Poly 198 - Mai 2017

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N°198

MAi 2017

poly.fr

Magazine

Mike Bourscheid Cap sur Venise



OPEN ART

400 artistes alsaciens participent aux Ateliers Ouverts (13 & 14/05, 20 & 21/05) partout sur le territoire. L’occasion parfaite pour découvrir plus de 150 endroits, par exemple en suivant le parcours intra muros à Mulhouse (13/05) qui se clôture par un vernissage au Motoco (20h) ou encore deux espaces récents, sur la route des Romains à Strasbourg- Kœnigshoffen : La Fabrique, un atelier partagé ouvert aux bricoleurs, artistes et artisans ainsi que La Hutte Gruber fondée en 2017 par des créateurs diplômés de la HEAR.

Juniore © Julia Grandperret

ateliersouverts.net

© Armand Habazaj

© Alex Flores

BRÈVES

CHANT ENCHANTÉ IN DA CLUB

La 40e édition du festival franco-allemand des arts de la scène Perspectives (01-10/06, Sarrebruck, Forbach, Metz…) attend 40 000 festivaliers, notamment pour sa programmation musicale : chansons engagées sur rythmes tropicaux de Zoufris Maracas, pop fraîche et sexy de la parisienne Juniore ou encore electro berlinoise de Say Yes Dog ! Quant aux fous de dancefloors, prenez la direction de Sektor Heimat, tout nouveau club du festival installé dans un lieu alternatif et industriel.

Installée dans la capitale européenne, la soprano albanaise Oriana Kurteshi propose un récital placé sous le signe de la Nature (19/05, Salle du Münsterhof, Strasbourg). Sa voix délicate arpente des territoires situés entre répertoire germanique – avec des Lieder de Schubert et Strauss – et mélodie française avec des pages de Debussy et Ravel, dont on entendra les Cinq Mélodies populaires grecques, délicieuse échappée méditerranéenne. orianakurteshi.fr

festival-perspectives.de

HISTOIRES

D’OR

Le Patrimoine mondial Völklinger Hütte explore avec Inca – Or, Pouvoir, Dieu (06/05-26/11) la place de l’or dans la culture inca qui considérait le métal comme un symbole divin du soleil. Face à cette vision, se découvre celle, purement matérialiste, des conquérants espagnols de Pizarro. Bijoux, statuettes, objets de culte, céramiques et textiles font de cette exposition une première mondiale avec des prêts prestigieux du Museo Larco de Lima. Couronne d’un prêtre, Larco Museum © Weltkulturerbe Völklinger Hütte / Hans-Georg Merkel

voelklinger-huette.org Poly 198

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Totorro © Florian Renault

SONIC YOUTH

NEW MUSIC

We are young Team continue à creuser le sillon postrock avec son nom sonnant comme un clin d’œil à Mogwai. La 17e édition du festival (Trinitaires de Metz, 19 & 20/05) convie d’ailleurs de bons élèves du groupe écossais : Totorro, bande de jeunes qui sèchent les cours de maths (rock) pour des échappées en deux roues au pays des volcans en éruption. À voir également, God is an Astronaut, Meniscus ou Xiu Xiu avec sa musique azimutée.

Le festival des musiques actuelles & émergentes Supersounds (jusqu’au 18/05, Strasbourg, Colmar, Fribourg, Bâle) organisé par la Fédération Hiéro Colmar fête son vingtième anniversaire. Transfrontalier et itinérant, il propose de belles découvertes comme le folk de la globetrotteuse helvète Melissa Kassab (11/05, Café Libellule, Colmar ; voir photo) ou la pop lumineuse de Villejuif Underground (18/05, Stimultania, Strasbourg).

trinitaires-bam.fr

PASSION

Avec Grand Tour (jusqu’au 30/07) le Museum für Vor-und Frühgeschichte de Sarrebruck – en collaboration avec le Saarlandmuseum – explore un phénomène culturel européen des XVIIIe et XIXe siècles. Accompagnez les aristocrates d’alors qui allaient former leur regard en Grèce, Égypte et Italie. Sculptures, gravures, photographies, peintures et découvertes archéologiques témoignent d’une intense passion pour l’Antiquité. kulturbesitz.de Figure de femme sur un cerceuil égypthien, lieu de découverte : Thèbes, IIe siècle après J-C © Photo MNHA Luxembourg/T. Lucas

EUROPEAN

GIANTS

Zurbarán, Agnus Dei © Museo Nacional del Prado

OLD

hiero.fr

¡Hola Prado! Deux collections en dialogue (jusqu’au 20/08) est le “match retour” de la rencontre entre le Prado et le Kunstmuseum de Bâle, deux géants du continent. Après un premier prêt de l’institution suisse pendant sa fermeture en 2015, 26 chefs-d’œuvre du prestigieux musée madrilène – signés Titien, Vélasquez, Zurbarán ou Goya – sont confrontés aux maîtres du Nord : Baldung, Holbein ou Rembrandt. Un événement ! kunstmuseumbasel.ch

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FROID

Trois femmes photographes nous livrent leurs images gelées dans l’exposition mulhousienne Cold Wave (La Filature, 17/0502/07). Les glaciers du massif du Mont-Blanc d’Aurore Bagarry ressemblent à un inventaire avant disparition : ils répondent aux images belles et tragiques d’Anna Katharina Scheidegger montrant la déréliction du “patrimoine glaciaire” helvète. Dans la série Uummannaq, Camille Michel décrit, pour sa part, comment l’action de l’homme métamorphose une île du Groenland.

Toute la Suisse se bouge à l’occasion de La Fête de la Danse (05-07/05). Au programme, spectacles, animations, parties, disco kids mais également cours de danse de tous styles, pour petits et grands, débutants ou passionnés ! Dans le coin, on craque pour une grande parade urbaine qui va faire bouger Bâle (04/05) ou pour The Yellow Space (05/05, Barfüsserplatz), interaction festive avec les passants métamorphosés en performers. Move your body ! dastanzfest.ch

Camille Michel, Car abandonned on ice

© Regis Colombo

lafilature.org

© Patrick Messina

NOUVEAU

Laurent Bayle succède à Rémy Pflimlin, disparu en décembre 2016, comme président de l’association Musica gérant le prestigieux festival international des musiques d’aujourd’hui. Directeur général de la Cité de la musique / Philharmonie de Paris, il connaît bien la manifestation strasbourgeoise… puisque c’est lui qui l’a fondée en 1982 avant de la diriger de 1983 à 1986, puis de prendre la tête de l’Ircam Bienvenue à un homme d’expérience ! festivalmusica.org

FESTIF

Samedi 20 mai se déroule la Nuit européenne des musées : au menu, entrée gratuite et animations variées avec comme thématique la table dans des centaines d’établissements. Destination Wingen-sur-Moder, par exemple, et le Musée Lalique pour des visites nocturnes et une invitation à danser masqués avec le groupe Au grès des vents, comme lors du bal que donna Suzanne Lalique pour ses 18 ans. musee-lalique.com nuitdesmusees.culturecommunication.gouv.fr Poly 198

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BRÈVES

Émergences © Orphée Grand Fou

© Alexandre Schlub

JEUNES & FOUS

LE CHAîNON MANQUANT Émergences, semaine dédiée à la nouvelle création, fête sa 10e édition (06-09/06). Les acteurs culturels bisontins s’associent pour présenter un florilège de jeunes talents : du hip-hop enlevé de BlackList (06/06, Café international) au tragique destin d’un Orphée Grand Fou métamorphosé pour opéra de poche (08/06, Petit Théâtre de la Bouloie) en passant par un Ørkestra électrifiant les plus grands airs de musique classique (09/06, La Rodia), vous prendrez un véritable bain de jouvence à Besançon ! besancon.fr/émergences

Après la séparation précipitée d’avec Frédéric Simon en décembre, Le Maillon strasbourgeois a choisi Barbara Engelhardt pour nouvelle directrice. Promouvant l’émergence et les nouvelles formes, l’ancienne programmatrice du festival Premières quitte de facto l’excellent festival Fast Forward de Braunschweig qu’elle avait créé en 2010 pour porter un projet visant à « renforcer le rayonnement international de cette scène européenne » qui fêtera ses 40 ans, en 2018, – peut-être – dans son nouvel écrin. maillon.eu

AU NORD, DU NOUVEAU Découvrez les richesses du Parc naturel régional des Vosges du Nord dans l’édition 2017 du Carnet du Parc : 148 pages totalement gratuites (également téléchargeables) pour découvrir la centaine d’animations (gratuites, elles aussi) proposées au grands et aux petits, entre nature, culture et architecture. Notre coup de cœur ? Les cinq marchés paysans transfrontaliers (avec le Naturpark Pfälzerwald) pour valoriser la richesse des terroirs locaux ! parc-vosges-nord.fr

JARDIN SECRET Le dandy anglais Stuart Staples, leader des Tindersticks à la voix profonde, s’est récemment passionné pour le travail de Frank Percy Smith, naturaliste du début du XXe siècle, auteur des documentaires poético-scientifiques La Naissance d’une fleur ou Secrets de la nature. Staples a monté ses images et écrit une magnifique BO nommée Minute Bodies (sortie en disque le 09/06), un fascinant ensemble présenté au Centre-Pompidou Metz à l’occasion de l’exposition Jardin infini (lire page 54). Jeudi 29/06 à la tombée de la nuit (22h30), dans le cadre du festival Ondes Messines, le groupe livrera un concert sur le parvis du musée. Moment magique en perspective… à prolonger à la Philharmonie de Paris (02/07). centrepompidou-metz.fr philharmoniedeparis.fr Poly 198

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édito

la fête triste T

Par Hervé Lévy

Illustration d'éric Meyer pour Poly

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out le monde se moque de la prochaine Journée de l’Europe : le 9 mai n’a jamais réussi à s’imposer, à l’inverse du 1er ou du 8 du même mois. Pour les plus éveillés, cette date évoque une vague opération portes ouvertes ou des animations mollassonnes plus proches de la kermesse paroissiale fifties que d’une fiesta extatique ou d’une parade patriotique grandiose à Pyongyang. Pour les autres, rien. Il est vrai qu’on commémore la Déclaration Schuman de 1950 mettant en commun acier et charbon ! Instituée par les Traités de Rome de 1957, ce qui se nomme aujourd’hui Union européenne ressemble à une vieille dame percluse de rhumatismes. Les causes ? On peut en trouver de multiples, toutes complémentaires et aussi intellectuellement satisfaisantes les unes que les autres : primat absolu de l’économique avec pour couronnement une monnaie unique, mais absence de politique fiscale et sociale, élargissement successifs du territoire au détriment d’un approfondissement politique essentiel, absence de chair d’une organisation perçue comme un bidule technocratique sans réel poids diplomatique ou un monstre libéral

froid à la solde des lobbyistes. Le résultat ? Les états désunis d’Europe. Une autre raison, plus transversale, de ce désamour des peuples : les rouages de la construction européenne n’ont jamais été graissés par une bienfaisante “huile culturelle”. Lire l’Article 167 du Traité sur l’Union européenne donne envie de prendre un Prozac : « L’Union contribue à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun. » On ne voit pas comment cela pourrait s’améliorer avec le duo du deuxième tour de l’élection présidentielle française, l’une voulant exploser le système, l’autre considérant le secteur comme un vaste open space de PME de province, voire un territoire à überiser d’urgence. Dans ce chaos idéologique, alors que l’UE devrait être un moteur, elle n’incarne plus, au mieux, que le néant. Elle a ses faiblesses et ses inélégances, ses dysfonctionnements et ses mollesses, mais depuis sa création ses membres ne se sont jamais faits la guerre. Ne pas l’oublier est salutaire.



OURS / ILS FONT POLY

Emmanuel Dosda

Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une quinzaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren. emmanuel.dosda@poly.fr

Ours

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Thomas Flagel

Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis sept ans dans Poly. thomas.flagel@poly.fr

Sarah Maria Krein

Cette française de cœur qui vient d’outre-Rhin a plus d’un tour dans son sac : traduction, rédaction, corrections… Ajoutons “coaching des troupes en cas de coup de mou” pour compléter la liste des compétences de SMK. sarah.krein@bkn.fr

Partours, Emmanuel Dosda, Lyon, 2017 www.poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49 Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr

Entre clics frénétiques et plaisanteries de baraque à frites, elle illumine le studio graphique de son rire atomique et maquette à la vitesse d’une Renault Captur lancée entre Strasbourg et Bietlenheim. Véridique !

Julien Schick

Il papote archi avec son copain Rudy, cherche des cèpes dans les forêts alsaciennes, se perd dans les sables de Namibie… Mais comment fait-il pour, en plus, diriger la publication de Poly ?

Éric Meyer

Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. http://ericaerodyne.blogspot.com

Dimitri Langolf

Notre attaché commercial smashe avec les inserts publicitaires, lobe la concurrence et fonce, le soir venu, pour assister à un concert de rap old school avec ses potes ou faire un apéro / pétanque. Tu tires ou tu trinques ?

Luna Lazzarini

D’origine romaine, elle injecte son “sourire soleil” dans le sombre studio graphique qu’elle illumine… Luna rêve en vert / blanc / rouge et songe souvent à la dolce vita italienne qu’elle voit résumée en un seul film : La Meglio gioventù.

Benoît Linder

Cet habitué des scènes de théâtre et des plateaux de cinéma poursuit un travail d’auteur qui oscille entre temps suspendus et grands nulles parts modernes. www.benoit-linder-photographe.com

Stéphane Louis

Son regard sur les choses est un de celui qui nous touche le plus et les images de celui qui s’est déjà vu consacrer un livre monographique (chez Arthénon) nous entraînent dans un étrange ailleurs. www.stephanelouis.com

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Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Ont participé à ce numéro Fiona Bellime, Amélie Deymier, Sarah Dinckel, SMK, Geoffroy Krempp, Christian Pion, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphistes Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Luna Lazzarini / luna.lazzarini@bkn.fr Développement web Alix Enderlin / alix.enderlin@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly Administration, gestion, abonnements : 03 90 22 93 30 Mélissa Hufschmitt / melissa.hufschmitt@bkn.fr Diffusion : 03 90 22 93 32 Vincent Bourgin / vincent.bourgin@bkn.fr Contacts pub : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Sarah Krein / sarah.krein@bkn.fr Dimitri Langolf / dimitri.langolf@bkn.fr Rudy Chowrimootoo / rudy@bkn.fr Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 e 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : Avril 2017 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE © Poly 2017. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – www.bkn.fr

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Anaïs Guillon



sommaire

18 Les rituels traditionnels revisités au Festival EXTRADANSE 20 Théâtre en Mai ou le meilleur des dernières créations à Dijon 25 Les Musicales de Colmar se mettent à l’heure européenne

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26 Les Imaginales explorent les mondes imaginaires à Épinal 30 La jeunesse de Thomas Bernhard au cœur de la création de Claude Duparfait au TNS

31 Les Époux, grandeur et décadence du mythique couple Ceauşescu

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33 Les pathologies De la démocratie façon Nuit Debout par Laurent Gutmann

34 Portrait de Robert Lepage touchant à l’intime et au politique 35 Les amours de Cléopâtre et Marc-Antoine par le grand Tiago Rodrigues

40 Fondateur du mouvement des Colibris avec Pierre Rabhi, Cyril Dion s’engage

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42 Entretien avec Rodolphe Burger pour son 4

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album solo

48 Découverte de Mike Bourscheid qui signe le pavillon luxembourgeois à la Biennale de Venise

50 Des Vies et des visages, portraits d’artistes à La Cour d’Or 54 Dans le jardin du bien et du mal à Pompidou-Metz 61 L’architecte Dominique Coulon nous ouvre son intérieur 66 Un dernier pour la route : les pinots noirs d’Alsace 18

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COUVERTURE Sur cette image artistiquement floue, Mike Bourscheid (né à Esch-sur-Alzette en 1984) pose en pyjama rose. Le même qu’il porte durant différentes performances interrogeant notamment la question du genre. Il est ici dans une chambre d’hôtel et entame un dialogue avec un perroquet, un chapeau de cow-boy sur la tête et un bandeau de pirate sur l’œil. Invité par Le Casino, le corsaire de l’art d’aujourd’hui représentera le Luxembourg à la Biennale de Venise (voir page 50) et présentera Thank you so much for the flowers. Plaisir d’offrir, joie de recevoir… mikebourscheid.com

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chroniques

DER KOMMISSAR

SACRÉ BAL Ils sont deux. Un homme et une femme pour un bal travesti. Sophie Dutertre et Donatien Mary (sorti des Arts déco strasbourgeois en 2007) se sont échangés leurs tampons respectifs de jambes, têtes, compositions florales et autres onomatopées frapadingues pour composer, à quatre mains, Le Premier bal d’Emma. Aussi crues, retorses et violentes que les toiles d’Otto Dix, les compositions dessinées du duo nous emmènent dans une folle soirée déguisée pour aristos, rentiers, artistes et joueurs de la haute. Un dramatique accident de la route entre un carrosse, une camionnette de boucherie et la décapotable d’un Baron aviné et pétri de dettes change la donne pour la belle Emma. Elle s’enfuit avec un tigre de Fakir et se retrouve coincée entre des soldats aux gueules cassées et les bestioles d’un savant fou – d’elle – leur greffant des membres à tout crin. La soirée vire aux élans éthylo-patriotiques finissant – comme souvent avec l’alcool et le patriotisme – dans un bain de sang sauvage et stupide, mais Ô combien drôle ! (T.F.)

