une épopée éditoriale & culturelle N°203 novembre 2017 poly.fr
INCLUSIF Avec la création de #ATME, deuxième volet de la trilogie KALA, la compagnie de danse Szene 2wei de Lahr (réunissant danseurs avec et sans handicap) s’intéresse au présent. De la contemplation individuelle et personnelle de l’instant au questionnement de l’omniprésence du plastique dans notre quotidien – recouvrant les visages des interprètes – la pièce propose une respiration chorégraphique à la Reithalle im Kulturforum d’Offenburg (18/11) puis au Kulturzentrum Tempel de Karlsruhe (13/01). szene2wei.de
INCISIF
L’exposition Pretty on pink – Éminences grises des bijoux (jusqu’au 25/02) au Schmuckmuseum de Pforzheim explore deux couleurs souvent utilisées dans les parures : le gris, celui du fer et de l’argent qui se fait discret magnifiant l’éclat des pierres précieuses et symbolise la modernité chez des artistes comme Ramon Puig Cuyás ou Katja Prins y côtoie le rose vif ou le pourpre qui symbolisent le pouvoir et attirent le regard. schmuckmuseum.de
INTENSIF Dans le cadre de Neue Stücke (voir page 76), le nancéien Manu Jazz Club accueille le Kiki Manders 4tet (Théâtre de la Manufactrure, 23/11). Découvrons une chanteuse jazzy au timbre chaud et envoûtant, entre extase et mélancolie, entourée du guitariste Philipp Brämswig, du bassiste Jonathan Ihlenfeld Cuñado et du batteur Bodek Janke.
© Sonja Trabandt
Dead Bird, Stephanie Hensle, 2012, Schmuckmuseum Pforzheim © Janusz Tschech
BRÈVES
theatre-manufacture.fr – nancyjazzpulsations.com
INVENTIF
L’Espace culturel de Vendenheim donne un coup de projecteur sur la scène pop locale, offrant régulièrement son plateau à des artistes programmés par Bloody Mary Music : Polaroid3, Encore, Solaris Great Confusion, etc. Pour chaque concert, est prévu un dispositif nommé Scènes de Bus permettant de se rendre sur place depuis Strasbourg en car… et en musique live. Premier rendez-vous avec Caesaria qui vient de sortir un excellent EP disco-pop sur Try & Die et Deer Boy (17/11, départ à 19h30 de Cité de la Musique). vendenheim.fr – bloodymarymusicandrecords.com Poly 203
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LUXEMBOURG
Le CCRD opderschmelz (Dudelange) fête son dixième anniversaire avec une riche semaine (01-09/12). Au programme notamment un concert de The ODS Residents (01/12) ou une soirée avec le free jazz relaxé de Benoît Martiny & Michel Pilz Duo (09/12, en photo). Voilà une belle manière de célébrer une programmation entrainant son public hors des sentiers battus et irriguant le Grand-Duché ! opderschmelz.lu
Emeka Ogboh, Prost, 2017 © Berthold Steinhilber / laif
NIGERIA L’exposition de l’artiste nigérian Emeka Ogboh, If Found Please Return to Lagos (10/11-04/02, Staatliche Kunsthalle Baden-Baden), se penche sur les migrants africains en Allemagne et leurs expériences à travers le son (le Deutschlandlied chanté en différentes langues du continent) ou le goût. « Quel goût a Baden-Baden ? » a-t-il demandé à des habitants d’origine africaine. À partir des réponses, il a créé une bière.
art3f.fr – mulhouseartfair.com
72 films dont 19 en compétition : voilà le riche menu du 40e Festival du Film italien de Villerupt (jusqu’au 12/11) présidé par la réalisatrice, scénariste et actrice Cristina Comencini. Hommage sera rendu à son père, l’immense Luigi, mais aussi à Marco Tullio Giordana. Au menu également un cycle “Le cinéma italien qui gagne” rassemblant des films primés comme Padre padrone, Nuovo Cinema Paradiso ou La Grande Bellezza. DR
Un même lieu, le Parc Expo de Mulhouse, des dates identiques (10-12/11) pour deux manifestations complémentaires, la sixième édition d’art3f rassemblant plus de 150 artistes et la première Mulhouse Art Fair regroupant une cinquantaine de galeries internationales. C’est la foire !
© David Law
FRANCE
ITALIE
kunsthalle-baden-baden.de
festival-villerupt.com Poly 203
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FEAR
Placée sous la présidence de Marc Hardy (Pierre Tombal, Lolo et Sucette, etc.), la 33e édition de Bédéciné (18 & 19/11, Espace 110, Illzach) accueille expositions, spectacles et rencontres avec des auteurs comme Dany (créateur du culte Olivier Rameau), Jeronaton, Malik (vive Archie Cash !) ou encore François Walthéry et son immortelle hôtesse de l’air Natacha ! festival-bedecine.org
© Leif Firnhaber
COMICS La géniale Lisbeth Gruwez – ex égérie de Jan Fabre que vous avez pu découvrir à Pôle Sud dans It’s going to get worse and worse and worse, my friend – revient avec We’re are pretty fuckin’ far from okay (29 & 30/11). Un impressionnant duo avec Wannes Labath autour de nos peurs, entre nuages d’anxiété et envahissement du corps sur un souffle haletant amplifié musicalement, cette pièce explore la phobie et l’anxiété jusqu’à l’incontrôlable. Saisissant, troublant, inquiétant… et passionnant ! pole-sud.fr
© Frank Loriou
FOUND YES YOU KENT Comme tous les mômes (de 60 ans cette année), Kent ne se contente pas du minimum, il vit et aime toujours au maximum. L’ex-punk au sein de Starshooter est un éternel jeune gars moderne, auteur de morceaux que les amateurs de chanson française fredonneront en chœur, lors de son concert au Gueulard+ de Nilvange (17/11). legueulardplus.fr
© HMB Manuela Frey
Une étonnante exposition est présentée au Musée Historique de Bâle. Surgies des flots. Les mystérieuses trouvailles dans les eaux bâloises (jusqu’au 04/03/18) rassemble des découvertes aussi surprenantes que variées – revolvers, fossiles préhistoriques, clefs de voiture ou Smartphones – témoignant de l’activité de l’homme autour du Rhin depuis la nuit des temps. hmb.ch Poly 203
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FÉÉRIQUE Strasbourg accueille une double exposition des œuvres d’Alain Eschenlauer (jusqu’au 24/11, Librairie Kléber et jusqu’au 30/11, Librairie du MAMCS). À la découverte de séduisantes vanités et d’un bestiaire à l’encre de Chine puissamment onirique et parfaitement graphique et inquiétant. alaineschenlauer.wordpress.com
FAIT MAIN
Le “photographe promeneur” Christophe Bohème a invité deux amis à exposer avec lui à l’Espace Gianni Toti d’Hérimoncourt (11-19/11). Sont présentés les pastels contemplatifs de Clara Cavignaux et les sculptures d’Auguste Vonville dont on découvre un nouveau talent avec des œuvres organiques, mémoires de corps, traces d’existences… En contrepoint, il montre dessins au fusain, photographies et peintures qui entre en résonance avec les volumes.
Auguste Vonville, Sans titre, 2017
À FAIRE
La 6e édition du Salon Résonance[s] (10-13/11, Parc des Expositions de Strasbourg) invite 170 créateurs européens à présenter leur savoir-faire. Parmi eux, le jeune duo nancéien Zim&Zou (voir photo), qui a déjà séduit des marques comme Hermès avec ses animaux et paysages en papier, présentera aussi ses œuvres en cuir réalisées à partir de chutes venues des ateliers de la marque. salon-resonances.com
christophe-boheme.fr
PARFAIT
Peacock © Zim&Zou
Systèmes mathématiques à l’absurde perfection : L’Art de dessiner des angles et des carrés nets de sentiments de François Morellet est exposé à la nancéienne Galerie Hervé Bize (16/11- 27/01/18). L’occasion de découvrir des travaux préparatoires à son Hommage à Lamour de néon ornant la façade du Musée des Beaux-Arts. hervebize.com
François Morellet, 2 trames (60°-150°) strip-teasing 4 fois, 2006, Courtesy Galerie Hervé Bize, Nancy Poly 203
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sommaire
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V ingt années d’épopée éditoriale : ENTRETIENS ET RENCONTRES EXCLUSIVES
64 Nathan?! ou la rencontre de Nicolas Stemann et Elfriede Jelinek
66 En répétition avec Gisèle Vienne pour sa
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nouvelle création au Maillon
74 Jessica and me, solo de Cristiana
Morganti, ancienne danseuse emblématique de Pina Bausch
75 Le CCN – Ballet de Lorraine fête son demisiècle avec une création de Miguel Gutierrez
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76 Le festival Neue Stücke fait la part belle aux
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troubles actuels entre sort des Roms, préjugés sociaux et homophobie
77 David Sala illumine le Salon du Livre de Colmar
78 La 13e édition d’Augenblick met à l’honneur Devid Striesow, star du cinéma outre-Rhin
80 Interview de Rone qui vient de signer un
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album electro ambitieux avec une flopée d’invités
86 Pierre-Emmanuel Rousseau s’empare du Don Pasquale de Donizetti à Metz
90 Dans l’ensemble de la ville, Strasbourg
Laboratoire d’Europe célèbre une période féconde de 1880 à 1930 86
93 Benedetto Bufalino installe ses sculptures détournées pleines d’humour et de malice à Sélest’art
98 Un Dernier pour la route : Le Champagne COUVERTURE Placer Steven Cohen en couverture de ce numéro anniversaire célébrant les 20 ans de notre magazine était une évidence. L’artiste sud-africain incarne par la radicalité de ses performances, la puissance de son engagement, l’acuité de sa vision des rapports de force régissant les relations entre les Hommes et la qualité plastique de ses œuvres (voir son interview page 28), tout ce que Poly s’attache à défendre comme à donner à voir et à comprendre. stevenson.info
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OURS · ILS FONT POLY
Ours Emmanuel Dosda
Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une quinzaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren.
Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)
Thomas Flagel
Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes depuis sept ans dans Poly.
Sarah Maria Krein
Cette française de cœur qui vient d’outre-Rhin a plus d’un tour dans son sac : traduction, rédaction, corrections… Ajoutons “coaching des troupes en cas de coup de mou” pour compléter la liste des compétences de SMK.
Hamburger Bär © Irina Schrag
poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49
Anaïs Guillon
Entre clics frénétiques et plaisanteries de baraque à frites, elle illumine le studio graphique de son rire atomique et maquette à la vitesse d’une Renault Captur lancée entre Strasbourg et Bietlenheim. Véridique !
Julien Schick
Il papote archi avec son copain Rudy, cherche des cèpes dans les forêts alsaciennes, se perd dans les sables de Namibie… Mais comment fait-il pour, en plus, diriger la publication de Poly ?
Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Ont participé à ce numéro Fiona Bellime, Sarah Dinckel, Benoît Linder, Stéphane Louis, Christian Pion, Pierre Reichert, Florent Servia, Irina Schrag, Daniel Vogel et Raphaël Zimmermann Graphistes Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Luna Lazzarini / luna.lazzarini@bkn.fr Développement web Vianney Gross / vianney.gross@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly
Éric Meyer
Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. ericaerodyne.blogspot.com
Dimitri Langolf
Notre attaché commercial smashe avec les inserts publicitaires, lobe la concurrence et fonce, le soir venu, pour assister à un concert de rap old school avec ses potes ou faire un apéro / pétanque. Tu tires ou tu trinques ?
Luna Lazzarini
D’origine romaine, elle injecte son “sourire soleil” dans le sombre studio graphique qu’elle illumine… Luna rêve en vert / blanc / rouge et songe souvent à la dolce vita italienne qu’elle voit résumée en un seul film : La Meglio gioventù.
Administration, gestion, abonnements : 03 90 22 93 30 Mélissa Hufschmitt / melissa.hufschmitt@bkn.fr Diffusion : 03 90 22 93 32 Vincent Bourgin / vincent.bourgin@bkn.fr Contacts pub : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Sarah Krein / sarah.krein@bkn.fr Dimitri Langolf / dimitri.langolf@bkn.fr Rudy Chowrimootoo / rudy@bkn.fr Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 € 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : Octobre 2017 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE © Poly 2017. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – bkn.fr
Vincent Bourgin
Si vous avez ce magazine entre les mains, c’est grâce à lui : à la tête d’une team de diffuseurs de choc, Vincent livre Poly partout sur le territoire, en citant Ricky Hollywood dans le texte. Flashez ce code et retrouvez nous sur Poly.fr
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vingt ans ferme Q Par Hervé Lévy Illustration d’Éric Meyer
ue signifie avoir vingt ans ? On mettra de côté la célèbre assertion de Paul Nizan, triste sire sur ce coup-là, qui ne laisse « personne dire que c’est le plus bel âge de la vie », pour se tourner brièvement vers le passé et regarder ce que fut notre trajectoire. En 1997, donc, naissait Polystyrène, fils plus ou moins légitime de Limelight (mag’ ciné culte, classe & intello) : depuis, devenus Poly, nous avons enquillé les années, multipliant reportages, entretiens, et autres rencontres marquantes. Certains sont partis vers d’autres cieux (zut alors), d’autres ont pointé le bout de leur nez (schick alors) mais tous, toujours, ont cherché à faire partager au lecteur leurs coups de cœur musicaux, théâtraux, architecturaux, picturaux, littéraires, etc. etc. Et ça continue, encore et encore : notre ample dossier spécial (qui débute dès la page suivante) en témoigne. Nous avons souhaité le tourner vers le monde et l’avenir, sans regard en arrière en forme d’ego trip masturbatoire. Y sont rassemblées des rencontres avec des personnalités qui nous touchent (entretiens de fond, reportages fouillés et portraits par-
fois surprenants), mais également des illustrations et photographies d’artistes qui sont devenus plus que des compagnons de route. Voilà ce qui fait le sel du magazine depuis vingt ans. Hier, aujourd’hui, demain. Ce qui nous intéresse n’est pas le tombeau du passé, si séduisant puisse-t-il paraître, mais un futur qui excite la rédaction par la richesse des possibles et la folie qu’il contient. On se dit qu’on va profiter des prochaines années, avant la gueule de bois de la trentaine, si tant est qu’elle existe vraiment : « Tu as vingt ans, tu déconnes un brin et quand tu te réveilles, tu en as trente. C’est fini, plus jamais ton âge ne commencera par un deux », écrit Frédéric Beigbeder dans L’Amour dure trois ans. Pour cette double décennie passée ensemble, nous souhaitons à tous nos lecteurs autant d’années (au moins) pareillement pleines de découvertes, de réflexion, de controverses, d’engueulades, d’amour, de réconciliations, de coups de spleen et de coups de speed… Parce ce que c’est cela la culture, parce que c’est cela Poly. Poly 203
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back to the future De Polystyrène à Poly, d’une Alsace strasbourgo-centrée à un très très Grand Est incluant les zones limitrophes allemandes et helvètes, le Luxembourg et une partie de la Bourgogne-Franche-Comté (mais où s’arrêteront-ils ?), d’une version française à quatre numéros bilingues franco-allemands par an, d’un magazine papier à un media pluriel, voilà vingt ans que nous servons la culture et vous invitons à des découvertes. Retour en quelques couvertures, rencontres et fragments d’entretiens sur une drôle d’épopée, unique en son genre en province !
Rachid Taha n°6 (février 1998) « Lorsque tous les beaufs du Club Med reprennent Ida en chœur, ce sont toujours des points de gagnés. »
Enki Bilal
n°15 (décembre 1998) « Je crois au pouvoir des mots. Mais à force d’être colportés, ils sont galvaudés et ce, essentiellement, par les médias. Au départ, le mot est puissant lorsqu’il arrive sur le “marché” du verbe, mais finalement perd très vite de sa valeur. Il devient un produit. »
Mirwais
n°34 (septembre 2000)
« Certains musiciens sont devenus le matériau de la technique. Nous sommes passés du sujet à l’objet ; avant le sujet dominait l’objet, c’est-à-dire la machine, maintenant c’est l’objet qui domine. »
Bruno Dumont n°24 (octobre 1999)
« Je n’ai pas peur de filmer l’horreur. Je pense que le cinéma peut aller du côté de l’inhumain et même qu’il doit y aller. »
Anselm Kiefer
n°48 (décembre 2001) « Robert Fludd, un des Grands Maîtres des RoseCroix au XVIIe siècle a proposé une formule pour unifier le macrocosme et le microcosme. Il disait par exemple que chaque plante sur la terre a son étoile correspondante au ciel. Il était peut-être un des derniers scientifiques qui unissait tout, c’està-dire qu’il avait également une vision artistique. »
Jean d’Ormesson n°62 (mars 2003) « Mon livre est un truc, un machin, que l’on peut ouvrir un peu n’importe où pour en lire quelques pages, le refermer, puis le reprendre quand on a le temps. » 16
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Alain Bashung n°68 (octobre 2003)
« C’était plus intéressant d’être un peu sale que de chercher à être virtuose à tout prix. Mais il fallait quand même beaucoup de travail pour choisir la bavure intéressante. »
Ben n°77 (juillet-août 2004)
Daniel Darc
n°75 (mai 2004)
« J’ai tout fait à l’envers, je dois tout au rock. Je lui dois ma vie. »
« Parfois, je pense que les artistes sont comme des pantins que le pouvoir agite. Il a besoin de culture, donc de marionnettes. Le pouvoir se sert de nous. Mais, les artistes, en échange doivent essayer de perturber ce jeu des pouvoirs qui veulent se regarder dans le miroir avec notre ego. »
Jeanne Moreau n°90 (octobre 2005) « De nombreux jeunes acteurs jouent comme à la télévision, se bornant à exploiter leur beauté plastique. Les séries télé manquent de respiration : on veut accrocher les gens à tout prix, d’où une activité presque névrotique dans le jeu. Le regard ne se pose jamais. »
Jean-Luc Godard n°115 (janvier 2008)
« Contrairement à ce que les gens ont cru, lorsqu’on parlait de “politique des auteurs”, c’était le mot “politique” qui était important, pas le mot “auteur”. »
Wim Delvoye n°112 (octobre 2007)
« J’ai toujours eu un côté punk. C’était ma jeunesse : à 18 ans, je rêvais d’être un Sex Pistol. Bon, ma mère n’était pas trop contente… mais ça na duré que deux ans ! »
Pierre Henry
n°109 (juin 2007)
« Depuis deux ans, je pratique une musique un peu différente. Les montages polyphoniques que j’ai toujours utilisés sont plus clairs, plus lisibles et ont une meilleure dynamique pour être projetés dans l’espace du concert. » Poly 203
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François Morellet n°122 (novembre 2008)
« J’ai toujours eu la volonté de réduire au minimum mes décisions subjectives et mon intervention artisanale pour laisser agir librement mes systèmes simples, évidents et de préférence absurdes. »
Günter Grass n°133 (mai-juin 2010)
« Les mots me fuyaient. Jamais dessiner ne m’est apparu aussi nécessaire. C’est tellement différent de la photographie, où l’on fait “clic” une seule fois. Dessiner implique une observation longue et précise, une volonté de percevoir la réalité. Il s’agit d’une discipline sévère qui m’a, peu à peu, permis d’aller vers le texte. »
Emma Dante
n°127 (juillet-août 2009) « Le texte et le geste naissent ensemble. La parole ne peut exister sans le mouvement : elle est générée par lui. Les acteurs travaillent beaucoup sur l’improvisation physique qui je soigne avec une attention toute particulière pour les détails et la précision. Ainsi naissent les histoires et la parole. »
Armand Gatti n°139 (mars-avril 2011)
« Je n’arrive pas à considérer le théâtre comme un moyen d’amuser, de distraire. Je préfère le concevoir comme un perpétuel moyen de libération – non seulement de préjugés, d’injustices mais aussi du conformisme et de certaines façons de penser qui, arrêtées, deviennent cercueils. »
Wim Vandekeybus n°142 (septembre 2011)
« Nos créations sont très physiques. Nous sommes sur scène tout le temps à essayer des choses, rechercher des mouvements. C’est un bon risque car une danseuse fantastique, âgée de 25 ans, peut devenir meilleure à côté d’un acteur qui a presque 60 ans et ne sait pas danser mais se débrouille, perd la moitié de son poids en se rentrant dedans. » 18
