal Bastien
www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME > redaction@poly.fr - 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Secrétaire de rédaction : Valérie Kempf / valerie.kempf@poly.fr Rédacteurs : Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Stagiaire de la rédaction : Victoria Karel / victoria.karel@poly.fr Ont participé à ce numéro : Geneviève Charras, Catherine Jordy, Geoffroy Krempp, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel, Raphaël Zimmerman. Graphistes : Pierre Muller / pierre.muller@bkn.fr avec le concours de Stévy Bourgeais Maquette : Mathieu Linotte / mathieu.linotte@bkn.fr
Jean-Philippe Senn (né en 1977) La photo est pour lui une affaire d’osmose, d’atmosphère : s’imprégner lentement, aller au plus profond des choses pour bien les voir. Il s’approprie la ville, elle l’irrigue comme si elle était un organisme vivant. Et ensuite jaillissent des éclats oniriques d’une réalité qu’il a su saisir avec son objectif. m www.ultra-book.com/-jean-philippesenn Photo : Jean-Philippe Senn
Maxime Stange (né en 1982) Quand on lui demande, exercice périlleux entre mille, de se définir, le photographe strasbourgeois installé à Paris nous répond avec cette mosaïque sémantique et lexicale : « Jeune & Vieux, décalé, étrange, philanthrope & misanthrope, passionné, curieux, jamais en pause, névrotique ». m www.maxime-stange.com Photo : Kevin Soobrayen
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© Poly 2010. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs.
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COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio - www.bkn.fr
ORCHESTRE
PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG ORCHESTRE NATIONAL
M A I 2 01 0 LUN. 10/05 I 20H30 CITÉ DE LA MUSIQUE ET DE LA DANSE AUDITORIUM MUSIQUE DE CHAMBRE MARIE-ELISABETH HECKER VIOLONCELLE MARTIN HELMCHEN PIANO
BEETHOVEN
SONATE N° 1 EN FA MAjEUR OP.5 N°1 SONATE N° 4 EN UT MAjEUR OP.102 N°1 DOUZE VARIATIONS POUR VIOLONCELLE ET PIANO SUR EIN MäDCHEN ODER WEIBCHEN DE LA FLûTE ENCHANTÉE DE MOZART EN FA MAjEUR OP.66 SONATE N° 3 EN LA MAjEUR OP.69
jEU. 20/05 & VEN. 21/05 I 20H30 PMC SALLE ERASME MARC ALBRECHT DIRECTION RENAUD CAPUçON VIOLON
SIBELIUS
CONCERTO POUR VIOLON ET ORCHESTRE EN RÉ MINEUR OP.47
BRAHMS
SyMPHONIE N°2 EN RÉ MAjEUR OP.73
jEU. 27/05 I 20H30 I PMC SALLE ERASME CONCERT ENREGISTRÉ PAR FRANCE MUSIQUE
SIR NEVILLE MARRINER DIRECTION
VAUGHAN-WILLIAMS
FANTAISIE SUR UN THèME DE THOMAS TALLIS
BRITTEN
QUATRE INTERLUDES MARINS DE PETER GRIMES OP.33 A ET B
BEETHOVEN
SyMPHONIE N°7 EN LA MAjEUR OP.92
RENSEIGNEMENTS : 03 69 06 37 06 / WWW.PHILHARMONIQUE-STRASBOURG.COM BILLETTERIE : CAISSE OPS ENTRÉE SCHWEITZER DU LUNDI AU VENDREDI DE 10H À 18H / BOUTIQUE CULTURE, 10 PLACE DE LA CATHÉDRALE DU MARDI AU SAMEDI DE 12H À 19H © CONCEPTION : HORSTAXE.FR | PHOTOGRAPHIE : CHRISTOPHE URBAIN | MONTAGE BKN.FR | LICENCES D’ENTREPRENEURS DE SPECTACLES N° 2 : 1006168 ET N°3 : 10066169
Poly 133 – Mai / Juin 10
© Maxime Stange
édito
De la schmierwurscht dans les dimsums
C’
était en 1966 et Dutronc chantait : « 700 millions de Chinois / Et moi et moi et moi / Avec ma vie, mon p’tit chez moi / Mon mal de tête, mon point au foie / J’y pense et puis j’oublie / C’est la vie, c’est la vie ». En 2010, les Chinois sont 1,3 milliards ou 1,4. On ne sait pas trop… J’y pense puis j’oublie, moi aussi. Puissance économique dominante, le “pays continent” fait peur. Fascine aussi. Quatre ans après les Jeux Olympiques de Beijing, s’ouvre le 1er mai (et jusqu’au 31 octobre) l’Exposition Universelle de Shanghai1 avec pour thème “une meilleure ville, une meilleure vie”. Les Chinois, eux, ne semblent pas avoir renoncé au Grenelle de l’environnement. Il est vrai qu’il y a du boulot dans ce domaine dans l’Empire du milieu, premier pollueur mondial. Dans l’Hexagone, le bébé a été jeté avec l’eau du bain… tandis que l’Alsace semble s’en moquer, puisque le Rallye de France se déroulera sur nos terres entre le 1er et le 3 octobre : 1 272 kilomètres de pur bonheur mécanique du sud au nord d’une région2, dont le patron semble désormais se nommer Saint Sébastien. Des vrombissements à faire fuir le grand hamster. Des fragrances à vous pourrir trois millésimes de gewurz’ mon bon monsieur. Et qui râle ? Ils sont (trop) rares… Revenons à la Chine et à Shanghai, où le pavillon de notre belle région sera 100% écolo. On en est fiers de notre pavillon. Pensez bien : la seule région, avec Rhône-Alpes et “Paris Île-de-France”,
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à être représentée (pas un Lorrain à l’horizon) à ce raout global. Selon l’expression consacrée, c’est pas rien. Ne soyons pas bégueules, et reconnaissons être plutôt heureux de la chose, d’autant que le bâtiment semble fort joli. 2 100 m2 sur quatre niveaux : imaginé par le GIE Alsace Architectural Design Institute (un groupement de huit cabinets d’architecture alsaciens installés depuis 2006 en Chine), il est réalisé selon la technologie dite du “mur solaire” et ainsi doté d’un système de refroidissement par évaporation d’eau, notamment par l’exploitation de l’énergie solaire passive. Que va-t-il donc se passer là-bas ? L’Alsace va monter son existence au monde… et permettre à certaines de ses entreprises d’aborder de la meilleure manière qui soit cet immense marché : quoi de mieux pour cela que de nouer des contacts autour d‘un stammtisch ? Il s’agira aussi de prouver aux Chinois que le coq au Riesling est meilleur que le canard laqué, qu’ils peuvent aussi manger une tarte flambée avec des baguettes, ou que les raviolis fourrés au presskopf sont excellents. Très bien tout cela… mais je n’ai pas encore bien saisi pourquoi, d’un côté, des bolides vrombissants se promèneront dans le vignoble et que, de l’autre, l’Alsace va en Chine – même si tous ces aller-retour sont kérosènovores – pour prouver qu’elle est plus verte que les maillots de l’AS Saint-Étienne. Va comprendre, Charles… Hervé Lévy http://fr.expo2010.cn 2 Trajet complet sur www.rallyedefrance.com 1
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CD
Chapel Hill Selon Nathan Symes, leader strasbourgo-américain de Chapel Hill, ce nouvel album se veut plus posé et moins sombre que le précédent, le bien nommé Songs to die for… Bien sûr, il y a des ballades blues paisibles, Where are you now ? ou In your room, chantées à deux voix, l’une masculine, l’autre féminine. Évidemment, il y a le mélodieux – quoi qu’inquiétant – Tu es mon Faust. Mais il y a surtout le rugueux In my time of dying, le mystique Jesus is on the main line ou encore Rambl’in man, reprise live de Hank Williams… mythique chanteur country mort avant ses trente piges, après une vie trop arrosée. Sans parler de la pochette d’If these wings should fail me, ornée de neuf corbacs peu commodes. Si le ton de ce nouveau recueil de chansons folk, piochées dans le répertoire US ou composées par Chapell Hill, est (un peu) plus doux qu’auparavant, le propos est toujours identique : tout en noirceur, en profondeur. (E.D.) m If These Wings Should Fail Me Cosmopolite Records www.chapelhillband.com
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Espace, tourbillons et poussières Sans doute connaissez-vous le travail de Dominique Kippelen, son Jardin vertical, vaste patchwork composé de 1 800 chemises multicolores qui habillait (en 2004) la façade des Halles à Strasbourg ou le Mobilier urbain, fait de 25 poteaux de houblonnières, que l’on remarque, Pont de l’Europe, en traversant le Rhin. Ces œuvres et beaucoup d’autres sont à découvrir au fil de cet ouvrage monographique introduit par le critique d’art Philippe Piguet. 148 pages qui donnent un aperçu de la démarche de la plasticienne strasbourgeoise aux mille pratiques (installation, sculpture, dessin, objet, photo…), de ses performances et commandes réalisées dans le monde. Quinze ans d’actions artistiques qui impliquent le spectateur, une longue « exploration physique et intellectuelle », de 1996 à 2009. (E.D.) m 39 € à paraître chez Trans Photographic Press – www.transphotographic.com Souscrivez (sur //domkipling.free.fr ou au 06 84 77 97 47) pour acquérir ce livre : une gravure vous sera offerte L’atelier de Dominique Kippelen, 10 rue du Port du Rhin, est visitable lors des Ateliers ouverts (voir page 42) www.ateliersouverts.net
BD
Être riche Jeune auteur de BD passé par les Arts déco de Strasbourg – Être riche n’est que son troisième album après Le Roi de la savane et Albert le magnifique –, Daniel Blancou affine et affirme de plus en plus sa “patte” : un dessin simple et faussement naïf porté par un art du scénario et de l’écriture aussi drôles qu’absurdes. E.P. Vanderbüsche, employé commercial sans histoires, file le parfait amour avec sa femme auprès d’un fils adorable. Victime d’un placement hasardeux, il reste sur le carreau lorsque sa petite entreprise est délocalisée en Inde par un grand groupe. Dès lors, pour s’en sortir, il va vendre sa vie heureuse, ses objets authentiques du quotidien qu’il estampille de son nom. Les collectionneurs d’E.P. Vanderbüsche en demandent toujours plus, faisant sa fortune. La richesse lui monte à la tête, et l’orgueil nourri par les mirages de la réussite le pousse à vendre ce qu’il a de plus cher : sa femme et son fils ! Dans la ligne de mire de cette fable critique, notre société contemporaine où tout est marchandise. (T.F.) m 16,50 € dans toutes les bonnes librairies www.editions-sarbacane.com http://blancou.d.free.fr/comix/
LIVRE
Champ rouge… Camille Claus, Traces LIVRE
une pensée vive
On connaît l’œuvre du peintre qui avait créé un univers tout à fait personnel, une mythologie rhénane – et universelle – poétique et onirique. Camille Claus (19202005) fut également poète, journaliste, écrivain et chroniqueur de talent, tenant, pendant plus de 30 ans, la fameuse “dernière page” de la revue Élan fondée par Frère Médard, initiateur du FEC (Foyer de l’Étudiant Catholique). Dans ces textes, dont est ici proposé un florilège organisé de manière thématique, il se montre, simplement, « le témoin de son temps » comme l’écrit son ami Frédéric Kniffke dans sa belle préface. Pensées sur l’art, interrogations d’une étonnante actualité (Le laid existe-t-il ?), questionnements sur la foi, propos écolos avant l’heure, réflexions sur notre région (Pourquoi eston alsacien ?)… Le livre, agrémenté de reproductions de différentes toiles de l’artiste, révèle une pensée toujours en éveil, qui nous manque beaucoup aujourd’hui. (H.L.) m Paru chez BF (15 €) www.bfeditions.com
Le sujet unique de cet ouvrage est un site industriel qui a fermé ses portes en 2005 : Steinheil, une des premières usines textile de la vallée de la Bruche. Rachetée pour un euro symbolique par la Communauté de Communes de la Haute-Bruche, cette friche, située au cœur de Rothau, revit en une centaine de pages. La photographe Marie Dréa et le journaliste Jean-Paul Lahaye ont eu le désir d’observer le lieu « au présent ». Leur modus operandi ? Partir sur ces traces du passé qui subsistent à la fois in situ et dans les mémoires des gens. Le résultat est un regard croisé fait d’images (halls complètement vides, tuyaux en déshérence ou objets abandonnés de manière incongrue) et de textes inspirés d’entretiens menés avec certaines personnes qui ont connu l’endroit et viennent en restituer l’histoire sur un mode narratif. Voilà une bien belle manière de dresser les contours d’un des lieux emblématiques de la mémoire industrielle alsacienne. (P.R.) m Paru aux Petites Vagues (16 €) www.petites-vagues-editions.com
LIVRE ILLUSTRÉ
la reine des chats Livre illustré de petit format dans la collection ZigZag, La Reine des chats invite les enfants (dès 7 ans) à cheminer entre images et mots dans la vie de Nina. Cette petite fille de 8 ans se console de la naissance d’Alexandre, petit frère braillard accaparant toute l’attention de ses parents, en câlinant et jouant avec Mina, une chatte toute tigrée. Après un déménagement en appartement, une maudite crise d’asthme d’Alexandre menace la survie de Mina et de ses deux chatons, poussant Nina à la fugue… L’illustratrice Céline Le Gouail – installée à Strasbourg depuis son passage par la case Arts déco – parsème cette histoire signée Élise Fontenaille de dessins tout en rondeur. Utilisant avec doigté toutes les possibilités du noir et blanc, elle joue avec les dominantes et s’amuse des détails (cherchez les silhouettes de têtes de chats dans les décors), en ajoutant un grain d’enchantement et de malice à cette héroïne en culottes courtes si attachante… (I.S.) m 6,50 € dans toutes les bonnes librairies www.lerouergue.com
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dans le
FESTIVAL – WASSELONE
O
n ne se rend pas sur le site de ZAZI (Zone Artistique en Zone Industrielle) à Wasselonne, sans un minimum d’indications : prendre la RN4 direction Saverne, tourner à gauche direction ZI du Ried, emprunter le « rondpoint juste peint au sol », passer devant le snack Le chalet, puis une grande maison : vous êtes arrivés. Cette ancienne entreprise de livraison de produits congelés à domicile, un héritage familial, appartient à Paul Otter, alias Popol (photo ci-dessous), fondateur de l’association ZAZI et du festival La Rue re-Mue. Ex-mem-
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ZAZI, association pour les arts de la rue, présente la troisième édition du festival La Rue re-Mue. À cette occasion, exploration de son lieu de création et de résidence, en pleine zone industrielle, à Wasselonne.
bre des compagnies Les Élastonautes, de Transe Express ou Les Zanimos (il a joué 800 fois, dans différentes langues, le spectacle Andrée Kupp dresseuse et montreuse de légumes), Popol est un as du spectacle de rue. Vingt ans d’expérience, un solide réseau dans le milieu.
Un art populaire et réactif « Les arts de la rue sont nés dans les années 70. Ils étaient alors très politisés, très revendicatifs. C’est du théâtre populaire, au sens noble du terme, qui permet de toucher un large public, de
sensibiliser les habitants dans leur propre environnement, de changer les habitudes culturelles des gens. » D’après Popol, « il y a une véritable éthique dans cet univers : les relations humaines entre les compagnies sont très fortes ». Une philosophie propre à ce domaine selon Paul Otter : « Les compagnies cherchent à rester le plus abordables possible et les spectacles sont toujours gratuits ». Il regrette cependant que cette pratique qui « touche énormément de gens » soit si peu médiatisée et les compagnies si peu subventionnées. « Il faut beaucoup tourner dans les festivals, réinventer les formes. Les arts de la rue sont les plus à même de réagir à une situation sociale qui change », positive-t-il.
Ça bouge avec La Rue re-Mue Popol ne cherche pas à rivaliser avec les deux grands festivals français (Chalon et Aurillac). Mais, avec La Rue re-Mue, il souhaite rendre compte de la vitalité des arts de la rue, de la diversité de propos. Tout a débuté en 2007, au moment de la journée nationale initiée par la Fédération nationale des arts de la rue. Dans ce cadre, l’asso ZAZI organise La Rue mue à Wasselonne, sur un territoire culturellement vierge (hormis le traditionnel Corso fleuri). Bilan : 21 compagnies européennes, 6 000 spectateurs, un succès incontestable qui conduit ZAZI à renouveler l’expérience en 2008. La Rue re-Mue, événement dorénavant biannuel, est né. La programmation ? À la fois grand public et pointue, elle contente badauds et aficionados. Avec ce désir, exprimé par Claire Geyer, directrice administrative : « Être référent et asseoir notre légitimité ». En 2010*, Wasselonne accueillera le duo un peu “fakir” Makadam Kanibal – pour un spectacle entre fête foraine et show SM –, Urban Drum’n’Bass – des fanas du rythme qui tapent, avec maestria, sur des boîtes de conserve – ou Ulik prod et Le SNOB, un ballet surréaliste… Popol : « Les formes des arts de la rue sont multiples : il y a des apports du théâtre, des arts visuels, de l’opéra, de la danse ou du cirque. C’est un mélange de pratiques et de rencontres. L’évolution est énorme, notamment grâce aux nouvelles technologies, à la vidéo… »
Un lieu dédié aux arts de la rue Autre compagnie présente : Hector Protector, actuellement en résidence à Wasselonne. Frédéric Duperray et son équipe y affinent leur spectacle, Le Bureau des Pleurs. Hector Protector propose également des ateliers hebdomadaires ouverts au public et réfléchit à une autre « part artistique visible » de sa résidence : des formes théâtrales, « pour sortir de la boîte noire », des rendez-vous réguliers avec la population. Tout est à inventer dans cet espace de 900 m2, sur 36 ares de terrain que l’équipe de ZAZI veut entièrement dédier aux arts de la rue. Lieu de résidence, de création artistique (même pour les disciplines aériennes, les plafonds sont
hauts), de fabrication (avec l’aide des entreprises de la ZI qui filent de temps en temps des coups de main), de stockage (le matériel est aujourd’hui entreposé dans les anciennes chambres froides), de lien social… Des travaux d’aménagement et de mise aux normes du bâtiment sont encore nécessaires. Reste les moyens, la volonté politique… Par la fenêtre, un type passe en courant, monté sur des échasses. Il faut croire qu’ici tout est possible. La Rue re-Mue est cette année jumelée avec Tête-à-tête, festival de rue de Rastatt, en Allemagne
*
Texte : Emmanuel Dosda
m La Rue re-Mue, à Wasselonne, samedi 5 et dimanche 6 juin 03 88 87 23 50 – www.zazi.fr
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FESTIVAL D’ORGUE – ALSACE
L’Art délicat de l’improvisation Un ciné-concert ouvre la première édition des Journées de l’Orgue en Alsace. Thierry Escaich improvise sur L’ Aurore de Murnau. À la découverte d’un musicien pluriel, à la fois compositeur et interprète.
D
eux Victoires de la musique dans la catégorie “compositeur de l’année” (2003 et 2006) ont placé cet artiste, plutôt discret, sous les feux de la rampe. Il avoue « ne pas être le mieux placé » pour caractériser son style, espérant « simplement qu’il restera quelque chose de [s]on œuvre afin que d’autres puissent s’arc-bouter sur elle. Comme je l’ai fait avec le corpus des maîtres du passé. Je suis un maillon dans une chaîne, un passeur ». Belle définition qui s’applique aussi à la carrière d’interprète de celui qui est, depuis 1997, titulaire de l’orgue de Saint-Étienne du Mont (Paris). Son statut de musicien, il le considère comme un tout : « En tant qu’organiste, j’imagine des programmes dans lesquels le public peut découvrir des effets de miroir, où mes compositions entrent en résonance avec des pièces du répertoire de Bach ou de Franck, par exemple. Pour lier mon univers sonore à celui de mes prédécesseurs, j’utilise les improvisations. » Il a ainsi déjà travaillé autour d’une cinquantaine de films, mais L’Aurore (1927) de Friedrich Wilhelm Murnau reste son préféré, celui qu’il considère « parfait » pour cet exercice, puisqu’on y trouve des ingrédients multiples : il s’agit « à la fois d’un mélo, d’une comédie, et d’une œuvre d’avantgarde ». Thierry Escaich compose en temps réel une musique pour cette variation muette d’essence littéraire sur l’amour. Pour lui, il s’agit « d’être au service de la narration, de souligner les ressorts psychologiques » de ce qui demeure « le plus beau film du monde », selon François Truffaut. L’instrument haut-rhinois, il le connaît bien : « Il est coloré et dynamique. Son acoustique est pleine de rondeurs » explique l’organiste qui souhaite « affirmer la puissance formelle des images en ajoutant au film, sans jamais le paraphraser. Parfois même, mes notes vont à l’encontre de ce qui est montré. Par cette distanciation, la force des images est augmentée. » Texte : Hervé Lévy Photo : Pascal Bastien
m À Thann, en la Collégiale Saint-Thiébaut, mercredi 12 mai
L’orgue dans tous ses éclats i l’Alsace peut être considérée comme le “Pays des orgues”, c’est bien évidemment en raison de son riche patrimoine (en nombre et en qualité des instruments, mais aussi par la diversité de leurs facteurs, dont les Silbermann ne sont que les plus connus)… mais aussi parce que cet ensemble exceptionnel est vivant. L’association DOA (Découverte des Orgues d’Alsace) nous invite à découvrir toute la richesse de l’instrument au cours de la première édition des Journées de l’Orgue en Alsace. Au menu, des lieux prestigieux (les abbatiales d’Ebersmunster et de Marmoutier ou la Cathédrale de Strasbourg) et des interprètes qui ne le sont pas moins : le Parlement de Musique, Christophe Mantoux, Les Barbaroques… m Dans toute l’Alsace, du 12 au 16 mai 03 88 03 21 34 – www.doa-alsace.org
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Saison 2010 - 2011 - Graphisme OnR - Licences 2-1026712 et 3-1026713
S
2010 2011
Souscrivez à de nouvelles émotions
Opéra Love and Other Demons • Eötvös Simon Boccanegra • Verdi Ali Baba ou les Quarante Voleurs • Cherubini La Belle Hélène • Offenbach
Saison 2010 - 2011 - Graphisme OnR - Licences 2-1026712 et 3-1026713
Götterdämmerung • Wagner Don Pasquale • Donizetti L’Affaire Makropoulos • Janácek ˇ Die Entführung aus dem Serail • Mozart Hamlet • Thomas
Danse Strasbourg : 0825 84 14 84 (0,15€/min) Colmar : +33 (0)3 89 20 29 02 Mulhouse : +33 (0)3 89 36 28 28 www.operanationaldurhin.eu
Empty Spaces • Gat – Inger Le Lac des cygnes • d’At Trilogie russe • Stewart – Heinen – Kelemenis Rêves 7 • Guilhaumon
cinq questions à...