La collection Enquêtes rhénanes du Verger s’enrichit d’un 31e volume qui fait figure d’événement. Il s’agit en effet de la première traduction en français d’un polar de Hansjörg Schneider, écrivain helvète dont le personnage récurrent, le commissaire Hunkeler de la police judiciaire de Bâle, est une des figures emblématique du genre en terre germanophone. Avec Hunkeler et l’affaire Livius, voilà une affaire bien huilée qui débute avec la découverte d’un cadavre criblé de balles et pendu à un croc de boucher, le jour de l’An, dans un jardin des faubourgs de la ville. Les indices mèneront le commissaire en Alsace, dans les limbes du passé… (H.L.) Paru au Verger (10 €) verger-editeur.fr

Paru aux Éditions 2024 (26 €) editions2024.com

UN COMMUNARD DANS L’OUEST Antoine a quitté la France après la Commune de Paris. Dans les plaines du Missouri, il rencontre Two Moons, indien en fuite, rescapé d’un massacre. Leur histoire d’amitié est narrée par le scénariste Pierre Colin Thibert dans Compadres qu’il signe avec le dessinateur strasbourgeois Fred Pontarolo. Crépusculaire, cette BD au trait précis, sombre et délicat et aux cadrages cinématographiques, est aussi une aventure sociale. Les deux compères débarquent en effet dans une ville minière tenue d’un poing de fer par un “patron voyou” asservissant des ouvriers qui symbolisent le melting-pot américain : juif polonais, anarchiste russe ou séducteur italien. La révolte gronde, la grève menace et tout se terminera comme on ne l’attend pas. (H.L.) Paru aux éditions Sarbacane (19,50 €) editions-sarbacane.com

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chroniques

Joyeux drille, Léon Maret signe un livre à dessiner ou a conserver tel quel en collectionneur pariant sur l’avenir du cours des ouvrages de l’auteur de Laisse faire les sphères (Alain Beaulet) et Cannes de fer et Lucifer (déjà chez les éditions strasbourgeoises 2024). Sauve les chauves compile 56 malheureux sans un poil sur le caillou. S’y croisent icônes de la BD (Astérix, Tintin et Milou à côté du Capitaine Haddock), relectures de peintures classiques, inquiétant groupe de skins mais aussi un ex-président normal ou des icônes du septième art à l’instar de Romy Schneider. À vous d’en revisiter les coupes et de choisir qui portera une Mohawk, une Afro ou une Chantal Goya. (T.F.) Paru aux Éditions 2024 (7 €) – editions2024.com

SUR LA ROUTE Natif de Saint-Louis, Oskar Wöhrlé (18901946) est connu dans l’aire germanique pour avoir raconté sa Première Guerre mondiale sur un ton sarcastique, ce qui lui valut d’être mis à l’index par les Nazis. Son ouvrage le plus célèbre, Baldamus, ou le diable aux trousses n’avait portant jamais été traduit en français : c’est chose faite – et de belle manière – par Joseph Groll et Damien-Guillaume Audollent. Roman autobiographique de 1913 (vendu à plus de 100 000 exemplaires), il narre les pérégrinations d’un jeune garçon qui fuit l’internat où il est caserné, corseté par une impitoyable discipline prussienne. Sur les chemins, partir un jour… Errance inspirée, guidée par un désir de folle liberté. Clodo, gigolo, légionnaire et déserteur, le héros est un clochard céleste : poète et vagabond, il livre une critique sociale au vitriol, pleine d’un lyrisme populo. (H.L.)

© Y.Petit

HAIR

SUNDAY

MORNING Le groupe jurassien Gliz vient d’une autre galaxie, une planète rock où l’on fait rimer blouson en cuir clouté et instruments cuivrés avec une pop fanfaronnante. Le trio de rois de la Gliz mêle banjo électrique, tuba et batterie en des compos évoquant les ballades douces amères de la BO de Délivrance et le blues néo-roots de White Stripes. Le groupe livre un second EP nommé Only Sunday, la bande son de nos week-ends passés à chanter à tuetête afin d’exorciser notre mélancolie. (E.D.) En tournée cet été : Le Fat Tour à Besançon (04/07), Festival des Nuits Rebelles au Moulin de Brainan (06/07), Base nautique du Malsaucy à Belfort (25/08)… facebook.com/gliiizzz

Paru à La Nuée Bleue (20 €) — nueebleue.com Poly 198

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Fruits of Labor © Reinout Hiel

rêves debout La nouvelle édition du festival EXTRADANSE explore en huit pièces chorégraphico-artistiques le besoin de réinvention du vivre ensemble et de rituels traditionnels qui le fondent. Par Thomas Flagel

À Pôle Sud, au Théâtre de Hautepierre, au MaillonWacken et au TJP (Strasbourg), du 3 au 17 mai pole-sud.fr Masterclass avec un danseur de la Cie Christian Rizzo, samedi 6 mai à l’École de Théâtre Physique (11h-14h) théâtre-physique.com Initiation gratuite au schuhplattler avec Alessandro Sciarroni, mercredi 10 mai devant Le Maillon-Wacken (19h) Workshop avec Alessandro Sciarroni, jeudi 11 mai à l’Université de Strasbourg (19h-22h) info@ciradanses.fr

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l y a l’évidanse, la figure tutélaire, celui qu’on ne présente plus. Christian Rizzo1, ancien rockeur soignant son look en styliste penchant fortement du côté des arts plastiques, qui débarqua sur les planches comme par un heureux accident. Dès lors, il ne les quittera jamais plus très longtemps, inventant solos et pièces d’ensemble jusqu’à devenir l’une des références et succéder à la grande Mathilde Monnier à la tête du Centre chorégraphique de Monptellier. Avec Ad Noctum (04-05/05, Théâtre de Hautepierre), il se frotte à la danse de couple avec inventivité. Sur un sol rappelant les bandes de Buren ou les graffs géométriques de L’Atlas, le chorégraphe – qui signe aussi cette scénographie aiguisée où trône un immense aquarium vertical aux angles lumineux irradiant sous les feux de néons blancs – s’appuie sur l’excellent duo de danseurs Julie Guibert et Kerem

Gelebek. Noyés sous les coups d’une création sonore sombrement vivace, ils ploient mais ne rompent pas, se portent et se soutiennent dans une vision électrique. Concert déjanté & ronde épuisée La pulsation ne va pas redescendre avec Fruits of Labor (04-05/05, TJP Grande Scène), dernière création de la performeuse belge Miet Warlop2. Un concert rock déjanté pour un plateau éclaté et un bloc de polystyrène martelé, digne de la folie burlesque et contagieuse qui animait ses précédentes pièces présentées au TJP (Mystery Magnet, Dragging the Bone). Pluie sur caisse claire, solos hallucinés, mèche de perceuse monumentale tournant comme une toupie, espace malmené par un roadie, trois musicos-performeur et Miet Warlop en personne. Du concert revisité à la danse folklorique savamment dynamitée, il n’y a


Aneckxander © Bart Grietens

qu’un pas. Alessandro Sciarroni s’empare du “schuhplattler”, cette manière qu’ont les habitants de Bavière et du Tyrol de se frapper cuisses, mollets et chaussures en des rondes rythmiques d’un pied sur l’autre. Une sorte de gumboot sud-africain, la revendication politique en moins. FOLK-S, Will You Still Love me Tomorrow (09-10/05, Maillon-Wacken, présenté avec Le Maillon) met à rude épreuve les danseurs, lancés jusqu’à l’épuisement dans une chorégraphie envoutante et répétitive, toute en décalages subtils et drôles par rapport au folklore originel. Identités morcelées & rêve éveillé Virage à 180° avec le duo formé par les circassiens-danseurs-performeurs Boris Gibé et Florent Hamon. Avec leur regard poétique sur le monde, ils inventent de micro fictions devant une toile blanche, recréant un plateau de cinéma à l’abandon où d’énormes projecteurs sur pied flashent dans l’obscurité pour créer des visions appelant un imaginaire totalement débridé. Bienheureux sont ceux qui rêvent debout sans marcher sur leurs vies (11-12/05, Théâtre de Hautepierre, présenté avec Les Migrateurs) nous disent ces deux acteurs dans d’étranges scènes muettes avant qu’une bande son ne fasse tout éclater : le fil narratif comme les personnages, les frontières entre théâtre physique, danse contemporaine et acrobatie, le rêve et son interprétation… Comme dans un songe, les images tournent

en boucle, se métamorphosent pour revenir au ralenti et les éléments extérieurs (vent, luminosité, etc.) n’en font qu’à leur tête. Si dans le chamanisme le rêveur est celui qui a vu le monde avant qu’il n’arrive, il ne nous reste alors qu’à essayer de le vivre… Autre circassien de formation, passé entre les mains d’Anne Teresa De Keersmaeker à P.A.R.T.S3, Alexander Vantournhout présente son second solo. Exit son agrès de prédilection – la roue Cyr –, au profit de chaussures plates-formes et de gants de boxe. Aneckxander (16-17/05, Pôle Sud) est son double, ou plutôt une flopée de ses doubles possibles. Un acrobate doté d’instruments prolongeant son corps, un contorsionniste se transformant en partant de ses disproportions physiques (long cou, souplesse…) avec lesquelles explorer le champ des (im)possibles. Dans ce qu’il nomme une « autobiographie tragique du corps » composée avec le dramaturge Bauke Lievens, l’artiste qui s’est entièrement rasé le crane pour renforcer l’étrange neutralité de son genre, joue à endosser des identités plurielles sur des variations d’un morceau de piano d’Arvo Pärt. Dans le plus simple appareil, ce personnage fait de son enveloppe charnelle un objet de curiosité autant qu’un sujet d’appréhension. Cet Alexander / Aneckxander interroge le regard du spectateur, conviant autant les mécanismes de différenciation qu’il brouille les cartes des représentations établies et des certitudes.

Il avait déjà présenté D’Après une histoire vraie au festival strasbourgeois, voir Poly n°176 ou sur poly.fr 2 Lire notre article That’s all folks autour de Springville dans Poly n°153 ou sur poly.fr 3 Performing Arts Research and Training Studios est un projet artistique et pédagogique international dirigé par la chorégraphe flamande à Bruxelles – parts.be 1

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le chaos du monde Théâtre en Mai, c’est dix jours de festival réunissant les dernières créations d’une quinzaine d’équipes sous le parrainage d’Alain Françon. Par Thomas Flagel Photo de Simon Gosselin (Disgrâce)

Dans divers lieux de Dijon (Grand Théâtre, Parvis SaintJean, Consortium, Théâtre Mansart…), du 19 au 28 mai tdb-cdn.com

Lire L’Impatiente rencontre, interview de Dominique Valadié autour de la création du spectacle dans Poly n°192 ou sur poly.fr

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À voir également au Maillon, du 1er au 11 juin – maillon.eu

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Lire notre critique Les Amants de Paris dans Poly n°185 ou sur poly.fr

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uccédant à Maguy Marin, l’ancien directeur du Théâtre de La Colline Alain Françon donnera Le Temps et la chambre1 (19-21/05, Grand Théâtre), pièce de Botho Strauss créée au TNS en septembre dans une traduction de Michel Vinaver (excusez du peu !). Décor bourgeois pour un feu follet de situations et de personnages aussi étranges qu’intrigants qui questionnent la réalité du désir et des relations sociales dans une douce absurdité. Adepte des grands écarts, le festival accueille Nachlass, pièces sans personnes2 (20-27/05, Salle Jacques Fornier), signée Rimini Protokoll, déambulation dans une installation de huit chambres, composées par des hommes et des femmes qui ont décidé de leur mort, comme l’autorise la législation suisse. Ils sont fou de base jump, diplomate à la retraite, graphiste et pêcheur à la mouche ou encore commerçant turc et se savaient condamnés, par une grave maladie, un âge avancé ou des pratiques hautement risquées. Ils ont acceptés de participer à ce projet mené par Stefan Kaegi et Dominic Huber, d’aborder la fin de leur vie comme un ultime voyage, de laisser une trace de ce qui les constituait, mettant en scène leur absence à venir, plaçant le public au plus proche de l’intime. Difficile de choisir parmi la riche programmation de cette édition 2017 comptant notamment dans ses rangs Jean-Luc Vincent, échappé du collectif des Chiens de Navarre le temps

d’un spectacle autour de Marguerite Duras (Détruire, 21-23/05, Théâtre des Feuillants), la remarquée Julie Duclos, présente l’an passé avec Nos Serments3, qui revient avec Mayday (26-28/05, Parvis Saint-Jean), pièce mémorielle et sanglante de Dorothée Zumstein autour d’un fait divers. Mais aussi les Chroniques d’une révolution orpheline de la talentueuse Leyla-Claire Rabih (25-27/05, La Minoterie) : un regard sur ces printemps arabes qui semblent si loin, porté par les mots de Mohammad Al Attar et la volonté de raconter l’histoire en train de se faire de ces peuples divisés qui s’affrontent. Cette plongée dans la complexité du monde et des forces tectoniques s’y percutant traverse aussi Disgrâce (20-22/05, Parvis Saint-Jean), adaptation par Jean-Pierre Baro du roman du Nobel de littérature 2003, John Maxwell Coetzee. Une radiographie du sentiment de vengeance et de la lutte inhérente au basculement postapartheid d’une société divisée dans laquelle les opprimés d’avant accèdent au pouvoir. La vie d’un professeur d’université à Cape Town s’écroule après la révélation de sa liaison avec une étudiante. Il rejoint sa fille en pleine campagne sud-africaine qui subira viol et violence de ses voisins noirs tout en choisissant obstinément de ne pas quitter ce bout de terre qui est le sien. Une réflexion sur la responsabilité historique et la culpabilité individuelle qui n’est pas sans rappeler celle de tous les anciens empires coloniaux.



© Wayne Quilliam

résonnez trompettes

Le NL Contest – dont c’est la 12e édition – est LE rendezvous des cultures urbaines dans le Grand Est ! Démonstrations de BMX, de skate ou de trottinette (!), matches de Streetball (20/05) ou battle de breakdance (21/05) : une riche programmation est proposée aux amateurs de glisse et de culture street. Côté musique, on ne sera pas en reste avec des stars comme le légendaire rappeur américain Pharoahe Monch (19/05) qui mettra le feu à l’Agora Club. Une des nombreuses premières de cette année sera la Battle of the Beat (20/05) dans une nouvelle zone nommée Backyard – proposant des activités ludiques et sportives pour toute la famille – dans laquelle les beatmakers s’affrontent en direct pendant cinq rounds. Lors du OFF du festival on découvrira l’exposition de graffiti South Colors à la Popartiserie (05-21/05) ou encore un week-end de ride virtuelle au Pixel Museum de Schiltigheim (06 & 07/05). (S.M.K.)