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Rudy Ricciotti n°151 (septembre 2012)
« L’héroïsme de l’art est de se situer à la limite de la visibilité politique. Les artistes se mettent en danger. Les premiers, les plus exposés, sont les poètes. Ils sautent sur les champs de mines, ceux sont les fantassins de l’expérimental. Puis suivent les plasticiens souvent aéroportés. Puis quand tous ont subi la boucherie, arrivent les architectes en chars lourds. »
Magazine n°153 noveMbre 2012 www.poly.fr
Festival Augenblick Cinéma en langue allemande Edgar Degas Un Moderne à Bâle ArcelorMittal Florange Chronique d’un espoir Annette Messager Noir c’est noir au MAMCS
Annette Messager n°153 (novembre 2012)
un noël
fou, fou, fou CAHIER
SpéCIAl
Magazine n°156 Mars 2013 www.poly.fr
Zingaro Fête la mort au galop
« Parce que je suis une femme artiste, on m’a toujours considérée comme une sorcière. »
Politique culturelle de Strasbourg Le flou artistique ? Jochen Gerner Efface les frontières entre BD et art Emanuel Gat Chorégraphie organique
Werner Herzog
Lou Doillon son jardin secret
n°173 (décembre 2014)
Lou Doillon
« Mes textes survivront à mes films, j’en suis persuadé. Ce n’est pas qu’ils soient meilleurs, c’est simplement ainsi. Je le sais au plus profond de moi. »
n°156 (mars 2013)
Angélica Liddell n°182 (novembre 2015) « Comment supporterions-nous la douleur sans une douleur encore plus grande : l’amour. Nous sommes dévorés l’illustration par tout ce que nous ne au sommet pouvons cesser de regarder : les nouveau-nés, les monstres, les amants et les morts. Et c’est grâce à cela que nous construisons l’idée d’éternité. » n°182 noveMbre 2015 www.poly.fr
Magazine
Fernando botero Bigger than life
baden baden Pop thermale
Festivals Stras-Med,
Jazzdor, Musiques Volantes
Philippe Katerine
« On me fantasme comme une personne extrêmement rock’n’roll et démoniaque, ce que je ne suis pas, au risque de décevoir. Je ne suis pas non plus toujours d’une grande douceur et d’une extrême gentillesse. Ça se balade. Mon père et son cinéma m’ont fait aimer l’ambiguïté, la zone de gris. »
n°191 (octobre 2016)
« On va pouvoir soigner des maladies incurables grâce à des transplantations de caca, en soignant le poison par le poison. C’est dans les ténèbres qu’on trouve la lumière. »
Miossec n°192 (novembre 2014) « Je dois habiter l’endroit le plus aéré de France, avec un vent de 160 km/h sur la terrasse cet hiver ! Ici-bas, ici-même s’est fait hors du monde, de façon déconnectée. C’est un disque de vieux qui habite dans un endroit à la cool. »
Tomi Ungerer n°193 (décembre 2016) « Tous mes premiers livres pour enfants mettent en scène des animaux méprisés : vautour, rat, chauve-souris, pieuvre… Ce sont des livres de réhabilitation. J’ai créé un slogan pour le Conseil de l’Europe, “Tous différents, tous égaux” : on retrouve cette idée dans mes livres jeunesse. Il y a aussi une part d’autobiographie : Jean de la Lune pourchassé dans la forêt, c’est moi en Laponie, poursuivi par les patrouilles russes. Je collectionne les aventures et je les provoque. » Poly 203
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© Claude Gassian / Flammarion
la vie intellectuelle de catherine m. Selon Catherine Millet, « penser, c’est d’abord mettre en mots ». Entretien avec la boss d’art press, magazine référent en Art contemporain depuis 45 ans, également auteure d’ouvrages autobiographiques sur son enfance et ses frasques sexuelles. 20
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Nous fêtons nos 20 ans : c’est beaucoup mais peu par rapport à art press ! Quels conseils pouvez-vous nous donner pour poursuivre notre chemin jusqu’au 400e numéro ? Il y a deux réponses à cette question. La première concerne l’économie du journal et l’autre son contenu. D’abord, notre revue tient sur une gestion extrêmement serrée, avec des moyens limités. Nos permanents ont des salaires très bas et nos piges sont symboliques, payées au lancepierres. Étant donnée la situation de la presse écrite aujourd’hui, ça ne risque pas de s’arranger. C’est honnête de votre part de nous confier ça… Je ne m’en vante pas, mais nous n’avons jamais pu payer des honoraires importants à nos collaborateurs, qui ont bien heureusement en parallèle une activité de conservateur, commissaire d’expos ou d’universitaire. Faiblement rémunérés, ils sont cependant très motivés par la grande liberté d’expression qui leur est laissée. Et éditorialement, quel est votre secret de longévité ? Nous avons la chance de pouvoir constamment renouveler nos collaborateurs tout en maintenant les gens qui sont là dès le début… et je suis bien placée pour le savoir. Une permanence est assurée par les “historiques” de la revue, témoins de ses combats et engagements. Ils travaillent avec la jeune génération sans la moindre tension. Le sang neuf est nécessaire dans le domaine de l’Art contemporain qui bouge beaucoup. Êtes-vous nostalgique des débuts de l’aventure, à l’époque où vous maquettiez le magazine à la main ? Vraiment pas ! La précarité technique était trop importante. Cependant, le monde de l’art était plus agréable à fréquenter dans les années 1970 car la finance ne se mêlait pas d’esthétique. Dans l’avant-propos de votre ouvrage, D’art press à Catherine M.*, vous dites : « Je suis profondément convaincue que les acteurs d’une époque doivent en être aussi, le plus possible et jusqu’à leur dernier souffle, les premiers historiens. » Vous considérez-vous comme une historienne du temps présent ? Je me pose toujours cette question face à une œuvre
actuelle : « Ai-je déjà vu ça ou non ? Le sujet a-t-il déjà été traité sous cette forme ? » Si la réponse est oui, j’aurais tendance à m’en désintéresser, voire la critiquer car l’art, c’est de la dialectique et il ne faut pas répéter ce qui a déjà été dit. C’est important de lutter contre l’amnésie alors que les collectionneurs, conservateurs, amateurs ou marchands ne se soucient pas forcément de ce qu’une œuvre apporte à l’histoire de la pensée. Vivons-nous une époque amnésique ? Une époque paradoxale où l’on est toujours dans la commémoration : nous nous focalisons sur un moment historique qui n’est pas forcément recontextualisé, analysé dans sa dimension temporelle. En art, le phénomène est le même. La loi du marché a besoin de renouveler ses produits alors, pour faire des “opérations”, les spéculateurs vont puiser dans des générations d’artistes oubliés, négligés, et les remettre à la mode. Si certaines œuvres ont été mises de côté, c’est peut-être pour de bonnes raisons ! Que pensez-vous par exemple de la récente réhabilitation de Bernard Buffet ? Je dois admettre que ma visite de l’exposition au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris a changé le regard que j’ai pu poser sur Buffet il y a 30 ans, mais son œuvre est très mineure… Vous racontez sans rougir cette anecdote d’un correcteur du Bac qui vous met un 02/20 en dissertation avec cette remarque : « Laisse habilement courir sa plume pour raconter n’importe quoi » ? Continuez-vous à, non pas raconter n’importe quoi, mais laisser parler votre plume ? [Rires] Pas du tout ! Je suis une besogneuse, très lente lorsque j’écris un article, une préface ou un livre. Je reviens cinquante fois sur un même passage et ai tendance à me méfier du premier jet. Vous n’êtes plus une rêveuse ? Si, mais pas au travail car je n’ai aucune confiance dans le premier mouvement ! Vous affirmez que « penser, c’est d’abord mettre en mots »… Tant que je n’ai pas écrit sur une œuvre, il m’est impossible de savoir si celle-ci est intéressante ou non. La mise en mots est une épreuve de vérité ! Il m’est arrivé de réviser mon jugement après un article : la pensée se construit en argumentant, en fouillant. Dans vos papiers, on trouve des “moi” et des “je” : la subjectivité a droit de cité ? Pas vraiment, lorsque je dis “je”, il s’agit surtout de mettre en avant mon expérience de critique d’art. Poly 203
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Il ne s’agit pas d’un “je” subjectif mais d’un “je” qui a vu beaucoup d’expositions, qui a un certain bagage historique, qui a accumulé des expériences… Je ne dis jamais si j’aime ou non quelque chose : mes goûts personnels sont mis de côté. Y a-t-il un lien entre journalisme et littérature ? J’utilise sans doute d’avantage le “moi je” après la publication d’un texte autobiographique ! Lorsque j’ai commencé ma Vie sexuelle, Jacques Henric (écrivain et compagnon de Catherine Millet, NDLR) m’a conseillé d’écrire comme si je rédigeais un article sur l’art. J’ai sans doute plus soigné le travail, mais mon écriture reste assez factuelle, descriptive… Je suis en train de finir de travailler sur David Herbert Lawrence, auteur de L’Amant de Lady Chatterley, et certains passages ne sont qu’entremêlements de ses citations : j’essaye de faire passer quelque chose en livrant l’articulation de sa pensée à travers ses propres mots. Comme une journaliste… Je travaille de la même manière. Avant de commencer Une Enfance de rêve, par exemple, j’ai mis à plat tous les documents en ma possession – cahiers d’écoliers, journaux ou papiers de famille – et ai contacté des personnes pour récolter des témoignages. On sait que l’art, c’est la vie, mais la vie ellemême peut faire œuvre… Pour vous livres, comme La Vie sexuelle de Catherine M., avez-vous mis en scène des épisodes de votre existence afin de façonner un personnage romanesque ? Non, j’étais à l’époque animée par le désir d’écrire sur autre chose que l’art. D’ailleurs, mon sujet portait sur une période dont j’étais sortie. Plongée là-dedans, je n’aurais pas pu… Bien sûr, des gens font ça : ils font du récit / performance, mais personnellement j’ai besoin de distance. L’Histoire de l’Art a connu des discussions passionnées, par exemple “Support-Surface versus Art conceptuel”. Ce type de bataille existe-t-il encore aujourd’hui ? Plus du tout. Beaucoup de querelles reposaient sur des débats idéologiques et politiques qui sont nettement moins présents. Les artistes des années post1968 étaient nourris de sociologie ou de psychanalyse, ce qui n’est plus le cas de nos jours. Aussi, la forme n’est plus un critère. À l’époque, les artistes conceptuels s’opposaient à Support-Surface qui prônait un retour aux fondamentaux de la peinture : le cadre, l’espace de la toile… De nos jours, un même artiste va accrocher une photo à un mur, puis va le lendemain faire un tableau et le surlendemain une installation vidéo : il n’y a plus d’enjeu formel, tout 22
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est permis. Enfin, je pense que le marché fait que les plasticiens sont très individualistes : avant ils se regroupaient, créaient des écoles. Aujourd’hui, c’est chacun pour soi… Si une institution vous donnait carte blanche, quels artistes exposeriez-vous ? Je ferais une exposition d’“images qui bougent”, d’œuvres à la frontière entre vidéo et cinéma. C’est à cet endroit que les choses sont les plus intéressantes ! Steve McQueen ? Plutôt Clément Cogitore, artiste strasbourgeois auteur du film Ni le ciel ni la terre. Est-ce un sentiment étrange que d’être une intervieweuse interviewée, une arroseuse arrosée ? Je trouve que vous ne m’arrosez pas beaucoup ! [rires] Votre question est naturelle et je l’aurais sans doute posée à votre place, mais je ne pense jamais à mon expérience de journaliste quand on me questionne. Vous devez savoir que beaucoup de personnes répondent toujours les mêmes choses et que c’est très ennuyeux ! J’ai donné des centaines d’interviews à la sortie de ma Vie sexuelle, à travers le monde, et fait en sorte d’être extrêmement attentive à la question posée, en tenant compte des nuances de formulation, ce qui permet de répondre toujours différemment. Ceci explique notamment pourquoi je serais incapable de vous dire si vous avez bien mené ou non cet entretien. Ça m’aurait pourtant intéressé d’avoir votre jugement… Peut-être, mais non… Emmanuel Dosda * Édité par Gallimard (2011) gallimard.fr
Aimer Lawrence, édité par Flammarion editions.flammarion.com art press, chaque mois en kiosque artpress.com
Marion Fayolle
La Connaissance collective, illustration réalisée pour le NY Times (2017) Vient de sortir Les Amours suspendues aux éditions Magnani (35 €) editions-magnani.com cargocollective.com/marionfayolle
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ous sommes au cœur de l’été caniculaire, cherchant à pénétrer dans la propriété du Sud de la France de Bernar Venet (né en 1941). Le soleil tape fort dans l’arrière-pays varois. Le mercure grimpe tandis que, la langue pendante, nous tournons autour de cette imprenable citadelle en un vaste jardin verdoyant de quatre hectares et quelques. Une cascade, inaccessible îlot de fraîcheur, nous nargue lorsqu’enfin un portail s’entre-ouvre laissant apparaître, non pas Dr. No, comme nous l’imaginions à cet instant, mais Alexandre Devals, avenant directeur de la fondation et homme de confiance d’un artiste sans cesse par monts et par vaux, entre Paris et New York. Nous voilà dans l’ancienne usine de systèmes d’aiguillage de 2 000 m2 transformée en espace d’exposition et lieu d’habitation. Après avoir contourné un impressionnant Effondrement d’Arcs signé Venet, jeu de Mikado géant de 200 tonnes d’acier, nous traversons un corridor de métal conduisant à une immense pièce baignée de lumière avec vue sur une piscine au carrelage donnant envie à François Morellet de se l’appro-
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© Steve Benisty, New York
La demeure / parc de sculptures / espace d’exposition de Bernar Venet est une œuvre totale éclairant sur l’histoire de l’Art des XXe et XXIe siècles doublée d’une biographie vivante du plasticien. Reportage à la Venet Foundation et rencontre avec le maître des lieux, au Muy.
prier en la signant tel un ready made. Des milliers de livres, rangés dans une vaste bibliothèque allant jusqu’au plafond ou jonchant bureau et table basse, une reluisante cuisine ouverte digne d’un film de Michael Mann et, face à nous, Diane Venet (grande collectionneuse de bijoux d’artistes) proposant des rafraîchissements bien à propos. Élégamment assis dans un canapé en demi-lune, un homme à la crinière d’argent nous tend un lourd volume* de près de 400 pages : « Parlez de ma poésie », ordonne Venet dans un sourire, « c’est ce que je fais de mieux ! » Il s’agit d’une imposante anthologie (1967-2017) de 1 350 grammes (nous l’avons pesé), davantage proche des miscellanées, avec listes de noms, additions, équations et autres définitions, que des vers à la papa… La Marfa du Var Si nous sommes là, c’est pour découvrir sa collection et son parc de sculptures, ouvert au public depuis peu alors qu’il avait acquis terrain, usine et moulin de 1737, à la fin des années 1980, dans le
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but de stocker ses pièces XXL. Venet ne souhaitait pas en faire une fondation avant sa mort : « Je voulais avoir la paix », s’exclame-t-il alors que des visiteurs collent leurs nez curieux aux baies vitrées de son salon pour scruter un intérieur peu commun – on les comprend ! « J’ai craqué lorsque nous avons inauguré la Chapelle de Frank Stella dans le parc », faisant référence au kiosque hexagonal installé en 2014 qui abritait six grands panneaux du plasticien américain. « Le public a été très enthousiaste, alors j’ai décidé d’organiser des jours d’ouverture. Je m’y suis fait… » glisse notre hôte, fier d’annoncer l’obtention du Prix Montblanc, récompensant des actions de mécènes dans le domaine des arts et de la culture. « Impossible de se cacher à présent ! » En 2015, il fait construire une galerie d’inox, une architecture contemporaine “miroir” réalisée par le cabinet Berthier + Llamata faisant face à l’usine. L’analogie avec la fondation de son ami Donald Judd, autre artiste collectionneur, est plus qu’évidente. Depuis le début des années 1980, celui-ci déve-
loppe un temple de l’art minimaliste à ciel ouvert, à Marfa, au beau milieu du désert texan. Une ligne déterminée Tony Cragg, Anthony Caro, Carl Andre ou, acquisition récente, llitptic Ecliptic, magnifique open sky du géant James Turrell : l’histoire de sa collection est celle d’amitiés nouées, de complicités, de respect mutuel et de trocs entre copains plasticiens. Se faire écrabouiller sa voiture n’est pas réjouissant. Mais s’il s’agit d’une compression de César (hélas volée dans les années 1970), c’est tout autre chose ! « J’ai rencontré les Nouveaux Réalistes – Ben, Arman, Rottella… – et acquis des œuvres de chacun d’eux. Lorsque je me suis rendu aux Etats-Unis, j’ai croisé des gens comme Larry Bell dans les années 1970, à Los Angeles. Nous nous sommes perdus de vue, puis retrouvés et avons fait des échanges. Je suis très heureux de l’œuvre installée ici, Something Green, ensemble de trois cubes translucides verts de deux mètres de haut : aucun musée ne rivalise ! » Venet rassemble des œuvres minimalistes, Poly 203
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© Frédéric Chavaroche
Émotion et dévotion En ce site où s’élevait une scierie, on ne produit plus rien (les pièces de Venet sont fabriquées en Hongrie, dans “son” usine), mais on conserve des sculptures, expose des artistes internationaux mis à l’honneur chaque année (James Turrell l’an passé, Fred Sandback et ses fils de laine tendus cet été) et organise parfois des performances : une lecture des textes de Venet par le poète américain Kenneth Goldsmith est programmée le lendemain de notre visite. Le moulin ne tourne plus, mais les idées continuent à fuser : le plasticien rêve actuellement d’un « geste artistique très fort », d’une œuvre monumentale en acier (voire même en béton) qu’il installerait sur un terrain d’un hectare fraîchement acquis, à proximité. En attendant, il s’attelle à la mise au point d’une sculpture de 75 mètres de diamètre, placée prochainement sur l’autoroute entre Namur et Luxembourg. Nous flânons à travers ses lignes indéterminées, arcs ou diagonales, traversons un pont-tube chevauchant la Nartuby, rivière capricieuse qui inonda et ravagea le terrain en 2010… Derrière l’austérité et la radicalité, l’émotion. Et la dévotion. « Si une religion est célébrée ici, c’est bien celle de l’Art », confie Alexandre Devals. Bernard Venet acquiesce : « La nature sert d’écrin aux œuvres et l’architecture doit les mettre en valeur. Toute l’énergie produite ici est mise au service de Richard Long, Philip King, Robert Morris », autant de personnalités sacralisées.
© Jérôme Cavaliere
conceptuelles, mais toutes sont chargées d’humanité : elles décrivent des chapitres de sa vie, dessinent son portrait chinois. « Mis à part Tony Smith, je les connais tous. Souvent, ils m’ont soutenu, comme Judd ou Sol LeWitt qui m’ont permis d’exposer à New York à leurs côtés, chez Castelli ou ailleurs. »
Venet Foundation, ouverte au public pendant la saison estivale (visites sur réservation uniquement, le jeudi aprèsmidi et le vendredi) au Muy venetfoundation.org À visiter également, La Commanderie de Peyrassol (Flassans-sur-Issole), domaine viticole jalonné d’œuvres d’Art contemporain de Bernar Venet, Wim Delvoye, César, Anthony Caro… peyrassol.com
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Poetic? Poétique ? Anthologie 1967-2017, édité par Jean Boîte jean-boite.fr
La Venet Foundation est l’invitée d’honneur de la foire d’Art contemporain strasbourgeoise ST-ART (du 17 au 20 novembre au Parc Expo) st-art.com
Jochen Gerner
Polar Animals, 2007-2017 Vient de sortir Repères chez Casterman (15 €) casterman.com jochengerner.com
au défi de soi Personnalité phare de la scène performative internationale, Steven Cohen était parmi les premiers noms cochés pour ce numéro anniversaire de Poly. Entretien avec un artiste aussi féroce à la scène qu’il est doux en dehors, pour qui l’art est, à jamais, sans compromis.
