Magazine N°194 JANVIER 2017 www.poly.fr
Israel Galván
Tout feu, tout flamenco
Georges Rousse L’illusionniste
TNS
Béart au pouvoir
polaroid3 abominable pop des neiges
BRÈVES
BROC’ CHIC
© Jean-Louis Hess
BON GENRE
BONNE GLISSE
Pour sa 11e édition, le Salon Européen de l’Antiquité, de la Brocante et du Design (28 & 29/01, Salle de la Bourse, Strasbourg) propose un très beau plateau marqué par un subtil équilibre entre généralistes de haut niveau et spécialistes comme un vendeur d’appareils photos anciens et de daguerréotypes rares, un expert mondialement reconnu des faïences de Sarreguemines ou encore un marchand d’Art africain. Notre coup de cœur ? Chris Broc (venu de l’Aisne pour la quatrième fois) et ses céramiques artistiques signées Cocteau ou Derval où se mêlent objets utilitaires élégants et véritables œuvres d’Art. Un voyage esthétique tout en finesse des années 1920 à la céramique contemporaine la plus pointue ! www.brocantes-strasbourg.fr
LANGAGE DES FORMES
Une des plus grandes patinoires à ciel ouvert d’Allemagne se trouve à Karlsruhe (jusqu’au 29/01, Schlossplatz). Plus qu’un simple espace de glisse, la Stadtwerke Eiszeit attire toute la famille avec cours de patin, soirées disco ou espace hockey. Dans la Stube, restaurant éphémère au style baroque, on peut se réchauffer avec une boisson chaude et se régaler. Pour couronner le tout, une fête de clôture sera donnée (28/01) avec DJ et spectacles de danse on ice freestyle ! www.stadtwerke-eiszeit.de
Alexander Girard, Arm chair No. 66310, 1967, collection Vitra Design Museum. Photo : Jürgen Hans
Avec Alexander Girard. A Designer’s Universe (jusqu’au 22/01), le Vitra Design Museum de Weil am Rhein présente la première rétrospective du designer et architecte d’intérieur. Ses créations colorées témoignent de sa passion pour l’art populaire du monde entier. Un immense créateur du XXe siècle est à (re)découvrir. www.design-museum.de
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BRÈVES
HIGHWAY TO
FÉLICITATIONS
Le Museum Frieder Burda vient d’accueillir son deux millionième visiteur ! La Suissesse Gabriela F. a reçu un ticket annuel et le catalogue de l’exposition La Bougie (jusqu’au 29/01, voir Poly n°193 et sur www.poly.fr) des mains d'Helmut Friedel, directeur de l’institution de Baden-Baden. Il se réjouit du développement du musée depuis son ouverture en 2004 et souligne que les visiteurs venant de Suisse et de France sont les plus fidèles !
FRIENDS
www.museum-frieder-burda.de
La Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg accueille une exposition portant sur les livres d’amitié du XVIe au XIXe siècle. Intitulée Alter ego (jusqu’au 12/02), elle nous fait découvrir ces ancêtres des albums de poésie – qui sont également de merveilleuses œuvres d’art – préfigurant de curieuse manière les réseaux sociaux. Ça avait un peu plus de classe que Facebook !
H E L L
Vous souvenez-vous de DJ Hell, héros de la vague electroclash, aux côtés de Miss Kittin ou Fischerspooner, au début des années 2000 ? Et bien, le chantre de ce style musical mêlant techno et sons new wave, le Kaiser de l’electro martiale et baron du label munichois International Deejay Gigolo Records est l’invité d’honneur de la cinquième édition de Techno Story, à Nancy (13/01, L’Autre Canal). www.lautrecanalnancy.fr
PAS UN gESTe
Afin de rassembler les acteurs du domaine de la danse du Grand Est, a été créé l’événement gESTe, projet destiné aux élèves des Conservatoires de Nancy, Metz et Strasbourg, du Centre chorégraphique de Strasbourg et des cours de Danse du CCN – Ballet de Lorraine. Ce dernier devient un lieu d’échanges (Nancy, 28 & 29/01) en compagnie d’artistes confirmés : Pasquale Nocera, Vidal Bini, Cinthia Labaronne et Jean-François Duroure. Restitution ouverte au public, dimanche 29 à 16h (réservation au 08 83 85 60 08). www.ballet-de-lorraine.eu
www.bnu.fr Poly 194
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Christian Vium, The Nomadic City
L’artiste danois Christian Vium, Prix HSBC pour la Photographie, a été récompensé pour son projet The Nomadic City traitant de l’urbanisation de Nouakchott, capitale mauritanienne, où le paysage se métamorphose en permanence. À découvrir à L’Arsenal de Metz (jusqu’au 08/01), tout comme les clichés de la polonaise Marta Zgierska, autre Prix HSBC et auteure de Post, série réalisée suite à un accident de voiture qu’elle a subi en 2013. www.arsenal-metz.fr
HORIZON
NOMADE
THÉÂTRE
DE POCHE
Jusqu’à présent, nous avions une préférence pour le Benjamin Biolay acteur : plutôt dans les films que sur ses disques. Son très inspiré dernier album, Palermo Hollywood, change la donne. Fortement influencé par Gainsbourg, il a puisé son inspiration dans les rues pavées argentines et les taxis enfumés de Buenos Aires. Il fait traîner sa voix abîmée sur des airs d’accordéon et de guitare latine, faisant tanguer les mots en des chansons à écouter en se soûlant à la 8.6. En concert le 24/01 à La Filature (Mulhouse), le 25/01 à L’Arsenal (Metz) et le 7/02 à la Rockhal (Luxembourg).
LE SUPERBE
Pour intégrer encore plus le théâtre dans le quotidien de son public, le Saarländisches Staatstheater de Sarrebruck propose des sacs (6,50 €, en vente à la caisse). Fabriqués à partir des bâches publicitaires affichées pour chaque spectacle sur la façade du théâtre (côté Tbilisser Platz) par les costumiers de l’institution sarroise, ce sont en même temps des pièces uniques belles, écologiques et pleines de culture ! www.staatstheater.saarland
Laurent Impeduglia, States of Enchantment, 2010
© Ignacio Colo
www.lafilature.org – www.arsenal-metz.fr – www.rockhal.lu
PARADIs
À Strasbourg, la Galerie Jean-François Kaiser débute 2017 de fort belle manière avec une exposition collective intitulée Eden (06-21/01). On y découvrira les univers mortifères et inquiétants d’Antoine Bernhart, les œuvres de la star qu’est devenu Damien Deroubaix, les créations de Marie Freudenreich ou encore les mondes bad pop de Laurent Impeduglia… sans oublier le glamour triste d’Aurélie De Heinzelin pour laquelle on a une tendresse toute particulière. www.jeanfrancoiskaiser.com Poly 194
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Avec Entre deux roseaux, l’enfant (5/02, L’Illiade d’Illkirch-Graffenstaden), le musicien strasbourgeois d’origine irakienne Fawzy Al-Aiedy mêle ses souvenirs à l’Histoire au cours d’un voyage musical « pour petites et grandes oreilles ». Pour ce spectacle jeune public, il parle de sa propre enfance. « J’ai songé à un endroit très précis au Sud du pays : Bassora, la région des marais. Les hommes y ont coupé les roseaux afin d’en faire des sortes de pinceaux : c’est là qu’a été inventée l’écriture à l’époque sumérienne. Les roseaux étaient également taillés pour fabriquer des flûtes. » Dès 3 ans. www.illiade.com
AVEC LE TEMPS
© Natacha Sibellas
LES ROSEAUX SAUVAGES
VERTIGE DE LA RUE Ça ne va pas fort, en ce moment, au Nouma, souffrant de sérieux problèmes de santé financière qui l’ont poussé à réduire la voilure, en 2016, au niveau de la programmation musicale. Peut-être la structure mulhousienne se consolera-t-elle un peu avec la décision de la municipalité de rebaptiser sa rue qui ne se nomme plus Mertzau, mais Alain Bashung, en hommage au chanteur qui a grandi en Alsace.
Au Centre culturel André Malraux de Vandœuvre-lès-Nancy (0514/01), la plasticienne et performeuse Marie Marfaing questionne notre rapport au temps qui passe à travers sa vidéo-performance Lignes de fuite. Sur le plateau, elle nous montre un homme marchant une loupe la main, de monstrueuses marionnettes ou un merle picorant sur une tombe… www.centremalraux.com
www.noumatrouff.fr
GASC INTÉGRAL Glisser dans les rues de Paris debout sur un skateboard. Rouler le long des trottoirs, le cœur léger, léger, au gré du souffle du vent, sous le soleil exactement comme sous la pluie. Chanter « Embrasse-moi idiot », un jour d’été anglais. Quitter un temps Aquaserge et rendre hommage au scientifique Luke Howard qui passa sa vie « à observer les transformations du ciel ». Faire pousser la chansonnette à Lætitia Sadier, voix de Stereolab, sans aucun doute le groupe dont se rapproche le plus Julien Gasc, auteur de l’album Kiss me, You fool (Born Bad) qu’il défendra durant son concert au Troc’afé strasbourgeois (21/01). www.facebook.com/panimix
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édito
le syndrome de cassandre D
Par Hervé Lévy
Illustration d'éric Meyer pour Poly
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e tous les personnages de la mythologie grecque, Cassandre est sans doute un des plus tragiques : ayant reçu d’Apollon le don de connaître l’avenir en échange de ses faveurs, elle se refusa au dieu qui, furieux, la condamna à ce qu’elle ne soit jamais crue. De là découlèrent bien des événements dramatiques, dont le plus célèbre est l’épisode du Cheval de Troie. Aujourd’hui, on a le sentiment que nombre d’acteurs culturels ressemblent à ces oracles qui ne sont pas entendus, et pourtant ils sont rares à se refuser au “dieu politique”. Les voix sont nombreuses à pointer du doigt les périls qui nous guettent dans un pays où la culture cède du terrain au profit de l’animation. La migration des budgets vers un entertainment municipal, départemental, régional ou étatique, fait de vastes opérations commerciales aux alibis patrimoniaux et la vacuité sans cesse croissante de politiques – qui n’ont plus de culturelles que le nom – laisse présager un avenir sombre. En répétant, par exemple, comme un mantra que le domaine représente un pourcentage élevé et sanctuarisé du
budget, certains élus s’achètent à bon compte une conscience, gouvernant à coups de coups médiatiques et oubliant de rappeler à leurs administrés que la part dédiée à l’investissement culturel et à la création (et non aux frais de fonctionnement, etc.) est faible et, parfois, en régression. Malraux is dead. Faudrait-il répéter des milliers de fois la nécessité de la culture et de sa démocratisation – qui n’est pas massification, ni nivellement – que nous le ferions. Oui, nous acteurs culturels, avons besoin d’être soutenus et souhaitons que dans les politiques menées, à quelque niveau que ce soit, une distinction claire soit opérée entre culture et animation, entre exigence intellectuelle et avatar contemporain du Panem et circenses de la Rome antique. La survie de notre modèle de société est au prix de ce recentrage stratégique. Serons-nous à tout jamais des Cassandre condamnées à voir les murs de Troie s’effondrer avec comme unique satisfaction de dire : « On vous avait prévenus » ? Nous vous souhaitons beaucoup mieux pour 2017. Meilleurs vœux.
OURS / ILS FONT POLY
Emmanuel Dosda
Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une douzaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr
Ours
Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)
Thomas Flagel
Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis six ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr
Sarah Maria Krein
Cette française de cœur qui vient d’outre-Rhin a plus d’un tour dans son sac : traduction, rédaction, corrections… Ajoutons “coaching des troupes en cas de coup de mou” pour compléter la liste des compétences de SMK. sarah.krein@bkn.fr
Anaïs Guillon
Entre clics frénétiques et plaisanteries de baraque à frites, elle illumine le studio graphique de son rire atomique et maquette à la vitesse d’une Renault Captur lancée entre Strasbourg et Bietlenheim. Véridique !
© Alx Illustration www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr
Julien Schick
Il papote archi avec son copain Rudy, cherche des cèpes dans les forêts alsaciennes, se perd dans les sables de Namibie… Mais comment fait-il pour, en plus, diriger la publication de Poly ?
Éric Meyer
Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com
Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Ont participé à ce numéro Fiona Bellime, Geoffroy Krempp, Vincent Muller, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphistes Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Luna Lazzarini / luna.lazzarini@bkn.fr Développement web Alix Enderlin / alix.enderlin@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr
Dimitri Langolf
Notre attaché commercial smashe avec les inserts publicitaires, lobe la concurrence et fonce, le soir venu, pour assister à un concert de rap old school avec ses potes ou faire un apéro / pétanque. Tu tires ou tu trinques ?
Luna Lazzarini
D’origine romaine, elle injecte son “sourire soleil” dans le sombre studio graphique qu’elle illumine… Luna rêve en vert / blanc / rouge et songe souvent à la dolce vita italienne qu’elle voit résumée en un seul film : La Meglio gioventù.
Benoît Linder
Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com
Administration, gestion, abonnements : 03 90 22 93 30 Mélissa Hufschmitt / melissa.hufschmitt@bkn.fr Diffusion : 03 90 22 93 32 Vincent Bourgin / vincent.bourgin@bkn.fr Contacts pub : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Sarah Krein / sarah.krein@bkn.fr Dimitri Langolf / dimitri.langolf@bkn.fr Rudy Chowrimootoo / rudy@bkn.fr Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 e 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : Décembre 2016 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE © Poly 2016. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – www.bkn.fr
Stéphane Louis
Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com Flashez ce code et retrouvez nous sur Poly.fr
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sommaire
18 Emmanuelle Béart, femme de pouvoir chez Stanislas Nordey
22 Fratries, des éclats de paroles présentées durant le festival Momix
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25 La compagnie Roland furieux monte Oh Les beaux jours de Beckett
26 Spectacles innovants et percutants sur Les Scènes du Nord Alsace au festival Décalages
28 Festival Les Vagamondes à La Filature : cap au Sud 30 Éric Lamoureux revient sur deux pièces de jeunesse
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Husaïs & Après-midi
32 Légende vivante du nouveau “Fla.co.men” : Israel Galván 34 La chorégraphe Maguy Marin au Maillon et à Pôle Sud avec Singspiele et Umwelt
38 Le trio strasbourgeois Polaroid3 et sa pop venue du Nord 32
41 Chassol harmonise le réel 44 La Boum, Rabbi Jacob… et Vladimir Cosma 47 Opéra : Maëlle Poésy s’attaque à Orphée et Eurydice de Gluck
51 Le Musée Unterlinden explore les liens existant entre le Retable d’Issenheim et les peintures d’Otto Dix
52 Avec Kandinsky, Marc & Der Blaue Reiter, les “cavaliers bleus” à la Fondation Beyeler
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56 The Age of Anxiety : plongée dans la peinture américaine des années 1930
60 Georges Rousse, un illusionniste à Colmar 66 Rencontre avec Alexandre de Lur Saluces, légende de l’univers du vin
COUVERTURE Cette image est signée Philippe Savoir, notamment auteur de magnifiques portraits : du musicien malien Cheick Tidiane Seck ou de Benjamin Dukhan, mannequin de Gaultier. Le photographe se souvient pour nous du tournage du clip Rivers de Polaroid3 (lire page 38) dont est issue la photo : « J’ai proposé au groupe de poursuivre ce que nous avions amorcé avec le premier clip, You must go on, en poussant un peu plus loin la création d’un univers et de personnages un peu décalés. Je voulais une ambiance très blanche, donc un tournage en extérieur avec de la neige et de la nature, ce qui collait plutôt bien avec le titre retenu. » www.filifox.com
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ÉLÉMENTAIRE… Pour leur troisième opus aux manettes de l’adaptation en BD de Sherlock Holmes publiée par les alsaciennes éditions du Verger, le scénariste Roger Seiter et le dessinateur Giuseppe Manunta, s’attaquent à L’Énigme du Jodhpur. Nous voilà à Port-Saïd en 1892, sur un paquebot en partance pour Bombay, avec à son bord Irène Adler et Sherlock Holmes qui retrouve peu à peu la mémoire après les événements de Retrouvailles à Strasbourg. Une plongée dans le “grand hiatus” qui fascine tant les holmésiens, période de trois ans (1891-1894) entre la “mort” du détective aux chutes du Reichenbach et sa réapparition. (H.L.) Paru au Verger (14,90 €) www.verger-editeur.fr
LIEUX DE
MÉMOIRE
Une découverte des monuments aux morts d’AlsaceMoselle : tel est le propos de Mourir pour la patrie ? (paru dans la collection Les Clefs du Patrimoine du Grand Est). Écrit par Bernadette Schnitzler, Olivier Haegel et Jean-Noël Grandhomme, ce petit livre qui fait le point sur les enjeux mémoriels, décrit avec soin l’iconographie aux résonances souvent religieuses se déployant sur ces édifices. Il analyse aussi les grands thèmes gravés dans la pierre ou le bronze, posant des questions essentielles : comment commémorer le sacrifice pour la patrie alors que la majorité des morts ont combattu pour le camp adverse ? Voilà de quoi découvrir la région sous un angle nouveau. (H.L.)