© Laurent Khram Longvixay

u Skatepark de la Rotonde (Strasbourg), du 19 au 21 mai A nlcontest.com

Belfort 2014 © Thierry Schaffner

the streets

Cinq jours de festival, 200 concerts (entièrement gratuits), 19 scènes, 1 600 musiciens, pour la plupart amateurs, venus d’une trentaine de pays et 80 000 spectateurs : la 31e édition du FIMU (Festival international de Musique universitaire) s’annonce protéiforme ! Placé sous le parrainage d’Erik Truffaz (01/06, CSC de la Pépinière), l’événement met la trompette à l’honneur dans un réjouissant mélange des genres entre world, classique, jazz, improvisation… Reflets de cette diversité, la tradition tchétchène de Pankassi, le rock belge de Wallace Vanborn, la classe classique du Jugendorchester der Blasmusikschule de Kehl ou encore l’electro inspirante et planante d’Awir Leon. La ville sera investie par un tsunami musical où le promeneur passe en quelques hectomètres d’une ambiance veloutée jazzy aux notes sacrées d’un Te Deum. Encore quelques pas et il plonge dans des expérimentations sonores bizarroïdes ultra-contemporaines. Le FIMU est décidément à des années lumières de la soupe musicale qu’on nous sert trop souvent : il permet d’aiguiser son sens musical et de se laisser gagner par la fête… Pour ceux qui ont encore quelque chose entre les oreilles. (P.R.) ans différents lieux (Belfort), du 1er au 5 juin D fimu.com

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nouveau monde

Pour ses vingt ans, le festival Passages a changé de directeur, mais pas d’ambition : relier les mondes et en donner à sentir le pouls. Par Irina Schrag Photo de La Mouette par D.Matvejev

Dans divers lieux de Metz (place de la République, Arsenal, Opéra-Théâtre, Trinitaires, Théâtre du Saulcy…), du 5 au 14 mai festival-passages.org

* Lire notre article dans Poly n°184 ou sur poly.fr

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uccéder à Charles Tordjman n’est pas une mince affaire. L’homme de théâtre a tellement compté dans le paysage dramatique lorrain, dirigeant le Théâtre populaire de Lorraine (ancêtre du NEST à Thionville) puis le Théâtre de la Manufacture de Nancy (Michel Didym lui succéda), qu’Hocine Chabira mesure la responsabilité qui lui incombe. Pour le vingtième anniversaire de Passages, il s’attèle à briser les frontières (géographiques, intimes, globales) qui traversent nos sociétés et enferment les esprits. Rythmé par des concerts, des expositions, des déambulations poétiques, le festival accueille surtout des équipes de théâtre du monde entier. Clean City (12-14/05, place de la République) plonge dans la boue politique grecque, portée par le parti néo-nazi Aube dorée, appelant à « faire place nette » en expulsant tous les étrangers du pays. Anestis Azas et Prodomos Tsinikoris dressent un portrait en paroles ultra-réalistes de cinq femmes de ménage immigrées à Athènes. Âgées de 30 à 65 ans, elles racontent ce qu’elles entendent et découvrent d’une société en crise, que leur humour et leur regard aiguisé révèlent de la plus belle des manières. Le trouble d’un changement d’époque irrigue aussi La Mouette très charnelle du lituanien Oskaras Korsuno-

vas (05-06/05, place de la République). Le chef d’œuvre de Tchekhov n’en finit plus, à un siècle de distance, de questionner la place de l’art dans la société. Écho d’une tradition ou flamboyance du renouveau ? Au cœur des tensions du Proche-Orient, Adeline Rosenstein revisite, dans une forme documentaire, 150 ans d’histoire passionnelle et complexe entre Palestine et Occident. Décris-Ravage* (08-10/05, Place de la République) est une conférence sérieuse à images manquantes, une carto-chorégraphie. Tombant à l’envi dans le clown, elle s’empare de faits historiques ponctués de témoignages d’artistes occidentaux ayant traversé la région, mais aussi de saynètes de pièces de théâtre du monde arabe, inconnues de ce côté-ci de la Méditerranée. Cet ensemble dessine un autre rapport à l’histoire en tentant de « “décoloniser” nos imaginaires ». Enfin, ne manquez pas l’hommage rendu par Norah Krief à Al Atlal (07/05, Arsenal, Salle de l’Esplanade), poème d’Ibrahim Naji chanté par la légendaire Oum Kalsoum. Entre paradis perdu et amour enfui, la comédienne met en scène et chante avec ses comparses des témoignages d’exilés et d’autres, plus intimes, comme une poignante lettre à sa propre mère, originaire de Tunisie.


trans-europ-express Pour leur 65e édition, Les Musicales se placent sous le signe de l’Europe. Rencontre avec le directeur artistique du festival de musique de chambre colmarien, le violoncelliste Marc Coppey. Par Hervé Lévy Photo d’Ulrike Von Loeper

En l’Église Saint-Matthieu, au Musée Unterlinden et au Théâtre municipal (Colmar), mais aussi dans le quartier de Logelbach, à Horbourg-Wihr et Turckheim, du 20 au 28 mai les-musicales.com Carte blanche aux Musicales à l’Espace Pierre Cardin (Paris), samedi 13 et dimanche 14 mai theatredelaville-paris.com

Pourquoi avoir choisi L’Europe en musique comme thématique de cette édition 2017 ? À une période où beaucoup doutent de la construction européenne, voire remettent en cause la vision qui la sous-tend, nous avions envie de nous en emparer comme sujet musical, même si cela peut sembler absurde tant le champ des possibles est vaste et tant l’écrasante majorité de notre répertoire est issue du continent. Comment exprimer l’idée d’Europe en musique ? J’essaie de créer une structure irriguant chaque concert et faire que les douze programmes composant le festival forment un immense concert, explorant ainsi des manières complémentaires de revivifier l’idée européenne – une réalité pour les musiciens à toutes les époques – et de la réenchanter. Dans la soirée De Monteverdi à Wagner (26/05, 20h30, Église Saint-Matthieu), nous proposons par exemple une réflexion sur la voix et l’opéra au fil des siècles, de L’Incoronazione di Poppea aux Wesendonck-Lieder. Quelles autres thèmes sont abordés ? Deux me semblent essentielles : nous mon-

trons l’influence des musiques populaires sur des compositeurs comme Sibelius ou Liszt (27/05, 17h, Théâtre municipal) ou l’évolution d’un genre – la suite – parcourant un spectre temporel allant du XVII e siècle avec Jean-Henri d’Anglebert au XXe avec Stravinski (26/05, 17h, Théâtre municipal). Cette année, carte blanche vous a également été laissée à l’Espace Pierre Cardin – utilisé par le Théâtre de la Ville en rénovation pour deux saisons – pour un week-end et quatre concerts parisiens… C’est une manière de présenter Les Musicales et leur esprit à un nouveau public. Dans chaque programme, nous allons mettre en lumière une des thématiques passées du festival : un voyage slave, une réflexion sur les liens entre France et Allemagne (avec des couples comme Bach / Couperin, Boulez / Stockhausen et Debussy / Brahms) et une promenade à Vienne, de Schubert à Schoenberg. La cerise sur le gâteau sera une version du Carnaval des animaux de SaintSaëns avec l’immense André Wilms comme récitant !

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arrivée à destinations Fondées en 2002, les Imaginales d’Épinal prennent les (DESTIN)ations pour thématique. Au cœur des Vosges sont rassemblés les meilleurs écrivains et dessinateurs des mondes imaginaires. Par Hervé Lévy Illustration de Julien Delval

Dans différents lieux (Épinal), du 18 au 21 mai imaginales.fr

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lus de 300 auteurs et illustrateurs, quelque 30 000 visiteurs attendus et des centaines de rendez-vous : ateliers d’écriture, remises de prix, rencontres, expositions, spectacles, dîner insolite (Magic Mirrors 1, 17/05), speed dating entre auteurs et éditeurs, etc. Les Imaginales d’Épinal sont LE rendez-vous des aficionados de fantastique, des dingues de S-F, des amateurs de fantasy ou encore des fondus de contes et légendes. Le cru 2017 de la manifestation, placé sous le signe des (DESTIN)ations, est des plus passionnants. Son esprit est incarné par l’univers artistique de Julien Delval (à qui l’on doit l’affiche de l’événement), illustrateur génial qui nous entraîne dans des mondes où la mythologie antique se marie à la fantasy : de preux chevaliers chevauchent des dragons voletant au cœur de cités d’outre-espace remplies de concrétions architecturales gothiques et de références à l’Antique. Au menu de cette riche édition, des expositions comme La Terre – Aventure #2 (Musée de l’image, 13/05-05/11) avec les œuvres d’argile de Clément Richem, l’ésotérico-initiatique Voyages du Franc-Maçon (MDAAC, 16/05-26-08) ou

encore la rencontre entre l’absurde de Bault et le graffuturisme de Gilbert1 réunis dans Destination Street Art (La Plomberie, 1330/05). L’occasion est belle de rencontrer de nombreux auteurs venus de la planète entière avec un focus sur le pays invité, la Suisse. On croisera ainsi Georges Panchard et son culte Forteresse, roman d’anticipation se déroulant en 2030, alors que les mégacorporations ont pris le pouvoir, Hubert Froidevaux, co-fondateur du délirant collectif Plonk & Replonk, ou encore Laurence Suhner et sa saga en trois parties QuanTika, entre space opera et réflexion archéologique sur les vestiges que laissent les civilisations disparues. Nos coups de cœur ? La très british Jo Walton avec l’initiatique Morwenna et la trilogie uchronique du Subtil changement dans une Angleterre qui a signé une paix séparée avec le Troisième Reich et Tom Hillenbrand pour son inspiré Drone Land où l’écrivain allemand décrit un monde orwellien dans lequel les citoyens sont surveillés par une technologie surpuissante. Le climat est devenu fou et des guerres font rage pour contrôler les ressources naturelles. Science-fiction, vous avez dit science-fiction ?


hymnes à la joie Neuf jours de zygomatiques en folie et de musiques en tout genre et des centaines de propositions : la 26e édition de L’Humour des notes s’annonce sous les meilleurs auspices, riche et primesautière, autorisant un salutaire éclat de rire. Le festival s’adresse aux grands et aux petits avec un Village des enfants où il se passe toujours quelque chose : on craque pour Klonk et Lelonk (à partir de 7 ans), un duo absurde pour des situations abracadabrantesques. La manifestation se déroule en outre à l’intérieur et à l’extérieur avec en particulier une soirée dédiée aux Arts de la rue (27/05). Le public retrouvera des habitués comme Les Épis noirs pour leur désopilant Flon Flon ou la véritable histoire de l’Humanité (24/05, Théâtre : en photo), entre musette et folk. On se laissera porter par l’art de Fred Radix (25/05, Théâtre) siffleur de génie qui revisite le répertoire classique, décoinçant Mozart et compagnie ou par la folie du cabaret humoristique de Flannan Obé, Je ne suis pas une libellule (23/05, Théâtre). Le comédien y évoque son parcours, entre autodérision et tendresse. (R.Z.)

Là où volent les feuilles © Theatr Arad Goch

Jøttnjøl © Ben de Haas

ans divers lieux (Haguenau), du 20 au 28 mai D humour-des-notes.com

au pays des histoires

Pour sa 18e édition, le festival Mon mouton est un lion, organisé par l’Espace Rohan de Saverne, propose une grande diversité de spectacles et d’animations à destination du jeune public. Un des points forts en est La Journée festive (21/05) dans le Château des Rohan et ses magnifiques jardins, pendant laquelle on pourra voir des spectacles comme Là où volent les feuilles (21-23/05), du théâtre d’objet de la compagnie Theatr Arad Goch qui anime des éléments végétaux et incite les enfants à participer. Au programme également de la danse hip-hop avec Index (16/05, Espace Rohan) de la Compagnie Pyramid qui se déroule dans un décor de bibliothèque et interroge notre rapport au livre. Dans les jardins du Musée Lalique de Wingen-sur-Moder (04/06), on rencontrera Les Jøttnjøl, créatures mignonnes à taille humaine qui semblent sortir du Hobbit pour raconter des histoires néerlandaises. Une deuxième Journée festive à Hochfelden (04/06) marquera la clôture des festivités avec des spectacles de cirque et de magie à ciel ouvert, un atelier de peinture et un espace de restauration. (S.M.K.) ans divers lieux du Pays de Saverne (et aux alentours), du 16 mai au 6 juin D mouton-lion.org

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Belfort (La Poudrière, L’Entrepôt…), à Montbéliard À (Le 19, le Cinéma Pathé, à Besançon (La Rodia, aux 2 Scènes…), du 2 au 30 mai – festivallibresregards.com

© Marc Namblard

action hero

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Je ne suis pas venue seule © Jeff Caire - Spectralex

« Une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes et pour les autres » : cet extrait de King Kong Théorie de Virginie Despentes (invitée d’honneur en 2016) est un possible résumé pour le Festival Libres regards qui questionne une nouvelle fois la notion de genre. Au cours d’une huitième édition haute en couleurs (de l’arc en ciel), des conf / performances et projections vidéo ou ciné (Priscilla, Folle du désert), lectures (sur “l’invention de la culture hétérosexuelle”) et des rencontres (avec l’auteur de BD Hughes Barthe), du théâtre (Je ne suis pas venue seule de Diane Bonnot et la compagnie Spectralex), des soirées festives (avec Les Divas du genre) et des concerts. Parmi ceux-ci, citons celui du quatuor 3SomeSisters, groupe inclassable s’étant fait remarquer pour son extravagance et ses reprises baroco-vocalo-transgenres, ou de ROCKY : uppercuts popsoul, directs du droit dans les basses et crochets house, le combo nous balancera dans les cordes, à La Rodia. L’occasion de découvrir en live Inès Kokou, sculpturale chanteuse “gracejonessienne”, fan de Jean-Paul Goude et de sonorités synthétiques eighties. (E.D.)

Priscilla Queen of the Desert

festival pour tous

Un « panorama des propositions musicales d’aujourd’hui, éventail de pistes pour un futur sans cesse plus proche, Musique Action, par sa conception même et la souplesse de son organisation affirme une différence au service d’une passion à réactiver : celle pour les musiques, donc pour la musique. » Voilà comment Dominique Répécaud, présentait le festival expérimental Musique Action. Le vaillant directeur du Centre culturel André Malraux* qui nous a quittés l’an passé avait concocté une 33e programmation aux petits oignons, pleine de surprises et d’actions, très marquée par la présence de la compagnie Ouïe/Dire qui développe des “créations à entendre”, spectacles musicaux et autres cartes postales sonores. Les petits curieux pourront notamment découvrir Poids-Plumes destiné, comme son nom l’indique, au très jeune public (dès 6 mois !), concert visuel sous forme de paysage sonique. L’aventureux festival s’adresse à toutes les oreilles, grandes ou petites, et convie Azéotropes proposant un bal pop’ ou encore la compagnie Sound Track racontant Le Mystère des Oréades durant un film se faisant sur scène, en work in progress. (E.D.) u Centre Culturel André Malraux (Vandœuvre-lès-Nancy), au Théâtre A Gérard Philipe (Frouard) ou à la MJC Lillebonne (Nancy), du 3 au 28 mai musiqueaction.com * Un nouveau directeur vient d'être nommé. Il s'agit d'Olivier Perry, bienvenue à lui !

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paysages intérieurs Après Des Arbres à abattre1, l’artiste associé du TNS Claude Duparfait revient à Thomas Bernhard en adaptant des récits autour de sa jeunesse2. Le Froid augmente avec la clarté et façonne l’écrivain autrichien, envers et contre tout.