Comment votre perception de la performance a-t-elle évolué avec les années ? Il est beaucoup plus facile de poser cette question que d’y répondre... Les évolutions sont toujours si violemment compliquées. Sans paraître stagnant, je crois aujourd’hui exactement ce que j’ai toujours cru : l’art de la performance est fait pour défier, et je n’en ai pas le droit envers les gens qui rencontrent mon travail si je ne me défie pas moi-même. Sinon, c’est de l’intimidation, de la brutalité. L’art de la performance doit rester dangereusement original, avec plusieurs couches de sens et un vaste espace pour l’interrogation. Parce que j’ancre fermement la performance dans le domaine des arts visuels, je m’oblige à prêter attention aux aspects optiquement séduisants de l’œuvre sans compromission sur la qualité d’exécution. Le goût que je préfère est, comme toujours, féroce ! Depuis quelques années, l’art dans l’espace public apparaît de plus en plus sous contrôle. 28
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La FIAC vient d’interdire Domestikator de l’artiste néerlandais Van Lieshout pour sa connotation sexuelle et, avant lui, il y avait eu les affaires des photos d’ados de Larry Clark, La Fiancée de Joana Vasconcelos (lustre fait de milliers de tampons hygiéniques), du “plug anal” de Paul McCarthy (Tree) ou le Dirty Corner d’Anish Kapoor. D’autres thématiques semblent toujours taboues comme la religion : Immersion (Piss Christ) d’Andres Serrano avait été vandalisée en 2011 ou Technologia de mounir fatmi, projection vidéo de versets calligraphiés du Coran retirée d’un festival à Toulouse en 2012. La liberté d’expression, notamment artistique, est-elle battue en brèche en France ? Fuck No! Admettre la défaite est une impasse et ne mène nulle part. Oui, la liberté d’expression est assiégée en France et partout dans le monde. Et oui, les artistes en première ligne sont fatigués... Mais même en ces temps de grandes contusions, la bataille fait
toujours rage. Les artistes qui n’agissent pas contre la censure sont coupables de son fleurissement. Les spectateurs sont leurs complices. J’accepte qu’il y ait tant de sacrifices à faire, comme dans toute situation de conflit. Au revoir les revenus, les invitations à d’agréables biennales, au confort et à toutes les autres formes de sécurité... Bonjour l’inconnu qui est ce qui définit l’art contemporain pour moi. Vous avez été aux prises avec ce retour des valeurs conservatrices lorsqu’en 2013 vous êtes arrêté sur la place du Trocadéro en pleine performance, au milieu de l’esplanade des Droits de l’Homme, de COQ / COCK : talons hauts, maquillage, gants à plumes, buste pris dans un corset blanc et sexe enrubanné, tiré par un coq. La mise en question des symboles du pouvoir était trop forte : placé en garde à vue, vous êtes poursuivi par le Procureur de la République, jugé et reconnu coupable d’exhibitionnisme, sans condamnation. Que vous inspirent aujourd’hui ces événements ? Vous savez, je ne m’attendais pas à faire un travail difficile sans que son issue soit tout aussi difficile. Je ne crois absolument pas avoir fait de l’exhibitionnisme sexuel, accusation pour laquelle j’ai été condamné. Je maintiens fermement que c’était de l’art et, comme je l’ai toujours décrit, un essai poétique sur la nature phallique du pouvoir. Mais j’accepte la responsabilité d’endosser les conséquences de mes actions. J’ai payé le prix fort pour oser faire le travail auquel je croyais. Et ce que j’ai acheté était une place dans l’Histoire de l’Art et dans le débat sur les limites de la pratique artistique. Les belles images
de COQ / COCK perdureront bien longtemps après que l’humiliation critique, la honte publique et les coûts pratiques auront été payés. Réaliser ce travail jusqu’à sa conclusion logique m’a rendu, pour utiliser un cliché, « fort dans les endroits brisés »*. La perception de ce que vous êtes, un « africain blanc, juif et homosexuel », a-t-elle évolué depuis votre arrivée en France il y a deux décennies ? De qui est cette perception ? Je ne me suis jamais décrit comme africain, seulement comme sud-africain. Juif, oui, je l’ai toujours été et le serai toujours, avec tous les privilèges et désavantages qui vont avec. Je ne me suis jamais présenté comme homosexuel : c’est un diagnostic médical et je ne suis pas malade. Je me suis proclamé “queer”, ce qui privilégie la politique de genre à la sexualité. Je suis moins intéressé par baiser un trou (de n’importe quelle sorte) que de baiser avec le patriarcat qui insiste pour essayer de nous contrôler. Je crains d’être devenu plus blanc depuis que je suis en France et, à cause de cela, j’essaie d’être doublement vigilant en étant conscient de mon privilège racial et de faire ce que je peux pour déconstruire cela. Vous dites avoir endossé « l’obsession du génocide » de votre grand-mère maternelle juive. Vous mêlez dans vos performances et votre art le statut de victime à celui de puissance et de pouvoir. Cette violence du monde semble un puits sans fond… Presque tout le monde est la victime d’un système d’oppression et de discrimination. C’est vraiment, Poly 203
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comme vous le sous-entendez, un monde sans beaucoup de justice. Je ne pense pas, parce que je suis un juif et historiquement persécuté pour cela, avoir un statut particulier de victime. Je peux être une cible pour les homophobes, les antisémites, les xénophobes – les brutes et les haineux de toutes sortes – mais j’ai un visage et une voix, un accès à des plateformes depuis lesquelles je peux m’exprimer, ou je construit l’endroit où faire exister mon travail. J’existe en tant qu’artiste et c’est un privilège. J’en ai marre d’entendre des artistes se plaindre de la dureté de leur vie, inconscients de leurs privilèges inhérents à la possibilité de créer. Les vraies victimes sont pour la plupart muettes, ont été réduites au silence par les circonstances, ne sont ni entendues ni vues sous aucune forme. Pour moi, les vraies victimes sont les personnes dont nous ne connaissons ni les noms ni les visages, dont les histoires, si elles ont jamais été dites, n’ont pas été entendues et se sont perdues. Si vous pouviez choisir le lieu et le contexte, quelle serait la performance idéale ? Je ne pense jamais en termes d’idéal, je travaille seulement avec et à partir de l’imperfection. J’ai une notion de mon moi idéal comme cette autre personne meilleure, plus forte, plus gentille, plus noble, plus originale, plus capable… mais je ne l’ai jamais connue, ni été cette personne. Si je me concentrais sur l’idéal, cela signifierait ne rien arriver à faire. Je n’ai que ce que je suis, ce moi très imparfait, pour travailler avec... et ainsi de suite avec tous les autres éléments impliqués dans la réalisation d’une idée pour une performance : l’heure, le lieu, le contexte, les gens, le résultat. Pour la plupart, je fais ce que je peux, où je peux et quand je peux. Mes meilleures œuvres sont celles nées quand je ne pouvais pas, mais que je les ai quand même faites. Je veux juste en réaliser plus de ce type. L’idéal est une barrière plus grande que l’impossible en art. Votre travail semble s’attacher à faire émerger les conflits sous-jacents gangrénant les êtres et les communautés. Vous reconnaissez-vous dans ce rôle de révélateur ? J’essaie de ne pas être trop fasciné par moi-même. Je ne me vois pas comme autre chose qu’un membre de la classe ouvrière qui paie ses impôts et qui fait ce qu’il peut pour satisfaire ses besoins et ses désirs avec le minimum d’impact néfaste sur les autres. Je suis comme des millions d’autres citoyens. Ok, peut-être un peu différent des autres hommes de 55 ans dans le nombre de robes de haute-couture et de talons hauts spectaculaires que j’ai, bien que ce soient mes vêtements de travail, mon uniforme. Il y a deux ans, vous me disiez vouloir investir des lieux religieux, fortement chargés (cimetières, synagogues…). Où en êtes-vous ? Au cours de la dernière année, ma vie a changé en30
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core et encore : j’ai perdu mon partenaire de vie, Elu, et six mois après, ma nourrice et mère de substitution Nomsa. Je me soucie beaucoup moins des cimetières et des synagogues que de la mort et de la croyance. Ce sont les problèmes auxquels j’ai été confronté et, aujourd’hui, je ne ressens pas le besoin de me restreindre ou de limiter mon travail à des lieux physiques où ces problèmes ont été désignés comme étant appropriés. J’ai trouvé un enfer en moi que j’ai exploré. Sans que j’ai eu à les chercher, la Mort et Dieu sont venus me trouver. Et maintenant, nous nous demandons ce que nous pouvons faire ensemble pour aller de l’avant. Dans votre dernière pièce, Put your heart under your feet... and walk !, vous rendez hommage à Elu, votre compagnon de vingt ans, disparu cette année. Performer c’est offrir ce qu’il y a de plus lumineux et de plus sombre en soi ? De plus beau et de plus douloureux ? Je pense que Put your heart under your feet... and walk ! est une de mes œuvres les plus importantes. Oui, performer c’est offrir tout de soi dans une version non censurée, mais remaniée. Un performeur ne peut pas tout donner de lui-même à la fois, mais il est obligé de donner tout de ce qui en lui est relié au sujet de sa performance. Pour moi, performer profondément et authentiquement, c’est donner les parties de moi que je veux le plus garder. Dans l’œuvre Mets ton cœur sous tes pieds... et marche !, j’essaie de transgresser mes propres limites en rendant hommage à Elu, et en trouvant un nouveau – et pourtant antique – rituel pour intégrer sa mort à ma vie. En consommant littéralement une portion symbolique de ses cendres à chaque itération de la performance, je rends véridique l’affirmation “tu es enterré en moi Elu, je suis ta tombe”. Et en invitant le public à être témoin de mon rituel d’acceptation le plus profond – incorporant le corps incinéré d’Elu dans le mien, vivant – et mon acte d’abnégation le plus déterminé – rejetant les tabous sociaux et les normes acceptées du deuil – je crois utiliser le théâtre dans le sens où il était initialement destiné à l’être, en tant que temple. Pas pour le divertissement. Pour la transformation à travers l’art du culte et pour l’élévation, même si c’est par l’exaltation de l’abject. Qui sont les artistes que vous admirez ? Ceux qui ferment leur gueule, qui n’utilisent pas le langage comme une alternative à la vraie communication... Les artistes qui produisent un travail qui n’est pas éclairé par une recette éprouvée et attestée, les artistes qui échouent brillamment, visiblement, à maintes reprises. J’admire les artistes qui reconnaissent à quel point ils sont privilégiés même d’être appelés par ce nom. Thomas Flagel « Strong in the broken places » fait référence à une célèbre phrase d’Hemingway dans L’Adieu aux armes *
« J’ai trouvé un enfer en moi que j’ai exploré. Sans que j’ai eu à les chercher, la Mort et Dieu sont venus me trouver. Et maintenant, nous nous demandons ce que nous pouvons faire ensemble pour aller de l’avant. »
32 Poly 203 Novembre 17 Photo de StĂŠphane Louis pour Poly
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natural born painter Rencontre avec Markus Lüpertz au ZKM de Karlsruhe, pour qui, « sans peinture, le monde est uniquement consommé et pas perçu ». Une assertion cinglante illustrant la Weltanschauung* d’un des monstres sacrés de l’Art européen.
Vous dites souvent qu’on naît peintre. Est-il impossible de le devenir ? Aujourd’hui, prévaut une définition de l’art élargie : il est donc possible de planifier de devenir plasticien, mais le vrai artiste vient de Dieu. Il possède en lui un dysfonctionnement, une maladie, une vocation – peu importe le mot que vous choisissez – comme le Dalaï-Lama. Quel est votre rapport avec les expressionnistes allemands, Max Beckmann et les autres ? C’est une bonne question, mais enlevez Beckmann de l’expressionisme. Je pense que l’expressionisme fut un art de vivre lié à une époque bien définie. Les Français nous ont qualifiés de manière poétique de Nouveaux Fauves : Baselitz, Immendorff, Kiefer, Lüpertz… L’appellation était juste car elle se réfère à notre peinture. Nous avons juste repris l’agressivité de l’expressionisme pour trouver une réponse aux questions posées par notre époque. Vous avez vécu mille et une existences (engagé dans la Légion, mineur de fond…). Ces expériences ont-elles façonné votre art ? C’est la question de l’œuf et de la poule. Je suis le produit de ma vie. Après une formation à la Légion, j’aurais dû être envoyé en Algérie, mais j’ai déserté. La peinture m’a sauvé. Si je n’avais pas été peintre, j’y serais peut-être allé. À vos débuts, vous avez affirmé que Beuys avait mené la peinture à son point final : la négation de l’art. Comment avez-vous réussi à peindre après lui ? Beuys n’est pas un peintre, mais a opéré un élargissement du champ de l’art. À la base, il en avait une idée tout à fait traditionnelle, dessinait merveilleusement bien, faisait de magnifiques sculptures… et a échoué. Il ne voyait pas d’avenir dans la sculpture conventionnelle. Alors il a élargi le métier avec son esthétique. Son succès nous a ouvert des portes au niveau international. Après Beuys, nous pouvions à nouveau peindre en Allemagne. Nous n’étions plus les successeurs des nazis, mais ceux d’une nouvelle
conscience de l’art, d’une nouvelle esthétique. Cela nous a sauvé les fesses ! « Dans les années 1950-1960 il n’y avait rien d’autre que la peinture et la sculpture. Ensuite, on a ouvert la boîte de Pandore et les miasmes sont entrés dans les musées », affirmez-vous. Les “miasmes” ont-ils triomphé ? On ne peut pas abolir la peinture. Elle est d’essence divine et le divin ne peut mourir… mais il peut être oublié. Nous avons un niveau d’éducation en Allemagne qui ne permet plus de percevoir la peinture en tant que peinture. Avec la photo, l’installation, le cinéma, le mouvement, le clignotement de la lumière et des signaux ou encore la performance, la perception de l’art est dirigée vers autre chose, car il est plus facile de consommer quelque chose qui bouge ! Que pouvez-vous dire des casques de la Wehrmacht que vous avez représentés frontalement et qui vous ont rendus célèbres à la fin des années 1960 ? Dérangent-ils encore, comme les salut nazis d’Anselm Kiefer ? Je me souviens que nous étions assis avec Anselm [Kiefer] et Georg [Baselitz] à la gare. Je peignais à l’époque ces immenses tableaux en noir, rouge et or avec les casques. Anselm m’a terriblement engueulé, m’accusant d’être un peintre national-socialiste, me disant qu’on ne pouvait pas faire cela ! Je lui ai répondu, en substance : « Tu ne comprends pas, mais si tu veux devenir un peintre connu, deviens politique. » Peu après, il est devenu politique. Pas moi. Je ne l’ai jamais été, car j’ai peint un casque en tant que phénomène formel, qu’objet, et l’objet raconte son histoire, sans moi. Je ne suis pas responsable de la perception d’une tête de mort. La tasse ou la pomme chez Cézanne, racontent des histoires, mais Cézanne n’a pas inventé la pomme. J’ai été fasciné par la forme du casque, mais c’est à lui de raconter son histoire. Hervé Lévy *
Manière d’envisager le monde
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Autoportrait en Bowie par Luz pour Poly
born to be alive Ex-Charlie Hebdo sous haute protection policière depuis l’attentat auquel il échappa grâce à une gueule de bois l’empêchant de se rendre au boulot, le dessinateur Luz est un enfant du rock et de Cabu. Entretien avec un croqueur orphelin, mais Alive, qui a récemment compilé 20 ans de reportages musicaux dans un ouvrage.
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Il y a une vingtaine d’années, j’ai découvert, surpris, un de vos reportages dessinés dans Charlie Hebdo : un set de Four Tet. Jusqu’alors, je pensais que le journal était plus Zebda qu’electronica… J’ai pris le pouvoir sur un domaine que personne n’exploitait car la musique était le parent pauvre du canard. Il y avait le cinéma avec Boujut et la littérature avec Polac, alors j’ai convaincu l’équipe de faire des reportages sur le terrain. Charb et les gens de Charlie étaient heureux que je leur fasse découvrir autre chose que Manu Chao, des endroits qu’ils ignoraient totalement. J’allais sur le terrain – dans la foule ou les backstages – et rapportais quelque chose de l’époque, de l’air du temps, de positif… même si je me foutais un peu de la gueule des fans de rock avec leurs travers tribaux. On ne vous a pas demandé de traiter d’artistes “engagés” ? La définition première d’un artiste est d’être engagé ! Faire de la musique, notamment dans un festival, c’est politique car il s’agit d’un espace de partage qui n’est pas religieux. Le live est une communion fraternelle entre des gens qui ne veulent pas de beaux discours, un moment éphémère que tu vis avec d’autres. Je voulais montrer la vertu cathartique de la musique : tu l’écoutes, tu te nettoies les oreilles et l’esprit, tu danses et après tu peux commencer à faire la révolution car tu es plein d’énergie ! J’avais envie de décrire ces moments-là, cette force, en me servant des mes années d’expérience de reporter dessinateur. Après les commandos anti-IVG, les nazis, les catholiques intégristes, les bouddhistes pratiquant la lévitation et autres hurluberlus, j’ai fait des doubles pages sur LCD Soundsystem : c’était une autre curiosité, mais la même approche.
Sauf que vous avez davantage de sympathie pour les fans de LCD Soundsystem que pour les pro-life… Oui oui, je suis passé du reportage d’opposition au reportage de proposition. Il s’agissait des très rares chroniques où il n’y avait pas de connards dedans ! Quelques couillons, certes, mais pas de connards [rires]. Observons un de vos dessins montrant le batteur de Black Rebel Motocycle Club en action : c’est une sorte de gribouillis… d’une très grande intensité. Plus c’est jeté sur le papier, plus c’est fort ? La manière dont chaque dessin est traité, indépendamment du style, raconte l’énergie sur scène : s’il devient brouillon, limite abstrait, c’est qu’il a été fait dans une foule mouvante, au milieu d’un pogo. S’il est hyper léché, il voudra peut-être dire qu’on s’est fait
chier au concert ! L’exercice est très inconfortable : tu as ta bière ou ta clope, dans le noir, et plein de gens bougent autour de toi. C’est justement cet inconfort qui m’intéresse. Lorsque vous croquez Blixa Bargeld, leader d’Einstürzende Neubauten, quelques coups de feutre suffisent pour qu’on le reconnaisse… Il s’agit du mec “dans son théâtre” : on reconnaît d’avantage sa posture que son visage. Cet exercice me permet de sortir de la caricature : ne pas grossir les traits, mais se laisser envahir par la musique, l’émotion ! Mon dessin représente le monolithe puissant que Bargeld est à ce moment-là. Quel est l’artiste le plus “dessigénique” rencontré ? Jarvis Cocker ? Oui, complétement ! Sans oublier Iggy Pop et Beth Ditto. Poly 203
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Des silhouettes radicalement opposées… C’est ça, d’ailleurs Beth Ditto ressemble à sa musique, toute en rondeur. La musique de Gossip est une boule d’énergie et sa chanteuse est à son image. Avez-vous été déçu par des artistes trop peu “dessigéniques” ? LCD : j’étais sans doute trop fan et j’ai essayé de “faire bien”. Il m’a fallu une dizaine de concerts pour arriver à saisir James Murphy, son leader. Sinon, il m’arrive plutôt l’inverse : il y a des gens géniaux à dessiner et dont la musique ne me plaît pas du tout, The Infadels par exemple. Dans ce cas, je ne garde pas mon croquis, trop en désaccord avec la réalité du concert. Dans certains cas, ça n’est pas l’artiste qui est fascinant, mais le public : celui de Justice est démentiel ! Sur scène, il y a deux types derrière des platines, mais dans la salle, des pré-adultes se marchent dessus, se remplissent de bière, se défoncent… à l’electro et à autre chose ! Finalement, celui que vous dessinez le plus mal, c’est vous… Je suis celui que je vois le moins en action ! Le Luz que je dessine est un concept, un cartoon. Ça n’est pas que moi, mais un amateur de musique un peu pataud, un peu imbécile. Parfois paumé. Paumé ? [songeur] C’est vertigineux d’imaginer ces milliers de personnes que j’ai côtoyé durant les festivals… Je pense que tous les arpenteurs de concerts ont été marqués par le 13 novembre car ils ont dû se dire avoir un jour été à côté de ceux qui sont tombés, dans une salle, devant Eagles of death metal ou un autre groupe. Peut-être qu’on s’est parlés ou qu’un d’entre eux a vomi sur mes chaussures… Il n’y a plus de distance dans Catharsis * où vous racontez 36
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« J’ai eu la chance d’avoir des parents qui écoutaient Bowie ou les Stones... ce qui ne m’a pas empêché d’écouter des merdes comme Jamiroquai » sans pudeur l’après attentat de Charlie… C’est vrai. J’avais besoin de me retrouver, d’autant plus que le cirque médiatique dans lequel j’étais pris a fait que je ne me reconnaissais plus. Après l’attentat, j’ai pris conscience de l’urgence d’écouter de la musique qui se dématérialise et qui est peuplée de fantômes auxquels je donne vie en posant un vinyle sur la platine. Il faut être boulimique de l’instant. Je me refuse à la nostalgie des moments perdus, mais ça a parfois été dur de me replonger dans mes archives pour Alive. Dans votre livre, il est aussi question de paternité, de transmission… La musique est un dialogue : voilà pourquoi c’est important de se tenir au courant de ce qui sort aujourd’hui, peut-être seulement pour pouvoir échanger avec sa fille.
Personnellement, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui écoutaient Bowie ou les Stones… ce qui ne m’a pas empêché d’écouter des merdes comme Jamiroquai. Qui vous initié au dessin ? J’étais fasciné par les cahiers de brouillon d’enfance de mon père qui faisait des sortes de Shadoks. J’ai découvert ça, gamin, et essayé de m’y mettre. Ado, je lisais Gotlib, Goossens, Reiser, Crumb ou même des trucs horribles, genre Robin Dubois… Mais c’est surtout chez Charlie que je me suis formé et que j’ai appris. J’ai dessiné tous les jours durant plus de 20 ans, aux côtés du Duke Ellington du dessin, Cabu, et du Bowie du crayon, Gébé ! Comment vous êtes-vous retrouvé là ? En juillet 1991, je suis allé voir Cabu avec un dessin des charters
mis en place par le gouvernement Cresson et il m’a présenté à la rédaction de La Grosse Bertha, notamment à Val qui l’a publié. Cabu est resté mon mentor. Et votre référence principale ? Francis Bacon et ses portraits. Ça n’est pas de la caricature, mais c’est juste. La ressemblance m’intéresse moins que la justesse. Quels sont les politiques les plus rock ? La politique n’est vraiment pas rock’n’roll. Ceci dit, Robert Badinter et Christiane Taubira, quand tu vois les vidéos d’eux à la tribune, défendant l’abolition de la peine de mort et le mariage pour tous : gestuelle, voix, conviction, fougue… Sinon, j’aime bien la carrière solo de Mélenchon, mais je n’oublie jamais qu’il vient du PS, son groupe d’avant, très mou du genou. Vous affirmez exécrer la chanson française, alors que vous adorez Bashung, Katerine, Dominique A, Sébastien Tellier, Burgalat… Ah oui, mais ces gens-là ne font pas de la chanson, ils font de la musique française ! Burgalat fait un duo avec Robert Wyatt, c’est pas Bénabar. Et Katerine, c’est de la poésie sur pattes… Selon vous, dans le futur, nous écouterons tous des boîtes à musique en forme de cœur, comme lorsque nous étions bébés ! Plus la musique se transforme, plus l’auditeur va vers l’essentiel ! Sérieusement, demain, nous écouterons peut-être de la musique grâce à une puce greffée dans nos oreilles… J’accepte l’idée d’être un vieux con qui pleurniche en pensant aux pochettes des 33 tours seventies, avec des gonzesses à poil sur lesquelles je me masturbais lorsque j’étais adolescent. Je les garde pour pouvoir me masturber à
nouveau dessus quand je serai vieux. Vous dites souvent “croire” en la musique : c’est une religion ? J’ai eu une révélation. J’ai été touché par le doigt du Dieu Musique lors du – supposé – dernier concert de LCD Soundsytem au Madison Square Garden en 2011. J’étais confus, ne sachant pas s’il fallait que je me lâche à danser comme un porc ou que je mesure chaque note parce qu’elle était la dernière. La musique, c’est ça, une variété d’émotions qui raconte toute une vie ! Après l’attentat du 7 janvier 2015, vous répétiez que tout le monde devrait se saisir d’un crayon et dessiner :
pourquoi ? Si on veut refaire le monde, il faut sortir son imaginaire et le plaquer quelque part : sur une feuille, une partition, une pellicule… Emmanuel Dosda Édité par Futuropolis en mai 2015 futuropolis.fr *
Alive, édité par Futuropolis (36 €) futuropolis.fr Puppy, édité par Glénat (19,50 €) glenat.com
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Photo de Sarah Dinckel / Studio Vingt Septembre pour Poly
horla loi Livre après livre, Vanoli, auteur de BD nancéien, décrit les errances de personnages fantomatiques déclassés et « socialement décalés », naissant d’une matière charbonneuse. Entretien avec un adepte de la ligne pas très claire, fasciné par Maupassant et ses récits fantastiques.
Vous considérez-vous comme un voyageur égaré, à l’image de vos “héros” ? Je suis avant tout un égaré… Obligé de devenir voyageur afin de trouver ma voie. La BD m’aide à mener ma vie : depuis petit, c’est une pratique qui me permet de m’ancrer en moi-même. 38
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Vous dessiniez dans la marge de vos cahiers à l’école ? Non, j’étais un élève très consciencieux. En fait, j’étais surtout fasciné par le dessin imprimé, la magie de voir des dessins qui se suivent dans un livre. Alors, je scotchais des pages pour les relier afin de
découvrir les images au fur et à mesure de la lecture. Je n’aurais jamais pu devenir peintre… Pourtant, on sent que vous prenez un réel plaisir à réaliser de grandes planches contemplatives… Oui, mais elles m’intéressent car elles se trouvent parmi d’autres pages et rythment le récit en illustrant des moments de mélancolie ou de doute. Pour Rocco et la Toison, elles me semblaient nécessaires, mais j’aime également les grands récits sans ce type de respiration. Tardi dit qu’il ne faut jamais faire de dessin sans texte dans une BD car le lecteur risque de lâcher prise. D’ailleurs, le livre sur lequel je travaille actuellement sera “fleuve”, car l’histoire ne permet pas de phases méditatives. Vous produisez énormément : c’est une nécessité ? Je n’en vis pas, étant enseignant, mais j’aime l’idée de construire “un œuvre”, un mur dont chaque brique serait un bouquin. Mes influences viennent plutôt du cinéma ou de la musique : c’est sur toute une carrière que les créations d’Hitchcock ou de Lou Reed prennent sens. Dans la BD, c’est moins le cas… Ça serait présomptueux de dire que j’aimerais remplir ce vide, mais c’est vrai que je travaille sur la longueur. Vous avez une place à part dans la BD ? Sans doute, car mon style est sombre, pictural, expressionniste et il n’y a pas d’école de dessinateurs de ce type… Dans L’Attelage, un des protagonistes dit :
« À cet instant, la confusion s’empare de moi : je ne savais plus si j’étais un être réel ou un songe. » Tous vos personnages sont ainsi, entre rêve et réalité, la mort et la vie, comme des fantômes… Ils ont du mal à se frayer un chemin dans l’existence. Ce sont des anti-héros, sans cesse sur la route car ils se cherchent ! Je n’ai jamais de scénario préétabli : je commence à travailler sans savoir où l’histoire va me mener. J’écris un texte, soigneusement, comme une nouvelle, mais il vole en éclats à un moment, laissant sa place aux dessins. Dans Max et Charly, vous traitez d’un mal contemporain – le chômage – mais sous forme de fable. Jamais vous ne ressentez l’envie d’aborder un sujet frontalement ? Dans L’Usine électrique, je parlais de la fermeture de la centrale hydroélectrique du Lac noir dans les Vosges qui m’a marquée. Je traitais déjà du sujet d’une manière fantastique, sans coller à la réalité de manière documentaire. Max et Charly sont deux gars qui ont perdu leur boulot et qui errent dans un no man’s land. Ils s’y enfoncent et le lecteur perd pied car l’imaginaire prend le dessus. Je suis incapable de décrire la société comme les frères Dardenne le font. Et puis mes fins sont souvent brusques, laissant une impression d’angoisse. C’est désagréable tous ces fils dénoués, mais j’assume ! Dans vos BD, on croise régulièrement un être au visage / masque à la Munch. Qui est ce spectre qui rôde et hante vos ouvrages ? Un cri d’horreur, de folie, exprimant la colère !