Paru chez Lieux-Dits (10 €) www.lieuxdits.fr www.grandest.fr
MAGIQUES
IMAGES
Réalisé par Myriam Blanc, ce pavé de plus de 500 pages intitulé Imagerie d’Epinal, L’Encyclopédie illustrée est une somme sur la célèbre entreprise vosgienne fondée en 1796 par Jean-Charles Pellerin… toujours en activité aujourd’hui ! Des planches de toutes les époques ont été rassemblées pour créer un livre unique : histoire, géographie, religion, littérature, sciences naturelles, etc. C’est à la fois à une plongée dans la culture populaire et à un voyage dans le temps auxquels le lecteur est convié. On fonce ! (H.L.) Paru aux éditions du Chêne (29,90 €) www.editionsduchene.fr
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Blue Caps en 1980 (avec J-P Demeusy, à droite)
chroniques
ENFANT
DU ROCK
Fan de Gene Vincent, bassiste et batteur de différentes formations, collaborateur de fanzines punkisants, animateur radio, boss de labels ou de festivals, manager, compilateur… Jean-Paul Demeusy est bien plus qu’un témoin du milieu rock strasbourgeois, il en est une mémoire vivante. Vu par son auteur comme « une machine à remonter le temps », l’ouvrage de Demeusy retrace La Saga du rock à Strasbourg et sa région de 1960 à 2015. Les héros de cette épique épopée ? Ils sont parfois connus, comme le leader des shadowsiens Jets, un certain Hubert Loenhard qui modifiera son nom, juste Pour le plaisir, Cookie Dingler qui cartonna grâce à une mélodie piquée au Passenger d’Iggy Pop, les gars de Raft ou, dans un tout autre style, Kat Onoma. Citons également quelques artistes oubliés (Les Marsouins, Jacques et les Troncs ou… Les Inconnus) ainsi que des lieux mythiques que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître (Le Bandit, le K’Vo de La Gallia, la VDP). Et comme la saga continue, une large place est accordée aux groupes (toujours) actuels : Weepers Circus, Electric Electric, Adam and the Madams ou Lyre le Temps. Bonus : un focus sur le journal que vous tenez entre les mains. (E.D.) Édité par Bastian Éditions (25 €) www.biographe.fr
LIFE ON EARTH LE GRAND NIMP’
Weepers Circus chante n’importe nawak et personne ne réagit ! Pire, il court, il court, le groupe strasbourgeois, s’adressant en toute impunité aux petits qui en redemandent. Il vient de sortir un second livre / CD illustré par Clotilde Perrin, totalement irrespectueux, réalisé avec la complicité d’Anne Sylvestre, de Richard Gotainer ou de Tcheky Karyo, et lâchent les fauves devant des enfants enchantés qu’on ne les prenne pas pour des gosses. Le secret de ce succès auprès du jeune public ? Les Weepers ne perçoivent pas l’exercice comme une compromission, mais l’opportunité de sortir des clous et de s’aventurer en terrain rockrap-potache, sans détour, direct dans ta face. (E.D.)
Sophie Guerrive, qui avait déjà commis aux éditions strasbourgeoises 2024 les aventures de Capitaine Mulet, signe Tulipe, regroupement de courtes fables peuplées de personnages attachants. On y croise des cailloux résignés mais farceurs, le serpent Crocus qui souhaiterait disparaître, Dahlia taupe fêtarde ou encore l’oiseau Violette qui aurait voulu vivre il y a cent ans, quand tout avait plus de style. Ce à quoi l’Ours Tulipe, stoïcien entre tous, rétorque qu’elle devrait se réjouir, « puisque nous vivons aujourd’hui le paradis inaccessible des générations futures » ! Ces histoires aussi drôles que piquantes dépeignent nos petites misères existentiello-dépressives dans un trait aux rondeurs familières, avec un brio qui se double d’un pas de côté revigorant. (T.F.) Paru aux Éditions 2024 (15 €) www.editions2024.com
Édité par Gallimard Jeunesse (24,90 €) www.gallimard-jeunesse.fr En concert : 29/01 à Créhange (57), 24/03 à Colmar, 21/06 à Strasbourg et 01/07 à Sélestat www.weeperscircus.com
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amours chiennes Pour sa nouvelle création au TNS, Stanislas Nordey s’empare du trio amoureux imaginé par Christophe Pellet. Erich von Stroheim met aux prises Emmanuelle Béart, femme d’affaires en pleine ascension, et deux hommes : Laurent Sauvage, acteur porno brûlant sa vie par les deux bouts, et Thomas Gonzalez, truquant la société dont il refuse les artifices. Amours crues, couples à géométrie variable, relations de pouvoir et fuites en avant. Interview en pleine création.
Par Thomas Flagel Photos de Jean-Louis Fernandez
Au Théâtre national de Strasbourg, du 31 janvier au 15 février www.tns.fr Au Théâtre du Rond-Point (Paris), du 25 avril au 21 mai www.theatredurondpoint.fr
Auteur de théâtre, conseiller artistique et pédagogique au TNS, il est aussi en charge de la conception éditoriale de la revue Parages 1
2 Roman (Gallimard, 1978) et film (sorti en 1968) de Pier Paolo Pasolini dans lequel un personnage étrange change la vie des membres d’une famille bourgeoise en entretenant des rapports sexuels avec chacun d’entre eux
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Dans la postface du livre de Christophe Pellet, Frédéric Vossier 1 évoque un monde voué aux « passions tristes ». Y souscrivez-vous ? Nous sommes au milieu des répétitions et notre regard sur la pièce évolue encore énormément. Lorsque nous avons commencé, la place de la sexualité semblait très importante alors qu’aujourd’hui, s’imposent les questions du couple, de l’engagement et du chemin durable du sentiment amoureux dans leurs possibilités ou impossibilités. Je m’interroge sur le “triste” de “passions tristes”. Ces trois personnages sont à un moment charnière de leur vie avec de multiples possibles devant eux, notamment trois formes de couple : Elle et L’Un, Elle et L’Autre, L’Un et L’Autre. Ce chemin, chez chacun d’entre eux, raconte quelque chose de nos chemins à tous. Pellet rend tous les jugements et regards possibles, laisse les choses les plus ouvertes. Il dit de son texte qu’il traite de la complexité des relations. Il convient donc de ne pas chercher à trop les dénouer. L’Un est acteur porno. Pour l’auteur ce n’est qu’un travail comme un autre, à l’instar d’Elle qui est une cheffe d’entreprise en pleine réussite. Seul le troisième personnage, L’Autre – double de l’auteur –, refuse les codes de la société. Il est ainsi voué à la disparition car, pour Pellet, être en dehors de la société condamne à une marge insoutenable, à devenir SDF ou totalement fou. Si ce n’est la passion, la chair semble, tout de même, triste dans ce trio. Le sexe apparaît comme une fuite… La chair n’est pas forcément triste (rires). Je fais très attention à ne pas rendre tout cela trop sinistre. À la tristesse, nous supplantons un côté âpre, violent et radical qui échappe à la dépression et la mélancolie. Avec Emmanuelle Béart, nous évoquons souvent Le Mi-
santhrope car Elle développe un regard sur le monde proche de celui de Molière. L’horreur du couple installé est très forte chez Pellet. Nous essayons d’être acérés dans la question du corps et du sexe qui se joue à un endroit commercial pour l’auteur. En même temps, il est féministe car Elle échappe aux normes, met à distance le corps, retarde le passage à l’acte. Elle a le pouvoir ! À l’inverse, L’Autre est une espèce d’ange tout droit sorti de Théorème2 de Pasolini. Même allant au plus trash, dans la souillure des films X avec L’Un, ce dernier est fasciné par la capacité de L’Autre à rester pur. J’aime la tentative de la pièce de décliner différents rapports au corps pour qu’il réchappe d’un endroit attendu d’accomplissement. À ma première lecture, j’avais rejeté la pièce qui me dérangeait. Mais des mois après j’y suis revenu et le déclic est venu d’Emmanuelle Béart : nous voulions retravailler ensemble mais elle souhaitait quelque chose de dur. Ce huis clos lui a plu pour son côté coupant dans une écriture qui n’est qu’apparemment naturaliste. Pellet n’écrit pas pour qu’on montre des scènes de sexe mais pour les dire. Erich von Stroheim est une pièce sur le langage. Son intérêt se loge dans sa pauvreté à l’endroit du sexe. Comment résolvez-vous les didascalies “Action” qui sont souvent des ellipses de scènes de sexe pur ? Nous ne sommes pas encore décidés. En répétition, nous tentons beaucoup de choses, mettant à l’épreuve du plateau les idées les plus folles. Thomas Gonzalez doit à un moment donné se mettre à quatre pattes et faire une fellation à Laurent Sauvage. Nous avons essayé de le jouer avec sérieux, constatant très rapidement que ça ne fonctionnait pas du tout. Christophe Pellet nous met au défi en créant des espaces pour le metteur en
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scène et les comédiens dont nous devons nous saisir. Ces “Action”en font partie. Elles ne doivent pas être illustratives mais marquer, évoquer, inviter aux frottements des corps. S’il avait voulu que les comédiens fassent l’amour sur scène, il aurait écrit “Les comédiens font l’amour”. En écrivant “Action”, il nous invite à nous en saisir. Cette pièce parle crument de sexe mais aussi du rapport amoureux, de la passion, de son absence. Nous avons dans l’idée de composer comme une partition musicale avec ces didascalies : “Action”, “Silence”, “Un temps”. De toute façon, comme chez Feydeau, l’écriture est diabolique de précision. Il nous faut inventer un rituel. Les rapports de ce trio amoureux sont faits de dépendance : affective, de pouvoir mais aussi d’échappatoires (drogues)… Je suis en effet frappé par la pertinence de Christophe Pellet par rapport au monde d’aujourd’hui. En travaillant, nous pensons tous à des gens que l’on connaît. Il parle avec acuité du monde du travail actuel et des déflagrations des hiérarchies dans notre société. Il est violent d’y trouver sa place pour chacun. Elle est dévorée par son boulot, L’Autre organise sa survie comme il peut. C’est dur mais beau à entendre. Tout ça tient en deux questions : quand se coucher, comme un boxeur, face à la violence de la société pour être tranquille, et comment résister pour rester soi-même ? En cela le parcours de L’Autre qui finit par s’évaporer et disparaître est tragique. Il gardait quelque chose de possible d’un chemin de traverse à travers champ. Elle et L’Un finissent par vouloir se ranger dans un modèle tout à fait classique : un couple avec un enfant. Mais Christophe Pellet écrit aussi qu’un couple = un mort ! L’Autre disparaît mais un nouveau troisième, l’enfant, va le remplacer dans cette impossibilité d’être deux. L’Un en parle déjà comme un « petit soldat », surnom duquel il affublait L’Autre dans l’intimité. L’arrivée de cet enfant sera-t-elle une éclaircie ? Nul ne le sait… Pellet a clairement un regard pessimiste sur le monde et le couple, mais il se double d’une acuité dans ce qui est à l’œuvre : une relation de domination / possession très rare sur l’anatomie du rapport amoureux. La famille et les racines des personnages sont souvent absentes. Leur enfance a d’ailleurs été soit maltraitée
(viol de L’Un par son beau-père), soit épouvantée par la réalité du présent et donc à jamais tue… La cellule familiale est totalement désintégrée. Nous parlons beaucoup aujourd’hui de la réinvention / désintégration – selon le point de vue où l’on se place – du modèle de la famille traditionnelle. Pellet fait l’holocauste de la famille : elle n’est plus possible et il ne peut que l’évacuer de cette histoire parlant de la terreur du couple et de l’engagement de longue durée car la famille serait l’enfer sur terre. D’ailleurs il n’en parle quasiment jamais dans son œuvre, ses personnages sont solitaires, perdus et sans repères. Si l’on était dans un film d’horreur, l’enfant à venir serait un démon prêt à sortir ! Tout s’effondre autour de ces personnages et ils se rattachent à ce qu’ils peuvent car ils n’ont pas de racines. Qu’imaginez-vous comme décor et travail sonore ? Une espèce de chambre, un lieu unique qu’on associe à l’intimité sans qu’il soit totalement réaliste. Il est fermé sur lui-même, sans fenêtre, enclos sur l’extérieur. Même si Elle et L’Un ont une activité sociale très forte, elle est sans ouverture. Le son sera, lui, très important. J’ai envie qu’une rythmique prenne de la place, créant un univers sonore constituant quasiment un quatrième personnage. Un chemin parallèle aux scènes permettant de les rythmer, d’en nourrir les ellipses et les enchaînements.
Christophe Pellet a un regard pessimiste sur le monde et le couple, mais d’une acuité rare dans la relation de domination / possession du rapport amoureux
Et la référence à Erich von Stroheim, comédien légendaire, mystificateur de génie et gueule du cinéma, la retrouverons-nous quelque part ? Il était partout dans nos premières idées de scénographie ! Mais c’est un nouveau piège tendu par Christophe Pellet. Nous avons arrêté les essais de monocle, d’habiller tous les comédiens comme lui dans La Grande illusion de Renoir… Tout cela a disparu car il doit rester une énigme, comme le Rosebud de Citizen Kane, comme une trace les traversant. Après Je suis Fassbinder et Incendies 3 , vous changez encore de registre… Oui et ce n’est pas un hasard, j’ai envie que le public voit un travail totalement autre. De la frontalité avec l’actualité de Je suis Fassbinder au récit épique de la pièce de Wajdi Mouawad, nous passons, avec cette création à un huis clos intimiste et minimaliste autour du récit amoureux…
Lire Je suis Falkbinder et Silence mes anges se réconcilient, respectivement dans Poly n°185 et Poly n°187 ou sur poly.fr
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classe internationale Momix, festival international jeune public, fête sa 26e édition à Kingersheim. Philippe Schlienger, directeur du Créa et programmateur de l’événement, passe en revue ses coups de cœur.
Par Thomas Flagel
Festival Momix, du 26 janvier au 5 février à Kingersheim et alentours www.momix.org En amont du festival, le catalan Roger Bernat questionne la démocratie et les dérives du pouvoir dans Pendiente de voto (dès 12 ans), à L’Espace Tival (Kingersheim), vendredi 20 et samedi 21 janvier www.rogerbernat.info
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Qui sera la Pauline Bureau de cette année, qui avait illuminé le festival 2016 avec Dormir cent ans ? Ah, si seulement nous dénichions tous les ans des jeunes auteures aussi talentueuses ! Dormir cent ans était une superbe découverte au retentissement mérité. Mais nous n’avons pas à rougir cette année, nous accueillons encore de nombreuses créations, dans de nombreux registres (théâtre, marionnettes, cirque, théâtre d’ombres…). Il est difficile d’en dégager un. Toutefois, j’attends énormément de Ces Filles-là (28/01, Kingersheim, dès 14 ans) de la compagnie Ariadne, création au processus très intéressant mêlant artistes et amateurs autour de la liberté des femmes à partir d’un exemple très actuel. J’ai aussi un faible pour John Tammet, des Italiens du Teatro delle Briciole (28/01, Salle Cité Jardin de Kingersheim, dès 9 ans), astucieux solo autour de syndrome d’Asperger, de l’intelligence et de la différence. Enfin, mon coup de cœur du dernier festival d’Avignon : Réparer les vivants (31/01, Relais Culturel de Wissembourg & 03/02, Espace Tival de Kingersheim, dès 14 ans) dans lequel
Emmanuel Nobley, accompagné du bruiteur Joachim Latarjet, adapte le roman de Maylis de Kerangal. Autour du don d’organes, son approche élégante et sobre amène à un questionnement sur l’existence et la fragilité de nos vies. Vous faites un important focus sur les compagnies catalanes. Qu’y découvrirons-nous ? Nous l’avons tricoté avec l’Institut Ramon Llull à Paris. L’identité culturelle et artistique catalane est très forte. Leur esthétique est proche de la nôtre mais avec ce côté festif et créatif du Sud, avec une grande influence du graphisme. La Catalogne n’est pas l’Espagne. Farrés Brothers et Cie présenteront ainsi un spectacle à la scénographie incroyable (Tripula, 05/02, Village des enfants à Kingersheim, dès 6 ans) : le public est invité à l’intérieur du ballon d’une montgolfière ! Ils osent plonger tout entier du côté fantastique et décalé des livres pour enfants.
