Magazine N°185 mars 2016 www.poly.fr
General Elektriks Groove sans frontières
Dubuffet
Ses Métamorphoses
Festivals Les Femmes
s’en mêlent, Facto, STEPS
eun-me ahn corée graphique
BRÈVES
SUR LA PISTE DE
L’ILLUSTRATION
Le festival Central Vapeur change de dates pour se caler sur celles des premières Rencontres de l’illustration (09-20/03, voir aussi l’article sur Fit to Print, page 56) et propose une série de rendez-vous à Strasbourg, dont le traditionnel Salon des indépendants (18-20/03, Salle des Colonnes) ou le très attendu Dialogue de dessins (19-20/03, La Semencerie) qui opposera Cachete Jack (voir visuel) à Caroline Gamon. La manifestation nous convie également à aller Sur la piste de Daniel Boone (02/03-07/04, Maison de la Région), trappeur américain ayant inspiré Céline Delabre, Vincent Godeau ou Laurent Moreau. www.centralvapeur.org
À L’UNISSON et
vian !
En mars, les vers et les rimes s’invitent partout en France, glissant un peu de poésie dans ce monde de brutes, le temps du Printemps des poètes (05-20/03), qui cette année fait un focus sur le XXe siècle. À Strasbourg, la Médiathèque André Malraux propose des lectures (de chansons et poèmes de Federico Garcia Lorca, 05/03), des récitals (Notes de voyage et autres récits, le 18/03)ou même un spectacle musical (05/03, pour découvrir l’Esprit Boris Vian, en compagnie du Théâtre Lumière).
Jusqu’au 12 mars, treize communes du Bassin Houllier vibrent au rythme du Festival Migrations organisé par le Carreau de Forbach, les Travailleurs Maghrébins de France et l’association d’Action sociale et sportive. Expositions, concerts, films, débats sont présentés dans le seul but de tisser des liens et mêler les origines. Qu’Allah bénisse la France, film d’Abd Al Malik (diffusé les 05/03 et 09/03) traduit bien l’âme du festival, la recherche du bien vivre ensemble. www.asbh.fr
© Nadja Pollack
www.mediatheques.strasbourg.eu www.printempsdespoetes.com
ART POUR TOUS
Le 19, le Centre régional d’Art contemporain de Montbéliard accueille sa nouvelle directrice, Anne Giffon-Selle, le 7 mars. Cette historienne de l’Art fascinée par la beat generation, successivement à la tête de l’Espace Arts plastiques de Vénissieux, puis du Centre d’Art contemporain de Saint-Fons, mène une politique de médiation et diffusion forte dans les milieux urbains et compte bien prolonger sa philosophie d’ouverture dans sa nouvelle maison ! www.le19crac.com Poly 185 Mars 16
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BRÈVES
PERLES
combat de fauves
© Michel Cavalca
D’ORIENT
Du combat érotico-rhétorique entre libertins des Liaisons dangereuses revisité par Heiner Müller dans Quartett, Michel Raskine saisit Valmont dans l’éternité de sa jeunesse, manipulé par une impériale marquise (l’excellente Marief Guittier, son actrice de toujours). Avec ce duel entre proie et prédateur, la pièce se fait danse de mort, révélant « la scène comme lieu du fantasme, de l’invention et de l’imaginaire ». À ne pas manquer, au Granit de Belfort (15 & 16/03). www.legranit.org
PLEXIPEINTURE
Avec H. Craig Hanna, c’est un artiste majeur de la scène mondiale qui est exposé au MNHA de Luxembourg (04/03-26/06). De saisissants portraits sur plexiglas permettant des effets chromatiques des plus surprenants oscillent entre inspiration issue des maîtres du passé (Rembrandt et Vélasquez en tête) et ultra-contemporanéité. www.mnha.lu
En costumes traditionnels, la troupe du Ballet National de New Dehli démontre tout son savoir-faire et ses techniques de danse très anciennes sur la scène du Relais culturel de Bischwiller (15/03). Au cours de ce voyage exotique, philosophie et mythologie indienne émergent dans une chorégraphie fluide et énergique que l’Indian Revival Group tient à faire exister en vouant son travail à ce riche patrimoine culturel. www.mac-bischwiller.fr
Anne sur le dos, 2011, collection particulière © Laurence Esnol Gallery
© Franck Serr
HIPPIE TOGETHER
La célèbre comédie musicale – popularisée par Milos Forman qui l’a adaptée au cinéma en 1979 – fête ses 50 ans ! Spectacle emblématique de la fin des sixties, Hair fait souffler un vent de liberté partout dans le monde, sur fond de drogues douces, de liberté sexuelle, d’antimilitarisme, de cheveux longs, de pattes d’eph, de Peace & Love. Toute une époque… à revivre le 29/03 à Nancy (Espace Prouvé), le 16/05 à Sausheim (Eden), le 17/05 à Belfort (Maison du Peuple), le 18/05 à Strasbourg (PMC), le 19/05 à Amnéville (Galaxie) et le 25/05 à Besançon (Théâtre Ledoux). Let the Sun shine in ! www.mlprods.com Poly 185 Mars 16
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BRÈVES
MÉLOPÉES PRINTANIÈRES
Du 24/03 au 10/04, Colmar Fête le Printemps partout en ville, avec deux marchés de Pâques – spécialités culinaires, accessoires artisanaux ou objets de déco –, trois salons de créateurs locaux – œufs décorés, céramiques et textiles – et le Festival Musique & Culture. Jazz et classique au programme avec l’Orchestre de chambre Occitania, Bossarenova trio pour une virée brésilienne ou la rencontre entre le mandoliniste Avi Avital et l’accordéoniste star Richard Galliano (photo).
© Vincent Catala
www.printemps-colmar.com
UN LONG WEEK-END
Organisé par le réseau Versant Est, le neuvième Week-end de l’art contemporain (18-20/03) concentre une riche actualité culturelle, entre vernissages, concerts, visites guidées ou rencontres avec des plasticiens, sur trois jours. Un circuit arty et une série de rendez-vous immanquables à Altkirch (Crac, le cinéma Palace Lumière), Colmar (Musée Bartholdi…), Erstein (Musée Würth), Mulhouse (La Filature, La Kunsthalle), Strasbourg (Ceaac, MAMCS…) ou Wattwiller (Fondation François Schneider). Des parcours en bus sont organisés.
ÇA BALANCE ! La onzième édition de Marckolswing !, festival international de jazz classique de Marckolsheim (17-19/03), offre une belle affiche avec Christophe Erard (artiste et directeur, en photo) et son trio Jazz, Nicolle Rochelle & the Fantastic Harlem Drivers ou Malo’s Hot Five. Une piste de danse est ouverte, pour tous les seconds concerts de la soirée : avis aux danseurs endiablés et autres épris de lindy hop ! Le festival organise une masterclass de danse swing (18 & 19/03) animée par Lennart Westerlund : inscrivez-vous !
www.versantest.org Hein-Kuhn Oh, Cosmetic Girls, exposition Turbulent Transition #2 à La Chambre (Strasbourg)
www.marckolswing.fr
À L’OUEST DU NOUVEAU
Yakari, Lucky Luke, Donald et tous les autres héros du Neuvième Art qui arpentent les plaines du western depuis les années 1920 se sont donnés rendez-vous au Deutsches Zeitungsmuseum de Wadgassen pour l’exposition Going West ! (05/03-05/06). Plus de 150 dessins originaux sont présentés à cette occasion à côté de documents d’époque et de photographies. www.deutsches-zeitungsmuseum.de Poly 185 Mars 16
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BRÈVES
LAPS DE TEMPS
Plusieurs artistes s’interrogent sur les notions de présent et de présence lors d’une exposition collective Participe présent (Médiathèque Verlaine de Metz, jusqu’au 30/04). À chaque œuvre correspond la représentation intime du chercheur sur le temps, l’action et son rapport au public dans des dispositifs plastiques très différents. Christiane Massel travaille, par exemple, sur l’absence, sur « le vide qui dit le plein » en utilisant la lumière, ses clignotements et ses flashes. Un jeu d’apparitions et de disparitions soudaines. www.bm.metz.fr
CAP VERS LE SUD
La Quinzaine culturelle de Haguenau est de retour : elle est dédiée au Portugal (05-19/03). Entre un cours de danse et un atelier culinaire, les festivaliers partent à la découverte des légendes de ce pays maritime au travers de lectures de poèmes du mélancolique Fernando Pessoa ou de conférences dévoilant les secrets de la culture traditionnelle portugaise, du Fado au célèbre coq de Barcelos. Bem-Vindo !
www.relais-culturel-haguenau.com
C’est une rencontre qui promet : les Percussions de Strasbourg et le duo Ork (18/03, Théâtre de Hautepierre, à Strasbourg) proposent de partir du rock, pour s’en affranchir et, finalement, mieux y revenir. À côté des œuvres originales du duo (avec notamment la création de Mahatma), on entendra des œuvres emblématiques de Pierre Jodlowski (24 loops) et Steve Reich (6 Marimbas).
DAMNÉS
Dans le cadre du programme de recherche “Lignes de front”, les étudiants de la Haute École des Arts du Rhin réalisent une installation performative de Mathilde Cordier et Erwan Coutelier sur la presqu’île Malraux, à Strasbourg (17/03, 18h). Le poème Traversée nocturne du pont du Rhin à Cologne écrit de manière prémonitoire un an avant la Grande Guerre par Ernst Stadler, sera mis en espace (des cubes blancs s’éclairant la nuit où se dévoilent des vers) tandis qu’une petite formation d’instrumentistes de la Hear interprètera les Dix marches pour rater la victoire de Mauricio Kagel. www.hear.fr www.printempsdespoetes.com
www.percussionsdestrasbourg.com
© Bartosch Salmanski / m4tik.fr
© Mathilde Cordier
BOUCLE BOUCLÉE ?
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sommaire
18 S’inspirant de Minnie and Moskowitz de Cassavetes, Aurélia Guillet met en scène Quelque chose de possible
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20 Stanislas Nordey crée avec Falk Richter Je suis Fassbinder, pièce engagée et grinçante
22 Entre concert et show dansé, Not Punk, Pololo envoie du lourd 26 Julie Duclos s’inspire du film culte La Maman et la Putain dans Nos Serments
30 Vidal Bini transforme
la scène en ring dans Sparring Partners
32 Avec Aringa Rossa, la chorégraphe Ambra Senatore zoome sur une communauté de neuf individus en train de se constituer
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34 Les Giboulées, biennale dédiée à la marionnette, fête ses 40 ans
36 Cindy Van Acker et Marcos Morau questionnent les limites de la danse
38 Les Femmes s’en mêlent ou les avancées en matière de recherche sonique
40 Entretien avec General Elektriks, claviériste aux doigts d’argent et aux jambes élastiques
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44 Chris Potter is back avec une nouvelle formule, en trio 46 Du tango au bal brésilien, un 19e Printemps des Bretelles éclectique et insolite
48 Alexandros Markeas propose deux créations mondiales, variations sur la mer devenue « lieu de mémoire »
50 Copieux menu à Baden-Baden pour le Philharmonique de Berlin de Sir Simon Rattle
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52 Avec ses Muses, Didier Paquignon interroge le corps masculin au XXIe siècle, à la Fondation Fernet-Branca
54 La Fondation Beyeler célèbre Jean Dubuffet, artiste total 56 Fit to Print, au Musée Tomi Ungerer, expose les travaux
de diplômés de la HEAR publiés dans le New York Times
65 Last but not least : Luce a sorti un disque très Chaud 54
COUVERTURE Après une performance remarquée en 1992, dans laquelle elle apparaissait rasée à blanc telle une moine bouddhiste, la chorégraphe coréenne Eun-Me Ahn fut surnommée « la danseuse au crâne chauve ». Un sacré look qui nous a donné envie de lui faire les honneurs de notre Une avec un portrait signé Sanghoon dans lequel elle pose en kimono traditionnel, regard rieur avec ce quelque chose d’énigmatique sur fond rouge sang. On se demande bien quel tour elle nous prépare. Découvrez l’une de ses dernières pièces page 29…
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OURS / ILS FONT POLY
Emmanuel Dosda
Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une quinzaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren.
Ours
Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)
emmanuel.dosda@poly.fr
Thomas Flagel
Théâtre des Balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis six ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr
Ourson mignon, 2016 © Geoffroy Krempp
Benoît Linder
Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com
Stéphane Louis
Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com
www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Fiona Bellime, stagiaire de la rédaction Ont participé à ce numéro Geoffroy Krempp, Pierre Reichert, Irina Schrag, Florent Servia, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphiste Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Développement web Antoine Oechsner de Coninck / antoine.odc@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly
Éric Meyer
Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http ://ericaerodyne.blogspot.com
Florent Servia
Fondateur de Djam, un média dédié au jazz et aux musiques noires, il est un défricheur engagé dans le partage des sonorités qui valent le coup. www.djamlarevue.com
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Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr
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ÉDITO
questions sémantiques Par Hervé Lévy
Illustration d'Éric Meyer pour Poly
L
a nouvelle grande région regroupant Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine n’a pas encore de nom. La procédure a été lancée avec Comité de réflexion (dernière réunion, samedi 12 mars à Metz), consultation citoyenne sur les trois dénominations issues des délibérations en mars et présentation de la lauréate au Conseil régional, fin avril, puis approbation gouvernementale à l’automne. Les propositions ont afflué, certaines très logiques (on vote des deux mains pour Grand Est ; après tout, ne sommes-nous pas tous des garçons et des filles de l’Est ?), d’autres un peu pataudes (GEF comme Grand Est Français ; si on peut éviter CHALOR, c’est bien aussi). Plusieurs ont des résonances historiques (Austrasie ou Lotharingie), se révèlent poético-kitsch telle Bellest ou tapent à côté avec Cœur d’Europe qui a le double tort d’avoir une connotation fromagère et d’être… fausse. En Bourgogne-Franche-Comté, les débats semblent moins vifs, la présidente de la région Marie-Guite Dufay affirmant que le choix définitif de l’appellation provisoire (dont l’acronyme BFC sonne un brin bancaire) est un « sujet admis ». N’en reste pas moins qu’une consultation a été mise en place jusqu’au 13
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mars. Sur le site www.bourgognefranchecomte.fr, chacun peut répondre à la question fermée « Souhaitez-vous que “BourgogneFranche-Comté” soit le nom définitif de la nouvelle région ? » En cas d’avis contraire, on peut faire une autre proposition : Comté bourguignonne ? Burgondie comtoise ? Duché de l’Est ? Bourgogne-Comté (alliance fort séduisante du vin et du fromage) comme le souhaite le maire de Besançon, Jean-Louis Fousseret ? Suite au processus et après avis du CESER, des présidents des départements et des maires, l’Assemblée régionale discutera le 18 mars du nom proposé au Gouvernement… mais la messe semble dite. Impossible de reléguer ces questions de dénomination au rayon des doux amusements et autres curiosités administratives : les mots ont une signification profonde, surtout dans le domaine politique. Demain, ces nouvelles appellations contribueront à fonder l’identité naissante de territoires devenus un échelon majeur dans une France jacobine et centralisatrice, reléguant le découpage en départements issus de la Révolution aux oubliettes de l’Histoire. Il serait bon d’y penser.