« J’aime l’idée de construire “un œuvre”, un mur dont chaque brique serait un bouquin. »
© Sarah Dinckel Poly 203
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Autoportrait de Vincent Vanoli pour Poly
Dans Rocco, c’est le symbole de la peste qui caresse le personnage. Votre système narratif est complexe, avec des mises en abîme arrivant à leur paroxysme lorsque vous vous représentez dans Rocco et la Toison… Vous avez bien remarqué que mes dessins sont tarabiscotés ! Tout est baroque chez moi, c’est un ensemble. En ça, je suis très inspiré par les histoires fantastiques de Maupassant, comme Le Horla, les récits picaresques ou les 1001 Nuits. Pour Rocco, je me suis incorporé au récit afin d’introduire d’autres niveaux de lecture et rendre hommage aux peintres qui se représentaient dans leurs toiles. De qui vous sentez-vous proche ? J’aime beaucoup les personnages de Richard Brautigan : des mecs hyper lucides qui s’arrêtent sur un détail et le rendent délirant par un trait de poésie. Pour Objets trouvés, de manière instinctive et quasiautomatique, je fais le va-et-vient entre des choses autobiographiques – le souvenir d’une balade en forêt… – et des micro-reportages, des instants saisis de la vie de tous les jours. Je zoome sur ces éléments et les rends énormes, monstrueux, bizarres… Si vous aviez la possibilité de faire intervenir Le Contrôleur de vérité*, quel mensonge ten40
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teriez vous de débusquer ? Le Contrôleur, c’est un type qui se questionne constamment sur le langage, jusqu’à devenir fou. Aujourd’hui, je l’imagine bien devant un panneau de signalisation routière, genre rond-point ou sens interdit. Il reste là, sans voix, à se demander à quoi ça rime, complètement interloqué. Vous me donnez envie de remettre en route le personnage : il a du potentiel ! Emmanuel Dosda * Édité par L’Association en 1999 lassociation.fr
Objets trouvés, éditions de La Pastèque lapasteque.com Max et Charly, Rocco et la Toison & Maudite !, éditions L’Association lassociation.fr À paraître en 2018 : La Femme d’argile, éditions 6 Pieds sous Terre 6pieds-sous-terre.com
Mathieu Boisadan
La puissance de l’insouciance, 2017, Courtesy Patricia Dorfmann Obtention du 1er Prix du prix Antoine Marin & d’une bourse par Atelier Mondial pour une résidence à Moscou en 2018
En cuisine avec Kafka © Éditions 2024
haïkus de l’humour Avec son humour so british, Tom Gauld croque le monde qui l’entoure en jouant à saute-moutons entre les époques et les genres. Rencontre avec un as du strip à l’œil moqueur et à la plume acérée.
Dessiner un strip par semaine pour le Guardian et pour le New Scientist, cela impose un rythme et booste la créativité ? Je pense que les contraintes aident incontestablement à être créatif. Pour ces deux journaux j’ai des délais réguliers, un petit espace et une thématique : ces données permettent de se focaliser sur le travail, pour qu’il soit le meilleur possible. Pour mes romans graphiques, j’ai beaucoup plus de place, une liberté totale et beaucoup plus de temps, mais je trouve cela plus difficile. Cette 42
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ouverture des possibles est excitante mais aussi paralysante. Arrive-t-il qu’on refuse l’un de vos strips ? Je sais que je suis extrêmement chanceux : les éditeurs et les lecteurs du Guardian comme du New Scientist semblent très friands de mes dessins et sont heureux de me laisser faire mes trucs, semaine après semaine. Dans les deux cas, je suis laissé totalement seul pour faire tout ce que je désire, et je suppose qu’ils me font confiance pour faire du bon boulot convenant à leur pu-
blication. Je pense que c’est une bonne façon de travailler. Si vous tentez de manager un artiste, il ne produira pas ce qu’il fait de mieux. Je préfère faire huit bons dessins et deux étranges semi-échecs, que dix caricatures médiocres ! Comment dealez-vous avec l’autocensure ? Je ne pense jamais vraiment m’autocensurer. Le plus souvent, je dois supprimer des choses parce qu’elles sont confuses ou distraient de l’essentiel. Dans mes premières bandes dessinées, il y avait des jurons, mais j’utilise
désormais rarement un langage grossier. De temps en temps, je vais blasphémer dans l’ébauche d’une BD, mais je le change généralement en autre chose, car c’est rarement la meilleure façon de l’exprimer. Sexe et violence apparaissent rarement, et je trouve qu’il est plus amusant de suggérer que de montrer. Le strip est au dessin de presse ce que le haïku est la poésie, l’humour dévastateur en plus. Ça vous parle comme définition ? J’ai moi-même déjà fait cette comparaison par le passé ! Dans tout mon travail, j’aime peaufiner les éléments pour tendre à l’essentiel, mais dans mes courtes caricatures, c’est particulièrement important. J’aime l’idée qu’en associant les bons mots et les images justes dans un si petit espace, vous pouvez créer quelque chose de bien plus grand dans la tête du lecteur.
Vous verra-t-on un jour faire des dessins plus engagés, plus poreux à l’actualité chaude (Brexit, attaques terroristes, etc.), ou ce n’est pas votre truc ? Je ne sais pas. Très occasionnellement, mes dessins pour le Guardian ont un thème plus politique, et je suis toujours nerveux en les faisant. Il est beaucoup plus facile de faire des blagues à propos du monde de l’Art, principalement parce que je le connais bien mieux. Mais les gens semblent bien réagir à mes caricatures politiques, alors peut-être que j’en ferai plus un jour.
En cuisine avec Kafka © Éditions 2024
Notre magazine fête ses 20 ans. Quels changements observez-vous dans votre milieu sur cette période ? Il y a vingt ans, j’étudiais l’illustration à l’Université et, alors que
je lisais beaucoup de bandes dessinées, je n’en avais pas fait une seule – excepté des choses idiotes pour amuser mes amis. Quand j’ai publié la première en 2001, c’était comme si les BD traitant d’autre chose que de super-héros au Royaume-Uni étaient encore une niche, alors que maintenant je pense qu’elles n’ont jamais été autant reconnues. Il y a plus d’éditeurs, d’artistes et de festivals désormais et il semble qu’il y ait une très bonne énergie dans le monde du neuvième art britannique.
« Si vous tentez de manager un artiste, il ne produira pas ce qu’il fait de mieux. »
Dans vos thématiques de prédilection, on retrouve les dystopies où la technologie – notamment les robots – a remplacé les humains, les vannes sur le milieu littéraire et les affres de la création mais aussi les relectures historiques. Comment les choisissez-vous ? Le sujet ou la thématique générale me sont donnés chaque semaine par mon éditeur au Guardian, mais il comprend que je suis susceptible de les utiliser comme un simple point de départ à l’un de mes petits voyages. Les thèmes ont tendance à tourner autour de la fin de la littérature ou du “grand Art”, alors je trouve que les mélanger avec de la sciencefiction ou l’univers des jeux vidéo est souvent inattendu et amusant. L’évolution du langage et la bêtise humaine traversent les siècles et les époques dans vos dessins. L’Homme répète toujours les mêmes erreurs ? Je pense que les gens sont, à bien des égards, restés à peu près les mêmes. On peut imaginer que tout le monde dans le passé parlait dans une poésie parfaite et exerçait noblement des actes héroïques, mais je pense qu’en général, ils étaient comme nous. Et c’est bien plus intéressant pour moi : j’aime quand la fiction s’intéresse aux succès et aux échecs ordinaires de la vie. Dans votre dernier livre, En Cuisine avec Kafka, vous pastichez les vicissitudes des grands écrivains – de Shakespeare à Jonathan Franzen en passant par les sœurs Brontë ou Dan Brown – comme la stupidité de la rentrée littéraire. Le monde de l’édition est une source inépuisable ? J’y puise beaucoup ! Je pense qu’il est plus facile et plus satisfaisant de satiriser quelque chose que vous aimez plutôt que quelque Poly 203
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chose que vous détestez, ou qui vous laisse indifférent. La comédie tend à naître de ce qui ne tourne pas rond, donc les caricatures sont plus souvent du côté négatif de ce monde, que j’aime malgré tout sincèrement. On dit souvent l’univers de l’édition impitoyable. Vous êtes-vous attiré des inimitiés ? Aucune. Je pense que, même lorsque je taquine le monde littéraire, il est clair que je le fais avec amour. Sur Internet, certains sont déterminés à être en colère contre quelque chose et parfois ils me tweetent avec rage, mais ça ne me dérange pas. Vous imaginez les bibliothèques du futur avec des
“ liberpilules ” pour ingérer 50 Nuances de Grey ou Ulysse, des “ nanolivres ” ou encore des “ audio-livres holographiques ”. Dans 20 ans, à quoi ressembleront vos strips ? C’est une bonne question. Je préfère toujours lire des bandes dessinées sur papier. Internet est une excellente façon de découvrir des BD et de voir de nouvelles choses, mais si je peux, je préfère mettre la main sur la version imprimée. J’ai essayé de lire sur iPad et j’ai trouvé cela très insatisfaisant. Pour moi, le package BD (papier, design, impression) est important, beaucoup plus que pour un roman. Donc, à moins qu’une nouvelle forme n’émerge, j’espère que mes BD vivront toujours sur papier.
Si vous n’aviez pas été dessinateur, vous auriez fait quoi ? Si je réponds de manière ennuyeuse, je dirais une autre fonction artistique : animateur, cinéaste, écrivain. Mais si je devais quitter complètement les industries créatives, j’aimerais être diplomate. En fait, je pense que je serais terrible, mais j’aime l’idée de vivre à New York et de travailler aux Nations Unies. Peutêtre que lorsqu’ils me vireront de l’ONU, je pourrais ouvrir une boulangerie. J’aime l’idée d’être boulanger. Quels sont les artistes que vous admirez ? Je n’en aurais jamais assez de Brueghel l’Ancien. Il est absolument merveilleux. Je suis allé à Vienne l’année dernière pour voir ses peintures et cela en valait vraiment la peine. Les Chasseurs dans la neige est mon œuvre d’art préférée, c’est tellement atmosphérique et animé, éclatant – d’une certaine manière – avec l’humanité. Dans la BD, j’admire Daniel Clowes, Ben Katchor, Ros Chast et Jason. Thomas Flagel
Parus aux Éditions 2024
Police lunaire © Éditions 2024
editions2024.com tomgauld.com
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Laurent Moreau
Vient de sortir : Contes pour enfants pas sages (14,50 €) chez Gallimard Jeunesse À venir : Jouer Dehors, édité chez Hélium (début 2018) zeroendictee.free.fr
Virginie Bergeret
DANSE, DANSE !, série de peintures réalisée après une résidence artistique à La Soupape Ailée, en 2017, à BoboDioulasso (Burkina Faso) – virginiebergeret.fr À venir : La Maison des colombes, aux Éditions des Éléphants
si tu disais Comme nous, Françoiz Breut fête ses 20 ans ! En 1997, elle sortait son premier album éponyme, un portrait au Polaroid en guise de couv’. La chanteuse (et dessinatrice) n’a pas changé, même s’il s’en est forcément passées, des choses, en deux décennies. Souvenirs, souvenirs…
Autoportrait pour Poly
Un souvenir de jeunesse ? Je me souviens de moments idylliques, en compagnie de mes parents, après de délicieuses saucisses grillées sur un petit feu de bois au bord de la dune, de la pêche aux coques sur une plage sans fin, sans personne, de longues heures à chercher ces petits yeux noirs cachés dans le sable. de colère noire ? Je n’ai plus vraiment de colère, mais je ressens de la révolte, de la rage face aux propos racistes du Secrétaire d’État à l’immigration en Belgique, Théo Francken, qui devrait accueillir les migrants en leur offrant une médaille de courage pour avoir parcouru les mers et quitté ce 48
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qu’ils ont de plus cher plutôt que de les chasser d’un endroit à un autre. de premier bonheur ? Je préfère me souvenir du morceau de Françoise Hardy que j’ai repris en 2005, Le premier bonheur du jour : je viens d’écouter plusieurs versions sur YouTube et celle du groupe brésilien des sixties Os Mutantes reste ma préférée. Je vais me faire des ennemis, mais bizarrement, je n’ai jamais été fan de Françoise Hardy. de ravins à contourner ? Sur mon chemin, je dois éviter les bonimenteurs, les lunatiques et les rabat-joies.
d’ennemis invisibles ? Fukushima a mis en évidence les failles du nucléaire. Depuis les études faites sur l’état des centrales, on n’est guère rassurés. Je pense surtout à ma famille habitant à proximité d’une centrale et d’une usine de retraitement de déchets. J’imagine les catastrophes possibles si un réacteur avait la malchance d’être endommagé. On y pense puis on oublie, jusqu’à ce que… de nébuleux bonhommes rencontrés ? Entre tous les nébuleux bonhommes dont je tairai le nom, je me souviens particulièrement d’un curieux personnage mi-magicien, mi-vampire, cultivant un
certain mystère, un homme doué pour faire avaler des couleuvres, un homme que je ne souhaiterais plus jamais rencontrer. de moments à l’unisson ? La tournée de La Chirurgie des sentiments, en 2013, me rend parfois nostalgique, plus particulièrement une série de dates en Allemagne et en Suisse, en été, où nous avons été accueillis comme des rois : nos voyages entre les villes étaient entrecoupés de baignades dans les lacs et les fontaines. Cette tournée avec mes amis musiciens reste la meilleure à ce jour. Dans ces moments, on se dit qu’on a de la chance de faire ce métier et on est récompensés d’avoir passés tout un hiver à répéter dans une cave humide. de gens qui vous manquent ? Ma grand-mère paternelle : elle était la quiétude même, d’une patience infinie et d’une gentillesse remarquable. Ce n’était pas dans les mots, mais dans les échanges d’amour, les jeux de petits chevaux entre deux reprises de chaussettes, les petits plats mitonnés sur fond de Chiffres et des lettres. d’une espèce en voie de disparition ? Je suis embarquée dans une future exposition nommée Rock fossils sur les espèces en voie de disparition. C’est l’idée d’un ami luxembourgeois qui travaille au Musée d’Histoire naturelle : le concept est d’exposer des pièces fossiles dédiées à des musiciens, John Coltrane, Cannibal Corpse, AC/DC… Ma chanson Deep Sea diver sera accompagnée d’une Bélemnite, un tout petit céphalopode, bestiole qui n’excédait pas 5 cm de son vivant. On l’appellera Coeloteuthis francoizbreutae. d’instants tranquilles et décomplexés ? L’année passée, j’ai fait un voyage à vélo de 600 km de Bruxelles à La Haye avec mon amoureux, en prenant les chemins de traverse,
Françoiz Breut et Dominique A, photo retrouvée dans les archives de Poly © Stéphane Kalk
les champs de tulipes, de cerisiers ou de pruniers, par 35°C. J’ai traversé des coins très sauvages : la Hollande n’est pas que platitude et champs rectilignes, il y a aussi des courbes, des fleuves sinueux et des havres de paix. qui s’efface ? J’essaye de me souvenir de tous les lieux de concert où je suis passée, des années, des salles, des groupes en première partie… mais je n’y parviens pas. J’ai pourtant la mémoire des visages et progresse en géographie, grâce aux tournées. Emmanuel Dosda
Françoiz Breut & Friends, édité par Caramel Beurre Salé caramelbeurresale.be Oliver et la fille oubliette, pièce jeune public de Julie Rey, avec Françoiz Breut (accompagnée d’un livre / CD avec des chansons et illustrations de Françoiz Breut), du 14 au 16 février à L’Atheneum de Dijon, à l’occasion du festival À Pas contés atheneum.u-bourgogne.fr francoizbreut.be
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Icinori
Mayumi Otero & Raphael Urwiller
Derniers ouvrages : Déluge et L’Ami aux éditions Icinori Au printemps 2018, le duo d’illustrateurs sortira le pop-up L’Âge de Pierre (Éditions Icinori) icinori.com
BenoĂŽt Linder
Portrait de James Ellroy benoit-linder-photographe.com
la valse des monstres Comme Poly, Ici d’Ailleurs…, sorte de petit frère nancéen de Mute Records, fête deux décennies de succès (Yann Tiersen, Chapelier Fou) et de dégottage d’immenses talents trop confidentiels (Married Monk, Matt Elliott). Questions inspirées par les titres du monstrueux catalogue de Stéphane Grégoire, label manager.
Avez-vous Encore envie [Pascal Bouaziz] ? Oui, mais peut-être différemment… Je mène une réflexion pour opérer des changements, progressivement, avec une équipe qui s’est étoffée et prendra prochainement ses quartiers dans des nouveaux locaux de trois étages appartenant à la Ville de Nancy. L’idée est de redynamiser un peu le centre de la cité avec un lieu de vie qui fasse office de bureau, de magasin de disques et de club / bar. C’est une expansion… un peu périlleuse, mais excitante. Vous ne rêvez pas d’Une vie tranquille [Mendelson] ? Absolument pas ! Cette année d’anniversaire est très éprouvante et demande beaucoup d’énergie, mais c’est un défi à relever. Tout comme l’édition du livre / CD de photos du nancéen Francis Meslet, photographe “urbex” de lieux abandonnés. Pour certains, comme Michel Cloup, la Colère peut-être un moteur… Pour moi, c’est la projection dans l’avenir. D’ailleurs, je ne suis absolument pas nostalgique et je regarde rarement en arrière. La Fabuleux destin d’Ici d’ailleurs… (IDA) commence avec Le Phare de Yann Tiersen, première sortie du label, il y a vingt ans… En effet, la magie a opéré et nos 52
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premiers pas ont été plutôt heureux. Les difficultés sont arrivées un peu plus tard… Nous aurions pu faire le choix de faire fructifier nos recettes et sombrer dans le commercial, mais ça n’est vraiment pas notre culture et avons préféré sortir les disques de Bastärd, Bed, Fugu ou Dominique Petitgand. Quel épisode de l’aventure IDA vous évoque une Pensée Magique [Les Marquises] ? Le bonheur de voir qu’un artiste comme Yann, que tu aimes profondément, puisse plaire autant aux autres. Je me suis senti bien dans mon rôle de passeur ! Je souligne que sans Tiersen et Amélie Poulain, nous aurions mis la clef sous la porte. Cette BO nous a permis de tenir quinze ans, tout en gardant notre cadence un peu folle d’une dizaine de sorties annuelles. Chapelier Fou est-il votre nouveau Tiersen, économiquement parlant ? Nous avons en effet beaucoup de facilité à le diffuser ou à plaquer sa musique sur des documentaires. Grâce à la Sacem, il génère beaucoup de droits… mais c’est sans commune mesure avec Yann. Un Souvenir Hanté [Thomas Belhom] ? C’est très personnel, mais j’ai en-
duré une énorme souffrance due à des maux de dos durant une quinzaine d’années, qui ont commencé en plein succès de Tiersen. J’étais d’ailleurs en sa compagnie lorsque j’ai ressenti mes premières douleurs. Lui s’envolait et moi je m’explosais au sol, en mille pièces, comme un puzzle. Cette violence restera ancrée… Quelle Porte ne s’est pas ouverte [Dominique Petitgand] ces vingt dernières années ? Si je me trouve devant une porte close, j’essaye de prendre une coursive, une sortie de secours. La musique a toujours été mon échappatoire, surtout durant
l’adolescence, car je n’avais pas beaucoup d’affinités avec le système scolaire. Êtes-vous sensible au Market diktat [Jean-Philippe Goude] ? Oui, avec Goude, nous avons la même vision nauséeuse de ce dikat. Il faut batailler avec les dérives de notre société, mais mon label m’aide à proposer une alternative à celles-ci. Quel est l’artiste de votre catalogue À Découvrir absolument [Diabologum] ? Tous nos artistes sont injustement méconnus, mais je dirais
Married Monk. Le groupe n’était pas prêt à intégrer les règles du Market diktat pour se frayer un chemin. Mais il a du génie, tout comme Fugu : il mériterait vraiment de rencontrer le succès ! C’est du gâchis car ils ont composé de véritables tubes en puissance… Attention, un tube, c’est creux [rires]. Il n’est pas trop tard, l’histoire continue à s’écrire… Dans votre catalogue, on trouve La Valse des monstres de Tiersen et celle de Married Monk, avec Elephant People, magnifique album concept sur le thème de la monstruosité… Nous sommes de nature atypique. Il y a du charme et de l’intelligence chez les freaks qu’il faut savoir regarder et comprendre. Nous vivons dans une France des épiciers [clin d’œil à Gontard!, NDLR] un peu stupide et bornée, mais les mélanges qui s’opèrent nous semblent intéressants à explorer. Nous affirmons notre identité française : celle des échanges, de la mixité, de l’hybridation. Comme le dit Thomas Belhom : No Border ! Emmanuel Dosda
Dernières sorties sur Ici d'Ailleurs…
Muance de Chapelier Fou chapelierfou.bandcamp.com Jolly New Songs de Trupa Trupa trupatrupa.com
© Arnaud Martin
Et aussi : The Third Eye Foundation, Gontard!, Julien Sagot…
Livre / CD, Mind Travels de Francis Meslet (avec Les Presses du Réel) mindtravelsseries.com icidailleurs.com
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quand la musique est bayle À la tête de la Cité de la musique / Philharmonie de Paris, Laurent Bayle est une figure centrale de la vie musicale française peu connue du grand public. Entretien avec le fondateur du festival Musica (qu’il préside désormais) et ancien directeur de l’Ircam, entre 1991 et 2001. Vous avez créé le festival Musica en 1983 : était-ce une époque bénie pour la musique contemporaine ? En 1981, la gauche arrivait au pouvoir. Au cours de ces premières “années Lang”, l’effervescence régnait. Lorsque nous avons lancé Musica, le seul mot d’ordre était d’imaginer les contours d’un festival différent de ce qui existait à Royan, La Rochelle, Donaueschingen ou Darmstadt. Des manifestations, pour résumer, s’adressant essentiellement aux professionnels. À Strasbourg, il s’agissait de mettre la création contemporaine au contact du public le plus large possible. Comment avez-vous procédé ? Nous avons pris modèle sur les festivals de théâtre en imaginant une temporalité longue : il fallait absolument sortir de l’idée du forum pour entrer dans un récit, une narration se déployant dans plusieurs salles afin d’irriguer un espace géographique large. D’emblée, il est aussi apparu essentiel de prendre le contrepied des événements existants en installant une plus grande profondeur sur le plan des enjeux musicaux : depuis l’origine, Musica essaie de générer un dialogue entre des œuvres nouvelles et les partitions des générations précédentes. Prétendre que la musique contemporaine est née ex nihilo est un poncif répandu… qui a fait beaucoup de mal à ce répertoire. « Boulez était révolutionnaire mais partisan de l’évolution, non pas de la révolution en soi » comme l’affirme l’immense chef qu’est Daniel Barenboim. Comment faire aimer ce répertoire, et plus largement la musique classique, au plus grand nombre ? Une partie importante de la réponse à votre question est du ressort de la politique d’éducation artistique qui est vitale : avant l’adolescence, vous n’avez pas de représentations figées, ni de hiérarchies établies. À la Philharmonie de Paris, j’ai créé des orchestres d’enfants : pour eux, travailler un extrait de Beetho54
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ven ou une transcription pour orchestre de Let it be revient au même. Vous avez dirigé Musica jusqu’en 1986. Après la disparition de Rémy Pflimlin, en décembre 2016, vous avez été nommé président de l’association gérant le festival. Comment l’avezvous vu changer en trente ans ? L’environnement dans lequel il évolue n’a plus rien à voir avec celui que j’ai connu : dans les années 1980, nous étions clairement dans une dimension d’expansion. Ce n’était pas no limit, mais nous pouvions tenter des expériences, défricher sans compter. Aujourd’hui, le contexte est plus “défensif”. Il s’agit d’essayer de protéger ce qui donne l’apparence d’être attaqué de toutes parts. Musica a très bien résisté aux turbulences, conservant une identité internationale forte – où bien d’autres se sont étiolés – et devenant, au fil des ans, une référence, sans jamais se scléroser. Le plus grand danger des institutions est de s’enkyster dans la reproduction des habitudes : Musica a réussi a surmonter cet écueil en ne reproduisant jamais les schémas développés au fil des années. Il faudra poursuivre cette réinvention permanente… Vous avez aussi été à la tête de l’Ircam (Institut de Recherche et Coordination Acoustique / Musique) dix années durant. Une de vos premières initiatives a été de pousser les murs pour faire sortir cette institution du “bunker” où elle se trouvait… Pour moi, le rapport entre la réalité architecturale et la symbolique véhiculée est évident. L’Ircam était installé sous terre : Pierre Boulez l’avait désiré comme un laboratoire. Pour poser un acte fort dans le domaine de la recherche, de la création et de la réflexion, s’extraire de la société n’est pas incohérent… mais cela avait été mal compris, car ce qui se conçoit pour un laboratoire scientifique n’est pas accepté de la même manière pour la recherche musi-
Photo de Benoît Linder pour Poly
cale. C’est pour cela que j’ai souhaité ouvrir l’Ircam le plus possible sur la cité. Ce sont aussi des considérations symboliques qui vous ont poussé à militer pour que La Philharmonie soit installée dans le nord-est parisien ? Avant que ce nouvel équipement ne voie le jour, la vie musicale se focalisait sur la Salle Pleyel, située en plein cœur du huitième arrondissement, où se rendaient les plus grands orchestres. Le lien entre le répertoire classique et les quartiers “chics” se mani-
festait dans cette localisation. Il était essentiel de modifier cette sociologie, car cela ne marchait pas, contrairement aux arguments de certains qui mettaient en avant le taux de remplissage de Pleyel. Ces concerts créaient un sentiment de prestige, mais un prestige désincarné donnant une idée passéiste de la musique classique… Prendre le risque d’un déplacement géographique permettait de donner du sens et de la profondeur à notre projet artistique. C’était une autre manière de “pousser les murs”, pour reprendre votre formulation. Hervé Lévy Poly 203
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Illustration futuriste pour l’exposition ARCHI-BEAU du collectif des Rhubarbus, au Syndicat Potentiel Vient de paraître : Vive la montagne, éditions Nathan - collection Kididoc (11,95 €) – nathan.fr nikol.fr
Caroline Gamon
Parallèles, exposition au Syndicat Potentiel (Strasbourg), du 24 novembre au 9 décembre – syndicatpotentiel.free.fr Vient de sortir Ma Panthère noire aux Éditions Gallimard jeunesse (16,90 €) – carolinegamon.com
Photo de Stéphane Louis pour Poly
au-delà des étoiles L’Auberge de l’Ill célèbre le 50e anniversaire de sa troisième Étoile au Guide Michelin. Rencontre à Illhaeusern avec le chef Marc Haeberlin, dépositaire de l’âme d’une maison mythique.