Nathalie Jampoc-Bertrand La culture, sous toutes ses formes, est au cœur des préoccupations de la municipalité de Schiltigheim. Rencontre avec l’adjointe (PS) en charge du secteur, Nathalie Jampoc-Bertrand, autour des grandes orientations de sa politique. Quels sont les principes essentiels qui sous-tendent votre action ? Ils sont multiples. Premièrement : l’accès à la culture pour tous. Même si on a beaucoup abusé de ce slogan dans le passé, il recouvre quelque chose de fondamental pour moi à une époque où les inégalités ont tendance à se maximiser. Bien évidemment, il est primordial que le coût de la culture ne soit un obstacle pour personne. Mais une politique tarifaire ne fait pas tout. Si, dans les années passées, Schiltigheim a développé une programmation de haut niveau, accessible au plus grand nombre – notamment dans les domaines de la chanson française, du jazz et des musiques du monde – il me semble que l’action culturelle a plutôt été laissée de côté, ce que confirme le diagnostic de politique culturelle que nous venons d’achever. C’est dans cette direction que j’ai envie d’agir, en travaillant main dans la main avec nos deux Centres Sociaux Culturels. Il s’agit notamment d’imaginer des initiatives pour amener davantage les jeunes aux spectacles, pour développer les pratiques artistiques… Le second principe qui m’est cher en matière de politique culturelle va de pair avec celui-ci : la culture partout. Elle doit irriguer l’intégralité du territoire et, ainsi, participer activement au rayonnement de Schiltigheim. Enfin, valoriser la place de l’art et des artistes dans la cité me semble aussi essentiel.
proche des grands axes et de l’entrée de Strasbourg, est idéale. Mais ce n’est qu’une hypothèse… Le site Adelshoffen deviendra un éco-quartier où sera implantée la Médiathèque Nord, insérée dans le réseau des Médiathèques de la CUS (une surface de 2 600 m² et quelque 80 000 documents, NDLR). Son ouverture, prévue en 2013 / 2014, nous tient particulièrement à cœur, puisqu’à Schiltigheim n’existent pour
très important, puisque Schiltigheim est aujourd’hui dépourvue de structures consacrées à l’art contemporain.
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Aujourd’hui, il existe de nombreuses friches industrielles à Schiltigheim : des sites comme les anciennes brasseries Schutzenberger ou Adelshoffen auront-ils une destination cultuelle ? Pour Schutzenberger, on ne peut rien dire, puisque la situation juridique n’est pas encore réglée. Nous avons proposé d’y installer le futur nouvel opéra : le site s’y prête et sa localisation, toute
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« Je ne crois pas aux actions spectaculaires, aux grands événements qui, trop souvent, constituent le cœur d’une politique culturelle »
l’instant que deux bibliothèques associatives. Nous travaillons aujourd’hui sur ses orientations en partenariat avec Souad El Maysour, la vice-présidente de la CUS en charge de la culture et de la lecture publique. Un de nos souhaits serait la prise en compte de la diversité culturelle du territoire nord de la CUS et une attention particulière au livre de jeunesse.
Quelle sera la destinée de l’ancienne Coopérative des bouchers qui, il y a quelques années encore, était un endroit important pour l’art contemporain dans la CUS ? Le site a dû fermer en 2002 / 2003 pour des raisons de sécurité : nous allons le rouvrir en 2013. Il sera dédié aux arts plastiques et rassemblera des ateliers pour amateurs et professionnels, des espaces pédagogiques, des lieux de résidence pour les jeunes plasticiens et une salle d’exposition. C’est
À côté de ces deux projets avezvous mis en place d’autres initiatives d’importance ? En janvier 2012, la réhabilitation du Foyer Saint-Louis sera achevée : il deviendra un espace accueillant principalement des associations culturelles et des activités de l’école de musique, de danse et de théâtre. Si ces projets sont importants, ils ne constituent pas le seul cœur de notre travail. Les petites choses, les décisions ayant des effets concrets sur le terrain, les initiatives permettant une meilleure connaissance réciproque comptent plus, à mon sens. Je ne crois pas aux actions spectaculaires, aux grands événements qui, trop souvent, constituent le cœur d’une politique culturelle. Elle doit plutôt être faite de multiples actions convergentes, parfois imperceptibles, qui regardées ensemble forment un tout cohérent au service du citoyen. Schiltigheim est une ville où les disparités sont multiples : quelle est la fonction de la culture dans un tel contexte ? Nous nous trouvons effectivement dans une commune populaire, où les revenus sont parmi les plus modestes de la CUS. Dans ce cadre, la culture doit être un vecteur de lien social, un moyen permettant de porter un regard nouveau sur l’autre afin que chacun puisse trouver sa place dans la cité. Propos recueillis par Hervé Lévy Photo : Pascal Bastien
m À voir à Schiltigheim, le concert de Jeanne Cherhal (vendredi 21 mai à la Salle des Fêtes) et deux soirées dédiées au flamenco (vendredi 28 mai au Cheval Blanc et samedi 29 à la Salle des Fêtes) 03 88 83 84 85 – www.ville-schiltigheim.fr
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ART CONTEMPORAIN – FRAC ALSACE
L’enfer du devoir
« L’art est un jeu. Tant pis pour celui qui s’en fait un devoir ! » : vaste programme que propose cette expo bilan qui présente les missions du Frac, tout en montrant l’amplitude dans laquelle l’artiste d’aujourd’hui peut intervenir.
Raphaël Zarka, Cretto (vidéo réalisée sur le site du Grande Cretto d’Alberto Burri en Sicile) / Photo : Cécilia Becanovic
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space de sensibilisation, lieu de diffusion, zone d’expérimentations : un des propos de ce rassemblement d’œuvres faisant partie du dispositif Expomobiles (expos nomades à vocation pédagogique) est de montrer comment le Frac Alsace, créé en 1982, remplit ses missions, « autant de devoirs », note son directeur Olivier Grasser. « L’art est un jeu… » se veut aussi un état des lieux : il fait un point sur les acquisitions (pas forcément récentes) du Frac qui se constitue un fonds, ou plutôt une collection (chaque Frac a sa propre politique d’achats depuis une dizaine d’années), petit à petit.
Jeux interdits ? Cette expo emprunte son titre à Max Jacob (Conseil à un jeune poète, 1945). Selon Olivier Grasser, « Jacob ne parle pas d’une démarche qui répond à la stratégie, l’anticipation, le calcul, mais d’une forme de présence au monde, de spontanéité. À l’inverse, l’artiste peut aussi se créer un rôle, des obligations, qu’elles soient formelles, personnelles, de l’ordre politique ou de l’engagement ». On découvre ainsi la glaciale série photo de Pierre Filliquet, un travail de mémoire sur l’histoire du service d’anatomie patho22 _ Poly 133 - Mai / Juin 10
logique de l’hôpital civil de Strasbourg. Face à ces photos de salles d’autopsie désaffectées, qui ont vu passer l’occupation allemande – et servi de terrain à d’inavouables expérimentations sur le corps –, répond l’ensemble These boots are made for walkin’, travail fantasque, amusant mais grinçant, de Malachi Farrell : des rangers animés façon Tinguely.
(« je préfère les signes à la signature »), tout en répondant à ses “devoirs” de plasticien / citoyen : « Un artiste est politique ou il n’est rien », atteste-t-il en remettant une couche colorée sur un frigidaire de seconde main. Texte : Emmanuel Dosda
m À Sélestat, au Frac Alsace, jusqu’au 16 mai 03 88 58 87 55 – www.culture-alsace.org
Un engagement moral En 1999, le plasticien Franck Bragigand participe à l’exposition des dix ans d’Envie, association de réinsertion qui recycle du matériel électroménager. Avec le personnel de l’asso, il peint des réfrigérateurs d’occasion et en fait autant d’œuvres polychromes, entre objets utilitaires et sculptures, dédiées à la vente dans leurs locaux. Il poursuit cette action en 2001 au MAMCS, au CEAAC en 2008, et aujourd’hui au Frac. Bragigand y a installé un “atelier temporaire de mise en peinture”. « Un engagement moral », car pour lui, « l’art, ce sont des idées », même si le geste reste primordial. « Certains font des tableaux, moi je fais des frigos. » Cet artiste, non pas social, mais « dans la réalité », joue avec les codes de l’art, ses moyens de diffusion (via le réseau commercial), la notion d’artiste
© Franck Bragigand
CIRQUE – LE MAILLON
Ici débute la révolution
Un couple de circassiens australiens, Simon Yates et Jo-Ann Lancaster, esquisse le portrait de deux révolutionnaires pacifistes. Propaganda ou le mélange subtil de prouesses physiques et d’un manifeste humaniste responsable.
L
a Compagnie Acrobat souffle un vent de renouveau dans l’univers du cirque. Installés dans la petite ville d’Albury au sud de l’Australie, JoAnn Lancaster et son mari Simon Yates créent des spectacles en famille (leurs fils Grover, 9 ans, et Fidel, 5 ans, les accompagnent sur scène dans Propaganda) qui leur ressemblent. Depuis l’arrière-cour de leur maison, ils développent un langage physique et chorégraphique audacieux, inscrit dans une éthique de vie en totale rupture avec la société de consommation. Propaganda apparaît comme un manifeste percutant et drôle. L’hymne contestataire Éteignez vos climatisations donne le “la” du spectacle. Trois semaines à Cuba pour « appréhender la réalité et les mythes d’un état communiste, les icônes romantiques, les monuments dédiés aux héros de la révolution » et la survivance des utopies auront suffi à faire émerger en eux les bases de ce spectacle en forme de campagne de propagande pour la générosité et l’égalité.
Idéalistes idéalisés Nous sommes ici à l’exact opposé de la tradition d’un cirque clinquant sous les projecteurs. D’ailleurs, Simon et Jo-Ann ne travaillent qu’avec des objets de récupération et fabriquent eux-mêmes leurs costumes (quand ils ne choisissent pas d’apparaître nus !). Dénués de toute candeur, ils « utilisent – sans l’exploiter ! – l’immédiateté du spectacle vivant » pour livrer sans détour leurs messages. Funambulisme, corde, fil, mât ou trapèze, tout est bon pour rééduquer les masses-spectateurs. Dans une économie de mots, ils dénoncent en saynètes successives l’égoïsme, l’égocentrisme et, surtout, notre conditionnement orchestré par une société capitaliste dictant les rapports humains. On pense au film de John Carpenter, Invasion Los Angeles, et ses messages subliminaux sur pancartes publicitaires. Ici, c’est un de leur fils, symbole du renouveau, qui présentera leur manifeste : « Sois gentil », « Jardine tout nu », « Fais du vélo »,
« Mange tes légumes », « N’utilise que ce dont tu as besoin »…
All you need is love Le comique et l’absurde des situations qui se succèdent feraient presque oublier la virtuosité des corps. Presque seulement. Leur réflexion sur l’échec dans un duo d’acrobaties main à main, où ils multiplient les figures impossibles les faisant s’écrouler, symbolise cette auto-dérision permanente qui n’a d’égale que leurs impressionnantes prouesses physiques. Chez eux, la gymnastique matinale prend la forme de poses imitant les statues à la gloire d’images révolutionnaires. Et lorsqu’ils
dénoncent « la voiture comme moyen de transport individualiste et polluant », ils usent de prouesses sur vélo pour rallier les citoyens-public aux beautés de leur cause. Le couple d’acrobates reste totalement sourd aux slogans (« Trouve-toi un travail ! », « Montre tes nichons ! », « Achète une bagnole »…), s’échappant du mégaphone installé sur une voiture téléguidée les poursuivant, vous l’aurez compris, en vain. Texte : Thomas Flagel Photo : Karen Donnelly
m À Strasbourg, au Maillon-Wacken (à partir de 12 ans), du 5 au 9 mai 03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com
DOSSIER – L’ÉCOLE DU THÉÂTRE NATIONAL DE STRASBOURG
La fabrique de théâtre Le TNS, un théâtre, mais aussi une école où les élèves malaxent la chair des mots, se confrontant à des visions artistiques différentes et sans concession. Plongée au cœur d’une formation et de son évolution depuis l’arrivée aux commandes de Julie Brochen.
C
réer une école d’art dramatique, l’idée était déjà dans l’air en 1946 au Centre Dramatique de l’Est1. Cependant, le projet ne devint réalité qu’en 1954 sous l’impulsion de Michel Saint-Denis. Jusqu’en 1972 existeront trois sections : jeu, décoration, régie / mise en scène. Cette dernière étant loin d’être enseignée comme aujourd’hui, la mise en scène disparut d’ailleurs jusqu’en 2001 lorsque Stéphane Braunschweig opère une petite révolution dans le cursus, introduisant une “véritable” section mise en scène / dramaturgie2. Directrice des études depuis 1994, Dominique Lecoyer connaît bien cette maison et le nouvel essor que lui donna Jean-Louis Martinelli (directeur du TNS entre 1993 et 2000) en « ouvrant le cursus sur le cinéma et des textes qu’on n’avait pas l’habitude d’étudier jusque-là, comme La Maman et la putain ». Quant à Julie Brochen, en poste depuis 2008, elle vient « du jeu et ses choix pédagogiques y sont intimement liés ».
L’empreinte d’une directrice En arrivant à la tête du TNS, Julie Brochen a souhaité installer une plus grande porosité entre la programmation du théâtre et les metteurs en scène intervenant à l’École. Cette saison, Gildas Milin, Claude Régy, Joël Jouanneau, Jean Jourdheuil, Margarita Mladenova et Ivan Dobchev ont présenté leur pièce et enseigné. Idem pour la saison à venir : elle s’ouvrira avec quatre pièces de Feydeau montées par Alain Françon qui suivra l’intégralité du cursus du futur Groupe 40. « J’ai vécu cela au Conservatoire, des rencontres avec des artistes qui créent du désir dans une école », confie Julie Brochen. « Les metteurs en scène avec lesquels on travaille sont ceux qui vous font bosser après. » Et d’insister sur « l’importance
Hugo Eymard, Jérémie Malbrel et Jean-Pierre Vincent en Atelier sur Büchner
du décloisonnement » et « les scénographes qui se posent des questions de mise en scène, et réciproquement ». Sa vision pédagogique ? « Je voudrais qu’en première année il y ait plus d’expérimentations et de laboratoires. En deuxième, les élèves doivent acquérir une plus grande autonomie en affrontant des metteurs en scène difficiles. La troisième année constitue le temps fort de leur projet personnel et l’ouverture sur d’autres écoles étrangères, pour les habituer à sortir et à répéter hors des murs. » Dans cette même logique, elle a instauré, pour la première fois, des épreuves communes aux sections jeu et mise en scène du concours de recrutement 2010. Ce rapprochement se poursuivra en première année où les élèves du Groupe 40 des sections jeu, mise en scène et dramaturgie suivront les mêmes enseignements. Julie Brochen applique sa patte à l’École. Elle l’oriente ainsi vers une “famille” de théâtre dans laquelle le metteur en scène est très proche du plateau, rompant avec la certaine distance qu’entretenait son prédécesseur, Stéphane Braunschweig.
La puissance du collectif Atmosphère studieuse. Jean-Pierre Vincent planche sur Büchner avec le Groupe 39. Si les conseils fusent – « Attends. Prends ton temps. Le silence est aussi un partenaire » – on sent que le metteur en scène est en permanence à l’écoute de ses comédiens qu’il considère « comme des professionnels ». Les grandes lignes de la scène s’élaborent progressivement, par touches successives. Un modus operandi participatif et actif indispensable pour l’ancien directeur du TNS (de 1975 à 1983) qui aime œuvrer dans la durée : « Si je viens seulement deux mois dans une école, j’ai l’impression de faire mon numéro et, surtout, je ne sais pas ce que je laisse. » Il accompagne ses élèves pendant trois ans, appréciant tout particulièrement que « les filières soient mélangées, loin de l’individualisme du Conservatoire à Paris. Cela apporte plus de boulot car il faut repenser l’ensemble à partir des exigences de chacun… et aussi plus de richesse. Évidemment, l’acteur est au centre du processus, mais pas au centre du théâtre. »
L’École en chiffres Création : janvier 1954 Nombre d’élèves formés à l’École : plus de 800 Budget : 1,24 millions d’euros sur un total de 11 millions pour le TNS Équipe : une directrice des études, deux assistants et cinq permanents en régie technique auxquels s’ajoutent nombre d’intervenants pédagogiques Durée des études : 3 ans, concours organisé deux années sur trois Frais d’inscription : 385 € par an (boursiers exemptés) Sections : Jeu / Dramaturgie / Mise en scène / Régie – Techniques du spectacle / Scénographie – Costumes Nombre d’élèves : de 22 à 25 sur 900 candidats (10 à 12 comédiens, 4 à 6 régisseurs, 2 à 4 scénographes, 2 à 4 élèves metteurs en scène ou dramaturges) Groupes actuels : groupe 38 (24 élèves en 3e année, sortie en juin), groupe 39 (25 élèves en 2e année, sortie en juin 2011), groupe 40 (en phase de recrutement, entrée à l’École en septembre)
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DOSSIER – L’ÉCOLE DU THÉÂTRE NATIONAL DE STRASBOURG
que je vois ça ! Jusqu’à savoir comment tu ouvres la porte pour que l’ombre s’y reporte. Le tout au mot près ! En même temps, ils nous abreuvaient de références incroyables (films, livres…) et de possibilités d’imaginaires. » D’ailleurs, Pauline rappelle qu’« Ivan et Margarita revendiquent qu’ils ne sont jamais d’accord, ne se supportent pas.
« Les élèves ne viennent pas apprendre, mais désapprendre. À nous de leur proposer des visions théâtrales différentes et diversifiées. » Julie Brochen
Quelques anciens célèbres Yannis Kokkos (G 9), metteur en scène au théâtre et à l’opéra, partagea l’aventure artistique d’Antoine Vitez de 1969 à 1990 Jean-Paul Wenzel (G 11), auteur et metteur en scène Bernard-Marie Koltès (G 13), un des dramaturges français les plus joués dans le monde. La grande salle du TNS porte son nom François Chattot (G 16), actuel directeur du Théâtre Dijon Bourgogne Tcheky Karyo (G 17), acteur Jean-Quentin Châtelain (G 18), comédien, seul en scène dans Ode Maritime de Claude Régy cette saison Michel Didym (G 20), directeur depuis janvier 2010 du CDN Nancy Lorraine Laurent Lucas (G 27), acteur (Un ami qui vous veut du bien, et Lemming) Jean-Yves Ruf (G 29), metteur en scène et acteur
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L’âpreté et la rudesse de l’Est Durant leur cursus, les élèves sont confrontés à des pratiques théâtrales étrangères. Parfois, le choc culturel est rude comme pour le Groupe 38 qui a suivi un atelier sur Dostoïevski avec Margarita Mladenova et Ivan Dobchev (voir ci-contre). Après une semaine passée à Sofia fin janvier, le travail s’est poursuivi au TNS durant un mois et demi, débouchant sur le spectacle Avec Dostoïevski, fin mars. « La rencontre a été assez conflictuelle au niveau artistique » explique Claire Schirck, élève scénographe. « Il y a une certaine autorité à laquelle nous ne sommes pas ou plus habitués. Ils se placent comme des maîtres. » « Ces deux metteurs en scène, habités chaque seconde de la journée, nous ont proposé une rencontre excessive dans leur univers, hyper exigeante, assez violente notamment pour les comédiens », rajoute Pauline Ringeade, élève metteuse en scène. Le travail était d’une extrême précision, les clés du texte et les bascules de scènes explicitées tout de suite. « Un cadre très rigoureux dans lequel il nous a fallu grandir » analyse Valentine Alaqui, comédienne. Et Frédéric Baron, comédien lui aussi, de préciser : « Pas un geste n’est improvisé. C’est la première fois
C’est pour ça qu’ils travaillent ensemble car dans le conflit, on est obligé de négocier, d’argumenter et d’être altruiste pour s’imposer face à l’autre ». « Leur démarche est si mystérieuse que tu as envie d’aller voir pour comprendre, même si c’est tout sauf simple et agréable d’aller batailler avec eux », confie Valentine. Frédéric en sort « épuisé mais content. Se confronter à des gens qui te donnent autant qu’ils te demandent est incroyablement enrichissant ». Le travail quotidien des élèves se nourrit de la variété de ces expériences. Pour Samuel Favart-Mikcha, élève régisseur, « le plus beau cadeau de cette école, c’est de nous dire : continuez, vous faites partie de ça, on vous a transmis quelque chose et ce n’est que le début ». 1 Le Centre Dramatique de l’Est devient Théâtre national de Strasbourg lors de la saison 1968 / 1969 2 Art de la composition des pièces de théâtre, technique ou poétique de l’art dramatique qui cherche à établir les principes de construction de l’œuvre
Dossier réalisé par Hervé Lévy et Thomas Flagel Photos : Benoît Linder / French co.
m À voir : l’atelier-spectacle de sortie du Groupe 38 dirigé par Joël Jouanneau d’après des extraits de romans de Bret Easton Ellis et de 2666 de Roberto Bolaño Du 11 au 17 juin en Salle Gignoux au Théâtre national de Strasbourg 03 88 24 88 00 – www.tns.fr Du 23 au 26 juin, au Théâtre national de La Colline (Paris) 01 43 66 51 28 – www.colline.fr
Impulsion, authenticité, énergie Margarita Mladenova et Ivan Dobchev du Théâtre-Laboratoire Sfumato de Sofia ont travaillé autour de Dostoïevski avec les élèves du Groupe 38. Souvenirs, souvenirs… Que retenez-vous de cette expérience ? Margarita Mladenova. C’était un processus exceptionnel et très difficile. L’univers de Dostoïevski possède ses propres lois de vie et nous avons d’autres méthodes de travail. Les élèves avaient un désir très fort de vivre quelque chose de différent. Ils étaient préparés, concentrés et curieux. Très sensibles aussi. Ce que nous avons trouvé de commun réside dans cette exigence d’aller jusqu’au bout. Comment caractériseriez-vous la différence d’approche que vous évoquiez ? Ivan Dobchev. Nous souhaitons que les comédiens apprennent à vivre les mots. La tradition du théâtre en France contient un désir d’illumination. L’acteur fait en sorte que le spectateur ressente ce qui se passe sur scène. Nous essayons de manière très radicale d’éliminer ce concept d’un comédien qui informe le public. Nous
exigeons qu’il oublie la présence du spectateur et qu’il se concentre sur ce qui lui arrive, ici, dans l’instant. A-t-il été facile pour eux de se “charger de vie” ? MM. Pour nous, deux mois est un processus assez court. L’acteur est un être très étrange qui a la capacité de transformer un texte en vie réelle. Il nourrit cette vie par son propre être. La pensée cartésienne dicte aux acteurs français qu’il faut d’abord penser quelque chose et le comprendre pour l’effectuer, alors que nous essayons de leur proposer une impulsion qui mettrait en marche leur moteur avant de réaliser et comprendre ce qui se passe, chose qui viendra plus tard. Cette impulsion contient l’authenticité, l’énergie, la puissance. Nous sommes très heureux, surtout en travaillant Dostoïevski qui s’occupe du côté obscur de l’être humain, que les élèves aient réussi à libérer en eux cette nature.