FESTIVAL
chœur à corps
À grand renfort de fragments de paroles patiemment collectées, Eve Ledig nourrit sa prochaine création autour des Fratries (dès 7 ans). Éclats d’héritages collectifs et faisceaux de trajectoires personnelles prennent corps dans un puissant chœur de quatre femmes. Par Thomas Flagel Photo de Raoul Gilibert
Au Point d’eau (Ostwald), du 12 au 14 janvier À la Salle Europe (Colmar), mardi 24 janvier À la Salle de la Strueth (Kingersheim), vendredi 3 et samedi 4 février dans le cadre du Festival Momix Au TJP (Strasbourg), du 7 au 11 février À La Passerelle (Rixheim), vendredi 3 mars À L’Espace culturel de Vendenheim vendredi 10 mars À La Comédie de Reims, du 5 au 7 avril dans le cadre du Festival Méli’môme À L’Arche de Bethoncourt, jeudi 18 et vendredi 19 mai www.lefilrougetheatre.com
«D
ans la société clanique familiale, il en existe une plus secrète : celle des enfants, des frères et sœurs, qui a ses propres règles », assure Eve Ledig. Fascinée par ce que révèle la fratrie, « une force, un code avec ses lois, ses interdits et ses permissions dont les parents restent interdits et dont ils sont loin de tout savoir », la directrice artistique du Fil rouge théâtre s’empare de paroles recueillies auprès de personnes de 3 à 95 ans pour construire un spectacle rappelant à quel point « tout se joue avant 5 ans. Tout ce que nous vivrons plus âgé a déjà eu lieu dans la petite enfance, période ambivalente : solidarité, envie de meurtre, violence, jalousie, peine, bonheur, plénitude… » La metteuse en scène confie cette matière première à quatre femmes, un chœur en mouvement dont elle agite intensités et émotions, canons et ruptures. Chacune joue enfants, adultes et vieillards, handicapés et jeunes filles, portant leurs paroles comme on enfile un vêtement que l’on chérit, au plus près de soi. « Le théâtre a cette fonction de montrer l’invisible et de dire l’inaudible », rappelle-t-elle. « Nous cherchons à donner
forme, incarner ces paroles par le corps, la musique et le chant. » Dans un espace nu, quatre chaises et un carré blanc où viendra se projeter de la vidéo, se noue la recherche d’un chœur théâtral contemporain : une seule entité organique fonctionnant comme un organisme vivant allant quérir les incarnations de personnages dans un travail de matière, de qualité de présence et d’être au plateau, le tout sur un univers musical composé par Jeff Benigus. Si l’enfance se raconte comme une tentation de se construire sous la domination des géants que sont parents et adultes, Eve Ledig explore la fraternité de son chœur, frères et sœurs étant des « témoins implacables d’une enfance commune, ce que Dolto nommait l’intimité obligée », avec une attention plus particulière pour la “sororité”, fraternité au féminin. Un point de départ à tout un tas de souvenirs lumineux, de paroles intimes dévoilant la complexité des sentiments, des pulsions – la jalousie qu’on éprouve et qui met à l’épreuve, nous mord et nous rend malheureux –, de la construction des êtres et de l’origine de la violence qui nous sont communs à tous. Poly 194
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le casse du siècle Dans Archivolte, le strasbourgeois David Séchaud monte un casse grandeur nature. Une plongée en pleins préparatifs, entre vrai coup dans un musée du Corbusier et hacking de l’esprit de l’architecte. Par Thomas Flagel Photo d’Isabelle Vali / Labo Vertigo
Au TJP (Strasbourg), du 12 au 14 janvier www.tjp-strasbourg.com À L’Atheneum (Dijon), mercredi 8 mars https://atheneum.u-bourgogne.fr Au Théâtre Gérard Philipe (Frouard), samedi 22 et dimanche 23 avril dans le cadre du festival Geo Condé (21-29 avril) www.tgpfrouard.fr www.cie-placementlibre.fr
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moureux des films de casse – notamment Le Pigeon de Mario Monicelli avec Vittorio Gassman et Marcello Mastroianni –, un genre né après-guerre avec ses figures emblématiques, ses losers attachants et ses rebondissements haletants, David Séchaud se prend au jeu. Le scénographe, diplômé des Arts décoratifs de Strasbourg en 2011, planifie un coup aussi fameux que fumeux : pénétrer jusqu’à la salle des coffres du Musée national des Beaux-Arts de l’Occident du Corbusier, à Tokyo. Voilà plus d’un an qu’il planche dessus, élaborant une mise en abîme de l’essence du théâtre qu’il explore « en montant une entreprise ayant pour objectif une chasse au trésor, tout à la fois l’invention d’une histoire dans l’espace qu’un jeu sur la frontière entre le réel et le spectacle ». Le chorégraphe Damien Briançon devient son préparateur physique, l’architecte Olivier Gahinet l’a aidé à penser l’espace et à se fondre dans l’esprit des lieux. Sur scène, David est soutenu dans sa routine – tel un sportif de haut niveau répétant ses gammes, refaisant encore et encore un parcours jusqu’à une maîtrise totale – par son regard extérieur François Lanel, devenu coach mental, et la
régisseuse Maëlle Payonne, assure son backup technique. Tous deux installés derrière des régies, respectivement dans le public et sur le plateau, ils sont ses complices, élaborant des stratégies pour déjouer contretemps et imprévus (au hasard la « présence d’un squatteur, une erreur sur le plan du bâtiment, une souris poursuivie par un chat poursuivi par un chien qui nous voit, un spectateur qui proteste…»), rejouant les étapes d’un chemin semé d’embuches au milieu d’une structure faite de modules plus ou moins souples : des volumes en bois et chambres à air tendues, censés représenter différentes étapes du bâtiment (toit, terrasse, gaine de ventilation, tyrolienne…). Tel un adepte du parkour, il se faufile au milieu de l’espace, utilisé comme des agrès qu’il s’approprie, escalade et manipule grâce à des poulies et des contrepoids. Notre Arsène Lupin, attentif au panache et à la beauté du geste, « aime les accidents, les provoque et tente de les prévoir, sachant pertinemment ne pouvoir tout maîtriser. Il y a toujours de la casse, au sens propre, un certain danger inhérent à ce type d’entreprise, qu’elle soit un cambriolage ou un spectacle. »
THÉÂTRE
rester vivant La compagnie Roland furieux (re)monte Oh Les beaux jours de Beckett, variation absurde, drôle et tragique à la fois, sur l’acte de résistance et la durée de l’amour. Brillant.
Par Hervé Levy Photos d’Agnès Guignard
À l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, du 6 au 14 janvier www.opera.metzmetropole.fr Furieuses soirées (13 & 14/01) pour l’anniversaire de la naissance de Beckett : la représentation est accompagnée d’un concert du sonneur de cornemuse Erwan Keravecon et de Bandes et sarabandes, promenade dans l’œuvre de l'auteur Au Théâtre-Maison d’Elsa (Jarny), mardi 31 janvier www.jarnisy.com À l’Auditorium de la Louvière (Épinal), mardi 21 et mercredi 22 mars www.scenes-vosges.com www.compagnierolandfurieux.fr
L’
envie de reprendre le texte de Beckett, « de remettre ce travail en marche, en pensée et en actes » : voilà comment Laëtitia Pitz, responsable artistique de Roland furieux exprime l’envie de remonter Oh Les beaux jours dont la compagnie s’était déjà emparé en 2010. « Les éléments scénographiques sont les mêmes, mais ils ont vieilli. Ils sont moins resplendissants », complète-t-elle. Demeure l’extraordinaire personnage de Winnie – qu’elle incarne –, une « figure perdue, au milieu de nulle part » pour le metteur en scène Daniel Proia, « mais avec la volonté de résister au désastre de son monde, du monde ? Décidée une fois pour toute ! » Une volonté absolue comme l’exprime Alain Badiou dans Beckett, l’increvable désir en évoquant « l’acharnement des personnages à persévérer dans leur être, à soutenir contre vents et marées un principe de désir, une puissance vitale, que les circonstances semblent à tout instant rendre illégitime ou impossible. » Slalomant dans la dense forêt des didascalies beckettiennes, la
pièce montre « un personnage qui doit apprendre à vivre sans le regard de l’autre, qui s’accroche à sa mémoire, à ses souvenirs, aux bruits qu’il entend dans sa tête, aux choses », résume le metteur en scène. C’est une femme à demi enterrée dont la silhouette a été rendue immortelle par Madeleine Renaud. Elle se trouve ici prise dans un mamelon textile composé de vieilles chemises qui forment comme une immense robe où elle s’enfonce progressivement et inexorablement comme dans des sables mouvants, mais elle « lutte contre l’enlisement », complète Laëtitia Pitz. « Elle s’accroche à la vie avec de toutes petites choses. Elle se débat dans une pièce qui est une ode au vivant, aux forces de survie de l’être humain qui consiste à lancer des mots à l’autre, même s’il ne les entend pas. » C’est ainsi également un « texte sur l’amour et sur sa capacité à durer, à dépasser les frontières temporelles, montrant notre capacité à inventer l’autre pour rester vivant ». Éloge de la durée…
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shake shake shake Les Scènes du Nord Alsace mettent à plat les clichés, démontent rythmes et écritures scéniques avec six spectacles détonants et innovants programmés au festival Décalages. Par Fiona Bellime Photo d’Alice Piemme
Décalages du 12 au 24 janvier aux Scènes du Nord Alsace www.scenes-du-nord.fr Et aussi, dans le cadre du festival, Hamlet en 30 minutes (MAC de Bischwiller, 12/01), La Mate (La Castine, Reichshoffen, 14/01), Don Quixote – Hack and Love (La Saline, Soultz-SousForêts, 20/01) Ork à voir à l’Abbaye de Neumünster (Luxembourg), 24/01, au Local Achtung Le Willerhof (Fislis), 27/01, à la Médiathèque Tomi Ungerer (Vendenheim), 28/01 (11h) et à la MJC Le Vivarium (Villé), 28/01 (20h) Elle(s) à voir au Brassin (Schiltigheim), 21/01
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rois ruptures (Espace Rohan, Saverne, 17/01) se succèdent sous les yeux d’un public placé en véritable voyeur. Isolés dans un vivarium aseptisé à taille humaine, les trois couples incarnés par Johanna Nizard et Pierre-Alain Chapuis équipés de micros HF, se déchirent sous nos regards indiscrets. Une femme quitte son mari parce qu’elle ne supporte plus la présence de sa chienne, Diva. Un homme avoue à son épouse entretenir une relation avec un pompier rencontré à la salle de sport. Enfin, un couple vrille à cause de leur enfant tyrannique qui les terrorise et finit aussi par rompre. Ciselé et piquant, le texte de Rémi de Vos joue avec les rythmes et ses ruptures jusqu’à écouter le silence de « la solitude des corps » devant la séparation. Avec Ork (La Nef, Wissembourg, 21/01), une nouvelle confrontation est de mise : un électrochoc entre deux mondes, celui du rock et de l’instrumental pour Samuel Klein et celui de la musique répétitive pour Olivier Maurel. Les deux musiciens, face à face, sont littéralement câblés, entrelacés par des fils électriques et encerclés par des néons posés au sol. L’electro, le jazz et le rock fusionnent en live
à l’intérieur de cette machinerie sur laquelle les compositeurs se bouclent et interagissent. Tantôt grinçantes, parfois douces, les chansons aux rythmiques puissantes nous percutent dans ce set inattendu. Le rock est aussi essentiel dans Elle(s) (Théâtre de Haguenau, 24/01, en photo), pièce signée Sylvie Landuyt, prix de la meilleure auteure aux récompenses de la critique en Belgique. Elle écrit et met en scène l’histoire d’une petite fille en manque d’une figure maternelle stable, la sienne étant écrasée par la domination masculine. La jeune enfant, interprétée par Jessica Fanhan, comble le vide en s’inventant un monde fait de ses propres mots. Elle s’imagine et joue des femmes, de l’actrice porno à la cadre sup’ et fait tomber les stéréotypes. Burlesque et comique, des chaussures à talons sont servies à table pendant que des gros plans filmés de la mère grimaçante défilent en fond de scène. La guitare électrique de Ruggero Catania accompagne les hystéries et moments de joies de ces deux personnages fantasques et décalés qui ne demandent finalement que d’être aimés en paix !
dieu, temps & destin Trente ans après la création de Mahabharata, son chefd’œuvre, Peter Brook, 90 ans, en signe une version recentrée sur l’essentiel, Battlefield. Par Irina Schrag Photo de Pascal Victor
Au Grand Théâtre (Luxembourg), du 12 au 14 janvier (en anglais surtitré en français) www.theatres.lu À La Comédie de l’Est (Colmar), du 18 au 20 janvier (en anglais surtitré en français) www.comedie-est.com
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n 1985, il lui avait fallu neuf heures pour monter une sélection des 250 000 vers du plus long poème de l’histoire, mythe fondateur de l’Inde et de sa philosophie. Une incroyable épopée cosmique et théâtrale dont la puissance s’est transmise de génération en génération. L’histoire est immuable, une guerre familiale terrible – 10 millions de morts ! – entre les partisans de cinq frères (les Pandavas) menés par Yudishtira et ceux de leurs cousins Kauravas (100 fils du roi aveugle Dritarashtra). Les premiers sortent vainqueurs du carnage et la pièce débute sur les dépouilles encore fumantes du Champ de bataille donnant titre à la pièce. Peter Brook et Marie-Hélène Estienne signent ensemble cette mise en scène épurée et nous convient à penser l’après conflit, l’actualité mondiale actuelle comme un écho direct (Syrie, RDC…). Comment ce vieux roi aveugle, qui a vu périr tous ses fils et alliés, va-t-il faire face à ses responsabilités avec son neveu victorieux ? Le duo soulève la prise de conscience des deux parties : « Celui qui a gagné dit que « la victoire est une défaite » et ceux qui ont perdu reconnaissent qu’ils « auraient pu empêcher cette guerre. » Et de renchérir : « Notre vrai
public », dit Peter Brook, « c’est Obama, Hollande, Poutine et tous les présidents. La question, c’est comment voient-ils leurs adversaires aujourd’hui ? » Spirituel et charnel, épique et poétique, la pièce est un écrin puisé dans la plus belle des légendes, celle qui fait des hommes les fils des Dieux – Yudishtira est le fils de Dharma (la Loi), Karna, ce frère dont il ignorait l’existence mais qui se laissa tuer par lui en connaissance de cause, celui du Dieu soleil –, parfois leurs égaux en puissance, mais toujours le jouet du Destin, tourmentant nos âmes. Avec une douceur et une justesse touchant à la grâce, le sage maître anglais porte une réflexion sur la mort et le sentiment d’immortalité, la destruction et la justice. Car si cette terre ancestrale « a besoin d’un roi calme et juste » – la nôtre aussi, plus que jamais –, « l’anéantissement n’arrive jamais les armes à la main. Il vient sournoisement, sur la pointe des pieds, en te faisant voir le mal dans le bien et le bien dans le mal. » Que ce soient autour des rives du Gange, de l’Euphrate, du Nil blanc, du Dniepr ou du fleuve Congo, il faudra bien trouver en l’humanité de quoi rebâtir sur les ruines fumantes de l’apocalypse… Poly 194
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cap au sud Avec la cinquième édition des Vagamondes, festival des cultures du Sud, La Filature poursuit un temps fort dédié à cette mer du milieu des terres, scrutée et interrogée par des artistes et des chercheurs des trois continents.
Par Irina Schrag
Festival Les Vagamondes, à La Filature (Mulhouse), du 10 au 21 janvier www.lafilature.org Vernissage de l’exposition consacrée à Bruno Boudjelal et inauguration du festival, mardi 10 janvier à 19h, à La Filature
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arce que la Méditerranée est davantage une collection hétérogène de petits pays et de cas particuliers qu’un espace fermé sur lui-même, nous l’aborderons dans toute sa complexité en invitant des chercheurs en sciences humaines et des artistes issus d’Europe, d’Afrique et d’Asie », assure Monica Guillouet-Gélys, directrice de La Filature. À son mélange de théâtre, de danse, de musique et de cinéma, le festival les Vagamondes se voit ainsi complété cette année par un nombre impressionnant de conférence-rencontres avec des géographes, historiens, auteurs et enseignants dont l’excellent Olivier Neveux qui vient de sortir un passionnant essai autour du théâtre de Jean Genet (éditions Ides et Calendes, 10 €). Le dialogue Nord-Sud débute avec Le Quatrième mur, adaptation par Julien Bouffier du roman de Sorj Chalandon (10-11/01, La Filature). Un étudiant, décidé à monter Antigone de Jean
Anouilh dans la capitale libanaise, rencontre une troupe d’acteurs tiraillée entre les conflits religieux et communautaires ravageant le pays des cèdres. Quand les problèmes surgissent, chacun va, à sa manière, faire sienne la figure rebelle et libre d’Antigone pour conter sa propre vérité, sa vision singulière du Liban. Entre approche documentaire et théâtrale, le metteur en scène questionne le rôle et les limites du théâtre face à la barbarie et la violence.
For ever Liban
Leyla Rabih poursuivra ce chemin dans un dialogue avec le dramaturge Jean-Maris Meshaka autour de Gueules d’Automne (11-14/01, La Filature), ses souvenirs du pays dont il a dû fuir la guerre civile. Une française d’origine syrienne ayant grandi en Algérie performant à l’invitation de la scène nationale mulhousienne dans un croisement des regards, des
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identités meurtrières dans un mélange de textes, de musique et de mets remixés en direct. Liban encore et toujours avec Love and Revenge (21/01, Noumatrouff), concert visuel réunissant Rayess Bek, figure du mouvement hip-hop, et l’artiste visuelle Randa Mirza. Ensemble, ils retravaillent les chansons et les films de l’âge d’or de la production audiovisuelle arabe, de 1940 aux années 1990. Un voyage dans ce monde, son libertinage, ses traditions et ses contradictions revisités par le biais de montages vidéos en temps réel sur de la musique electro. La dramaturgie construite par le duo nous entraîne à la recherche de l’assassin d’Asmahan, décédée six ans auparavant. Mehdi Haddab (vrai) joueur de oud électrifié et petit ami d’Asmahan, a été accusé du meurtre, sans qu’aucune preuve évidente n’ait été apportée. Suite au témoignage d’Abdel Wahab, manipulé par son frère Rayess Bek, alors procureur-adjoint de l’Electronic Machine City, Mehdi est condamné à dix jours de résidence de création à la Dynamo de Banlieues Bleues. Tous les personnages seront tour à tour soupçonnés du meurtre d’Asmahan, et tous verront leur vie changée par un personnage mystérieux, surnommé La Mirza qui les manipulera (en images) en temps réel. On apprendra alors que Julien Perraudeau est un agent secret au service d’Arcadi. Il a deux objectifs : d’une part prouver l’innocence de Mehdi grâce à une de ses inventions secrètes (le Multi-Clavier), d’autre part tenter de renouer sa relation sentimentale avec Sabah. Beaucoup d’humour, une touche de nostalgie et d’espoir redonnant vie aux monstres sacrés égyptiens Oum Kalthoum et Abdel Halim Hafez ou encore à leur compatriote, actrice et danseuse, Samaia Gamal.
gorgé d’espoir à l’horizon, lui qui pourtant a vécu au milieu de réfugiés au Burundi, entre misère, chaos et détresse. Du Désir d’horizon (17/01, La Filature) est une ode à ces femmes qui tiennent les familles, portent haut l’amour lorsque les hommes se font violents et sombres. Chaque geste a été puisé dans les corps et postures des réfugiés côtoyés, les regards qui se cherchent, les mains qui s’attrapent… L’exil déployé et décrit avec tant de délicatesse est tout autant géographique qu’intérieur, porté par les mots magnifiques de Nancy Huston dont une comédienne livre, sur scène, l’essai Limbes / Limbo : un hommage à Samuel Beckett.
Légendes 1. Du Désir d’horizon © Laurent Philippe 2. Man anam ke Rostam bovad pahlavan © Alain Scherer 3. Love and Revenge © Celia Bonnin
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Rencontrer l’altérité
Du Proche-Orient il est encore question dans We Love Arabs du chorégraphe israélien Hillel Kogan (12-13/01, Espace Tival, Kingersheim). Choisissant pour partenaire de jeu un danseur arabe, il parvient à mettre en scène – et à déjouer ! – les préjugés se nichant ici dans les clichés chorégraphiques et stéréotypes ethniques. Avec beaucoup d’humour s’effondre la frontière invisible cloisonnant les deux danseurs dans leurs appartenances apparemment imperméables. De la danse contemporaine, encore, avec la dernière création de Salia Sanou, l’un des grands chorégraphes africains. Le Burkinabé, dont on avait pu découvrir Clameur des arènes la saison dernière, revient avec un spectacle
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Après-midi ©Laurent Philippe
born again Co-directeur de VIADANSE à Belfort, Éric Lamoureux revient sur deux pièces de jeunesse, Husaïs & Après-midi, qui firent son succès fulgurant à la fin des années 1980 avec Héla Fattoumi. Transmises à d’autres interprètes, elles sont à découvrir en ce début d’année.