CHRONIQUEs
MICKEY
MAOUSSE
LIBERTÉ, Lio olé olé. Elli & Jacno disjonctés. Stereo Total azimuté. Cette souris (déglinguée) convoque le meilleur de l’electro-pop et convie à un torride corps à corps avec les chansons de son premier album sexy cool. Mouse DTC, trio mulhousien coquin mené par une brunette explosive qui ne compte pas pour une prune, branche la sono, allume le light show, balance les watts et jette son string en entonnant « Rien ne m’effarouche tant qu’on n’y met pas le poing ». Explicit lyrics en dessous de la ceinture, clins d’œil eurodance bien sentis, bombinette érotico-politico-disco (Dorémifacho signée… Miossec) ou manifeste No Kid (« Baby, bébé banalisé »)… Ça fout les boules, mais ça fait du bien. C’est où ? Dans ton club ! (E.D.) Édité par Médiapop Records (18 € en 33 tours) www.mediapop-records.fr www.mousedtc.org
Grandir
Artiste associée au Théâtre Dijon Bourgogne, la metteuse en scène Pauline Bureau signe avec Dormir 100 ans sa première pièce jeunesse. Deux ados de 13 ans y cheminent entre solitude, absence des parents et monde intérieur bien rempli. Aurore compte tout : ses pas en rentrant de l’école, les touches de piano qu’elle utilise pour ses morceaux, les selfies qu’elle prend pour suivre l’évolution de son corps qui change, les mots des personnes qui lui parlent… Quant à Théo, il devise et joue avec son ami imaginaire, La Grenouille. Une dose de fantastique plonge les deux enfants endormis dans une forêt remplie de tigres et des larmes d’un Saule. Ils s’y rencontrent et finalement, tout va beaucoup mieux une fois réveillés… (D.V.) Paru aux éditions Actes Sud-Papiers, collection Heyoka jeunesse (12 €, dès 10 ans) www.actes-sud.fr Le spectacle Dormir 100 ans, auréolé du prix Momix 2016, sera présenté à La Filature (Mulhouse), du 30 mars au 1er avril Au Théâtre Paris-Villette, du 14 juin au 2 juillet www.part-des-anges.com
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J’ÉCRIS TON NOM C’est un pavé de plus de 900 pages : le Dictionnaire historique de la Liberté a été coordonné par deux professeurs d’Histoire de l’Université de Strasbourg, Georges Bischoff et Nicolas Bourguinat. Ils ont rassemblé plusieurs de leurs collègues pour une passionnante somme comptant plus de 350 articles, de A comme abolitionnisme à Z comme zone libre. Les auteurs pèsent le concept philosophique de Liberté à l’aune de l’Histoire, exercice périlleux et intellectuellement excitant qui montre les différentes visions de ce principe au fil des âges. Nulle prétention à l’exhaustivité dans un ouvrage où le lecteur découvre des passages obligés (le servage ou les mouvements féministes), mais aussi quelques surprises comme une amusante réflexion sur le bikini. (H.L.) Paru chez Nouveau Monde (32 €) www.nouveau-monde.net
CHRONIQUEs
LE FRUIT DE L’ANGOISSE Pour le pauvre Anton, l’équilibre est brisé : on a volé une pastèque dans son champ et le vide laissé par l’immense cucurbitacée chipé le trouble plus que de raison. Il ne pense qu’à cette harmonie gâchée, ce bel alignement rompu. Un juteux fruit laisse échapper une grosse larme, illustrant la détresse de celui qui retrouvera goût à la vie lorsque la nature (sauvage) reprendra ses droits. Le texte de cet album jeunesse signé Corinne Lovera Vitali et les belles planches crayonnées par la strasbourgeoise Marion Duval (ex-Arts déco) nous plongent dans le tourment des pensées d’un trop grand perfectionniste se laissant finalement séduire par la poésie du désordre. (E.D.) Édité par Casterman (dès 4 ans, 13,95 €) www.casterman.com Exposition d’originaux de l’album de Marion Duval, chez Arachnima (33 rue de la Course à Strasbourg), les 12-13/03 & 19-20/03, dans le cadre du festival Central Vapeur, www.centralvapeur.org Apéro-dédicace mercredi 16/03 à 18h
H.I.P-H.O.P
On connaissait l’amour de David Lescot pour la musique, mais pas celui pour l’histoire du hip-hop. Dans Master, l’artiste associé de La Filature (Mulhouse) invente un cours entièrement dédié à ce courant musical dans un lycée. Un prof donne la leçon à un élève, entre origines du mouvement – de Rapper’s Delight aux États-Unis à Chagrin d’amour, premier rap français (sic !) –, interrogation orale sur les cinq composantes du genre et regard lucide. « Le rap est né et mort dans les médias avant de renaître dans les cités. Une histoire qui commence mal, même Annie Cordy a mis un morceau qui s’appelait Et Je smurfe en face B de son 45 tours Choubidou. » Érudite et drôle, cette pièce montée par Jean-Pierre Baro, finit en clash entre « keuf du rap » et jeune freestyler en devenir. (T.F.) Paru aux éditions Actes Sud-Papiers, collection Heyoka jeunesse (10,50 €, dès 12 ans) – www.actes-sud.fr
L’AMOUR
ET LA VIOLENCE
Ils ont quitté Metz pour Paris, mais considèrent plus que jamais la ville lorraine comme leur « patrie », celle qui continue à les nourrir. Les jeunes gens de Grand Blanc (lire entretien dans Poly n°172 ou sur www.poly.fr) n’ont pas attendu de sortir un premier album pour connaître le succès et Mémoires vives devrait assoir la notoriété du groupe rock mâtiné de new wave, chanté (à deux voix) en français. Violente tempête de synthé, beats techno tapageurs et guitares tourbillonnantes… leur Disque sombre, plein de désillusion et de Tendresse, ressemble à une fête triste, un mauvais rêve, une décharge électrique, un Amour fou qui nous saisit, un vertige. (E.D.) Édité par Entreprise (14 € environ) www.lesdisquesentreprise.fr En concert à La BAM (Metz, 12/03), à La Maroquinerie (Paris, 15/03), à La Cartonnerie (Reims, 17/03) et à L’Atheneum (Dijon, 06/04)
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THÉÂTRE
ainsi va l’amour S’inspirant du touchant et fantasque film de John Cassavetes Minnie and Moskowitz, la metteuse en scène Aurélia Guillet crée Quelque chose de possible. Ôde aux anti-héros, aux âmes qui s’entrechoquent et à l’amour, le vrai. Par Thomas Flagel
Au Théâtre en Bois (Thionville) du 9 au 13 mars www.nest-theatre.fr Échange après-spectacle, jeudi 10 mars Brunch, dimanche 13 mars à partir de 12h Bus Metz-Thionville (départ 19h devant L’Arsenal), jeudi 10 mars Au CDN de Besançon, du 16 au 18 mars www.cdn-besancon.fr Aux Bains Douches (Montbéliard), mardi 22 mars www.mascenenationale.com Projection du film Minnie & Moskowitz au Cinéma Colisée (Montbéliard), dimanche 20 mars À l’atelier de la Comédie de Reims, du 27 au 30 avril www.lacomediedereims.fr Bord de plateau le 28 avril
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Qu’est-ce qui vous attirait dans ce film de Cassavetes ? L’improbable duo entre Gena Rowlands et Seymour Cassel ? Il y a quelque chose de positif mais aussi de lucide dans Minnie and Moskowitz qu’on trouve rarement dans les histoires d’amour. Cassavetes montre ces deux merveilleux acteurs tels qu’ils sont. Il filme la vie dans ce qu’elle a de violent et de “vrai” refusant tout enjolivement. Gena Rowlands et Seymour Cassel sont des acteurs qu’il a beaucoup fait tourner. Ce réalisateur demandait un engagement total à toute son équipe, travaillant de manière collégiale. Mais il était clair qu’il gardait la main au final. Je m’inspire de ce côté responsabilisant pour ceux qui m’entourent dans cette aventure. Le film a un côté remake de La Belle et la Bête, version réelle et crasseuse, hors de tout conte de fées. Vous êtes d’accord ? (Rires). Alors vraiment hors conte de fées ! C’est la rencontre de deux différences, avec tout ce que cela peut comporter de maladresse, de comique et de ridicule. Mais filmée avec énormément de tendresse. Quand de
tels opposés s’attirent, cela exige une forme de courage pour donner naissance à quelque chose… S’inspirer d’un film de Cassavetes, c’est faire le deuil des gros plans sur les visages, des silences incroyables et des larmes coulant comme pour la première fois ? C’est sûr qu’il nous est matériellement impossible de représenter Seymour Cassel dans tout le début du film, en pleine jungle urbaine. Il faut renoncer à tout cela… Comme de leur rencontre où Moskowitz fait le pitre en essuyant la vitre de la voiture de l’amant de Minnie… Absolument ! J’ai choisi d’emmener ces personnages dans un espace intérieur, de conserver leur énergie pour la transposer physiquement. Minnie et Moskowitz existent de manière simultanée sur le plateau, dans des espaces parallèles qui s’entrechoqueront. Seul un ange, lointain écho aux Ailes du désir de Wim Wenders, les observe. Il questionnera l’histoire avec ironie, humour, mais peu de concessions. Ils sont donc bien là, mais avec
une focale plus lointaine que chez Cassavetes dont je conserve tout de même l’essentiel : sa critique assumée de la représentation majoritaire de l’amour, idéalisée et omniprésente. Le couple qui va se former représente la face la plus violente de l’amour et je m’attache à montrer comment cela les traverse, ce que cela produit et laisse en eux. Le théâtre apporte une présence intéressante, très différente de ce que permet le cinéma. Le son est travaillé de manière à nous prendre dans leur rythme intime auquel s’ajoutent des moments chantés inspirés par le cabaret d’un autre de ses films : Meurtre d’un bookmaker chinois. Il disait bien qu’il fallait « faire une comédie musicale sur Crime et Châtiment » ! Dans quelles autres sources avez-vous puisé pour nourrir ces personnages et votre histoire ? Nous menons un important travail physique afin de dessiner quelque chose qui nous soit propre, proche de la danse ou d’éléments chorégraphiques modifiant la manière d’habiter nos corps. Le travail vidéo de Jonathan Caouette, qui filme et monte des archives de sa vie m’a beaucoup inspiré. Nous avons reconstitué de fausses archives de nos personnages, constituant des effets de vie sans le réalisme du cinéma.
Son travail avec elle s’articule autour du fantasme féminin de manière totalement précurseur. Il s’agissait pour lui de montrer comment les femmes pouvaient projeter quelque chose et pas, comme bien souvent, montrer cela du point de vu de l’homme. Minnie a de l’argent et un rôle social plus élevé que Moskowitz qui est une sorte d’anti-héros par excellence. Quoi de plus contemporain que cette rencontre ? En vous inspirant du cinéma, vous sentez-vous plus libre de créer et tester des choses ? Oui car la transposition est obligatoire. Avec un texte dramaturgique, un certain code de jeu du théâtre nous rattrape fatalement. Là, le matériau est d’une douce souplesse. Ainsi nous avons construit un décor avec deux espaces faits de panneaux qui bougent pour ouvrir, au final, sur un panorama. Nous tentons de faire en sorte que la transposition du langage cinématographique soit source d’innovation au théâtre, une manière pour nous d’inventer. Tout cela doit concourir à parler d’amour de la manière la plus réelle possible. Ce frottement salutaire à l’autre, aussi différent soit-il, est à l’image pour moi de ce qu’Édouard Glissant disait : « La créolisation est nécessaire pour continuer à espérer. »
Gena Rowlands était sa femme. Cela influença-t-il leur collaboration ? Peut-être a-t-il eu une plus grande liberté… Poly 185 Mars 16
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je suis falkbinder Pour sa première création au TNS, Stanislas Nordey partage la mise en scène avec Falk Richter. Je suis Fassbinder, pièce engagée et grinçante, s’attaque au racisme et aux nationalismes ré-émergeants en Europe dans un mélange d’extraits de films et d’auto-fiction passés au tamis du cinéaste Rainer Werner Fassbinder. Par Thomas Flagel Photos de Jean-Louis Fernandez
Au Théâtre national de Strasbourg, du 4 au 19 mars www.tns.fr Projection du film Les Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder, lundi 7 mars à 20h, au cinéma Star Rencontre avec l’équipe artistique à la Librairie Kléber, samedi 12 mars à 14h30 Au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse), du 26 avril au 4 mai www.vidy.ch Au Théâtre national de La Colline (Paris), du 10 mai au 4 juin www.colline.fr
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es alter ego, à l’instar de Chéreau / Koltès, rien de moins. Le duo Nordey / Richter s’est découvert il y a quelques années avec pour point d’orgue My Secret garden (2010). Celui qui n’était pas encore directeur du TNS avait lu « 600 pages du journal intime tenu depuis des années par Falk Richter. J’ai tout de suite voulu le monter et être lui sur scène, parce que je m’y reconnaissais à tous points de vue : les réflexions sur le monde, le théâtre, l’amour… » Ayant pris la tête de l’institution strasbourgeoise, Stanislas Nordey proposa immédiatement à Richter d’en devenir un des auteurs associés et de construire, à quatre mains, sa première création maison. « Il écrit tout, mais c’est moi qui lui ai glissé la thématique de Fassbinder, comme un aiguillon qui le pique pour aller en des terrains inhabituels », confie-t-il, malicieux, se rappelant du plaisir pris par l’auteur allemand dans cette pièce, de son propre avis « l’une des choses les plus importantes qu’il ait écrite dans sa vie, sûrement
parce qu’il était alors loin de chez lui. Je suis Fassbinder sera une sorte d’autoportrait croisé de Falk, de Fassbinder et de moi. »
Collectif
Les équipes se mêlent (scénographe, dramaturge et compositeur allemands ; comédiens et traductrice français) et se retrouvent à Berlin avant d’investir le TNS pour bâtir ce projet. Ensemble, ils lisent de nombreuses interviews de Fassbinder, regardent ses films en boucle comme Les Larmes amères de Petra von Kant, discutent de l’incroyable actualité des thématiques dont il s’emparait : la question du groupe et la place de l’immigré (Tous les autres s’appellent Ali, 1974), le genre dans L’Année des treize lunes (1978)… En Allemagne, il est une figure tutélaire, le premier à donner des rôles principaux à des personnages qui était des immigrés, de très vieilles femmes, des homosexuels, des femmes au foyer, les habituels oubliés du cinéma. Symbole des artistes engagés des années 1960-70, créateur
THÉÂTRE
provocant et tout en démesure, Fassbinder a tourné 42 films en 17 ans. Un bourreau de travail dont la vie était entièrement dédiée à son œuvre, inspirant à Stanislas Nordey une réflexion sur la place actuelle des artistes, question hantant ses discussions soutenues avec Falk Richter : « S’autorise-t-on à dire tout ce qu’on veut en tant qu’artiste ? Où commence l’autocensure ? »
La France en automne
Richter aime croiser différents modes d’écriture et de langage, nourrissant son processus de création du collectif : citations de Fassbinder, réactualisation de scènes de films choisies par les comédiens, extraits intimes et monologues introspectifs d’un être angoissé et déboussolé par l’évolution d’une société dont il ne cachera aucun des bouleversements actuels. Frontières, nationalisme, racisme, migrants, montée de Marine Le Pen, sexualité, terrorisme, homophobie… « Mon processus vise à relier ce que Fassbinder disait dans les années 1960 et 1970 à aujourd’hui, à regarder notre monde par ses yeux », explique-t-il. L’auteur et metteur en scène prend pour fil rouge une réactualisation de L’Allemagne en Automne, film regroupant des courts métrages de différents réalisateurs autour des années de plomb. Celui signé et interprété par Fassbinder évoque la Bande à Baader et l’état d’urgence. Il y questionne notamment sa propre mère avec virulence, la poussant à exprimer son désamour pour la démocratie et le sentiment, partagé à l’époque, souhaitant un dictateur éclairé à la tête du pays. Richter retravaille cette scène en fonction du contexte français, Nordey jouant Fassbinder et Laurent Sauvage sa mère. « La situation m’a fait penser à celle de la France après les attaques du 13 novembre à Paris, explique-t-il. Je me souviens de ce sentiment premier de peur quand j’ai appris ces événements, me demandant comment cela pourrait changer nos vies… » FEAR, son dernier spectacle créé à la Schaubühne de Berlin, parlait de ce même sentiment collectif : « La peur des réfugiés, l’Allemagne se divisant entre ceux qui veulent les accueillir et les aider, et d’autres très opposés, suspicieux, gagnés par la crainte, sans parler de l’extrême droite et notre propre Front National qui se construit à son tour de manière encore plus dangereuse car vraiment reliée à une pensée nazie. Où allons-nous ? Vers quoi pensons-nous que nous devrions aller ? J’essaie aussi de rendre compte des angoisses actuelles en France pour questionner ce qu’il est possible de dire, ici, sur une scène de théâtre. Comment traitez-vous de la situation politique actuelle ? Que taisez-vous au théâtre ? »
L’acteur évoque « le plaisir de travailler en direct avec l’auteur, sa vision précise de ce qu’il écrit et son engagement total » pour plonger dans les maux gangrénant le vivre ensemble. « Je suis Fassbinder ressemble à un grand rêve – ou un cauchemar – peuplé de traces, dans le trouble de qui parle et en quel nom mais avec une acuité sans concession. » Cigarettes, alcool, nuits blanches et nudité créent une “ambiance Fassbinder” qui prend corps au plateau, les comédiens portant beau : manteaux seventies au col évasé, Ray-Ban bouffantes, chemises en flanelle et pantalons pattes d’eph’ dans un décor sur trois niveaux avec tables et immense canapé noir en skaï. Des scènes collectives sont projetées sur le mur du fond, deux écrans tombent des cintres. Stanislas Nordey et Falk Richter parlent beaucoup en dehors du plateau, tissant les fils permettant à ce dernier d’écrire la mise en scène sur le vif, à grand renfort d’improvisations, une de ses marques de fabrique. Si vous avez aimé l’engagement de Small Town Boy, vous ne serez pas déçus car vous n’avez encore rien vu…
tanislas Nordey & Falk Richter, S en répétition
Radikal
Compagnon de route de Nordey depuis ses 20 ans, Laurent Sauvage était déjà de l’aventure Das System (2008) et My Secret garden (2010). Poly 185 Mars 16
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SPECTACLE
afro punk’s not dead Pièce performative à géométrie variable et modulable, entre concert et show dansé, Not Punk, Pololo, créée par Monika Gintersdorfer (metteuse en scène) et Knut Klassen (plasticien-designer), laisse libre cours à l’énergie de ses interprètes. Showtime !