Qu’est-ce que cette expérience française vous a apporté ? MM. Les élèves du TNS ont un système et une formation de base leur permettant de retenir ce qu’ils apprennent. Il est plus facile d’avancer avec eux dans un temps limité. Ils ne reviennent pas au point de départ chaque jour et ils possèdent en plus un esprit de sérieux. Ils se préparent à vivre le théâtre comme une forme de vie à part. ID. C’était un risque pour nous car Dostoïevski est un auteur difficile. Il aurait été beaucoup plus facile de faire un morceau dramaturgique contemporain dans lequel ils jouent avec leur propre jargon, portent leurs propres jeans. Ici, il leur fallait entrer dans un monde de termes, de concepts et de pensées qui appartiennent à celui de Dostoïevski. Propos traduits par Hristo Mitskov Photo : Franck Beloncle
Clement Clavel et Frédérique Baron dans Avec Dostoïevski
L
es spectacles de Rachid Ouramdane fouillent sans cesse le terreau de la mémoire et des héritages personnels, qu’ils soient culturels, politiques, géographiques, ethniques… « En lisant des livres d’histoire », explique-til, « on peut trouver des documents, des faits, mais ce n’est pas ce que nous avons vécu. » Ainsi voyage-t-il sur les traces des violences militaires : quel fossé entre vécu individuel et histoire officielle !
Histoire (avec un grand H)
Les archives du
corps
« Que peut la danse que les livres d’histoire ne peuvent pas ? » s’interroge Rachid Ouramdane. Dans Loin, présenté à Pôle Sud dans le cadre de Danse / Performance - Festival Nouvelles, le chorégraphe croise intelligemment mémoire collective et identité individuelle.
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Le rapport à l’histoire n’est pas anodin pour celui qui montre le collectif au moyen du singulier. Il innerve le corpus chorégraphique de Rachid Ouramdane depuis 13 ans – soient une quinzaine de pièces – et était déjà présent au cœur de l’association Fin Novembre, cofondée avec Julie Nioche en 1996, puis à la création de la compagnie L’A en 2007. Qu’elles concernent les récents bouleversements géographiques, les mouvements de population ou les mutations engendrées par les nouvelles technologies, ses recherches visent à soumettre les identités contemporaines à la focale de la chorégraphie, à convertir au format scénique des témoignages collectés pour la plupart hors de l’enclos du studio de danse. Pensons à De l’arbitre à Zébra (2001) avec la communauté des catcheurs, lutteurs et boxeurs de la ville de Reims, ou à Surface de réparation (2007) avec douze jeunes sportifs de Gennevilliers. Des séries de portraits dansés axés sur les relations souterraines qui lient les personnes à leur pratique. Des projets qui ne visent pas tant à esthétiser la pratique en question, à la mettre en danse, qu’à en livrer un nouveau “montage”. L’expression est appropriée pour celui qui accueille sous le vocable danse, l’espace sonore, le bain lumineux et les outils vidéo. Il travaille la fiction entre les corps en scène et leur captation en images, montre un corps traversé par l’histoire des autres qui imprime les spasmes de la “grande histoire” et enregistre les secousses du monde alentour. Des êtres partagent l’espace avec des écrans vidéo qui sont autant de fenêtres sur l’extérieur, de prolongements corporels ou d’échantillons d’absence. Le travail de Rachid Ouramdane, c’est ainsi l’histoire de “corps-archives” polyphoniques, souvent privés de visage, via casque de moto intégral, capuche, maquillage de clown ou
DANSE – PÔLE SUD
tout autre avatar du masque qui entrave la stabilité de l’identité. La récurrence avec laquelle le chorégraphe s’empare de cette question identitaire, qu’elle soit sociale, géographique ou culturelle rappelle qu’il est issu de la seconde génération d’immigrés, né de parents algériens venus en France. Cette troisième identité hante son projet au point de donner naissance à Loin, solo aux teintes autobiographiques en 2008.
Histoire (personnelle)
alors que ce qui liait mon père à cette Indochine était l’héritage d’une autre colonisation, la sienne, en Algérie ! » Loin est une fresque narrative, faite de mots, de gestes et d’images qui triture les identités. Cérémonie secrète pour mutants en rupture de ban, ce spectacle est un puits noir sans fond, une illusion à laquelle le visage donne une lecture univoque. Pour cet homme pudique et réservé, fils d’Algériens réfugiés dans le mutisme, la parole confisquée des pères sur la guerre
d’Algérie reste une blessure ouverte que la scène permet à sa façon de panser. L’intime est l’endroit à atteindre et de son aveu : « Mon activité est un passe-temps indispensable et nécessaire ». Texte : Geneviève Charras Photos : Patrick Imbert
m À Strasbourg, à Pôle Sud, jeudi 27 mai 03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr
« Le voyage est souvent l’occasion de se revisiter, le moment de faire le point sur son identité, ou plutôt, nos identités. Celles dont on hérite, que l’on porte dans le regard de l’autre et celles que l’on projette, qu’on tente d’émanciper. » Ici, le voyage questionne les strates identitaires qui se reconfigurent lors de tous nos déplacements. Nos différents visages ont alors à négocier entre l’héritage d’un passé et une identité qui se construit au présent.
« Nos différences assumées et notre méconnaissance de l’ailleurs créent le lieu pour que notre regard puisse se repenser » C’est lors de ces mouvements qu’apparaît le sentiment d’être “étranger” puisque « nos différences assumées et notre méconnaissance de l’ailleurs créent le lieu pour que notre regard puisse se repenser. Ce carrefour de la pensée est l’endroit autour duquel j’articule ce projet chorégraphique » ajoute Rachid Ouramdane. Lors d’un récent voyage au Vietnam et au Cambodge, lui est apparue une autre façon de creuser cette thématique : « Je me suis souvenu des pages du carnet militaire de mon père qui eut à fouler cette ex-Indochine : on me donnait làbas, la place d’un ancien colon français,
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Jeune pousse
© RKJR Productions
Chansons en herbe, festival sélestadien organisé par les Tanzmatten, donne un coup de projecteur sur de jeunes talents. Zoom sur Roxane Krief, petit bout de femme et son premier album Sur les rails.
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oxane, jeune Parisienne de 20 ans, s’est intéressée à la musique assez naturellement : « Une guitare traînait dans un coin de la maison. Adolescente, j’ai voulu apprendre à en jouer seule. » Elle se lancera ensuite dans l’écriture. Son opus Sur les rails (sorti le 1er octobre 2009) dévoile douze de ses compositions. Elle y chante son amour pour son Paris en bouteille, la patience dont il faut faire preuve quotidiennement avec Sois sage, ou la routine et les difficultés du Train de vie de chacun. « Certaines chansons sont légères, d’autres abordent des sujets plus difficiles comme les sansabris, les femmes voilées, la guerre, le chômage… Ça peut paraître ambitieux, voire prétentieux, mais je veux faire passer des messages et éviter que l’écoute soit passive. » Elle dit de ses textes qu’ils sont « concernés et non pas engagés. Je ne fais pas de politique. » Touchée par les événements de la vie (et par Souchon, Cabrel, Renaud…), elle aussi est touchante avec sa voix, douce et mélodieuse, qui s’accorde parfaitement à son style folk. À 15 ans, elle joue ses premières compos dans des petites salles de sa ville et guette
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Les nouveaux bourgeons de la scène française
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la réaction, plutôt bonne, du public… ainsi que celle de Julien Régnier, guitariste qui va la soutenir, l’aider à aller de l’avant et avec lequel elle compose ses morceaux depuis. Après avoir côtoyé les scènes des cafés-concerts parisiens, puis l’Olympia à l’occasion du Prix Pierre Delanoë (2008) qu’elle remporte, sous le patronage de Francis Cabrel, la jeune femme débarque à Sélestat en mai, avec trois amis : Julien, évidemment, Bruno Shorp, contrebassiste, et Antoine Paganotti, batteur. Les mêmes qui l’ont aidée à produire un premier CD. « Aucune chanson n’a été enregistrée en studio. On a fait ça chez nous, dans des locaux de répétition et même dans des bureaux qu’on nous prêtait. Cet album repose sur un vrai travail artisanal », ditelle avec amusement, « sans la pression et les contraintes financières d’un studio d’enregistrement ». Une production “100% naturelle”. Un peu comme elle.
our sa sixième édition, Chansons en herbe accueillera une flopée de découvertes prometteuses. Pensons à Presque Oui, un homme (et sa guitare), qui sait occuper le plateau avec les nombreux personnages de son monde musical, ou à Manu Galure, son piano et ses textes pleins d’humour. Des artistes (plus) confirmés arpenteront aussi la scène sélestadienne : Clarika et son univers poétique entrecoupé de moments de rire, ou Élodie Frégé, révélation de la Star Ac’ 2003, qui continue son petit bout de chemin. Également à découvrir, les mélodies folkloriques, au son des guitares et trompettes, du duo enchanteur qu’est La Casa.
Texte : Victoria Karel
m À Sélestat, aux Tanzmatten, du 20 au 22 mai 03 88 58 45 45 www.tanzmatten.fr
m À Sélestat, aux Tanzmatten, vendredi 21 mai Sur les rails (RKJR Productions) www.roxanekrief.com
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Musée des Beaux-Arts de Mulhouse Gérard Chaillou
Exposition du 10 avril au 23 mai 2010 Tous les jours (sauf mardis) Entrée libre
10 JOURS DE FESTIVAL / 15 EVENEMENTS CONCERTS - DJ’S - EXPOS… GRANDMASTER FLASH - MULATU ASTATKE - THE BAMBOOS
PETER DIGITAL ORCHESTRA - ASHLEY BEEDLE - SHIT ROBOT - NORMAN JAY REAL FAKE MC & DJ SUSPECT - MICHAEL RUETTEN - KOUDLAM - ART DISTRICT… // EXPOS & PERFORMANCES : MODE 2 - GREMS - BRUSK & RENSONE - ESSENCE URBAINE GRAFFITI JAM DOWNTOWN // SPORTS URBAINS : EAST COAST STREETGOLF CONTEST #2 JAM SESSION ROLLER-SKATE-BMX // EVENTS. : PELOUSES SONORES AU PARC DE L’ORANGERIE - SOIREE SPLITMIX AU CINEMA LE STAR - SOIREE BAR2BAR…
ART CONTEMPORAIN – KUNSTHALLE
Un bestiaire extraordinaire Avec Foules, Fools, la Kunsthalle de Mulhouse présente une exposition monographique dédiée à Stephen Wilks, artiste britannique installé à Berlin. Des œuvres ludiques… bien plus sérieuses qu’on pourrait l’imaginer au premier abord.
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ans le projet le plus connu de Stephen Wilks (né en 1964), Trojandonkeys 1, on trouve les ingrédients fondateurs de son art : l’humour et la dérision au service d’une réflexion critique sur le monde. Depuis des années, ses “ânes de Troie” se promènent autour du monde. Sept créatures grandeur nature de couleurs différentes, faites en tissu et dotées d’une poche ventrale destinée à recueillir dessins, photographies ou autres contributions collectées par les familles d’accueil des bestioles ou l’artiste lui-même qui déambule, portant la bête sur son dos. « Un renversement du rapport entre l’homme et l’animal » explique celui qui a mené tout un travail autour de La Ferme des animaux2 (on en voit une trace à Mulhouse avec Rat Race où un rat surpuissant écrase une voiture). À la Kunsthalle, « les ânes achèvent en quelque sorte leur périple » : on y découvre une photo extraite du voyage de l’âne bleu (prise à Barcelone en 2008) et Donkey Roundabout, un véritable manège où six esquisses de personnages portent autant d’ânes : un lent carrousel évoquant les danses macabres. Avec la série Fools (2010), une multiplicité de squelettes dessinés au crayon, à l’encre, à la gouache ou imprimés sur toile, son bestiaire s’est récemment enrichi
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Échelle humaine, 2010 Courtesy : Stephen Wilks
d’une nouvelle figure : « Mes squelettes sont burlesques », explique-t-il. « Ils ressemblent aux bouffons du Moyen-Âge et ont, à la fois, la capacité de faire rire et de critiquer les puissants. Ils sont le prolongement naturel des ânes qui, derrière une apparence amusante et anodine, ont aussi un certain pouvoir subversif. On l’a vu au moment du passage de certaines frontières. » Stephen Wilks semble trouver une partie de son inspiration dans les thématiques irriguant l’histoire de l’art et de la pensée. Ses représentations font autant penser aux vanités qu’à l’humour grinçant de James Ensor ou à la réflexion d’un Sébastien Brant qui, dans sa Nef des Fous (1494), brocarde joyeusement les travers de ses contemporains. Puissamment inspirées de la littérature (il suffit
de songer à Caterpillar, immense chenille de tissu recouverte d’extraits de textes de Lewis Carroll, Goethe ou Franz Kafka), les œuvres de Stephen Wilks nous renvoient une image à la fois amusée, attendrie et sans complaisance de nousmêmes. Il n’est donc guère surprenant que, lorsqu’on interroge l’artiste sur de ses influences, il réponde : « Question trop vaste. Trop complexe ». Un temps de réflexion. « Jacques Tati, peut-être. » www.trojandonkey.net Fable romanesque de George Orwell décrivant une ferme où les animaux se révoltent, puis prennent le pouvoir
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Texte : Hervé Lévy
m À Mulhouse, à la Kunsthalle, jusqu’au 20 juin – 03 69 77 66 28 www.kunsthallemulhouse.com www.stephenwilks.net
THÉÂTRE – TNS
L’élégance du désespoir Au Théâtre national de Strasbourg, la directrice et metteuse en scène Julie Brochen revient à ses premières amours en montant la dernière pièce de Tchekhov, La Cerisaie. Rencontre. Cette histoire raconte la douloureuse fin d’une époque partagée en famille et le questionnement sur l’après. On pense à l’aventure de votre compagnie qui se termine et à la naissance de la troupe du TNS, avec ce spectacle qui réunit votre famille artistique pour un nouveau départ… Depuis le début, je pense La Cerisaie comme première pièce ici. Faire de la fin des Compagnons de jeu un commencement. J’ai d’ailleurs appris en travaillant sur le texte avec les traducteurs, André Markowicz et Françoise Morvan, que
Tchekhov avait prévu d’écrire une autre pièce derrière. On sait qu’il est revenu tout près d’ici, à Badenweiler, juste après La Cerisaie, pour mourir. Il était dans une sorte de cure pour tuberculeux et, même si c’est un peu romancé, on dit qu’il s’est senti mourir, a appelé le médecin et demandé une coupe de Champagne qu’il a bue entièrement, décédant juste après. Quel panache ! En parallèle du Conservatoire national d’Art Dramatique de Paris, vous suiviez au début des années 1990, le cours sur le théâtre de
Tchekhov d’Anastasia Vertinskaïa et Alexandre Kaliaguine du Théâtre de Moscou. Qu’a apporté leur enseignement à votre mise en scène de La Cerisaie, 15 ans plus tard ? Ce qu’ils m’ont livré rayonne sur tout le jeu du comédien car Tchekhov est une école de jeu pour les Russes. On peut passer sa vie à y apprendre son métier. C’est insondable, inépuisable, comme un champ de travail ouvert lié à la dissection de l’âme humaine. Ils disaient qu’en France on avait quelque chose d’obscène : les soldes. Je ne comprenais pas trop l’idée. « Tout ce que vous préférez dans
Photo de répétitions avec, de gauche à droite, Fred Cacheux, Bernard Gabay, Hélène Schwaller et Julie Brochen © Franck Beloncle
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THÉÂTRE – TNS
vos textes, ce pour quoi vous les avez choisis, tout ce que vous avez envie de dire, il faut le brader, le solder ». Et ça, c’est une chose vertigineuse. Quel effet cette phrase a eu sur moi ! Finalement, cela m’a fait comprendre ce pour quoi on fait du théâtre : traverser un auditoire vivant chaque soir. Et de dire « tout ce que vous préférez il faut le brader » revient à mettre le jeu au service de l’écoute et pas l’inverse, être au service d’un texte et ne pas se servir de lui pour dire telle ou telle chose. Il faut se livrer à lui corps et âme, se faire broyer parfois, malmener souvent… Autant de choses très importantes qui m’accompagnent toujours. Leurs fantômes s’invitaient-ils aux répétitions ? Il y a d’autres fantômes sur le plateau avec nous. La pièce en parle beaucoup et on se demande même qui est véritablement présent. Jeanne Balibar disait une chose très belle : le personnage de Lioubov et Tchekhov ont un rapport fort. Si on part du principe que Tchekhov meurt seul de tuberculose dans une maison désertée, Lioubov peut très bien revenir seule dans cette maison elle aussi et convoquer tout le monde. Peut-être que personne n’est réel, que chacun passe et disparaît.