Par Thomas Flagel Photos de répétition de Jean-Louis Fernandez

Au Théâtre national de Strasbourg, du 26 avril au 12 mai tns.fr Thomas Bernhard, un sujet face au collectif ? Comment exister ?!… rencontre-discussion avec Claude Duparfait, dimanche 7 mai à 14h, au TNS À La Colline (Paris), du 19 mai au 18 juin colline.fr

Roman publié en français en 1987 chez Gallimard, co-mis en scène avec Célie Pauthe. Lire Le Dégoût la fureur dans Poly n°161 ou sur poly.fr 2 L’Origine (1981) et La Cave (1982) sont deux récits parus aux éditions Gallimard – gallimard.fr 1

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Après le Thomas Bernhard âgé, plein de dégoût pour l’intelligentsia viennoise, vous revenez à ses jeunes années… L’Origine et La Cave s’attachent à sa jeunesse et son enfance, son rapport à son grand-père. Ils provoquent des réactions virulentes car y sont dénoncées des choses que les gens ont enfoui le plus loin possible : les collusions à Salzbourg, le rapport au national-socialisme et au catholicisme pesant comme une chape de plomb l’un après l’autre, ou encore les pratiques plus qu’autoritaires de l’école. Il raconte sa part subjective, comment il a ressenti les choses et libère ainsi le refoulé de la parole, ce que chacun a étouffé. Sur scène, plusieurs comédiens jouent Bernhard à différentes époques de sa vie. Cela permet de coller à son écriture en nœuds revenants sans cesse ? On retrouve l’électricité, la nervosité et l’irritation de ses phrases longues, peuplant son écriture de digressions. Ses descriptions sont comme des paysages intérieurs où l’écrivain invoque le passé et le réactive au présent. Son “je” convoque l’enfant, le “il” qui le suit le représente à ses 13 ans et l’ensemble se télescope. Nous portons tous la figure de Bernhard au plateau, de manière difractée : la jeunesse, le désarroi de l’adolescence, la partie plus corrosive sur le système éducatif et la procréation, la jubilation quand il quitte le système scolaire et fugue vers une cité populaire. Une figure se promène dans tout ça,

celle du grand-père qui l’a formé avant de le laisser brutalement dans un institut nationalsocialiste pour qu’il fasse des études. Une de ses fragilités vient de là, cette zone de sensibilité du blessé perpétuel qui le fait aller dans le sens corrosif d’une ironie frôlant le cynisme sans jamais y tomber. C’est aussi un animal blessé qu’il faudrait protéger. Est-ce lui qui convoque toutes ces figures ou traversons-nous la seconde moitié du XX e siècle d’époque en époque ? Le passé se mêle au présent, on ne sait si les personnages ne sont pas des revenants. Tout débute par le récit d’un rêve, mais par la suite, à chacun de se faire sa propre idée. Si rêve il y a, c’est celui d’une terre qui ne serait pas souillée par l’Humanité, ni enclin à la guerre et la barbarie. Bernhard convoque une reconstruction utopique d’un monde dans lequel il questionne la place de la poésie, se demandant comment se construire par l’écriture et quel ordre elle peut mettre dans le chaos… Quelle place tient cette musique classique que vous aimez tant ? Elle est grande, même si je dois en supprimer, ce qui est toujours difficile ! Des œuvres peu connues de Stravinski, un trait de Mahler, du Bartók qui a un tel humanisme en lui… La musique est un langage mystérieux, plein de délicatesse, formant un baume intérieur.


les feux de l’amour Anne-Laure Liégeois s’immisce dans les secrets tordants et sanglants des ubuesques Ceauşescu avec une pièce commandée à David Lescot, Les Époux. Par Fiona Bellime Photo de Christophe Raynaud de Lage

À La Manufacture (Nancy), du 9 au 12 mai theatre-manufacture.fr Au Salmanazar (Épernay), mardi 16 mai theatrelesalmanazar.fr lefestin.org

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es deux acteurs, Agnès Pontier et Olivier Dutilloy, en habits folkloriques, sont déjà sur le plateau. Derrière des micros, ils attendent que le public s’installe sur fond de musique traditionnelle roumaine. « Il est né à la campagne », dit-elle. « Elle est née à la campagne », poursuit-il. Le grand à la moustache et la petite à la couronne de fleurs content, à la manière de conférenciers ringards, la terrifiante ascension des deux dictateurs sur un ton grotesque. Parce qu’en effet, personne ne pouvait prédire que ces drôles de personnages prendraient la tête d’un état. L’amour envers et contre tout – et tous –, unis pour le pire, “Les Ceauşescu”, particule indissociable, ont terrifié la Roumanie pendant près de 25 ans. Nicolae, stupide, vaseux et rustre, Elena, profondément mauvaise et inhumaine, à peine plus éclairée que son époux. Marche par marche, ils gravissent discrètement les échelons du parti communiste et accèdent au pouvoir suprême. Après s’être frottée aux mythiques Macbeth et sa Lady, Anne-Laure Liégeois, qui signe la mise en scène et la scénographie, désirait pénétrer dans une nouvelle relation : « Je souhaitais prolonger la réflexion sur le lien, très intime existant entre le pouvoir et le couple dans un temps qui n’est pas si

loin de nous. J’ai un souvenir très présent et marquant de ce “faux” procès, suivi de la fusillade des Ceauşescu à la télévision, en 1989. » Profondément liée avec l’histoire de la Roumanie, la metteuse en scène confie alors l’écriture de sa pièce à David Lescot : « J’ai eu envie de travailler avec lui, parce que je suis très sensible à la musicalité qui émane de sa langue, de ses mots. Mais aussi parce qu’il a beaucoup écrit sur le communisme et a un fort intérêt pour l’Histoire et pour ce pays. » Ainsi, l’auteur nous plonge dans la biographie de ces Époux, ou plutôt dans une comédie noire et terrible, où tout ce qui est raconté est véritable mais dans « l’ensemble ne répond pas à la plastique d’un documentaire parce qu’il est étiré par le théâtre et ses artifices », confie la metteuse en scène. Enfermés par des murs blancs, les acteurs tantôt eux-mêmes, tantôt narrateurs ou époux, attrapent leurs accessoires comme des rats à travers une trappe au lointain. Progressivement, l’espace se fait envahir par des images projetées sur les parois. Du papier peint délabré de leur début misérable à leur cage dorée, témoin de tous les excès du couple jusqu’à leur procès, nous suivons les outrances et anecdotes burlesques de ces deux mégalomanes, toujours avec humour, un bon moyen de réinterroger l’Histoire. Poly 198

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les voix intérieures

S’inspirant librement des Oiseaux, chef-d’œuvre de l’écrivain Tarjei Vesaas, Virginie Marouzé réunit sept comédiens de sa compagnie Tout va bien ! et de L’Oiseau Mouche (en situation de handicap) pour interpré-

ter Hege et Mattis. Cette grande sœur s’occupant comme elle peut de ce frère si différent, rêveur tourmenté par une présence au monde et une acuité sans bornes aux signes que la nature lui envoie. La Passée, c’est ce vol de bécasses au-dessus de leur modeste demeure au bord d’un lac norvégien qui chamboule et met dans tous ses émois Mattis, homme de peu si sensible à la difficile place qu’il occupe au milieu des autres, sensible à la beauté, gorgé de désir, débordant d’émotions lui rendant la vie compliquée. Sa différence et son flou intérieur sont sublimés par les ambiances musicales du duo de musiciens jouant en direct, en haut d’un promontoire de planches signifiant tout à la fois un ponton, le toit d’une maison et les pentes de la vie qui la rendent si belle… et si difficile. (I.S.) u Centre culturel Pablo Picasso (Homécourt, en collaboration avec A le Théâtre Ici & Là), jeudi 4 et vendredi 5 mai (à partir de 14 ans) ccpicasso.free.fr — theatreicietla.com u Taps Scala (Strasbourg), du 11 au 13 mai A taps.strasbourg.eu

Anthony Poupard, artiste permanent au Préau – CDN de Normandie, crée Sur la page Wikipédia de Michel Drucker, il est écrit que ce dernier est né un 12 septembre à Vire. Seul en scène, il interprète son propre rôle, celui d’un comédien “décentralo” de province cherchant à vendre son spectacle pas vraiment novateur autour des relations qui unissent ou divisent père et fils. Nu sur un plateau enfumé aux lumières rougeâtres, il reprend les alexandrins de Thésée, invoque Sénèque ou encore la starlette Nabilla. Plein d’autodérision, il se pointe à un rendez-vous avec un potentiel futur programmateur torse-nu avec une petite cuirasse sans manches pour parler de sa pièce sans grande prétention. Face à une famille qui rêve un jour de le voir assis sur le canapé rouge de Michel Drucker, une société qui ne jure que par la notoriété, ce petit acteur croit malgré tout en son métier. S’ensuivent des rencontres presque surnaturelles – quoique – avec la présidente de la com’com’, qui accueille “son numéro” dans sa salle des fêtes, une élue qui connaît son public mieux que personne ou un programmateur de théâtre national de “Paris-la-capitale” orgueilleux et prétentieux. Anthony Poupard enchaîne les rôles au rythme des stroboscopes à travers des répliques piquantes et décalées parsemées d’anecdotes croustillantes. (F.B.) 32

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© Tristan Jeanne-Valès

vivement dimanche !

Au Cheval Blanc (Schiltigheim), mardi 2 mai À La Passerelle (Rixheim), mercredi 3 mai Au Relais culturel régional Pierre Schielé (Thann), jeudi 4 mai À la Halle au blé (Altkirch), vendredi 5 mai culture-alsace.org


THÉÂTRE

nuit debout Après Le Prince de Machiavel, Laurent Gutmann adapte Alexis de Tocqueville pour sa nouvelle création au Granit. De la démocratie s’intéresse à ses pathologies dans une mise en abîme du théâtre. Par Thomas Flagel Photo de Danica Bijeljac

Au Granit (Belfort, en partenariat avec MA Scène nationale), du 30 mai au 1er juin legranit.org mascenenationale.com Au Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg, du 27 septembre au 3 octobre theatres.lu

L

orsqu’il commença à se pencher sur De la Démocratie en Amérique – essai philosophique de plus de 900 pages datant du milieu du XIXe siècle – Laurent Gutmann ne se doutait pas que les élections américaines mais aussi françaises donneraient une telle résonnance aux réflexions d’Alexis de Tocqueville. « L’état de la démocratie, dont cet aristocrate français décrit les vertus, démontre à tous les réactionnaires tenants de l’Ancien régime qu’il n’y a pas de retour en arrière possible », assure Laurent Gutmann. « En même temps, il pointe avec une acuité incomparable les pathologies menaçant ce système politique dans lequel le peuple est souverain : la tyrannie de la majorité, l’individualisme triomphant dont le culte de la satisfaction matérielle menace – par confort – de laisser le pouvoir à une élite surprotectrice, ou encore la torpeur née du conformisme et de la médiocrité des désirs. » À rebours de la frénésie du commentaire permanent gangrénant plus que jamais nos sociétés, le metteur en scène propose un pas de côté, « sans lien direct avec l’actualité ». Il convoque un groupe de cinq comédiens d’horizons variés comme la japonaise Reina Kakudate ou le malien Habib Dembélé, lui-même ancien candidat à l’élection présidentielle de son pays

en 2002 ! La bande des cinq invite le public à assister à une répétition de leur création sur De la démocratie, après avoir déjà travaillé ensemble à la table. Nous voilà avec eux lorsqu’ils découvrent le plateau, chacun ayant préparé une proposition personnelle pour représenter Tocqueville. Entre une fable rappelant Ariane Mnouchkine ou Peter Brooks, une forme de théâtre documentaire ou une installation plastique sans comédien, ils vont devoir choisir, se confrontant à la difficulté de décider collectivement de tout. Laurent Gutmann livre une double lecture, collant à cette « remise en cause plus politique qu’esthétique du statut de metteur en scène depuis 15 ans » tout en jouant sur une focale plus large avec « une sorte de Nuit debout du Théâtre dans lequel on choisit un représentant tournant toutes les demi-heures pour tenter, comme on peut, de trouver un consensus. » Ayant à disposition du son, de la vidéo et un décor modulable, ils inventeront une forme théâtrale, avançant grâce aux renoncements de certains droits. Reste au spectateur à trancher car « Tocqueville met en garde : les hommes adorent les droits et l’égalité, mais à choisir, l’homme démocratique préfèrera toujours l’égalité aux libertés ». Quel prix sommesnous donc prêts à payer ? Poly 198

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théâtre

l’illusionniste Figure tutélaire de la scène artistique québécoise, Robert Lepage livre un solo touchant à La Filature. 887, entre souvenirs d’enfance et émois politiques.

Par Thomas Flagel Photos d’Erick Labbe

À La Filature (Mulhouse), mardi 16 et mercredi 17 mai (en français surtitré en allemand) lafilature.org Rencontre-débat “(psych) analyse d’une œuvre“, mardi 16 mai à 22h Conférence “Nouvelles formes, nouveaux modèles scénographiques“, mercredi 17 mai à 18h30

887 illustré par Steve Blanchet, paru aux éditions Renaud-Bray renaud-bray.com

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À

presque 60 ans, un coup d’œil dans le rétro. Pas de ceux qu’on jette, fugace, à la dérobée. Plutôt du genre à plonger dans la mélancolie des souvenirs d’enfance et des moments marquant une vie. Une quête de sens à la recherche, aussi, de ce qu’on appelle oubli. Moins connu en France qu’au Québec, Robert Lepage a toujours absorbé l’usage des nouvelles technologies, nourrissant ainsi sa propre poétique des images. Tutoyant du regard une grande maquette représentant l’immeuble du 887 avenue Murray où il vécut jusqu’à ses 10 ans, le metteur en scène conte les histoires du voisinage et de sa famille, ce père sachant à peine lire et écrire, trimant au volant de son taxi après avoir servi dans les forces navales. Avec ingéniosité, il mêle l’infiniment petit de cette maquette éclairée à la lampe de poche avec le réalisme du présent, jouant des contrastes en faisant tourner sur lui-même un décor qui révèle, au verso, un intérieur d’appartement moderne et froid aussi bien qu’un comptoir de Diner. Usant à l’envie de caméras miniatures, il trouble les échelles, s’invite à l’intérieur de l’immeuble qui, comme par magie, s’anime de silhouettes et d’ombres. Une plongée dans la mémoire d’un homme s’attachant à réinterroger l’héritage collectif, historique et identitaire de la province francophone canadienne. Le voilà qui rejoue, dans un subtil tissage entre petite

et grande histoire, les événements phares du siècle dernier : du sens oublié de la devise « Je me souviens » à la crise d’octobre 1970 qui vit la lutte du Front de Libération du Québec échouer dans la violence, en passant par les émeutes lors de la visite de la Reine d’Angleterre. Lepage se fait marionnettiste pour évoquer la fameuse sortie du Général de Gaulle « Vive le Québec libre ! », figurine de plomb filmée dans un travelling au ralenti devant une foule miniature, retransmis sur grand écran. L’expérience proposée de ce rapport entre le macro et le micro, nourrie de poésie visuelle empreinte de nostalgie, devient enivrante, faisant de lui une divinité gigantesque et toute puissante naviguant dans son propre passé pour éclairer – aussi – les zones d’ombre collectives. De fêlures fondatrices il est encore question dans ce qui demeure le clou du spectacle : le comédien revient sur son infructueuse tentative de mémoriser le poème engagé et revendicatif de Michèle Lalonde, lu durant la rugissante Nuit de la poésie du 27 mars 1970. Speak White – insulte proférée par les anglophones à quiconque parlait alors français – est un éloge au chant rauque de leurs ancêtres, au petit peuple et sa culture autant qu’une dénonciation sans fard de l’impérialisme du dollar et de la prétendue supériorité de la culture anglo-saxonne.


théâtre

notre âme d’amants En livrant une version toute personnelle d’António e Cleópatra, malaxant les visions de Plutarque, Shakespeare et Mankiewicz, Tiago Rodrigues extrait le suc d’une histoire d’amour sans pareille. Par Thomas Flagel Photo de Magda Bizarro

Au Maillon-Wacken (Strasbourg), jeudi 4 et vendredi 5 mai (en portugais surtitré en français) maillon.eu À voir également au Festival d’Avignon : Souffle, création de Tiago Rodrigues, au Cloître des Carmes, du 7 au 16 juillet Tristesse et joie dans la vie des girafes, texte de Tiago Rodrigues, mis en scène par Thomas Quillardet, à la Chapelle des pénitents blancs, du 14 au 19 juillet festival-avignon.com