Par Thomas Flagel Photo de Knut Klaßen
Au Tanzplattform Schauspielhaus (Francfort-sur-le-Main), mercredi 2 et jeudi 3 mars www.tanzplattform2016.de À l’E-Werk Freiburg (Fribourgen-Brisgau), jeudi 28 avril www.ewerk-freiburg.de Au Maillon-Wacken (Strasbourg), mardi 3 et mercredi 4 mai www.maillon.eu
Lire La Rage au corps dans Poly n°171 ou sur www.poly.fr
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Voir Poly n°176 et n°149 ou sur www.poly.fr 2
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É
trange objet que ce spectacle à mi-chemin entre performance déglinguée, concert electro-pop-punk sur fond de diatribes spoken word et chorégraphie suggestive allant du logobi – danse des gros bras voulant en mettre plein la vue, codifiée par les bad boys ivoiriens – aux traces du voguing dans un melting-pot où s’entremêlent culture et politique ! Pour apprécier pleinement ce mélange des genres hyper référencé et démêler une poignée des fils de styles tissés dans cette fresque intense et gorgée de testostérone, révisons un petit bréviaire afro-punk. Abidjan. Capitale économico-culturelle de la Côte d’Ivoire, cette cité de plus quatre millions d’habitants, est le poumon d’un pays ayant connu de nombreuses crises auxquelles les clans de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara ne sont pas étrangers. Le spectacle rend hommage au foisonnement artistique et aux codes populaires de la danse, de la musique, de la sape et de la frime qui ont érigé au rang de stars des figures de la rue et des gangsters modernes, gros bras et cogneurs sans vergogne aux portes des clubs. John Pololo. Légende adulée à l’égal de l’icône du gangsta rap US 2Pac et de son influence sur le showbiz, John Pololo était un vrai loubard terrorisant Abdjian dans les années 1980 et 1990, craint et respecté pour sa violence et ses liens avec le pouvoir. Tué par la police au début des années 2000, son aura en fait toujours une icône dont on vénère le personnage, le style et les danses. Les dédicaces ne manquent pas dans le spectacle. Hommage est rendu à son passé de liquidateur et de musicien. Par la danse on en impose, on gonfle ses pectoraux, montre ses biceps, tête haute et regard fier, comme à la parade. Les passes s’enchaînent et l’ambiance grimpe d’un ton sur fond de rap ivoirien porté
par l’orchestre installé sur un radeau métallique monté sur roulette. Bling-bling de chaînes en or qui brillent et pantalons de cuir, torses nus et sneakers flashy à base de po-po-po-pololo ! Coupé-décalé. Ce style de musique inspiré de sa danse est l’un des plus populaires sur le continent africain et au-delà. Tels de jeunes zazous festoyant malgré les temps difficiles, en rupture avec les valeurs établies, les amateurs du coupé-décalé mêlent mouvements originaux et attitudes provocantes : ils font les malins, font parler d’eux en frimant et jettent des billets de banque à profusion. Se donner de grands airs sans avoir l’air ! Krump, Twerk, Voguing. Trois courant de danse urbaine dont on retrouve avec plus ou moins d’insistance l’essence, l’énergie et l’exubérance. Le Krump (kingdom radically uplifted mighty praise), célébré par le chorégraphe Heddy Maalem dans Éloge du puissant royaume1, découvert par le grand public dans Rize en 2005, documentaire du photographe et réalisateur David LaChapelle. Héritage de siècles de violence des corps et des esprits subis par les afro-américains, le Krump est une danse guerrière de survie, mais aussi de compréhension de ce qui fonde la brutalité du monde et des êtres, au-delà des mots. S’y retrouvent l’univers et les codes de la rue gorgeant le quotidien des nouveaux gladiateurs urbains : provocation, défi, intimidation… Le Twerk est une variante hyper érotisée, radicalement suggestive, faite de mouvement des hanches, du bassin et des fesses, de frottements explicites popularisés par les bitches des clips de hip-hop. Quant au voguing, il est né dans les milieux gays et lesbiens, mais aussi transgenres d’afro-américains et de latinos à Harlem. Une forme inventive de performance pastichant les usages et les comportements
sociaux liés aux mondes de la mode et du luxe, célébrée notamment par le chorégraphe Trajal Harrell2. S’y dévoilent attitudes et postures sociétales dans un dénigrement verbal assez violent, questionnements identitaires et rejet des valeurs traditionnelles. Post-modern dance. Plusieurs interprètes viennent de la danse contemporaine : Richard Siegal (proche de l’immense William Forsythe) ou encore Paula Sanchez (du Nederland Dans Theatre dirigé par Jiri Kylián). Ils sont les fruits du courant de Danse Post Moderne apparu au début des années 1960 aux États-Unis. Dans un dépouillement du superflu, il tendait à remettre en question les corps normés, les dispositifs même de la création artistique et à rapprocher l’art de la vie. Autant de liens avec le coupé-décalé et le krump. Les danseurs se plaisent à caricaturer les mouvements de grands chorégraphe (Martha Graham, Trisha Brown…) tout en nous régalant d’une danse-contact ingénieuse… Punk, rap, scat, live band. Le groupe à géométrie variable mettant le feu à la scène surfe sur une attitude punk à souhait ! Batterie, guitares, basse, claviers, harpe électrifiée et beats en boucles se mêlent à un art renouvelé du scat, du spoken word et du rap pour produire des sons afro-pop et bizzaroïdes, des mélopées enni-
vrées et des tubes syncopés. Un mélange dans lequel le MC Shaggy Sharoof se fait ambianceur magistral. Variétoscope. La mise en scène s’inspire de cette émission archi populaire de Côte d’Ivoire, sorte de télé-crochet survitaminé de danse. Un concours où alternent les danseurs en groupe sur un rythme pour le moins effréné. Not Punk, Pololo reproduit cet effet sans que l’on puisse distinguer qui de la musique, des chanteurs ou des danseurs guide l’autre. Slavoj Žižek. Que vient faire le philosophe slovène, star mondiale de la pensée radicale, dans ce clash culturel de luxe ? Les danseurs transposent le chant en mouvement, les traductions des paroles en direct induisant décalages et incompréhension. « C’est la méthode Slavoj Žižek en termes de chorégraphie : ce canon popculturel est habilement relié par une immense variété de synapses. Apparaissent alors de nouvelles références et valeurs respectivement liées au système », faisant de Not Punk, Pololo « un mobile performatif qui ouvre la voie aux spéculations associatives et révèle des différences culturelles inconscientes » assure la metteuse en scène Monika Gintersdorfer.
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THÉÂTRE
sous les mots Terre Océane est le voyage initiatique de trois hommes immergés dans l’hiver blanc des paysages québécois, un “roman-dit“ écrit par le poète post-moderne Daniel Danis et mis en scène par Étienne Pommeret.
Par Fiona Bellime Photos de Bellamy
Au Taps Laiterie (Strasbourg), du 22 au 24 mars www.taps.strasbourg.eu
G
abriel a dix ans et se meurt d’un cancer incurable. Abandonné et déraciné, sa mère adoptive le délaisse n’assumant plus sa maladie. Il ressurgit alors dans la vie de son père adoptif Antoine après de longues années d’absence et de silence. Ce soir-là, il s’apprêtait à partir fêter ses quarante ans avec ses amis, mais son fils est là, chez lui, sa boîte de médicaments à la main. Ils partent alors tous les deux se réfugier dans la campagne québécoise de l’oncle Dave, vieux sage quelque peu chaman, qui a élevé Antoine et qui va les entraîner dans un parcours initiatique vers les méandres de l’existence. La généreuse poésie de Daniel Danis s’entremêle à l’écriture romanesque du récit. Les voix intérieures émanent simplement au sein de ce doux passage vers la mort. « Cet auteur n’a pas peur des mots, il ose jouer avec la musicalité du langage et ne craint pas la survitalité même lorsqu’une situation s’avère très tragique » confie Étienne Pommeret. « Pour Daniel Danis, il ne faut pas redouter la mort mais la relativiser car elle s’inscrit dans notre cycle naturel. » Sur la scène se déploie un immense espace de pensée générant grand nombre d’images mentales. À jardin, deux grands panneaux in-
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crustés de mots sont suspendus. Dessous, il y a le vide, un espace laissé à l’imaginaire où les personnages nous emmènent dans les forêts enneigées, un endroit où « le silence des mots résonnera ». À cour, est dressée une table sur laquelle se trouve une multitude de petits objets, ces « signes » dont nous parle Étienne Pommeret : « Nous ne désirons pas être illustratifs, ces objets sont les signes de potentiels espaces ou idées qui viennent exciter l’imaginaire du public qui doit se créer son propre spectacle. » Des sapins miniatures, un simple vinyle décoré d’une forêt viennent alors symboliser la vaste nature dans laquelle les trois hommes se ressourcent et cherchent une sérénité. Gabriel filme avec sa caméra Super 8 mais aucune image n’est retransmise, seulement le rêve qu’on s’en fait. L’enfant est faible, mais garde espoir en la vie. Ils s’entraident tous trois pour trouver le chemin paisible de la mort au travers de « cette écriture qui fortifie l’humanité et la fraternité, qui vient témoigner de cette dure épreuve avec sans cesse une certaine pudeur et distance. » Tout en émotion en évitant de tomber dans le pathos, le metteur en scène, fidèle au texte et aux retentissements des mots, montre tout en finesse «cette partie invisible qui résonne en chacun de nous ».
poésie mécanique Quand des engins industriels et des rondelles d’acier se mêlent à l’art, surgit la poésie. Une confrontation au cœur de la nouvelle édition du Festival Facto du théâtre de la Méridienne consacrée aux Machins Machines. Par Fiona Bellime Photo du spectacle Je brasse de l’air
À la Méridienne et dans différents lieux (Lunéville), du 14 au 26 mars www.lameridienne-luneville.fr
* Présenté aussi aux Giboulées, du 12 au 14 mars (TJP petite scène)
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e chassé-croisé artistique est la spécialité du Festival Facto. Constamment à l’affût d’innovations techniques et esthétiques, la cinquième édition combine huit spectacles de théâtre, danse et musique tous reliés par la même thématique. Devenue un partenaire de jeu omniprésent sur la scène vivante, la machine attise la curiosité et éveille fantasmes et désirs. Parmi toutes ces inventions qui seront présentées, trois sont notamment représentatives et révélatrices d’un potentiel créatif inhérent à ces compositions mécaniques. Je brasse de l’air* (16/0319/03 au Centre Erckmann) réunit une multitude de petits objets faits de métal, d’acier ou encore d’aimants que Magali Rousseau, la metteuse en scène et la créatrice, anime avec des dispositifs qui se mettent en mouvement grâce au feu, à l’air ou l’eau. Dans l’histoire, ces rouages artisanaux prennent vie et tentent par tous les moyens de s’envoler pour toujours finalement retomber. Les spectateurs déambulent autour de la scène observant au plus près les mécanismes qui s’activent et percevant le bruit délicat de leurs articulations. Fins et fragiles, touchants et poétiques, les organismes bougent subtilement dans le clair-
obscur de la scène aux sons de la clarinette de Julien Joubert. Les Méta Matics de Tinguely, qui s’opposait au culte de la beauté en art, n’en sont pas loin. Et Dominique Boivin ne craint pas, lui non plus, de mettre en scène la nacelle d’un engin de chantier avec trois danseurs dans L.U.MEN (26/03 à la Terrasse du Château des Lumières). Dans une atmosphère métallique, s’élève un immense cyclope dont l’œil éclaire les interprètes. Il les observe de près, de plus loin, les plonge dans l’ombre ou dans la couleur. Des liens se tissent entre cette créature aux traits anthropomorphiques et les danseurs qui paraissent si petits. Ils s’agrippent, escaladent, s’écartent et se font rattraper par la source lumineuse à la chorégraphie mécanique accentuée par une musique live de type industrielle. Pierre Bastien, quant à lui, produit un set bricolé dans son Silent Motor (24/03 au Centre Erckmann). Sa machinerie artisanale, composée d’instruments, de moteurs et de papier, crée un morceau alliant sons africains et jazz. Jeux d’ombres, superposition d’images, cette machine, comme les autres, devient une source infinie d’évolutions.
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les amants de paris La jeune metteuse en scène Julie Duclos, artiste associée du Théâtre national de La Colline, s’inspire largement du film culte La Maman et la Putain dans Nos Serments. Entre empire des sens et sens sous emprise.
Par Thomas Flagel Photos de Pierre Sautelet
À La Filature (Mulhouse), mardi 22 et mercredi 23 mars www.lafilature.org Projection du documentaire La Peine perdue de Jean Eustache d’Angel Diez, à La Filature, mercredi 23 mars à 18h30 Au Théâtre national de La Colline (Paris), du 7 au 22 avril www.colline.fr Au Théâtre Dijon Bourgogne dans le cadre du Festival Théâtre en mai, du 24 au 26 mai www.tdb-cdn.com www.in-quarto.com
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u début des années 1970, trois films renversaient à eux seuls le cinéma et les valeurs “à papa” ! La Maman et la Putain de Jean Eustache, La Grande bouffe de Marco Ferreri, Les Valseuses de Bertrand Blier tançaient les vies toutes tracées et rompaient avec les schémas familiaux petits bourgeois. Ils provoquèrent autant d’émoi que de fronde totalement hostile à l’évolution des mœurs décrites. Des 3h30 de pellicule de La Maman et la Putain, Julie Duclos livre 2h20 de théâtre joué comme la vraie vie, dans un long plan séquence interrompu par quelques noirs propices à des projections vidéos mettant en scène les personnages du plateau une fois sortis de leur appartement.
Amours libres
L’intrigue suit les grandes lignes du film de Jean Eustache. François, oiseau de nuit traî-
nant sur les grands boulevards, ne travaille pas. Ce loser sublime quitte sa compagne pour s’installer chez Esther, beaucoup moins jalouse, qui accepte de le laisser papillonner avec d’autres. De toute façon elle l’a dans la peau, même si elle rêve, parfois, de s’en désintoxiquer. Jusqu’au jour où il rencontre une jolie infirmière – Oliwia, avec un “w” –, Polonaise qui n’a pas froid aux yeux et qui ne serait pas contre une relation à trois si elle ne peut s’accaparer pour elle seule ce type pas comme les autres. Il y a quelque chose de Mathieu Amalric dans Rois et Reine de Desplechin dans la manière qu’a David Houri de camper son personnage : intello distancié un brin mégalo et mélancolique, humour incroyable et art du répondant cultivé avec ce pas du côté du sensible et de l’étonnant qui désarçonne. Julie Duclos a travaillé sur de longues improvisations de situation, le jeu
THÉÂTRE
s’inventant en dialogue avec l’écriture, confiée au scénariste de cinéma Guy-Patrick Sainderichin. Si séduisant que soit cet emprunt aux codes du 7e art, le recours systématisé aux projections vidéo pour représenter les actions situées à l’extérieur de l’appartement servant de huit clos des cœurs, lasse tout autant que l’ajout d’une voix off sur-explicative.
Passion charnelle
Bien plus que cette question formelle, c’est avant tout sur l’évolution du rapport au couple et à l’amour, que l’on attend la compagnie L’In-quarto. À chaque génération sa révolution pense-t-on. La crise de la famille ici représentée paraît pourtant bien fade. Les problématiques de l’amour libre et de ce choix entre la maman (la compagne officielle) et la putain (l’amante illégitime) auxquelles Eustache donnait avec vigueur un sentiment de vertige incroyable – à rebours des manières de dire des années 1970 – sent ici la fleurette d’ado en mal de grande histoire pour toute la vie et de prince charmant. Certes, la liberté sexuelle et affective des femmes n’est plus un
débat. Mais leur émancipation n’a-t-elle en rien modifié les rapports homme / femme et la construction des couples ? Nos Serments se concentre sur la notion de désir, effleure la tentation pour pencher avec sensibilité du côté de l’expression des sentiments et de faux semblants : François et Esther “jouent à” plus qu’ils ne vivent réellement une histoire d’amour. Même les serments du titre n’engagent pas les êtres dans leur profondeur sublime, comme écho de besoins sincères et existentiels. François rêve bien d’écrire quelque chose. Mais ses compagnes successives n’ont-elles d’autre envie qu’un bonheur assouvi dans un modèle somme toute fort classique : aimer et être aimé par un seul être. Comme le héros de L’Insoutenable légèreté de l’être, François succombe à ses désirs. Oliwia l’attire alors qu’il lui « manque le goût, la culture, la conversation, le vernis de la distance et de la légèreté »… autant de qualités indispensables à ses yeux. Rien de bien neuf sous le soleil de Saint-Germain-des-Prés, m’sieurs dames.
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péril jeune À travers une sélection pointue de textes dramatiques, lycéens et étudiants lorrains se frottent à l’écriture contemporaine lors de la Mousson d’Hiver, rencontres théâtrales pour la jeunesse se déroulant à Nancy et Pont-à-Mousson.
Par Fiona Bellime Photo de Guick Yansen
Au Théâtre de la Manufacture (Nancy) et à l’Abbaye des Prémontrés (Pont-à-Mousson), du 14 au 16 mars www.meec.org
* Depuis 1995, Michel Didym organise fin août la Mousson d’Été consacrée à la découverte et à l’exploration des auteurs contemporains. Chaque année, durant une semaine, des textes inédits y sont présentés.