Par Thomas Flagel
Après-midi, jeudi 26 janvier au Théâtre Dijon Bourgogne (dans le cadre du festival Art Danse organisé du 17 janvier au 1er février) & samedi 28 janvier au Granit (Belfort, dans le cadre du festival Frimats organisé du 22 janvier au 3 février) Husaïs, jeudi 26 janvier au Théâtre Dijon Bourgogne (dans le cadre du festival Art Danse organisé du 17 janvier au 1er février) & samedi 28 janvier à VIADANSE (Belfort, dans le cadre du festival Frimats organisé du 22 janvier au 3 février) www.tdb-cdn.com www.art-danse.org www.granit.org www.viadanse.com
* Tiré de son journal Le Poids du monde (Gallimard, 1980)
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Pourquoi transmettre ces deux pièces : parce que vous ne pouviez plus les danser ou par envie de leur donner une seconde jeunesse ? Nous avons encore dansé Husaïs au Kazakhstan au mois de mai dernier, mais notre motivation à les transmettre résidait dans la volonté de partager les enjeux esthétiques, artistiques et de corps les traversant. Leur rapport de tensions et de contrastes, ce jeu avec les limites font que les vieux danseurs que nous sommes avec Héla ne serions peutêtre plus tout à fait capables de les jouer… En les transmettant à de jeunes interprètes, cela nous donne aussi l’occasion de les voir pour la première fois de l’extérieur, ce qui est plutôt rare ! Qu’en avez-vous pensé en les (re)découvrant ainsi ? Ce fut une belle surprise pour nous, elles ont traversé le temps sans dommages. La danse est un art de l’éphémère, dont les traces se réduisent à des notes manuscrites, des cap-
tations d’archives de plus ou moins bonne qualité. Ici, le public peut découvrir notre trajectoire artistique en remontant à ses débuts, se confronter à nos déclencheurs personnels. Bien plus que les gestes, déplacements et détails d’une chorégraphie, une transmission est aussi aller chercher son essence, son origine, son histoire. Quelles ont été les questions des danseurs aux chorégraphes-interprètes que vous êtes ? Nous avons planché ensemble sur nos archives (photos, vidéos) mais aussi les articles de presse de l’époque pour qu’ils se rendent compte de ce que ces pièces ont représenté à l’époque, comment elles ont été accueillies dans le milieu de la danse contemporaine. Nous avons aussi évoqué les déclencheurs qui nous arrimaient : un aphorisme de Peter Handke pour Husaïs, « Il faut que je me déshabitue d’avoir mauvaise conscience lorsque je ne ressens rien »*, et les écrits de Nathalie Sarraute pour Après-midi. Notre confiance
Husaïs, 1992 © Etcheverria
en l’archive vivante que représente la mémoire corporelle fut également déterminante car elle se revivifie de manière stupéfiante lorsqu’on la réactive. Vous évoquez ces moments de vide émotionnel à l’origine de Husaïs, pourtant la pièce est d’une grande douceur, avec beaucoup d’émotions rentrées… Oui, par contraste. Ce duo ne contient qu’un seul contact, furtif, loin, très loin de l’idéal romantique des duos de la fin des années 1980. Nous voulions innover et ne pas nous fondre dans une mode passagère. Ce sont deux solitudes, deux genres indéterminés habillés de la même manière. Un grand minimalisme, une déflagration suivie d’une fusion totale de leurs deux danses pour ne former plus qu’un corps commun. J’entrais alors quasiment dans la danse alors que je me destinais à une carrière de footballeur professionnel. Mon corps était plus performant que poétique, à l’inverse d’Héla qui avait plus de bagage chorégraphique. Vous y dansez quasiment à l’horizontale, avec des chutes au sol et des explosions dynamiques pour vous en extirper avec énergie. Un motif que l’on retrouve aussi quelques années après dans Aprèsmidi. C’était nouveau alors ? Oui, car le hip-hop n’avait pas encore explosé et cette esthétique marquait les esprits au point que certains y virent une “signature” Fattoumi-Lamoureux dans laquelle nous n’avions pas du tout envie d’enfermer nos chorégraphies. Dès notre quatrième pièce, nous avons donc opéré un changement radical. Autre point commun de ces deux pièces, leur ouverture sur des moments contemplatifs et des mouve-
ments fins, ralentis, sur fond de musique classique puissante créant une grande attention chez le spectateur… C’est ce que nous voulions en choisissant le Peer Gynt de Grieg pour Husaïs et Rachmaninov pour Après-midi. Une musique plutôt chargée et profonde mise en parallèle d’un minimalisme des corps laissant une grande place au spectateur à une époque où les questionnements sur l’horizon d’attente du public n’étaient pas aussi répandus qu’aujourd’hui. Qu’aviez-vous de primordial à confier aux danseurs qui reprenaient vos rôles ? Ces deux pièces sont liées à notre histoire intime. Depuis 25 ans nous co-signons des pièces et cela continue. Nous avons aussi évoqué notre intérêt pour les blocs d’humanité que nous constituons, pour la puissance de la diversité des danseurs qui nous ont accompagnés tout au long de notre carrière. Nous n’avons jamais recherché de clones, encore moins pour ces transmissions. Il faut certes des qualités physiques, mais surtout une capacité à switcher de la délicatesse à l’énergie totale de la fulgurance, de passer d’un climat à un autre dans une rupture abrupte. Qu’avez-vous découvert de vos pièces jouées par d’autres ? Ils ont trouvé des entrelacs d’imaginaires, comme nous à l’époque. Il est touchant de les voir se les approprier dans une extrême intensité et un inconfort total car ces pièces ne laissent jamais leurs interprètes tranquilles. Elles demandent une virtuosité en creux, un jeu émotionnel délicat lorsque le corps est sans cesse en alerte. Nous avons redécouvert cette intranquillité humaine qui nous était chère, nous qui dévorions Fernando Pessoa…
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DANSE
loco flamenco Légende vivante du nouveau flamenco, Israel Galván signe avec Fla.co.men un spectacle-emblème où la danse se fait souffle et cri.
Par Thomas Flagel À gauche photo d’Hugo Gumiel, à droite photo de Javier del Real / Teatro Real, Madrid
À la MALS (Sochaux), mardi 24 janvier www.mascenenationale.com
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ans son costume de scène immuable, tout de noir vêtu, le Sévillan poursuit sa réinvention du flamenco. À 43 ans, Israel Galván n’a rien perdu de sa superbe. Avec ses allures de toréador fier à la cambrure dorsale majestueuse, il déploie savamment ses spirales inspirées, cadencées par des claquements de doigts. Les estocades de ses talons martelant le sol d’une rythmique puisée dans plusieurs siècles de tradition flamenca sonnent comme un talisman secret. Il convoque ici cet art total né chez les Gitans andalous qui séduit tant dans son rapport physique à l’espace – ses bras en arc de cercle défiant le vide l’animent d’une vie invisible –, que dans son aspect terrien qui nous ferait presque voir de la poussière sortir du plateau. Mêlant l’élégance et la grâce, le danseur réunit puristes et grand public avec ses gestuelles obsédantes, saccadées et pourtant fluides, maîtrisant cette incroyable synthèse entre l’âge d’or du genre, son épure moderne et la grande liberté de la danse contemporaine. À l’instar de son ainé Andrés Marín, Israel Galván dédie sa vie à une recherche d’authenticité et de perfection en dépouillant le flamenco de sa “grammaire”, des fauxsemblants dont elle s’est entachée au fil des
années. Après l’engagé Le Réel / Lo Real / The Real où, accompagné de treize musiciens, chanteurs et deux danseuses, il évoquait le génocide des Gitans par les Nazis, le chorégraphe secoue une nouvelle fois les bases de son Art dans Fla.co.men, recherche du son passant par le corps. En quête de vibrations, il la joue flaco (maigre en espagnol) mais pas solo, lo-fi avec un seul pupitre et une chaise pour accessoires, accompagné par des musiciens et chanteurs hors pair avec lesquels se noue une relation d’écoute fusionnelle. Danseur star, il sait se faire showman, jouant avec son public de ses effets et d’un humour étudié l’amenant à se moquer de lui-même et de son flamenco new-style et freestyle façon « tortillas ». Rien de plus simple quand on a cette classe naturelle d’un corps entièrement habité par la rythmique du mouvement et du son, une dextérité aussi effarante que son aisance rendant simples et naturels chaque claquement de doigt, frappe dans ses mains, tape sur son corps ou pas sur le plateau sonorisé. Galván emplit l’espace qu’il fend, bouscule l’air qu’il remplit de vie et d’histoires avec sa jam session latino façon gipsy se terminant en concert performatif endiablé, et toujours inspiré.
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l’homme cent visages Solo de Maguy Marin composé pour son fils David Mambouch, Singspiele fait un éloge de l’infime où l’intime du geste donne vie à des visages de papier. Une dose de douceur dans un monde de brutes dont la chorégraphe dépièce l’(in)humanité, balayée par les vents de Umwelt.
Par Thomas Flagel Photos de Stéphane Rouaud et Hervé Deroo
Umwelt, au Maillon-Wacken (Strasbourg, en co-réalisation avec Pôle Sud), du 17 au 19 janvier www.maillon.eu Singspiele, à Pôle Sud (Strasbourg, en co-réalisation avec Le Maillon), jeudi 19 et vendredi 20 janvier www.pole-sud.fr
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u commencement il y a un corps. Un comédien en slip blanc dont la tête est cachée derrière un calepin dont il égrène les feuilles imprimées de portraits en gros plan, comme autant de Figures de Jules Supervielle : « Je bats comme des cartes / Malgré moi des visages, / Et, tous, ils me sont chers. / Parfois l’un tombe à terre / Et j’ai beau le chercher / La carte a disparu. » David Mambouch erre en un long plan-séquence dans un couloir, face au public. Trois assises cubiques surplombées de patères où l’attendent chemises, vestes et accessoires lui
permettant d’instiller vie à la succession de visages qu’il arbore. Ces “masques” figés, mélange de personnalités (BHL, Pujadas, Churchill…) et d’inconnu(e)s mais aussi d’expressions diverses (rire, étonnement, froideur, gueule cassée…), focalisent notre attention sur l’incarnation corporelle de l’interprète, la finesse de ses mouvements, contenus et ralentis, épurés et soignés : la cambrure du buste, les mains qui se croisent, un tremblement imperceptible en s’asseyant… L’échantillon des expressions et des regards, tantôt fuyant d’un côté, tantôt plongeant en nous
frontalement, entraîne à lui seul un début d’atmosphère que ne se prive pas d’attiser l’interprète de ce théâtre muet pour mille et un personnages puisant aussi bien dans les attitudes du cinéma muet que vers le butō ou le théâtre nô. Dans une lumière criarde, ce travelling immobile d’une heure donne vie à des histoires qui s’ébauchent dans l’instant, tissées dans l’infime d’un bouton qui se ferme, d’une cravate qui se noue ou de talons qui s’enfilent avant que ne se croisent des jambes dont on oublie la pilosité. Non content de s’effacer génialement derrière ces visages (le sien revient deux fois, en clin d’œil), David Mambouch – qui mord une tirette pour tenir le dispositif en bouche – joue “petit”. Son corps s’oublie au profit d’un sentiment chaque fois renouvelé d’hypnotisme et d’attention au détail captivant tout notre être.
Épuiser les possibles
En contrepoint à Singspiele est présentée dans le même temps Umwelt de la même Maguy Marin. Une pièce de 2004 re-créée en 2013 sans rien perdre de sa superbe. Neuf danseurs errent au milieu d’une scène toute en largeur, cisaillées de sept ouvertures sur
un fond de miroirs que d’énormes souffleries font vaciller et tanguer. S’y jouent, dans un jeu d’apparitions fugaces et impromptues des bribes de vie : les personnages s’agrippent par le colback, se déshabillent et s’enlacent, se braquent avec un flingue ou s’essuient comme s’ils sortaient de la douche dans un jeu de canon, d’écho et de répétition rythmé. La chorégraphe tisse des haïkus de réalités par touches savamment agencées, déployant toute une gamme de violences, de désirs et de quotidien sautant au visage comme un miroir de nos petites solitudes modernes au milieu de ces grandes postures qui nous font nous sentir vivants et appartenir à une société dont le ciment ne serait que vacuité et légèreté de l’être frisant avec l’inconscience. En témoigne la lente dérive vers l’accumulation et le rejet de déchets, plus ou moins volumineux (briques, parpaings, livres, poupon de chiffon, arbres en pots…) finissant par joncher l’avant-scène. Une frénésie au son entêtant et strident d’une musique aussi immuable que l’action humaine peut se faire destructrice.
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MARIONNETTES
cousu main Julie Canadas et ses marionnettes de tissu nous racontent Cœur cousu (dès 8 ans) un conte de Carole Martinez où toute une génération de femmes au cœur bien accroché fait face à sa destinée.
Par Fiona Bellime Photo de Gauthier Havet
À l’Espace Culturel SaintGrégoire (Munster), mardi 10 janvier Au Relais culturel Pierre Schielé (Thann), jeudi 12 janvier Au Préo (Oberhausbergen), samedi 14 janvier Aux Tanzmatten (Sélestat), dimanche 15 et lundi 16 janvier Au Brassin (Schiltigheim), mercredi 18 janvier À l’Espace Rhénan (Kembs), vendredi 20 janvier À La Nef (Wissembourg), mardi 24 janvier À La MAC (Bischwiller), jeudi 26 janvier www.culture-alsace.org
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Qu’est-ce qui vous a touchée dans l’écriture de Carole Martinez ? J’ai de suite été conquise par sa plume poétique et enivrante. Elle nous plonge dans l’univers du surréalisme magique de l’Amérique latine. À la simple lecture du livre, je suis parvenue à sentir l’odeur des terres brûlées, à savourer le goût des olives et à imaginer les paysages. Étant moi-même petite fille d’immigrés espagnols, je suis très sensible à la saveur qu’elle nous transmet dans ses descriptions. D’une formation de comédienne, vous décidez de vous lancer dans la manipulation d’objets avec ce spectacle… Lorsque j’ai découvert le travail d’Alexandra Basquin, créatrice de marionnettes textile, cela s’est imposé à moi naturellement et je lui ai proposé de fabriquer et de concevoir celles de Cœur cousu. C’est un art très technique, l’engagement du corps n’est pas le même qu’en tant que comédien. Là, il est à bout de doigts, comme si la marionnette devenait une extension de lui-même. Cœur cousu se devait d’être un spectacle d’objets. Immergé dans cette pièce magique et réaliste à la fois, les marionnettes nous transportent vers l’impossible, comme s’envoler en plein état de transe…
En quoi la transmission et l’héritage sont-ils fondamentaux dans cette pièce ? Effectivement, il en est question dans toute cette histoire. Une boîte mystérieuse passe de mère en fille le jour où elles “deviennent des femmes”. Frasquita se la voit remettre et doit patienter neuf mois avant de l’ouvrir. Le récit de ces femmes unies pour le meilleur et pour le pire pourrait être notre destinée à nous tous. Comment transmettre mais aussi comment transformer ce que l’on nous a transmis ? Comment peut-on métamorphoser un fardeau familial en un véritable don ? La couture est le fil rouge du destin de ces femmes… “Filer”, “faire des points” : dans tout le roman, le champ lexical de la couture est exploité et fait écho à la vie. Frasquita recoudra par exemple l’âme d’un homme… L’histoire se déroule dans l’atelier de couture de sa mère, et la scénographie s’en inspire : tous les objets fabriqués et utilisés y sont reliés. Et bien sûr, les marionnettes sont brodées par les précieuses mains d’Alexandra Basquin.
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© Simon Gosselin
© Jef Rabillon
sélection scènes
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Vu du pont
Il n’est pas encore minuit
Animal
Un metteur en scène culte, Ivo van Hove, des acteurs d’exception – dont Charles Berling – pour une pièce d’Arthur Miller.
La Compagnie XY défend l’idée que l’acrobatie est une œuvre collective qui porte sa propre poésie. Autant dire que ça vole dans tous les sens ! Du cirque pour le jeune public (dès 6 ans).
La compagnie strasbourgeoise Flash Marionnettes propose un spectacle peuplé de bestioles en latex plus vraies que nature qui dépeint la condition humaine avec humour et engagement (dès 7 ans).
04/01-04/02, Odéon Théâtre de l’Europe (Paris) www.theatre-odeon.eu 27-29/04, Grand Théâtre de Luxembourg www.theatres.lu
Le Rouge et le Noir
Le Temps et la Chambre Si vous avez manqué la pièce au TNS (voir Poly n°192 ou sur www.poly.fr). 06/01-03/02, La Colline (Paris) www.colline.fr
Tableau d’une exécution
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Claudia Stavisky monte Howard Barker : en 1571, le Doge de Venise commande à Galactia un tableau représentant la bataille de Lépante. Elle va peindre la vérité de la guerre. Ce qui ne plaira guère… 10-13/01, Théâtre de la Manufacture (Nancy) www.theatre-manufacture.fr
Lorenzaccio Pour la metteuse en scène Catherine Marnas, ce classique fait entendre de multiples échos avec la société contemporaine : jeunesse déçue ou désabusée, crise économique, monde politique vulgaire et cynique… 11 & 12/01, Théâtre (Thionville) www.nest-theatre.fr
11-14/01, Chapiteau du Cirque Plume (Besançon) www.scenenationaledebesancon.fr
Un des derniers maîtres du grand ballet néo-classique, Uwe Scholz, réalise une adaptation dansée du roman de Stendhal sur une musique de Berlioz. 11-15/01, Opéra (Strasbourg) 21 & 22/01, Théâtre municipal (Colmar) 28-31/01, La Filature (Mulhouse) www.operanationaldurhin.eu
17/01, La Passerelle (Florange) www.passerelle-florange.fr
Roméo et Juliette
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Dans le cadre du festival huninguois Compli’Cité (20-29/01), Hervé Maigret réinterprète un mythe chorégraphique sur une musique de Prokofiev et pose les questions du temps et de la mort. 21/01, La Coupole (Saint-Louis) www.lacoupole.fr
Play Loud Ça ira (1) : Fin de Louis « Faire surgir du vivant sous les images figées » : voilà le programme de Joël Pommerat avec une pièce entraînant le spectateur dans les premières années de la Révolution française. 13-21/01, La Comédie (Reims) www.lacomediedereims.fr
Le texte de Falk Richter balance des fragments de vie qui composent quelque chose qui peut s’appeler le couple. 24-27/01, Théâtre de la Manufacture (Nancy) www.theatre-manufacture.fr
The Roots Gauche Busters La Cuvée 2017 de la Revue scoute brocarde avec talent la vie politique alsacienne… mais pas que ! 14/01-20/02 & 08-29/03, Salle des Fêtes (Schiltigheim) puis en tournée www.larevuescoute.fr
Dans cette chorégraphie, Kader Attou revisite ses expériences de la danse, du hip-hop lyonnais de son enfance au kathak découvert en Inde, mais aussi du cirque et de la boxe. 31/01, Le Carreau (Forbach) www.carreau-forbach.com Poly 194
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TRIP-POP
mystic rivers Le trio strasbourgeois, Polaroid3 n’a pas froid aux yeux. Il nous convie à une passionnante virée dans un pays nordique imaginaire et enneigé, où zigzaguent des rivières (sans retour) prises dans la glace.