L

oin, très loin de la démesure shakespearienne et de son pendant sur pellicule qui faillit ruiner la Twentieth Century Fox tout en venant à bout des mariages des deux stars Elizabeth Taylor et Richard Burton, le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues concentre tout son travail sur l’élixir d’amour liant le mythique couple. Une histoire qui finit mal. Une histoire qui, peutêtre, n’aura duré que le temps d’un souffle. Une inspiration. Une expiration. De concert. Rien de plus. António lit son funeste destin dans le vol des oiseaux, Cleópatra dans les contours des nuages. Lui pense « le futur moins important que le présent », elle qu’il « peut-être modifié ». Dans une scénographie minimaliste où trône un mobile calderien aux immenses disques bleus et jaunes dont un subtil jeu de lumière vient étendre les ombres de part et d’autre d’une immense toile tendue recouvrant le sol pour remonter jusqu’aux cintres, António parle pour Cleópatra, et vice versa. Lovés dans les mots de l’autre, n’existant que par son corps, sa bouche, ses bras tendus et ses paumes ouvertes sculptant l’immensité du monde insuffisante à les dissocier. Comme deux inséparables, répétant le même chant à l’unisson, scandant de manière

répétitive ses gestes, ses troubles, ses inquiétudes… bien souvent partagées, entretenues. Avec une profonde sensibilité, Tiago Rodrigues a su composer une partition entremêlée où les mots laissent affleurer les sentiments. Le fil reliant l’une à l’autre. Le lien les unissant au-delà de toutes les contingences politiques qui devraient les séparer. António est ce Marc Antoine appelé un jour à régner, qui a femme et responsabilités à Rome. Cleópatra est l’Égypte. Deux empires appelés à s’affronter. Un inéluctable futur jalonné par leurs erreurs dont chacun mesure l’éclat dans ces étoiles scintillant dans la nuit qui n’est rien comparée au désir qui les consume. Avec cette poésie du dire par le souffle de l’autre et cette économie de gestes laissant l’espace nu offert au spectateur pour le remplir, nous voyons ce couple envoûtant défier l’impossible, danser avec l’ombre de sa moitié comme un souvenir caché au plus profond, avec cette douce et belle idée que le théâtre peut convoquer le Destin et l’asseoir à sa table. Invoquer l’amour et en remplir l’air de sa salle. Provoquer la tragédie et la rendre plus belle que la mort. Défier nations, injonctions et trahisons. Le temps d’un souffle. Une inspiration. Une expiration. De concert. Rien de plus. Poly 198

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déviation acrobatique La troisième création de la compagnie XY se fait à… 22 ! Voltigeurs et porteurs se propulsent, se lâchent et s’agrippent tant qu’ll n’est pas encore minuit. Par Thomas Flagel Photo de Christophe Raynaud de Lage

Au Théâtre de la Rotonde (Thaon-les-Vosges), mardi 9 et mercredi 10 mai scenes-vosges.com Au Théâtre de Thionville, du 11 au 13 mai nest-theatre.fr Au Manège de Reims, du 17 au 19 mai manegedereims.com ciexy.com

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ares sont ceux ayant déjà eu le plaisir de voir 22 artistes réunis sur un plateau de spectacle vivant. Voilà le dernier tour de force de la compagnie XY qui signe collectivement – et sans metteur en scène – son nouveau spectacle de cirque contemporain. La ronde de porteurs et de voltigeurs s’amuse de bascules et de “planches sauteuses” (plusieurs d’entre eux en tiennent les bords pour propulser quelqu’un dans les airs) avec lesquelles ils laissent libre cours à leur imagination, inventant de nouvelles figures. Ainsi surgissent d’impressionnantes et spectaculaires déviations en l’air, quasiment jamais vues auparavant. Si la virtuosité de la compagnie ne se dément pas, tutoyant des sommets à quatre hauteurs d’hommes et de femmes en équilibre les uns sur les autres, une véritable narration s’est nouée. Dans une esthétique très années 1930, le groupe effectue des pas de danse de Lindy-Hop, joue de l’effet de groupe où chacun se bouscule et

chahute pour construire un bordel organisé et grouillant qui sublime la vivacité de lancés croisés à plusieurs mètres du sol. Personne ne peut tout voir, mais le regard se perd dans ce dédale de mouvements et de reconfigurations de duos, happé par la tendresse des détails et l’implication des interprètes dont les regards nous pénètrent autant que leurs mains et leurs corps s’agrippent pour conjurer le sort de la gravité, stopper la chute et repartir de plus belle. Du chaos des débuts, l’intrigue nous emmène dans des variations XY dédiées aux acrobaties périlleuses jusqu’à une scène de domino dans laquelle tout s’imbrique : un mouvement continu anime les êtres virevoltant dans une chorégraphie pleine de poésie et d’inventivité. Un délice réhaussé par ce goût du risque faisant s’accélérer le rythme cardiaque des circassiens comme du public, conscient du danger et retenant son souffle. Le plaisir est d’autant plus fort…


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Rêve et Folie Le dernier spectacle annoncé du dernier grand maître du théâtre français, Monsieur Claude Régy. La parole hypnotique et brute de Georg Trakl dans un écrin d’outrenoir pour conter une vie violente pleine d’autodestruction, de génie précoce et d’expressionnisme intimiste. Immanquable ! Jusqu’au 06/05, Le Manège (Reims, présenté avec La Comédie de Reims) manegedereims.com – lacomediedereims.fr

Baal

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Si vous avez manqué la dernière création de Christine Letailleur au TNS : Stanislas Nordey incroyable dans le rôle-titre de la pièce de Brecht. Jusqu’au 20/05, La Colline (Paris) colline.fr

jEbRûLE Un père disparu, une orpheline dans un spectacle sans metteur en scène convoquant les spectres d’une histoire fantasmée. Marie Payen évolue seule et sans filet au milieu de bandes magnétiques formant une ribambelle de guirlandes emmêlées. Elle invente un passé, chaque soir, ses mouvements et son texte étant improvisés. 02-18/05, CDN de Besançon (en partenariat avec le Festival de Caves) cdn-besancon.fr – festivaldecaves.fr

Le Testament de Marie Une pièce de Colm Tóibín mise en scène par Deborah Warner où Dominique Blanc incarne une femme qui a vu, pendant la Crucifixion, le monde suivre son cours banal, qui a vu, tandis qu’agonisait son fils, des marchands ambulants griller de la viande sur leurs braseros… 05/05-03/06, Odéon Théâtre de l’Europe (Paris) theatre-odeon.eu

In/Utile : Incorporer

© Gregory Batardon

© Jean-Louis Fernandez

sélection scènes

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images, mémoires et mouvements. Les artistes proposent chacun un spectacle dans le même espace : les écrits de Thoreau, les poèmes de Whitman, la philosophie de Marx et la réappropriation des Minstrel dances par les esclaves africains pour Foofwa d’Imobilité. Lunettes unidimensionnelles et casque audio imaginés par Jonathan O’Hear pour retranscrire une discussion poétique avec une artiste-enseignante-aveugle. 07/05, Kaserne (Bâle) kaserne-basel.ch

Und Dans ce monologue, Howard Barker, revient sur ses thématiques de prédilection : le rapport entre le désir et la mort. Son écriture sur le fil mêle poésie, lyrisme, humour noir et tisse le portrait d’une femme dont la parole devient une arme de survie. 10/05, La Coupole (Saint-Louis) lacoupole.fr

MayDay En 1968, Mary Bell, 11 ans, assassine deux petits garçons. Des années plus tard, ayant refait sa vie, elle raconte son histoire à une journaliste. Dorothée Zumstein a écrit sa pièce à partir de cette interview tandis que Julie Duclos, grâce à un dispositif vidéo, insuffle un esprit scénique. 16-18/05, La Comédie (Reims) lacomediedereims.fr

Au Cœur Créée en Avignon l’an dernier, cette pièce chorégraphique de Thierry Thieu Niang réunit des adolescents primo-arrivants de Besançon sur des textes de Linda Lê et les mots-néons de l’artiste contemporain Claude Lévêque. 17 & 18/05, Les 2 Scènes (Besançon) les2scenes.fr

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Foofwa d’Imobilité et Jonathan O’Hear se concentrent sur le corps comme point central de notre être-dans-lemonde, incorporant toutes les informations, sensations, Poly 198

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JEUNE PUBLIC

compagnie aérienne Tourner Autour de Violette et virer Rouge Tomate, c’était déjà très bien. Aujourd’hui, Madame veut nous emmener Une heure au ciel. Attention, ascension !

Par Amélie Deymier Image de Mathieu Linotte

Au Point d’eau (Ostwald), vendredi 12 mai (dès 5 ans) lepointdeau.com Au Carreau (Forbach), mardi 23 et mercredi 24 mai (dès 5 ans) carreau-forbach.com tartinereverdy.com

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u départ de cette nouvelle création de Tartine Reverdy, il y a le « besoin d’air, de liberté, de ciel bleu, de mettre le nez en l’air ». 18 heures de vol jusqu’en Inde du Sud, pour rejoindre un amoureux auront suffi à poser les premiers mots. Une certaine Ambiance au ciel vue à travers les yeux d’un enfant. « C’est gai » et « C’est vraiment super ». La langue est simple, mais riche et politique. « Devenir un oiseau, dériver dans le vent, migrer où il fait beau, pas de frontière là-haut », ne sont pas des paroles en l’air. Des nuages aux doigts, des oiseaux aux oreilles, la compagnie Tartine Reverdy est un objet volant identifié jeune public mais, comme il n’y a pas d’âge pour se voir pousser des ailes, tout le monde sera du voyage… en avion, sans pilote, mais avec deux hôtesses, un steward et tout un tas d’instruments de vol pour donner aux chansons le goût de l’ailleurs. Accordéon, glockenspiel, kazoo, duduk, percussions, basse, contrebasse, guitalélé, senza ou mégaphone, pêle-mêle et tous azimuts. Sur scène, le trio se sert des courants chauds pour s’envoler tutoyer les dieux de l’Olympe et ceux du panthéon indien. Il flotte au milieu des cumulus, stratus et autres Petit nimbus. Des nuages à l’horizon pour projeter des consignes de sécurité un tantinet décalées,

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chorégraphiées par Jérôme Bruxer, mises en image par Stéphane Cronenberger. Tout un univers visuel conçu par Mathieu Linotte qui aux avions, préfère les ballons. Voilà pour l’équipage. Pour le plan de vol, il faut remonter aux années 1990. Tartine Reverdy, s’envole à tire d’aile de sa classe de musique pour mieux y revenir, non plus en professeure, mais en artiste. Parce qu’elle croit en l’école et la culture, parce qu’elle sait à quel point il est important de donner pour ne pas perdre, chaque spectacle est l’’occasion de travailler avec une « classe amie ». En l’occurrence, les CM1-CM2 de l’école Leclerc à Schiltigheim avec qui elle avait déjà collaboré sur Rouge Tomate. En une année, les élèves auront imaginé une chorégraphie Bollywood pour la chanson Hindi baba, appris ce que signifie Paréidolie, noté qu’ici ou là-bas on regarde tous les mêmes étoiles et attrapé le virus de la liberté. « Qu’est-ce qui vous donne des ailes ? » Tartine Reverdy pose la question à tous les passagers de son nouveau spectacle, avant même qu’ils n’embarquent. Ce à quoi, d’une manière ou d’une autre, nous répondons tous l’Amour. Car oui, oisillon ou oisillard, on a beau vivre dans un monde de vautours, qu’on y croit ou non, l’Amour donne encore des ailes. Et Tartine reverdit les prairies de notre imaginaire.



CONCERT ENGAGÉ

petit à petit, l’oiseau fait son nid Souchon, Arthur H ou Izïa : tout un nuage de drôles d’oiseaux s’envole vers La Laiterie afin de prêcher la bonne parole des Colibris, mouvement éco-citoyen fondé par Pierre Rabhi et Cyril Dion, auteur, avec Mélanie Laurent, du documentaire Demain. Entretien aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard.

Par Emmanuel Dosda Photo de Fanny Dion

Le Chant des Colibris, à La Laiterie (Strasbourg), samedi 27 mai de 11h à 18h (débats et ateliers) et de 20h30 à 23h (concerts / lectures) artefact.org

De la politique dans des salles de concert : ça n’est pas courant… Ce qu’on fait avec les Colibris ou le film Demain est politique, bien sûr. Nous avons besoin de nous réapproprier le pouvoir de changer la société. Cette tournée a pour but d’interpeller les gens et de leur dire : attention, nous avons une responsabilité et il est important de prendre part au débat. La société, voire l’Humanité, va dans une direction suicidaire. Nous donnons des pistes pour transformer des élans isolés en quelque chose de concret et communautaire. Comment voyez-vous le monde de demain ? Objectivement, c’est inquiétant, surtout si on additionne tous ces paramètres : le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’extinction des espèces, l’érosion des sols, la déforestation, la disparition de la vie marine, la prolifération des déchets, l’augmentation de la population qui a triplé ces 70 dernières années, les inégalités pouvant conduire à des guerres… Vous nous faites peur… Des chercheurs de la NASA ont observé toutes les civilisations, romaine ou maya, qui se sont effondrées. Ils ont remarqué la combinaison de deux facteurs : une consommation des ressources naturelles plus rapide que leur renouvellement et des inégalités intenables. Ces paramètres sont présents : nous vivons à crédit et le partage des richesses est cri-

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tique vu que, selon Oxfam, huit personnes ont autant de patrimoine que la moitié de l’humanité. Après ce scénario catastrophe, ditesnous vers quoi vous aspirez avec les Colibris ? Rien de très original… Nous aimerions que tous les hommes puissent subvenir à leurs besoins fondamentaux : se nourrir, s’abriter, se soigner, être éduqués, vivre de façon décente… Nous voudrions aussi qu’ils puissent s’épanouir dans la société en faisant une chose pour laquelle ils ont du talent. Arrêtons d’être au service des autres et entrons en symbiose avec l’écosystème ! Comment parvenir à cette harmonie ? En favorisant la permaculture par exemple : on s’appuie sur les ressources naturelles et y ajoutons de l’intelligence humaine en utilisant des outils low-tech qui permettent de démultiplier la fertilité des sols et la productivité. Ici, nos actions réduisent l’impact sur la nature et régénèrent l’écosystème ! Belle initiative, mais que peut faire le citoyen lambda dans son quotidien ? Freiner sa boulimie matérialiste : acheter moins et mieux, pas trop loin de chez lui. Éviter d’acquérir un vêtement fabriqué à l’autre bout de la planète en coton arrosé de pesticides, choisir un fournisseur d’électricité n’utilisant pas le nucléaire, se déplacer à vélo, baisser sa consommation de viande qui


conduit à la déforestation et la disparition des espèces, choisir une banque qui ne spécule pas… Et créer des activités professionnelles qui vont dans ce sens, inventer son métier qui contribue à construire un monde respectueux ! Faut-il brûler Ikea ? La situation est trop grave pour s’interdire de parler à tout le monde ! Il faut engager l’action de tous, même des grandes entreprises. Cependant, pour que le système économique fonctionne bien, il faut de la diversité et les grosses boîtes ont tendance à tout standardiser. Plus une entreprise prend de l’ampleur, plus elle uniformise et concentre d’argent. C’est nécessaire d’amoindrir le pouvoir des multinationales et de développer un maximum de petites et moyennes entreprises ancrées sur les territoires, de trouver un point d’équilibre.

chantez, colibris ! Cyril Dion n’a eu aucun mal à convaincre Bastien Lallemand, Alain Souchon, Arthur H ou Izïa Higelin, Zaz, Tété ou Albin de la Simone (tous présents à Strasbourg), des artistes se sentant en phase avec la philosophie des Colibris. Les oiseaux bienfaiteurs se “servent” de leur popularité pour toucher des gens qui ne sont pas forcément sensibles aux questions de la démocratie participative, du revenu de base, des outils démocratiques nouveaux, autant de sujets traités durant des conférences au cours de la journée précédant le concert. Il s’agit de pédagogie, mais aussi d’un véritable spectacle où les prestations musicales sont entrecoupées de lectures d’extraits de poèmes et autres textes de Cyril Dion… qui apprécie autant les chansons de Souchon que les éco-villages en construction, la culture ou de la permaculture. colibris-lemouvement.org

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burger quiz À l’occasion de la sortie de son quatrième album solo, GOOD, et de sa tournée l’accompagnant, entretien avec Rodolphe Burger, autour d’une sélection de ses titres ou de ceux de Kat Onoma. Reprises – exercice très apprécié par l’artiste – acceptées.