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e public adolescent est souvent le grand oublié des scènes vivantes. En collaboration avec le Théâtre de la Manufacture, la Maison européenne des Écritures contemporaines organise depuis 2004 la Mousson d’Hiver. Une manifestation associée à la Mousson d’Été* qui se veut plus engagée sur les politiques culturelles et plus déterminée à faire entendre la spécificité de ce public qui constitue la matière de réflexion principale de l’événement. Lectures, mises en espace, rencontres avec des auteurs vivants internationaux, tout l’enjeu est de faire dialoguer ces jeunes spectateurs, futurs acteurs de la culture avec les artistes qui font le théâtre d’aujourd’hui. Cette année, l’accent est mis sur l’importance de la traduction et ses enjeux dramatiques. Un travail de résidence sera par exemple consacré au texte de Petra Wüllenweber, Und Morgen, en collaboration avec des étudiants et Ruth Orthmann, sa traductrice. Chaque édition présente un spectacle. Cette année, ce sont cinq ados de Glasgow isolés et déboussolés qui racontent leur passage à l’âge adulte. Déceptions, chutes, désirs, ces gamins se confrontent au risque pour se sentir exister. Sur la scène presque nue,
quelques vêtements sont éparpillés au sol puis des micros sont posés pour libérer et faire entendre la parole de ces jeunes en marge. En voix-off, on entend des instructions, sorte d’ode ironique aux méfiances et précautions ridicules qu’on nous enseigne dès l’enfance : « Garder les portes et les fenêtres fermées en permanence. Ne jamais ouvrir la porte à des inconnus. Ne pas faire bouillir d’eau… » Qu’importe ces avertissements absurdes, les monologues se croisent, fusent et empoignent la réalité sans pudeur. Dans ce théâtre oratorio et chorégraphié par la metteuse en scène Eva Vallejo, l’orchestre des voix se confie sur son rapport au risque, sur sa façon d’y faire face et de l’appréhender. L’un risque gros, un autre est prisonnier, une surmonte ses peurs, tandis que son amie apprend à se connaître en se soumettant au danger. Pour finir, une dernière plus provocatrice choisit entre les risques physiques et identitaires. À la manière de Larry Clark, l’auteur John Retallack part à la rencontre de cette jeunesse écossaise et rapporte ses paroles-témoignages dans Risk. Une plongée directe dans cet espace étrange, vide, lourd, et en même temps plein d’émotion que recouvre l’adolescence à travers les portraits de ces adultes en devenir en quête de sensations et de sens.
DANSE
grandma fait le pois Tête d’affiche extravagante de l’année France-Corée, la charismatique Eun-Me Ahn présente Dancing Grandmothers. Un spectacle délirant avec pois pop, délires kitsch, fous rires collectifs et inventivité foudroyante.
Par Thomas Flagel Photos de Young-Mo Cheo
À la MALS (Sochaux), samedi 26 mars www.mascenenationale.com À la Kaserne (Bâle), dans le cadre du festival STEPS (7 avril au 1er mai), jeudi 14 avril www.kaserne-basel.ch www.steps.ch
A
u “Pays des matins calmes”, du Gangnam style de Psy et d’une k-pop qui nous ferait presque (mais presque seulement !) regretter les boysband des nineties, Eun-Me Ahn est connue comme « la danseuse au crâne chauve », coupe qu’elle arbore depuis une performance remarquée en 1992. Dancing Grandmothers est un ovni chorégraphique oscillant entre rondes survitaminées sur des bits electro, transe collective façon Walking Dead sous protoxyde d’azote et soirée psychédélico-rétro pour clubbers du troisième âge ! Pour bâtir ce spectacle, la chorégraphe a rencontré des dizaines de ses compatriotes, âgées de 60 à 90 ans, leur demandant de danser devant une petite caméra sur des tubes de leur jeunesse. Ce recueil de gestes, postures et démarches fort reconnaissables – petits pas, bustes droits, balancements des épaules et ondulations élégantes des bras – utilisé comme matériau de base par les jeunes danseurs sert de transition aux deux parties de la pièce. Entre rire et émotion, nous découvrons ainsi, projeté en fond de scène, les vidéos de ces grandsmères sautillantes de toutes catégories sociales (vendeuse de rue, coiffeuse, fermière…), immortalisées dans leur vie de tous les jours avec leurs déambulateurs, visières faciales
opacifiantes, fichus et autres. Les corps vieillis gardent les traces du temps mais aussi une étonnante vitalité, pleine de joie qui rayonne sur l’ensemble de Dancing Grandmothers. Eun-Me Ahn rend hommage à son pays, ses traditions et son folklore avec bienveillance. Ses interprètes dont elle va jusqu’à choisir la couleur des culottes portent fièrement des robes à motifs vieillottes et des chaussettes flashy bicolores. Une énergie se cristallise dans leurs rondes foisonnantes à l’apparence anarchique où se mêlent gigues de vieilles dames prises dans des poursuites de lumière formant des ronds de couleur pop à la Yayoi Kusama et fulgurances contemporaines des danseurs professionnels, nourries par les mouvements, allures et démarches de leurs aînées. Prises dans un grand huit, nos émotions passent du sourire complice à l’émotion pure de voir un couple de septuagénaires un peu gauche danser un slow ou ces anciens se déchaîner comme dans leurs vertes années dans une crise de fou rire et de spasmes collectifs au son d’une chanson du Tom Waits coréen, inconnu sous nos latitudes mais adulé sous les leurs. La danse se vit ici comme un pont entre générations, une sève commune qui jamais ne se tarira…
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full contact Petite salle. Lumière allumée. Les deux boxeurs ont déjà entamé le combat. Les spectateurs se faufilent et s’assoient des quatre côtés de la scène devenue en un instant un ring. Vidal Bini et sa partenaire dévoilent leur création, Sparring Partners. Par Fiona Bellime Photo de Marco Ghidelli
À Pôle Sud, mardi 22 et mercredi 23 mars www.pole-sud.fr
* Marika Rizzi remplace l’interprète Caroline Allaire pour cette représentation.
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epuis plusieurs années, Vidal Bini s’intéresse et explore la notion de la confrontation à travers différents spectacles. Tantôt, un point de friction entre deux pensées antagonistes, tantôt, le résultat d’une réflexion sur les modes de transmission de savoir ou sur la porosité qu’il existe entre une musique mélodique et une autre, bruitiste. Cette fois, elle s’immisce au sein même de la relation du chorégraphe à l’interprète et vient remettre en cause cette verticalité hiérarchique. Vidal Bini et Marika Rizzi* alternent rounds de trois minutes et breaks de soixante secondes, comme dans un combat de boxe. Ils jouent le match à fond : à chaque fois une musique retentit pour la pause et les danseurs retournent dans un coin du ring. Mais il n’est pas question d’adversaire, de défaite ou de victoire : le Sparring Partner accompagne son équipier, l’entraîne pour qu’il devienne meilleur et se dépasse. Ici, « le chorégraphe challenge l’interprète et le pousse, mais l’interprète vient aussi stimuler et challenger à son tour le metteur en scène », précise Vidal Bini. Naissent alors les concepts d’écoute, de collaboration et de confiance. Sur un pied d’égalité, ils se donnent tout entier l’un à l’autre en développant leur propre lan-
gage chorégraphique généré par « des fictions corporelles », des images mentales que les deux danseurs s’inventent et qu’ils rendent visible sur la scène. À Chaque round leur correspond des éléments de base du mouvement dansé comme le poids, la répétition, la projection du corps dans l’espace ou encore le contact. Ainsi, l’improvisation naît naturellement de cette ligne dramaturgique particulière avec l’objectif de « mettre à disposition et de rendre perceptible cet imaginaire et ces images au public. C’est une mise en chair d’un processus de pensée, d’une réflexion sur l’accumulation d’états de corps », expliquet-il. À cette œuvre d’amoncellement s’ajoute une parole, une association de mots qui juxtaposée au mouvement forme des phrases invraisemblables et absurdes : « Déconstruire des notions savantes pour ne devenir que de simples mots, un souffle. » Une pointe d’humour délicate et modeste qui invoque un retour « à l’efficacité dans la simplicité pour une pièce qui pourrait constituer une sorte de manifeste de la compagnie. » Les deux Sparring Partner défient le spectateur qui devient un véritable partenaire de jeu agissant et défiant lui aussi les interprètes.
faux semblants Quand l’œil d’Ambra Senatore se transforme en objectif de caméra, la chorégraphe fait le zoom sur une petite communauté de neuf individus en train de se constituer. Aringa Rossa en est le récit… Par Fiona Bellime Photo de Viola Berlanda
Au Carreau (Forbach), mardi 22 mars www.carreau-forbach.com Au Centre culturel André Malraux (Vandœuvre-lès-Nancy), jeudi 24 mars www.centremalraux.com En Carte blanche, à L'Espace (Besançon) mercredi 11 et jeudi 12 mai www.les2scenes.fr
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«S
uggérer, évoquer, associer, défaire des idées dans une histoire fragmentaire où l’unicité surpasse la linéarité. » Ambra Senatore travaille l’inattendu et l’abstraction dans une microsociété ancrée dans son quotidien. Des relations se tissent et se défilent, une conversation se crée puis se consume. Les corps sont présentés comme des entités poreuses et affectives, reflets d’un imaginaire, d’une culture et d’une structuration qui leur sont propre. Ils se transforment peu à peu en corps sociaux capables d’interagir, d’obéir à des règles ou d’y résister. Puis, les individus se contaminent les uns les autres, s’imitent comme des enfants et finissent par se dédoubler et se disséminer dans la salle. Entre ralentis, répétitions, arrêts sur image et ellipses, cette petite collectivité sème la confusion et le désordre dans la tête du spectateur. Procédé cher à Hitchcock, maître dans l’art de la manipulation, l’aringa rossa (hareng rouge), technique de cinéma, est en fait un récit à fausses pistes, à chausse-trappes qui ne mènent nulle part. Ambra Senatore s’empare de ce “truc“ pour porter un « regard décalé sur l’homme » notamment « sur sa façon de créer ses relations ». Avec sa « caméra imaginaire » confie-t-elle, elle fait le point sur certaines actions en fragmentant la scène
pour attirer notre regard. Vêtus de couleurs pastel, les danseurs mettent en mouvement la vie sur des bourdonnements sonores extraits du quotidien ainsi que des musiques existantes réadaptées : « La musique n’illustre pas les actions, elle apparaît par fragments comme dans la vie lorsqu’on va dans un café, puis que l’on passe devant un magasin. Elle nous accompagne puis nous quitte. » Une multitude de tableaux évoquent la peinture de la Renaissance, « des batailles, des corps entrelacés » nous précise-t-elle, surgissent, prennent vie et se rejoignent dans une image travaillée minutieusement comme le cadre du spectacle qui est très précis. Émerge alors au sein cette méticuleuse construction scénique une improvisation dans laquelle se dégage une danse naturelle et proche de nous. « L’humour et l’ironie jaillissent à leur tour et permettent une prise de recul sur notre façon de se construire en collectif, sur notre manière de vivre ensemble et la façon dont le groupe agit sur l’individu. » Sous ces airs légers de dérision se dissimule finement dans le titre du spectacle un habile jeu de mot : aringa peut en effet se confondre dans sa prononciation avec arringa qui signifie harangue. Un propos peut-être plus incisif qu’il n’y paraît. Encore une feinte de la chorégraphe…
FESTIVAL
manipulateurs sur la ville Les Giboulées, biennale dédiée à la marionnette, fête ses 40 ans en présentant cet art sous toutes ses formes, partout à Strasbourg. Elle questionne la ville, les métropoles, leurs mutations et blessures, notamment à travers Paysages de nos larmes qui évoque Beyrouth.
Par Emmanuel Dosda
Les Giboulées, à Strasbourg (TJP, TNS, Taps Gare, Maillon, Espace K, Pôle Sud…) et à Oberhausbergen (PréO), du 11 au 19 mars www.tjp-strasbourg.com Villes, collection particulière du Théâtre de la Pire Espèce, les 14 & 15 mars au Taps Gare Troublantes apparences, parcours de trois spectacles et installations en vitrine (Tout doit disparaître, Tempo et Marées), jeudi 17 mars sur le Campus de l’Esplanade
L
e festival permet, « en un temps resserré, de toucher du doigt les évolutions de la pratique de la marionnette et sa connexion avec les autres arts ». Pour Renaud Herbin1, l’événement offre également la possibilité de se pencher sur certaines de ses préoccupations. Le directeur du TJP, ne cesse en effet d’interroger la cité, à travers les spectacles programmés ou ses propres propositions, dans les rues, « l’espace du réel », ou sur les plateaux, « l’endroit de l’imaginaire ». Avec son exposition Centres Horizons2 – photos mettant en scène des individus dans dif-
Les Padox de la compagnie Houdart-Heuclin, du 11 au 19 mars dans l’espace public (place Kléber, Elsau…) Paysages de nos Larmes d’Éric Deniaud (collectif Kahraba), les 11 & 12 mars au TJP Grande Scène ; Il présente également Géologie d’une fable, les 15 & 16 mars au PréO d’Oberhausbergen Et aussi, The Ventriloquists Convention de Gisèle Vienne, au TJP Grande Scène, du 16 au 24 mars (présenté avec Le Maillon, lire article dans Poly n°184 ou sur www.poly.fr)
Paysages de nos larmes © Éric Deniaud 34
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férents quartiers strasbourgeois – il pose ces questions : « Qu’est-ce qui constitue la ville ? La substance construite ? Les présences qui la traversent ? » Tentative de réponse avec Villes, collection particulière du Théâtre de la Pire Espèce – reprenant le principe des Villes invisibles d’Italo Calvino – où Olivier Ducas manipule des objets qu’il filme en live. Derrière lui, sur un grand écran, on distingue des cités imaginaires se construire, se développer, être habitées (par des figurines Playmobil) et se détruire lorsqu’une architecture en morceaux de sucre s’effondre. Tel un conférencier, il élabore des décors, des paysages urbains qui servent de support à un discours sur la ville, « sa forme, la manière dont elle s’organise et les hommes qui se l’approprient ». Pour Renaud Herbin, la capitale européenne est un terrain d’exploration : elle a la semblance d’un puzzle aux multiples pièces ou d’un large « pan de tissus avec des coutures apparentes » : il suffit de traverser la rue pour “basculer” d’un quartier comme la Krutenau à celui, totalement différent, de l’Esplanade. Le festival présente des spectacles dans divers lieux strasbourgeois (du TNS au Fossé des Treize), mais aussi dans les rues, sur les places ou sur le Campus de l’université : y est proposé un parcours de formats courts et d’installations, dans les vitrines des bâtiments de la fac. À la Petite France ou place Kléber, Les Padox de la compagnie Houdart-Heuclin viennent à la rencontre des habitants. Ces curieux personnages, créés en 1986 et réactivés pour l’occasion, s’immiscent dans les villes du monde (Oslo, Venise ou Séoul), portant un regard neuf et naïf, sur notre environnement qu’ils semblent découvrir. Animaux, extra-
Villes, collection particulière © Mathieu Doyon
terrestres ou humains entre « vieillards ou nourrissons » ? Ces créatures de latex, figures habitables où se glissent les comédiens (dont Renaud Herbin devrait faire partie), représentent l’étranger, “l’autre” qui observe et est observé, s’étonne de ce qui nous est familier et nous surprend par sa singularité.
Beyrouth, ville meurtrie
Les Padox rappellent les migrants qui occupent l’actualité, les milliers de Syriens franchissant les frontières du Liban où réside Éric Deniaud depuis 2007. Sa nouvelle création, Paysages de nos larmes, évoque Beyrouth, « ce qu’il en reste, l’impossibilité de plus en plus grande d’y faire sa place, ses déchirements, toutes les populations qui la traversent ou qui s’y installent, tous ceux qui la quittent également », nous confie le metteur en scène. Le spectacle parle de Job, personnage biblique sur lequel le malheur s’abat, mais qui continue à penser que « l’homme est un miracle sur terre ». Éric Deniaud a demandé à son complice Matéi Visniec d’écrire le monologue « de cet homme qui voit des quatre points cardinaux des personnes venant le dépouiller de ses terres, ses troupeaux, ses enfants et sa femme et qui
systématiquement l’interrogent sur sa foi en l’homme… que Job ne peut se résoudre à renier. Le texte traite de dignité et d’espérance. C’est une parole qui nous semble essentielle dans le contexte actuel. » A été conçu un spectacle très visuel, avec le violoniste Dominique Pifarely et trois interprètes / manipulateurs. Une sculpturale marionnette de Job de presque un mètre, des images et paysages abstraits donnent vie à ce récit. « Nous évoquons régulièrement la dimension d’un “corps poétique” : corps en mouvement, corps masqués, images projetées, manipulation d’objets et de marionnettes, musique et voix s’articulent tel un chant à plusieurs voix. » Quelques Libanais ont déjà pu assister à des répétitions publiques. « Ils ont ressenti des événements marquants de l’histoire de leur pays, comme le centre-ville détruit et vidé pendant la Guerre civile. Dans le processus de création, nous faisons des liens et nous les nourrissons, en cherchant à ne pas forcer le trait. » Le « poème visuel » d’Éric Deniaud lui a été inspiré par la capitale libanaise, mais aussi par un séjour passé dans le Jourd, au Nord, près de la frontière syrienne. Il s’agit d’une région aride, une terre dévastée, « allégorie du cœur de Job ».