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lors que Sébastien Bras décidait de renoncer à ses trois Étoiles au Guide Michelin, au mois de septembre – arguant d’une « grande pression » –, Marc Haeberlin affirme : « Je me battrai toujours pour les conserver. Elles ont été reçues par mon père et mon oncle en 1967. Cela demeure le graal, comme un Oscar pour un acteur. Du sang rouge Michelin coule dans nos veines, même si je sais que cette distinction est accordée pour une seule année, que tout est remis en question à chaque nouvelle édition. Personne n’est intouchable. Regardez La Tour d’Argent, Lasserre ou Maxim’s. Quand ce dernier a été rétrogradé, monsieur Vaudable a dit au directeur du guide : “Maxim’s n’est pas un restaurant. Maxim’s est un théâtre.” La pression existe. Elle ne vient cependant pas du Michelin, mais essentiellement des clients pour qui je cuisine. » 58
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La tête dans les étoiles Avec le Restaurant Paul Bocuse (trois Étoiles depuis 1965 à Collonges-au-Mont-d’Or) et Troisgros (qui fêtera vraisemblablement le 50e anniversaire de sa troisième en 2018, à Ouches), L’Auberge de l’Ill est un des trois temples de la gastronomie française en province. Retour en arrière sur une aventure familiale qui a débuté en 1882 à l’enseigne de L’Arbre vert où l’on servait une matelote réputée, concurrente de celle proposée de l’autre côté de la rivière : À La Truite, c’était une recette catholique, chez les Haeberlin, une “matelote protestante”. Autre époque. Paul Haeberlin (en cuisine) – dont le maître se nommait Édouard Weber qui fut cuisinier à la cour des tsars – et son frère Jean-Pierre (en salle) métamorphosent la maison. Elle grimpe tous les échelons dans les guides gastronomiques jusqu’à
décrocher une troisième Étoile en 1967 : « Le jour où le Michelin est sorti, il n’y avait pas d’émotion médiatique particulière. Aucun article dans les DNA ou L’Alsace, juste une mention dans Le Figaro », se souvient Marc, 13 ans cette année-là. Autre époque (bis). « Mon père était terrorisé. Il avait peur de perdre sa clientèle d’habitués et a été obligé d’investir. Il n’y avait pas d’argenterie et les clients mangeaient dans le traditionnel service Loux1. À la carte, figuraient encore le potage du jour, la truite au bleu ou l’escalope viennoise », mais aussi les plats cultes pour lesquels le restaurant avait été distingué. Ils sont encore là, inchangés (ou presque car « nous avons réduit les quantités, il y quarante ans, on mangeait beaucoup plus ») et devenus des fragments du patrimoine gastronomique français : la truffe sous la cendre – « que mon père avait découvert aprèsGuerre à la Rôtisserie périgourdine des frères Rouzier, une truffe entière avec de la farce de viande, dans une pâte, qu’ils servaient alors en garniture de toutes les viandes ! » –, la terrine de foie gras d’oie, le saumon soufflé “Auberge de l’Ill” ou encore la mousseline de grenouilles “Paul Haeberlin”. « Certains clients ont mangé un de ces plats, il y a quarante
ans. Il faut qu’ils retrouvent le goût, et l’émotion ressentie. Ne rien rajouter, ne rien retrancher. » Les pieds sur terre Lorsqu’on lui demande le secret de la longévité de L’Auberge, la réponse de celui qui en a intégré les cuisines au milieu des années 1970 fuse : « C’est le travail de tous les jours, entouré d’une bonne équipe car seul on ne peut rien faire. Le plus dur n’est pas de créer un plat mais de le reproduire comme on le souhaite, deux fois par jour à dix, vingt ou trente exemplaires au plus haut niveau. Les choses les plus importantes pour moi, sont l’assaisonnement, la cuisson et le goût. La décoration de l’assiette vient largement après », explique Marc Haeberlin. Démonstration avec l’incroyable saumon soufflé “Auberge de l’Ill” dégusté en cuisine, au milieu du ballet chorégraphié au millimètre des commis et autres chefs de partie. Le seul mot apte à le décrire est : perfection. Itou pour la mousseline de grenouilles, « le plus beau plat créé par mon père. Certains classiques demeurent d’une grande modernité. Prenez la volaille de Bresse en vessie de Paul Bocuse par exemple qui ressemble à une œuvre d’Art contemporain. » À côté de ces inamovibles,
« Certains classiques demeurent d’une grande modernité. »
Mousseline de grenouilles « Paul Haeberlin » © Thomas Duval Poly 203
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la carte comporte de belles créations, souvent inspirées du Japon que Marc Haeberlin aime tant – et où il a ouvert plusieurs établissements – pour surprendre des convives venus du monde entier comme sa préférée, un étonnant ragoût de homard et de tête de veau aux épices à l’orge perlé. Le succès n’a néanmoins pas tourné la tête à un chef que la starisation des toques agace quelque peu. Des émissions comme Top Chef ou MasterChef ne « sont pas [s]a tasse de thé. Il ne s’agit pas de cuisine, mais d’un show culinaire. Au fond, ce n’est pas la recette qui compte, mais les belles images de mets hyper léchés ou les moments d’émotion, voir les filles tomber en larmes ou les gars craquer. » Et de rappeler la réponse que « Monsieur Paul [Bocuse] avait récemment faite à un journaliste qui lui rappelait que les cuisiniers étaient sortis de derrière les fourneaux grâce à lui : “maintenant, ils feraient mieux d’y retourner”. Ma vie c’est la cuisine. Du matin au soir. Je ne suis pas là pour le show off », conclut-il. Ce qui l’inquiète plus encore est de voir « les chariots dans les supermarchés remplis de mets tout faits. Ce n’est pas une question d’argent : faire un bon potage de légumes ne coûte pas une fortune. Souvent, les gens mangent plus mal que leurs aïeux… et bien trop de viande. L’éducation au goût doit débuter très tôt. » Un combat dans lequel s’est lancée son épouse Isabelle avec son association Épices 1 qui doit transcender les modes culinaires dont le totalitarisme vegan qu’il brocarde. Et lorsqu’on lui demande ce qu’il pense du McDo, il s’amuse, affirmant : « J’ai mangé mon premier hamburger il y a quelques jours, vous savez. » C’était chez Shake Shack à New York, pendant le congrès des Grandes Tables du Monde, dont la devise signée Jean Cocteau – « La tradition est un mouvement perpétuel. Elle avance, elle change, elle vit » – pourrait parfaitement être celui de L’Auberge. Et de poursuivre, songeur néanmoins : « Si nous pratiquions la même marge que McDo, presque personne ne pourrait s’offrir un repas chez nous. » Nous nous quittons. Marc retourne en cuisine écrire de nouvelles notes sur la portée de la symphonie gastronomique qu’il compose, jour après jour. Les trois Étoiles devraient continuer à briller longtemps dans le ciel d’llhaeusern. Hervé Lévy Assiettes traditionnelles de winstubs avec des motifs alsaciens dessinés par Henri Loux Voir Poly n°162 ou sur poly.fr
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L’Auberge de l’Ill est située 2 rue de Collonges au Mont d’Or à Illhaeusern (Haut-Rhin). Fermé lundi et mardi. Menus de 132 € à 188 €
Membre des Étoiles d’Alsace (prochain afterwork le 16/11, dans la Salle du Koïfhus à Colmar), Marc Haeberlin propose une Formule Jeunes pour les moins de 35 ans, du 1er novembre au 30 avril (109 €) etoiles-alsace.com
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© Eric Laignel
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la révolution culturelle Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les patronymes des Ministres de la Culture oubliés aussi. À côté du monument Malraux, le nom de Jack Lang seul reste gravé dans le marbre de l’imaginaire collectif. Entretien avec celui qui donna un beau coup de pied dans la fourmilière au début des années 1980 et préside aujourd’hui l’Institut du Monde arabe. Vous avez été Ministre de la Culture et de la communication deux fois (de mai 1981 à mars 1986, puis entre mai 1988 et mars 1993). Quelle est la mesure dont vous êtes le plus fier ? Une des toutes premières qui est spécialement symbolique et emblématique de notre action – elle fut par ailleurs très efficace – est la Loi sur le prix unique du livre adoptée en août 1981. C’est très technique et n’est guère poétique, mais, sans elle, les secteurs de la librairie et de l’édition auraient sans doute connu le même désastre que dans certains pays qui n’ont pas pris de telles mesures. Je pense, par exemple, aux ÉtatsUnis. Quelle est la philosophie qui sous-tend ce dispositif ? C’est un texte d’écologie culturelle, c’est-à-dire que l’on fait prévaloir la durée sur l’immédiateté, l’intérêt de la création sur la spéculation. En ce sens, cela éclaire tout ce que nous avons voulu réaliser… La Fête de la Musique n’estelle pas plus symbolique ? C’est une autre idée, celle que, dans une société vivante, les citoyens peuvent devenir acteurs ou co-auteurs d’un changement majeur dans le paysage culturel. 62
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Le budget de votre Ministère est passé de 2,6 milliards de francs en 1981 à 13,8 milliards en 1993. Aujourd’hui, le temps n’est plus à la progression : peut-on avoir une politique culturelle en période de vaches maigres ? L’argent compte, certes, mais le plus important, ce qui précède, c’est l’imagination, le souffle et l’élan. Aujourd’hui, il y a dans le pays, des villes et des régions qui inventent et créent. Je le vois à Nancy, ville dont je suis originaire, par exemple. Malheureusement l’État, depuis de nombreuses années, est trop en arrière. Le budget demeure stable, mais aurait mérité une vraie progression. J’ai néanmoins peine à porter une appréciation sur la politique nationale, car je m’impose une obligation de réserve. Les “années Lang” donnaient le sentiment d’une liberté extraordinaire et d’un bouillonnement : aujourd’hui la culture est-elle encore une source vive ? N’est-elle pas sclérosée ? Par bonheur, dans tout le pays, ce bouillonnement est encore là. Nous avons créé une dynamique, une véritable cinétique qui a fait, en quelque sorte, que le mouvement entraîne le mouvement. Il manque cependant aujourd’hui
une impulsion d’État puissante. Dans certains domaines, il devrait donner un cap et notamment – pour moi c’est une question clef – en ce qui concerne la présence de l’Art et de la Culture à l’école. Malgré les paroles officielles, le domaine est à l’abandon. Nous avions lancé un plan ambitieux en 2000-2002 avec la Ministre de la Culture Catherine Tasca (Jack Lang était alors Ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement Jospin, NDLR) qui avait suscité un immense enthousiasme. Depuis, les choses se sont affaissées… Quel est votre plus beau souvenir de Ministre de la Culture ? Je ne citerais pas un événement précis, mais les instants de bonheur ressentis par des personnes privées d’Art et de Culture qui, tout d’un coup, découvrent un univers qu’ils ne soupçonnaient même pas. Le plus touchant et le plus important est d’offrir à d’autres le plaisir de connaître. L’Institut du Monde arabe fête son 30 e anniversaire : quelle est sa place dans le dispositif culturel français ? Comment résumer votre action depuis 2013 à sa tête ? L’IMA est plus qu’un musée ! Il est aussi un lieu d’échanges et de
© IMA / Rambaud
rencontres, une salle de concerts, il promeut l’enseignement de la langue arabe qui me tient à cœur depuis de longues années… L’Institut continue à être fidèle à sa vocation première, être un pont entre l’Orient et l’Occident.
De ce point de vue, son rôle est plus important que jamais à un moment où le fanatisme et l’intolérance progressent. Dans l’avenir j’ai envie que la jeunesse s’empare encore plus de l’établissement. Hervé Lévy
Chrétiens d’Orient à l’Institut du Monde arabe (Paris) jusqu’au 14 janvier 2018 imarabe.org
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burnin’ & lootin’ Rencontre au sommet pour Nathan !? entre le metteur en scène allemand Nicolas Stemann et Elfriede Jelinek, prix Nobel de Littérature 2004, à qui il a commandé un texte post-attentats s’imbriquant dans Nathan le Sage.
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Par Thomas Flagel Photos de Samuel Rubio
Au Théâtre national de Strasbourg, du 8 au 17 novembre tns.fr
* Lire Cap au Sud autour du festival Les Vagamondes dans Poly n°194 ou sur poly.fr, qui accueillit cette année Love and Revenge, concert visuel de Wael Koudaih aka Rayess Bek, également présenté au Maillon-Wacken (Strasbourg), jeudi 1er et vendredi 2 février 2018 – maillon.eu
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a tête dans l’un des chefs-d’œuvre de la littérature germanique des Lumières signé Lessing en 1779, hymne absolu à la tolérance. Les pieds dans notre bien sombre époque, celle de l’individualisme et du capitalisme dominant où l’on massacre toujours en masse au nom de Dieu. Alors qu’il avait déjà revisité Nathan le Sage en 2009 entremêlant à l’intérieur Crassier, texte de Jelinek, Nicolas Stemann a remis le couvert en 2016 au Théâtre Vidy-Lausanne. Son Nathan !?, qui se déploie aujourd’hui sur les planches du Théâtre national de Strasbourg, nous plonge avec un certain brio au temps de Saladin, sultan éclairé du XIIe siècle avec sa réflexion philosophique sur la tolérance et la bonté devant sauver les trois religions du livre de leurs sanglants conflits dans la Jérusalem des Croisades. Le metteur en scène y montre sa maîtrise de la fable originale, adaptée dans un dénuement efficace – malgré un humour un brin trop huilé – par une adresse directe. La contextualisation du conflit opposant Chrétiens et Musulmans est d’emblée mise à
profit pour donner corps aux gouffres béants séparant, encore et toujours, les êtres. La politique libérale et guerrière des nouveaux maîtres de la ville sainte est vouée à l’échec car leurs caisses sont vides. Les Chrétiens, totalement fanatiques, multiplient attentats suicides, viols, pogroms… Quant aux Juifs, coincés entre les deux, ils sont tolérés mais ont intérêt à être riches pour s’en sortir. Dans une joyeuse cacophonie, les comédiens se succèdent pour “pitcher” ce célèbre texte, l’un insistant sur le rôle de l’histoire d’amour entre Recha, la jeune juive, et le Templier qui l’a sauvée des flammes, l’autre sur la force des personnages féminins ou l’importance de l’origine ethnique des protagonistes avant que ce grand melting-pot introductif ne tourne, comme prévu, au vinaigre du brouhaha tendance fin de soirée trop arrosée. From light to shadows La bande de comédiens livre, en français et derrière cinq pupitres émergeant de l’obscurité sous des douches de lumière, le récit de
ce sage parmi les Hommes et leur furie qu’est Nathan, riche juif qui malgré l’assassinat de sa femme et de ses enfants n’a pas renoncé à prôner la tempérance et la tolérance, jusque devant Saladin en personne lui tendant le piège de désigner le vrai Dieu. Il s’en sortira grâce à la parabole des trois anneaux empruntée à Boccace, érigeant la bonté et l’amour de l’autre en valeurs supérieures à toutes les autres. Sur scène sont disposés, par touches émergeant de la pénombre, les éléments symboliques nécessaires à l’intrigue : un amas de signes religieux, les planches calcinées de la demeure dévorée par les flammes, des lingots d’or… Sur un sol noir aussi réfléchissant que le pétrole, les voix dominent des corps en retrait. La parole est reine, le débat intellectuel profond, rythmé par l’énergie d’une musique live signée Rayess Bek* et Yann Pittard, œuvrant derrière un instrument à cordes dont le manche prend l’aspect d’un AK-47. Le metteur en scène allemand nous berce au rythme séduisant de cette fable pour mieux digresser par la suite et nous perdre dans les eaux tumultueuses et crasses bordant les rivages du XXIe siècle où plonge Elfriede Jelinek. Le voyage dans les soubassements de notre société où le cynisme et les modèles de tolérance s’épuisent dans des discours bien-pensants autour du capitalisme financier prend corps dans une saturation d’images et de paroles diffractées des monologues à plusieurs voix de l’écrivaine. Elle « se moque autant de la folie sanguinaire des religions monothéistes que des idées et de l’humanisme des Lumières qui se sont coagulées depuis longtemps en un instrument d’oppression déguisé », confie celui qui mélange bruits de rafales et pancartes aux effigies de Trump, Marine Le Pen, Erdogan, Sarkozy, Hollande ou encore Merkel.
Shoot them up De mal en pis, les mots de Jelinek révèlent ce que l’utopie de Lessing occultait à dessein, voilà deux siècles, au profit de son pamphlet pro-tolérance. L’Autrichienne ne s’embarrasse pas de retenue, décidée à œuvrer du côté obscur de la nature humaine. Aussi directement que précédemment, les interprètes rivalisent de propos haineux et outranciers, dénonçant pêle-mêle ces « foyers d’insécurité et d’épidémie par accumulation d’humains », ce besoin de « faire disparaître » ce qui les dérange pour rendre la société meilleure grâce à « quelques sacrifices ». Ces nationalistes en période d’essai se cherchent une identité et se déclarent racistes dans un éclat de rire à peine plus forcé que les inscriptions « Nous devons, devons être Charlie » qu’ils brandissent sans conviction, rappelant que ces feuillets ont été écrits suite aux attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher et du Bataclan. Dans un patchwork fort agité – issu de cannes à selfie dont les images sont projetées en direct en toile de fond – et un flot de paroles simultanées, ce chaos scénique agencé et repoussoir ne laisse guère de doute quant à l’issue du spectacle. Le terrorisme s’annonce comme un hit radio par d’autoproclamés « êtres Do It Yourself », émancipés de toute servilité. La joyeuse bande chante des horreurs comme à un défilé de la Manif pour tous dans une candeur flippante… Le pire est que ce monde gorgé de valeurs refuges – dans lequel l’humanisme a été vidé de toute substance par des discours moralisateurs de politiques y ayant recours comme justification ultime à la vacance actuelle de propositions pour combler les failles grandissantes du vivre ensemble, de l’acceptation de la différence et d’une fraternité aux abonnés absentes – n’est pas une fiction. C’est le notre.