Vitez disait de La Cerisaie qu’elle est « un vaudeville ». Est-ce dans cette même lecture que votre direction d’acteurs s’est orientée : faire émerger l’humour sous-jacent et cette mélancolie mêlée de tristesse, comme le rire au bord des larmes ? Le rire au bord des larmes parcourt toute son œuvre. L’objectif principal reste de ne pas forcer la chose, de la laisser apparaître si elle doit apparaître, sans avoir peur du ridicule, ou d’éclater de rire alors qu’on a envie de pleurer. De là à en faire un vaudeville, il y a un monde car cela reste une pièce très sombre. Une même phrase nous tient serrés comme un coup de poing dans le ventre et, l’instant d’après, provoque un fou rire. Nous sommes sur une lame de rasoir et il ne faut pas se trancher la gorge avec. Outre la nostalgie de l’âge d’or de l’enfance, La Cerisaie évoque la revanche des petits à travers celle de Lopakhine (un parvenu, fils de moujik1) qui rachète ce domaine où son père et son grand-père étaient esclaves… L’âge d’or de l’enfance est lié à la mort. Cette enfance est comme une blessure
vive chez des gens qui ne le sont plus. Repartir ainsi en enfance contient quelque chose de nocif, de l’ordre de la névrose profonde. Les personnages se comportent comme s’ils avaient tous un enfant noyé en eux. Quant à Lopakhine, il s’est enrichi par son travail. C’est quelqu’un d’assez honnête et qui a un projet de collectivisme. Il amène le x x e siècle avec
« Une même phrase nous tient serrés comme un coup de poing dans le ventre et, l’instant d’après, provoque un fou rire. Nous sommes sur une lame de rasoir et il ne faut pas se trancher la gorge avec » lui. On ne peut pas juste se boucher les oreilles en disant “Non mais les lopins de terre à louer, chacun sa datcha, excusez-moi mais je ne veux pas en entendre parler…” Ce sont le prisme de chacun des regards des personnages et la façon dont ils se positionnent qui font la pièce et
Photo de répétitions avec, de gauche à droite, Hélène Schwaller, Jeanne Balibar, Jean-Christophe Quenon, Cécile Péricone et Vincent Macaigne © Franck Beloncle
constituent une seule parole de Tchekhov se difractant dans chacun des rôles, comme Claudel pouvait le faire. L’amour est aussi au centre de toutes les relations. Ania (fille de Lioubov) aime Trofimov qui, lui-même, convoite Varia (fille adoptive de Lioubov)… Lioubov signifie amour en russe. Si nous le prenons au sens philosophique, l’amour est presque ce qui fonde le dialogue, le théâtre, la parole. Entre les personnages, rien n’est vraiment avoué, tout est enseveli sous les années. Les choses sont tues, pensées. Il est difficile de démêler tout ça car on sait que nous n’y arrivons pas. Lioubov revient et ce retour a quelque chose de définitif comme un départ lui aussi définitif, comme la mort. Les spectateurs du TNS commencent à connaître votre univers. Ils savent que la musique et le chant y tiennent toujours une place particulière. Que nous réservez-vous ? Au début, je souhaitais un orchestre juif que je n’ai pas trouvé. Du coup, je m’appuis sur mes acteurs qui sont aussi de très bons instrumentistes. J’ai engagé l’excellent clarinettiste Carjez Gerretsen, qui était déjà présent dans ma Périchole2, et deux musiciens de Secret Maker (un trompettiste et un violoniste) qui vont faire un travail sonore sur tout le spectacle. Les acteurs interpréteront les chants. Les plateaux ouverts aux espaces sans limites concrètes sont une autre constante de votre univers scénographique. Quelle image vous a habitée pour concevoir le décor ? Ma première idée était un sol blanc qui aille jusqu’aux bancs habités par les acteurs à droite et à gauche de la scène. Je voulais aussi un rideau de fer en verre car je souhaitais qu’ils arrivent à travers la verrière, comme une apparition dans cette serre en volume qui peut partir dans les cintres. J’avais envie qu’il n’y ait pas de barrière, que les spectateurs soient avec nous sur le plateau. Qu’ils assistent à cette drôle de chose qu’est La Cerisaie, comme à une veillée. C’est pourquoi le plancher est au niveau du premier rang de spectateurs. Le jeu est altéré. On est moins sécurisé, plus à vif, sans filet. La serre me permet de faire un salon dans lequel il y a normalement un bal. Comme
Photo de répétitions avec, de gauche à droite, Jeanne Balibar et Jean-Christophe Quenon © Franck Beloncle
je n’avais pas du tout envie de le faire, je me sers d’une double tournette3 pour casser le salon, le faire valser. Les costumes ont aussi été créés par l’atelier du TNS. Dans quel esprit ? J’ai eu plus de mal qu’avec le reste car nous avons été marqués par l’incendie qui a ravagé notre stock au Nouvel an. Je travaille beaucoup à base de récupération et nous avons tout perdu : l’ensemble inestimable de costumes du Théâtre et tous ceux de mes créations passées. Mon premier deuil partagé avec le TNS. Mais l’atelier s’y est mis à fond, là encore La Cerisaie sera un commencement… Nous avons lancé des pistes de manière collégiale. Élisabeth Leronde, responsable de l’atelier de costumes, a tout réalisé avec
deux élèves scénographes-costumières de l’École. L’ensemble forme une rêverie poétique sur cette période historique. Un serf En 2006, elle crée L’Histoire vraie de la Périchole, d’après La Périchole de Jacques Offenbach au Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence 3 Partie circulaire d’une scène tournant grâce à un mécanisme 1 2
Propos recueillis par Thomas Flagel
m À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 27 avril au 30 mai 03 88 24 88 00 – www.tns.fr m Projection (suivie d’une rencontre) du film Oncle Vania réalisé en 2003 par Jean-Baptiste Mathieu d’après la mise en scène de Julie Brochen, à l’auditorium du MAMCS, samedi 29 mai à 15h30 Réservation au 03 88 24 88 00
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ARCHITECTURE – HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE STRASBOURG
Augmente le volume ! Les architectes de Nunc se chargent de la restructuration du hall d'entrée de l’hôpital de Hautepierre. Une lecture simplifiée de l’espace et une impression générale de volume. Le but ? « Faire respirer l’hôpital. »
L
e pôle alsacien de Nunc, regroupement d’architectes hyperactifs basé en quatre lieux (Alsace, Bretagne, Savoie et Paris), est responsable de la restauration de l’Aula du Palais universitaire (en 2006) ou encore de l’actuel visage du cinéma Odyssée (1992) à Strasbourg. Nunc finalise la restructuration du hall d’entrée de l’hôpital de Hautepierre. D’après Diane Rolin et ses confrères, cet espace représente « le premier et le dernier contact d’un visiteur avec l’équipement public. C’est également par là que transite l’ensemble des patients, médecins, personnels administratifs… » Le défi ? « Permettre une orientation aisée » dans un lieu – existant depuis 1970 et en activité durant les travaux – où circulent quotidiennement quelque 4 000 personnes, tout en offrant « transparences, perspectives et harmonie entre matière et lumière ». L’audace de Nunc a su séduire l’équipe de l’hôpital : l’agence a largement débordé le cahier des charges en proposant
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de… déplacer, vers le cœur de l’édifice, le service des admissions qui se situait juste à l’entrée. Les architectes ont fait le choix de détruire les anciens bureaux pour dégager la façade vitrée et amener la lumière à pénétrer dans la bâtisse. Le parvis – agrandi pour l’occasion – conduit ainsi au hall de l’hôpital, plus lumineux et spacieux. Un véritable « lieu de vie » où se trouve notamment la nouvelle banque d’accueil, en bois verni. Les usagers empruntent alors un vaste couloir de circulation, élargi et baigné de lumière naturelle grâce à des percées au plafond. Sur les murs : une paroi rétro-éclairée en verre sérigraphié à thématique végétale. Cette “rue intérieure” conduit les patients vers les différents services, selon quatre axes (A, B, C et D) correspondant aux ascenseurs. L’orientation est facilitée par une signalétique d’une grande lisibilité et simplicité. Conçue par Marion Turbat et Céline Emonet, elle est mise « au service d’une circulation efficace, non pas d’une
esthétique », insiste le duo de graphistes. L’ensemble du travail de restructuration se veut épuré, usant de formes simples et de couleurs claires, empruntant un vocabulaire « neutre ». Selon Diane Rolin, la proposition de Nunc se devait de pouvoir répondre aux mutations structurelles de l’hôpital de Hautepierre, de s’adapter aux constants changements de ce complexe « organisme vivant ». Texte : Emmanuel Dosda
Maître d’ouvrage : Hôpitaux Universitaires de Strasbourg Nature de l’opération : Restructuration du hall de l’hôpital de Hautepierre Équipe de maîtrise d’œuvre : Nunc architectes Surface restructurée : 2 070 m2 Montant des travaux : 1 220 000 € HT Concours : septembre 2007 Début des travaux : juin 2009 Fin des travaux : octobre / novembre 2010 www.nunc.fr
Vue kaléidoscopique Collage sonore et visuel, l’Opéra des trois pays est une création multimédia protéiforme en plusieurs étapes et autant de lieux. Le compositeur Bruno de Chénerilles dévoile son étonnant projet.
A
utour du Rhin, entre France, Allemagne et Suisse, le “Dreyeckland” a toujours fasciné Bruno de Chénerilles1. Le compositeur a donc décidé de s’attaquer artistiquement à cette « zone de circulation permanente des hommes et des marchandises, où industries, villes, nature et friches se mélangent » qui englobe Huningue, Saint-Louis, Weil am Rhein, Lörrach et Bâle. Il a rassemblé une équipe trinationale pour créer un opéra multimédia, dont l’essence visuelle et sonore a été collectée des mois durant avec la participation des habitants de cet espace par le biais, notamment, d’une enquête sur Internet : « Avec micros et caméras, nous avons prélevé des échantillons sur le terrain ». Le résultat ? Une œuvre d’art totale du XXIe siècle. Un opéra multiforme en plusieurs soirées (et au moins autant de lieux) qui entraîne le “spectateur voyageur” sur les traces des deux personnages principaux, « qui parlent français, allemand, Schwyzerdütsch2. Ils se nomment
Lorie, une référence burlesque à la Lorelei, et Alby qui renvoie au nain Alberich de la Tétralogie de Wagner. » Dans cet opéra pourtant « il n’y a pas d’histoire linéaire, ni de narration ». Il s’agit plutôt d’un portrait d’une zone géographique, où se mêlent de multiples moyens d’expression : du cabaret multimédia à la performance, en passant par l’installation et les musiques électroacoustiques. Bruno de Chénerilles est en effet issu de la musique concrète3, un courant initié par Pierre Henry et Pierre Schaeffer. Voilà tracés les contours des trois pays sous la forme d’un véritable paysage artistique, où textes, musiques et images se fondent. Mais il existe aussi un Quatrième pays que l’on découvrira sur les différents lieux de l’opéra sous la forme d’un magazine, réalisé par Esther Hiepler et Max Philipp Schmid, deux plasticiens helvètes. Ils « ont voyagé dans les multiples no man’s land des zones frontières et y ont
pris des photos ». Et si ces espaces interstitiels étaient l’épicentre de la région, son point d’équilibre symbolique ? 1 Son travail sur cet espace dans le cadre du Portrait sonore de l’Alsace (1999-2003) fut fondateur de cet Opéra des trois pays – www.audiorama.org 2 Un terme qui désigne les dialectes alémaniques parlés en Suisse 3 Pierre Schaeffer la définissait comme « un collage et un assemblage sur bande magnétique de sons préenregistrés à partir de matériaux sonores variés et concrets »
Texte : Hervé Lévy Photo : Geoffroy Krempp
m Prologue. À Strasbourg, à la Médiathèque André Malraux (du 28 mai au 5 juin) m Acte 1. À la lumière d’un jour multiple, à Saint-Louis, au Théâtre de la Coupole, jeudi 3 juin m Interlude. L’Étoile de mixage à Huningue, au Triangle, vendredi 11 juin m Acte 2. Pleine lune dans le port de Bâle, à Bâle, dans le port et sur le Rhin, samedi 26 juin m Acte 3. Territoire des Voix, à Lörrach au Burghof, jeudi 1er juillet dans le cadre du festival Stimmen – www.stimmen.com m Épilogue. La Passerelle sonore sur la Passerelle des Trois Pays et le site Dreiländereck, dimanche 4 juillet www.opera3.eu
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EXPOSITION – BNU
L’âme
russe
À travers quelque 220 pièces, l’exposition Pouchkine illustré permet au visiteur d’aller à la rencontre du “plus russe des écrivains russes”. Quatre mois durant, la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg se met à l’heure de Moscou et de Saint-Pétersbourg.
D
ernière exposition présentée dans les bâtiments de la place de la République avant rénovation complète1, Pouchkine illustré s’inscrit dans le cadre des manifestations de l’année France / Russie2 et permet de partir à la découverte de celui qui est considéré, dans son pays, comme l’un des plus grands écrivains, sinon le plus grand. Tué en duel par un officier… alsacien, le baron
Vassili Choukhaeff, Boris Godounov, 1924, MNPSP
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Ivan Bilibine, Le Conte du tsar Saltan, 1905, MNPSP
Georges-Charles de Heeckeren d’Anthès, un peu trop proche de son épouse, il est devenu une légende. Plutôt que de proposer une présentation “classique” – du type Pouchkine (1799-1837), sa vie, son œuvre – la BNU a préféré, comme l’explique un des deux commissaires, le bibliothécaire Julien Collonges3, « montrer l’importance d’un écrivain dans son pays à travers l’abondante iconographie que ses textes ont générée. Une expression russe affirme en effet : “Pouchkine est notre tout” ». Paradoxalement moins connue en France que celles de Dostoïevski, Tolstoï ou Tchekhov, l’œuvre du père de Boris Godounov (l’opéra de Moussorgski est plus célèbre que le texte originel !) est pourtant « l’équivalent de celle de Shakespeare en Angleterre ou de Goethe en Allemagne. Sa langue est d’une extraordinaire fluidité et d’un profond naturel, comme si on y trouvait concentrée toute la Russie ». La forme de l’exposition ? Environ 220 pièces, provenant pour la plupart des Musées Pouchkine de
Moscou et de Saint-Pétersbourg, et dix étapes, correspondant, chacune, à une œuvre majeure, qui mettent en évidence la place d’un écrivain irriguant aujourd’hui encore la vie quotidienne russe (ne trouve-t-on pas des cigarettes Pouchkine ? Un parfum ?). À travers ce parcours littéraire, nous sommes invités à une promenade esthétique dans l’histoire de l’art, des maîtres de la gravure (comme Favorski, Epifanov, ou Alexeieff) au réalisme socialiste en passant par les circonvolutions arts déco aux influences japonisantes d’Ivan Bilibine illustrant, par exemple, Le Conte du tsar Saltan. Grâce à ces multiples eaux-fortes, peintures, esquisses pour des décors d’opéras ou de ballets, illustrations et autres dessins (auxquels il fait ajouter des extraits musicaux et la projection d’un moyen métrage de 1916 signé Yakov Protazanov, La Dame de pique), on comprend mieux la phrase de Gogol : « La Russie sans Pouchkine. Comme c’est étrange ». Les locaux fermeront leurs portes pour trois ans à l’issue de l’exposition. La BNU poursuivra néanmoins une activité normale sur différents sites 2 www.france-russie2010.fr 3 Il a travaillé main dans la main avec Dmitry Kudryashov, chargé d’acquisitions à la BNU 1
m À Strasbourg, à la Bibliothèque Nationale et Universitaire, du 12 mai au 19 septembre 03 88 25 28 00 – www.bnu.fr
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG
SYMPHONIE
LAURENT PETITGIRARD DIRECTION
JANJA VULETIC
DES DEUX RIVES CONCERT GRATUIT EN PLEIN AIR 6 E EDITION
MEZZO
DIDIER LOCKWOOD VIOLON
SÉBASTIEN GIOT HAUTBOIS
CATHERINE BOLZINGER
CHŒUR DE L’OPS
12 SAMEDI
JUIN 2010 / 21H30 JARDIN DES DEUX RIVES
CHEF DU CHŒUR
EN CAS D’INTEMPÉRIES LE SPECTACLE SERA REPORTÉ AU DIMANCHE 13 JUIN ACCÈS BUS (LIGNE 2) RENSEIGNEMENTS : 03 69 06 37 00
& ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE STRASBOURG
THÉÂTRE – COMÉDIE DE L’EST
Sans
dessous
dessus
Membre de la troupe permanente de la Comédie de l’Est, Carolina Pecheny se mue en metteuse en scène pour créer Une Laborieuse entreprise. Une pièce décapante où Hanokh Levin, avec son humour incisif, révèle le mal-être d’un couple décidé à vider son sac.
A
u cœur d’une nuit comme tant d’autres, Yona fait le point sur sa vie. Un bilan plus que négatif en forme de crise existentielle qui envoie tout valser : ses actes manqués, ses rêves croulant sous la poussière des années et surtout sa femme, Leviva, qu’il est bien décidé à quitter. « Réveillée au milieu de la nuit, elle va cristalliser ses échecs à lui, passer de moitié et d’âme sœur à punching-ball », explique Carolina Pecheny. « Mais elle ne va pas se laisser faire. La force de la pièce de Levin réside en l’énergie du désespoir de ses personnages. »
Au-dessus de l’amertume Dans un décor minimaliste aux couleurs primaires et vives comme une toile de Chagall, le lit du couple fait office de ring et de champ de bataille. Une large fenêtre sur l’extérieur, dont on perçoit les
bruits de la ville et de l’orage qui gronde, est amovible et manipulable, tour à tour tribune d’expression face au public et confessionnal où se dit le plus intime. « Cette chambre est une cage dont Yona veut s’échapper et où Leviva entend le garder », livre la metteuse en scène. « Par son écriture, Hanokh Levin* n’en fait pas un psychodrame. Ils vont tellement loin l’un avec l’autre qu’ils se disent tout de manière sauvage, cruelle, mais si vraie. Yona est au-dessus de l’amertume, donc il lâche l’atroce avec une certaine légèreté qui amène la comédie avec elle. » L’intrusion de leur voisin, venu vérifier que d’autres souffrent autant que lui, n’arrêtera pas le déballage en cours. Il n’est qu’un alter ego, « le miroir de ce que Yona pourrait devenir ».
Le bonheur en question « Autour de moi, nombreux sont les couples qui se séparent à la quarantaine. Ils ont le fantasme de croire qu’en partant, ils retrouveront leurs 20 ans alors que c’est impossible », raconte Carolina. Levin, habitué des satires impertinentes centrées sur les cellules familiales, analyse ici l’un des symptômes de notre époque : le désarroi de l’âme humaine en quête infructueuse d’un bonheur inaccessible. « Comment négocie-t-on avec soi-même pour que le décalage entre les rêves et la réalité ne soit pas trop grand ? Combien ont l’impression de ne pas exister s’ils n’ont pas un boulot, une belle voiture, un numéro de sécu et des cartes de fidélité ! » Pour cette aventure, Carolina Pecheny s’est entourée d’autres membres de la troupe permanente de la Comédie de l’Est : Pascal Durozier (son mari à la vie), Flore Lefebvre des Noëttes et Philippe Mercier. Des comédiens avec une dose de folie, un jeu « tout sauf réaliste, une grande maîtrise de leur corps et, surtout, énormément d’humour ! » Autant d’ingrédients indispensables à cette Laborieuse entreprise, condensé d’humour juif qui leur permet de rire du pire, l’absurdité de l’existence humaine en tête. * Figure majeure du théâtre israélien contemporain, Hanokh Levin (1943-1999) est l’auteur d’une cinquantaine de pièces et de plusieurs recueils de poésie et de prose. Texte : Irina Schrag Portrait de Carolina Pecheny : Jean-Philippe Senn
m À Colmar, à la Comédie de l’Est, du 18 au 29 mai – 03 89 24 31 78 www.comedie-est.com
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f ules, f
ls
22.04 J 20.06.10 ¦ Stephen WILKS ¦ Tél. +33 (0)3 69 77 66 47 ¦ kunsthalle@mulhouse.fr www.kunsthallemulhouse.com
Fools – Stephen Wilks, 2010 graphisme : médiapop + STARHLIGHT
AUDITORIUM DES MUSÉES UN ESPACE DE DIFFUSION DES SAVOIRS ET DE RENCONTRE ENTRE LES ARTS : CONFÉRENCES / ART / CINÉMA / VIDÉO / PERFORMANCES / THÉÂTRE / DANSE / LITTÉRATURE / MUSIQUE CONTEMPORAINE / MUSIQUES ACTUELLES / ROCK / DJs
Graphisme : Rebeka Aginako
MUSÉE D’ART MODERNE ET CONTEMPORAIN 1, PLACE HANS JEAN ARP TÉL. 03 88 23 31 31 WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG
ATELIERS OUVERTs – MULHOUSE ET STRASBOURG
Intrusions
Depuis plus de dix ans, les Ateliers ouverts, événement organisé par l’association Accélérateur de Particules, invite le public à pousser la porte d’artistes alsaciens. Visite de deux lieux de création : les Ateliers de la Ville de Mulhouse et La Semencerie à Strasbourg.
Les Ateliers de la Ville de Mulhouse
ace à une demande croissante, la Ville a aménagé, il y a onze ans, tout un bâtiment du centre-ville pour accueillir une dizaine d’ateliers d’artistes », annonce Éric Vincent du Service d’animation culturelle de Mulhouse. Des surfaces de 25 à 50 m2 par atelier, pour une durée maximum de deux ans, occupées à plus de 80% par des diplômés fraîchement sortis d’Écoles d’art telles que le Quai, mais aussi par des autodidactes exerçant en parallèle une autre activité professionnelle et justifiant d’un travail artistique. Anthony Vest, artiste locataire des ateliers mulhousiens, regrette qu’il n’y ait pas davantage d’endroits de ce type, mais s’avère reconnaissant quant à cette « opportunité de produire sans que l’inspiration ne soit confrontée à des contraintes spatiales ». Il note également que les ateliers permettent d’attirer l’attention de collectionneurs et professionnels (directeurs de Drac ou Frac, etc.), curieux de suivre l’évolution des artistes locaux. De retour dans sa ville natale depuis deux ans, Anthony se réjouit de voir que Mulhouse donne davantage d’importance à l’art contemporain, notamment avec l’ouverture de la Kunsthalle.
Artistes Ch. Appart. C’est dans l’un des appartements de la rue Jacques Preiss que le plasticien, qui a notamment effectué l’habillage des trams mulhousiens à l’occasion de l’exposition Féerie Indienne du Musée de l’Impression sur Étoffes, façonne sa réflexion sur notre société. Entre sculpture, peinture et dessin, grâce à l’utilisation de matériaux en tous genres (aluminium, bois ou métal), ce touche-à-tout présentera des ‘‘caravanes’’ lors des Ateliers ouverts. En ruines et aménagées à sa façon, elles soulèvent la question de la précarité, du temps qui s’écoule… « Notre premier objectif lors de cet événement est de donner à voir et à penser », note Anthony, ancien diplômé des Arts déco de Strasbourg. L’illustrateur Vito Cecere, la photographe Marianne Maric, la céramiste / plasticienne Emmanuelle Guilbot ou le vidéaste Pierre Soignon, voisins d’Anthony Vest, investiront également les lieux pour présenter leur travail durant cette manifestation, une belle invitation à pénétrer dans la sphère intime des artistes.