Dans le cadre des Giboulées, il présente Milieu – « ancré dans l’histoire des arts et techniques de la marionnette », avec un pantin figuratif à 18 fils –, du 11 au 19 mars au TJP Grande Scène et Actéon, vendredi 18 mars à L’Espace K (lire article dans Poly n°154 ou sur www.poly.fr)
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2 Travail photographique, coréalisé avec le plasticien Nicolas Lelièvre, exposé à la Grande Scène. Initié en 2003, il met en scène des individus dans l’espace urbain, à Berlin, Brasilia, Buenos Aires ou Strasbourg (Elsau, Hautepierre, Presqu’île Malraux…)
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limitless De la carte blanche laissée par Petter Jacobsson (directeur du Ballet de Lorraine), Cindy Van Acker et Marcos Morau créent deux chorégraphies sur un temps de crise, questionnant les notions de limites, révolution et créativité. Par Irina Schrag
À L’Opéra national de Lorraine (Nancy), du 3 au 6 mars www.opera-national-lorraine.fr www.ballet-de-lorraine.eu Au Nouveau Théâtre de Montreuil (dans le cadre des Rencontres chorégraphiques de Seine Saint-Denis, 11 mai-18 juin), mercredi 11 et jeudi 12 mai www.nouveau-theatremontreuil.com www.rencontreschore graphiques.com
«L
e Tambour, phénomène incroyable, balayant, cosmique, borde l’inconscient collectif. Secouer le sol fait du bien à vos pieds. » Cette citation de Luis Buñuel, artiste et cinéaste de génie, habite littéralement Marcos Morau. Le chorégraphe espagnol vient du Bajo Aragón, région où les processions folkloriques se déroulent au rythme entraînant de l’instrument. Avec son collectif barcelonais La Veronal, regroupant poètes, photographes, cinéastes et danseurs, il développe des projets à la dimension plastique fort léchée, ne manquant d’attirer les regards des plus grands. La création qu’il mène avec les danseurs du Ballet de Lorraine – Le Surréalisme au service de la Révolution – s’inspire du nom donné au magazine publié par le groupe de Breton, Tzara et compagnie entre 1930 et 1933, en pleine crise économique et politique. Il pointe ces ressemblances avec notre époque et leurs conséquences : reniements de certains fondements et principes qui cimentent nos sociétés. La danse est vécue comme lieu d’interrogation des corps, d’émancipation comme de tensions. De son côté, Cindy Van Acker débute avec 16 danseurs du Ballet de Lorraine le projet en trois temps ELEMENTEN, pensé autour
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de traités mathématiques et géométriques d’Euclide. La Flamande, installée sur les rives du Lac Léman à Genève, est l’auteure de saisissantes pièces chorégraphiques à la rythmique proche de l’orfèvrerie, entretenant un rapport quasi organique à des installations scénographiques (néons, blocs lumineux…) fonctionnant en appui et en contrepoint des mouvements des danseurs. Intitulé ELEMENTEN I - Room, le premier opus questionne la notion de limites par un choix musical radical : I am sitting in a room dans laquelle Alvin Lucier enregistrait, en 1969, un discours qu’il diffusait et réenregistrait dans d’autres pièces de tailles différentes pour que, petit à petit, les fréquences naturelles supplantent la voix. Les mots devenant des bruits étranges jusqu’à disparaître… Le tout dans un écrin constitué d’un objet lumineux dont les sources sont reliées à un logiciel triturant l’intensité en fonction du son et d’un tapis de danse carré reproduisant une image de la spirale d’Ulam (représentation géométrique des nombres premiers). Les déplacements des danseurs, eux, obéissent à des principes géométriques. Autant de contraintes entraînant les interprètes sur des terrains inexplorés et des démarches novatrices.
la sélection scènes
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Patinoire Seul en scène, Patrick Léonard, champion de patinage artistique et ancien membre du Cirque du Soleil, incarne un personnage charmant et maladroit qui s’embarque dans des situations aussi invraisemblables que cocasses. Pour s’en défaire, il patine, glisse, jongle et parfois tombe. Une pièce optimiste qui tourne en dérision les dérapages de la vie. 05/03, Les Tanzmatten, Sélestat www.tanzmatten.fr
Bataille (6) Pierre Rigal, qui excelle dans les acrobaties, crée un duo percutant avec Hassan Razak, spécialiste de percussions corporelles. Ils se livrent à une bataille chorégraphique sans merci en s’efforçant de trouver un équilibre entre espoir, illusion et déception. Une confrontation musclée ! 10/03, L’Oppidum, Champagnole www.scenesdujura.com
Conversation entre Wajdi Mouawad et Stanislas Nordey
Une douce imprudence Dans un esprit fraternel, les deux danseurs créent ensemble corps à
corps, un espace de rencontre propice au surgissement de l’imaginaire et de la rêverie.
breux personnages qui ne cessent de se transformer. Un spectacle de la Compagnie du Loup-Ange (dès 1 an).
15/03, Athéneum, Dijon www.atheneum.u-bourgogne.fr
19/03, Le Trèfle, Rixheim www.la-passerelle.fr
Prélude à la fuite
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Dans sa baignoire, Ariane fait tout pour tromper son ennui. Elle se met alors à interpréter des personnages, de la maîtresse de maison à l’aventurière en passant par la comédienne. Mais soudain, son reflet se trouble… 17 & 18/03, Le Point d’eau, Ostwald www.ville-ostwald.fr
Splendid’s
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Sept gangsters sont perchés en haut du septième étage du Splendid’s Hôtel avec la fille d’un grand milliardaire en otage. Cernés par la police, ils tentent de retarder l’assaut et l’heure de leur mort. Une pièce de Jean Genet mise en scène par Arthur Nauzyciel. 17-26/03, Théâtre de la Colline, Paris www.colline.fr
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Wajdi Mouawad et Stanislas Nordey sont réunis une nouvelle fois pour une conversation publique au TNS. Une discussion sur les façons de raconter des histoires au théâtre, en prélude à la présentation d’Incendies (25/04-15/05). 14/03, Théâtre National de Strasbourg www.tns.fr
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Contre-Visite
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Cette conférence complètement loufoque du Collectif éphémère nous emmène dans les sous-sols du théâtre, peuplés par des artistes à l’abandon depuis que la culture n’existe plus… 18-20/03, Espace Culturel de Vendenheim www.vendenheim.fr
Métamorf’ose Deux chanteuses-musiciennes jouent avec les formes et les reliefs de pièces de tissu et en font émerger de nom-
Noirceurs : Cette chère Simone + 48 fois Benoît Fourchard s’empare avec humour de deux histoires de meurtre véridiques, celle de Simone Weber qui assassina son amant et celle d’un homme qui tua sa femme de 48 coups de couteau par jalousie. Une plongée dans la noirceur de l’âme humaine. 24 & 25/03, Théâtre-Maison d’Elsa, Jarny www.theatreicietla.com
Tartuffe Influence, aveuglement, imposture, Tartuffe est le maître en matière de manipulation en réussissant même à convaincre Orgon, sa victime, de lui offrir la main de sa fille. Luc Bondy s’empare d’un grand classique du théâtre de Molière, dressant le portrait du fourbe et de son bouffon ! Jusqu’au 25/03, Ateliers Berthier, Paris www.theatre-odeon.eu
Miranda et le trou noir Quand elle nous parle de sa passion pour le cosmos, Miranda s’emballe et se laisse dépasser par ses émotions. Cette femme seule et perdue n’a plus vraiment les pieds sur terre et se laisse engloutir par l’infini du trou noir de l’existence. 30 & 31/03, Salle Europe, Colmar www.comedie-est.com Poly 185 Mars 16
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bande de filles Les Femmes s’en mêlent, festival de la scène musicale féminine indépendante, propose un état des lieux des avancées en matière de recherche sonique, du r’n’b transgenre de Georgia à la pop étrange d’U.S. Girls. Par Emmanuel Dosda Photo d’U.S. Girls par Jennifer Hazel
Les Femmes s’en mêlent, partout en France, en Belgique et en Suisse, du 18 mars au 2 avril www.lfsm.net Au Trabendo, au Divan du Monde et autres lieux (Paris), avec Sea Lion, Brisa Roché, Emily Wells, Cléa Vincent, Dream Wife…, du 18 mars au 2 avril www.letrabendo.net www.divandumonde.com À La Laiterie (Strasbourg), avec Georgia et Shilpa Ray, mercredi 30 mars www.artefact.org À La Poudrière (Belfort), avec The Chikitas et U.S. Girls, jeudi 31 mars www.poudriere.com À La Rodia (Besançon), avec Shilpa Ray et Elvett, jeudi 31 mars
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our la dix-neuvième fois, Les Femmes s’en mêlent célèbre le rock au féminin dans toute sa diversité : la chirurgienne des sentiments Françoiz Breut, l’ex-Pipettes Gwenno et ses comptines intemporelles en gallois, les rêveries sucrées de Dream Wife, les sanglots longs du violon d’Emily Wells… Partout en France, le meilleur de la pop jouée par des filles est glorifié, le temps d’un festival défricheur, programmant les chansons douces des artistes citées ci-dessus, mais aussi la fugue de musiciennes qui veulent en découdre. Y’a du pogo dans l’air ! Même lorsqu’elles entonnent un morceau au titre aussi prometteur de légèreté que Lalalala, les Chikitas (31/03 à La Poudrière de Belfort, 01/04 au Divan du Monde de Paris) font exploser les enceintes. Le duo, composé des punkettes Lynn Maring et Sakia Fuertes, sort du Ghetto Tomato et balance des watts nirvanesques. L’album de ces Thelma & Louise suisses, Distors Clitortion, roule en roue libre sur l’autoroute distordue du rock’n’roll.
www.larodia.com Aux Trinitaires (Metz), avec Aldous Harding, Tuff Love et U.S. Girls, samedi 2 avril www.trinitaires-bam.fr
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Le festival fait un focus sur la musique d’aujourd’hui annonçant les contours de celle de demain. Georgia (30/03 à La Laiterie de Strasbourg, 02/04 au Trabendo de Paris), avec son r’n’b mutant façon FKA Twigs ou
AlunaGeorge, fait souffler un vent frais sur la soul. Ancienne disquaire chez Rough Trade, fille de Neil Barnes du duo techno Leftfield, Georgia est proche de la rappeuse Kate Tempest pour laquelle elle fut batteuse. Pour l’Anglaise, la musique se conjugue forcément au pluriel : on ne s’étonnera guère de rencontrer, sur son premier album éponyme enregistré en solo dans son home-studio et sorti courant 2015, un étonnant télescopage d’influences et d’éléments : electronica glaciale et voix trafiquée, chant de muezzin et sons du futur, dub profond et groove poisseux… Georgia ? On my Mind ! Autre artiste inclassable, U.S. Girls (30/03 au Divan du Monde, 31/03 à La Poudrière, 02/04 aux Trinitaires de Metz), chante d’une voix haut perchée tout au long d’un nouvel album volontairement bancal, où l’on entend une conversation téléphonique (Telephone Play n°1) et dont l’enregistrement semble parasité par des sons bizarres captés sur une autre planète. Par moments, la bande semble passer au ralenti (Red comes in many Shades, Navy & Cream), même si l’on sait que ça s’emballe dans le cerveau en ébullition de l’Américaine responsable de ce projet electro bidouillé, expérimental et accessible.
POP
l’étranger Retour en France de l’apatride General Elektriks pour présenter To be a Stranger, quatrième album conçu à Berlin où il a élu domicile. Entretien avec le claviériste aux doigts d’argent et aux jambes élastiques.
Par Emmanuel Dosda Photo de Tim Deussen
À La Laiterie (Strasbourg), mardi 22 mars www.artefact.org À La BAM (Metz), mardi 29 mars www.trinitaires-bam.fr Au Trianon (Paris), jeudi 31 mars www.letrianon.fr
To be a Stranger, édité par Wagram www.general-elektriks.com
Stevie Wonder, Herbie Hancock… Qui vous a donné goût à la musique et au clavier ? Tombé dedans quand j’étais petit, ayant commencé le piano à huit ans, je me suis de suite senti à l’aise avec ce vieil instrument de la fin du XIXe siècle, recouvert de chandeliers. Il ne tenait pas l’accord, mais était si beau… Après le classique, j’ai versé dans l’impro, le jazz ou le boogie-woogie. Je me suis alors ouvert à d’autres sons que j’entendais dans la pop ou le funk et passionné pour les claviers vintage. Wonder et Hancock ont eu une utilisation très intéressante du Clavinet – construit par Hohner, une marque allemande, dans les années 1960 – qui est devenu mon instrument de prédilection car il se joue de manière très percussive. Lorsque j’ai découvert son potentiel rythmique, j’ai su que c’était pour moi ! San Francisco, Paris ou Berlin… Vous sentez-vous comme un étranger partout ou comme à la maison où que vous soyez ? Voyager, c’est une sensation libératrice, celle de voler sans attaches. C’est sain en tant qu’artiste car tu as les capteurs en éveil. Par contre, tu perds en confort et as parfois l’impression de ne pas être en phase avec les gens de ton environnement. C’est assez aliénant. Comme je suis franco-britannique, j’ai très bien vécu mon déménagement aux États-Unis. Pour Berlin, c’était différent, notamment parce que je ne connaissais pas la langue. Le titre de mon album, To be a Stranger, fait référence à cette expérience. De même, je pense que mes morceaux n’appartiennent pas à une “nation” musicale particulière, ils mélangent les genres. Pop, jazz, funk ou hip-hop passent par mon prisme. En Californie au début des 2000’s, vous
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avez croisé le fer avec Blackalicious1 et les artistes du collectif Quannum. Quel souvenir marquant gardez-vous de ces années ? Ma rencontre avec Chief Xcel de Blackalicious. Je lui ai envoyé un mail et il m’a répondu dès le lendemain de la voix la plus grave jamais entendue… On s’est tout de suite entendus et avons enregistré deux morceaux le soir même ! L’art du sampling de DJ Shadow2 ou le hip-hop cool de Quannum : l’influence américaine est forte sur votre premier album, Cliquety Kliqk, et les suivants… Avec Endtroducing (1996), Shadow a écrit l’incontournable grande dissertation sur le genre, mais j’ai plutôt envie de citer Odelay de Beck (1996), un disque qui mêle le sampling à des éléments plus organiques au niveau harmonique, reprenant la suite de Check Your Head des Beastie Boys (1992). Sans Odelay, il n’y aurait peut-être pas eu General Elektriks. Peut-on parler d’influence berlinoise sur To be a Stranger ? Je ne sais pas, qu’en pensez-vous ? L’aspect métronomique et électronique du titre New Day Breaking peut évoquer l’ambiance de la ville et ses clubs… Tous les autoradios diffusent de la techno minimale qui a sans doute nourri certains de mes morceaux, mais je ne suis pas sûr de l’avoir intégrée à mon ADN musical de la même façon que le hip-hop de Blackalicious et les autres. La ville de Berlin a forcément eu un impact sur mon travail car l’art, radical et exigeant, est omniprésent et te pousse à poursuivre ta voie.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans la musique : la texture des sons, la mélodie, le rythme ? [Il cherche ses mots] J’éprouve un petit peu moins le besoin de toujours poser mes doigts sur les claviers… Je m’intéresse davantage à la recherche sonore, même si je travaille de manière empirique, sans trop théoriser. Vos compositions sont le fruit d’un travail solo qui est ensuite “adapté” pour la scène. Comment passer d’une démarche en solitaire à une prestation live à plusieurs ? J’envisage le studio comme un jardin secret, un labo où je fais mes expériences. Par la suite, je reprends l’étincelle initiale de chaque morceau que j’essaie de faire revivre sur scène avec les quatre musiciens qui m’accompagnent depuis quelques années. On ne reproduit pas les titres de l’album, on leur donne une autre vie. Comment faites-vous pour jouer en gigotant autant sur scène ? Quand on me regarde bien, lorsque les parties de clavier deviennent compliquées, j’arrête de
danser [rires]. Je suis bien obligé de garder du souffle puisque je chante également… Tout en intégrant des éléments actuels, votre musique va souvent puiser dans le passé. Quel est l’âge d’or de la musique pour vous ? C’est vrai que ma musique n’est pas estampillée d’une époque… Il y a plusieurs âges d’or, comme les nineties pour le hip-hop. Je trouve que dans les Charts des années 1960 / 1970, il y avait des choses incroyables comme Purple Haze de Jimi Hendrix : pas de refrain, juste un riff et un son complétement fou avec du feedback et du larsen. À l’époque on se disait : « Je vais faire le truc le plus dingue possible et le public suivra. » Aujourd’hui, la musique qui fait avancer les choses et brise les frontières sort chez les indépendants, loin du meanstream. Les créatifs n’ont pas le droit de parole dans les Majors où le service marketing dicte sa loi au directeur artistique. C’est pour ça qu’on entend le même morceau depuis dix ans sur les grandes ondes. Sortir “l’album blanc” des Beatles, de nos jours, sur un gros label ? Impensable !