Jelinek se moque autant de la folie sanguinaire des religions monothéistes que de l’humanisme des Lumières qui se sont coagulés en un instrument d’oppression déguisé
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fin de party Pour sa première création strasbourgeoise, Gisèle Vienne réunit une foule de danseurs sur les beats electro du duo KTL. Plongée en pleine répétition de Crowd, entre érotisme lascif, finesse du geste et recherche de lâcher-prise. Du minimalisme technoïde aux basses puissantes sur des BPM s’envolant, la musique frappe fort dans le Hall du Wacken. Le Maillon vibre au rythme de classics de Detroit et de Berlin, berceaux des musiques techno et électroniques. La tracklist signée Peter Rehberg, collaborant de longue date avec Gisèle Vienne, réunit rien moins que Mad Mike, l’un des créateurs du label Underground Resistance, le duo Maurizio (Moritz von Oswald et Mark Ernestus) avec Domina ou encore le hit
Par Thomas Flagel Photos d’Estelle Hanania
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Acid Eiffel signé Choice, pseudo d’un certain Laurent Garnier accompagné par Shazz et Ludovic Navarre… De quoi sérieusement ambiancer le plateau – encore nu en ce premier jour de la dernière période de répétitions – où se meuvent une quinzaine de danseurs lancés dans une fête plus ou moins improvisée en un lieu interlope. Le sol devrait, d’ici la première, se joncher de terre et de cadavres de bouteilles et gobelets, reliquats d’une beuverie bien entamée. La lumière cartographier et
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hanter l’espace. Comme dans ses précédentes pièces1, l’artiste, chorégraphe et metteuse en scène franco-autrichienne investit le champ du rituel collectif contemporain dont émergent désirs inavouables (ou inavoués), inquiétante étrangeté et pulsions de violence plus ou moins contenues. Micro en main par-dessus les décibels de KTL2, elle drive à la manière d’un coach ses danseurs disséminés, suivant en mouvements saccadés la musique. Une fille, au milieu, attire notre regard. Le ralenti de son oscillation renforce la charge érotique qui s’en dégage. Puis la focale change, un autre couple est “activé”. Leur étreinte ressemble à un slow-motion. Gisèle Vienne scrute les moindres détails, invectivant ses troupes en switchant du français à l’anglais : « Amusezvous ! Don’t touch yourselves ! Soyez 100% concentrés sur ce que vous faites ! Gardez la même qualité avec la dynamique de votre partenaire ! » En quête d’un lâcher-prise total alors même qu’elle impose un contrôle et une
précision extrême à ses interprètes. « Let’s enjoy the reality, your feelings » clame-t-elle au moment où les mouvements s’accélèrent et se figent en saccades, reproduisant durant de longues minutes l’effet d’un stroboscope sans les flashs de lumière. Les mêmes mouvements sont cadencés, comme dans un rembobinage sans fin des mêmes séquences, sur une cadence de quatre temps qu’elle égrène pour tenir le rythme. Entre Topless de Zoo Brazil et The Intruder de Mad Mike, le temps se distord, les repères de la réalité se troublent. Gisèle Vienne manipule toute une palette d’effets cinématographiques pour orienter nos regards, insuffler un état émotionnel : foule se figeant pour isoler deux danseurs dans l’approche sans fin d’un baiser, incidents isolés s’arrêtant net, poses à la limite de transes dévotes, reculons étranges… Le tout dans une recherche extatique de désirs charnels débordant jusque dans la salle où prendra place, d’ici quelques jours, le public.
Au Maillon-Wacken (Strasbourg, présenté avec Pôle Sud), du 8 au 10 novembre (dans le cadre de la Biennale de la Danse Grand Est, jusqu’au 5 décembre) maillon.eu – pole-sud.fr Au Manège (Reims), mercredi 15 novembre (dans le cadre de la Biennale de la Danse Grand Est) manege-reims.eu Au Théâtre NanterreAmandiers, du 7 au 16 décembre (présenté avec le Festival d’Automne) nanterre-amandiers.com festival-automne.com À La Filature (Mulhouse), mardi 29 mai 2018 lafilature.org
Lire Les Poupées de chair rêventelles de pantins électriques ? dans Poly n°155 ou sur poly.fr 2 Le duo formé par Peter Rehberg et Stephen O’Malley signe une musique originale pour Crowd 1
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little ghetto boy En confrontant la supercherie de la visite du ghetto de Terezín, orchestrée par les nazis pour duper la Croix Rouge, à une pièce écrite par un enfant tchèque de 13 ans dans ce même camp, Claire Audhuy signe un spectacle caustique, pétri de résistance.
Par Thomas Flagel
À La Comédie de l’Est (Colmar), du 7 au 10 novembre dans le cadre de Scène d’automne en Alsace comedie-est.com Puis en tournée à l’Espace 110 (Illzach), vendredi 1er et samedi 2 décembre, à Hénin-Beaumont, vendredi 8 décembre, à L’Espace K (Strasbourg), du 23 au 27 janvier 2018, au PréO (Oberhausbergen), jeudi 22 et vendredi 23 mars 2018 et dans l’ancien camp de NatzweilerStruthof (sous chapiteau) du 23 au 26 août 2018 rodeodame.fr
* La pièce a été publiée en 2015 aux éditions Rodéo d’âme (14 €), agrémentée de traductions des poèmes d’Hanuš Hachenburg et de reproductions des manuscrits originaux de Vedem regroupant dessins satiriques, poèmes bouleversants, etc. – rodeodame.fr
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out a débuté par onze pages griffonnées avec application, trouvées par hasard dans les archives du Mémorial de Terezín par Claire Audhuy alors qu’elle travaillait à sa thèse de doctorat sur le théâtre dans les camps nazis. On a besoin d’un fantôme* d’Hanuš Hachenburg s’ajoute aux 27 manuscrits de pièces concentrationnaires clandestines exhumées durant ses recherches. Stupéfaite par ce texte, « la justesse d’analyse de cet ado qui décrit et réécrit dans une farce bouffonne l’implacable violence nazie en se réclamant d’une “République de Skid” dont l’emblème – une fusée partant dans une étoile grâce à la littérature – et la devise – “Chaque homme qu’il soit juif, chrétien ou athée est mon frère” – qui trônent sur les pages de Vedem, journal clandestin qu’ils tiennent, sont une incroyable leçon d’humanité », raconte, émue, la metteuse en scène. Cette pièce pour marionnettes raconte comment Analphabète Ier et ses Saucissons Brutaux (SS en tchèque) peinent à mater le peuple même s’il est prêt à collaborer en échange de menus avantages. « On sait aujourd’hui qu’Hanuš Hachenburg, avant d’être déporté à Auschwitz où il sera assassiné en juillet 1944, la veille de ses 15 ans, lut son texte dans son baraquement de Terezín, entouré d’une quarantaine de Skidites », confie Claire Audhuy qui a fait construire à Jaime Olivares (ex Flash Marionnettes) 18 peluches anthropomorphes pour ce qui constitue la seconde
partie d’Eldorado Terezín, rêve du jeune prisonnier joué pour nous. Dans la première, elle nous fait revivre, de manière absolument documentaire, la visite orchestrée par le régime nazi en juin 1944 du ghetto de Terezín qui permit de duper les émissaires de la Croix Rouge. Une incroyable mystification (avec promesse de vie sauve pour les participants, infiltration de SS parmi les juifs du camp…) qui fit passer une antichambre de la mort et de la déportation pour « un Nouvel Eldorado pour les juifs » comme le proclamait la propagande officielle. Le commandant SS Karl Rahm manipule une marionnette d’1,70m à l’effigie d’Eppstein, doyen des Juifs et faux maire de la ville. Tout est filmé et retranscrit sur écran dans une réflexion sur la manipulation des images et la falsification de la réalité. Avec minutie, tout est fait pour glorifier une « colonie autogérée avec vue sur le lac, jusque dans des détails incroyables sur la décoration éducative des chambres d’enfants, le remplacement du beurre par de la margarine ou le fait qu’on y trouve des sardines portugaises ! » S’appuyant sur un film de propagande tourné à l’époque, les photos de la Croix Rouge et le rapport officiel (« mot à mot ce qu’on entend ») rendu après cette visite, ont été construites des valises pop-up reconstituant le camp. Une plongée réaliste dans un modèle de supercherie qui dupa le monde sans être capable d’enrayer la résistance des Skidites.
© Francky Verdickt
JEUNE PUBLIC
MOB © Agathe Poupeney
étranges étrangers
pop pop pop La compagnie MéMé BaNjO revisite les contes de notre enfance dans une double proposition à destination du jeune public. Perrault façon boule à facettes et pop flashy pour des Contes de ma mère l’Oye plus poétiques que jamais dans M.M.O. Un trio chorégraphique baignant dans des paysages vidéographiques merveilleux où les personnages aux costumes chatoyants pleins de protubérances dansent sacrément, dévorant l’espace par leurs présences autant que par leurs diagonales et pirouettes. La galerie de créatures convoquées sur l’immortelle musique de Ravel donne corps à une mythologie toute actuelle qui brille, incarne et emporte tout sur son passage. Les chanceux découvrirons aussi MOB, pièce de groupe virevoltante dans laquelle chacun ressemble à un mélange de super-héros disco à franges et de Wilder Mann immortalisé par Charles Fréger. La danse est douce, mais enlevée sur un Concerto en ré mineur pour deux pianos et orchestre de Poulenc qui n’était pas le dernier des mélancoliques. De quoi trancher avec l’esthétisme et l’esthétique déployés devant nos yeux médusés. (I.S.) MOB + M.M.O à La Filature (Mulhouse), samedi 2 décembre (dès 6 ans) lafilature.org M.M.O à La Gaieté Lyrique (Paris), dimanche 31 décembre gaite-lyrique.net
Sept Flamandes qui en redemandent. Sept cavalières pourfendant la bienséance et les clichés gangrénant nos sociétés malades d’étroites d’idées. Sept artistes composant la Compagnie Barbarie, créatrice des Wa Wilder Man débarquant sur la petite scène du TJP. Trois bestioles à poils envahissant le plateau, étranges personnages dotés d’un seul œil en lieu et place d’une tête lorsque celle-ci n’est pas ronde et lisse comme un ballon de couleur. Derrière leur accoutrement de tribu urbaine et pittoresque (cartons, fils…), ces nouveaux venus rejouent la petite musique de la peur de l’inconnu et donc de l’étranger. « Nous sommes d’ici ! Vous êtes de là-bas ! Donc retournez là-bas ! » La brûlante question de l’accueil des migrants et de la fraternité se pose sans détournements autres que l’humour de situations saugrenues et de rencontres percutantes où se confrontent des êtres de chair et de sang aux sentiments – finalement – guère si éloignés. (I.S.) Au TJP Petite scène (Strasbourg), du 25 novembre au 1er décembre (dès 4 ans) tjp-strasbourg.com – compagniebarbarie.be
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tout pour ma mère De concert avec Magali Mougel qui lui a écrit Hippolyte, la metteuse en scène Catherine Javaloyès se frotte, dans sa prochaine création au Taps, à une figure de la jeunesse d’aujourd’hui, bien décidée à dire non. Par Thomas Flagel
Au Taps Laiterie (Strasbourg), du 14 au 19 novembre taps.strasbourg.eu Au Point d’eau (Ostwald), vendredi 2 et samedi 3 février 2018 lepointdeau.com À la Salle Europe (Colmar), mardi 20 février 2018 salle-europe.colmar.fr Au Musée Würth (Erstein), dimanche 25 février 2018 musee-wurth.fr compagnie-letalonrouge.fr
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e réconcilier avec les anciens en restant ancré dans le contemporain. Revisiter le Phèdre de Sénèque en s’intéressant au fils adoptif, Hippolyte en quête de sa mère biologique, Antiope, volée et violée. Forcément manquante. En dix-sept courtes scènes, Magali Mougel nous convie autour d’une nuit de la Saint-Sylvestre, sur les bords de la Loire, « entre les feux et les artifices », au cœur d’une fratrie éclatée. Un père impatient de fuir à l’autre bout du globe recouvrer sa liberté et perpétuer sa toute puissance par son écrasante absence tandis que sa “dernière femme” reste seule à se consoler avec ses bouteilles de gin-curaçao, entre des jumeaux tyranniques et perclus de haine pour cet aîné qui n’est pas le leur, mutique et décidé à retrouver sa mère, la vraie. « J’avais envie de parler de la jeunesse d’aujourd’hui, cette pièce cruciale de la société de demain. Hippolyte est une figure de l’anti-héros qui ne se révolte plus comme avant, mais à sa manière, en silence… » confie Catherine Javaloyès, œuvrant avec l’auteure entre politique et intime. Dans les détails se joue le miroir entre l’antique et l’actuel : sacrifice de l’étrangère, Ebru, amoureuse de cet adolescent attirant dans son refus du monde à la Thoreau, trouvant refuge dans
la forêt et contaminé par la violence de la nature où se fait jour “l’humanimalité” chère à Magali Mougel, tourisme sexuel au pays où « les noix de coco sont tellement fraîches », États-Unis d’Amérique comme un mirage aussi joyeux que factice, tabou incestueux… Pour donner corps à ce drame, à l’insoutenable énigme autour des origines et au poids des modèles familiaux dont chacun hérite, la metteuse en scène a fait appel à Étienne Champion, facteur de masque signant aussi la scénographie. Sur un tapis de danse réfléchissant, une forêt de PVC avec ses coudes et gros tuyaux prend forme devant deux cyclos aux ombres mouvantes. Le créateur a imaginé trois masques en métal dans une matière à pics, délicats à manipuler de par leur taille autant que leur poids : Thésée (le père), Phèdre (la mère) et Hippolyte (le fils qu’elle essaie de séduire avant de l’accuser d’avoir abusé d’elle). La rudesse des jumeaux est rendue par deux pavés sculptés, se frottant l’un à l’autre. Cette matière à jouer laisse une grande liberté d’adresses et de codes de jeux, dépassant les simples marionnettes qu’on agiterait pour devenir des appuis, des surfaces de projection, des prolongements de l’âme damnée de ce cloaque dont s’extirper relève du miracle.
théâtre
© Cécilia Jauniau
peau de serpent
Perdue au milieu des champs de maïs, une maison est figurée, sur scène, par des bouts de tôle rougis. Sur le seuil, trois femmes se font face. Elles attendent, pour l’une, le fils afin de lui quémander de l’argent, pour l’autre l’ex-mari pour
retrouver une vie passée, pour la dernière, l’époux. Sous le soleil brûlant, elles ont soif et s’affrontent. L’homme, replié chez lui, garde ses enfants enfermés. On ne percevra d’eux que des cris, des soupirs. Les Serpents de Marie NDiaye mis en scène par Anne-Magrit Leclerc interroge les destins et les identités de ces femmes qui ne voient pas le bout de leur chemin. La mère ne vit qu’au travers de ses mariages ratés, elle n’a plus rien et revient vers le seul homme qui lui reste, son fils, qu’elle compte bien aussi dévorer. L’ex, qui avait tout quitté pour vivre son autonomie, se retrouve frustrée et terriblement seule. Quant à l’épouse actuelle de cet homme effrayant et obscur, elle va choisir – comme le serpent qui mue – de laisser sa peau pour l’échanger contre celle d’une autre. La réalité se mêle à l’étrangeté et se dévoile un surnaturel mythique et antique : la déesse serpent plane sur le plateau, contaminant le réel. (F.B.) À l’Espace BMK / Théâtre du Saulcy (Metz), du 21 au 23 novembre univ-lorraine.fr – nest-theatre.fr
Ancienne élève de l’École du TNS, Suzanne Aubert signe sa première mise en scène avec Baleines, texte écrit en s’inspirant librement de La Princesse Maleine de Maeterlinck. Quatre destins de femmes s’entremêlent et se dénouent dans une maison au bord de mer. Maleine, suivie de sa nourrice vient y rejoindre son grand amour. Anne est déjà là avec sa fille Uglyane, du même âge que la jeune fugueuse. Deux générations de femmes vont se défier, les plus âgées rêvant à leur jeunesse perdue, les adolescentes vivant au rythme de leurs désirs. L’auteure et metteuse en scène s’est imaginée leur caractère en explorant leurs envies, leurs fantasmes, leurs difficultés à s’exprimer dans une société où les hommes brident la parole. Sur cette plage au sable granuleux, on entend les chants des comédiennes et au loin des baleines. Les personnages masculins ne sont que mirages. L’été s’évapore peu à peu, les plages sont désertées. La grisaille s’installe et les soirées chaudes s’estompent dans la nuit froide. Suzanne Aubert observe ses personnages avec tendresse en nous plongeant dans une histoire du quotidien à la fois douce et âpre. (F.B.) À la Comédie de Reims, du 23 novembre au 2 décembre lacomediedereims.fr
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© Romuald Ducros
conte d’été
pina et moi Danseuse emblématique des pièces de Pina Bausch, Cristiana Morganti s’essaie à la chorégraphie avec Jessica and me, un one woman show électrique présenté par MA Scène nationale et Le Granit.
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Par Fiona Bellime Photo de A. Carrara
Au Théâtre (Montbéliard), vendredi 10 novembre mascenenationale.com legranit.org Projection de Pina de Wim Wenders au cinéma Colisée (Montbéliard), dimanche 12 novembre
ieds nus, en tenue noire, elle investit le plateau. Ses mouvements de bras et de mains sont minutieux et très précis. Une voix off surgit. Accompagne-t-elle la danse ? Ou est-ce la danse qui dirige cette voix ? « Voulez-vous que je danse, ou bien, voulez-vous que je parle ? », entend-t-on. L’interprète italienne, aux cheveux sombres, quasi crépus, à la voix forte et malicieuse livre sa vie dans cette pièce plongeant avec sincérité au plus intime. Danseuse, narratrice et comédienne, elle reconstruit son histoire, réajuste sa mémoire, partageant avec nous sa trajectoire, de ses débuts compliqués avec la danse classique jusqu’à sa folle rencontre avec Pina Bausch. Comment, après vingt-deux ans passés aux côtés de la créatrice du mouvement de danse-théâtre, est-il possible de trouver sa propre voie artistique ? Cristiana Morganti a en effet participé à toutes les créations de la compagnie du Tanztheater et y a forgé un rôle indispensable. En 2014, elle choisit de démissionner : une volonté de changement, une poussée créatrice. Elle retourne sur sa terre natale, quittée depuis les années 1990, pour initier un nouveau projet. Elle décide alors de s’entourer d’artistes qui n’ont rien en commun avec la pratique de
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Pina afin de se détacher le plus possible de ce qui l’a formée et formatée. Assise sur la scène, un magnétophone à ses côtés, sa voix résonne. C’est Jessica, son double, sa psychiatre ou encore une journaliste atypique qui la sollicite en lui demandant les relations qu’elle entretient aujourd’hui avec la scène, avec sa situation de danseuse âgée. Avec beaucoup d’humour et de sensibilité, Cristiana Morganti se répond à elle-même et confie des souvenirs d’enfance, lorsqu’elle voulait devenir ballerine. Elle endosse sa robe de danseuse blanche qui s’embrase d’effets vidéo sur scène. Derrière elle, projeté sur un écran, son double au physique avantageux retouché sur Photoshop apparaît. Elle en rit. Avec ses talons rouges bien trop grands, la brune ébouriffée au caractère clownesque reprend sa gestuelle fluide de spirales. En hors-champ, sa voix. Soutien-gorge emmêlé, auréoles sous les aisselles, le corps douloureux, des gestes déjà vus. Son honnêteté prend au corps et émeut. Dans ce solo haletant, au rythme d’Iggy Pop, elle dévoile, tout en ironisant, les coulisses du monde artistique, de la schizophrénie nécessaire au métier d’interprète. Puis, elle fume… comme Pina Bausch dont l’empreinte demeure bien présente.
fifty shades of dance Pour fêter son demi-siècle (1968-2018), le CCN – Ballet de Lorraine installé depuis 40 ans à Nancy a conçu un programme alléchant : un Happening Birthday, une pièce culte de Cunningham & Warhol et une création made in Brooklyn de Miguel Gutierrez ! Par Thomas Flagel Portrait de Miguel Gutierrez par Eric McNatt et RainForest
À l’Opéra national de Lorraine (Nancy), du 15 au 19 novembre dans le cadre de la Biennale de la Danse Grand Est ballet-de-lorraine.eu Happening Birthday, performance live Place Stanislas, torche à la main et au son de la musique d’un DJ, du 15 au 17 novembre à 19h30, dimanche 19 après la représentation débutant à 15h Retrouvez RainForest dans un programme du Ballet de Lorraine complété par Duo (Forsythe) et In the Upper Room (Tharp) au Manège (Reims), samedi 25 et dimanche 26 novembre manege-reims.eu arteca.fr/expedition
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vec la modestie qui les caractérise, Petter Jacobsson (directeur du CCN) et Thomas Caley (coordinateur de recherche), maîtres des lieux, seront presque en retrait de cette grande fête. Presque, parce qu’ils investissent tout de même le parvis de la place Stanislas avec Happening Birthday : des performances cococtées sur-mesure pour faire participer le public, torche à la main sur un DJ set en direct. De quoi lancer les festivités tambour battant avant de plonger dans la salle de l’Opéra avec un clin d’œil à l’histoire de la danse contemporaine. Le mythique Merce Cunningham, disparu à 90 ans en 2009, créait RainForest en 1968, alors que naissait l’institution nancéienne. Sera ainsi donnée cette spectaculaire chorégraphie dans laquelle des danseurs vêtus de justaucorps chair, comme lézardés par une végétation tropicale absente, évoluent au milieu des Silver Clouds d’Andy Warhol. Des ballons en forme d’énormes oreilles gris métallisé, gonflés à l’hélium, lévitant ou tenant droit, prompts à s’envoler à la moindre touche. Sur une musique électronique de David Tudor, disciple de John Cage à la proposition toute minérale et aquatique évoquant bêtes étranges et chants
de volatiles exotiques, des danseurs-oiseaux rares évoluent telles des bêtes dans un marécage. Déploiement d’ailes, parade amoureuse, ils se meuvent à pas vifs et contrôlés, le buste droit, les bras comme des ailes en arc de cercle vers l’arrière. On tournoie sur un pied, danse de joie, sautille sur une jambe. Tout est bestialement élégant, sobrement éclatant de finesse. Et lorsque les Silver Clouds s’envolent c’est le coup de grâce… En pendant à cette pièce historique réunissant le pape du Pop Art et celui de la Post Modern Dance, répond en regard This concerns all of us, dernière création de Miguel Gutierrez. une ode au bouillonnement intérieur qui nous habite. « Que se passe-til quand une communauté d’individus est à l’origine d’une pensée multiple, instable mais dynamique ? » se demande le chorographe new-yorkais. « Appelons ça la danse. Pourquoi se battre pour la cohérence quand l’illisibilité est devenue le seul recours politique ? L’instant présent est fait d’une douleur infinie. Mais merde, je ne pleure pas. Quoi qu’il en soit, nous dormirons cette nuit dans nos lits, seuls ou entrelacés, pendant que la lune brillera… »
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mémoire vive À Nancy, le Théâtre de la Manufacture accueille la sixième édition du festival Neue Stücke. Spectacles, rencontres, concerts et expositions sont à découvrir au cours de cette semaine de la dramaturgie allemande.