Par Emmanuel Dosda Photos de Julien Mignot

À La Laiterie (Strasbourg, avec Singe Chromé), jeudi 18 mai artefact.org

GOOD, édité par le label Dernière Bande dernierebandemusic.com

1 Lire entretien dans Poly n°166 ou sur poly.fr 2 Lire entretien dans Poly n°172 ou sur poly.fr 3 Lire entretien dans Poly n°163 ou sur poly.fr

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Dans le désert : Vous n’aviez pas l’impression d’être au milieu de nulle part, au moment de Kat Onoma, dans un contexte musical très différent de celui d’aujourd’hui ? Ça n’était pas loin de ça… À l’époque où le groupe essayait d’exister, dans les années 1980 / 1990, il était incroyablement isolé. Nous avons trouvé des soutiens, un public, mais étions peu suivis par le music business et par la presse branchée… hormis Christian Perrault d’Actuel qui, – trop – dithyrambique, disait : « Le meilleur groupe du monde vient de Strasbourg et personne ne le sait ! » C’était disproportionné, mais il voulait nous empêcher de disparaître.

des textes, mais de la voix-même des écrivains, comme TS Elliott qui chantonne par moments. Ça m’émeut énormément. Pour Lenz, je me contente de lire Büchner…

Il y a moins de chapelles aujourd’hui, davantage de passerelles… Oui, et moins de sectarisme : mon fils de 20 ans, de la génération Internet, écoute de tout. Actuellement, on ne cherche plus à être d’un club, d’un réseau. Il y a trente ans, comme Kat Onoma brouillait les pistes, le groupe était à l’écart, à la marge.

C’est digne de Katerine… Ben oui, mais je ne suis pas Philippe Katerine ! Je vous invite cependant à écouter le résultat, plutôt étonnant. Je pratique également l’autoreprise, offrant régulièrement des relectures de Kat Onoma, avec des gens comme Olivier Mellano1 ou Bertrand Belin2. Certaines personnes, comme Françoise Hardy, ne supportent pas les reprises ou remixes car ils considèrent que la version originale a atteint un haut niveau de perfection. Je comprends tout à fait ce point de vue, mais ne suis pas fétichiste.

Story tellers : Mahmoud Darwich, Olivier Cadiot, Pierre Alféri ou, dans GOOD, Georg Büchner : pourquoi autant puiser dans l’écriture pour nourrir votre musique ? GOOD devait s’appeler Explicit Lyrics car j’y assume totalement cet intérêt pour la chose littéraire et certains morceaux partent non

Play with Fire : Grauzone, Trio, Joy Division, Kraftwerk ou, bien sûr, le Velvet. Vous jouez avec le feu en vous prêtant au périlleux jeu de la reprise… C’est surtout dangereux lorsqu’on reprend Love we tell us appart : les fans de Joy Division détestent ! Comme j’apprécie les défis, j’ai même accepté la proposition de Beau Catcheur, projet de reprises de Fred Poulet et Sarah Murcia qui m’ont invité à interpréter… Dur dur d’être bébé.

Variation sur Marilou : Gainsbourg, un héritage lourd à porter ? On me parle souvent de Gainsbourg que


ROCK

j’adore, évidemment, mais je ne me sens pas dans son ombre. Gainsbourg fait des alexandrins, mais plus personne ne peut chanter comme ça aujourd’hui ! On cite aussi beaucoup Bashung, mon ami, devenu statue du Commandeur ! Pourquoi statufier ainsi des artistes ? Mes références étaient surtout anglo-saxonnes à l’époque. Dans les années 1980 nous étions très complexés et Kat Onoma voulait faire quelque chose, en français, qui sonne ! Et cetera : Votre musique est assez introspective, mais vous n’êtes pas un solitaire, travaillant sans cesse sur des projets regroupant beaucoup de musiciens, chanteurs, écrivains, etc. Oui, mais j’ai aussi connu de longues heures en solitaire, dans ma chambre… Je suis davantage dans une pratique musicale partagée aujourd’hui. J’admire les peintres capables de s’enfermer durant des jours, mais j’aurais beaucoup de mal…

The Landscape : Certains de vos morceaux sont conçus comme des paysages, intégrant des sons concrets, volés au réel… Je partage avec Olivier Cadiot cet amour des voix, des sons, des archives… Le sampler, à son arrivée, a été pour moi comme la découverte de la lampe d’Aladin : tu y enfermes des génies que tu peux invoquer ! L’Homme usé : Le rock, la musique pour le théâtre, l’écriture de BO… Tout ça n’est-il pas usant, à force ? Je suis boulimique, mais ai également multiplié les projets pour des raisons économiques. Je ne compte pas arrêter de sitôt car la musique est vitale pour moi. Parfois elle m’épuise, mais elle est surtout source d’énergie.

The Passenger : Vous avez travaillé avec le producteur Doctor L qui s’intéresse énormément à l’Afrique ou avec Rachid Taha3 et sa pop orientale. Vous sentez-vous le passager d’un train international ? Avec Rachid, nous avons un groupe qui se nomme Couscous clan ! Grâce à lui, j’ai chanté Hans im Schnokeloch sur une musique algérienne : là, je suis d’accord, car il y a un échange ! Le Déluge : La pochette de GOOD montre la couronne d’un roi déchu, qui aurait été découronné par une tempête ou une guerre… Il y a une réelle poésie dans cette photo de Patrick Mario Bernard : c’est un objet trouvé, un ready-made, loin d’une image publicitaire ou réfléchie. Il a pris cette couronne de galette des rois froissée avec son portable. C’est postquelque chose, sans doute, mais c’est enfantin aussi. Certains y voient une référence à Baudelaire ou à Isaïe. Pourquoi pas… C’est dans la vallée : Il s’agit d’un morceau écrit avec Cadiot et le nom de votre festival… Le festival est en stand-by cette année, du fait de la sortie de GOOD et de la tournée, mais nous allons proposer deux ou trois concerts à la Chapelle de Sainte-Marie-aux-Mines, le premier week-end de septembre. Poly 198

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MUSIQUE classique

initials b.b.

© Sim Canetty-Clarke

Sous la baguette expérimentée de son ancien directeur musical Theodor Guschlbauer – qui officia entre 1983 et 1997 –, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg s’attaque à deux monuments du répertoire romantique du XIXe siècle de Beethoven et Bruckner, placés sous le signe de l’audace. Du premier, est programmé le Concerto pour piano et orchestre n°4, pièce lyrique et bercée d’une douce poésie renvoyant, dans son deuxième mouvement, au mythe d’Orphée. Interprétée par le très british Stephen Hough au toucher précis et sensuel, cette œuvre d’ampleur symphonique qui révolutionna le genre, permet à l’instrument de caracoler dans des sphères sonores affranchies de toute contrainte avec liberté comme seul mot d’ordre. Suivra la Symphonie n°6 que le second avait surnommée “Die Keckste” (la plus effrontée) en raison de la hardiesse de son écriture. Assez éloignée du credo brucknérien traditionnel, cette partition n’est en effet pas une immense arche irradiant de majesté et de spiritualité, mais une page resserrée, comme ramassée sur une pulsion vitale intérieure oscillant entre une malicieuse légèreté inaccoutumée chez le compositeur et une architecture rigoureuse qui lui est propre. (H.L.) u Palais de la Musique et des Congrès (Strasbourg), jeudi 18 mai A philharmonique-strasbourg.eu L’Arsenal (Metz), samedi 20 mai À arsenal-metz.fr

© Julia Müer

belcantiste & baroque

Une distribution impeccable avec la basse Fabrizio Beggi (à entendre également en récital, 05/05, 18h30), la soprano Salome Jicia dans le rôle-titre et surtout le pyrotechnique contre-ténor Franco Fagioli, baroque star annoncé comme un Arsace d’anthologie : cette production de l’Opéra national de Lorraine de Semiramide, trop rare ouvrage de Rossini, promet ! Histoire d’amour dramatique fourmillant d’intrigues politiques avec pour cadre l’antique Babylone et ses fantastiques jardins suspendus, l’œuvre se situe « au niveau stylistique, sur la ligne de fracture entre baroque et belcanto, chant du cygne de premier et quasi acte de naissance du second. Sur le plateau, elle se déploie dans des allers-retours permanents – faits de confrontations – entre sphère publique et espaces privés », explique Nicola Raab. La metteuse en scène exploite cette double dualité, choisissant d’associer (dans les costumes, les composantes du décor, etc.) l’intime au début du XIXe siècle et le public à l’âge baroque. Elle s’intéresse aussi de près à l’épaisseur psychologique des personnages d’un melodramma tragico « qui pourrait tout autant se nommer Arsace, tant il explore la profondeur d’un être humain à la recherche de lui-même ». (H.L.) l’Opéra national de Lorraine (Nancy), du 2 au 11 mai À opera-national-lorraine.fr

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maisons d'opéra

un printemps arabe

© Patrick Berger

Créé au Festival d’Aix-en-Provence l’été dernier, Kalîla wa Dimna est un opéra de chambre faisant se rencontrer les langues – arabe pour le chant et français pour les parties parlées – et les cultures autour d’une thématique universelle. Le compositeur et chanteur palestinien Moneim Adwan (qu’on retrouve sur scène) a adapté un épisode tiré d’un recueil de fables animalières narrant l’histoire de deux chacals vivant à la cour du roi lion : d’origine indienne, ce conte est un vadémécum destiné aux sages et aux princes dont La Fontaine s’inspira et qui n’est pas sans rappeler Machiavel. Sur une musique entraînant l’auditeur des deux côtés de la Méditerranée avec violon, violoncelle, clarinette, percussions orientales ou encore qanûn – une sorte de cithare –, se déploie une mise en scène sobre et épurée, presque minimaliste signée Olivier Letellier. Dans un décor fait de blocs rappelant un jeu de construction, il décrit un pouvoir manipulant le langage, affirmant : « Avec des mots, on peut faire à la fois le bien et le mal. On peut, comme Kalîla, choisir de raconter et de partager une histoire pour mettre en garde. On peut, comme le fait Dimna, utiliser les mots à des fins personnelles. » (H.L.) l’Opéra (Dijon), du 11 au 14 mai À opera-dijon.fr

Pour Calixto Bieito, il s’agit de « l’Histoire de l’Homme ». Le metteur en scène s’est intéressé à la thématique de la colère dans cette Oresteia martiale et minimaliste, toute en tensions intérieures : « Comment peut-on la contrôler ? Est-ce possible ? Est-ce même nécessaire ? Je ne sais pas si nous pouvons montrer cela sur scène, mais tout est là : éthique, politique, relations familiales, meurtre. » Voilà résumé en quelques mots ce sommet du théâtre musical signé Iannis Xenakis qui s’était emparé de l’œuvre d’Eschyle, mêlant grec ancien et allemand, pour restituer de manière ultra compacte la tragédie des Atrides faite de vengeances, de destin implacable écrabouillant tous les protagonistes et de massacres sanglants. Rassemblées, la pièce sixties éponyme (pour chœur d’enfants, chœur mixte et douze musiciens), Kassandra (1987) pour baryton et percussion et La Déesse Athéna (1992) pour baryton et ensemble, forment une Oresteia rythmique dans laquelle la musique oscille entre stridence et transe, où le texte et le plateau sont martelés avec force, évoquant la scansion grecque pour une pièce aux résonances antiques… plus contemporaine que jamais dans son propos. (H.L.) 46

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© Sandra Then

ils sont sang

u Theater Basel, jusqu’au 27 mai A theater-basel.ch



EXPOSITION

la fleur de mon secret Mike Bourscheid, artiste représentant le Luxembourg à la Biennale de Venise, accueille le visiteur dans un pavillon agencé et décoré par ses soins. Entretien avec Kevin Muhlen, directeur du Casino et curateur de l’expo.

Par Emmanuel Dosda

Thank you so much for the flowers de Mike Bourscheid, au Pavillon du Luxembourg lors de la 57e édition de la Biennale de Venise, du 13 mai au 26 novembre labiennale.org luxembourgpavilion.lu casino-luxembourg.lu mikebourscheid.com

Légende Mike Bourscheid, The Goldbird Variations © Audrey Careau

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Pourquoi avoir sélectionné Mike Bourscheid ? Pour son audace ! Il est au début de sa carrière et nous connaissions peu sa production plastique, car il vit au Canada. Il s’agissait plutôt d’une découverte, d’une bonne surprise, pleine de fraîcheur. C’est un geste d’encouragement… C’est la politique du pavillon luxembourgeois : nous préférons saluer le potentiel d’un plasticien plutôt que d’offrir une consécration à un artiste installé. Le Grand-Duché est un important vivier de jeunes artistes et il faut le souligner, d’autant plus que le Mudam et le Casino, qui a fêté ses vingt ans l’an passé, ont contribué à leur émergence. Nous récoltons le fruit de ce que nous avons semé ces dernières années : nos structures ont permis d’ouvrir les esprits, de développer la création contemporaine. La question de genre et d’identité sexuelle sera-t-elle abordée dans le travail vénitien de cet artiste qui aime se mettre en scène ? Il jongle entre les genres, joue avec son propre corps et son apparence en se déguisant et se travestissant. Mike mixe les cultures et brouille les cartes pour créer quelque chose d’hybride. Dans son pavillon, il sera très présent, grâce à ses performances ou via ses costumes, sculpturaux, exposés et activés durant certaines actions. Sa vie, son corps, sont omniprésents.

Son expo est titrée Thank you so much for the flowers : le public est comme invité à pénétrer dans l’intimité de Mike Bourscheid ? Oui, il transforme le pavillon en espace domestique habité par ses personnages assez baroques. C’est un univers personnel, composé d’objet produits dans son atelier de Vancouver : confections textiles, costumes en cuir, moulages en silicone, prothèses ou poteries. Il fait tout lui-même. Très curieux, ses influences sont autant à chercher du côté de la culture pop que de la danse contemporaine, de la haute couture que des costumes médiévaux… Chacune des cinq pièces est comme le chapitre d’un roman qu’il nous conte durant la visite du pavillon… Nous sommes plongés dans une atmosphère. C’est une narration libre, ouverte à l’interprétation de chacun. Dans une pièce on trouvera un vase / casque en céramique qu’il portera durant une performance où les gens sont invités à déposer une fleur. Dans une autre, il y aura le costume jaune The Goldbird Variations, à la fois viril et féminin. On passe ensuite à un espace entre salle de gym et cabine d’essayage, avec une armure en cuir ou des souliers en fer forgé. Il s’agit de différents univers, reflets des centres d’intérêt d’un artiste qui est un vrai boulimique !



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figures à croquer Le Musée de La Cour d’Or - Metz Métropole convie à pénétrer dans une vaste galerie de portraits des XIXe et XXe siècles à la découverte Des vies et des visages de célèbres artistes.