Voyager, c’est une sensation libératrice, celle de voler sans attaches
Voir Poly n°181 ou sur www.poly.fr En live vendredi 24 juin au Zénith de Strasbourg dans le cadre du festival des Artefacts (avec Cypress Hill et Busta Rhymes) www.artefact.org 1
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MUSIQUE
étrange & transe Le strasbourgeois Éric Bentz, leader d’Electric Electric et membre du projet musical quadricéphale La Colonie de Vacances, est l’auteur de la BO abstraite et tribale du film Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore. Rencontre.
Par Emmanuel Dosda À gauche, La Colonie de Vacances © Romain Etienne et à droite, Ni le ciel ni la terre © Kazak Productions
Ni le ciel ni la terre, présenté à Cannes en 2015 et nominé aux Césars cette année, le film est récemment sorti en DVD chez Diaphana Distribution www.diaphana.fr La Colonie de Vacances, à L’Autre Canal (Nancy), jeudi 24 mars et au Moloco (Audincourt), vendredi 25 mars www.lautrecanalnancy.fr www.lemoloco.com
Lire Poly n°152 ou sur www.poly.fr, sortie du troisième album d’Electric Electric prévue pour mai www.hrzfld.com
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Lire Poly n°123
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e réalisateur et plasticien alsacien Clément Cogitore a découvert la musique sauvage d’Electric Electric1 par hasard, sur un disque dur traînant chez Seppia, société qui a produit son documentaire Bielutine, en 2010. « J’ai vraiment accroché et contacté Éric pour qu’il en écrive la musique. Entre nous, c'est une histoire de fidélité.» Ils ont retravaillé ensemble sur d’autres projets jusqu’à Ni le ciel ni la terre, long-métrage sorti l’an passé. Le pragmatique capitaine incarné par Jérémie Renier et les hommes de sa troupe surveillent, en 2014, un secteur situé en Afghanistan, mais une énigmatique disparition de soldats trouble les esprits les plus rationnels. Documentaire ou film de guerre, travail plastique ou œuvre fantastique, réflexion métaphysique ou fable œcuménique, Ni le ciel ni la terre se situe à la croisée des genres. La BO illustre les doutes, les tourments envahissant les protagonistes. Avant de visionner la moindre image, Éric a écouté « les envies de Clément, ses mots, ses fantasmes », puis a composé, à l’aide de matériel lo-fi, des thèmes ambiant afin d’accompagner les moments hantés par le mystère. Percussions, synthé, guitare et pédales d’effets : pour les scènes d’action, il enregistre des « musiques de tension, percussives, avec des sons étranges », proches de la transe. Le générique de fin part d’un titre violent d’Electric Electric, emmené
vers davantage de lyrisme, selon les désirs de Clément Cogitore qui en a « drivé l’écriture à la note près. Au départ, je pensais avoir carte blanche, mais j’ai vite senti que l’étau se resserrait et que je devenais un outil. Il fallait répondre à ses demandes, très précises, et je respecte ça. C’est une chance que d’être pris dans l’univers de création d’un film », affirme Éric… pas certain pour autant de réitérer cette expérience chronophage l’ayant contraint à mettre en stand by ses autres projets. Parmi ceux-ci, il y a La Colonie de Vacances, une idée folle lancée il y a six ans, « en fin de soirée », par Rubin Steiner2 alors programmateur du Temps Machine à Tours. Ce supergroupe de onze membres réunit Electric Electric, Marvin (Montpellier), Pneu (Tours) et Papier Tigre (Nantes), formations qui se sont beaucoup croisées lors de tournées et partagent une esthétique math-rock / noise. Dans cette jolie colonie de vacances, les batailles de décibels sont de mise, à grands coups de riffs de guitare et de batteries matraquées. Le public, au centre de quatre scènes, s’en prend plein les tympans. Grâce à un dispositif quadriphonique permettant de spacialiser le son et d’« une architecture explosant les codes du concert », les performances de La Colo’ sont autant de promesses de lives jubilatoires et de transes collectives.
chris potter et le saxophone de feu Il n’est pas le plus connu des ténors de sa génération. Ils sont pourtant peu à posséder l’étendue de ses talents. Chris Potter is back avec une nouvelle formule, en trio, aussi virtuose qu’impressionnante. Par Florent Servia Photo de Tamas Talaber
À Pôle Sud (Strasbourg), vendredi 18 mars www.jazzdor.com www.chrispotter.net
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oilà un monsieur qui n’a pas besoin de sortir un nouveau disque pour être invité à jouer. Cette liberté face au cercle vicieux de l’industrie musicale en dit long : Chris Potter n’a plus rien à prouver. Ténor en chef, le saxophoniste swingue depuis une vingtaine d’années sur une écriture échevelée, moquant les clichés d’une indépendance exclusive entre la musique complexe et la musique accessible, érigeant en exemple l’immense Wayne Shorter qu’il voit comme un compositeur intellectuel mais organique. Sous ses airs de gendre idéal, Chris Potter fait trembler les chaises de son jeu puissant et très technique. Époustouflant pour qui le découvre – et le redécouvre – il est le vecteur d’un jazz enlevé, à la nervosité toute newyorkaise… Une filiation spirituelle et musicale qui le voit propager l’atmosphère particulièrement fiévreuse d’une ville où les acteurs et amateurs de jazz forment de grandes familles d’habitués. De sa Caroline du Sud natale, le virtuose, alors jeune musicien, avait ressenti cet appel à l’époque des mouvements migratoires unilatéraux suivis par la fine fleur des jazzmen, pressés de prendre le pouls de la bête dans son antre. Le genre de choix de vie
irrévocables, si bien que certains n’en sont jamais revenus. C’est le cas de Chris Potter qui y a découvert un chez-soi de premier choix. Paul Motian, Jim Hall, Dave Holland, Brad Mehldau, John Scofield ou Jack Dejohnette y sont devenus ses partenaires de jeu les plus célèbres – à défaut d’en être les plus réguliers – alors qu’il s’y est dessiné un son de ténor pur, en même temps qu’un nom de leader écouté et apprécié pour ses formations en quintet et quartet, longuement expérimentées. À Pôle Sud, le saxophoniste goûtera la liberté d’occuper un espace harmonique plus vaste, en trio, lui laissant le rôle d’unique soliste soutenu par une section rythmique pétulante de jeunes new-yorkais à la page : Kush Abadey à la batterie et Joe Martin à la contrebasse. Avec ce nouveau combo, Chris Potter s’est trouvé des partenaires idéaux qui savent swinguer en toutes circonstances, y compris sur les cascades de notes de ses chorus déversés dans des phrases au tempo et à la vélocité hallucinante. À la force de son “biniou”, Chris Potter sait plaire aux auditeurs hébétés, relâchés dans la nature, déconfits d’admiration, après un set de jazz comme on aime les entendre.
FESTIVAL
accordez, accordez l’accordéon
Du tango au bal brésilien en passant par la danse créole et la musique traditionnelle, l’accordéon nous emmène vers des univers sonores surprenants. La 19e édition du Printemps des Bretelles promet d’être à nouveau éclectique et insolite. Par Fiona Bellime Photo des Ogres de Barback par Marion Jongle & Joot Prod Dans différents lieux (IllkirchGraffenstaden), du 11 au 20 mars www.printempsdesbretelles.com
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e belles têtes d’affiches sont annoncées, mais aussi et surtout des musiciens, groupes locaux et internationaux présents pour dévoiler les secrets et les atouts de cet instrument si populaire et pourtant méconnu. Gros, lourd et vieux comme le monde, il a réussi à traverser les époques, à passer de cuisses en cuisses, et à se retrouver à l’honneur de ce festival durant lequel toute une ville vit au rythme chaleureux de la star du bal musette : bars, restaurants, salles de spectacles et médiathèques sont sollicités pour l’événement. Cette année encore, de véritables mélomanes chevronnés sont attendus. Pour la première fois, la fratrie des Ogres de Barback débarquent à Illkirch (17/03, L’Illiade). D’origine arménienne, ils baignent depuis toujours dans les paroles de Brel, Brassens et Perret et mijotent des chansons à texte, aux sonorités tziganes et rock alternatif. Poètes et multi instrumentistes, ils se baladent à travers le monde avec leur accordéon pour partager leur amour de la musique contée. Dans la même veine, le trio du Toulouse Con Tour (18/03, L’Iliade) : cette bande de copains désire faire découvrir
l’histoire toulousaine à travers les grandes figures de la chanson française. Magyd Cherfi, membre du célèbre groupe Zebda, Art Mengo qui a collaboré avec Henri Salvador ou Yvan Cujious, fils spirituel de Nougaro, reprennent les grands tubes du Sud (de Ferrer à Cabrel jusqu’au mythique Macumba de Jean-Pierre Mader) avec humour et dérision accompagnés du talentueux accordéoniste Lionel Suarez. Un invité de marque et habitué du festival clôturera la semaine : Marcel Loeffler (19/03, L'Illiade). Référence dans le monde du jazz, il met en valeur toutes les capacités et qualités de l’instrument en parcourant des styles très différents comme le be-pop, le jazz fusion, le tango, la chanson française et aussi le jazz manouche. Nombreux sont les artistes qui ont déjà saisi la virtuosité de la boîte à soufflet, sa polyphonie et son timbre si riche, qu’il se confond même avec des airs de saxophone ou de violoncelle. Qu’à cela ne tienne, celle-ci souffre néanmoins d’une image parfois désuète. Et tout l’enjeu du festival est là : s’éloigner de sa réputation surannée pour lui donner la place qu’il mérite au sein de la grande famille des vents.
JEUNE PUBLIC
big bazar Spectacle à destination du jeune public, Le Grand Bazar symphonique est une rencontre (d)étonnante entre le répertoire classique de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et le rock français déjanté du Weepers Circus.
Par Hervé Lévy Photo de Camille
Au Palais de la Musique et des Congrès (Strasbourg), samedi 12 et dimanche 13 mars www.philharmonique. strasbourg.eu Au Theater Basel, dimanche 20 mars www.sinfonieorchesterbasel.ch www.weeperscircus.com
* Avec la parution du livre-disque illustré par Tomi Ungerer À la récré , voir Poly n°135
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uelque 70 musiciens de l’OPS et leur chef d’orchestre Rémi Studer entourent les cinq membres du Weepers Circus, groupe strasbourgeois de chanson française polymorphe mêlant folk onirique et rock abrasif qui s’illustre également dans le répertoire pour les enfants depuis 2009*. « C’est une belle rencontre, à la fois un fantasme et un défi pour nous », explique Christian Houllé aux claviers de la formation. Le spectacle débute avec les premières mesures de la Symphonie n°5 de Beethoven… vite interrompues par les trublions du Weepers et leurs sonorités de guingois, toutes désaccordées. Comme un symbole de ce Grand Bazar symphonique où les deux formations luttent amicalement, tentant chacune de s’imposer, dans un jeu burlesque : les hits du classique interprétés par l’Orchestre alternent avec les chansons foutraques, créations originales ou comptines revisitées (Pirouette cacahouète version rap, Promenons-nous dans les bois avec des sonorités rock, etc.) soutenues par une base symphonique. « Mélanger tous ces univers est une manière de montrer aux enfants que le classique est une musique comme les autres,
que ce n’est ni compliqué, ni ennuyeux, qu’il n’existe aucune frontière entre les genres », explique Christian. Les saynètes s’enchaînent, les musiciens jouent, s’amusent, se déguisent dans des sketches drolatiques, se servent de masques, d’accessoires insolites : des fémurs, deviennent par exemple, les baguettes du batteur ! « Nous sommes des voleurs de mélodies qui débarquent sur scène avec de grandes valises. De chacune jaillissent des mondes sonores différents, souvent féroces. Pas de niaiserie, ni d’angélisme. Nous ne sommes pas Henri Dès ou Chantal Goya. » La mayonnaise prend : au fil des minutes, le spectacle se déploie et l’on croise un curieux dragon, des poules transgéniques, un ogre souhaitant devenir végétarien. Les sonorités s’entremêlent, mettant en lumière la porosité qu’il peut exister entre des rythmiques hawaïennes, le romantisme germanique et Le Chanteur de Mexico. « C’est qu’on fait tous de la musique. Le reste, hein… », conclut Christian Houllé, mi sérieux, mi sale gosse.
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MUSIQUE CONTEMPORAINE
mer de sang Compositeur en résidence à l’Orchestre national de Lorraine et à L’Arsenal, Alexandros Markeas propose deux créations mondiales, variations tragiques sur la mer devenue « lieu de mémoire ».
Par Hervé Lévy
À L’Arsenal (Metz), vendredi 18 (Sea is history) et jeudi 31 mars (Une autre Odyssée) www.orchestrenationallorraine.fr www.arsenal-metz.fr Conférence sur L’Europe face à la crise des réfugiés par Catherine Wihtol de Wenden, mardi 29 mars (18h30) à L’Arsenal www.alexandros-markeas.net
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a “musique pour la musique” n’est pas l’affaire d’Alexandros Markeas : le compositeur estime en effet qu’elle est « profondément politique ». Dans ses partitions les contraires entrent en friction tout en s’attirant irrésistiblement pour générer une puissante force expressive : musiques savantes et populaires « provenant directement de la vie » comme le Rebetiko de sa Grèce natale, temps “occidental” d’une partition construite et temporalité byzantine faite de « psalmodies permanentes venant occuper le silence », mais également quête « d’une écriture improvisée et d’une improvisation écrite ». Centrées sur la mer, les deux créations proposées à Metz reflètent cette conception de la musique. Dans Sea is History – pièce pour orchestre dont le titre reprend un vers de Derek Walcott qui peut être considéré comme le Aimé Césaire anglophone – Alexandros Markeas livre une réflexion sonore sur la traite négrière. Dans cette œuvre commandée par l’Orchestre national de Lorraine, les flots sont tour à tour irisés de reflets impression-
nistes debussystes et parcourus des chants de lutte des esclaves avant de résonner des cris sourds de leur trépas silencieux. L’auditeur passe ainsi de la contemplation sereine à la violence de la vie sur les bateaux évoquée par une danse indomptable rappelant les percussions africaines pour terminer son parcours dans l’absolue et muette douleur. Même si elle n’a pas été conçue ainsi, Une Autre Odyssée, bouleversante partition pour ensemble vocal, ressemble à la seconde partie d’un diptyque maritimo-tragique. « Nous sommes scandaleusement impuissants face au drame des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée », explique le compositeur. Dans cette pièce, les sonorités contemporaines dialoguent avec des pages de la Renaissance (signées Gesualdo et Monteverdi) et les musiques traditionnelles du bassin méditerranéen. Les mots de Yánnis Rítsos y rencontrent ceux d’Erri De Luca pour un « chant de mort intemporel », un requiem évoquant « une mer devenue un gigantesque sépulcre ».
MUSIQUE CLASSIQUE
berlin is back Deux opéras, dont un anthologique Tristan und Isolde, et une vingtaine de concerts : pour sa quatrième année de résidence pascale à Baden-Baden, le Philharmonique de Berlin de Sir Simon Rattle propose un copieux menu.
Par Hervé Lévy Photo de Marco Borggreve
Au Festspielhaus et dans Baden-Baden, du 19 au 28 mars www.festspielhaus.de www.berliner-philharmoniker.de
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histoire de Tristan et Iseult, mythe fondateur de la conception (très) occidentale de la passion tragique – pour une analyse détaillée, se plonger toutes affaires cessantes dans L’Amour et l’Occident de Denis de Rougemont – est bien connue. Wagner, transcendé, en tire une partition d’un lyrisme exacerbé en forme de voyage intérieur tumultueux au plus profond de l’âme humaine. Les deux protagonistes sont en effet tour à tour écorchés, déchirés, pleins d’espoir, scintillants ou désespérés… Le metteur en scène polonais Mariusz Treliński, dont on avait aimé la vision de Iolanta à BadenBaden, en 2009, propose une version très cinématographique de l’œuvre (19-28/03, Festspielhaus) qui sera reprise au Metropolitan Opera de New York. Servie par une distribution de premier plan (Eva-Maria Westbroeck et Stuart Skelton dans les rôlestitres), cette nouvelle production permettra d’apprécier le wagnérisme subtil et intense des musiciens du Philharmonique de Berlin. Parmi le reste de la programmation des Osterfestspiele, mentionnons le rare Il Mondo della
luna, opéra cosmico-comique de Haydn (20 & 23/03, Théâtre), un très attendu Concerto pour violoncelle de Schumann par Yo-Yo Ma sous la direction de Yannick Nézet-Séguin (20/03, Festspielhaus) ou encore de multiples concerts avec les solistes de l’Orchestre, dont un programme intitulé Isoldes Liebestod qui promet (21/03, Museum Frieder Burda). Nos coups de cœur ? La très culte Symphonie n°9 de Beethoven (21 & 27/03, Festspielhaus), ode à la joie dont on a bien besoin en ces temps troublés, mais aussi la rencontre entre les Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle et l’archet enchanté, spontané et précis de Janine Jansen (en photo) dans le Concerto n°1 de Bruch (26/03, Festspielhaus), page virtuose aux accents brahmsiens. Elle sera accompagnée par l’âpre Symphonie n°4 de Chostakovitch, restée dans les cartons du compositeur plus de 25 ans et créée en 1961, en pleine déstalinisation lorsque les oreilles soviétiques pouvaient entendre cette fresque qui s’achève dans une sublime déréliction sonore…
la sélection musique
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Die Meistersinger von Nürnberg
Los Angeles Philharmonic
Après un remarquable Parsifal à Bayreuth en 2012, Philippe Jordan retrouve le metteur en scène Stefan Herheim pour la première production de cet opéra de Wagner à Paris depuis plus de 25 ans.