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Semeurs et glaneurs Strasbourg, à proximité de La Friche Laiterie ou du Molodoï, s’élève une bâtisse industrielle de 2 000 m2 : des murs de pierre, une charpente métallique et de grandes baies vitrées. Depuis avril 2008, Nungesser Semences loue, pour une bouchée de pain, ce vaste entrepôt désaffecté à 26 artistes rassemblés au sein de l’association La Semencerie. À l’intérieur, nous remarquons un étalage de fruits et légumes glanés en vue d’un festin de groupe tandis qu’un géant à dreadlocks nous interpelle : « Vous voulez essayer ? », désignant le « véhicule de création ambulante » qu’il a mis au point. Nous voilà embarqués, à toute blinde, dans une petite charrette, un casque / cervelle vissé sur la tête, des images vidéos devant les yeux, des sons inquiétants dans les oreilles…
« Tu mets trente artistes dans une boîte, tu secoues et forcément tu obtiens cette émulation » Les idées fusent des 13 boxes construits par les artistes eux-mêmes. « À notre arrivée, il n’y avait ni eau, ni électricité », indique Thomas, concepteur d’ingénieux mobiles métalliques. « La Semencerie fonctionne de manière collégiale », le plus démocratiquement possible. Tous
La Semencerie à Strasbourg
les lundis, ses locataires établissent un planning : travaux à réaliser, récupération de divers matériaux, réflexion quant à l’élaboration de projets communs comme cet ouvrage collectif de gravures, édité à l’occasion des Ateliers ouverts. Les “Semeurs” décident aussi des résidences mensuelles (la compagnie Quelque Part y a élaboré sa chorégraphie pour 100 bicyclettes). D’après Amélie, s’apprêtant à exposer une série d’estampes dans une galerie luxembourgeoise, « l’idée n’est pas seulement de profiter du lieu, mais de participer à “l’aventure Semencerie” ». Les artistes, graphistes, architectes, peintres, scénographes ou créateurs de bijoux sont tous très impliqués dans ce projet humain où se partagent « les savoir-faire et les “savoir-penser” », dixit Thomas. Marie, graphiste, chanteuse dans un duo electro,
À Mulhouse : vue intérieure d’une “caravane” d’Anthony Vest
acquiesce et insiste sur « le foisonnement créatif : normal, tu mets trente artistes dans une boîte, tu secoues et forcément tu obtiens cette émulation ». Cependant, toute cette troupe imaginative – cette « bande de tarés », plaisante-t-elle – semble vivre en sursis : d’ici un an ou deux, Nungesser revendrait son bien… Pour trouver une parade, comptons sur les ressources de ces astucieux plasticiens, pros de la débrouille, champions de la récup’. Les Ateliers de la ville de Mulhouse, 17 rue Jacques Preiss – www.mulhouse.fr La Semencerie, 42 rue du Ban de la Roche à Strasbourg www.lasemencerie.org Soirée de soutien à La Semencerie, samedi 19 juin au Molodoï – www.molodoi.net Texte : Emmanuel Dosda et Victoria Karel
m Les Ateliers ouverts, les week-ends du 8-9 & du 15-16 mai www.ateliersouverts.net
Formication Tower de Mathieu Husson à la Semencerie
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portrait
Une danse recyclée & habitée En résidence strasbourgeoise à Pôle Sud depuis le début de l’année, Joanne Leighton présentera sa dernière création, The End, au cours de Danse / Performance - Festival Nouvelles. Portrait artistique d’une chorégraphe atypique.
V
elvet. Le nom de la compagnie fondée en 1994 par Joanne Leighton aurait-il quelque chose du violet œcuménique ou nous rappellerait-il l’utilisation de l’adjectif, dans les années 1960, par le groupe lié à la Factory d’Andy Warhol, le Velvet underground ? Du vrai. Du faux. Difficile à cerner, car le travail de cette Australienne, installée à Bruxelles depuis 1993, ressemble à un leurre salutaire. Au lieu de se revendiquer d’une chapelle chorégraphique ou d’un maître à danser, elle navigue avec intelligence dans la citation, le recyclage de compositions signées d’autres auteurs (avec leur autorisation). Toute « copie ou ressemblance » ne serait donc pas fortuite. Son langage, tout sauf un pastiche, renvoie au patrimoine de la danse d’aujourd’hui avec humour et distanciation. Avec son légendaire Display / Copy Only (2004), Joanne alignait déjà une série d’extraits de pièces dansées, emboîtées les unes dans les autres, comme un tissu de références pour mieux faire basculer une danse “sérieuse” vers un joli fatras complice de saveurs déjà dégustées… dans un contexte plus conventionnel. De Made in Taiwan (2004), son œuvre emblématique, on retiendra le goût d’un manifeste : copie, rature, citation, reconstruction non à l’identique. Une danse d’occasions, remaniée, relookée qui fait réfléchir et fléchir les puristes. Rien ne vient de nulle part et les influences engrangées par les années peuvent ressurgir quand on presse l’éponge du temps.
Espace & Mouvement
Comme une architecte, la chorégraphe explore de nouvelles voies et remet en question les règles traditionnelles de composition formelle, de hiérarchie et d’ordre. « Il n’y a pas d’espace sans mouvement », confie-t-elle : « Il est modelé et défini par ce qui se passe à l’intérieur et alentour, par sa fonction. Un spectacle de danse parle de l’espace de représentation, physique et réel, mais aussi de la présence et de l’absence dans l’espace et de l’espace propre du corps, intérieur et extérieur. » Toute l’inspiration de ses compositions
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prendre. De son séjour à Londres, une prend sa source dans cette pensée ville où, titulaire d’une bourse, elle avait et fait de sa danse un tissu de « distravaillé au début de sa carrière, créant torsions, d’inversions, de fragmentaplusieurs spectacles accueillis au Place tions, de juxtapositions, répétitions, Theater, elle garde l’amour de la persuperpositions, restrictions, inserformance, la plus féconde des pratitions, dissociations et disjonctions ». ques créatrices… Naturel donc qu’elle Histoire d’explorer rencontre aussi l’œu« Si nous dansons, de nouvelles voies vre du musicien John nous allons, rire, pour atteindre les Cage avec The End, cette « conférence sur penser, réfléchir, bouger, spectateurs et de nouvelles stratégies rien » qui débouche ne pas bouger, nous pour intervenir dans sur l’appréhension logique du monde ! Un copier, nous emporter, la voie publique. Et Joanne de conclure : bijou d’humour où elle nous faire emporter » « Ensemble faisons visite toutes les “fins” le show ou le nonpossibles : le « dershow. Ouvrons les bras et accueillons nier mouvement d’une symphonie, l’autre. Soyons mobiles. Work and la fin d’un spectacle, d’une vie, d’un Play. Adaptabilité. Portabilité. Mobilivre ». Nommée récemment à la tête lité. Et si je danse et si nous dansons, du Centre Chorégraphique national de nous allons, rire, penser, réfléchir, bouFranche-Comté (situé à Belfort), Joanne ger, ne pas bouger, nous copier, nous Leighton ne cesse d’inventer et de sur-
emporter, nous faire emporter ; nous allons disparaitre, réapparaitre, imiter par le vrai, par le faux. C’est comme pour un spectacle : il faut la danse, il faut les danseurs, il faut le public, il faut la scène, il faut la représentation… Avec vous ! » Texte : Geneviève Charras Photos : Franck Christen (portrait) et Pierre Van Den Broeck (vue de The End)
m Fin de la résidence strasbourgeoise de Joanne Leighton à Pôle Sud dans le cadre de Danse / Performance - Festival Nouvelles. (20 au 29 mai ; voir également page 28) Vendredi 28 mai à Pôle Sud : The End (en coréalisation avec l’Auditorium des Musées) Samedi 29 mai à Pôle Sud : une Journée particulière en forme de carte blanche laissée à la Compagnie Velvet 03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr www.velvetvelvet.be
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JEUNE PUBLIC – OPS
Roi, mais de
quoi ?
Comment intéresser les plus jeunes au répertoire classique ? À cette question, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg donne, au cours de sa saison, de multiples réponses. Une des plus originales est la création mondiale de Darius.
D
ans le cadre de sa programmation dédiée au jeune public, l’OPS propose un conte musical. L’histoire ? Celle de Gaston, simple sculpteur et amoureux de la fille de Darius (qui donne son nom à l’œuvre), devenu roi des Thraces (pas des Perses comme le voudrait la logique, histoire de rimer avec “face” dans la ritournelle périodiquement chantée). Il ne peut évidemment accepter cet amour et cherche, pour son enfant, un prétendant digne de son rang, envoyant le jeune garçon au cachot. Mais, chut, tout finira bien !!! Dans cette aventure, on croisera, successivement, le soleil himself, l’immense nuage Stratus, le vent Fernand ou encore Roger, le colossal rocher… Pour l’auteur des textes, Emmanuel Hirsch (médecin, mélomane et écrivain), le despote « n’est rien sans son armée… C’est Alexandre le Grand qui part conquérir le monde. Il arrive sur les rives de l’Indus, le franchit, se retourne et s’aperçoit qu’il est tout seul. Ses soldats en ont assez, ils veulent rentrer chez eux. Il doit battre en retraite et, à ce moment, devient Alexandre le petit. »
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Réflexion sur le pouvoir, les rapports de force ou l’art, Darius saura aussi intéresser les adultes. Comme l’explique en effet Marc Schaefer, violoniste au sein de la phalange strasbourgeoise (il mène également une carrière de compositeur et de chef), à qui l’on doit la partition : « J’ai essayé de rendre la musique intelligible aux plus petits, mais aussi d’intéresser les grands, refusant d’aller vers les sonorités à la mode. Simplement, au début du concert, je vais présenter les différents instruments de l’orchestre et ceux, moins connus, qui seront aussi utilisés, comme la mandoline ou la “machine à vent”… Voilà qui est spécifiquement destiné au jeune public. » Darius c’est également un livre illustré de belle manière par Fred Pontarolo, auteur strasbourgeois de BD, publié par les grandes maisons du genre, Casterman (trois tomes de Naciré et les machines), Glénat (deux volumes d’Aka-
rus) ou encore Futuropolis (la saga James Dieu est en cours et un “one-shot”, Le Serpent d’Hippocrate, paraîtra au début de l’année prochaine). Ceux qui connaissent ses univers qui évoquent parfois le cinéma de David Lynch vont être surpris… mais pas tant, puisqu’on retrouve dans Darius le trait acéré et précis de celui qui affirme, lorsqu’on lui demande ses influences : « J’ai le cul entre plein de chaises ». La meilleure définition, en somme, de la liberté… Texte : Hervé Lévy Illustration : Fred Pontarolo (croquis préparatoires pour Darius)
m À Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès (Salle Érasme), dimanche 9 mai (dès 5 ans). Livre vendu au prix de 10 € – 03 69 06 37 06 www.philharmonique-strasbourg.com
mer 2 jeu 3 ven 4 sam 5 dim 6 juin 2010 Strasbourg
Festival
Premières Jeunes metteurs en scène européens
10 spectacles Allemagne / Autriche / Belgique / France / Grande-Bretagne / Pays-Bas / Serbie / Turquie
graphisme Poste 4 / photo monsieurcantin
6e édition
03 88 27 61 81 www.le-maillon.com
03 88 24 88 24 www.tns.fr
FESTIVAL – HAGUENAU
Un mix
artistique Au cours de l’Humour des Notes, festival haguenovien mêlant musiques et zygomatiques, Luc Amoros présente Page Blanche. Il nous livre les dessous de cette nouvelle production, entre animation et graphisme.
«P
age Blanche, c’est l’état dans lequel le public va trouver la scène et comment il va la quitter », entame Luc Amoros, avant d’ajouter : « Le monde du spectacle est un éternel recommencement. Voilà l’idée que j’ai cherché à traduire. » En guise d’espace d’expression, neuf cadres vierges en plexiglas suspendus sur un échafaudage de trois étages. Six plasticiens vont s’atteler à la tâche pour colorier ces pages blanches. Entre peinture et gravure, un véritable travail de création s’opère en direct. Avant d’être du théâtre, Page Blanche laisse place à la représentation visuelle. La mission des artistes ? Donner un coup de projecteur sur les « chroniques enluminées », pour l’essentiel relatives à l’art et à la vie, écrites par l’auteur et metteur en scène. En plus de peindre et de graver, les interprètes, accompagnés du bassiste et contrebassiste Jérôme Fohrer, joueront, chanteront, conteront et écriront, chacun dans leur langue d’origine (français, allemand, russe…).
quelconque, je veux inviter à réfléchir sur leur nature et leur signification. » Réalisés dans l’instant, les dessins laissent place à l’inattendu et surprennent. « Je cherche avant tout un ressenti du public. Son analyse, sa propre interprétation, il se la fait après, lorsqu’il rentre chez lui. » Des spectateurs qui lui tiennent à cœur à en croire les sept mois durant lesquels le metteur en scène a tenu à effectuer des expérimentations publiques (aux endroits où il était en résidence : Sotteville-lès-Rouen, Brest, Meisenthal, Vic-sur-Seille, Lichtenberg, Amiens et Linz) de Page Blanche avant de débuter sa tournée. Après quatre mois de travail en atelier et plusieurs répétitions, nous est livré plus qu’un spectacle, une œuvre poétique mise en lumière, en musique et en graphisme…
À travers ces “animations”, s’installe, sur cet étrange plateau, un côté divertissant. Une caractéristique primordiale pour Luc Amoros qui tente également de frapper les spectateurs par la force des images. Son attirance pour celles-ci, fondement même de la Compagnie, il la cultive depuis bon nombre de spectacles. « Sans avoir la prétention de faire passer un message
m À Obernai, Parking des remparts, samedi 1er mai – 03 88 95 68 19 www.pisteursdetoiles.com
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Texte : Victoria Karel Photo : Jean-Louis Hess
À Haguenau, Hall du grand manège, mercredi 12 mai (voir encadré) À Strasbourg, jeudi 10 et vendredi 11 juin, place du Marché à Neudorf, 03 88 34 10 36 – www.strasbourg.eu
Et c'est reparti !
P
our son 19e anniversaire, le festival L’Humour des Notes accueillera, comme à son habitude, des artistes en tout genre (cirque, théâtre, cabaret, concerts) : la troupe Cinq de cœurs, les Désaxés, les Weepers Circus, les Nouveaux Nez, Maxi Monster Musical Show ou encore Yvan le Bolloc’h. Entre burlesque, humour et fantaisie, célébrons, en salle et dans les rues, les noces du rire et des musiques ! m À Haguenau, dans différents lieux, du 6 au 15 mai 03 88 73 30 54 www.humour-des-notes.com
LIVRE – SAINT-LOUIS
Préface
Pour sa 27 édition, la Foire du livre de Saint-Louis sera présidée par un de ses fidèles participants : Daniel Picouly. Rencontre avec l’écrivain et animateur télé à quelques semaines de l’événement. e
L
e petit rendez-vous d’auteurs et d’éditeurs alsaciens des débuts (la première édition eut lieu en 1984) a laissé place à un événement d’envergure, attirant le fleuron de l’édition, et cette année, pas moins de 350 auteurs aussi divers que variés : Patrick Poivre D’Arvor, Douglas Kennedy (son dernier livre, Au-delà des pyramides, sort le 6 mai chez Belfond), Abd Al Malik (le rappeur du Neuhof publiait fin février La Guerre des banlieues n’aura pas lieu au Cherche Midi), Marcel Uderzo (le frère du dessinateur d’Astérix), ou encore le philosophe André Comte-Sponville, président d’honneur.
Au hasard des rencontres
Et de préciser : « Comme à la télé, j’ai le beau rôle. Mais ce n’est rendu possible que par le travail réalisé par une cinquantaine de personnes qui se démènent dans l’ombre… » En direct, chaque vendredi à 21h35 www.france5.fr/cafe-picouly
*
Texte : Daniel Vogel Portrait : Maxime Stange
m À Saint-Louis, sous le grand chapiteau place Gissy et dans la ville, du 7 au 9 mai – www.foirelivre.com Daniel Picouly publiera en septembre le dernier volet de sa trilogie sur le Chevalier de Saint-Georges initiée avec L’Enfant léopard et La Treizième mort du Chevalier www.picouly.com
Les grands +
D
e nombreuses animations rythment la Foire du livre de Saint-Louis. Des conférences (ne manquez pas celles de Vladimir Fedorovski, lauréat 2004 du Prix des Romancières, “La Russie : de Tolstoï à nos jours” et d’André Comte-Sponville, “Le capitalisme est-il moral ?”), des concerts et spectacles (danse hip-hop sur fond de slam avec la Cie Käfig en collaboration avec de jeunes Ludoviciens) mais aussi, et pour la première fois, des comédiens lisant les pages d’auteurs peu connus du salon. Bruno Putzulu et Berry se relaieront ainsi, les après-midi des samedi 7 et dimanche 8 mai, pour vous faire découvrir de manière originale des auteurs à suivre !
Mais le plus heureux des invités est sans conteste Daniel Picouly, « fier de pouvoir défendre et sensibiliser à la lecture dans un contexte économique qui fait passer la culture au second plan et rend l’achat de livres difficile pour les plus touchés ». Lauréat 2005 du Prix des Romancières de la Foire du livre pour Le Cœur à la craie, l’animateur de Café Picouly* loue le plaisir qu’il prend à revenir chaque année à Saint-Louis. « La Foire fait partie des quelques salons dont j’apprécie particulièrement la qualité de l’accueil, des moments particuliers où parler avec les gens, qu’ils soient auteurs ou simples visiteurs », confie-t-il. « C’est toujours un plaisir de retrouver la confrérie des écrivains, de partager un repas sous les poutres et de découvrir des écrivains de toute la France. J’aime ces hasards qui m’amènent vers le livre d’un autre : une rencontre dans le train, à l’hôtel, des dédicaces en face de quelqu’un… Les gens pensent souvent que ce n’est pas un lieu propice alors que les rencontres les plus vraies se font ici ! » Son rôle de président, il le prend à cœur, bien décidé à incarner, le temps d’un week-end, l’image de la Foire. Une fonction qui lui permettra un petit plaisir : « Aller – enfin ! – visiter la fameuse Cité de l’Automobile de Mulhouse ». Poly 133 - Mai / Juin 10 _ 49
THÉÂTRE MUSICAL – LA FILATURE
Ritournelles du
temps présent
Joachim Latarjet, artiste associé à La Filature, et sa compagnie Oh ! Oui… présentent leur dernière création : My Way. Un théâtre musical conviant nos mémoires, interrogeant notre intimité, explorant nos vies. uelle est la chanson de votre vie, celle qui vous accompagne ? C’est avec cette question sous le bras que Joachim Latarjet est parti interroger des habitants du quartier populaire de la Guillotière à Lyon. Recueil de mots, d’histoires. Convocation de souvenirs d’enfance. D’une vie laissée ailleurs, poursuivie depuis, ici. Travailler avec des personnes d’origine étrangère autour de chansons était une idée des Subsistances1, laboratoire international de création artistique de Lyon. En 2009,
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la première version de My Way voyait le jour. « Dans ce quartier vivent des populations mélangées, beaucoup de primoarrivants et de descendants d’immigrés », relate Joachim. « Leur demander ce qu’ils chantent, mais aussi à quels moments et dans quels lieux, revenait à les faire se raconter. Petit à petit, ils nous ont confié histoires, parcours, souvenirs. » Touchés par cette “matière” saisissante, Joachim Latarjet et Alexandra Fleischer décident de poursuivre l’aventure avec leur compagnie2.
À leur façon 2.0 Accompagné par le réalisateur Alexandre Gavras – il participe depuis plusieurs années aux spectacles estampillés Oh ! Oui…, notamment Acte V, happy end et Ce que nous vîmes, présentés ces deux dernières années à La Filature – Joachim a exploré d’autres quartiers de villes (Mulhouse, Besançon, Saint-Médard-en-Jalles près de Bordeaux) à la rencontre d’autres habitants, d’autres parcours. Enregistrant les mots, filmant les espaces de vie (chambres, maisons, immeubles…). « L’idée était de recueillir les paroles des gens. Même s’ils ne savent pas chanter, même s’ils ne savent que chanter et si, parfois, ils préfèrent se taire », relate le metteur en scène. « En parlant de la chanson, on évoque l’endroit où l’on vit, les moments du quotidien où l’on chante : sous la douche, en faisant le ménage… Mais aussi les raisons qui nous font chanter : se rassurer lorsqu’on a peur la nuit, lorsqu’on quitte son pays… Gilles Deleuze explique très bien qu’on parle du territoire quand il y a ritournelles3. Les gens qui n’ont plus de chansons sont ceux qui n’ont plus de ter-
ritoire à l’image de Zakia, une institutrice afghane vivant en France depuis 2000. Elle a fui son pays où il lui était interdit de chanter et arrive dans un autre qui ne la fait pas chanter ! »
L’intime et l’universel Brassant le tout, ajoutant une touche de musique rock jouée en direct (Joachim, tromboniste, est accompagné sur scène d’un batteur) et deux écrans mobiles manipulés par les quatre comédiens, le spectacle prend sa forme iconoclaste, entre théâtre, cinéma et concert. Les interprètes portent tout autant la parole qu’ils la soutiennent, s’amusant de toutes les techniques du son (playback, doublage, a cappella…) sur un terrain de jeu scénique qui les englobe totalement d’images projetées sur le sol et le fond de scène, mais aussi rétroprojetées sur les écrans. « Le spectateur ne sait plus qui raconte quoi, la vraie chanson devient le témoignage. » Pas un tube ne sera entonné. Joachim a préféré inventer sept compositions originales, un folklore personnel et imaginaire. Loin de convier uniquement une certaine
mélancolie4, My Way invoque les effets de la chanson, les souvenirs qui remontent et les trajectoires personnelles en fuyant le simple documentaire. Nous plongeons dans l’intimité des gens pour découvrir, entendre et comprendre leurs failles, leurs joies, leurs peines… Et finalement, les nôtres. www.les-subs.com www.ohoui.org Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille plateaux, 1980, Éditions de Minuit 4 Le titre de la pièce fait référence à la reprise de Comme d’habitude, My Way, chanson dont il existe le plus de versions 1 2 3
Texte : Thomas Flagel Photos : Olivier Ouadah
m À Mulhouse, à La Filature, jeudi 27 et vendredi 28 mai 03 89 36 28 28 – www.lafilature.org Une exposition de portraits photographiques et sonores des personnes rencontrées à Mulhouse pour cette création sera présentée à La Filature
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FESTIVAL – TNS & LE MAILLON
Ville occupée
La sixième édition du festival Premières, co-organisé par le TNS et Le Maillon, se profile. Dix jeunes metteurs en scène européens y présenteront des créations aussi étonnantes que détonantes.