Par Emmanuel Dosda

Au Musée de La Cour d’Or Metz Métropole, jusqu’au 3 juillet musee.metzmetropole.fr musee-orsay.fr

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n homme nous regarde avec insistance. C’est gênant : on serait presque tentés de détourner les yeux alors que les siens nous fixent. Il s’agit de Jean-Marie Faverjon, un autoportrait en trompe-l’œil au pastel (1868) où l’artiste se représente le visage à moitié caché derrière un motif peint qu’il tient en mains. Surgissant moins du cadre qu’il ne s’y dérobe, celui-ci semble affirmer que l’art est plus important que l’homme. Pourtant Des vies et des visages en dit beaucoup sur la personnalité des créateurs rencontrés dans une exposition regroupant 84 travaux graphiques (1850-1923) issus des collections du Musée d’Orsay. Des portraits certes non destinés à être montrés au grand public (il s’agit bien souvent d’exercices), mais qui s’avèrent d’une extrême justesse, riches en détails, caractérisant parfaitement les modèles. Certains sont préparatoires, mais

la plupart sont achevés. On trouve quelques ébauches et autres exquises esquisses, mais essentiellement des feuilles d’une belle qualité, témoignant notamment de l’amitié entre deux hommes comme les portraits de Verlaine par Frédéric-Auguste Cazals, unis par des liens humains très forts. Ils sont également esthétiques lorsqu’il s’agit de Manet vu par Degas ou Pissaro par Cézanne. Et inversement : je te croque, tu me croques… Uniformité académique Claire Meunier, conservatrice du musée et commissaire de l’exposition, remarque : « Au XIXe siècle, les artistes respectent un certain nombre de codes, de conventions. On ne perçoit pas l’influence de l’impressionnisme ou des autres courants dans leurs dessins. » D’où une certaine unité stylistique. « À cette époque, le dessin a encore une place


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prépondérante dans leur formation. D’après gravures ou figures humaines, il les nourrit tellement qu’il semble y avoir une pratique commune. Au XXe siècle, cette tradition ne sera plus aussi forte. » Bonnes feuilles La présence de carnets d’artistes, au format de poche, nous fait entrer dans l’intimité créatrice de Gustave Courbet ou invite à suivre les pérégrinations de Maurice Denis. Ils attestent de l’importance des études crayonnées alors que la photographie s’est largement développée, permettant de se constituer une banque de données d’images. Les ébauches n’ont donc pas pour unique fonction de fixer un souvenir, mais de saisir un motif pour le reproduire ensuite, de retenir les éléments essentiels, de trouver le cadre et la composition adéquats. Selon Claire Meunier, il s’agit « d’un entrainement avant de passer à l’œuvre aboutie ». Un exercice pris très au sérieux par des artistes qui livrent de magnifiques feuilles, toutes en délicatesse comme celle d’Odilon Redon métamorphosant le portrait du graveur Rodolphe Bresdin en véritable

allégorie de La Vieillesse (1865) au fusain, avec un visage s’estompant, s’effaçant doucement alors que la mort guette, « que le temps fait son œuvre ». Des artistes et des fous Léopold Flameng introduit un semblant de narration lorsqu’il dessine au crayon noir rehaussé de blanc le graveur « virtuose » Charles Meryon âgé de 37 ans (1858). Flameng plante le décor : en pleine nuit, dans son atelier, il est assailli par angoisses et tracas. « Dans un clair-obscur dramatisant la scène, avec une ombre portée en oblique, l’auteur représente la folie créatrice. Le lendemain, le modèle sera d’ailleurs interné à Charenton, marquant sa chute. L’artiste est un génie, mais également un fou ! » Pour la conservatrice, on lit plus facilement dans le dessin les préoccupations des plasticiens que dans la peinture ou la sculpture. De par sa dimension intime, il véhicule davantage d’émotion, même s’il est académique. « Une toile est un manifeste esthétique alors que le dessin est proche de l’essence de la vision de l’artiste. »

Légendes 1. Camille Pissarro et Paul Gauguin, Double portrait de Paul Gauguin et de Camille Pissarro, 1880-1883 © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Tony Querrec 2. Léopold Flameng, Portrait du graveur Charles Meryon âgé de 37 ans, 1858 © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Thierry Le Mage

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ART CONTEMPORAIN

eau sommet Eau & Art : la Fondation François Schneider expose ses Talents contemporains, sept plasticiens venus du monde entier pour autant de promenades aquatiques extatiques. Par Hervé Lévy

À la Fondation François Schneider (Wattwiller), du 29 avril au 10 septembre fondationfrancoisschneider.org

Légende Mathilde Lavenne, Focus on infinity © Fondation François Schneider / Mathilde Lavenne

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écompensant chaque année des artistes travaillant sur le thème de l’eau, le jury du concours Talents contemporains (présidé par Jean-Noël Jeanneney) a livré son verdict. Les sept lauréats – sur 42 finalistes – sont aujourd’hui exposés avec un tropisme pour la vidéo. On découvre ainsi Seascapes [according to MAYA2009] de la néerlandaise Akmar, installation faite de quatre vidéos passant en boucle, générées par un logiciel montrant des mers artificielles dans différents états (calmes, agitées, tempétueuses…) : sur des flots en noir et blanc, apparaissent des formes géométriques élémentaires, cercles, triangles ou rectangles. Elles sont une invitation à comparer le processus de la pensée humaine et le travail d’un ordinateur. Vidéo encore avec les oniriques et inquiétantes Montagnes noires de Julie Chaffort où des moutons dérivent sur un radeau dans une atmosphère lynchienne brouillardeuse et inquiétante et Focus on infinity de Mathilde Lavenne, un « voyage qui commence à bord d’un bateau, une traversée à la fois physique et symbolique » dans le Grand Nord. Vidéo toujours avec Climats de Rebecca Digne : cinq minutes énigmatiques témoignant d’une réflexion polyphonique montrant que « l’eau reste un élément sur lequel l’Homme n’a pas de prise ».

Le visiteur appréciera également Deluge in a paper cup, sculpture d’Alex Seton interrogeant nos sociétés en faisant référence à la méthode de collecte de l’eau utilisée par les migrants, et la série réalisée à la chambre par Zhang Kechun intitulée The Yellow River. Le photographe chinois a arpenté les rives du Huang He pendant plus d’un an, montrant les ravages de la course à l’abîme où son pays est engagé – pollution, érosion, deshumanisation – mais laissant planer l’espoir dans des clichés d’une grande douceur. Enfin, chacun demeure fasciné par les Chutes libres de Benoît Pype, minuscule installation composée de sept sculptures hautes de deux centimètres qui lui furent inspirées par les formes ébouriffées, pleines d’irrégularités piquantes et d’angles aigus, prises par des gouttes de métal en fusion tombées dans l’eau. L’artiste français fait ici référence à un rituel divinatoire ancestral des cultures germaniques venu de l’Antiquité grecque, le Bleigießen, pratiqué le soir du Nouvel An. L’œuvre invite à se métamorphoser en devin pour interpréter les formes offertes au regard, nous questionnant sur notre rapport intime à la destinée et au hasard.



exposition

dans le jardin du bien et du mal Au Centre Pompidou-Metz, nous nous frayons un chemin dans la jungle, terrible jungle, de l’exposition Jardin infini avec Hélène Meisel, commissaire. Randonnée dans une nature parfois hostile, vue comme un « printemps métaphorique ». totalement artificiel. Hélène Meisel, commissaire, avec Emma Lavigne, de l’expo, défriche le terrain : « Monet a peint durant une trentaine d’années ce qui deviendra l’icône de l’impressionnisme, alors que l’élaboration du bassin a nécessité une vraie lutte. » Pour qu’il puisse incorporer des nymphéas, achetés au pépiniériste Latour-Marliac, spécialiste des plantes d’eau, le peintre doit surmonter de très fortes résistances locales : les paysans pensent que l’implantation de plantes exotiques va polluer le cours d’eau, empoisonner récoltes et bétails… Monet bataille, fait jouer ses connaissances pour mener à bien son projet végétal.

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Par Emmanuel Dosda

Au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 28 août centrepompidou-metz.fr Et aussi, Jardins au Grand Palais (Paris), jusqu’au 24 juillet (avec des œuvres de Cézanne, Dürer, Klimt, Richter ou Caillebotte) grandpalais.fr

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i-avril. La végétation sort enfin le bout de son bourgeon. Avant de se rendre au Centre Pompidou, nous errons dans une ville fleurissante et faisons quelques pas près du martial Arsenal, au Jardin de l’Esplanade. Un bassin circulaire, des arbustes coupés net, des parterres alignés, des plantes au garde à vous. Rompez ! Dans l’expo, nous sommes très loin de Versailles et Le Nôtre, de la nature domptée à coups de sécateur. Pas de parcs “à la française”, mais de petits coins d’expérimentation, des secret garden faisant office de laboratoires, des jardins pas vraiment d’Éden, ni des délices, assurément des délires. Arnaques, crimes et botanique L’exposition conduit dans la luxuriance De Giverny à l’Amazonie. La visite débute parmi les Nymphéas de Claude Monet qui s’installa dans l’Eure dans les années 1880 où il cultiva deux jardins : le très fleuri Clos normand avec ses plates-bandes et le Bassin

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Une pierre dans notre jardin Le « fantasme » de contamination de la vieille Europe par des corps étrangers est le point de départ d’une exposition qui raconte en filigrane l’exploration du monde et la colonisation… le rejet de “l’autre”. Le jardin n’est pas vu comme l’incarnation du pouvoir, il est subversif. Hélène Meisel : « La notion de jardin renvoie à l’idée d’un enclos, d’une chasse gardée ou l’on cultive le meilleur et qui s’oppose à la forêt “sauvage”. Nous voulions voir le jardin d’une autre manière : décloisonné, sans limites, infini. Dans le monde globalisé, les frontières sont sans cesse traversées, volontairement ou non. Il est question de décloisonnement, de migration, de transplantation, d’acclimatation. Le brassage est tel qu’il n’y a plus de distinction entre les plantes néophytes, qui viennent de l’extérieur, et les plantes endémiques. L’idée d’un jardin intact, originel, n’existe plus. » Pompidou expose des jardins d’artistes qui pervertissent les codes des paysagistes et


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les imaginent comme « des prolongations de leurs ateliers », des observatoires où ils expérimentent, hybrident et greffent, des tanières éloignées des métropoles. Jardin sauvage et (art) brut chez Dubuffet (qui utilise les ailes des papillons de son verger pour composer ses toiles), suspendu chez Ernesto Neto, en spirale chez Mario Merz, post-apocalyptique et cinématographique chez Philippe Parreno… Le Grafted Garden de Tetsumi Kudo est quant à lui « indocile et indécent » avec ses formes phalliques. L’artiste japonais qui a vécu Hiroshima propose un jardin / cimetière post-nucléaire avec des plantes génétiquement modifiées, des éléments électroniques et des membres humains “fanés”. Il nous met en garde : la nature domestiquée a commencé à se venger de l’Humanité qui n’a pas su prendre conscience « des conséquences d’une pollution irréversible ». Gazon maudit Une des deux galeries de l’exposition est conçue comme un parcours immersif, un pâturage où l’on erre, avançant sur une pelouse artificielle comme dorée par un soleil caniculaire. On y croise des delphiniums mutants (Dana Steichen), des plants de haricots grimpants (Hans Haacke) ou un magnifique

Iris Blanc peint en 1957 par Georgia O’Keeffe d’après modèle dans son jardin du Nouveau-Mexique. Il y a aussi un étonnant clin d’œil au jardin de Monet, lieu de pèlerinage pour de nombreux artistes contemporains. Pierre Huyghe y a prélevé quelques échantillons pour recréer un écosystème, dans un grand aquarium à l’eau trouble. L’étang de Monet a donné lieu à de grands panneaux peints – une œuvre circulaire englobant le regardeur – exposés à L’Orangerie du jardin des Tuileries qui se transforme alors en véritable chapelle “Sixtine de l’impressionnisme” : la relecture de Huyghe inverse le dispositif, le public pouvant faire le tour de son « jardin sous-marin ». Autre écho à Monet et ses plantes exotiques jugées toxiques, l’Île pour mauvaises herbes de Simon Starling. L’artiste britannique qui travaille beaucoup sur la notion de déplacement fait allusion à une vive polémique du XVIIIe siècle concernant… les rhododendrons, devenus « objet de discorde » : importés d’Espagne, ils vont en effet prospérer dans la lande écossaise et donc être considérés comme invasifs, nuisibles, catalogués “à éradiquer”. Starling leur donne l’hospitalité sur un “radeau / refuge” pour jolies plantes migrantes d’agrément devenues d’indésirables fleurs du mal.

Légendes 1. Philippe Parreno, C.H.Z., Continuously Habitable Zones, 2011 2. Peter Fischli et David Weiss, Sans titre (Blumen 2/20), 1997-1998

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expositions

Cela fait 500 ans qu’un moine augustin métamorphosa la Chrétienté en affichant, à Wittenberg, ses 95 Thèses condamnant le commerce des indulgences par l’Église catholique. Intitulée Le Vent de la Réforme / Luther 1517, cette exposition rassemble 130 pièces – livres, gravures, etc., – illustrant ce bouleversement qui se répandit comme une trainée de poudre dans toute l’Europe. La présentation est centrée sur la réception du message luthérien – considéré comme une véritable libération – à Strasbourg et Riga qui forment deux pôles importants de la Réforme aux confins de l’Empire germanique. Grâce à un parcours didactique, le visiteur comprend mieux le contexte religieux et politique du XVIe siècle, découvre comment les idées circulaient et plonge au cœur des composantes essentielles de la dévotion du réformateur. Au rayon artistique cohabitent de délicats portraits de Luther avec son emblématique rose, des gravures signées Cranach, la première Bible imprimée en allemand datant de 1466 et bien d’autres émouvants témoignages. (P.R.) la Bibliothèque nationale et universitaire (Strasbourg), jusqu’au 5 août À bnu.fr

l’étranger

Dans le cadre d’e.cité – cycle de manifestations visant à promouvoir la scène contemporaine européenne à Strasbourg –, Apollonia a mis le cap sur Berlin sous le signe de la Philoxénie, concept qui, pour résumer, invite à faire bon accueil à l’étranger. Ce voyage vers l’Autre est aussi une réflexion sur la place des migrants dans nos sociétés occidentales avec notamment une Table-ville, en porcelaine de Stephen Wilks, véritable « territoire de partage » pour l’artiste où chacun doit trouver sa place, qui voisine avec Bottle river, son installation composée de 1 400 bouteilles de céramique, armée silencieuse et invisible renvoyant à la tragédie migratoire. Pour sa part, Stefanie Bürkle questionne une identité complexe à travers les espaces de vie de familles turques rentrées au pays… où abondent les références à la banlieue pavillonnaire made in Germany ! Face à cette installation vidéo intitulée Migrating Spaces, se découvre Making Waves de Daniel Seiple, retranscription artistique d’une épopée aquatique sur un bateau construit avec des réfugiés syriens. Grâce à ces propositions et à des rencontres organisées sous la tente faite de gilets de sauvetage du collectif KUNSTrePUBLIK, Apollonia fait avancer le débat. (H.L.) l’Espace Apollonia (Strasbourg), jusqu’au 31 mai À apollonia-art-exchanges.com

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Bible dans la traduction de Luther (1543), gravure de L. Cranach, WLB Bb deutsch 1543

luther pour la liberté



en avant la musique À Montbéliard se déploie une passionnante rétrospective dédiée à Henry Valensi (1883-1960) : à la découverte des toiles irradiantes de couleurs du fondateur du musicalisme.

Par Hervé Lévy

Au Musée du Château des Ducs de Wurtemberg (Montbéliard), jusqu’au 17 Septembre montbeliard.com Mercredi 31 mai à 18h, rencontre avec Didier Vallens, neveu du peintre et Marie Talon, auteure du livre Henry Valensi (1883-1960), l’heure est venue… (réservation conseillée au 03 81 99 22 53)

Légende Henry Valensi, Symphonie en jaune, étude, 1935 © Collection privée, Courtesy Galerie Le Minotaure ADAGP Paris, 2017

Émanation du Groupe de Puteaux, rassemblant des cubistes souhaitant réconcilier art et science qui organisa le Salon de la Section d’or, en 1912. 2 Guillaume Apollinaire rapproche le cubisme orphique de la musique avec sa poésie pure. 1

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ableaux, mais aussi travaux préparatoires, documents, objets, photos : construite chronologiquement, la rétrospective intitulée La Musique des couleurs dédiée à Henry Valensi permet de mieux connaître un artiste qui fit un rapide passage par la case impressionnisme avant 1910. Il rejoint ensuite la Section d’Or1, développant un cubisme orphique2. Peintre aux armées dans les Dardanelles au cours de la Grande Guerre, il plonge ses pinceaux dans le futurisme après le conflit : hydravions, automobiles ou locomotives foncent à toute berzingue, pétaradant dans une cascade chromatique heureuse. En 1923, il expose notamment aux côtés de Marinetti des pièces pleines de mouvement, convaincu que le cinéma en couleur, alors à ses balbutiements, fera « passer l’œuvre peinte du chevalet à l’écran ».

Avec ses complices Charles Blanc-Gatti, Gustave Bourgogne et Vito Stracquadaini, il jette les bases du musicalisme en 1932, affirmant dans un manifeste qui fit du bruit qu’il faut « œuvrer en obéissant aux lois d’inspiration

et de composition de la musique ». Ses tableaux se métamorphosent alors en véritables partitions : en témoigne une Symphonie en jaune (1935) aux pigments vibratoires marquée par une puissante harmonie entre formes et teintes générant une intense émotion esthétique. Ces abstractions lyriques sont parfois inspirées de pages comme la Marche funèbre de Chopin ou les Jeux d’eau de Ravel. Pendant la Seconde Guerre mondiale, exilé à Alger, Henry Valensi met le musicalisme au service de la propagande gaulliste… mais la grande affaire de son existence sera la cinépeinture, une odyssée qui l’occupa de 1936 à 1959. À partir de La Symphonie printanière, toile de 1932, il réalise un film de 30 minutes, une « peinture en mouvement » (présentée dans le cadre de l’exposition) faite de 64 000 dessins sur celluloïd. « On va passer de l’abstraction des années 1930 aux années 1960, avec, par moment, une dimension psychédélique », explique Michel Gauthier, conservateur au Centre Pompidou, qui rajoute que défilent là « tous les possibles de ce qu’a pu engendrer la peinture pendant 30 ou 40 ans ».


patrimoine

heimat

Prenant Karlsruhe comme cadre pour la première fois, les Heimattage Baden-Württemberg proposent une plongée protéiforme dans l’âme du Land, avec un féérique mapping vidéo pour temps fort.