Un des meilleurs orchestres au monde et son directeur musical proposent un programme surprenant où John Williams rencontre Alberto Ginastera et Aaron Copland. Passionnant !
01-28/03, Opéra Bastille, Paris www.operadeparis.fr
Feu ! Chatterton
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Le combo de Paname cartonne et personne ne s’en étonne : le groupe Fou à lier s’est trouvé une place bien à part dans la chanson française, avec sa gouaille, son look rétro (cravate et petites moustaches), son univers théâtral et son lyrisme. 07/03 & 04/04, Le Trianon, Paris www.letrianon.fr 09/03, La Cartonnerie, Reims www.cartonnerie.fr 10/03, La Rockhal, Luxembourg www.rockhal.lu 11/03, La Laiterie, Strasbourg www.artefact.org 12/03, La Vapeur, Dijon www.lavapeur.com
The Fairy Queen Un spectacle original qui fait le pari de mêler artistes de rue en prise constante avec le public, chanteurs lyriques nous délivrant toute la subtilité de l’art vocal anglais de Purcell et musiciens classiques aussi à l’aise dans le jazz que la création contemporaine. 17-19/03, Opéra-Théâtre, Metz www.opera.metzmetropole.fr
Les fans de Lilly Allen ou de Hollie Cook sont déjà sous le charme. 29/03, La Poudrière, Belfort www.poudriere.com 30/03, L’Autre Canal, Nancy www.lautrecanalnancy.fr
21/03, Philharmonie, Luxembourg www.philharmonie.lu
31/03, La Cartonnerie, Reims www.cartonnerie.fr
La Passion selon Saint-Matthieu
01/04, La Laiterie, Strasbourg www.artefact.org
Un des monuments du répertoire sera interprété par l’OPS dirigé par John Nelson, un des plus grands spécialistes de la musique de Bach. Indispensable. 24 & 26/03, Palais de Musique et des Congrès, Strasbourg 25/03, Dominicains de Haute-Alsace, Guebwiller www.philharmonique-strasbourg.eu
Orphée et Eurydice
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Suite de la “saison Orphée” à l’Opéra national de Lorraine avec l’œuvre de Gluck… Aux Enfers, la réalité a pris la place du mythe. Dans l’espace du désir, les personnages de la fable vibrent désormais avec la force de leur condition humaine. 29/03-07/04, Opéra, Nancy www.opera-national-lorraine.fr
Jain
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Cette jeune artiste a six bras : pratique pour toucher à tout, du reggae à la pop ensoleillée, de la soul à la musique africaine. Son premier album, Zanaka, est un concentré de toutes les musiques qui l’ont bercée et un nid à tubes, l’accueillant Come, bien sûr, mais aussi Mr Johnson ou Makeba.
03/04, La Défense, Puteaux www.chorus.hauts-de-seine.fr 08/04, La Rodia, Besançon www.larodia.com 11/05, La Cigale, Paris www.lacigale.fr
Tosca
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Une très belle mise en scène signée Willy Decker, épurée et élégante, du chef-d’œuvre de Puccini placée sous la ductile baguette de Simon Hewett. À ne pas manquer ! Jusqu’au 11/05, Opéra (Stuttgart) www.oper-stuttgart.de
The Pharcyde
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Bullshit ! Le légendaire groupe de hip-hop américain auteur du tubesque Drop (clipé par Spike Jonze) ou du très cool Passin’me by (avec un sample de Quincy Jones), fait partie des meilleures formations du genre. Faisons un bond dans le L.A. des nineties en compagnie de The Pharcyde. 06/04, Espace culturel Django Reinhardt, Strasbourg www.strasbourg.eu 08/04, La Défense, Puteaux www.chorus.hauts-de-seine.fr Poly 185 Mars 16
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ART CONTEMPORAIN
le corps des hommes Des portraits en buste de 138 hommes s’alignent comme à la parade : avec ses Muses, Didier Paquignon interroge le corps masculin au XXIe siècle, à la Fondation Fernet-Branca.
rehausse au crayon créant un étrange effet de douceur feutrée. De face, de profil ou de dos, ces Muses ressemblent à un « questionnement sur la virilité dans une société ou le “masculin” a énormément évolué depuis les années 1960 ». Pourquoi aucune femme ? Pour l’artiste, elles ont « déjà été tellement représentées. Leur corps a été magnifié à travers les siècles », explique-t-il. La vision est frontale, factuelle, sans fioritures, les corps ne sont pas des idéaux : on est très loin d’une histoire de l’Art qui débute en Grèce antique ou des silhouettes dramatisées de Lucian Freud avec leurs peaux molles et leurs complexions maladives. Ils sont montrés sans effet, ni mise en scène et interrogent le visiteur sur leur place dans un monde où les contours du patriarcat semblent s’être estompés, mais semblent seulement. Un des souhaits de celui qui est devenu une « machine à portraits » est en effet d’observer les réactions des femmes face à ces images et d’écouter leur propos.
Par Hervé Lévy
À la Fondation Fernet-Branca (Saint-Louis), jusqu’au 27 mars www.fondationfernet-branca.org http://didier.paquignon.free.fr
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epuis un peu plus de cinq ans, Didier Paquignon fait des portraits d’hommes en noir et blanc : toujours la même taille (un mètre vingt de haut), toujours le même cadrage (torse nu, on aperçoit le haut du pantalon), toujours le même modus operandi. Il prend son modèle en photo, peint sur plexiglas, en tire un monotype qu’il
Ecce homo : ils sont gras, minces, musclés, imberbes, velus, tatoués, barbus, mal rasés. On y croise le dessinateur de bande dessinée Martin Veyron, hiératique et mystérieux avec des faux airs de son personnage fétiche Bernard Lermite, Denis Lavant éternellement dans Mauvais sang, Raymond Domenech qui se la ramène un peu avec ses bras très poilus, le critique d’art Étienne Dumont dont le corps est intégralement tatoué ou encore un Jean-Claude Dreyfus hilare se pinçant les tétons. Au hasard des rencontres, Didier Paquignon a aussi portraituré des anonymes, cuisinier, bottier, ingénieur informatique… Devant ces portrais de mecs alignés comme à la parade, un vertige saisit le visiteur. Il n’y a pas là de volonté d’entomologiste, ni de souhait de créer des typologies : il est face à un état du monde venant interroger femmes et hommes sur ce que le masculin est devenu. Parfois, ça fait mâle…
ART CONTEMPORAIN
totem et bagou Avec Métamorphoses du paysage, la Fondation Beyeler célèbre Jean Dubuffet (1901-1985) dans une exposition d’une infinie richesse réunissant une centaine d’œuvres reflétant toutes les périodes de sa carrière artistique.
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Par Thomas Flagel
À la Fondation Beyeler (Riehen), jusqu’au 8 mai www.fondationbeyeler.ch
Lire Same Old Shit, Poly n°134 ou sur www.poly.fr
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2 Pour des raisons de conservation, Coucou Bazar ne peut plus être présenté sous sa forme originale. C’est pourquoi ces deux seules figures sont mobiles…
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n 1942, Jean Dubuffet quitte son emploi de négociant en vin pour se consacrer pleinement à la peinture. Il a 41 ans, a été démobilisé depuis deux ans et signe pour première toile Gardes du corps. Audace de la palette aux couleurs vives juxtaposées et insolence du pastiche des kouros de la statuaire archaïque grecque. Ses deux personnages entièrement nus ont les visages ronds comme dans un miroir grossissant et déformant. Des moustaches mais ni oreilles, ni sourcils. Singulier tableau pour un non moins étrange artiste à la gueule oscillant entre Jean Nouvel et Michel Foucault, au sourire carnassier et à l’humeur volatile. Irritable et procédurier, celui qui porte aux nues les dessins d’enfants mais aussi l’art des fous et des malades mentaux qu’il appellera – et théorisera – Art Brut, entend s’affranchir des normes et des courants esthétiques de son temps en faisant de cette source d’inspiration le suc d’une grande partie de son œuvre. Une des grandes forces de cette exposition présentée à la Fondation Beyeler résulte une nouvelle fois dans l’art du contre-pied. En présentant de nombreuses toiles du début de la carrière de l’artiste, mais aussi beaucoup de ses “séries” jalonnant son travail esthétique. Des Paysages intérieurs jusqu’aux Mires tardives, nous cheminons à travers la vie et l’évolution de celui qui passera des matières
naturelles à l’intérêt pour les textures avant de se tourner vers la résine et le polystyrène pour des sculptures plus ou moins plates, mais aussi les peintures en polyuréthane avec l’obsession de donner corps aux grandes réalisations qui hantent son esprit.
Tout à plat
Il est difficile de se mettre aujourd’hui dans la peau de ceux qui découvrirent les toiles à la perspective totalement plane de Dubuffet. Le regardeur actuel n’est guère choqué ni retourné par cette audace. Le monde de l’art a popularisé ces perspectives étirées de manière enfantine : le jeu de mot et l’impression de camp concentrationnaire de Bocal à vache (1943), ou encore le fascinant Paysage vineux (1944), mélange de symboles et formes qui dessinent des terres découpées de manière parcellaire. Un procédé que l’on retrouvera plus tard avec ses automobiles aplaties, comme ouvertes par le haut (Automobile à la route noire, 1963). Dès le milieu des années 1940, le peintre crée de la matière qui confère du relief à ses toiles, superposant les couches et creusant des nervures qui constituent aussi bien un maelström d’objets qu’un fatras de restes (Lettre à M. Royer (désordre sur la table), 1953) ou des sillons dans la neige (Le Voyageur égaré, 1950) symbolisant autant de chemins sinueux pour un personnage hé-
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bété. Visions du dehors ou paysage intérieur de totale perdition ? Difficile de répondre… mais si vous reculez de quelques pas, une bête mi-cheval mi-renne, se dévoile à la gauche du malheureux. En creusant ainsi, il révèle ce qui ne se voit pas, ce qui est sous-jacent. Nous devinons tandis qu’il suggère, telles les breloques de son Arabe avec traces de pas (1948), hommage au Sahara dont l’immensité silencieuse le fascina au point qu’il s’y rende trois fois à la fin des années 1940.
Chaos organisé
Mais qu’on ne s’y trompe pas, les œuvres de Dubuffet contiennent leur dose de grinçant et de sauvage. Critique acerbe et pleine d’humour de la société et des inégalités (La Main dans le sac et Le Commerce prospère, 1961) où des canons de beauté magnifiant le nu féminin (Corps de dame – Pièce de boucherie, 1950). Ce rectangle rosé et massif, aux bras maigrichons grisés comme les orifices faits de simples ronds, est à la fois une pièce de barbaque et bien plus. Il y a chez lui une manière de saisir ses personnages dans des matières inhabituelles – ses premières sculptures mêlent charbon de bois, lave et éponge pour former des visages à la puissante force expressive tel l’inuk de Saïmiri (1954) – leur conférant une étrangeté singulière. L’aspect de “gueules cassées” (saisissant dans Affluences) de son cycle de L’Hourloupe (196274), avec ses totems follement géniaux nés de dessins au stylo bille griffonnés au téléphone de manière semi-automatique, est aussi rigolo
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qu’inquiétant. La texture disparaît ainsi au profit d’une quadrichromie (rouge, bleu, noir et blanc) à laquelle s’ajoutent hachures et couleurs alternant pleins et vides. Un art de la superposition et du remplissage qui crée des volumes et bouleverse la perspective dans un chaos apparent – mais ô combien organisé – auquel les graffeurs et artistes tels Jean-Michel Basquiat1 et Keith Haring doivent beaucoup, comme le groupe CoBra avant eux, notamment Karel Appel. Le Cours des choses (Mire G 174, Boléro, 1983), qui appartient à la série des Mires, est des plus fascinantes. Dubuffet est alors un octogénaire très productif, revenant à une certaine naïveté enfantine du trait et de la gestuelle. Cette toile de deux mètres soixante sur huit de long se compose de 32 feuilles de papier (67 x 100 cm) assemblées sur toile pour pallier à la fatigue et au manque de mobilité de l’artiste. Une preuve s’il en fallait, de la cohérence mentale et de la planification d’une œuvre devant laquelle on peut passer un temps infini, plongé dans l’exploration de ses formes à la géométrie d’une subtile cacophonie. Clou du spectacle, une présentation monumentale de Coucou Bazar, œuvre totale (théâtre, danse, musique, peinture et sculpture) achevée en 1973, présentée comme rarement. Chaque mercredi (15h et 17h) et dimanches (14h et 16h), deux figures costumées2 bougent au ralenti, reproduisant partiellement la grande fresque animée souhaitée par son créateur. C’est peu, mais c’est déjà pas mal. Il n’en fallait guère plus pour nous redonner le sourire…
Légendes des photos 1. Le cours des choses (Mire G174, Boléro), 1983. Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais 2. Corps de dame – Pièce de boucherie, 1950. Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Sammlung Beyeler © 2015, ProLitteris, Zurich. Photo : Peter Schibli, Basel 3. Gardes du corps, 1943. Private Collection © 2015, ProLitteris, Zurich. Photo : Saint Honoré Art Consulting, Paris and Blondeau & Cie, Geneva
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Mayumi Otero, sans titre, dessin illustrant l’article The Toxic Price of Prosperity, paru dans The New York Times le 27 avril 2014
b.a.t. Pour le New York Times, la Haute École des Arts du Rhin est un riche vivier d’illustrateurs. Fit to Print, au Musée Tomi Ungerer, expose les travaux de diplômés de la HEAR publiés dans le prestigieux journal. Par Emmanuel Dosda
Au Musée Tomi Ungerer, Centre international de l’illustration (Strasbourg), jusqu’au 10 avril www.musees.strasbourg.eu
Exposition dans le cadre des Rencontres de l’illustration à la HEAR, aux Médiathèques André Malraux et Olympe de Gouge, au Cabinet des Estampes et des Dessins et dans d’autres lieux de l’Eurométropole, du 9 au 20 mars www.strasbourgillustration.eu
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2 Festival Central Vapeur, à Strasbourg (Salle des Colonnes…), du 9 au 20 mars www.centralvapeur.org 3 Revue dédiée à l’illustration et la BD créée par Marion Fayolle, Matthias Malingrëy et Simon Roussin www.nyctalope-magazine.blogspot.fr 4
Voir Poly n°160 et 183
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ommissionnée par Alexandra Zsigmond, directrice artistique de la rubrique Opinion du quotidien new-yorkais, Fit to Print1 rassemble des illustrations réalisées par d’anciens élèves de la HEAR pour le journal américain. Dix-sept artistes (dont plus de la moitié de femmes) sont exposés : Simon Roussin, Alexis Beauclair, Marion Fayolle, Raphaël Urwiller & Mayumi Otero (formant le duo Icinori)… De jeunes talents défendus par l’association Central Vapeur2 (déjà accueillie au musée en 2012) et par Poly qui a souvent édité leurs planches dans ses pages. Thérèse Willer, conservatrice en chef du musée, se réjouit de la présence de créations contemporaines au Centre international de l’illustration et rappelle que « dans les années 1960, Tomi Ungerer a lui-même réalisé des affiches publicitaires pour le New York Times ». Alexandra Zsigmond a découvert le travail des illustrateurs strasbourgeois grâce à la revue Nyctalope3. Elle prend contact avec
certains d’entre eux et aussi avec Guillaume Dégé, responsable de la section Illustration de la HEAR, évoquant un projet d’expo à Strasbourg (puis un peu plus tard à NY). La directrice artistique est séduite par le style des élèves de l’école, leur passion pour le dessin à la main, la dimension « poétique, philosophique, parfois surréaliste » qui émane de leurs œuvres. Une « vision originale », presqu’artisanale, idéale pour illustrer les articles du journal traitant de sujets aussi divers (et difficiles) que la dépression, l’autisme, la sècheresse, la violence sexuelle ou la pollution. « L’école met des moyens exceptionnels à disposition des élèves – gravure, sérigraphie… – qui peuvent expérimenter de nouvelles techniques, faire évoluer leur travail et nourrir leurs créations. Aux États-Unis, la plupart des artistes travaillent à partir de l’outil numérique. À Strasbourg, j’ai pu ressentir la facture personnelle des illustrateurs. Chacun a sa propre écriture. » Au New York
ILLUSTRATION
Times depuis cinq ans, Alexandra Zsigmond, qui commande quelques 1 500 dessins par an dans le monde entier, n’est pas avare de compliments : « Je peux avoir confiance en leur intelligence et leur manière pertinente de répondre aux demandes du journal. »
ne veut pas former des gens qui vont être de suite dans l’exécution, mais vont privilégier une recherche d’auteur. L’exercice journalier, le “footing”, est primordial si on veut durer sur la longueur et ne pas s’essouffler lors de la “compétition”. »
Du footing à la compét’
Pour traiter de l’infidélité, Marion Fayolle a dessiné une couple enlacé. La tête de la femme se détache de son corps pour aller embrasser une tierce personne. Une illustration à la fois simple et étrange, comme l’est, dans un style totalement différent, celle de Juliette Etrivert qui, par sa touche expressionniste, fait ressentir l’angoisse dont est victime la protagoniste. Selon l’artiste, « elle s’oblige à pratiquer le yoga pour déstresser, s’acharne à se contrôler » et perd définitivement les pédales dans une violente explosion de couleurs fauves. Plutôt que d’apporter des réponses « très littérales » aux commandes du New York Times, Antoine Maillard choisit toujours de débrider sa créativité artistique. « Le journal cherche avant tout des personnalités graphiques fortes » se réjouit celui qui ne tentera jamais de masquer l’aspect « inquiétant » de ses œuvres.