I
ls sont dix. Représentent l’avenir du théâtre européen et posent leurs valises à Strasbourg, accompagnés de leurs équipes artistiques. Leurs décors, leurs costumes. Malgré les situations respectives des structures organisatrices – un Maillon toujours à cheval entre ses bureaux d’Hautepierre et les salles du Wacken qu’il partage avec la Foire Européenne, un Théâtre national de Strasbourg touché, comme le dénonce sa directrice Julie Brochen, par « une baisse historique de budget » – le festival poursuit sa croissance. Il gagne un jour supplémentaire dédié aux rencontres avec les artistes invités, les professionnels français et étrangers présents. Il permet sur-
tout d’étoffer un programme déjà riche : 24 représentations, deux tables rondes, deux soirées musicales avec le festival Contre-Temps (voir page 67), une expo photo, et Anzala’ka en concert de clôture.
Le monde de demain Reflet des préoccupations artistiques et sociétales actuelles, Premières convie huit nationalités dont, pour la première fois, une metteuse en scène turque. Dans Vilain petit être humain, trois femmes (une porte le voile, une autre est kurde, la dernière homosexuelle) exposent simultanément leur vie et leur confrontation quotidienne à la “norme”. « Ces femmes représentent trois minorités dont la marginalité
Land without words, mise en scène Lydia Ziemke (Angleterre) © Claire Schirck
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n’est pas uniforme », explique Barbara Engelhardt, co-programmatrice du festival. « Ce texte, écrit collectivement, ne se limite pas à un propos moral mais invite à penser l’autre dans son individualité et les raisons profondes de leur rejet. » Ceci est mon père, spectacle hollandais signé Ilay den Boer, s’inspire lui aussi du quotidien pour susciter un questionnement identitaire et social. Le père d’Ilay a longtemps vécu entre Israël et les PaysBas. Goy marié à une juive, son fils l’est aussi. Sur scène, ils fabriquent tous les deux, avec l’aide du public, une biographie du père qui débouche sur l’explicitation des discriminations vécues et subies au Proche-Orient et en Europe. « On assiste à un débat interfamilial qui s’ouvre à la politique dans lequel le fils essaie de comprendre les méandres internes et intimes de son père. Une pièce très forte sur l’antisémitisme, intelligente car la question sociale dépasse celle de la seule religion. Mon coup de cœur cette année », confie Barbara.
Ici et maintenant S’attaquer à de grands textes est souvent un défi pour de jeunes metteurs en scène. Nous découvrirons ainsi L’Affaire de la rue Lourcine de Labiche dans la langue de Goethe, une adaptation autrichienne du Peer Gynt d’Henrik Ibsen, Gouttes dans l’océan de Fassbinder ou encore un très esthétisé Sanjari, version serbe des Rêveurs de Robert Musil. D’autres font le pari de travailler sur leurs propres textes ou du moins d’entremêler leur écriture comme Fabrice Murgia avec Le Chagrin des ogres. Inspiré par la confession sur Internet de Bastian Bosse, jeune Allemand qui, en 2006, ouvrit le feu dans son ancien lycée avant de retourner l’arme contre lui, le metteur en scène belge conçoit un conte générationnel questionnant la solitude, le malaise de l’adolescence, l’indifférence. Autre belle découverte, une version anglaise d’un texte de Dea Loher, Land without words, dont la scénographie est signée Claire Schirck (actuellement élève en 3e année à l’École du TNS). Un incroyable solo où une auteure, face à une situation de guerre, cherche comment exprimer ce à quoi elle est confrontée. « La question posée est la suivante : que veut dire être artiste dans un monde qui se dérobe par
Ceci est mon père © Moon Saris, Thearerinbeeld.nl
sa cruauté et son incompréhensibilité », analyse Barbara. Intense, habitée, la partition jouée par Lucy Ellinson résonne en nous longtemps encore après le clap de fin. Bezette Stad (Ville occupée) du Belge Ruud Gielens s’inspire pour sa part d’un recueil de poésie expressionniste, tendance nihiliste et antimilitariste, de Paul Van Ostaijen. Il conçoit un spectacle mélangeant slam, harangue, beat-boxing, chant et danse hip-hop, le tout en plusieurs langues entremêlées (français, anglais, néerlandais…). La parole est diffractée, moderne, tournante, reprise au vol par
les performeurs sur scène, entièrement tournés vers la dénonciation de villes et de citoyens victimes de l’occupation de la société de consommation. « La rue est à nous », clament-ils. L’avenir aussi… Texte : Thomas Flagel
m À Strasbourg, au Maillon-Wacken, au Théâtre national de Strasbourg et au Théâtre Jeune Public, du 2 au 6 juin 03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com 03 88 24 88 00 – www.tns.fr m Soirées musicales avec le festival Contre-Temps, vendredi 5 juin à 22h30 et samedi 6 juin à 23h au Maillon-Wacken
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urban intrusion
Des lieux oubliés, fermés, abandonnés – visites clandestines
MAISONS TOMBANT EN RUINES LOCKEPORT (CANADA) ENTRE 1971 ET 1975 43°41’55” N / 65°06’48” O
Tomi Ungerer, Why no Eyes to Cry with, dessin pour Slow Agony Collection Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’Illustration © Musées de la Ville de Strasbourg / Diogenes Verlag AG Zurich. Photo : Mathieu Bertola
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Une facette nouvelle de l’œuvre de Tomi Ungerer. Voilà ce que l’on découvre dans l’exposition consacrée à ses Années canadiennes. Des dessins d’observation (avec de mignons oiseaux et d’étonnantes scènes d’abattoir), mais surtout des paysages où tristesse et poésie sont mêlées. Quelques années après leur réalisation, ces images donneront lieu à un livre (réalisé d’après photos), Slow Agony. On y découvre un Canada en déliquescence fait de bicoques de bois branlantes en voie avancée d’effondrement, de carcasses de voitures oubliées à jamais et rongées par les herbes, d’usines fermées pour toujours… Ces endroits marqués du sceau de
l’abandon, ses « dessins en suspension dans l’espace, dans le temps » sont agrémentés de textes tirés de la Bible, de chansons country… ou écrits sur un sticker collé à l’arrière d’une berline, comme Drive like Hell and you’ll get there (à un train d’enfer, l’enfer t’attend). L’ensemble présenté laisse une impression saisissante et l’on peut rester longtemps, songeurs, face à ces précipités de désolation. Texte : Hervé Lévy
m À Strasbourg, au Musée Tomi Ungerer, jusqu’au 8 août 03 69 06 37 27 – www.musees-strasbourg.org
Tomi Ungerer, Accordéon, dessin pour Slow Agony – Collection Musée Tomi Ungerer – Centre international de l’Illustration © Musées de la Ville de Strasbourg / Diogenes Verlag AG Zurich. Photo : Mathieu Bertola
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EXPOSITION – STIMULTANIA
Carnets de route
De nationalités togolaise et française, le photographe N’Krumah Lawson Daku travaille par séries. À Stimultania, celui qui s’est longtemps senti « le cul entre deux chaises » présente Transfert, ensemble de polyptiques qui traitent du déplacement.
«T
endue, mais calme. » C’est ainsi que N’Krumah Lawson Daku, né au Togo en 1974, décrit la situation de son pays en 1979. Son père, alors membre du gouvernement de Gnassingbé Eyadéma* au poste de chargé des mines et des ressources du pays, fait une tentative de putsch. Sa famille doit vite prendre la fuite, quitter sa grande villa, ses domestiques. N’Krumah, ses parents, ses frères et sœurs, débarquent en France en tant que réfugiés politiques. « À l’époque, je ne me rendais pas compte, je croyais qu’on partait en vacances », se souvient-il.
Transit Destination finale : Creil, cité ouvrière en lointaine banlieue parisienne. Sa famille vit cet exil forcé comme une perte asso-
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ciée à « un grand silence mêlé de peur ». Scolarité studieuse. Études universitaires à Paris à partir de 1992. Job de nuit comme chargé d’assistance (« le type qu’on a au téléphone quand on a un accident »). Puis, en 2005, le déclic lors d’un voyage dans le sud du Portugal. Ses paysages désertiques, ravagés par les incendies, la « fabuleuse » lumière dans laquelle cette région lunaire baigne, le fascinent. Premier flash : « Le petit garçon que j’étais venait de se réveiller ». N’Krumah lâche tout pour la photo qui lui permet d’essayer de renouer avec les impressions de son enfance dont il a un souvenir flou. Il privilégie l’usage du noir et blanc, pour sa « puissance narrative. C’est l’évocation du passé ». Également les films qui l’ont marqué dans sa jeunesse, La Belle et la Bête de Jean Cocteau ou La Beauté
du Diable de René Clair, « les premières images qui ont imprégné mon esprit et stimulé mon imagination. L’humain y existe entièrement, dans ce qu’il a de plus sombre et de lumineux… En posant la question de l’avant, de l’après, de sa place dans le monde. »
Transmission N’Krumah Lawson Daku accumule les commandes, comme ces photos backstage de Cesária Évora et ses musiciens. « Une de mes expériences les plus touchantes », note-t-il. Son travail perso se constitue de séries. Pour Pink Pantalons’, il a suivi les virées nocturnes de son coloc’ et des membres de Pédérama, des « trans-pédésgouines » très militants et provocateurs, « en marge de la marge de la communauté gay ». Il a envisagé Portraits d’un État de
de lieux by night, toujours désertiques, et Crise comme des chroniques d’un monde des personnes sur fond neutre (par exem« où l’équilibre est rompu », avec pour ple dans un abri anti-atomique, en Suisse) modèles des amis, mais surtout des inconet sombre. Personnages, éléments (l’eau, nus, des « gueules ». Sa technique ? « Je la pierre…), espaces supplie ! Je peux alurbains (villes, inler très loin : miauler, « Suggérer, sans trop dustries…) et natume mettre à genoux, en dire » des histoires qui rels (forêts et autres jusqu’à obtenir ce que endroits « non doje veux. » La peau, les parlent de maternité et mestiqués ») entrent textures et matières y de l’enfance, d’attachedans un dialogue qui sont très présentes, laisse une imprescar « il faut donner à ment et d’éloignement, sion de trouble. Le manger à l’œil », lui de déplacement. point de départ de conseillait un de ses ces narrations : une profs de photo. Autre expérience, une rencontre singulière que série, Ring of Memory, prise dans des salle photographe cherche à restituer. Avec les de boxe, « lieux figés dans le temps », un but, celui de « suggérer, sans trop en montre sa fascination pour « la notion de dire » des histoires qui parlent de matransmission, le lien entre les aînés et les ternité et de l’enfance, d’attachement et jeunes ». d’éloignement, de déplacement.
Transfert
La série présentée à Stimultania rassemble des photographies très contrastées, matièrées, inquiétantes, un peu à la manière de Josef Koudelka, un de ses modèles. Il s’agit de polyptiques qui combinent des instants différents : des assemblages
Transformation L’an passé, N’Krumah Lawson Daku est retourné au Bénin, pays frontalier du Togo où sa mère a douze frères et sœurs. « Neuf jours intenses » où il prend « conscience du monde » et accepte sa
double appartenance. « Avant, tout s’opposait, aujourd’hui tout se concilie. » Il assiste à un culte vaudou (« une révélation ») mais, trop impressionné, ne prend pas d’images. De ce voyage initiatique, résulte cependant une belle série – en couleurs –, Kraftwerk Made In Cotonou, plus douce : « J’ai laissé les gens exister par eux-mêmes, je voulais ne pas les dénaturer et donner plus de place à leur environnement proche ». À présent, le photographe, qui vit entre Paris et Zürich, désire davantage sortir de son studio et faire des portraits de voyage sans « enfermer » ses modèles. « Sans les verrouiller. » * Après 38 ans de présidence, son fils, Faure Gnassingbé Eyadéma, lui a succédé en 2005
Texte : Emmanuel Dosda
m À Strasbourg, à Stimultania, jusqu’au 23 mai – 03 88 23 63 11 www.stimultania.org www.nklawson.com
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EXPOSITION – MBA STRASBOURG
La
passion de
L’
l’Italie
année passée, une très belle œuvre de Jean Barbault (17181762) est entrée dans les collections du musée des Beaux-Arts de Strasbourg : Berger napolitain et bufflonne quittant une grotte, exécutée au mitan du XVIIIe siècle. C’était là une opportunité rêvée pour Dominique Jacquot, commissaire de l’exposition, de monter, autour de ce remarquable tableau, une présentation
Le musée des Beaux-Arts de Strasbourg a acquis un important tableau de Jean Barbault en 2009. Il présente aujourd’hui une exposition dédiée à cet artiste du XVIIIe siècle, important, mais méconnu. L’occasion de découvrir son univers pittoresque et virtuose, avec pour cadre Rome et ses environs.
monographique consacrée à un peintre français trop peu connu, actif à Rome à partir de 1747. Son œuvre est essentiellement fait de tableaux peints pour les touristes représentant paysages italiens, figures de fantaisie, caprices, ruines, mais aussi turqueries (pensons aux portraits de ses camarades déguisés lors d’une mascarade en 1748). Jean Barbault faisait partie de la colonie des artistes français
Jean Barbault, Ruines avec la statue d’Esculape, 1754 (?), Musées d’Angers. Photo : © Musées d’Angers
installés à l’Académie de France, même s’il n’avait pas obtenu le fameux Grand prix de Rome qui en était, en principe, le sésame. Le jeune peintre s’était donc rendu en Italie à ses frais et avait intégré l’Académie grâce à la protection de son directeur Jean-François de Troy. L’exposition, divisée en différentes sections (costumes, gravures…), fait ainsi également la part belle aux autres artistes pensionnaires de cette époque, dont le plus célèbre est Jean-Honoré Fragonard. Sans oublier Joseph-Marie Vien (1716-1809 ; il fut maître de David) ou Louis-Joseph Le Lorrain (1715-1759) qui sera sans doute une révélation pour le visiteur. Un ensemble de gravures de Piranèse (avec lequel notre artiste avait collaboré) autorise une comparaison avec la production contemporaine et complète cette présentation éclectique et séduisante d’une Italie fascinante, envoûtante, populaire et… idéalisée ! Le catalogue permet de faire le point sur la personnalité créatrice de Barbault et propose un panorama quasi complet de son œuvre peint, puisque toutes les œuvres connues y sont reproduites (même celles qui ne figurent pas dans l’exposition). Avec 33 tableaux agencés dans une scénographie évoquant l’ambiance d’un cabinet de curiosités, est regroupée, au Palais Rohan, la moitié de la production attribuée avec certitude à l’artiste. Parions que les visiteurs découvriront, fascinés, un peintre important à la palette chaude et pâteuse, à l’humour délicieux, au faire enlevé et empreint de vivacité. Voici un “grand petit maître” qu’on va pouvoir enfin apprécier à sa juste valeur avec de fortes chances pour qu’on se souvienne durablement de son nom. Texte : Catherine Jordy
m À Strasbourg, au musée des Beaux-Arts (dans la Galerie Heitz), du 21 mai au 22 août 03 88 88 50 68 – www.musees-strasbourg.org 58 _ Poly 133 - Mai / Juin 10
Ni fini Ni infini Théâtre de machines à images de Roland Shön mise en scène Hervé Lelardoux
Taps Gare : 4, 5 mai et 7, 8 mai à 20h30 Production Théâtrenciel, Dieppe – Création 2008
Pour un oui ou pour un non
Graphisme po.lo. , photos Raoul Gilibert
de Nathalie Sarraute mise en scène Philippe Carbonneaux
Taps Scala : du 19 au 21 mai à 20h30 Production International Visual Théâtre (IVT), Paris – Création 2001
Un théâtre dans la ville, Les Taps
03 88 34 10 36 – resataps@cus-strasbourg.net
www.strasbourg.eu
l’illustrateur Léon Maret // Planches primées au festival d’Angoulême 2010
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l’illustrateur
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L’hymne à la douleur Jenufa marque la fin d’une riche saison à l’Opéra national du Rhin… et le début d’un cycle Janácek, confié au metteur en scène canadien Robert Carsen1 qui se poursuivra au cours des prochaines années.
«J’
espérais autre chose pour ma vie, autre chose, mais maintenant j’ai l’impression qu’elle est finie » chante Jenufa à l’Acte II. Un concentré d’une intrigue qui pourrait ressembler à un fait divers sordide aux ingrédients efficaces. Une grossesse cachée. Un infanticide. Une dose de violence physique. Des histoires de mensonge, de rivalité, d’honneur de la famille et de belle-mère aimante, trop aimante, qui ira jusqu’au meurtre d’un être innocent. Cependant, dans son opéra (créé à Brno en 1904), le compositeur tchèque Leoš Janácek (1854-1928) transcende les codes du (mauvais) mélo pour transporter le spectateur au cœur de la tragédie la plus pure. Jenufa ressemble à un concentré de douleur où une femme est écrasée, broyée, par le terrible conformisme de règles sociales archaïques. À la toute fin seulement apparaît une lueur d’espoir vacillante. Mais pour atteindre une existence meilleure, il faudra quitter le village et ses pesanteurs.
Pour Robert Carsen, l’écriture « est tellement forte qu’il a fallu réduire les éléments scéniques au minimum pour garder la fluidité de l’action. Nous avons voulu donner une vision réaliste, sans être naturaliste » de cette « comédie sociale »
« Il a fallu réduire les éléments scéniques au minimum pour garder la fluidité de l’action »
roger devant ce personnage à la fois monstrueux et terriblement attachant ? Voilà une puissante réflexion sur le pardon, une réflexion d’autant plus prégnante que « ce drame lourd et étrange se déroule dans une atmosphère de quotidienneté banale qui, loin de l’affaiblir, en fait ressortir la profonde humanité », comme l’affirme Guy Erismann dans son étude dédiée à Janácek2. Voilà peut-être le secret d’une œuvre qui, cent ans après avoir été écrite, nous touche en plein cœur. Un complice de toujours du directeur de l’Opéra national du Rhin, Marc Clemeur, avec lequel ce dernier avait beaucoup travaillé lorsqu’il était en poste au Vlaamse Opera d’Anvers où cette production a été créée 2 Janácek ou la passion de la vérité, Seuil, 1980 1
Robert Carsen
qui est aussi une « tragédie au sens shakespearien ». Il s’agit en effet d’un océan de noirceur dont le personnage pivot est, plus encore que Jenufa elle-même, sa belle-mère qui, par amour, tue l’enfant de la malheureuse pour la préserver de la honte et de la vindicte des villageois. Du reste, le titre original de l’opéra est Její pastorkyna qui signifie littéralement “pas sa propre fille”. Comment ne pas s’inter-
Texte : Hervé Lévy Photo : Annemie Augustijns
m À Strasbourg, à l’Opéra, du 11 au 24 juin – 08 25 84 14 84 m À Mulhouse, à La Filature, vendredi 2 et dimanche 4 juillet 03 89 36 28 29 www.operanationaldurhin.eu
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une ville vue par un artiste Exclusivité Poly, Günter Grass // Prix Nobel de littérature 1999
Günter Grass / Calcutta Une des séries de dessins de Günter Grass, exposées au musée Würth, reflète le lien qu’il entretient avec Calcutta. Le Prix Nobel de littérature 1999 nous a accordé la seule interview donnée lors de sa venue à Erstein pour évoquer cette relation singulière. Rencontre avec un monstre sacré.