Par Emmanuel Dosda Photos de Philippe Savoir
Release Party de Rivers, au Camionneur (Strasbourg), mercredi 22 février www.au-camionneur.fr Liquid landscapes (Polaroid3 & AV Exiters), aux Dominicains (Guebwiller), vendredi 31 mars www.les-dominicains.com
Rivers, édité le Label OH! / Bloody Mary Records (sortie vendredi 17 février) www.polaroid3.com
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usique givrée pour nature en hibernation. Rivière gelée où glisse la voix éclatante de Christine Clément. Beats métronomiques obsédants faisant l’effet de stalactites tombant des pins et s’écrasant en cadence sur le sol. Notes de Fender Rhodes et synthés de Christophe Imbs résonnant dans une forêt immaculée. Parties de cache-cache entre les conifères. Frappes sur la batterie de Francesco Rees perçant dans la brume. Paysages islandais évoquant Björk, soul moderne de Massive Attack, sonorités hypnotiques façon BEAK> ou Neu! La vidéo de Rivers, morceau titre du nouvel album de Polaroid3, est à l’image d’un disque « inspiré par les grands espaces », selon Christine, « les éléments naturels ». Dans le clip, tout comme sur la pochette de Rivers – faisant songer aux clichés de Charles Fréger et à sa série Wilder Mann –, le trio apparaît grimé : les deux musiciens en êtres hybrides, mi-hommes mi-bêtes sauvages, et la chanteuse en dame des neiges, vêtue d’un épais manteau de fourrure. Philippe Savoir, photographe parisien, se souvient pour nous de la réalisation du clip Rivers et des photos issues de ce tournage. Il nous raconte : « Nous avons choisi de tourner près de Strasbourg, au Lac Blanc, dans les Vosges, avec une équipe réduite. Il a beaucoup neigé la veille de notre arrivée : une grande chance, mais c’était aussi assez éprouvant pour le groupe qui a dû crapahuter dans la neige durant deux jours par un froid si glacial que même caméras et appareils photo commençaient à sérieusement bugger. Pourtant, au milieu
du tournage, un petit miracle s’est produit quand un rayon de soleil a finalement percé le brouillard très épais qui refusait de se lever. »
Tomber des cordes
Inspirée par la littérature, la chanteuse livre des visions impressionnistes de paysages via textes personnels et vers empruntés à Emily Dickinson. Sur son premier enregistrement, le maxi Rebirth of Joy, Polaroid3 était enfermé dans un étrange monde labyrinthique, claustrophobique, quasi cauchemardesque où Christine incarnait « un personnage fantastique, le double [d’elle]-même ». Rivers est davantage glacé que glaçant. Plus lumineux, ouvert aux quatre vents. L’écriture, entre haïkus poétiques et collages surréalistes, est incisive. La musique, cinématique, évocatrice, plonge l’auditeur dans une ambiance éblouissante, aveuglante, un univers envahi de flocons cristallins, autant de particules virevoltant et empêchant de percevoir ses contours. On évolue à tâtons à travers les neuf titres de Rivers, millefeuilles de couches sonores, superpositions de strates instrumentales et vocales, enregistrées, travaillées et retravaillées. Un trio de cordes permet de faire souffler des rafales lyriques sur l’album. Violon, alto et violoncelle insufflent des envolées tourbillonnantes et fascinantes.
Living on video
La suite ? L’album n’est pas encore sorti (il faudra attendre le 17 février) que le trio envisage déjà de mettre en boîte la musique Poly 194
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TRIP-POP
du projet Liquid Landscapes, répertoire plus électronique, morceaux « au format moins classique dans leur développement, avec des effets de distorsion », décrit Christophe Imbs, derrière ses claviers. Il s’agit d’un concert de vidéo-mapping auquel certains ont pu assister début décembre 2016 au Point d’eau d’Ostwald. Polaroid3 se trouvait immergé dans un univers numérique conçu par Josse-
l’oh! à la bouche Christine Clément, Christophe Imbs et Francesco Rees sont le « canal historique » du Collectif OH! qui, avec ses sorties de disques, son festival ou autres rencontres, défend les « musiques créatives d’aujourd’hui » et rassemble différentes formations où s’entrecroisent les membres. Il y a Polaroid3, groupe phare du crew, mais aussi ChiP (Imbs et Rees, impro electro-jazz), Elektrisch (Imbs, electro en solo), La Strizza (Uibo, Posty et Rees, “post-jazz océanique”, sortie du disque en février). La dizaine d’artistes des différents projets se re-
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lin Fouché d’AV Exiters et le public projeté dans un environnement musical déconcertant, des paysages soniques liquides entre ombres (chinoises) et lumière (noire). Sur le devant de la scène, une Christine Clément « à fleur de peau » selon ses camarades, habitée, conviant l’auditoire à une expérience mouvante d’Art total où rien ne se perd, tout se transforme.
trouve au sein du supergroupe le Grand Ensemble OH!, labo d’exploration de nouveaux territoires jazz, de musiques « qui n’entrent pas dans les canevas habituels ». Christophe Imbs : « Pour nous, le jazz ça n’est pas Charlie Parker, c’est ce que nous faisons aujourd’hui. » Soirée OH! à la PopArtiserie (Strasbourg), vendredi 17 février www.lapopartiserie.com Carte blanche de Jazzdor au Grand Ensemble OH!, au Centre Socioculturel du Fossé des Treize (Strasbourg), samedi 18 mars www.jazzdor.com www.collectifoh.com
Image extraite du film Big Sun de Marie-France Barrier
rendez-vous en terre inconnue Chassol est un musicien touche-à-tout, connu pour ses projets “d’harmonisation du réel” : il parcourt le monde captant images et sons, tel un documentariste, pour créer des symphonies audiovisuelles chassoliennes nommées “Ultrascores”. Rencontre avant son concert à La Rodia.
Par Emmanuel Dosda
À La Rodia (Besançon), vendredi 27 janvier (projection de Big Sun avec Chassol aux claviers et son batteur Mathieu Edouard) www.larodia.com Concert dans le cadre de la saison numérique du Département du Doubs (performances, danse, installations, théâtre…), jusqu’au 5 février www.saisonscap25.fr
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et expérimentateur « déteste la variét’ et les chansons d’amour », mais vénère Ennio Morricone ou John Williams et collabore avec des sommités telles Frank Ocean, Sophie Calle ou Xavier Veilhan. Christophe Chassol a par ailleurs composé la bande-son de spots publicitaires pour du camembert ou McDo ou encore créé des arrangements pour la comédie musicale Les Dix commandements. Faut bien gagner sa croûte… « Je suis fils d’un conducteur de bus et d’une employée à la Sécurité sociale.
J’ai grandi en musicien-artisan qui ne refuse jamais un boulot. J’ai signé sur un label très tardivement, à 35 ans, c’est tard pour sortir des disques par rapport au milieu de la pop. » Chassol se définit comme « un geek », travaillant sur « quelque chose de très spécifique », un laborantin passionné de musique(s), de flux, de tons, d’harmonies qui s’élèvent, de chemins sinueux dessinés par les mélodies, de sons qu’il vole au réel, triture, met en boucle. Compagnon de route de Sébastien Tellier, Keren Ann ou Phoenix, Poly 194
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© Laurent Bochet
Big Sun édité par Tricatel www.tricatel.com www.chassol.fr
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auteur de BO de films, de séries (Clara Sheller) et de documentaires (Touche française), il a samplé Obama et ferait une doublure parfaite de Basquiat pour un éventuel remake de Downtown 81. Fou du minimalisme de Steve Reich, Chassol est également fan de Cure qu’il s’apprête à reprendre en compagnie d’Ala.ni. Sur le label Tricatel, Christophe a sorti un triptyque d’Ultrascores : des créations musicalo-visuelles réalisées à partir d’images et de leur son, sur lesquels viennent se poser ses notes de piano. Le globetrotter est ainsi l’auteur du fanfaronnant Nola Chérie réalisé à partir de captations faites à la Nouvelle-Orléans, d’Indiamore, album enregistré en Inde, avec tablas et tanpuras, notes pianistiques et autres loops, et enfin de Big Sun, résultant d’un trip ensoleillé et inspiré en Martinique, île qu’il connaît très bien, ses parents en étant originaires. Le prochain Ultrascore ? Il résultera d’une immersion… dans le 9.3. « Inutile d’aller à Pétaouchnok : il suffit parfois de descendre en bas de chez soi pour trouver de
l’exotisme. Le thème sera celui du “jeu” : je filmerai dans les cours de récré ou les PMU. » Entretien avec un joueur. L’originalité de votre démarche fait qu’on vous pose beaucoup de questions techniques, alors qu’on n’interroge pas un guitariste sur son jeu ou un batteur sur la marque de ses baguettes. Ça vous ennuie ? Pas du tout, au contraire ! J’ai fait beaucoup de métiers liés à la musique, notamment prof en collège, et je trouve que la pédagogie est très importante. Plus on comprend, mieux on apprécie : tout dans la vie gagne à être analysé. Je n’ai pas de vision romantique de l’Art… « Prendre les sons monophoniques et les rendre verticaux. » C’est ainsi que vous décrivez votre travail personnel… Dans une mélodie monophonique, il n’y a pas plusieurs notes jouées en même temps. Une flûte, par exemple, est un instrument
MUSIQUE
monophonique. En général, je prends une mélodie et, comme je suis fasciné par l’harmonie, j’apporte de la verticalité, en empilant des sons. J’enregistre des gens qui parlent ou des instrumentistes et je mets des accords en-dessous. Vous dites en-dessous ? Oui, car il faut que la mélodie soit tout en haut pour qu’elle se dégage. Dans vos Ultrascores, musique et image sont inextricablement liées : à quel moment décidez-vous de les sortir en disque audio, c’est à dire séparés des images ? Très tôt car j’adore écouter de la musique de film, éloignée du format couplet / refrain. Les BO deviennent la bande-son de ta vie. J’aime beaucoup Jerry Goldsmith qui a composé la musique de La Planète des singes : je l’écoute depuis que je suis ado. C’est un sommet pour moi. Pour vous, harmoniser le réel ne signifie pas embellir la réalité… Embellir, c’est masquer. Je ne cherche pas à créer des cache-misères, mais à voir et entendre ce que j’appréhende du réel. Chacun voit les sons de manière différente, c’est comme les couleurs. Je veux partager ma subjectivité. Vous utilisez beaucoup les boucles, la répétition… Elle est partout : on trouve un refus de la répétition uniquement dans la musique contemporaine. Je donne ainsi à voir et entendre différemment la même chose.
riez-vous faire de même avec Trump et Poutine ? Non, ça ne m’intéresse vraiment pas. Je n’ai pas envie d’avoir ces mecs dans mon disque dur ! Vous vous attachez à la musicalité des voix, à la diction ? En 2010, à Hanoï, j’ai fait la musique de la chorégraphie d’un défilé de mode et j’avais interviewé des créateurs de là-bas : le vietnamien, avec des intervalles très serrées, n’est absolument pas chantant, contrairement au portugais, par exemple. J’ai cependant trouvé cette langue très intéressante. Êtes-vous l’inventeur de l’Ultrascore ? Je ne sais pas, j’harmonise des voix, en suivant l’exemple de Steve Reich ou d’Hermeto Pascoal, mais en utilisant la vidéo. En cherchant un peu, tu trouves toujours des personnes qui ont expérimenté ces choses-là avant toi, il y a des décennies, comme Jim Hanson, créateur du Muppet Show, qui faisait des films dingues de synchronisation. Je creuse mon sillon, avec les moyens de montage de mon temps…
Trump et Poutine ? Je n’ai pas envie d’avoir ces mecs dans mon disque dur !
J’ai inventé l’Urbanscore pour vous : il s’agirait d’harmoniser la rue en live, en installant votre piano directement sur un trottoir. Tenté ? En fait, non… Je fais un travail très minutieux et j’ai besoin de prendre mon temps. Je détermine chaque note et dois trouver la bonne hauteur de son : c’est beaucoup trop analytique pour pouvoir le faire en direct.
Tout est matière sonore dans notre environnement. Comment faire le tri ? Mon oreille doit être éduquée pour ça car je reconnais tout de suite si quelque chose se dégage d’un son. Muni de mon micro, je reste toujours aux aguets, mais je ne suis pas un chasseur de sons, sauf lorsqu’on fait un film où je vais les chercher, tel un documentariste. Actuellement, je travaille sur un doc pour la fondation Courrèges et utilise la voix du couturier. En parallèle, je suis sur la BO d’une comédie d’Yvan Attal avec Daniel Auteuil, Le Brio : il s’agit d’une musique “classique”, sans sonorités concrètes. Vous avez harmonisé des discours de Taubira, Deleuze et d’Obama : pour-
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l’as des as La Boum, L’Aile ou la cuisse, Le Grand Blond, La Chèvre ou encore Rabbi Jacob : le chef d’orchestre et compositeur Vladimir Cosma est associé à l’âge d’or de la comédie française. Lorsqu’il s’agit d’évoquer 50 ans de métier, il ne fait pas dans la gaudriole. Nous l’avons rencontré à Strasbourg.
Par Emmanuel Dosda Photo de Benoît Linder pour Poly
Sortie du coffret Inédits & raretés (85,99 €), édité par Larghetto Music www.larghettomusic.com BO de Petit déjeuner compris / Pourquoi pas nous ? / Billet doux (3 CD, 16,20 €), édité par Music Box Records www.musicbox-records.com Vladimir Cosma a annulé ses concerts dans l’Est, mais il est possible de le voir à GrandSaconnex (Suisse, Geneva Arena, 09/02), Lyon (Auditorium Lumière, 10/02) ou à Lille (Zénith, 14/02)
Il y a deux jours, j’ai entendu quelqu’un siffloter la musique des Compères dans la rue… [Il siffle] C’est ma plus grande satisfaction ! La première fois que j’ai eu cette sensation formidable, c’était après avoir composé la musique du Grand Blond avec une chaussure noire (1972). J’habitais au cinquième étage d’un appartement parisien et je me suis mis sur mon balcon pour observer des ouvriers sur le toit de l’immeuble d’en face : ils sifflaient la musique du film. Ça m’est souvent arrivé par la suite, comme cette fois où, en bas de l’Hôtel Danieli à Venise, une fanfare jouait la musique de La Boum. Le hasard ! C’est vraiment réjouissant car on ne fait pas de musique pour son propre plaisir : c’est un art du partage. Vous cherchiez volontairement à composer des “tubes” à fredonner sous la douche 40 ans après leur sortie ? Ma conception de la musique de film est différente de celle de mes confrères : c’est une
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musique à part entière. Dans un film, on peut avoir du jazz comme j’en ai fait en compagnie de Chet Baker (sur Diva), des chansons comme Reality dans La Boum (interprétée par Richard Sanderson) ou L’Amour en héritage (morceau de la série du même titre chanté par Nana Mouskouri), de la musique symphonique comme sur La septième cible avec Lino Ventura où il y a un concerto pour violon et orchestre… Il s’agit de pièces qui accompagnent des films mais peuvent être jouées indépendamment des images. Je ne fais pas de musique descriptive, contrairement à d’autres qui considèrent qu’une bonne BO ne doit pas s’entendre et se fondre. Ça vous gène d’être essentiellement associé à la comédie française des années 1970 / 80 ? C’est un genre qui a touché énormément de gens et que je respecte. Le Grand Blond m’a ouvert les portes de la comédie et conduit à travailler avec Gérard Oury ou Francis Veber,
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mais je ne cherchais pas spécialement à composer pour ce type de cinéma : la comédie est ce qu’il y a de plus difficile à exprimer en musique. C’est plus aisé d’accompagner des scènes lyriques, romantiques ou d’angoisse. J’ai eu une opportunité extraordinaire de pouvoir écrire pour ces films qui sont vus d’une manière différente aujourd’hui. Contrairement à d’autres de la même époque, ceux avec De Funès ont plutôt bien vieilli… Votre carrière a été lancée par une BO écrite – en remplaçant Michel Legrand – pour Alexandre le bienheureux d’Yves Robert (1968). Vous êtes l’inverse du tire-au-flanc incarné par Philippe Noiret, avec des centaines de BO à votre actif. Vous avez toujours été un bosseur ? Je suis né dans une famille de musiciens de Bucarest et, dès six ans, j’ai beaucoup travaillé pour devenir violoniste. À l’époque, rien ne devait me distraire et je ne garde aucun souvenir d’enfance lié aux jeux, à l’amusement… Installé en France au début des années 1960, j’ai dû me battre pour me faire une place dans un nouveau pays où je ne connaissais personne. Le Grand Blond avec une chaussure noire raconte les mésaventures d’un violoniste distrait mais passionné. Yves Robert s’est-il inspiré de vous pour créer le personnage ? Je ne pense pas, mais nous avons construit des scènes ensemble, comme celle, dans le premier Grand Blond, où est jouée une Symphonie de Mozart truffée de gags musicaux, notamment avec Jean Carmet aux timbales. Et puis, c’est moi qui ai donné des leçons à Pierre Richard pour qu’il ait l’air d’un violoniste crédible. Vous citez souvent Ravel ou Debussy, Chet Baker ou Miles Davis, mais vos morceaux sont également irrigués de tonalités hawaïennes, d’airs de samba ou de sonorités japonisantes ou yiddish : cette ouverture sur le folklore mondial est-elle un héritage de vos nombreux voyages en tant que soliste ? Dans la Roumanie communiste de mes 13 ans, on donnait beaucoup d’importance aux musiques populaires : il était essentiel de partir d’une base inspirée du folklore roumain. C’est à cette occasion que j’ai connu et apprécié la musique folklorique d’Europe centrale
et, par extension, me suis intéressé à d’autres folklores – brésilien, indien, africain –, le jazz, la chanson française, loin du classique et de l’École de Vienne. Évidemment, mes voyages m’ont beaucoup nourri, ayant découvert, au Brésil, des musiciens de bossa nova comme Jobim ou, en Argentine, quelqu’un comme Piazzolla jouant en quintet dans une boîte de Buenos Aires. Vous tenez à écrire des musiques à la fois populaires et savantes. Il est essentiel de composer des morceaux accrocheurs, mais qui vont titiller l’oreille de l’auditeur ? Je ne cherche pas à composer des morceaux accrocheurs, mais à créer des mélodies, des motifs qui ne soient pas banals. Qu’est-ce qui a fait le succès de la musique du Grand Blond ? Le morceau est un ensemble original entre différents éléments : un thème binaire (comme une polka), une couleur instrumentale insolite et un accompagnement ternaire. “Pom pom pom pom”, vous trouvez ça accrocheur, vous ? Non, ce qui est formidable, c’est ce que Beethoven en fait ! Destinée, chanson interprétée par Guy Marchand dans Les Sous-doués en vacances, est-elle une parodie kitsch de slow ? C’est la théorie de Guy Marchand et c’est pour cette raison que je me suis fâché avec lui. Dans le film, il jouait un crooner un peu ringard, mais je pensais qu’il fallait lui écrire un beau slow, pas une parodie. Destinée a été le plus grand succès de sa carrière mais, se prenant pour Frank Sinatra, il ne l’a jamais inscrite à son répertoire. Guy Marchand n’a pas adhéré à ma vision des choses car je crois qu’on ne peut pas se moquer de la musique qui ne doit jamais être une caricature. Mozart disait que celle-ci devait toujours rester harmonieuse : même si dans un opéra, il y a un meurtre, la musique ne doit pas être laide ou brutale. Je rencontre le même type d’attitude avec Reality : les Français, qui sont très analytiques, refusent d’accepter des sentiments simples, au premier degré. Les Américains n’ont pas peur du romantisme, alors qu’en France, on ne comprend pas qu’on puisse s’adresser davantage à la sensibilité qu’à l’intelligence de l’auditeur. Ça ne signifie pas qu’on le prend pour un con !