Fit to Print se divise en trois chapitres. La première partie présente les dessins originaux parus dans le journal entre 2011 et 2015. Dans la seconde, on trouve des travaux persos où les auteurs vont souvent puiser afin de répondre aux différentes commandes, tandis que la dernière section montre les revues collectives Nyctalope, Psioriasis ou Belles Illustrations. Guillaume Chauchat4, artiste exposé, enseignant à l’atelier d’illustration de la HEAR et coordinateur de Fit to Print définit le travail des diplômés de l’école comme « très graphique et ouvert », se prêtant bien à l’exercice du dessin de presse. Pour lui, les élèves font quotidiennement du “footing” (reprenant l’expression de Guillaume Dégé), c’est-à-dire une masse de dessins pour soi dans laquelle on pourra extraire quelquechose en vue d’illustrer un article. « L’école
Marine Rivoal, Sexual Violence, dessin illustrant l’article Sexual Violence and Social Class paru dans The New York Times le 31 décembre 2014
Caroline Gamon, L’île, dessin illustrant l’article Treating Depression To Prevent Suicide, paru dans The New York Times le 25 août 2014
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Un Regard
heroisches sinnbild I, 1969-1970 par anselm kiefer Par Hervé Lévy Collection Würth, Künzelsau © Jörg von Bruchhausen, Berlin
Anselm Kiefer au Centre Pompidou (Paris), jusqu’au 18 avril www.centrepompidou.fr
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candale. À la fin des sixties Anselm Kiefer réalise des autoportraits photographiques où il fait le salut hitlérien, vêtu de l’uniforme de la Wehrmacht de son père. Il prolonge cette série intitulée Besetzungen (Occupations) de manière picturale avec ses Heroische Sinnbilder (Symboles héroïques). Au-delà de la provoc’, il inaugure la réflexion sur l’Histoire qui irrigue toute sa trajectoire : dans une Allemagne encore mal dénazifiée, il tente un geste cathartique afin de secouer
ses compatriotes devenus subitement amnésiques. Dans cette toile, il fait le salut national-socialiste dans une plaine vide où brûle un feu. Dans le ciel, apparaît son double travesti avec une chemise de nuit de femme, un accoutrement qu’il affectionnait. Haut / Bas. Face au monde aux couleurs sombres et assourdies d’une idéologie mortifère et asservissante, l’artiste flotte, fier et libre, dans les nuées bleues. Mais les deux ne font-il pas qu’un au final ?
la sélection expositions
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Activités du dimanche
Paul Cox
« Combien de couches y a-t-il dans l’être humain ? » se questionne Marina Smorodinova qui tente de répondre à cette question avec les images d’Activités du dimanche.
On connaît Paul Cox pour ses illustrations, livres d’artiste, affiches ou peintures… qui se nourrissent de sa pratique quotidienne du dessin.
Jusqu’au 19/03, Galerie Octave Cowbell, Metz www.octavecowbell.fr
Gfeller / Hellsgård Le duo franco-suédois composé de Christian Gfeller et Anna Hellsgård expose ses grands formats et autres sérigraphies abstraites : ceux qui ont Bongoût se rendront à la Galerie JeanFrançois Kaiser… ou à la Médiathèque André Malraux qui fait également un focus sur le tandem – qui s’est nommé Bongoût puis Re/Surgo! – avec une large sélection de fanzines et livres d’artiste. 09-24/03, Galerie Jean-François Kaiser, Strasbourg www.jeanfrancoiskaiser.com 05/03-28/05, Médiathèque André Malraux, Strasbourg www.mediatheques.strasbourg.eu
Francs-tireurs
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L’exposition présente une sélection de créations graphiques réalisées entre 2005 et 2015 à l’atelier de sérigraphie de la Haute École des Arts du Rhin de Strasbourg. 11-20/03, La Chaufferie, Strasbourg www.hear.fr
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17/03-22/04, My Monkey, Nancy www.mymonkey.fr
Le Douanier Rousseau Allons à la découverte de L’innocence archaïque d’Henri Rousseau dont les œuvres ont été mises en regard avec des toiles de Seurat, Delaunay ou Picasso. 22/03-12/06, Musée d’Orsay, Paris www.musee-orsay.fr
The Last silent movie
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L’artiste américaine Susan Hiller expose l’installation The Last silent movie (qui appartient à la collection du Frac Bourgogne) : une projection vidéo et une série de gravures pour aller à la rencontre de 25 langues oubliées. Jusqu’au 08/05, Frac FrancheComté, Besançon www.frac-franche-comte.fr
Trust in Fiction
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Exposés au Crac d’Altkirch, René García Atuq, The Atlas Group ou Pedro Manrique Figueroa sont autant d’artistes qui floutent le réel, l’Histoire, en y injectant un récit fictionnel. Trust in Fiction brouille les pistes, plaçant le spectateur face à des personnages historiques imaginaires, tordant le cou à la réalité et le propulsant dans un monde parallèle, tout proche du nôtre. À découvrir notamment, le personnage inventé par Eleanor Antin, Eleanora
Antinova, danseuse noire qui aurait fait partie des Ballets russes de Diaghilev dans les années 1920, documents à l’appui. Jusqu’au 15/05, Crac Alsace, Altkirch www.cracalsace.com
Syrie / métal, savon, pierre
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Le photographe d’origine iranienne Payram s’est rendu en Syrie, « sur les traces d’un paradis perdu », et a ramené trois séries de photos, réalisées aux côtés d’artisans. Jusqu’au 01/05, Stimultania, Strasbourg www.stimultania.org
L’Almanach 16 Angela Bulloch, Laura Owens, Georges Pelletier, Claude Rutault ou Peter Wächtler font partie des 18 artistes internationaux exposés à l’occasion de L’Almanach 16, focus sur les préoccupations actuelles du Consortium. Vidéo, photo, peinture… Chaque artiste dispose d’une salle. Jusqu’au 05/06, Consortium, Dijon www.leconsortium.fr
Alain Séchas, Coup de vent Un accrochage dans les collections permanentes offre un parcours au sein de l’œuvre d’Alain Séchas : l’occasion de découvrir quelques nouvelles toiles et de faire plus ample connaissance avec les célèbres chats de Séchas. Jusqu’au 12/06, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris www.mam.paris.fr
GASTRONOMIE
la tête dans les
© Lukam
© Richard Haughton
Il y a eu peu de mouvements concernant le Grand Est dans l’édition 2016 du Guide Michelin : passage en revue des nouveautés. Par Hervé Lévy
Villa René Lalique (Wingen-surModer). Un temple de verre et de grès imaginé par l’architecte star Mario Botta est l’écrin du nouveau domaine de Jean-Georges Klein, le plus génial autodidacte du paysage gastronomique hexagonal. On adore le culte Cappuccino de pommes de terre et truffes ou le très créatif Dos de bar de ligne new style. Voir Poly n°181 sur www.poly.fr.
JY’S (Colmar). Jean-Yves Schillinger est un élégant baroudeur de la gastronomie qui arpente la planète, rapportant des saveurs audacieuses dont fusion est le maître mot. Un must ? La Noix de Saint-Jacques en croûte de soja avec des algues wakamé aux fines nouilles de sarrasin et son émulsion au parmesan. www.jean-yves-schillinger.com
L’Arnsbourg (Baerenthal). La cuisine de Philippe Labbé s’est imposée en Moselle. Il a créé une carte où voisinent des clins d’œil à l’histoire de la prestigieuse maison et de belles nouveautés imaginées par un ciseleur d’assiettes de haut niveau qui sait enchanter les palais les plus revêches. Un de ses plats signature est le génial Foie gras de canard poêlé et fumé au Cohiba. Voir Poly n°179 sur www.poly.fr. www.arnsbourg.com
La Maison des cariatides (Dijon). Dans une demeure du début du XVIIe dont le décor a été revisité version XXIe siècle se déploie l’inventivité culinaire de Thomas Collomb : un menu dégustation avec un des meilleurs rapports qualité / prix qui soient (58 €) et des plats d’une altière simplicité comme une Longe de veau, blette & ail noir. www.lamaisondescariatides.fr
Au Crocodile (Strasbourg). Sous l’impulsion de Cédric Moulot, cette institution regagne une Étoile bien méritée. Cuisine de très haut niveau et service impeccable : la maison est en train de retrouver son lustre. On adore le Cœur d’entrecôte Black Angus, carottes en textures, jus de queue, bœuf lié de moelle. Voir aussi sur www.poly.fr. www.au-crocodile.com
© Arnaud Frich
www.villarenelalique.com
Le Carmin (Beaune). Christophe Quéant imagine une cuisine inspirée à l’image de son plat signature la Quenelle de sandre et médaillons de homard, sauce homardine à l’estragon. La carte des vins laisse une belle part aux nectars de la région… www.restaurant-lecarmin.com
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GASTRONOMIE
La Formule Jeunes des Étoiles d’Alsace (association regroupant restaurateurs et maîtres artisans) fête son 25e anniversaire. Le principe ? Elle permet jusqu’au 30 avril aux moins de 35 ans d’avoir accès à des menus de fête avec plusieurs formules : Winstub (39 €), Prestige (79 €) ou excellence (109 €), tout compris ! Profitez des charmes de La Fourchette des Ducs, de L’Auberge de l’Ill ou encore du Buerehiesel ! www.etoiles-alsace.com
© Jean-François Badias
FOREVER YOUNG
FER
RÊVER
FRANC-
Une institution colmarienne était vide depuis neuf longues années. Elle renaît avec le chef Olivier Lamard (qui travailla notamment à Riquewihr avec Jean-Luc Brendel). Il a repris les cuisines du mythique Fer rouge dans un décor renouvelé mettant la tradition à l’heure du XXIe siècle. Au menu de la cuisine du terroir de haut vol privilégiant les producteurs locaux ou encore une entrecôte marquée au… fer rouge !
COMTOISE
C’est une source historique : découverte en 1828 en Haute-Saône, elle connaît un vif succès grâce à sa minéralisation exceptionnelle, une des plus fortes de France. Commercialisée dans le monde entier sous le nom de FrancComtoise, elle disparaît en 1962 pour renaître aujourd’hui – rachetée par le célèbre boulanger Paul Poulaillon – sous le nom d’Eau vertueuse de Velleminfroy. Les bouteilles seront prochainement disponibles à la vente…
www.leferrouge.alsace
www.eaumineralevelleminfroy.fr
FÉÉRIE CULINAIRE
Le chef Bertrand Heckmann a créé son restaurant en 1997, à Nancy : La Toq’ vient d’être distingué par le Guide Michelin avec un Bib Gourmand. Voilà justement récompensée une cuisine qui vient du cœur dont les plats emblématiques sont une belle raviole de langoustines, un sandre rôti sur sa peau d’anthologie et un exquis mille-feuille croustillant à la vanille de Tahiti. À tester sans hésitation aucune ! www.latoq.fr Poly 185 Mars 16
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l’usine à web Visite des locaux de l’agence web Advisa, situés dans le bâtiment des Docks sur la Presqu’île Malraux. Un look industriel qui répond à l’histoire du lieu, un heureux dialogue entre briques et pixels. Par Emmanuel Dosda Photos de Benoît Linder pour Poly
Advisa 32 rue du Bassin d’Austerlitz à Strasbourg 03 90 41 18 58 www.advisa.fr
* Bâtiment de 1930, ex-entrepôt Seegmuller, qui accueille aujourd’hui des logements, l’European Communication School, des établissements de restauration ou Le Shadok (voir Poly n°178 ou sur www.poly.fr)
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es membres de l’agence évoluent dans de nouveaux locaux, installés sur un des plateaux des Docks*, dans une volonté de créer des bureaux respirant la créativité. Un espace vierge à imaginer, comme une page blanche. Olivier Kubler, dirigeant, s’en est donné à cœur joie afin de penser cet open space. Avec l’aide des architectes de Rigate Design et Julien Rhinn, il a « ressuscité l’âme industrielle » du lieu, grâce à des matériaux bruts, une tuyauterie visible et des murs de brique. Au milieu, trône un container rouillé, issu du Port autonome de Strasbourg, où est installée une salle de réunion. Autour de celui-ci, sont disposés les vingt-huit postes de travail du personnel d’Advisa s’affairant sur de solides tables en chêne. Olivier a parcouru les puces et antiquaires afin de meubler l’agence, flambant neuve et pourtant déjà patinée : vestiaires métalliques vintage, lampes suspensions venant d’anciennes usines et achetées « sur un parking, à un particulier »
ou encore tabourets un peu amochés, dégottés dans des brocantes ou sur Le Bon Coin. Même les couverts en argent, façon ménagère de mémé, ont été chinés. Selon Olivier Kubler, qui a le sens du détail, l’idée était de créer « un décor inspirant, ayant du caractère. C’est important, surtout si on évolue dans les métiers de l’image. »
advisa, c’est quoi ? Puma, le Centre Pompidou-Metz, ES, Pepsi, Soprema ou De Dietrich… Advisa accompagne ses clients désirant s’offrir une belle présence sur le net grâce à son expertise : conseils en stratégie digitale, création et développement de sites, e-commerce… www.advisa.fr
Olivier Kubler, directeur d'Advisa Poly 185 Mars 16
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last but not least
luce
, lauréate de la nouvelle star 2010
qui a sorti un disque très chaud
Comment la Luce adulte cohabite avec la Luce enfant ces derniers temps. J’ai repris des cours de théâtre et j’ai moins de temps pour flâner, être dans la contemplation… mais je m’octroie toujours des droits liés à l’enfance comme manger tout un paquet de bonbons et avoir mal au ventre après. Quand je monte sur scène, j’ai toujours l’impression d’avoir 10 ans ! « J’ai trop bu » affirmez-vous dans L’Été noir. Dernière cuite. Lundi, nous avons improvisé une sortie dans un bar à Paris : c’était très agréable de boire des coups et de danser jusque tard. J’adore faire la fête, mais mets trois jours à m’en remettre. Par Emmanuel Dosda Photo de Paul Rousteau
Au Cheval Blanc (Schiltigheim), vendredi 11 mars www.ville-schiltigheim.fr
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Voir Poly n°163 ou sur www.poly.fr
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Votre premier long format partait un peu trop dans tous les sens alors que votre dernier est très cohérent. Vous vouliez resserrer le propos. Pour Première Phalange, j’avais peur de perdre les gens, je voulais bien faire, mais m’y suis mal pris… J’avais 20 ans et j’en ai 26 aujourd’hui : beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Avec mon second disque, j’ai trouvé ma patte, mon style, et suis allée à l’essentiel, grâce à Mathieu Boogaerts* qui m’a accompagnée. Dernière collaboration qui vous ferait rêver après Boogaerts, Katerine ou Orelsan. Je me méfie des rêves : étant très fan de Katerine, présent sur mon premier album, mon rapport avec lui a été assez compliqué car il a fallu désamorcer tout ce que je fantasmais de lui pour travailler d’égal à égal. C’était délicat à gérer…
Dernière reprise. Ce soir (jeudi 4 février, NDLR), au Théâtre du Rond-Point pour une soirée dédiée à Rita Mitsouko (avec -M-, Izïa ou Olivia Ruiz) où je reprendrai Andy et Ding Dang Dong. Dernière émission de téléréalité regardée. Je n’ai pas de télé. Dernier coup de blues. Ça m’arrive très régulièrement et je règle ça avec du chocolat. Dernière grosse bêtise méritant une fessée. J’ai mangé tout le chocolat. Dernier album. Chaud, édité par Tôt ou Tard www.totoutard.com