Par Fiona Bellime Photos de Christian Brachwitz (En finir avec Eddy Bellegueule)
Au Théâtre de la Manufacture (Nancy), du 13 au 23 novembre theatre-manufacture.fr
uelle était la nature de l’art sous le régime nazi ? Comment les artistes vivaient-ils au cours de cette période sinistre ? Ainsi se questionnent les deux metteurs en scène Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura dans Stolpersteine, Théâtre de l’état (13/11). En allant explorer les archives du Badisches Staatstheater Karlsruhe, ils ont étudié et extrait des articles de presse, des documents administratifs, des discours d’époque. À la manière d’une conférence, les comédiens retranscrivent l’Histoire par le biais de vidéos et de surgissements de personnages venus du passé. Cette création doit son nom au travail de l’artiste Gunter Demning qui scelle des pavés dorés marqués du nom des victimes de l’hitlérisme sur les trottoirs des villes européennes, une façon d’ancrer la mémoire dans le quotidien des citoyens. Le souvenir est à l’honneur cette année à Neue Stücke. Le collectif Werkgruppe2 nous plonge avec Gypses, Roma in Europa (14 & 15/11) dans l’histoire des Roms, de leur extermination dans les camps nazis à leur expulsion de la Roumanie pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine. Comédiens et musiciens sont allés interviewer des Roms en France, en Allemagne et en Roumanie. Rythmé par la
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restitution de leur parole, ce spectacle musical documentaire interroge notre manière de percevoir la plus grande des minorités ethniques d’Europe, son parcours, sa place dans la société face aux stéréotypes et préjugés. L’auteur Édouard Louis, 25 ans, a lui aussi souffert du regard des autres. Il en a fait un roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule mis en scène par Leyla-Claire Rabih (21 & 22/11). Eddy vit dans une petite ville du Nord de la France, il grandit dans une famille où l’amour ne se montre pas et dans une grande précarité. Là-bas, il est presque impossible de transcender le déterminisme social. Les hommes travaillent à l’usine et boivent à longueur de journée tandis que les “femmes adolescentes” s’usent à élever leurs enfants et faire la caisse au supermarché. Le jeune homme endure les insultes du fait de son allure féminine et de sa voix fluette. Comment s’accepter tel que l’on est dans un milieu où l’homosexualité, la différence et les étrangers sont dénoncés ? Cette création retrace l’histoire d’une émancipation, d’une volonté de devenir soi. Les cinq comédiensnarrateurs font vivre ces mots sur un plateau coloré apparaissant comme un jeu de Rubik’s Cube semé d’embûches.
la diagonale du fou Entre Expressionnisme allemand et Sécession viennoise, l’adaptation en BD du Joueur d’échecs de Zweig par le dessinateur strasbourgeois David Sala est un coup de maître. Il sera un des invités de marque du Festival du Livre de Colmar. Par Hervé Lévy
Rencontre avec David Sala au Festival du Livre de Colmar, samedi 25 et dimanche 26 novembre. Avec pour thématique “On lirait le sud” et des auteurs comme Miles Hyman, Michel Le Bris, Philippe Manœuvre… festivaldulivre.colmar.fr David Sala sera aussi présent à La Parenthèse de Nancy (03/11), chez Hisler BD à Metz (04/11) et chez JD BD à Strasbourg (16/12)
Paru chez Casterman (20 €) casterman.com davidsala.com
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Voir Poly n°159 Titre de l’autobiographie de Zweig
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avid Sala ne s’était pas aventuré dans les cases de la BD depuis 2013 (et Cauchemar dans la rue*), multipliant les albums jeunesse. Avec Le Joueur d’échecs, il fait un retour fracassant, proposant une adaptation de la longue nouvelle de Stefan Zweig, où il souhaite « trouver le juste équilibre entre texte et image. L’idée de départ était de réaliser un album lumineux, de ne pas avoir d’ombres portées, faisant naître les contrastes par des couleurs directes à l’aquarelle. » Après avoir construit rigoureusement la planche à partir d’un story-board et des croquis successifs, il y « plonge, à l’instinct. Cela permet une grande liberté, évitant tout automatisme et toute routine » pour une histoire dont il transcrit à merveille l’atmosphère oppressante, rendant les scènes d’enfermement avec une maestria rappelant curieusement la rigueur et l’absurdité géométrique de Marc-Antoine Mathieu et la virtuosité narrative d’Alberto Breccia. Sur un paquebot voguant en direction de l’Argentine, Mirko Czentović, grand maître des échecs, affronte un mystérieux joueur,
Monsieur B. En Autriche, ce dernier avait été enfermé par les nazis, n’ayant à sa disposition, pour se distraite de la solitude, qu’un livre rassemblant de mythiques parties d’échecs qui l’a sauvé… et entraîné aux limites de la folie. Véritables tableaux, les planches de David Sala sont pleines de « réminiscences d’inspirations [qu’il] traîne depuis des années et ressurgissent de loin en loin. » Si l’histoire se passe en 1941, il a choisi un univers visuel légèrement anachronique, celui des années 1920 pour mettre en images ce Monde d’hier2 où les visages ressemblent à l’improbable rencontre entre les personnages peints par George Grosz ou Otto Dix et ceux représentés par Egon Schiele et Gustav Klimt. Ils évoluent dans des décors très soignés aux teintes aqueuses, sourdes et mélancoliques, oscillant entre l’existence légère et insouciante d’une élite indifférente aux horreurs de la guerre et l’enferment mental suffocant où se trouve B. à la semblance de dédales oniriques où le motif de l’échiquier possède une place centrale, rappelant certains épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir.
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acteur majuscule Pour sa treizième édition, le festival du cinéma de langue allemande Augenblick a pour invité d’honneur Devid Striesow, star du cinéma outre-Rhin.
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Par Hervé Lévy
Dans les salles des 32 membres du réseau Alsace cinémas, du 7 au 24 novembre festival-augenblick.fr Projections en présence de Devid Striesow de Drei de Tom Tykwer (08/11, Star SaintExupéry, Strasbourg) et du Temps des cannibales de Johannes Naber (09/11, Bel Air, Mulhouse) Master-class animée par Valérie Carré avec Devid Striesow au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (10/11, 17h45). Entrée libre sur inscription : masterclass@alsace-cinemas.org
ugenblick ressemble à un véritable bouquet cinématographique allemand, suisse et autrichien avec sa compétition (six films dont le très recommandable Western de Valeska Grisbeach), de véritables découvertes – en avant-première, le dernier long-métrage de Fatih Akin, In the Fade, pour lequel Diane Kruger a reçu le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2017 – et quelques instants cultes comme la projection, dans sa version restaurée, de Loulou de Pabst. Mais le gros morceau cette année est une rétrospective en dix étapes consacrée à l’acteur allemand Devid Striesow que le monde entier a découvert avec Les Faussaires de Stefan Ruzowitzky (Oscar du meilleur film en langue étrangère, 2007), étonnante histoire vraie d’imprimeurs, illustrateurs et typographes juifs faisant de la fausse monnaie pour les nazis à Sachsenhausen, où il joue avec brio le rôle du salaud, l’impitoyable SS commandant le camp. Au fil de sa carrière, Devid Striesow s’est souvent livré à de grands écarts stylistiques, pas-
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sant des films d’un des maîtres de la Nouvelle Vague made in Germany Hans-Christian Schmid – Au loin, les lumières, fable sociale qui l’a révélé en 2003 – aux épisodes de la série devenue culte Tatort (eh oui, y’a pas que Derrick dans la vie), où il incarne le commissaire Stellbrink. Sur les écrans alsaciens, on pourra également voir nombre d’autres films où il apparaît, dont Yella de Christian Petzold, histoire d’une femme quittant l’Est pour Hanovre, où elle va travailler avec Philipp, un drôle de cadre financier. Voilà une fable contemporaine pleine de mystère et d’onirisme – avec des acouphènes qui assaillent la jeune fille et les décors de bureaux saisissants – et une belle réflexion sur le modèle économique occidental. De rôle de Réformateur (le récent téléfilm Katharina Luther) en serial séducteur (Drei narrant l’histoire d’un drôle de trouple, en photo), se dévoile un acteur polymorphe dont on adore Ich bin dann mal weg, la trajectoire d’un homme quittant la frénésie du monde du travail pour partir sur les Chemins de Compostelle.
la guerre est déclarée Après Lou Doillon ou Hamé de La Rumeur, Jeanne Added est la marraine du Prix Eurocks One + One du festival EntreVues de Belfort. Rencontre avec l’artiste d’origine rémoise, fan de films de gangsters. Par Emmanuel Dosda Photo de Marikel Lahana
Au Cinéma Pathé (Belfort), du 25 novembre au 3 décembre festival-entrevues.com
Be Sensational, édité par Naïve Records naive.fr
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a jazzeuse convertie à la pop noire, guerrière neo-new-wave auteure de la bombe A War is coming, a été retenue pour parrainer le prix récompensant la meilleure bande-son de la compétition internationale d’EntreVues, aux côtés du jury composé de cinq jeunes du territoire belfortin. Il ne s’agit pas de couronner une BO, mais « l’esprit musical libre » d’un film, selon Lili Hinstin, directrice du festival : « Comment un cinéaste utilise et agence tous les sons, musique incluse, pour servir sa mise en scène ? » Jeanne, cheveux en pétard couleur cendre, aime surtout les films de gangsters, avec des gros bras tatoués carrément pas cool et quelques gentils « pas vraiment gentils ». Elle cite un Cronenberg exceptionnel – Les Promesses de l’Ombre –, un Scorsese aux petits oignons avec Leonardo DiCaprio et Matt Damon – Les Infiltrés – et un James Gray mettant en lumière un épatant Joachin Phœnix auquel la nuit appartient, définitivement. Le bien, le mal, et inversement. Des flics et des voyous. Jeanne Added, marquée à
vie par les querelles chorégraphiées et chantées des clans portés à l’écran par Robert Wise dans le shakespearien West Side Story (« depuis l’enfance je ne m’en lasse pas ! »), aime le ciné sans pour autant s’estimer cinéphile. Elle aborde le septième art de façon très personnelle, s’attachant essentiellement aux ambiances, aux couleurs, « aux moments de cinéma, parfois abstraits, qui ressemblent à une musique ». Le clip d’A War is coming, « tourné dans l’urgence, en une nuit », nous met sur la piste : il y est question de rythme et de plans, d’impressions plutôt que de narration, d’immédiateté et de choc visuel, avec ses zooms (sur un œil) et son ambiance tendue. Celle qui se verrait bien confier l’écriture d’une BO « en aucun cas illustrative », mais privilégiant « les couleurs, sons et matières », s’apprête à entrer en studio pour l’enregistrement d’un nouvel album « dans la continuité du précédent ». On ne sait pas encore s’il sera habité par mafieux sans pitié et malfaiteurs surarmés…
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rone, ville ouverte L’album Mirapolis ? De la “techno à lunettes” pour clubbers de bibliothèques ? De l’electro ambitieuse, avec une flopée d’invités ! Visite d’une métropole musicale architecturée par Rone.
Par Emmanuel Dosda Portrait d’Olivier Donnet
À La BAM (Metz), jeudi 16 novembre, dans le cadre du festival Musiques Volantes (10-23 novembre) trinitaires-bam.fr musiques-volantes.org À La Rodia (Besançon), vendredi 24 novembre À La Laiterie (Strasbourg), samedi 25 novembre Au Trianon (Paris), mercredi 13 décembre À L’Autre Canal (Nancy), jeudi 8 février 2018 À La Vapeur (Dijon), samedi 3 mars 2018 rone-music.com
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Vous sentez-vous plus à l’aise dans une rave party ou à la Philharmonie de Paris ? J’adore autant faire danser une foule dans un festival à quatre heures du mat’ que jouer à 20 heures devant un public assis ! J’ai beaucoup de chance de ne pas être enfermé dans une niche car rares sont les gens qui, comme mon ami violoncelliste Gaspar Claus, parviennent à s’ouvrir à d’autres champs que ceux où on veut les cantonner. Lui et moi sommes parvenus à multiplier les expériences tout en développant une identité propre. Ce qui peut sembler paradoxal…
tions peuvent-elles émaner du chaos ? Ma musique surgit toujours du désordre. Mon studio est rempli de machines qui produisent des sons, parfois par accident, que je vais réorganiser par la suite. Je ne suis pas de ceux qui ont une petite mélodie en tête : je puise dans le bordel et me laisse surprendre par les sonorités électroniques. Pour la carte blanche offerte par la Philharmonie, j’ai davantage dû scénariser les choses, même si le concert fut comme un puzzle composé de différentes pièces. Les protagonistes ne se sont pas rencontrés avant le spectacle… qui a laissé libre cours à des instants improvisés.
Sur la scène de la Philharmonie, en janvier 2017, il était avec vous, tout comme Frànçois (and the Atlas Mountains) ou l’écrivain SF Alain Damasio. Pour ce dernier, l’explosion ne détruit rien, elle accouche de matière sonore. Vos créa-
Que partagez-vous avec Michel Gondry qui a créé la pochette de votre disque : la passion pour la science des rêves ? Je suis fan de lui depuis ses premiers clips ! Je me sens très proche de Gondry dont je ressens l’influence de manière considérablement plus
musique
forte que celle de n’importe quel musicien. Il fait des choses poétiques à partir d’idées très simples en apparence. Son univers bricolé, plein de fantaisie, me parle beaucoup. Il y a des similitudes entre nos façons de travailler. J’avais l’impression de le connaître avant de le rencontrer et je n’ai pas été déçu ! Quant aux rêves, ils me nourrissent énormément. Je fais beaucoup de siestes en musique en journée car je ne dors pas beaucoup la nuit : ces moments de semi-sommeil sont essentiels. Si je croise mon petit garçon lorsque je m’apprête à me reposer, je lui dis que je vais travailler [rires] ! Il m’arrive fréquemment de me réveiller en sursaut avec plein d’idées en tête, parfois abstraites, et de me jeter sur mon synthé pour les concrétiser ! Vous arrive-t-il de rêver de moutons électriques, comme dans Blade Runner adapté de Philip K. Dick auquel vous rendez hommage sur I, Philip ? Pas encore… mais j’aime beaucoup K. Dick et le morceau en question a été composé pour la BO d’un film en réalité virtuelle sur lui. Cette musique, retravaillée pour le disque, est une belle introduction à l’album.
Vous entretenez un rapport d’amour / haine avec la cité : après avoir voulu Quitter la ville, vous imaginez la mégapole Mirapolis… J’aimerais m’en extraire pour aller vivre au bord de la mer, dans un coin sauvage, mais la ville me rappelle toujours à elle. Elle me fascine : j’ai besoin de sa stimulation et son énergie, alors je conserve le projet de m’installer sur une plage abandonnée pour mes vieux jours… Comment voyez-vous Mirapolis ? Proche de Metropolis de Fritz Lang ? La Zone du Dehors, roman de Damasio, décrit une ville “impeccable”, sous cloche, où règnent le confort et la démocratie. Chaque soir, les habitants peuvent voter pour choisir la météo du lendemain. Ce contrôle à outrance, cette absence de chaos mène à l’enfer. Certains se révoltent et cherchent à sortir de cette bulle pour créer de nouvelles cités, plus vivables, moins maîtrisées… mais toutes ces utopies sont vouées à l’échec. Mirapolis ressemble à ça : à une “tentative de ville”, ni idyllique, ni infernale.
si t’es radieuse La ville rêvée de Rone, aux bâtisses gondriesques, bricolées façon DIY, accueille dans un décor en carton-pâte une population hétéroclite : le slameur Saul Williams, le crooner Baxter Dury ou le batteur John Stanier (Battles) : la liste des featurings a des allures de discothèque idéale. Elle se veut reflet des goûts de son architecte et résulte de ses rencontres, avec les artistes cités ci-dessus, mais aussi la fragile chanteuse Kazu Makino ou le guitariste Bryce Dessner, des musiciens qui semblent éloignés de son univers, a priori plus proche des synthés de Jean-Michel Jarre que de la pop soyeuse de Blond Redhead ou The National ! Les rues de Mirapolis grouillent de gens, d’idées, d’accidents et d’heureux hasards. Les voitures passent au rouge, les portes restent constamment ouvertes et le couvre-feu joyeusement ignoré. Mirapolis, édité par InFiné (sortie le 3 novembre) infine-music.com Portrait inédit par Michel Gondry Poly 203
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avec éclat
Le jazz, tout le jazz, celui d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en liberté. Plongée dans la programmation protéiforme de Jazzdor avec quelques morceaux choisis. Par Florent Servia
Au CSC du Fossé des Treize, au CEAAC, à la Cité de la Musique et de la Danse, etc. (Strasbourg) et dans toute la région, du 10 au 24 novembre jazzdor.com
L’
histoire veut que l’on voue une confiance absolue à Jazzdor. Quoiqu’il arrive, ces deux semaines de festival réservent des soirées de découverte, de créations et de grands noms qui ne déçoivent pas. Il a la vista, Philippe Ochem, lorsqu’il cale au milieu de mastodontes tels que Joachim Kühn, chantre d’un free jazz européen, ou Daniel Humair, autre dinosaure de la scène (19/11, Reithalle, Offenbourg), l’un des plus beaux disques de 2016 : Le Velvet Revolution façon Daniel Erdmann (15/11, Fossé des Treize). Il concentre un lyrisme sublimé par les inflexions blues du saxophoniste, des mélodies à tomber et un résultat aux harmonies bluffantes, avec vibraphone (Jim Hart) et violon (Theo Ceccaldi). Puisque Jazzdor n’aime pas faire comme tout le monde, le trio sera accompagné de Cyril Atef à la batterie (Vincent Segal, -M-...). Allez-y, vous pleurerez. Devenu incontournable dans le paysage culturel, le festival est coutumier des rendezvous d’honneur. Comme le Riverside quartet (24/11, Salle des Fêtes de Schiltigheim, en photo) de Dave Douglas & Chet Doxas exceptionnellement rejoint par Carla Bley, grande compositrice et figure incontournable
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d’un jazz exigeant. Le quartet lui « rappelle comment Ornette Coleman et Don Cherry jouaient ensemble ! » Exclusivités, premières et créations sont chéries : la trompettiste française Airelle Besson (Victoire du Jazz 2015) révèlera la somme d’un travail monstrueux entamé pour l’Euroradio Jazz Orchestra (14/11, MAC Robert Lieb, Bischwiller). Sélectionnée par Radio France pour piloter ce big band, elle a écrit et arrangé toute la musique. Comme à son habitude, Jazzdor n’en oublie pas les locaux. Le terme, souvent synonyme de dédain et d’attrape subventions, retrouve ses lettres de noblesse avec le Dream Weapon Orchestra (23/11, Fossé des Treize) des bien connus musiciens strasbourgeois du Collectif Oh! Ils se réunissent en nonette pour Smoke & Mirrors, création de musique libre, où « les découpages sont perméables, avec des moments d’improvisation à plusieurs », explique Christine Clément, la chanteuse. Tous compositeurs et arrangeurs, les musiciens ont travaillé sur un climat, un son le batteur Francesco Rees définit comme une « particule mouvante attirée par des masses différentes, jazz, rap, rock, ou musiques traditionnelles », sans que l’ensemble soit hétérogène pour autant.
MUSIQUE CONTEMPORAINE
emotion in motion Chargée de la programmation de musique contemporaine1 à La Philharmonie de Luxembourg, la dramaturge Lydia Rilling est aux commandes du festival rainy days.
Pourquoi avoir choisi la thématique How does it feel ? On pense toujours que la musique contemporaine est uniquement cérébrale : ce cliché empêche un large public d’aller vers elle. Je souhaite prouver que de fantastiques paysages émotionnels s’y trouvent également. Concerts, installations ou performances, mais également conversations, permettront de montrer que chacun peut être touché au plus profond. Le Body Opera de Wojtek Blecharz 2 (12/11, Grand Théâtre) en est une belle illustration… L’émotion est souvent liée au corps avec lequel on fait des expériences : tel est l’objet de cette “installation d’opéra” (mêlant musique, chorégraphie, sculpture et vidéo) qui permet de percevoir le son avec l’ensemble de son corps et pas uniquement les oreilles, grâce à des fréquences faisant ressentir physiquement la musique.
Par Hervé Lévy Photo de Lisa Burke
À La Philharmonie mais aussi au Grand Théâtre et à L’Abbaye de Neumünster (Luxembourg), du 6 au 19 novembre rainydays.lu philharmonie.lu
Les séries On the border (entre noise music, free jazz, improvisation, musique nouvelle, minimalisme) et Musiques d’aujourd’hui 2 wojtekblecharz.com 1
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Vous succédez à Bernhard Günther à la direction artistique de rainy days, festival fondé en 2005 consacré aux musiques nouvelles : quelle en est l’essence ? L’esprit du festival, c’est l’esprit de découverte. Nous souhaitons explorer la diversité du répertoire contemporain avec ses rythmes, ses sonorités, ses expérimentations… Notre époque n’est plus celle des écoles dominantes, elle contient une grande variété d’esthétiques, d’approches et de styles développés par des compositeurs nourris de techno, de jazz, de rock, etc.
Pourquoi avoir demandé à Wolfgang Mitterer de composer une BO pour un ciné-concert du film expressionniste Le Cabinet du docteur Caligari (14/10) ? Je souhaitais que le compositeur autrichien, familier de cet exercice et capable, comme nul autre, de relier des univers sonores très différents, puisse exprimer la plénitude et la variété des sentiments et des émotions qui parcourent le film de Robert Wiene. Un concert de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg permettra de découvrir l’univers de Chaya Czernowin (17/11)… À côté de Neither de Morton Feldman, on pourra aussi entendre Guardian pour violoncelle et orchestre que nous avons commandé à la compositrice, l’occasion de découvrir une esthétique expressive faite de textures sonores délicates et sensuelles.
musique classique
au pays du piano Pour sa deuxième édition, le festival Piano au Musée Würth – dont le cru 2016 avait été un succès – rassemble à nouveau des interprètes virtuoses sous la houlette de son directeur artistique, Vincent Larderet qui a choisi de brasser un large répertoire, proposant même une incursion jazzistique avec le Colin Vallon Trio (14/11, en coréalisation avec Jazzdor, voir page 82). Des fulgurances signées SaintSaëns ou Debussy par le spécialiste du répertoire français qu’est Philippe Bianconi (12/11, en photo) voisinent avec des hommages chambristes à Ravel (17/11) et Beethoven (18/11) où l’archet de Marc Coppey rencontre le clavier. Notre coup de cœur ? La vision toute en délicatesse signée Herbert Schuch – dont le jeu rappelle le mythique Alfred Brendel – des 33 Variations sur une valse de Diabelli, opus testamentaire de Beethoven (19/11). Elle précèdera une clôture en forme de feu d’artifice méditatif avec Nelson Goerner (19/11) qui croise avec un grand bonheur Schubert, Brahms et Chopin. (H.L.) Au Musée Würth (Erstein), du 10 au 19 novembre musee-wurth.fr
le pouvoir des cordes
© Bernd Buehmann
Baguette étincelante et archet brûlant, Kolja Blacher (six ans durant premier violon des Berliner Philharmoniker) n’aime rien tant que diriger et exprimer les potentialités immenses de son Stradivarius “Tritton” dans des soirées play / lead de très haut niveau. Preuve en sera apportée avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg dans un programme débutant par la Symphonie pour orchestre à cordes n°10, aimable et brillant exercice de style imaginé par un Mendelssohn adolescent. Les choses sérieuses débutent avec la virtuose Sérénade pour violon solo, cordes, harpe et percussions, page jazzy, humaniste et… platonicienne que Bernstein écrivit en s’inspirant du Banquet. Fin de concert en apothéose avec une perle de l’ère classique, la Symphonie n°104, Londres de Haydn, hésitant entre équilibre formel et totale exubérance, comme si dans cette partition composée outre-Manche, le génie autrichien extrayait le suc de l’esprit british. (H.L.) Au Palais de la Musique et des Congrès (Strasbourg), jeudi 23 et vendredi 24 novembre philharmonique-strasbourg.eu
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op’éra À l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, le metteur en scène PierreEmmanuel Rousseau s’empare de Don Pasquale de Donizetti, installant l’action dans un XVIIIe siècle revisité version Vasarely.