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humour & amour
© Tanja Dorendorf / Opernhaus Zürich
© Philippe Delval
la chute
Production de l’Opernhaus Zürich, la mise en scène signée Cordula Däuper d’Il Matrimonio segreto (1792) est un mélange heureux de kitsch assumé et acidulé (avec ours en peluche géant ou pistolet fluorescent) et de précision dans la direction des chanteurs. Dans une immense maison de poupées, s’ébattent les protagonistes du dramma giocoso composé par Domenico Cimarosa, gravitant autour du duo Paolino / Carolina, mariés en secret. Rebondissements et quiproquos s’enchaînent, impliquant une kyrielle de personnages archétypaux, comme le comte Robinson (interprété par Riccardo Novaro qu’on retrouve en récital le 04/02) ou Geronimo, cliché du pater familias bourgeois tyrannique souhaitant un beau parti pour sa fille. Tout cela est bondissant, questionnant agréablement le spectateur sur l’amour et s’envolant sur une musique d’une grande théâtralité. Souvent comique, explosive et aérienne comme une chantilly réussie, la partition annonce par bien des aspects le XIXe siècle belcantiste de Rossini et Donizetti. (H.L.) l’Opéra national de Lorraine (Nancy), À du 31 janvier au 9 février www.opera-national-lorraine.fr 46
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Exit l’Angleterre du XVIIIe siècle : pour sa première lyrique, David Bobée transpose The Rake’s Progress à la City. L’idée lui est venue en écoutant le premier acte de l’opéra de Stravinski, lorsque Tom Rakewell affirme vouloir être riche sans rien faire : « Ce retranchement de la valeur travail des processus d’enrichissement, cet abandon de l’entreprenariat au profit de la spéculation dit quelque chose à notre temps », explique le metteur en scène qui met en images un véritable pacte faustien avec le libéralisme débridé. Traders et people à l’éphémère célébrité peuplent une production glaçante – qui va comme un gant à cette partition néo-classique de 1951 – dont le principal décor est un écran gigantesque sur lequel sont projetées des vidéos : vue de Londres, courbes folles des cours boursiers ou encore jardin où un immense mouton symbolise le héros encore innocent, mais bientôt sacrifié sur l’autel de sa veulerie. Il perdra tout dans une chute vertigineuse vers la folie et la mort, malgré l’amour impuissant de la bien nommée Anne Trulove. (H.L.) Au Grand Théâtre (Luxembourg), vendredi 3 et dimanche 5 février www.theatres.lu
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ne vous retournez pas Pour sa première mise en scène à l'opéra, Maëlle Poésy s’attaque à Orphée et Eurydice (1774) de Gluck, une plongée transgressive dans le monde des morts. Entretien. Par Hervé Lévy Photo de Jean-Louis Fernandez
À l’Opéra (Dijon), du 4 au 8 janvier www.opera-dijon.fr Rencontre avec Maëlle Poesy après la représentation (08/01) Au Théâtre Ledoux (Besançon), mardi 17 et jeudi 19 janvier www.scenenationale debesancon.fr
Travaille-t-on de la même manière avec des comédiens et des chanteurs ? J’essaie, même si la partition prime à l’opéra. Le rythme est imposé, on ne peut pas tout faire : chanter trop longtemps de dos par exemple est impossible. J’ai néanmoins l’habitude de travailler avec les comédiens sur la question du corps et de l’énergie existant entre les uns et les autres. C’est aussi ce que j’ai fait avec les chanteurs : une distance, un rapprochement, un déplacement lent ou rapide expriment et révèlent, sans avoir besoin de musique ni de mots, l’essence d’un personnage. Je m’efforce de créer de la complexité dans la lecture qu’on peut en avoir grâce à la chorégraphie et au mouvement.
et un voyage initiatique… J’avais aussi envie de travailler sur l’idée de transgression – descendre chez les morts revient à affronter le monstrueux et voir ce que personne n’a le droit de voir – et de passage dans un monde où l’ordre et la logique sont complètement inversés.
Comment cela se manifeste-t-il dans Orphée et Eurydice ? Le corps d’Eurydice est marqué par un épuisement croissant au fur et à mesure de sa remontée des Enfers : au départ, elle est une ombre heureuse, libre et flottante, presque sans gravité. Plus elle revient à la vie, plus la pesanteur s’installe en elle. J’ai beaucoup travaillé avec Élodie Fonnard sur ses expressions corporelles.
Le chœur est un des personnages centraux de l’opéra : quelle place lui avezvous conféré ? Il est présent sur scène tout au long de l’opéra, autour d’Orphée et agit sur son destin, délimitant l’espace scénique. Ses membres sont des dieux prenant différentes apparences physiques. Ils se changent à la vue du public, devenant furies, ombres heureuses, etc. Cette métamorphose est au cœur du mythe que décrit si bien Ovide. Elle va de pair avec une métamorphose de l’espace : réaliste au départ, il devient fantastique.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans l’opéra de Gluck ? C’est avant tout une très belle histoire d’amour
Cela s’exprime dans un décor où les personnages évoluent en dessous des racines d’un arbre… Ils se retrouvent dans un “entre deux sols”. Orphée cherche Eurydice aux Enfers. Elle est morte, mais il peut encore la sauver. L’action s’installe donc dans cet espace-temps suspendu.
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MUSIQUE CLASSIQUE
les partitions qui venaient du froid Du Danemark à la Finlande, via la Pologne, c’est un voyage en terres glacées que proposent le chef Leif Segerstam, le violoncelliste Nicolas Altstaedt et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.
Par Hervé Lévy Portrait de Leif Segerstam par Seilo Ristimäki Au Palais de la Musique et des Congrès (Strasbourg), jeudi 19 et vendredi 20 janvier www.philharmoniquestrasbourg.eu
Concertos pour violoncelle de Chostakovitch et Weinberg par Nicolas Altstaedt chez Channel Classics (11 €) www.channelclassics.com
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n incipit de la partition de son ouverture Helios, Carl Nielsen inscrivit : « Silence et obscurité / Le soleil se lève dans un joyeux chant de prière / Il suit sa course dorée / et plonge tranquillement dans la mer. » Écrite en Grèce, cette pièce orchestrale du compositeur danois ouvre le concert, étrange mélange entre impressions égéennes et réminiscences hyperboréennes, où l’on perçoit la fascination de l’homme du Nord pour les terres du Sud. Après ce soleil d’hiver, se déploie le Concerto pour violoncelle de Mieczysław Weinberg, compositeur polonais qui réussit à gagner l’Union soviétique alors que sa famille était exterminée par les nazis : incarcéré par Staline à l’époque du complot des blouses blanches, ce créateur prolifique – plus de 500 pièces – reste néanmoins aux marges du corpus habituellement joué par les orchestres. Souvent imprégnées du folklore juif, ses musiques évoquant parfois celles de Bartók ou de son ami Chostakovitch n’ont en effet connu la célébrité qu’à travers des BO
de films comme Quand passent les cigognes. Et pourtant… Il suffit d’écouter son Concerto pour violoncelle – ici interprété par l’extraordinaire Nicolas Altstaedt qui vient de l’enregistrer de fort belle manière – pour se rendre compte de l’inventivité d’une partition oscillant entre élans slaves et souvenirs klezmer. Physique de Père Noël avec son immense barbe blanche et ses yeux remplis d’étoiles, le chef finlandais Leif Segerstam sera au pupitre de l’OPS pour cette soirée : c’est un des spécialistes de l’œuvre de son compatriote Jean Sibelius – dont il a gravé plusieurs intégrales symphoniques – qui donnera sa Symphonie n°5 dans le style bouillonnant et précis le caractérisant. Page lyrique et apaisée, elle mêle de singulière manière un altier dépouillement à une immense sensualité faisant de ses trois mouvements un puissant appel vers le Nord et prouvant que son auteur est le plus grand symphoniste du XXe siècle.
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Orphée aux Enfers
Drum-Machines
Mise en scène par Armin Petras et dirigée avec maîtrise et inspiration par Sylvain Cambreling, la vision du mythe d’Orphée d’Offenbach est des plus réjouissantes. Une production à ne pas manquer !
Confrontation entres les musiques contemporaines et électroniques au centre du dispositif mis en place par Les Percussions de Strasbourg et ErikM.
Jusqu’au 31/01, Opéra (Stuttgart) www.oper-stuttgart.com
Academy of St Martin in the Fields Une soirée 100% Beethoven avec un orchestre majeur et le violoniste Joshua Bell, soliste et chef d’orchestre pour l’occasion. 09/01, Philharmonie (Luxembourg) www.philharmonie.lu
La Sonnambula Le metteur en scène David Marton déconstruit cet opéra de Bellini pour le recomposer en un spectacle théâtral et musical. 12 & 13/01, Le Maillon (Strasbourg) www.maillon.eu
Katja Kabanova Un opéra indispensable de Leoš Janáček mis en scène par Ben Baur fait l’événement en ce début d’année dans la Sarre. 14/01-14/04, Saarländisches Staatstheater (Sarrebruck) www.staatstheater.saarland
Lohengrin Claus Guth à la mise en scène, Philippe Jordan à la baguette et Jonas Kaufmann dans le rôle-titre : what else ? Ce Wagner s’annonce comme un des grands moments de la saison lyrique internationale. 18/01-18/02, Opéra Bastille (Paris) www.operadeparis.fr
Valentina Lisitsa
26/01, La BAM (Metz) www.trinitaires-bam.fr
By The Fall Folk-pop sensible avec By The Fall et Niandra Lades, sur l’eau. 26/01, La Péniche Cancal (Dijon) www.lavapeur.com
Scènes d’Ici
(1)
Durant deux jours, La Laiterie convie des artistes du coin : Nail Art, Manuel Etienne, Solaris Great Confusion (en photo), Mystery Blue ou l’extravagant Bo* Johnson. 26 & 27/01, La Laiterie (Strasbourg) www.artefact.org
Kacem Wapalek Soirée de rentrée hip-hop au Nouma avec Kacem Wapalek, Caballero & JeanJass et Yugo. 27/01, Noumatrouff (Mulhouse) www.noumatrouff.fr
Anne-Sophie Mutter
(2)
La diva du violon est de retour avec un programme composé de trois sonates signées Mozart, Poulenc et Ravel. 28/01, Festspielhaus (Baden-Baden) www.festspielhaus.de
Les Inouïs L’antenne Alsace du Réseau Printemps de Bourges nous convie à l’audition alsacienne des Inouïs 2017. Avec Albinoid Sound System, Ash Kidd ou OK Coral. 04/02, l’Espace Django (Strasbourg) www.espacedjango.eu
The XX
(3)
Une extraordinaire pianiste alliant précision technique et émotion à fleur de peau pour un récital Scarlatti, Bach, Schumann, Scriabine et Prokoviev.
Le trio star de la pop ascétique est de retour avec un nouvel album, I see You. Réservez vos billets !
23/01, La Philharmonie (Paris) www.philharmoniedeparis.fr
17/02, Zénith (Strasbourg) www.zenith-strasbourg.fr Poly 194
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© Laura Coulson
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© Monika Hoefler
sélection musique
mystères douloureux Le Musée national d’Histoire et d’Art de Luxembourg propose la première grande exposition dédiée à Albrecht Bouts (vers 1451-55-1549). Voilà qui promet du sang et des larmes avec des Christs souffrants et des Vierges éplorées. Par Hervé Lévy
Au MNHA (Luxembourg), jusqu’au 12 février www.mnha.lu La Restauration du diptyque du MNHA : Mater Dolorosa et Christ couronné d’épines, une conférence de Valentine Henderiks et Livia Depuydt (19/01, 18h30)
Légende Atelier d'Albrecht Bouts, Chef de Saint Jean-Baptiste sur un plat, vers 15201530, Collection de l'Association diocésaine de Lille
1 Dirk Bouts (vers 1415-1475) à qui l’on doit notamment une remarquable Mise au tombeau (National Gallery, Londres) 2 Reçu en dépôt par le MNHA en 2009 des Sœurs de la Congrégation NotreDame de Luxembourg
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e développement de la Devotio moderna – pratique religieuse personnelle et intérieure – au cours du XVe siècle aux Pays-Bas marque une métamorphose du marché de l’art, un passage de la commande individuelle à la production en série d’œuvres destinées à la dévotion privée. Les fidèles prient désormais à la maison, méditant devant des représentations du Christ ou de la Vierge afin de partager leurs souffrances. À Louvain, l’atelier d’Albrecht Bouts, fils d’un des Primitifs flamands parmi les plus célèbres1, se spécialise dans les portraits du Christ de douleur. Des modèles originaux peints par Bouts père et fils y sont reproduits grâce à des processus mécaniques comme le poncif, un calque perforé. Si le visiteur découvre ce contexte historique et économique, il se laisse surtout happer par des œuvres originales (et leur déclinaisons adaptées à la clientèle locale : plus de dramatisme en Espagne et une altière retenue dans les pays nordiques) entrant en résonance avec des pièces de la même époque signées Memling ou Marmion, mais aussi avec une vidéo introspective de
Bill Viola inspirée de la Pietà de Masolino da Panicale qui clôt le parcours. À l’origine de cette rétrospective, un diptyque 2 émeut plus particulièrement, pièce majeure qui sera abondamment copiée : deux panneaux de bois forment un couple saisissant où se répondent la souffrance sanguinolente d’un Christ doloriste couronné d’épines aux mains ouvertes et stigmatisées et la peine profonde toute en intériorité d’une Mater dolorosa en prière. Délicat autoportrait en forme de Memento mori, finesse des drapés lumineux d’une Vierge vénérée par SaintJoseph, expression de contrition rendue avec grâce d’un énigmatique Saint-Jérôme pénitent : le talent d’Albrecht Bouts éclate, sortant le peintre de l’ombre de son célèbre père dans laquelle l’Histoire de l’Art l’avait cantonné pendant de longues années. Illustration avec un Chef de Saint-Jean-Baptiste sur un plat, étonnant tondo en trompe-l’œil où la tête décapitée par Salomé semble flotter dans une mer apaisée d’or, certaine de sa Résurrection.
EXPOSITION
tableaux hantés En une centaine d’œuvres, le Musée Unterlinden montre l’influence obsédante exercée par son chef-d’œuvre, le Retable d’Issenheim, sur les peintures d’Otto Dix (1891-1969).