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A
près la guerre, Günter Grass commença une formation de tailleur de pierre avant de fréquenter l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, puis d’étudier la sculpture à Berlin. De cette instruction artistique initiale demeure un lien indissoluble entre dessin et écriture qui, pour lui, procèdent du même geste : « Aujourd’hui encore, tout commence parfois par un dessin qui se développe pour se métamorphoser en texte. Mon œuvre est un dialogue permanent entre les deux. »
Dessiner
Un des cycles présentés, Zunge zeigen, a été composé suite à un voyage à Calcutta de plusieurs mois, entre août 1986 et janvier 1987. « Je voulais changer de point de vue, tenter de laisser de côté l’européocentrisme » explique Günter Grass, avant d’ajouter : « L’expérience fut bouleversante. Elle a encore des répercussions aujourd’hui, puisqu’il m’est devenu impossible de considérer ce qui se passe en Europe sans le mettre en relation avec le monde entier. » Ce n’était pas la première fois qu’il mettait les pieds en Inde. Déjà au milieu des années 1970. On trouve ses impressions dans Le Turbot1 : « Calcutta, cette ville friable, teigneuse, grouillante qui mange ses propres excréments a choisi la gaieté. Elle veut que sa miGünter Grass, Zunge zeigen, 1987 Collection Würth, Inv. n°3661. Photo : Volker Naumann, Schönaich © ADAGP, Paris 2009 sère – et partout la misère pourrait être photographiée – soit d’une affreuse en somme… Günter Grass évoque la beauté : la décrépitude masquée de che, ses dessins laissent presque touprise de conscience politique de ceux panneaux-réclame, le pavé défoncé, jours une place à la “divinité noire”. Sur qui sont au plus bas de l’échelle, les les perles de sueur qui forment le total les feuilles de papier, les mots semblent intouchables, qui a permis au modéde neuf millions. » Tirer la langue2 est se fondre dans les méandres bordéliré Parti du Congrès de se maintenir ques des bicoques branlantes collées un étonnant mélange : journal, poème au pouvoir, un membre de leur caste, les unes aux autres, créant d’intenses et dessins (tendance expressionnisme Kocheril Raman Narayanan, devenant entrelacs venant célébrer les noces du inspiré et foutraque) forment un carnet même président de 1997 à 2002. Une verbe et du trait. Entre mythe et réalité, de bord adapté à une ville « où le style lueur d’espoir ? Günter Grass questionne le confort colonial britannique est encore très apde l’homme occidenparent, mais où, déjà Paru au Seuil en 1979 – www.seuil.com tal : « Certains vivent à l’époque, près d’un Traduction française de Zunge zeigen paru au Seuil « Calcutta, cette ville en 1989 dans les ordures et tiers de la population Elle est ainsi souvent représentée, tirant sa langue, une grâce aux ordures. vivait dans des bidonfriable, teigneuse, attitude qui exprime sa honte selon les codes culturels du Lorsqu’on permet à villes ». Misère. Pollugrouillante qui mange ces petits chiffonniers Bengale. D’où le titre de l’ouvrage de Günter Grass tion. Surpopulation. Texte : Hervé Lévy Calcutta est un chaos ses propres excréments d’aller à l’école, il faut Photo : Stéphane Louis voir quel enthousiasoù l’artiste allemand a choisi la gaieté » m L’Ombre des mots rassemble les dessins me ils déploient pour peine à trouver ses rede deux Prix Nobel de littérature, apprendre. Je pensais pères. Le dessin sera Gao Xingjian et Günter Grass. alors à mes enfants, se plaignant pour sa bouée de sauvetage : « Les mots me À voir à Erstein, au Musée Würth, des broutilles, ne comprenant même fuyaient. Jamais dessiner ne m’est apjusqu’au 16 mai. 03 88 64 74 84 – www.musee-wurth.fr pas que c’est un privilège de pouvoir paru aussi nécessaire. C’est tellement étudier. » Autour du récit onirique, c’est différent de la photographie, où l’on fait Le dernier livre à des réflexions d’essence politique “clic” une seule fois. Dessiner implique de Günter Grass, L’Agfa Box, vient par ailleurs de paraître au Seuil que nous invite l’écrivain pour qui l’exune observation longue et précise, une www.editionsduseuil.fr périence indienne fut et demeure un volonté de percevoir la réalité. Il s’agit choc. Depuis, il est retourné à Calcud’une discipline sévère qui m’a, peu à tta. En 2005. Qu’est-ce qui a changé ? peu, permis d’aller vers le texte. » « Entre mes deux voyages, le nombre d’habitants du pays est passé de 700 Écrire millions à un milliard. En Europe, nous Dans les méandres de la cité, il choiavons du mal à prendre conscience de sit de prendre Kali comme guide, « la tels chiffres. Le chaos reste complet. déesse de la destruction et de la féLes bidonvilles existent toujours… Ils condité », qui, un jour, ivre de colère, ont juste été déplacés vers des zones a souhaité trancher la gorge de Shiva, plus périphériques. » Pas d’évolution, son époux3. Réalisés à l’encre de sei1 2
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THÉÂTRE – LA FILATURE
maître
De main de
Originaire de Colombie, le metteur en scène Omar Porras revisite avec subtilité et euphorie Les Fourberies de Scapin. Un Molière à la sauce Malandro*.
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nstallé en Suisse après quelques années passées à Paris entre études théâtrales et théâtre de rue, Omar Porras rayonne dans toute l’Europe avec ses relectures de grands textes. Après Tirso de Molina (Don Juan) et Bertolt Brecht (Maître Puntila et son valet Matti), il poursuit son exploration des rapports maître/serviteur du côté de Molière. Avec son théâtre de mouvements et de masques, il nous livre sa vision des célèbres Fourberies. Valet aussi habile que malin, Scapin déploie tout son art de l’astuce et de la manipulation pour arranger les affaires d’Octave et Léandre, deux frères qui ont secrètement épousé Hyacinte et Zerbinette alors que leurs parents ont, pour eux, d’autres projets d’alliances…
Un lazzi de saltimbanques Dans un saloon où les portes à double battant se referment toujours trop vite, les péripéties de cette comédie fougueuse s’enchaînent sur un rythme soutenu. Contaminé par le “virus Malandro”, Molière retrouve toute sa fraîcheur, sans perdre ce qui le relit à la tradition italienne de la commedia dell’arte. Omar Porras pioche du côté des saltimbanques pour une transposition radicale. La bâtisse bourgeoise est remplacée par un bouge populo où trône un juke-box clinquant. Parés de masques ciselés aux formes galbées, les amants tout juste mariés arborent des oreilles ultra-décollées, renforçant le ridicule de leur physique et de leur gestuelle tout en spasmes et convulsions. Le Scapin rouquin, valet appelé à la rescousse pour sortir d’affaire ses jeunes maîtres en roulant leurs pères, devient maître de ruse.
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En référence aux cartoons et à Tex Avery, les gifles pleuvent et les tirs de pistolet abondent dans cette course folle, avançant au rythme des stratagèmes de Scapin. Le petit laquais se joue de tous les puissants. « C’est une figure révolutionnaire » confie Omar Porras. « Dans Les Fourberies de Scapin, le discours politique et social est (…) universel. Scapin représente la voix de l’esclave ou du truand de la littérature italienne et latine. Il est le révélateur des hommes qui l’entourent. » Scapin est bien souvent considéré comme un personnage comique alors qu’à travers lui, on se moque des dominants et des bourgeois.
Comédie humaine Le metteur en scène colombien règle de main de maître la petite musique des personnages, la tension de chaque scène, sur le fil, là où la comédie se fait jour.
La fougue et le foisonnement habituels de ses créations reposent sur un travail esthétique proche de celui d’un archéologue creusant les strates du jeu, des textes et des rôles de chacun. Sur le plateau, la recherche collective d’une véritable émotion du geste passe par le mélange et l’exploration de la danse, du chant et de la musique. Ce métissage enfante une satire mordante de la décadence de la modernité au service d’une fable à l’efficacité redoutable où le valet règne en maître. * Le Teatro Malandro est le centre de création, de formation et de recherche fondé par Omar Porras en 1990, à Genève www.malandro.ch
Texte : Thomas Flagel Photo : Marc Vanappelghem
m À Mulhouse, à La Filature, du 5 au 7 mai 03 89 36 28 28 – www.lafilature.org
EXPOSITION / FESTIVAL – STRASBOURG
Éthio-wave
Toujours dans le tempo, Dodekazz présente la 7e édition du festival electro et groove strasbourgeois Contre-Temps. Avec cette année l’Éthiopien Mulatu Astatke, aîné de l’événement.
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édié aux musiques electrogroove, le festival Contre-Temps dressera cette année encore un vaste panorama des cultures urbaines. Outre les Pelouses Sonores (à l’Orangerie), le SplitMix (au cinéma Star) ou l’exposition du graffeur Mode2 (à l’Espace Insight), de nombreux concerts et DJ sets viendront émailler la manifestation. Citons The Bamboos, excellente formation soul australienne dans la lignée des Dap-Kings (mardi 8 juin au Molodoï), ou encore Shit Robot (vendredi 10 juin au Molodoï), recrue electroïde du label DFA (LCD Soundsystem, The Rapture…). Leur parrain à tous : le légendaire Mulatu Astatke (jeudi 10 juin, Salle de la Bourse). Ce multi-instrumentiste (percussions, vibraphone, congas…) a été popularisé grâce à Jim Jarmusch qui a utilisé certains de ses morceaux sur la BO de Broken Flowers et surtout grâce aux compilations Éthiopiques, hommages à l’éthio-jazz des années 60 / 70. Heureuse coïncidence : la Ville de Bischheim accueille elle aussi (vendredi 28 mai à la Salle du Cercle – www.salleducercle.fr) un géant “éthiopique”, Mahmoud Ahmed. Texte : Emmanuel Dosda
m À Strasbourg, dans divers lieux, du 3 au 13 juin – www.contre-temps.net
Meetic
La Chaufferie devient point de rendezvous le temps de Je nesavais pas que tu existais, proposition artistique faite par l’option Design de l’Ésad.
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rotocole de départ : monter dans le 1 bus que nous «P croisons, y rester jusqu’au terminus. Objectifs : 1 – er
observer. 2 – entrer en communication avec le chauffeur. » Avant le 14 mars, Mathilde et Cécile, élèves de l’Ésad, ne savaient pas que Florent Garcia, de la CTS, existait… De cette rencontre, elles tireront leur contribution à l’expo Je ne savais pas que tu existais. Proposition de François Duconseille et des étudiants de l’option Design, ce projet cherche, « des façons alternatives d’imaginer et de fabriquer notre cadre de vie : ateliers d’urbanisme, interventions artistiques dans l’espace public… » Ainsi, La Chaufferie devient le point de ralliement, le « journal de bord en temps réel » (illustré par vidéos, photos, témoignages…), de ces explorateurs urbains qui ont défini un certain nombre de protocoles (à retrouver ici : http://explorationsurbaines.wordpress.com) avant de partir à la rencontre de personnes choisies au cours de déambulations artistiques. François Duconseille insiste sur l’importance, ici, d’ouvrir La Chaufferie « à des personnes* qui n’en connaissent pas l’existence » et qui n’y auraient sans doute jamais mis les pieds. * Des rencontres publiques avec elles seront organisées durant la période d’exposition Texte : Emmanuel Dosda
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m À Strasbourg, à La Chaufferie, du 11 mai au 5 juin 03 69 06 37 77 – www.esad-stg.org
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les hommes de l’ombre
Demandez l’programme ! On le feuillette. Le lit avec attention. Certains le collectionnent. D’autres le jettent. Mais comment les “livrets programmes” sont-ils composés ? Réponse avec Wolfgang Müller en charge de leur élaboration au Festspielhaus de Baden-Baden, depuis janvier 2009.
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on titre officiel, “Redaktionsmanager”, sonne comme un résumé de ses fonctions : coordonner le contenu des programmes (mais aussi du magazine et de la newsletter envoyée par mail) du Festspielhaus, où se produit le gotha des univers lyrique et symphonique. Et il y a du travail : chaque année sortent en effet quelque 100 livrets, autant que de concerts. Pour mener sa mission à bien, Wolfgang Müller peut compter sur un bagage et une expérience protéiformes. Musicien de formation, ce percussionniste est passé, deux ans durant au cours des années 1980, par la prestigieuse académie du Berliner Philharmoniker… avant de se réorienter, suivant un cursus au John Fitzgerald Kennedy Institute for North American Studies de Berlin1. Au menu, « littérature, droit et sciences politiques ». Il entre dans la vie active à plus de 30 ans, « travaillant pour des talk-shows politiques à la télévision ». Là, il « rédige les questions pour l’animateur, choisit les invités, prépare des fiches… » Déjà dans l’ombre, il officie, pour le compte de sociétés de production privées, sur Hessischer Rundfunk (collaborant à Vorsicht ! Friedmann2) ou SWR. À Baden-Baden, ses deux passions, la musique et le texte se rencontrent enfin… Pour Wolfgang Müller, la « mission première d’un programme est d’aiguiser la curiosité du spectateur. Le choix des textes – et leur contenu – doit être au service de la musique ». Ce qui implique une taille raisonnable. « Il ne s’agit pas de faire un livre mais de proposer un document pertinent qui puisse être lu avant le concert. » Les textes ? Il les commande à de multiples auteurs, musicologues ou journalistes pour la plupart, « ce qui permet d’avoir des styles et des points de vue variés ». Différents niveaux de lecture, des rubriques récurrentes (biographie des artistes, résumé de l’intrigue – en trois langues – pour un opéra, repères temporels, entretiens, ou encore réflexion sur les problématiques essentielles de l’œuvre), des pages dédiées au néophyte… Le programme doit « être un tout cohérent, comme une mise en bouche qui, jamais, ne noie le lecteur dans un flot d’informations. Rien ne doit en effet remplacer l’expérience vécue de la musique. » Pour l’avenir, il espère rendre les livrets encore plus accessibles : « Il est en effet primordial de nous ouvrir vers l’extérieur, de faire comprendre que tout le monde peut avoir du plaisir lors d’un concert classique ». www.jfki.fu-berlin.de Émission de Michael Friedmann, avocat, homme politique et animateur célèbre outre-Rhin 1 2
Texte : Hervé Lévy Photo : Benoît Linder / French co.
m Parmi la dense programmation des Pfingstfestspiele du Festspielhaus, remarquons une attendue Carmen mise en scène par Philippe Arlaud (les 22, 24 et 26 mai) avec la Maîtrise de l’Opéra national du Rhin, ou un incroyable duo vocal, Thomas Quasthoff et Max Raabe, pour un concert dédié aux mélodies populaires allemandes (dimanche 30 mai) +49 7221 3013 101 – www.festspielhaus.de
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mai – juin 2010 à La Filature, Scène nationale – Mulhouse théâtre Les Fourberies de Scapin d’après Molière – Omar Porras théâtre Juillet de Ivan Viripaev – Lucie Berelowitsch arts du cirque I look up, I look down… Cie Moglice – Von Verx théâtre – musique – image My Way de et par Joachim Latarjet et Alexandra Fleischer arts du cirque Chouf Ouchouf Zimmermann & de Perrot – le Groupe acrobatique de Tanger théâtre / dès 4 ans Petit Pois de et par Agnès Limbos ciné-concert Equi Voci Thierry De Mey – musique Claude Debussy, Maurice Ravel avec l’Orchestre Symphonique de Mulhouse direction Daniel Klajner mardi 8 juin à 19 h 30 / entrée libre Soirée de présentation de la saison 10-11 en présence d’artistes
Centre Pompidou-Metz, vue de nuit, mars 2010 © Shigeru Ban Architects Europe et Jean de Gastines Architectes / Metz Métropole / Centre Pompidou-Metz / Photo Roland Halbe
Le plus grand chapiteau du monde
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de l'intérieur
Pompidou se décentralise avec Le Centre Pompidou-Metz. Inauguration, en grande pompe, de ce lumineux chapiteau dédié à l’art moderne et contemporain, le 12 mai. a faisait longtemps qu’on attendait ça ! Depuis début 2003, date de la décision de lancement du projet… Enfin, Le Centre Pompidou voit le jour à Metz. Plus de 10 000 m2 en tout, dont la moitié dédiée aux expositions, une nef de 1 200 m2, un auditorium de 144 sièges et un studio de création de 196 places. En forme de chapiteau sur plan hexagonal, cette bâtisse lumineuse, traversée par trois galeries, est surmontée d’une flèche centrale de 77 mètres, référence à 1977, date de création du Centre Pompidou. Beaucoup de bois, de couleurs claires et de transparence pour un bâtiment élégant conçu par l’architecte japonais Shigeru Ban et le Français Jean de Gastines. La grande fierté de l’établissement lorrain ? Sa toiture, toute en courbes : un savant maillage, une structure qui se compose de bois lamellé-collé, selon le modèle
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des chapeaux chinois. Le toit est recouvert d’une matière faite de fibre de verre et de téflon. Les deux architectes ont souhaité que les espaces soient un prolongement de l’extérieur. Ainsi, grâce aux façades vitrées, on aperçoit, du jardin, la grande nef et les galeries, soit trois tubes de béton qui se superposent et s’entrecroisent. Laurent Le Bon, le directeur, et son équipe refusent la dénomination d’“antenne” du Centre Pompidou. Autonome, l’institution messine est ainsi davantage le frérot que le fiston du Musée national d’art moderne. Avec ce privilège : celui de pouvoir puiser dans les collections parisiennes, un fonds de quelque 65 000 œuvres. Outre sa programmation culturelle (spectacles, ciné ou conf’…), le Centre présentera régulièrement des expositions thématiques, à raison de quatre à six par an.
L’expo d’ouverture rassemblera environ 800 œuvres majoritairement issues des collections du Centre Pompidou (certaines proviennent de musées ou autres établissements internationaux, d’autres ont même été spécialement conçues pour l’occasion). Occupant l’ensemble des espaces d’exposition et présentant la Femme à la tête rouge de Picasso ou encore la Grande anthropophagie bleue de Klein, Chefs-d’œuvre ?, expo inaugurale, nous questionne : un chefd’œuvre est-il éternel ? Belle entrée en matière. Texte : Emmanuel Dosda
m Du 12 au 16 mai ont lieu les journées inaugurales : portes ouvertes, découverte (gratuite) de l’exposition Chefs-d’œuvre ?, et de nombreuses manifestations dans toute la ville 1 Parvis des Droits de l’Homme 03 87 15 39 39 – www.centrepompidou-metz.fr
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Photo: Musées de Strasbourg
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01.02.2010 15:27:41 Uhr
Jean Barbault Le théâtre
22 MAI 22 AOÛT 2010
(1718-1762)
de la vie italienne Jean Barbault (1718-1762), Berger napolitain et bufflonne quittant une grotte, vers 1750, huile sur toile, Strasbourg, Musée des Beaux-Arts. Photo : M. Bertola / Musées de la Ville de Strasbourg. Graphisme : Rebeka Aginako
MUSÉE DES BEAUX-ARTS PALAIS ROHAN WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG
Les yeux d’Isabella L’Arsenal de Metz accueille le premier volet de la trilogie de l’humanité Sad Face / Happy Face, signée Jan Lauwers. La Chambre d’Isabella, une plongée dans le cerveau d’une femme aveugle…
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de l'intérieur
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sabella Morandi a traversé le XXe siècle. Dans la solitude de sa chambre parisienne, le cerveau de cette aveugle est soumis à une expérimentation scientifique destinée à lui redonner la vue. Au milieu de dizaines de statuettes et d’objets ethnologiques paternels, l’immense comédienne Viviane de Muynck raconte sans tristesse les horreurs de l’histoire et de sa vie faite d’errances, de passions, d’amants, de mensonges et de séparations. Les chants, les danses, les voix et les postures articulent les thèmes jalonnant les œuvres de Jan Lauwers : violence, mort, amour et érotisme. Rompant avec les formes classiques dès la fin des années 1970, le metteur en scène flamand invente un théâtre concret, direct et très visuel, structuré par une musique et un langage portés par les performeurs de la Needcompany. Ils seront neuf sur le plateau à évoquer la passion d’Isabella pour la vie, « la seule arme contre la dictature du mensonge ». Texte : Daniel Vogel Photo : Maarten Vanden Abeele
m À Metz, à L’Arsenal, jeudi 27 et vendredi 28 mai 03 87 74 16 16 – www.arsenal-metz.fr – www.needcompany.org
Le pouvoir du transitoire
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L’éphémère et le mouvement : tels pourraient être les deux mots qui caractérisent le mieux l’art de Gabriel Orozco, artiste (presque) quinqua que le Kunstmuseum de Bâle nous invite à découvrir.
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réateur protéiforme, Gabriel Orozco (né en 1962) a pris le mouvement pour axe fondateur. Installations, sculptures, photographies, peintures et dessins ici présentés – des œuvres récentes puisqu’elles couvrent une période allant du début des années 1990 à aujourd’hui – sont en effet presque tous marqués par la notion de déplacement… De la Citroën DS métamorphosée (après redécoupage drastique dans le sens de la longueur) en véhicule monoplace à ces clichés d’événements infinitésimaux (l’empreinte d’une roue de vélo qui vient de traverser une flaque d’eau ou celle d’un souffle sur la laque d’un piano), l’artiste mexicain, qui revendique son identité « sans pour autant porter un sombrero culturel », nous invite à un étrange voyage qui se cristallise tout entier dans ses Working Tables. Sur un espace plat, elles rassemblent des objets et créations hétéroclites : une accumulation au parfum d’éphémère qui fait penser à la fois à un cabinet de curiosités, à un atelier et à un univers en miniature. Texte : Raphaël Zimmermann
m À Bâle, au Kunstmuseum, jusqu’au 8 août +41 61 206 62 62 – www.kunstmuseumbasel.ch
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La DS, 1993, Fonds national d’art contemporain, Ministère de la Culture et de la Communication, Paris, Fnac 94003 © 2009 Gabriel Orozco
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Ode
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du 14 1 4 au 28 2 8 mai ma i 20 2010 1 10
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de Musique
Vendredi 14 mai 20h30
Mardi 18 mai 12h30
Mardi 25 mai 12h30
SPLENDEUR ET MYSTICISME
SOSPIRI DI FOCO
OMBRES ET LUMIÈRES
Chœur bulgare Saint-Jean-de-Rila
Café musique Musée de l’Impression sur Etoffes
Café musique Musée Historique
DE LA LITURGIE ORTHODOXE SLAVE
Concert d’ouverture Eglise Sainte-Marie 6 € / réduction 2 €
Dimanche 16 mai 17h00
Entrée libre
Entrée libre
Jeudi 20 mai 19h30
Vendredi 28 mai 20h30
LE PLAISIR DE TRINQUER
LA PASSION SELON SAINT-JEAN
Ensemble vocal L’ Arrach’Chœur
IN-ENTENDU
Apéritif concert Cité de l’Automobile
Ensemble vocal féminin Plurielles Concert Temple Saint-Paul
Musée national - collection Schlumpf 6 € / réduction 2 €
Entrée libre
Informations
La Chapelle Rhénane Atelier vocal d’Alsace Concert de clôture Eglise Saint-Etienne 6 € / réduction 2 €
Service Animation Culturelle Cour des Chaînes 15 rue des Franciscains / 68100 Mulhouse / 03 69 77 77 50 animationculturelle@mulhouse-alsace.fr et www.mulhouse.fr
Château de l’Ile
L’île de verdure aux portes de Strasbourg
Laissez-vous séduire par nos magnifiques terrasses...