Par Raphaël Zimmermann Photo d’Uli Deck

Les Heimattage BadenWürttemberg se déroulent à Karlsruhe du 6 mai au 10 septembre (Schlosslichtspiele à partir du 3 août) heimattage-karlsruhe.de schlosslichtspiele.info kulturinkarlsruhe.de

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ultur in Karlsruhe consiste en une initiative, fédérant une trentaine d’institutions : Badisches Landesmuseum, ZKM, Staatliche Kunsthalle, Jakobus-Theater in der Fabrik, Städtische Galerie, etc. Cette action unique est une marque fédératrice permettant de positionner la ville comme une destination culturelle majeure. Dans ce contexte, les Heimattage Baden-Württemberg prennent une résonance particulière : organisée pour la première fois à Karlsruhe, cette manifestation fondée en 1978 par le Land, permet, de mieux faire connaître au plus large public une ville et son environnement, ses particularités, son patrimoine, son art de vivre… Tout ce qui peut être regroupé sous le terme intraduisible en français de Heimat.

Dans ce cadre, les événements vont se succéder dans les mois à venir avec, pour débuter, le Baden-Württemberg Tag (06 & 07/05, Schlossplatz), coup d’envoi officiel de la manifestation : à la découverte des richesses de la région avec producteurs, acteurs économiques ou touristiques, mais également concerts classiques ou jazzy, visites, rencontres, etc. Ce sera l’occasion également d’une plongée dans

le passé pour découvrir l’histoire atypique de cet espace urbain : le Margrave Charles Guillaume de Baden-Durlach rêvait d’avoir une nouvelle résidence. Ainsi est né Karlsruhe, en 1715 (étymologiquement “le repos de Charles”). La ville a été conçue comme une cité idéale – dont le centre est un “château soleil” d’où partent 32 rayons – puis a évolué au fil des années, notamment grâce à l’élégance classique de Friedrich Weinbrenner qui marqua l’espace urbain de son empreinte au XIXe siècle. Avec le festival dédié au vélo (2528/05) – rappelant que Karl Drais, inventeur de la draisine en 1817, ancêtre de la bicyclette, est originaire de la ville –, le point d’orgue de ces Heimattage seront les Schlosslichtspiele (03/08-10/09). Cette année, ce féérique vidéo-mapping génère une relation puissante et élégante entre la façade baroque et le spectateur, installant une architecture visionnaire et éphémère, en créant des espaces inédits entre l’Histoire de l’édifice et la contemporanéité la plus pointue. Les jeux de la pierre et de la lumière dessinent les contours d’un Heimat puissamment actuel, fait d’un étonnant mariage entre tradition et modernité.

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sélection expos

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Sans titre, 2015 © Sergej Jensen

3 Volker Döhne, Untitled © Volker Döhne, Krefeld 2017

Vive Mickey et LS FR, 1938 © Tomi Ungerer Photo : Musées de la Ville de Strasbourg

U Scope I’m God Say Hi Or Be John

Truchement

Autour du thème de la vanité des œuvres de Jean-Michel Alberola, Jean Hélion, Bruno Perramant, Éric Poitevin, Andy Warhol, etc.

Le Centre Pompidou fête ses 40 ans, Le Consortium aussi. Deux trajectoires entremêlées à découvrir dans un exercice de mémoire regroupant Maurizio Cattelan, César, Alberto Giacometti, Rodney Graham, Hans Haacke, Yan Pei-Ming…

Jusqu’au 27/05, Galerie Hervé Bize (Nancy) hervebize.com

Sergej Jensen

Jusqu’au 03/09, Le Consortium (Dijon) leconsortium.fr

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Plus de 40 œuvres minimalistes et élégantes sont regroupées pour cette exposition monographique dédiée à l’artiste danois qui se joue des pigments et des textiles avec classe dans une abstraction inspirée où émergent quelques figures diaphanes. Jusqu’au 18/06, Staatliche Kunsthalle (Baden-Baden) kunsthalle-baden-baden.de

Les Photographies deviennent des images

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Volker Döhne, Andreas Gursky, Axel Hütte, Tata Ronkholz, Thomas Ruff, Jörg Sasse… À la découverte des mutations photographiques générées par le couple Becher avec les œuvres de leurs élèves à Düsseldorf. Jusqu’au 13/08, Städel Museum (Francfort) staedelmuseum.de

Walker Evans Une rétrospective thématique consacrée à l’un des photographes les plus importants du XXe siècle qui montre notamment l’Amérique en crise dans les années 1930 dans le “style documentaire” qui fit sa célébrité. Jusqu’au 14/08, Centre Pompidou (Paris) centrepompidou.fr

Markus Lüpertz Après la rétrospective que lui consacra le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris (2015), ce monstre sacré de l’art européen fait l’objet d’une nouvelle exposition : peintures, reliefs, sculptures… C’est monumental ! Jusqu’au 20/08, ZKM (Karlsruhe) zkm.de 60

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Portugal, Drawing the world L’exposition présente plus de 130 objets emblématiques de l’héritage artistique né dans le sillage des découvertes maritimes portugaises. Jusqu’au 15/10, Musée National d’Histoire et d’Art (Luxembourg) mnha.lu

L’Art de l’enfance

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Les dessins de Tomi Ungerer de 1935 à 1953 ou la gestation d’un génie. Jusqu’au 22/10, Musée Tomi Ungerer (Strasbourg) musees.strasbourg.eu

Rue des Pyrénées La soixantaine de dessins photographiques d’Yves Bélorgey qui constituent cette exposition est une dense succession de points de vue depuis, et sur, la seule longue rue des Pyrénées. 13/05-27/08, Le 19 (Montbéliard) le19crac.com

A World Not Ours Une exposition collective consacrée à la crise des réfugiés et les déplacements forcés de population causés par la guerre en Syrie et dans d’autres zones de conflit/ 01/06-27/08, Kunsthalle (Mulhouse) kunsthallemulhouse.com


c’est béton

Béton brut de chez brut du sol au plafond et plan à la complexité d’un rubik’s cube : visite dans l’ascétique logement de Dominique Coulon, véritable manifeste architectural. Par Emmanuel Dosda Photos de Sarah Dinckel pour Poly

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Lire Poly n°138 ou sur poly.fr sites.arte.tv/metropolis

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i vous avez la chance d’être invités chez l’archi-primé Dominique Coulon1, personnalité strasbourgeoise qui « compte parmi les architectes les plus créatifs de France » selon le magazine Metropolis2 d’Arte qui lui a récemment consacré un élogieux reportage, ne faites pas comme nous : empruntez le bon escalier ! En effet, le bâtiment en

compte deux, dans la même cage – au sens propre du terme –, l’un donnant aux étages de son agence, l’autre conduisant à son appartement. Nous débutons donc notre visite par un tour dans les bureaux, vastes et lumineux, largement ouverts sur l’extérieur, où s’activent vingt-cinq associés et collaborateurs. Quatre demi-niveaux y sont dévolus, deux autres Poly 198

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L’HOME IDÉAL

Dominique Coulon & associés 13 rue de la Tour des Pêcheurs (Strasbourg) coulon-architecte.fr

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à l’appartement : c’est la toute première réalisation de Dominique Coulon qui ne soit pas un édifice public, comme son Conservatoire de musique de Belfort ou sa salle de spectacle de Freyming-Merlebach fraîchement inaugurée. Il s’agit d’un programme mixte (bureau + logement) construit il y a un peu plus d’un an dans une dent creuse du quartier de la Krutenau (un ancien parking sauvage), une petite tour de 17 mètres, un édifice manifeste, concentré des préoccupations de Dominique Coulon vantant les mérites « d’une ville dense et durable, qui ne va pas s’étendre à l’infini ». Pas surprenant dès lors de retrouver, derrière une austère façade en bois brûlé, des pièces laissant s’exprimer pleinement le matériau

phare de l’agence : le béton. On se perd facilement dans l’appartement de l’architecte, le découpage de l’espace résultant d’un alambiqué travail volumétrique. Nous nous sentons déphasés et un peu troublés par le vide : hormis quelques livres, dont l’obligatoire S, M, L, XL de Rem Koolhaas et Bruce Mau, très peu d’objets viennent perturber un lieu recelant de nombreuses trappes et autres cachettes, dissimulées derrières les panneaux de bois recouvrant les murs. Ceux-ci apportent de la chaleur à un intérieur immaculé, propice à la réflexion ou la contemplation de NotreDame, via une baie expressément ouverte à cet effet.


Économique, écologique et esthétique : la dalle en béton a été simplement polie, laissant apparaître de petites pierres pas vraiment précieuses du Rhin donnant, cependant, un effet “marbré” au sol. Pas de pièces bêtement carrées chez Dominique Coulon qui a conçu son chez-lui comme s’il avait joué au rubik’s cube : en découle un intérieur à la géométrie complexe, avec plis et replis. L’architecte se réfère à Adolf Loos qui recommande notamment de doter chaque pièce d’une hauteur adaptée à son usage. Difficile de trouver un centre névralgique à un pareil lieu dont le cœur pourrait être la grande cheminée, toute en longueur. Une chambre à coucher rouge : une hérésie ? Non, « une appréhension de l’espace très Feng Shui » s’amuse Dominique Coulon ayant opté pour une couleur stimulante et “théâtrale” « qui a la faculté d’absorber la lumière ». Inutile de mettre des rideaux, donc, dans cette pièce écarlate en laquelle l’architecte ne se « réveille pas, la nuit, en hurlant », nous rassure-t-il. « Comme vous l’avez remarqué, il n’y a pas beaucoup d’objets chez moi car j’aime les espaces épurés, neutres, où le regard est apaisé. » Sur la table à manger, on repère cependant un dessous-de-plat en forme de poisson qui sied bien « en cette tour située rue de la Tour des Pêcheurs », note Dominique Coulon, né sous le signe du… poisson.

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l’as de pic C’est la petite table qui monte, qui monte… À Schiltigheim, La Fabrique sert une cuisine instinctive et inspirée. Après sept ans aux côtés d’AnneSophie Pic, Xavier Jarry (32 ans) propose sa propre partition. Chapeau ! Par Hervé Lévy Photo de Christophe Fouquin

La Fabrique est située 32 rue de la Gare (Schiltigheim). Ouvert du mardi au samedi lafabrique-restaurant.com

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es stages d’observation en troisième ont de réelles vertus : pour Xavier Jarry, la semaine passée au Tigre à StutzheimOffenheim où il met la main à la pâte (à tarte flambée) « a renforcé une vocation ». La suite ? Des expériences au Château de l’Ile d’Ostwald – « très formatrice, car nous y faisions beaucoup de banquets » –, à l’attachante Assiette du vin (période centre-ville de Strasbourg) en encore au Buerehiesel où il arrive en 2007, au moment du passage de témoin entre Antoine Westermann et son fils, découvrant la haute gastronomie et apprenant à « aimer et à respecter le produit ». À 25 ans, il débarque à Valence, chez Anne-Sophie Pic, trois Étoiles au Guide Michelin : « Les trois premiers mois ont été un enfer… mais une véritable révélation. Des dressages au millimètre, des associations de saveurs incroyables – faire matcher l’huitre et la fondue, par exemple – sous la direction d’une véritable artiste. » Elle lui confie les clefs de La Dame de Pic (Paris), tout juste ouverte en 2012, avec pour objectif de décrocher une Étoile. Mission accomplie en six mois pour le jeune chef… Xavier reste dans la capitale jusqu’en décembre 2015, mais « a envie

d’autre chose ». En novembre 2016, il ouvre La Fabrique avec sa compagne Anouk Bonnet qui illumine la salle de son sourire et de ses conseils : espace contemporain, tables en bois brut sans nappage… Le lieu respire la joie d’être ensemble. L’assiette est à l’avenant, classieuse et pas chichiteuse pour un sou : sur les créations de Xavier Jarry, plane encore l’ombre bienfaisante de son mentor, mais il trouve peu à peu une identité avec comme marque de Fabrique « une cuisine de produit et d’instinct ». Elle se déploie dans un menu en quatre temps en forme de carte blanche laissée au chef (55 €) et dans une carte ramassée faite d'explosions de saveurs et de jeux graphiques menés avec délicatesse dans des assiettes architecturées de charmante manière : un cabillaud à la parfaite cuisson danse ainsi le boogie-woogie avec des asperges blanches sur fond de café et d’oseille. Illustration du credo de Xavier qui ne « conçoit pas la cuisine sans sauce. Elle est la ligne directrice du plat, sa colonne vertébrale », un discours que d’autres seraient bien inspirés d’appliquer avec tant de maestria. Résultat des courses : assiettes saucées avec un excellent pain (de mon grand-père) et sourire aux lèvres.



UN DERNIER POUR LA ROUTE

magie noire Par Christian Pion

Bourguignon, héritier spirituel d’une famille qui consacre sa vie au vin depuis trois générations, alsacien d’adoption, fan de cuisine, convivial par nature, Christian Pion partage avec nous ses découvertes, son enthousiasme et ses coups de gueule.

Légende Vignoble d'Albé essentiellement planté de pinot noir

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e pinot noir d’Alsace, vin fluet, souvent rosé dont chacun peut commander un quart ou un ballon pour accompagner son plat du jour dans les stubs, de Wissembourg à Saint-Louis, est en général associé à un vin de soif, sans grand intérêt, un peu âpre et sec, fort court, aux tanins rarement mûrs. Souvent conditionné en litre, puis servi en pichet, il donne l’image du “petit rouge alsacien” qui, dans les grands millésimes – entendez par là les millésimes où il a la chance de murir –, exprime joyeusement de petits fruits rouges guillerets et désaltérants. Au cours des années 1990, quelques domaines de renom, essentiellement haut-rhinois, ont compris qu’en limitant les rendements, en travaillant les sols, en choisissant une variété de pinot noir adaptée à la production de raisins de qualité, il était tout à fait possible de produire de grands rouges, denses et prometteurs, pouvant mûrir en cave quelques années. Une véritable renaissance pour ce cépage délicat. Un rêve de vigneron devenant réalité ! Beaucoup de flacons dégustés à cette époque étaient très denses, trop extraits, concentrés à l’excès et élevés en barriques neuves marquant le vin d’une signature fumée de viande des grisons qui semblait alors comme une empreinte du sol. Le pinot noir perd son âme à trop le travailler, c’est le cépage de l’humilité… Il de-

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vient grand pour peu que le vigneron amène à la pleine maturité ses peaux et ses pépins sans sur-maturité et laisse s’exprimer, en l’infusant, toute la délicatesse de son fruit. Les pinots noirs alsaciens dégustés récemment, et en particulier ceux d’une génération de jeunes vignerons trentenaires talentueux sont totalement convaincants : pureté, fruit éclatant, texture savoureuse, tanins soyeux, matière vibrante… Nous avons enfin des vins exprimant avec brio le potentiel remarquable de certains terroirs alsaciens. Rajoutons que le “sans soufre” à la mise leur va très bien ! Les vignes sont en général conduites en culture biologique et les rendements limités. À vos verres pour d’extatiques expériences de dégustation ! Notre sélection Domaine Charles Frey (Dambach-laVille), pinot noir cuvée Quintessence 2014 charlesfrey.fr Domaine Catherine Riss (Mittelbergheim), pinot noir Empreinte 2016 Domaine André & Lucas Rieffel (Mittelbergheim), pinot noir Nature 2016 Florian & Mathilde Beck-Hartweg (Dambach-la-Ville), pinot noir 2015 beckhartweg.fr Domaine Hebinger (Eguisheim), pinot noir Domaine Meyer-Fonné (Katzenthal), pinot noir Gallus 2015 meyer-fonne.com

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération

Les pinots noirs d’Alsace évoluent à grands pas et offrent aujourd’hui une variété d’approche déconcertante. Il faut chercher un peu pour dénicher de grands vins, mais ils sont bien là. Noir, c’est noir, il y a plein d’espoir !




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