Par Hervé Lévy
Au Musée Unterlinden (Colmar), jusqu’au 30 janvier www.musee-unterlinden.com Plongée dans les Années folles pour le finissage de l’exposition avec la soirée festive Dance floor Shimmy (28/01, 20h)
Légende Otto Dix, Job, 1946, collection particulière © Kunstsammlung Gera, Archiv © Adagp, Paris 2016
I
cône de l’Art allemand après l’annexion de l’Alsace en 1871, le Retable d’Issenheim inspira toute une génération de peintres au début de XXe siècle qui y virent l’archétype pré-expressionniste de la souffrance humaine. Beckmann ou Nolde considérèrent ainsi le polyptique de Grünewald comme un des points de départ possibles de leur création. Otto Dix l’a-t-il vu lorsqu’il était exposé à Munich entre 1917 et 1919 pour l’éloigner des zones de combat ? On l’ignore. Il est néanmoins certain que son image est demeurée gravée dans la rétine du peintre et que son ombre plane sur des œuvres hantées par le chaos boueux des tranchées où des taches de sang blafardes se détachent sur la glaise glauque : les références y abondent dans son triptyque de La Guerre (malheureusement resté à Dresde) ou dans Flandres (1934-1936) qui en reprend des éléments iconographiques. Jugé dégénéré et contraint à un “exil intérieur” par les nazis, Otto Dix ne peint plus que des paysages et des sujets religieux comme L’Annonce aux bergers (1942) dont la gamme chromatique rappelle celle du Retable tout comme les complexions pleines d’effroi des
différents protagonistes. À plus de 50 ans, il est mobilisé dans le Volkssturm à la fin de la guerre et se retrouve prisonnier à… Colmar où il se confronte à l’œuvre de Grünewald, peignant notamment La Madone aux barbelés (1945) pour la chapelle catholique du camp. Il s’agit d’un bouleversant triptyque où pointe également la place occupée par La Vierge au buisson de roses de Schongauer dans son panthéon personnel. Exit les épines, il la transpose dans un univers de barbelés. Après la Guerre et jusqu’à la fin de sa vie, le Retable ne cessera de représenter l’archétype de la douleur pour lui. On en trouve trace dans de multiples compositions comme ses Annonciations (1950) ou dans Job : il est possible de reconnaître dans le personnage de la toile de 1946 l’homme au ventre gonflé rempli de pustules purulentes se trouvant dans le coin inférieur gauche de la Tentation de SaintAntoine. « Symbole de l’Humanité dévastée, icône de la souffrance universelle et de la foi inébranlable dans le rétablissement de la justice, [Job] permet à toute une génération traumatisée de s’identifier », explique la commissaire de l’exposition, Frédérique Goerig-Hergott. Poly 194
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la chevauchée fantastique Avec Kandinsky, Marc & Der Blaue Reiter, la Fondation Beyeler explore en plus de 90 œuvres une aventure artistique fulgurante. En quelques années, les “cavaliers bleus” révolutionnèrent la modernité, entrebâillant les portes de l’abstraction.
Par Hervé Lévy
À la Fondation Beyeler (Riehen / Bâle), jusqu’au 22 janvier www.fondationbeyeler.ch
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R
ien ne prédestinait Murnau am Staffelsee, bourg bavarois paisible et tellement typique des Préalpes à devenir l’épicentre d’une des révolutions picturales du XXe siècle. En 1908, s’y installent deux couples d’artistes vivant en union libre (un scandale pour l’époque), Alexej von Jawlensky & Marianne von Werefkin et Wassily Kandinsky & Gabriele Münter qui affirme dans son journal, y avoir accompli « le grand saut de la reproduction de la nature – dans un style plus ou moins impressionniste – à une peinture qui cherche à ressentir un contenu, à abstraire ». Jusqu’en 1914, ils représentent l’endroit où ils séjournent régulièrement l’été venu comme dans Étude pour Murnau – Paysage avec église de Kandinsky (1909), toile aux couleurs chaudes et rayonnantes à l’abstraction naissante ou avec L’Usine de Jawlensky (1910) dans laquelle contrastent puissamment l’orange pétant de la fabrique et le bleu sombre d’un monumental massif montagneux dans une économie formelle absolue.
En selle
Ce n’est qu’en 1911 que le Cavalier bleu fait ses premiers pas, avant de galoper pour une odyssée météorique de quelques années. Avec le refus de sa Composition V pour la troisième exposition de la Neue Künstlervereinigung München – regroupant des artistes visant pourtant à dépasser l’académisme – Kandinsky quitte avec pertes et fracas l’association qu’il préside et dont il est un des fondateurs. L’audace de la NKVM a ses limites. Les amis de l’artiste le suivent, dont Franz Marc. En quelques semaines, ils montent leur propre exposition sous l’égide du Blaue Reiter, reprenant le titre d’un almanach imaginé quelques mois plus tôt : « Nous aimions tous les deux le bleu, Marc aimait les chevaux, moi les cavaliers », explique Kandinsky, lapidaire. Publié en 1912, le livre brasse textes théoriques et images issues de cultures diverses (masques africains, statuettes indonésiennes, peintures populaires sous-verre bavaroises du XVIIIe siècle, toiles du Douanier Rousseau,
2
etc.), jusqu’à des dessins d’enfants, sans hiérarchie aucune afin de poser les fondements d’un renouvellement de l’Art. Une salle entière, véritable cœur battant de l’exposition, est dédiée à cet ouvrage étonnant. Tout sauf dogmatique, ce courant qui n’en est pas un se caractérise par une liberté grande. La couleur devient autonome par rapport aux contraintes du spectre chromatique du réel, rappelant les Fauves, tandis que se manifeste, comme chez Vincent van Gogh, la volonté de ne pas reproduire la réalité visible pour plonger au tréfonds des questionnements intérieurs perceptible dans Humeur sombre (1910) de Werefkin (évoquant curieusement Munch), où le paysage n’est que la projection d’un état psychologique. Tristesse amoureuse du rouge ardent d’une femme sans visage, loin, si loin d’un “homme silhouette” confiné dans le bleu sombre.
Au galop
La force de l’exposition helvète est de montrer la marche vers l’abstraction des artistes du Blaue Reiter, des orgies de couleurs où contrastent teintes chaudes et glacées des Grands Chevaux bleus (1911) ou de La Vache jaune (1911) de Marc, aux Improvisations de Kandinsky, paysages mentaux faits de lacis de lignes délimitant des espaces colorés. Et que dire de son immense Composition VII (1913) ? On demeure médusés devant cette abstraction marquée d’un puissant mouvement où le « conscient, l’intentionnel, l’effi-
cacité jouent un rôle prédominant », même si « le sentiment l’emporte toujours » comme son auteur l’écrit dans Du Spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier. Nous parcourons les cimaises de la Fondation Beyeler accompagnés de créatures devenues des icônes comme le Renard bleu noir (1911), fleuron du bestiaire de Marc, somnolant dans un kaléidoscope vert, orange, bleu, violet, rouge et jaune, et de tableaux moins connus. Citons, par exemple, Le Balcon (1913) de Campendonk, chaos géométrique de formes composant une scène complexe et mystérieuse ou le paisible Jardin à Murnau (1910) de Münter marqué par une remarquable simplification formelle où le vert fulgurant de la pelouse joue avec le bleu profond de la façade et celui, incandescent, du ciel. Le visiteur est également aimanté par un Paysage près de Murnau avec locomotive (1909) de Kandinsky : le longiligne panache de fumée du train y dialogue avec la rotondité généreuse de très beaux cumulus voguant dans le ciel. Mais les nuages (noirs pour le coup) s’accumulent et les orages d’acier de la guerre s’annoncent, éparpillant les cavaliers : Kandinsky retourne en Russie, tandis que Marc tombe de son cheval, mortellement touché par un éclat d’obus près de Verdun en 1916. La brève aventure de l’avant-garde du Cavalier bleu aura cependant marqué l’Histoire de l’Art entraînant son monde sur les rivages de l’abstraction et générant une importante postérité.
Légendes 1. Franz Marc, Les grands chevaux bleus, 1911, Collection Walker Art Center, Minneapolis, don de la T.B. Walker Foundation, Gilbert M. Walker Fund, 1942 2. Wassily Kandinsky, Composition VII, 1913 Galerie d’État Tretiakov, Moscou © Galerie d’État Tretiakov
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exposition
rétro
futurisme
les hasards de l’art
De l’Air frais pour les promeneurs, publié dans Le Figaro (1904)
Niki de Saint-Phalle, Karabinerbild / Variante 6 4, 1964, Kunstmuseum Bonn Photo Reni Hansen © Niki Charitable Art Foundation / VG Bild-Kunst Bonn 2016
Les salles du Kunstmuseum de Stuttgart abritent [in]attendu, belle exposition dédiée à L’Art du Hasard. Plus de 140 pièces forment un parcours allant des années 1920 à aujourd’hui où se croisent les frottages et les grattages de Max Ernst, les tableauxperformances réalisés par une très glam’ Niki de Saint-Phalle – en combinaison blanche rappelant Chapeau melon et bottes de cuir – avec sa carabine ou encore les œuvres de François Morellet qui a décidé très tôt « de mettre le bazar dans la géométrie en utilisant le hasard », en se servant de π, « cette ironie mathématique qui ressemble à un pavé dans la mare de la rigueur scientifique avec ses décimales infinies ». Entre ordre et chaos, traversant des atmosphères mallarméennes (« Un coup de dés jamais », etc. etc.), le visiteur erre de manière aléatoire de cadavres exquis surréalistes en partitions de John Cage, via des collages réalisés selon les lois du hasard de Arp ou les créations d’éminents représentants de l’Art concret comme Vera Molnár et Rune Mields. (H.L.) u Kunstmuseum (Stuttgart), jusqu’au 19 février A www.kunstmuseum-stuttgart.de
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Comment on voyait le futur dans les caricatures du XIXe siècle : tel est le sujet de l’excellente exposition intitulée Paradis techniques du Museum LA8 de Baden-Baden. Le visiteur y rencontre des locomotives menaçantes représentées comme une araignée grimaçante – mais sympa au fond – au cœur de sa toile dans un magazine anglais des années 1860 ou en créature aux dents acérées chapardant le rôti d’une paisible famille bourgeoise en train de déjeuner avec The Railway Dragon (1845). Avec les Mystères de l’infini, Granville imagine un pont éminemment parisien reliant entre elles les planètes du système solaire où déambule un bourgeois débonnaire, cigare au bec tandis qu’Heinrich Kley dépeint la fonderie Krupp peuplée d’un aréopage de monstres qu’on dirait tout droit sortis d’un enfer de Bosch ! Souvent les technologies baroques représentées annoncent l’avenir comme ce Journal téléphonoscopique ou un curieux dispositif destiné à apporter de l’air frais au promeneur de 1904 métamorphosé en scaphandrier urbain. (P.R.) u Museum LA8 (Baden-Baden), A jusqu’au 5 mars www.museum.la8.de
EXPOSITION
initials b.b. Reconnaissables au premier regard, mais rarement montrés dans les institutions, les tableaux du controversé Bernard Buffet font l’objet d’une rétrospective chronologique au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Visite. Par Hervé Lévy
Au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 26 février www.mam.paris.fr Retrouvez des œuvres de Bernard Buffet à la Galerie Pascal Froessel (Strasbourg) www.galerie-pascale-froessel.fr
Légende Horreur de la guerre, L’Ange de la guerre, 1954, Collection fonds de dotation Bernard Buffet, Paris © Fonds de dotation Bernard Buffet © ADAGP, Paris 2016
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ongtemps, Bernard Buffet (19281999) est resté dans le purgatoire de l’Histoire de l’Art, beaucoup lui reprochant son stylé stéréotypé et un maniérisme autocentré. Il est vrai qu’après-guerre ses compositions figuratives méditatives et mélancoliques s’éloignent de la doxa abstraite dominante… Le succès fut foudroyant. RollsRoyce, château, couverture de Match et jet-set tendance Sagan, dont il illustre Toxique, le journal de désintox. À revoir ses premières œuvres, jusqu’au milieu des années 1950, on demeure scotchés tant la douleur affleure : visages taillés à la serpe cernés d’un contour noir, angulosité et dépouillement extrême des corps et des décors (jusqu’à la signature qui fait partie intégrante de la toile). À 26 ans, avec le monumental triptyque Horreur de la Guerre (1954), il livre une version postexpressionniste de la mort dans les camps, dans un improbable espace pictural entre Giacometti et Dix. La suite est une orgie de pigments saturniens. Des dizaines de séries pour plus de 8 000 œuvres : l’artiste est animé d’une véritable fureur de peindre. Singes mélancoliques, filles de joie peu joyeuses, clowns tristes, hiératiques et sanglantes corridas ou encore plages grisâtres peuplées de baigneuses longilignes
qu’on imagine en pleine dépression… Buffet livre son exposition annuelle dans sa galerie, mais peint également à la chaîne des clowns clones et des bouquets de fleurs pour les intérieurs de la (grande) bourgeoisie où il se caricature lui même, ne faisant néanmoins pas pire qu’un Warhol, serial portraitiste. Peintures narratives et littéraires de L’Enfer de Dante ou de 20 000 Lieues sous les mers ou Terroristes sinistrement prémonitoires : la peinture de B.B. n’est pas décorative. Elle est simplement en phase avec son époque, mixant Pop Art, Société du spectacle et rejet de l’intellectualisme du Bad painting américain. La déambulation dans les salles du musée invite à voir le corpus présenté sous ce prisme, mettant en évidence les deux âges où Buffet fut le plus pénétrant, la jeunesse et l’ultime cycle de 24 toiles retrouvé dans son atelier après son suicide par asphyxie dans un sac plastique portant sa signature, première & dernière morbide performance d’un homme, atteint de la maladie de Parkinson, qui ne voulait pas dépasser l’an 2000. La Mort (1999) regroupe des personnages hiératiques vêtus de costumes Renaissance peints vivants, puis écorchés picturalement. Sarcastiques, ces squelettes évoquant curieusement Basquiat font un ultime pied de nez aux détracteurs du peintre. Poly 194
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the americans Intitulée The Age of Anxiety, cette exposition d’une cinquantaine de toiles plonge dans la peinture américaine des années 1930, décennie paradoxale qui voit l’émergence des États-Unis en pleine crise économique comme grande puissance artistique.
Par Hervé Lévy
Au Musée de L’Orangerie (Paris), jusqu’au 30 janvier www.musee-orangerie.fr Concert de jazz par les élèves de CNSMD (13/01), Une Nuit américaine, immersion dans les USA des années 1930 (21/01)
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ctobre 1929. Wall Street s’effondre. Débute une période d’incertitude que les historiens nommeront a posteriori la Grande dépression. Iconique, American Gothic (1930) ouvre cette exposition thématique. Encore très européenne – proche des Primitifs flamands – cette toile de Grant Wood représente un paysan et sa fille à l’allure sévère… Après une déambulation thématique dans les salles du musée, le parcours s’achève avec deux œuvres complémentaires réalisées juste avant-guerre marquant symboliquement la naissance d’un art proprement américain et les deux voies qu’il empruntera. Sont rassemblés Untitled de Jackson Pollock annonçant l’expressionnisme abstrait et la mélancolique
pompe à essence d’Edward Hopper aux compositions toujours terriblement anxiogènes et métaphysiques tendance Chiroco, Gas (Station-service) illustrant l’irruption des marques (ici Mobil) dans l’espace pictural. Certains y verront un ancêtre lointain du Pop Art… Entre ces deux pôles, le visiteur aura fait de belles découvertes dans des sections comme Contrastes américains : puissance industrielle et retour à la terre. Y voisinent la foi dans le progrès industriel de Charles Sheeler avec son American Landscape, vue frontale version “réalisme capitaliste” des usines Ford et la terre épuisée peinte par Alexandre Hogue
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personnifiant la sécheresse des collines représentées comme un immense corps féminin éreinté. Nous sommes aussi conviés à une errance On the town avec notamment le formidable The Fleet’s In ! de Paul Cadmus aux résonances clairement homo avec ses marins en perm’ dont on devine le gourdin turgescent. La politique pointe souvent le bout de son nez que ce soit avec l’ironique American Justice de Joe Jones montrant les méthodes
expéditives du Ku Klux Klan ou une tête de Mussolini surréaliste et verdâtre apparaissant dans la complexe composition antifasciste The Eternal City de Peter Blume. On craque pour le tableau d’Oswaldo Louis Guglielmi (voir ci-dessus), représentatif d’un “surréalisme prolétarien” où un portrait officiel de Lénine trône dans un paysage industriel désolé, montrant une voie communiste sans issue, une voix prêchant dans le quasi-désert.
Légendes 1. Edward Hopper, Gas (Stationservice), 1940, MoMA, Mrs. Simon Guggenheim Fund. 577.1943 © 2016. Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence 2. Oswaldo Louis Guglielmi, Phoenix (Portrait in the Desert ; Lenin), 1935, Sheldon Museum of Art, University of Nebraska-Lincoln, NAA-Nelle Cochrane Woods, Memorial, N-275.1969 Photo © Sheldon Museum of Art
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minuscule Petits mondes : une visite chez les Lilliputiens ? Cette exposition rend compte d’un genre en vogue au début du XVIIe siècle : des peintures miniatures représentant des scènes à observer à la loupe. Bienvenue dans un univers riquiqui, mais esthétiquement costaud.
Par Emmanuel Dosda
Au Musée de l’Œuvre NotreDame (Strasbourg), jusqu’au 16 janvier www.musees.strasbourg.eu Neuvième numéro du Cabinet de l’Amateur dédié à Petits Mondes, édité par les Musées de la Ville de Strasbourg (9 €)
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etit, petit, petit, tout est mini dans cette exposition rassemblant une quarantaine de miniatures conservées au Cabinet des Estampes et des Dessins. Sous Hans Haug, directeur des Musées strasbourgeois de 1946 à 1963, ces minuscules œuvres faisant parfois 4 cm de diamètre, réalisées sur parchemin, se trouvaient, comme aujourd’hui, aux cimaises du Musée de l’Œuvre NotreDame, au même titre que les fragiles natures mortes de Sebastian Stoskopff. Celui-ci fut, tel Johann Wilhelm Baur, l’élève de Friedrich Brentel, maître resté dans l’ombre (pour l’instant) de ceux qu’il a instruit. Brentel est considéré comme « le chef de file de la peinture en miniature à Strasbourg », affirme Florian
Paysage héroïque de Johann Nikolaus Gasner (seconde moitié du XVIIe siècle), 15,8 X 19,3 cm © Mathieu Bertola / Musées de la Ville de Strasbourg. Page de droite : détail de l'œuvre.
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Siffer, attaché de conservation au Cabinet des Estampes. Ce « leader charismatique des arts graphiques » est « le centre de gravité » d’une école de la miniature strasbourgeoise. Attirant de nombreux disciples venant de tout l’Empire germanique en son atelier, il théorisa le genre avec un traité sorti en 1642. À cette période, les miniatures, descendantes de l’enluminure médiévale, ont le vent en poupe, permettant à leurs propriétaires de les transporter ou de les accumuler en des cabinets de curiosités, eux-mêmes des microcosmes, condensés des choses du monde artistique ou scientifique. Diane et Actéon (1620) de Brentel utilise le mythe comme un prétexte à un beau paysage avec ruines rongées par la nature et arbres majestueux s’élevant vers les cieux, montrant le talent de cet artiste méticuleux pour la réalisation de petits formats hyper détaillés et son goût pour les couleurs chatoyantes : on peut parler du “rose Brentel” comme on dit “bleu Klein”. Souvent, le graveur de formation fait des interprétations de chefs-d’œuvre, comme le Jugement dernier de Michel-Ange qu’il a découvert… via des reproductions d’autres artistes : ainsi il représente une Chapelle Sixtine synthétisée et colorée selon sa propre palette. Pour Florian Siffer, il s’agit dans ces cas-là de « copies créatives ». L’exposition montre également des tableautins du strasbourgeois Johann Wilhelm Baur qui ira notamment à Rome, à la rencontre du Cardinal Mazarin, un de ses plus grands fans, et de Johann Nikolaus Gasner. Cet artiste de Francfort est auteur d’un magnifique et inquiétant Paysage héroïque (seconde moitié du XVIIe siècle) avec sombres nuages, cours d’eau et cascades dans un camaïeu de gris. Une contrée hostile et imaginaire, « digne d’ Interstellar ».