A 10 minutes de Strasbourg, le Château de l’Ile vous invite au coeur d’une nature préservée. Nos terrasses au bord de l’Ill, vous offrent un cadre bucolique pour profiter de nos 2 restaurants...
Winstub de l’Ile ouverte du lundi au samedi midi et tous les soirs s’Asszimmer ouvert du jeudi au samedi soir et dimanche midi
Château de l’Ile - Hôtel
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Le Château de l’Ile, c’est aussi... • un savoureux menu spécial «Fête des mères» • de nombreux coffrets cadeaux • les afterwork du Heydt Bar et ses mois à thème. En mai, voyage vers Cuba... • le Spa de l’Ile, vous invitant à la détente et au bien-être • de magnifiques salons, ouvrant sur le parc pour sublimer vos fêtes de famille...
Accessibilité, Quiétude et Raffinement
& Restaurants & Spa - Strasbourg-Ostwald - 03 88 66 85 00 - www.chateau-ile.com
Lauréat
Cette année, Daniel Barenboim a reçu le Prix de la Musique Herbert von Karajan créé par la Fondation culturelle privée du Festspielhaus de Baden-Baden. Il sera remis, jeudi 4 novembre, dans le cadre d´un concert exceptionnel du chef et pianiste. www.festspielhaus.de
In Bed with Macke
Éminent membre du Blaue Reiter aux côtés de Franz Marc ou de Wassily Kandinsky, August Macke est célèbre pour ses œuvres colorées. Jusqu’au 9 mai, le Museum für Neue Kunst de Fribourg nous présente un August Macke en privé, des travaux (140 peintures, dessins ou sculptures) plus personnels et peu montrés de l’artiste. www.freiburg.de
Voyage lunaire Samedi 29 et dimanche 30 mai, le festival Demandez-nous la Lune de Meisenthal propose, dans la Halle Verrière, une douzaine de spectacles gratuits. Pour la quatrième année consécutive, découvrez arts de la rue, concerts, marionnettes, vidéos et performances organisés par le Cadhame (Collectif artistique de la Halle de Meisenthal). Cet événement est l’occasion de dévoiler les créations des artistes en résidence, comme les compagnies Carnages Productions, Qualité Street ou Songes, les ateliers menés par les écoles durant l’année scolaire, et de présenter des acteurs engagés dans la promotion des arts de la rue. En plus de ces projets originaux et ludiques, des rencontres avec les participants sont possibles, notamment en passant la nuit du samedi au dimanche sous la verrière, à la lueur de la lune…
Foisonnement géométrique
Zoot Woman est un des nombreux projets de Stuart Price, alias Jaques Lu Cont, alias Les Rythmes Digitales. Cet amoureux des sons eighties qui a collaboré avec Madonna se produit à la Rockhal d’Esch-sur-Alzette, jeudi 6 mai. www.rockhal.lu
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La barbe !
Cold Wave ?
“Cool music, cold Beer” : telle est la devise du Swamp, (tout petit) bar de Fribourg qui accueille des (très grands) groupes. Exemple : les Londoniens très cool et pas cold de Wave Pictures, jeudi 6 mai. www.swamp-freiburg.de
Expérience
Olivier Grasser, directeur du Frac Alsace, a assuré le commissariat de l’exposition de Jan Kopp au Kunstraum Dornbirn (en Autriche, du 22 mai au 6 juin). Entre art et science, Das endlose Spiel / Le jeu sans fin traite de la notion d’expérience. www.kunstraumdornbirn.at
Sophie Taeuber-Arp, Gleichgewicht, 1932, Emanuel HoffmannStiftung, Depositum in der Öffentlichen Kunstsammlung Basel © VG Bild-Kunst, Bonn 2010 Photo : Martin Bühler
Jusqu’au 6 juin le Musée Arp de Remagen dédie une exposition à Sophie Taeuber-Arp (18891943) qui, on le sait, collabora à la décoration de l’Aubette à Strasbourg. Une plongée en 130 pièces – peintures, œuvres tissées, sculptures, mais aussi fascinantes marionnettes – principalement, dans l’avant-garde européenne du début du XXe siècle. Cette présentation est le reflet d’un langage plastique où les couleurs, les rythmes et les formes s’agencent avec bonheur et équilibre dans des compositions d’essence géométrique. www.arpmuseum.org
Mon mouton fait grrr… Onzième édition, du 5 au 19 mai, de Mon Mouton est un Lion, festival jeune public organisé en Alsace et en Lorraine (sur 26 communes, à Sélestat, Dieuze, Sarrebourg ou encore Vic-sur-Seille). À découvrir : La Main dans le sac, spectacle muet de marionnettes de la Cie La Berlue, L’Arche de Noé (photo), show intimiste de la Cie La Boîte Noire, Petit à petit, conte du Théâtre avec un nuage de lait, ou encore Chübichaï, théâtre de modelage par la Cie Le Vent des forges. En tout, 35 compagnies et 85 représentations pour une manifestation qui fait rugir de plaisir. www.mouton-lion.org
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Cie 3 Points de Suspension
www.hall-verriere.fr
Zoot alors !
Il est texan et sacrément barbu. Josh T Pearson, qui eut de glorieux moments au sein de Lift To Expérience, se met aujourd’hui à nu, vendredi 7 mai à La Poudrière de Belfort, avec un set folk et intimiste. www.pmabelfort.com
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Au temps d’Adam
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À Sarreguemines, pénétrez dans le monde d’Emmanuel Perrin. Avec Jardin d’Eden et petites mythologies, personnages et animaux investissent le Moulin de la Blies.
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oilà plusieurs années que le plasticien et sculpteur Emmanuel Perrin travaille sur son Jardin d’Eden et petites mythologies qu’il dévoilera le 15 mai, à l’occasion de la Nuit des Musées. De multiples installations, disposées – principalement – en extérieur, donnent vie au parcours onirique élaboré par l’artiste. Vous découvrirez des figures étranges inspirées des tableaux de Jérôme Bosch, peintre néerlandais du début du XVIe siècle, célèbre pour ses personnages monstrueux issus des gravures de bestiaires du Moyen-Âge. Les créations de Perrin ne peuvent pas non plus être séparées de la religion et de la théologie (comme Adam et Ève). Elles empruntent également à la mythologie grecque avec des variations autour de la magicienne Circé ou des centaures et autres créatures fantastiques. L’artiste œuvre sur bois et plaque de verre gravé, céramique et même sur tissu… ou plus exactement sur des robes brodées où apparaissent des personnes, nues. Texte : Victoria Karel
m À Sarreguemines, au Moulin de la Blies – Musée des Techniques Faïencières, du 15 mai au 31 octobre 03 87 98 28 87 – www.sarreguemines-museum.com
Le miroir de la vie
Emmanuel Perrin, Adam et Ève
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de l'intérieur
Jean Rault, photographe, et Anthony Vérot, peintre, présentent simultanément leurs travaux lors de l’exposition Les unes et les autres au CRAC de Montbéliard. Confrontation de leur vision respective de l’homme et du corps.
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u’ont en commun ces deux artistes ? Spécialisés dans l’art du portrait, ils s’appliquent à immortaliser les individus rencontrés au cours de leurs voyages, Jean Rault muni de son appareil photo, Anthony Vérot de son pinceau. Le premier propose une série de clichés pris en France, aux ÉtatsUnis et au Japon. Il va au plus près de l’intimité pour montrer ce que la mise à nu du corps peut avoir de déstabilisant et de troublant. Il cherche également à mettre en avant et à questionner les genres masculin et féminin en photographiant des hommes déguisés en femmes et leurs accoutrements haut en couleur et fantasques. D’autres photos témoignent de la violence faite au corps qui est soumis à l’institution (armée, sport professionnel…). Quant au second, son ensemble de tableaux et de dessins (2005-2010) met en pleine lumière traits et replis de peau. Insistant sur les détails des visages, il n’épargne pas le modèle. Pas question cependant de mettre en avant les ravages du temps et la fragilité de la vie, mais de donner à ces figures davantage de caractère. Texte : Victoria Karel
Anthony Vérot, Élisabeth, 2009 Photo : Laurent Ardhuin
m À Montbéliard, au Centre régional d’art contemporain Le 19, jusqu’au 13 juin – 03 81 94 43 58 – www.le-dix-neuf.asso.fr
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Les spectres de Bruges
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de l'intérieur
L’Opéra national de Lorraine présente une œuvre fondamentale du XXe siècle musical, Die Tote Stadt (1920) de Korngold… redécouverte seulement il y a dix ans.
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l avait fallu attendre 2001 pour que Die Tote Stadt soit enfin donnée en version scénique en France (à Strasbourg, à l’Opéra national du Rhin). La Ville morte, pourtant un opéra majeur du répertoire, était tombée dans l’oubli. Sans doute son auteur, Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), qui avait fui le nazisme pour les USA, eut-il le tort d’être catalogué comme compositeur de musique de films (il obtint deux Oscars), se voyant ainsi discrédité dans l’univers impitoyable du “classique”. Inspiré du roman symboliste de Georges Rodenbach, Bruges-la-morte, son opéra ressemble à une plongée vertigineuse dans les canaux filandreux et anxiogènes de la cité flamande. Le personnage central, Paul, croit revoir son épouse disparue dans les traits d’une danseuse, Marietta (un des rôles les plus ardus qui soient). Fantômes. Hallucinations. Daniel Klajner (l’excellent directeur de l’Orchestre symphonique de Mulhouse), sera à la tête de l’OSLN pour cette production d’une œuvre qui ressemble à un étonnant entre-deux : Rêve ou réalité ? Texte : Hervé Lévy
© Raimund Bauer
m À Nancy, à l’Opéra national de Lorraine, du 9 au 18 mai 03 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr
Le design, c’est «E pas du Lux ! LUX
Édition zéro de Design City Luxembourg : six semaines organisées par le Mudam qui mettent le design à l’honneur, partout dans la ville. Le collectif strasbourgeois 3RS est de la partie.
nvisager la ville autrement, se l’approprier, s’en servir comme d’un grand terrain de jeu, sans intention de dégradation, ni de marquage viril au fer rouge ou à l’encre indélébile. Se l’approprier parce qu’elle est à nous tous. » Telle est la devise du collectif 3RS Ar(t)chitectures qui a réalisé une installation dans la zone de passage souterrain, au Centre Aldringen. C’est dans le sous-sol du lieu qu’a eu lieu l’inauguration de cette manifestation dont le but est d’étudier l’influence du design, industriel et urbain, sur les espaces, sur la vie de tous les jours, à travers de nombreuses actions – marché des créateurs les 29 et 30 mai au Mudam Café, rencontres, projections… – et interventions. Parmi celles-ci, le parcours Outdoor Design, circuit du mobilier urbain signé Philippe Starck, Ross Lovegrove ou Peter Newman. Durant six semaines, le design prend possession de la ville. Aux citoyens d’en faire autant ! Texte : Emmanuel Dosda
m À Luxembourg, dans différents lieux de la ville, jusqu’au 6 juin +352 45 37 85 1 – www.mudam.lu
3RS Ar(t)chitectures, Designmaart, Centre Aldringen
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Exposition du 23 avril au 16 mai 2010 CENTRE
EUROPÉEN
D’ACTIONS
ARTISTIQUES
CONTEMPORAINES
espace international
Anna Schuster
cea ac
Gauthier Sibillat
LES DÉBATS DE L’ GENCE 2010
« L’ART, L’ARCHITECTURE ET LA CULTURE DANS LA VILLE DE DEMAIN » AGENCE CULTURELLE D’ALSACE CONSEIL RÉGIONAL D’ALSACE EN PARTENARIAT AVEC L’OBSERVATOIRE DES POLITIQUES CULTURELLES
LIEU DES CONFÉRENCES : HÉMICYCLE DE LA RÉGION ALSACE STRASBOURG
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JEUDI 20 MAI 2010 INVENTER ET CONSTRUIRE LES TERRITOIRES DE DEMAIN AVEC YVES CHALAS, JEAN VIARD, MATHIEU LAPERRELLE
MERCREDI 13 OCTOBRE 2010 L’ART ET LA CULTURE DANS LA VILLE : DE L’ESPACE PUBLIC AU PROJET URBAIN AVEC FRANÇOIS BARRÉ, JEAN-DOMINIQUE SECONDI, HUGUES KLEIN INFORMATIONS ET RÉSERVATIONS (+33) 3 88 58 87 54 ou www.culture-alsace.org
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culture scientifique
L'androïde est un humain comme les autres
«L
es robots ont la capacité de travailler avec l’homme, mais ils ne pourront jamais le surpasser », estime Andres Pardey, vice-directeur du musée et commissaire de l’exposition avant d’ajouter : « À l’heure où les avancées technologiques sont remarquables, l’indépendance des machines vis-à-vis des hommes est une utopie que souhaiterait atteindre bon nombre de scientifiques et ingénieurs. » Rêves de Robots met en avant la relation entre l’homme et la machine qui tend à s’imposer de manière quotidienne. Neuf artistes se sont prêtés au jeu et ont spécialement créé une œuvre, livrant leur vision du rapport entre humain et engin. Ainsi, l’Autrichien Niki Passath, avec ZOE, a-t-il inventé de petits androïdes sur roulettes capables d’interagir avec nous : dès l’entrée des visiteurs dans la salle, ses robots s’animent et effectuent des mouvements en essaim dans leur direction. Avec leurs créations, ils rejoignent un spécialiste et précurseur en la matière, l’Australien Stelarc, maître du body art. Également présent au musée Tinguely, il explore en effet depuis près de vingt ans le concept du cyborg1 en mêlant le corps humain à des composants électroniques ou robotiques comme des prothèses médicales. Réalisée en coopération avec la Kunsthaus Graz2, Rêves de Robots accueille également les œuvres de Nam June Paik, un des pères de l’art vidéo, et des créations d’inventeurs contemporains ayant inspiré les différents protagonistes de cette exposition. Toutes ces créations trouvent une place naturelle dans “l’antre” de Jean Tinguely, artiste bien connu pour avoir utilisé des moteurs afin d’animer ses œuvres. Pensons par exemple à Euréka (1964), une sculpture construite, comme la plupart de celles qu’il imagina, à partir de matériaux de récupération. Le musée bâlois poursuit ainsi la réflexion
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La notion d’Intelligence Artificielle (IA) constitue le thème de Rêves de Robots, exposition présentée au musée Tinguely de Bâle. Neuf artistes y développent leur vision de cette thématique qui irrigue la science et les arts depuis près d’un siècle.
de son inspirateur autour de ce désir qu’à l’homme de créer à son image une machine capable de reproduire sa pensée et ses gestes. Mais doter des robots d’une intelligence d’action à hauteur de la nôtre, ne serait-ce pas donner naissance à la machine idéale telle que l’imaginait Edwin Johnson, historien anglais de la fin du XIXe siècle, connu pour sa critique de la théologie chrétienne ? Selon lui, « l’être humain est la machine la plus réussie au monde… Du cou vers le haut il est formi-
dable, du cou vers le bas il a tout à envier aux autres machines ». Alors, quel avenir pour l’homme face aux machines ? Par opposition à l’androïde, le cyborg est un homme amélioré qui a reçu des greffes mécaniques. 2 Un musée autrichien à l’architecture étonnante inauguré en 2003 alors que Graz était Capitale européenne de la culture www.kunsthausgraz.com 1
Texte : Victoria Karel
m À Bâle, au musée Tinguely, du 9 mai au 12 septembre +41 61 681 93 20 – www.tinguely.ch
Nam June Paik, Andy Warhol Robot, 1994, Kunstmuseum Wolfsburg. Photo : Helge Mundt
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culture gastronomique
Comme chez
soi
Plus qu’un restaurant, Chez Yvonne est une institution… qui n’est jamais tombée dans l’écueil guettant les temples de la culture gastronomique : la routine. Entre tradition et innovation, la maison de la rue du Sanglier séduit, encore et toujours.
C
hez Yvonne ? Une référence du paysage gastronomique alsacien, reprise il y a neuf ans par JeanLouis de Valmigère qui a su, avec tact, préserver l’esprit du restaurant où Jacques Chirac et Helmut Kohl avaient leurs habitudes autour d’une tête de veau. « Ici, on se sent comme chez soi », explique le maître des lieux. “On” ? Vous et moi, mais aussi les multiples politiques et people, de Marc Lévy à Johnny Hallyday, dont la winstub constitue le point de ralliement strasbourgeois. On y croise aussi de nombreux écrivains et intellectuels. Presque tous ceux qui se rendent à la librairie Kléber : Jean d’Ormesson, Philippe Sollers et Gabriel Matzneff (qui évoqua le lieu dans son journal en avril 2006, parlant
DR
du « succulent restaurant de la rue du Sanglier où – après l’effort, le réconfort – nous nous sommes tapé la cloche ») sont, par exemple, des familiers des lieux. Au menu,« un large spectre culinaire ». Une carte présente des plats alsaciens 100% traditionnels : on y retrouve évidemment, à côté d’une des meilleures salades mixtes de la ville, la sacro-sainte trilogie choucroute / presskopf / coq au Riesling. Sur l’ardoise des suggestions, sont proposés des mets plus exotiques comme un pressé de volaille façon curry, lentilles corail et lait de coco ou un merveilleux œuf d’oie
aux truffes (jamais vu ailleurs). C’est dans cette dialectique permanente entre tradition et imagination qu’Yvonne nous plaît. Vous ajoutez une remarquable carte des vins (où l’Alsace est très bien représentée) orientée bio…et vous obtenez the stub’ to be. Texte : Hervé Lévy
m Chez Yvonne, 10 rue du Sanglier à Strasbourg. Ouvert tous les jours à midi et le soir (jusqu’à minuit) 03 88 32 84 15 – www.chez-yvonne.net
Une bière retrouvée
L’
odyssée de la bière Perle commence en 1882, lorsque Pierre Hoeffel fonde la marque à Schiltigheim. Elle devient, notamment après sa reprise en 1919 par Charles Kleinknecht, une des brasseries les plus florissantes de la région (avant la Deuxième Guerre mondiale, elle est la plus importante d’Alsace)… avant de péricliter et de disparaître dans les années 1970, rachetée par Heineken. Silence radio jusqu’en 2009, année où Christian Artzner (arrière-arrière-petit-fils du fondateur), maître-brasseur trentenaire formé en Écosse,
décide de la relancer. Perle is back, renaissant, tel le Phénix de ses cendres. Un aspect cuivré, un goût d’une grande finesse et d’un bel équilibre entre onctuosité et amertume… sans doute grâce au houblon d’Alsace Strisselspalt. Une boisson dont on tombe de suite in love. Souhaitons donc à cette micro-brasserie de (re) devenir bien vite grande et de trouver sa place sur tous les zincs de la région. (H.L.) m www.biere-perle.com L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération
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S’il est des lieux qui ont su préserver intacts tout le charme et l’authenticité des ambiances chaleureuses, où plaisir de la table rime avec convivialité, le restaurant «Zuem Strissel» est de ceux-là, situé au coeur du quartier historique, à deux pas de la Cathédrale. Pour mettre en valeur cette winstub à la si Un lieu chargé d’Histoire... longue histoire, Jean-Louis de Valmigère Établi depuis le XIVème siècle dans le quartier du et son équipe ont su réveiller les recettes Vieil Hôpital, le Strissel existait déjà avant que la traditionnelles et leur donner ce goût si particulier Cathédrale ne possède sa flèche. Ancien lieu de du temps où la cuisine était faite maison. rencontre des corporations, à côté de la Douane où se retrouvaient tous les métiers de Strasbourg, C’est pour cela qu’on aime faire découvrir ou le Strissel est aujourd’hui un des temples de la redécouvrir ce lieu convivial, en famille ou entre amis, à midi autour d’un bon plat du jour, le soir cuisine Alsacienne. pour partager un moment de plaisir et de détente.
ZUEM STRISSEL • 5 PLACE DE LA GRANDE BOUCHERIE • 67000 STRASBOURG
www.strissel.fr
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Last but not Least
Angélique Bègue Plasticienne et modèle, rencontrée à l’Espace Insight vendredi 19 mars Dernier émerveillement. La vidéo de l’exposition réalisée par Hugo. J’en ai écrit le scénario qui raconte ma vie. Un bonheur de l’avoir fait. Dernier livre de chevet. L’autobiographie de Frida Kahlo.
Dernière belle rencontre. Christian Hebbeiheimer avec lequel je co-écris un livre sur ma vie, L’Envol. Dernière bonne résolution. J’ai arrêté de boire depuis un mois, m’autorisant une seule petite cuite par mois.
Dernière idole. Hubert-Félix Thiéfaine que j’adore depuis ma jeunesse. Il est décalé et très sexy.
Dernière petite larme versée. Je n’arrive pas à pleurer, je n’ai plus de larmes depuis longtemps.
Dernier coup de cafard. La mélancolie m’accompagne souvent, mais c’est grâce à elle que je peins.
Dernier péché. Je me sens presque pure, pas pécheresse. Les péchés bloquent les gens, je veux les rendre libres.
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Dernière photo que vous voulez qu’on garde de vous. Un beau portrait ou un beau nu de moi quand j’aurai 83 ans. Photo : Benoit Linder / French co.
www.espace-insight.org http://mondesdangelique.canalblog.com
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