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le cercle rouge Georges Rousse est mondialement célèbre pour ses photographies rendant compte d’anamorphoses réalisées en divers lieux, souvent en friche. Avec Apollonia, il vient d’inaugurer sa première installation pérenne, dans une rue colmarienne. Rencontre avec un illusionniste travaillant sur l’espace.
Par Emmanuel Dosda
COLMAR 2016, au croisement de la route d’Ingersheim et de la rue des Poilus www.colmar.fr www.missionlocalecolmar.com www.apollonia-art-exchanges. com www.georgesrousse.com
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endez-vous à l’Art café, au MAMCS : Georges Rousse tenait à contempler Le Salon de Musique (1931), également nommé La Chapelle Kandinsky, exposé au rez-de-chaussée du musée strasbourgeois. Accompagné de sa femme, il porte un grand angle autour du cou, comme toujours, afin « de photographier du matériau pour alimenter des idées : des lieux, du texte, des associations de matières ou de formes. » Presque jamais de personnes. L’homme, le re-
gardeur, est cependant au cœur du travail de Rousse, peignant des figures sur des éléments d’architecture (murs, piliers, plafonds, sols, encadrements de porte…) : les cercles, rectangles ou damiers colorés se révélant grâce à un point de vue défini, un puzzle éclaté qui prend forme selon un angle précis. Un éphémère jeu de perspectives immortalisé grâce à son appareil photo, avant destruction du site. Son travail mêle archi, sculpture, installation in situ et peinture, mais la photographie
Colmar 2016 © Georges Rousse / ADAGP
fige ses réalisations. Elle en est la mémoire, en même temps que celle du lieu voué à disparaître. Nous le voyons comme un disciple d’Hans Holbein le Jeune (son anamorphose de tête de mort dans Les Ambassadeurs de 1933) ou des fresquistes et leurs trompel’œil sur les parois des églises. Tel un maître ancien, ses œuvres méticuleuses partent de dessins ou d’aquarelles, réalisés sur place. « C’est plus simple de me définir comme photographe, mais j’ai eu le Prix de Rome pour la peinture ou le Prix du Dessin à Montrouge, alors tout ça n’est pas très clair », confie un artiste qui ne se soucie guère des étiquettes. « Au départ, je travaillais dans des lieux inaccessibles, donc seule subsistait la photo car l’anamorphose est un phénomène optique nécessitant un déplacement. Pour moi, celleci est un outil permettant de dessiner dans l’espace. »
Une question de point de vue
À l’heure de l’informatique toute puissante,
Rousse réalise ses images sans trucages numériques ni procédés Photoshop. Il installe sa chambre photographique et dessine une forme sur le verre dépoli. Ensuite, il va faire des allers-retours pour la tracer, sur les murs, point par point, à la craie. Le geste, appliqué, est primordial pour celui qui, depuis les années 1990, convie si possible le public afin qu’il comprenne le mécanisme, « la mise en œuvre » de son travail, qu’il ressente physiquement ce qu’éprouve l’artiste lorsqu’il “réactive” des lieux en friche, isolés, qu’il les « transforme en ateliers imaginaires, comme à Durham, en Caroline du Nord, où j’ai travaillé dans l’entrepôt sinistré d’un fabricant de tabac. On m’a invité à le faire revivre. » Autour du globe, il investit des endroits délaissés qui fascinent ce fils de militaire depuis l’enfance. « Je suis né après la Seconde Guerre et mon terrain de jeu était les fortifications à l’abandon, en Lorraine, en Allemagne, puis dans l’arrière-pays de Nice. Dans cette ville et aux alentours,
Je suis né après la Seconde Guerre et mon terrain de jeu était les fortifications à l’abandon
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ART CONTEMPORAIN
Mumbai 2014 © Georges Rousse / ADAGP
il y a beaucoup de vestiges antiques, comme le Trophée d’Auguste. J’aime considérer les ruines anciennes ou modernes comme un atelier potentiel », souligne Rousse qui se réfère à celui de Giacometti aux murs graffités et peinturlurés ou au Merzbau (1924-1937) de Kurt Schwitters. Cette cathédrale dada faite de planches et d’objets hétéroclites élevée dans sa maison d’Hanovre était vue par son auteur comme l’édification d’une architecture bâtie sur les débris de la Première Guerre mondiale. « Le Merzbau a été détruit, mais reconstitué plus tard… grâce aux photos. »
Des passages vers le spirituel
Dans chaque lieu, Georges Rousse observe attentivement et reste à l’écoute des sons environnants. Il voit les pièces investies comme des « espaces de liberté » où il peut à sa guise découper les murs et les plafonds, tracer ses formes et « entrer à l’intérieur de celles-ci » afin de les peindre en blanc (pour avoir une sous-couche lumineuse et uniformiser les différentes matières) puis en couleur. Dans le court-métrage Les Corbeaux (un des huit chapitres de Rêves, 1990), Akira Kurosawa met en scène un personnage qui pénètre dans un tableau, se perd en des paysages brûlés par le soleil de Vincent van Gogh. Georges Rousse ressent une impression identique en s’introduisant dans ses cercles ou carrés que nous imaginons comme des portes d’entrée menant au-delà du réel.
Darmstadt 2015 © Georges Rousse / ADAGP
Son nouveau projet, COLMAR 2016, se trouve au croisement de la route d’Ingersheim et de la rue des Poilus, dans la ville de Bartholdi. Georges Rousse a construit, à l’aide de jeunes gens en formation*, une structure métallique, « tel un squelette, une ébauche de tour », qui double la hauteur de la maisonnette située à cet endroit, avant d’y dessiner un cercle rouge en anamorphose. Pour la distinguer, le passant doit s’arrêter à un point fixe. Cette installation publique s’intègre sur le carrefour comme du mobilier urbain n’ayant qu’une fonction poétique. Un plausible monument commémoratif rendant hommage aux soldats morts dans les tranchées. Un disque écarlate – ouverture vers un ailleurs – se révélant au badaud le plus attentif. Un soupçon de spirituel glissé dans le fatras de la cité.
* COLMAR 2016 est un projet social réalisé dans le cadre d’une action pour l’insertion et la formation de jeunes portée par la Mission locale Haut-Rhin Nord et la Ville de Colmar en partenariat avec Apollonia
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agenda expositions
1 Michael Müller, Meister der Stimmen, 2016 Courtesy private Sammlung, Prague & the artist, photo : Frank Sperling
L’Art en Europe 1945-1968
2 Fernand Léger, Constructeurs, 1951, The Pushkin State Museum of Fine Arts, Moscow © VG Bild-Kunst, Bonn 2016
(2)
Une exposition à l’immense ambition dans laquelle on peut passer des heures. Ils sont venus, ils sont tous là : Yaacov Agam, Yves Klein, Sigmar Polke, Jean Tinguely, Jacques Villeglé, etc. etc. Jusqu’au 29/01, ZKM (Karlsruhe) www.zkm.de
SKITS
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13 expositions dans 9 salles. De l’Art contemporain pointu, immersif (il ne faut pas avoir peur, ni du noir, ni de patauger dans la boue) pour un passionnant parcours monographique dans la création de la star berlinoise Michael Müller. Jusqu’au 19/02, Staatliche Kunsthalle (Baden-Baden) www.kunsthalle-baden-baden.de
Jean-Luc Moulène L’artiste présente une “rétrospective de protocoles”, un programme de production d’une trentaine de nouvelles pièces, manifeste de ses recherches. Jusqu’au 20/02, Centre Pompidou (Paris) www.centrepompidou.f
Émile Friant, le dernier naturaliste ?
La Lutte des sexes Max Liebermann, Édouard Manet, Frida Kahlo, Edvard Munch… Une réflexion sur les identités masculines et féminines et leurs interactions dans l’Art du milieu du XIXe siècle à 1945. Jusqu’au 19/03, Städel Museum (Francfort) www.staedelmuseum.de
Trading Transcendence Une exposition de Cristina Lucas, artiste espagnole qui s’intéresse aux mécanismes du pouvoir. Elle s’articule autour des notions de capitalisme et de globalisation au début du XXIe siècle. Jusqu’au 14/05, Mudam (Luxembourg) www.mudam.lu
Exhibition Une exposition conçue par les étudiants en Art de la Haute école des arts du Rhin de Mulhouse qui se renouvellera chaque jour durant une semaine. Une présentation en mutation constante, et dont certaines œuvres pourront migrer dans l’espace d’exposition, ou disparaître ou réapparaître, quand d’autres pourront évoluer, se développer ou s’effacer. 14-19/01, La Kunsthalle (Mulhouse) www.kunsthallemulhouse.com
Grammaire sentimentale
L’exposition met en lumière des œuvres inédites restaurées par le musée ces dernières années, et en particulier des académies réalisées alors que le peintre était encore adolescent.
Une exposition dédiée à l’inclassable Gérard Collin-Thiébaut, installé à Besançon depuis 2011.
Jusqu’au 27/02, Musée des Beaux-Arts (Nancy) www.mban.nancy.fr
22/01-23/04, Frac Franche-Comté (Besançon) www.frac-franche-comte.fr
/ ILK
Performing Machines
Depuis 2004, Catharina van Eetvelde créée des œuvres dessinées de manière singulière et novatrice. Elle n’est néanmoins pas soumise au médium papier…
Le travail de l’artiste britannique Stephen Cripps (19521982) est innovant et expérimental. Ses œuvres sont le fruit d’un intérêt pour les machines et sculptures cinétiques.
Jusqu’au 12/03, Kunstmuseum (Bâle) www.kunstmuseumbasel.ch
27/01-01/05, Museum Tinguely (Bâle) www.tinguely.ch Poly 194
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GASTRONOMIE
amour, gloire et pain d’épices Elle est une star sur la “planète gastronomie” : ambassadrice de l’Alsace worldwide, Mireille Oster imagine et confectionne des pains d’épices 100% artisanaux qui sont de pures merveilles. Visite dans son écrin, à la Petite France.
Par Hervé Lévy Photo de Vincent Muller pour Poly
Mireille Oster 14 rue des Dentelles (Strasbourg) www.mireille-oster.com
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L’
univers du pain d’épices est impitoyable. L’esthète slalome avec désespérance entre les rejetons bâtards de l’industrie agro-alimentaire, secs à vous casser les dents et sucrés comme ce ne devrait pas être légalement autorisé. Heureusement, de délicates fragrances attirent les gourmands gourmets au cœur de la Petite France dans l’écrin de Mireille Oster qui a détrôné le bon vieux Prosper (youpla boum) de notre enfance : c’est elle la reine du pain d’épices,
du vrai, de l’artisanal, du fait avec amour ! Son secret en effet, c’est « aimer. Aimer les personnes qui vont déguster mes créations. Aimer ceux avec qui on travaille. Aimer les produits. » Et elle utilise les meilleurs – farine du Moulin de Hurtigheim, miels artisanaux, exquis fruits confits, cannelle de Ceylan, etc. – pour confectionner les 42 variétés vendues dans sa boutique bonbonnière, charmante ruche où s’ébattent d’efficaces et souriantes abeilles. Depuis 1995, lorsqu’elle reprend l’affaire familiale fondée dans les années 1930, elle n’a cessé d’imaginer, de créer de nouvelles recettes, se fixant comme unique limite « celle de [s]on imagination ». Elle arpente le globe, cherchant des ingrédients nouveaux pour des associations inédites et inspirées, puisque chaque produit « raconte une histoire ». En ce début d’année, elle est déjà repartie… Israël, le Vietnam et sans doute l’Inde. Elle reviendra l’esprit gorgé de projets et de recettes. Cadeau idéal pour ses proches – comme Baudelaire qui offrait à Sainte-Beuve des merveilles « incrustées d’angélique » –, le pain d’épices a sa grande prêtresse strasbourgeoise, connue dans le monde entier. Mêlant avec finesse tradition séculaire et audace de l’expérimentation, localisme revendiqué et ouverture sur le monde entier, ses créations, où chantent les ingrédients, étonnent l’esprit, émoustillent les papilles et émeuvent les sens des clients anonymes ou célèbres, comme l’écrivain Yasmina Khadra. Pour notre part, on craque pour le Pain des Anges qu’on imagine volontiers, facétieux, voleter autour de nous, les ailes déployées, joyeusement chargées d’oranges confites et de clou de girofle, ou encore pour le Pain d’Amour plein d’une altière fougue. L’Amour nous y revoilà. L’Alpha et l’Oméga.
GASTRONOMIE
PLUIE D’ÉTOILES Établissement alsacien prestigieux, Le Chambard (Kaysersberg) abrite notamment un restaurant doublement étoilé au Guide Michelin, Le 64°, où Olivier Nasti questionne la tradition dans un exigeant processus de déconstruction / reconstruction. C’est également un hôtel de 32 chambres et suites qui vient de décrocher sa cinquième étoile : service attentionné, décor charmant et spa de haute volée, on y va sans hésiter. © Lucas Muller
www.lechambard.fr
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CHAMPAGNE
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E N D GO Û R O J
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération
ARTY
Vasarely, Arman, Lichtenstein, Zao Wou-Ki… Les plus grands artistes se sont emparés de la cuvée Taittinger collection uniquement produite dans les grandes années. Pour sa 14e édition, c’est le photographe brésilien Sebastião Salgado qui a créé un flacon orné d’un léopard shooté en Namibie, illustrant le slogan maison : « Boire une œuvre d’art ». À l’intérieur, un Taittinger Brut Millésimé 2008 composé de 50% de chardonnay et de 50% de pinot noir (220 €). La grande classe !
Appréciez la chair délicate, ferme et fondante de la Truite des fjords de Norvège pendant quelques jours (16-29/01) dans différents établissements de Strasbourg : Au Crocodile, À bout de Soufre, La Hache, La Vignette, Au Pont Corbeau et la poissonnerie Cap d’Hag. Les chefs ont imaginé des recettes originales magnifiant un produit de haute qualité qu’il faut absolument découvrir ! www.poissons-de-norvege
MAILLOT JAUNE Oliver Grosjean est un blogueur influent dans le monde du vin et l’un des plus grands spécialistes du vignoble du Jura : il vient de faire paraître, un livre indiquant dix façons d’accompagner Le Vin jaune (7 €) dans une collection élégantissime des éditions de l’Épure. À la découverte d’un nectar divin qui se marie avec autant de pertinence au foie gras qu’au comté, sans oublier… les grenouilles de Franche-Comté ! www.epure-editions.com
www.taittinger.com Poly 194
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UN DERNIER POUR LA ROUTE
de l’or en bouteille Invité par le caviste Au Millésime, Alexandre de Lur Saluces était en Alsace fin décembre. Après avoir présidé aux destinées d’Yquem de 1968 à 2004, il se consacre désormais à 100% au Château de Fargues, autre joyau du Sauternais. Rencontre avec un mythe.
Par Hervé Lévy Photo de Stéphane Louis pour Poly
www.chateaudefargues.com
D’Yquem à Fargues est paru chez Gallimard (39 €) www.gallimard.fr
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l a plus de 80 ans. La voix ferme, le propos qui ne l’est pas moins. Alexandre de Lur Saluces s’inquiète des nuages accumulés sur le Sauternais, évoquant la LGV reliant Bordeaux, Toulouse et Dax qui menace un écosystème et un microclimat permettant l’épanouissement du Botrytis cinerea, la célèbre pourriture noble : « Il s’agit de gagner quelques minutes sur un parcours. On ferait mieux de les perdre. De boire un verre de Sauternes en contemplant les paysages magnifiques que le TGV risque de massacrer ». Au moins aussi grave est une certaine désaffection pour le meilleur vin liquoreux de la planète : « On est en train de détruire
beaucoup de choses à notre époque, d’escamoter la culture qu’implique la production de ce vin d’extravagance, unique au monde », assène le comte qui brocarde « l’uniformisation croissante des goûts », tel un Jonathan Nossiter old school. « Le Sauternes a été caricaturé. Il est banalisé à l’extrême, alors qu’il doit rester un produit d’exception. Pour beaucoup, c’est un vin lourd et sucré. Ces défauts s’appliquent à un mauvais Sauternes ! Un grand Sauternes est aérien. On peut le déguster avec bien d’autres choses qu’un foie gras. Essayez avec le poulet du dimanche par exemple, vous serez surpris », ajoute-t-il. En breuvages de haute volée, il en connaît un rayon, lui qui a dirigé Yquem, un des mythes de la planète vin qui était dans la famille Lur-Saluces depuis le XVIIIe siècle. « Yquem, c’est nos facultés gustatives poussées jusqu’à l’indicible. C’est la suavité absolue, la pleine jouissance », écrivait un Frédéric Dard lyrique, laissant de côté l’argot gouailleur de San Antonio. Reste que les raisons du goût exceptionnel du vin demeurent mystérieuses : « Lorsqu’on me demande “Pourquoi Yquem ?”, ma réponse est toujours la même : je ne sais pas », avoue Alexandre de Lur Saluces qui s’occupe désormais à temps plein du Château de Fargues. Rising star de la galaxie liquoreuse, il s’adresse à de vrais esthètes, non à des « buveurs d’étiquettes. Bien évidemment, le vin est un fait social, mais ils sont nombreux à oublier qu’il n’est pas que cela. À Bordeaux, on a tendance à parler de marque plutôt que de vin, à toujours vouloir faire du nouveau… Des coups marketing, tout simplement », constate un homme de tradition, amoureux de la simplicité : « On peut aussi – on devrait même – boire un verre de Fargues, comme ça, sans rien, avec un ami ». On suivra le conseil…