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Par Hervé Lévy Photos de Ben Zurbriggen
À l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, du 17 au 21 novembre opera.metzmetropole.fr Visite commentée de la salle et des ateliers suivie d’une partie de répétition de Don Pasquale, jeudi 9 novembre à 19h
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l Turco in Italia et Le Comte Ory de Rossini, Viva la Mamma de Donizetti et maintenant Don Pasquale : « Je suis chez moi dans ce répertoire », s’amuse PierreEmmanuel Rousseau. Derrière la légèreté comique de l’opera buffa, « la dimension théâtrale est très présente. De telles œuvres sont extrêmement exigeantes », résume le metteur en scène. Écrite en une dizaine de jours, cette partition est une pochade comique narrant l’histoire d’un vieux célibataire fortuné qui choisit de se marier avec une jeune veuve pour déshériter son neveu, Ernesto, dont il désapprouve le choix amoureux. Mais c’est en fait avec cette dernière, grimée, qu’il va convoler. Une fois les noces célébrées, elle se révèlera tyrannique et dépensière. « Le personnage de Don Pasquale ressemble à tous les barbons des pièces de Molière, Oronte dans Le Misanthrope, Orgon dans Le Tartuffe et surtout Mr. Jourdain, Le Bourgeois gentilhomme. Il se fait faire un habit qu’il considère très beau mais qui est absolument ridicule. Ses tentatives désespérées pour séduire Norina le rendent néanmoins touchant. » Avec Malatesta, le docteur et
conseiller du vieux garçon, elle forme un « couple infernal, faisant penser à Merteuil et Valmont dans Les Liaisons dangereuses. Pour moi, ils sont amants. Ce duo diabolique va se servir d’Ernesto pour arriver à ses fins, ourdissant une machination afin de capter la fortune de Pasquale. » Joyeux et sombre à la fois, le Don Pasquale de PierreEmmanuel Rousseau se déroule « dans un XVIIIe siècle fantasmé, à la Greenaway, un XVIIIe siècle qui aurait mis les doigts dans la prise », aux accents de Commedia dell’arte : en témoigne le rajout d’Arlequin, véritable deus ex machina de l’opéra… Dans cette histoire abracadabrantesque où tout le monde manipule tout le monde, évoluent « des personnages à tiroirs. Mon décor fonctionne aussi ainsi », explique le metteur en scène : « Il est construit en plusieurs plans avec des fausses perspectives, s’y trouve ce qu’on croit être un plafond, mais qui se révèle être un sol à y bien regarder. » Cette atmosphère flashy où interfèrent couleurs vives et motifs graphiques répétitifs évoquant l’Op’Art des sixties va comme un gant à cette partition bondissante.
© Marco Borggreve
Teodor Currentzis © Olya Runyova
MUSIQUE classique
combat baroque
éclats automnaux
Apothéose d’un cycle Monteverdi entamé au cours de la saison 2011 / 2012, Il combattimento di Tancredi e Clorinda (1624) est présenté en version de concert par l’Opéra de Dijon agrémenté de quelques mignardises vocales pyrotechniques du compositeur baroque extraites d’Il Ritorno d’Ulisse in patria ou de L’Orfeo. Entre madrigal et opéra de poche, l’œuvre s’inspire de La Jérusalem délivrée du Tasse, narrant de manière théâtrale et dramatique la lutte entre un chevalier chrétien et une infidèle qu’il prend pour un homme en raison de son armure. Mais ce duel à mort dissimule une tragique histoire d’amour… Le public aura la chance de découvrir une distribution de haute volée avec l’exceptionnel duo de ténors Prégardien, père (Christoph, en photo) et fils (Julian) : très rarement réunis sur scène, ils seront accompagnés de Jos van Immerseel au clavecin et de son ensemble Anima Eterna Brugge, de remarquables virtuoses jouant sur instruments anciens, sans oublier la mezzo-soprano Marianne Beate Kielland. (H.L.)
Un récital de la superstar du piano Grigory Sokolov (05/11), la voix éblouissante et incandescente du contre-ténor Philippe Jaroussky dans Haendel (11/11), Leonore, une représentation concertante de la version originelle de Fidelio de Beethoven par René Jacobs et le Freiburger Barockorchester (03/11). Voilà quelques fragments scintillants du programme du Festival d’automne de BadenBaden qui s’annonce, cette année encore, fort copieux. Son point d’orgue sera sans conteste une nouvelle production de La Bohème de Puccini (10 & 12/11) sous la direction du fantastique chef hellène Teodor Currentzis – à la tête de son orchestre, MusicAeterna – et dans une mise en scène annoncée cinématographique et classique d’un autre habitué des lieux, Philipp Himmelmann. On se replongera avec plaisir dans une œuvre où pointe un puissant sentiment de mélancolie et de nostalgie mêlées, derrière la joie et l’insouciance apparentes. (H.L.)
À l’Opéra (Dijon), dimanche 12 novembre opera-dijon.fr
Au Festspielhaus (Baden-Baden), du 3 au 12 novembre festspielhaus.de
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bouillon de culture Abordant l’histoire culturelle de la ville, la manifestation Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930, dont l’épicentre est le MAMCS, irrigue toute la cité, explorant, dans une belle richesse de propositions, ce “moment strasbourgeois”.
Par Hervé Lévy
Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930, au MAMCS, au Musée des Beaux-Arts, au Musée zoologique et à la Galerie Heitz (Strasbourg), jusqu’au 25 février 2018 musees.strasbourg.eu La Neustadt, laboratoire urbain, en l’Église Saint-Paul (Strasbourg), jusqu’au 10 décembre grandest.fr
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«N
ous avons souhaité nous détacher du récit national, que ce soit du coté allemand ou du côté français. Ce ne sont pas les dates des manuels qui nous intéressent, mais le temps long, l’imprégnation de la ville », explique d’emblée Roland Recht, professeur honoraire au Collège de France, un des deux Commissaires généraux de la manifestation. Il justifie ainsi le choix de la période : un « moment strasbourgeois où des personnalités majeures ont développé un parcours innovant, dont le seul équivalent est peut-être la décennie 1770 avec Goethe, Lenz et Herder. » L’annexion de 1871 a produit une « conjonction favorable » complète la directrice des Musées, Joëlle Pijaudier-Cabot, dont les effets « ne commencent à se faire sentir qu’en 1880 avec la naissance de la Neustadt, la constitution des collec-
tions des musées par Wilhelm Bode, l’essor de l’Université… Le mouvement se prolonge après-Guerre avec la modernité de L’Aubette où l’École des Annales. » Dans les Musées Au Musée d’Art moderne et contemporain sont présentées plus de mille pièces réparties sur 3 000 m2 dans une scénographie sobre et contemporaine signée Adeline Rispal. Le visiteur demeure frappé par la richesse culturelle d’une ville passée en quelques années du statut de préfecture pépère à celui de capitale du Reichsland Elsass-Lothringen, voyant sa population exploser (85 000 habitants en 1871, 151 000 en 1900), et son espace urbain s’accroitre. Longtemps honnie, cette “époque allemande” est réhabilitée depuis peu, le récent classement de la Neustadt au Patri-
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moine mondial de l’Humanité par l’Unesco en étant le plus bel exemple. Les salles du musée illustrent une véritable floraison intellectuelle et artistique, montrant, par exemple, le développement des Arts décoratifs grâce à une école alors dirigée par Anton Seder avec des reconstitutions d’intérieurs imaginés par Charles Spindler pour les expositions universelles de Paris (1900), Turin (1902) et Saint-Louis (1904), riches de précieuses marqueteries. On découvre aussi les collections d’une Université en pointe (écorchés, modèles cristallographiques ou moulages de marbres antiques) et la vitalité artistique d’une « métropole cosmopolite où les influences se croisent », résume Joëlle Pijaudier-Cabot. La cité accueille notamment une exposition d’Art français présidée par Rodin en 1907 où reçoit Max Beckmann, en pleine dépression, pendant la Guerre. Le parcours se poursuit dans le réseau des Musées avec notamment une présentation de la personnalité de Wilhelm Bode chargé de créer une collection ex nihilo (Musée des Beaux-Arts) ou une passionnante réflexion sur la musique (Galerie Heitz). Le prolongement de ce bouillonnement se fait sentir après 1918 : si L’Aubette, amplement documentée au MAMCS (notamment par de très beaux projets de banquettes signés Theo
van Doesburg) en est la plus belle illustration, on retiendra l’École des Annales comme exemple emblématique. Initiée à Strasbourg à la fin des années 1920, cette véritable révolution opérée par Lucien Febvre et Marc Bloch permet de redéfinir les contours l’histoire en la tournant vers d’autres spécialités, géographie, sociologie, etc. « La structure de l’Université strasbourgeoise de la période allemande faite d’Instituts où chaque discipline avait sa salle et sa bibliothèque, était un véritable appel à l’interdisciplinarité », explique Roland Recht. Dans la ville La manifestation Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930 essaime dans toute la ville, créant un véritable rhizome d’expositions, des Archives au Shadok en passant la BNU, la plus excitante étant celle dédiée à La Neustadt, laboratoire urbain proposée par la Région Grand Est dont les services (en partenariat avec l’Eurométropole) ont réalisé l’inventaire détaillé depuis 2010. « C’est un processus de longue haleine et le premier travail scientifique exhaustif sur cet ensemble urbain. Il est partagé avec les habitants. Cette exposition en est le point d’orgue et l’aboutissement après des Rendez-vous
À voir également les expositions Néogothique à la BNU (jusqu’au 28 janvier 2018, voir Poly n°202), Rétro d’expos aux Archives de la Ville et de l’Eurométropole (jusqu’au 2 février 2018), Strasbourg Laboratoire de demain au Shadok (jusqu’au 21 janvier 2018) ou encore L’Invention d’un modèle, l’École des Art décoratifs à la HEAR (jusqu’au 16 février 2018)
Légendes 1. Ernst Haeckel, planches publiées dans Kunstformen der Natur (1904), Strasbourg, Bibliothèque des Musées. Photo : Mathieu Bertola 2. Bains romains des Bains municipaux © Claude Menninger 3. Max Klinger, Opus II, Rettungen ovidischer Opfer, 1879, Strasbourg, MAMCS. Photo : Mathieu Bertola
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Église Saint-Paul © Frédéric Harster
* Elle vient de quitter la direction de l’Inventaire de la Région pour prendre les rênes du Musée alsacien
de la Neustadt annuels qui ont permis à chacun de juger de la richesse d’un espace longtemps mésestimé », résume Pascal Mangin président de la Commission Culture de la Région. Le visiteur découvre la genèse du plus bel ensemble d’architecture wilhelminienne d’Europe, marqué par son unité et la diversité des réalisations où se croisent Jugendstil,
de a à z Indispensable pour mieux comprendre cette époque, le Dictionnaire culturel de Strasbourg 1880-1930 est un pharaonique ouvrage collectif de 600 pages (et 700 entrées) regroupant plus de 300 illustrations et 30 cartes. Rédigé sous la direction de Roland Recht et Jean-Claude Richez, il arpente des domaines aussi variés que la médecine, la sismologie ou la poésie. Un fascinant voyage de A comme Achener (un peintre un brin oublié) à Z comme Zoologie rappelant le rôle important joué par l’Institut strasbourgeois. D’une lecture très agréable, cet ouvrage érudit est l’idéal compagnon de toutes les manifestations placées sous la bannière de Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930. Paru aux Presses universitaires de Strasbourg (45 €) pus.unistra.fr
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néo-gothique, néo-roman, etc. « Une réglementation stricte a été édictée pour des questions d’hygiène – la hauteur uniforme des immeubles, par exemple, est liée à des questions d’ensoleillement – mais les aspects esthétiques forment un étonnant patchwork. À la différence de Paris, il n’y a pas eu de grandes sociétés immobilières qui ont acheté et construit des pans entiers de la ville. Plusieurs milliers d’acteurs sont entrés en jeu, ce qui explique cette pluralité de styles », résume Marie Pottecher*, une des commissaires de l’exposition. Plans, photographies, tableaux (dont une merveille signée Lothar von Seebach), objets (comme des échantillons de carreaux Villeroy & Boch) ou sculptures forment un passionnant parcours permettant de mieux cerner les contours de la Neustadt, qu’ils soient théoriques (avec son évolution urbanistique au fil des âges depuis le Plan Conrath) ou… sanitaires puisque l’hygiène sous-tend l’ensemble avec pour vaisseau amiral un réseau de bains dont le fleuron est un bâtiment érigé entre 1905 et 1908 par Fritz Beblo, imposant édifice rappelant, avec sa façade en rotonde, les centres thermaux du Nord de l’Allemagne. Afin d’expérimenter l’Histoire in vivo, il ne suffit que de quelques pas, en sortant de l’exposition, pour y plonger.
pimp my ride Pour cette nouvelle édition de Sélest’art, la biennale d’art contemporain convie le travail de Benedetto Bufalino, jeune artiste qui tourne au super. Par Emmanuel Dosda Photo de P. Keller
Dans Sélestat, jusqu’au 12 novembre selestat.fr benedettobufalino.com
L’
an passé, au hasard d’un Voyage à Nantes (nom de l’exposition qui envahissait la ville), nous nous sommes retrouvés face à une antiquité, un objet d’un autre temps… Pourtant pas si lointain : une cabine téléphonique. Transformée en aquarium, avec plantes aquatiques et poissons exotiques, elle semblait souligner son caractère obsolète, hurler “le portable m’a tuer” tout en s’imaginant une seconde vie, au service de nos amis marins. Benedetto Bufalino a également inventé d’autres possibles pour les bonnes vieilles cabines injustement oubliées – Phare urbain ou véhicule à roulettes –, des destinées absurdes, pleines d’humour et de malice. Tout comme son Camion bétonnière boule à facettes (installé à Metz en 2017) permettant de métamorphoser les mornes chantiers interdits au public en dance floor disco chic. Le plasticien ne se refuse rien, inventant une Voiture de police poulailler ou une Maison roulante. Il “like le réel” et crée la surprise avec des œuvres ovniesques placées dans les villes. Pour sa 22e édition, Sélest’art a eu la bonne idée de lui confier carte blanche. Benedetto Bufalino a parsemé la cité de ses drôles d’objets artistico-détournés dans le
cadre d’« un projet ambitieux et marquant » dont les Sélestadiens se souviendront longtemps. Ceux-ci, comme tous les visiteurs de la biennale open air, se rappelleront sans aucun doute longtemps du terrain de tennis – pas très réglo – installé sur le toit d’un camion… qui a hélas repris la route. Les aléas de la création d’œuvres nomades ! Heureusement, la Voiture lampadaire est toujours en place : une bagnole placée sur un mât, à 4,70 mètres du sol, roues au ciel, phares et feux allumés dès le soir arrivé, faisant office de réverbère au parc des Remparts. Le plasticien se rêve au volant de l’automobile renversée, comme « conduisant la planète ». Au square Ehm est garée une immense et immaculée Limousine, traduction bling-bling et XXL du banc public. D’une longueur de plus 16 mètres, elle peut accueillir une cinquantaine de personnes, sans compter l’habitacle où, même les jours de pluie, on peut s’installer « pour manger son jambon-beurre ou envoyer ses textos », s’amuse Sophie Fonteneau, coordinatrice de l’événement. L’artiste évoque en effet une « limousine démocratique, pour les riches comme les plus pauvres », en plein centre-ville. Poly 203
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expositions
corps à corps
Gérald Thupinier, Sans Titr
32 sculptures et 20 dessins : l’Abbaye des Prémontrés rend un bel hommage à Claude Goutin (né en 1930) – originaire de Nancy et installé à Metz – avec l’exposition Corps d’argile, de bronze, d’encre. Évoquant à la fois l’armée souterraine de Xi’an, la légèreté et la douceur érotique de la statuaire grecque et la rigueur des bas-reliefs de la Rome impériale, de nombreuses œuvres en terre cuite, matière fétiche du Grand Prix de Rome 1956, proposent une étonnante promenade, entre contemporanéité revendiquée et découvertes archéologiques. La noblesse des lignes, la tendresse induite par la matière, la vivacité des mouvements, l’harmonie des corps et la classe des courbes de silhouettes impeccablement galbées se retrouvent dans des sculptures de bronze, mais aussi dans de délicats et poétiques dessins. Sur la feuille pointent des réminiscences Renaissance et les influences des angoissantes compositions à l’encre de chine de Victor Hugo, comme dans les apocalyptiques Cavaliers de la Nuit. (R.Z.)
© J Trichard
mots & pigments
À l’Abbaye des Prémontrés (Pont-à-Mousson), jusqu’au 3 décembre abbaye-premontres.com
« Un tableau est un dehors qui jouit de son dehors, échappé du dedans cannibale », écrivait Gérald Thupinier (né en 1950) il y a quelques années. Intitulée …que les larmes enfin submergent aussi la pierre, son exposition colmarienne permet de découvrir un artiste mêlant les couches de pigments aux mots : dans ses alluvions de peinture, lacs de lave endormis, figés dans une esthétique éternité à peine troublée par d’apparentes crevasses et boursouflures, s’esquissent des phrases, fragments d’une pensée qui se dissout et s’épanouit dans la viscosité de la toile. De cette substance élémentaire abstraite, glèbe nourricière de la création faite de strates superposées étonnamment légères, jaillissent le verbe et des figures parfois fantomatiques. Il faut arrêter son regard sur ces compositions-palimpsestes pour en extraire le suc parce qu’aucune « mémoire n’abolira cette matière dévorée et dense qui exulte de joie. » (P.R.) À L’Espace d’Art contemporain André Malraux (Colmar), jusqu’au 23 décembre colmar.fr
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art contemporain
Marius Pons de Vincent présenté par la Galerie Jean-François Kaiser
comme un élan
Créé en 2015, Luxembourg Art Week s’est imposé comme un rendezvous phare de l’Art contemporain du Grand-Duché et au-delà. Par Emmanuel Dosda
Positions & Take Off, à la Halle Victor Hugo (Luxembourg), du 3 au 5 novembre, CAL, au Tramsschapp (Luxembourg), du 3 au 12 novembre luxembourgartweek.lu Et aussi, Theatre of Disorder de Martine Feipel & Jean Bechameil au Casino Luxembourg jusqu’au 7 janvier 2018 casino-luxembourg.lu
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Voir Poly n°198 ou sur poly.fr
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ne foire européenne supplémentaire, après Bâle, Paris, Bruxelles ou Karlsruhe ? Oui, mais qui n’a pas l’ambition de rivaliser avec ses grandes sœurs qu’il ne s’agit pas de concurrencer, mais de compléter ? « Nous voyons notre manifestation comme une plateforme à l’échelle de la région SaarLorLux, bassin de quelque 3 millions d’habitants, dont le Luxembourg serait le poumon économique », insiste Alex Reding, directeur. Le but de cette foire – qui a attiré 12 000 visiteurs l’an passé – est de dynamiser un secteur et de fédérer ses acteurs : galeries, institutions, collectionneurs, artistes, collectifs, associations et même entreprises qui se verront proposer des visites guidées. Le Mudam n’a qu’une dizaine d’années et Le Casino a récemment fêté ses 20 printemps : le (jeune) milieu de l’Art contemporain luxembourgeois semble en pleine émulation depuis peu et Luxembourg Art Week accompagne cet essor, afin « que le monde culturel profite de l’élan économique », souligne Alex Reding, également à la tête de la galerie Nosbaum Reding
qui montrera le travail de Mike Bourscheid*, représentant du Grand-Duché à la Biennale de Venise cette année. La galerie Zidoun-Bossuyt exposera quant à elle les œuvres de Martine Feipel, une des plasticiennes présentées au Casino en ce moment. Elle forme un duo avec Jean Bechameil, auteur de Ballet of destruction, œuvre cinético-sonique ici présentée. La boucle est bouclée, prouvant l’interaction et la complémentarité entre les différentes structures. Parmi les autres participants, citons la galerie Lelong (Paris), le centre d’art Faux Mouvement (Metz), Jean-François Kaiser qui vient de Strasbourg avec des toiles d’Aurélie de Heinzelin, Laurent Impeduglia et Marius Pons de Vincent ou encore Thierry Raspail, directeur du Musée d’Art contemporain de Lyon, invité à participer à une table ronde. La foire se compose de trois sections : Positions, regroupant des galeries “établies”, Take Off pour les “émergentes” et le Salon du CAL (Cercle Artistique de Luxembourg) faisant un focus sur la scène artistique de la Région. Le panorama sera complet.
UN DERNIER POUR LA ROUTE
une histoire pétillante L
Par Christian Pion
Trois coups de cœur Champagne Françoise Bedel (Crouttes-sur-Marne) champagne-bedel.fr Champagne Isabelle et Franck Pascal (en photo, Baslieux-sousChâtillon) blogfranckpascal.over-blog.com Champagne Fleury (Courteron) champagne-fleury.fr
e vin de Champagne tel que nous le connaissons aujourd’hui est une invention relativement récente : à la fin du XVIIIe siècle, la production champenoise, grande rivale de la bourguignonne, était en grande majorité constituée de rouges légers qui enchantaient le goût des Parisiens. Les effervescents de l’époque, à la bulle grossière et capricieuse, amusaient les fêtards arrosant d’une mousse tumultueuse les femmes émoustillées. Il fallut bien des observations attentives et des inventions géniales pour créer très progressivement un vin à la bulle maitrisée dont les bouteilles n’éclataient plus en cave ce qui était le cas de 80% d’entre-elles en 1828 ! Le remuage, opération consistant à concentrer le dépôt de levures mortes contre le bouchon avant de l’expulser en le gelant et le remplacer par une liqueur de fermentation, a donné ses lettres de noblesse à ce breuvage, symbole universel des célébrations et de la fête depuis le XIXe siècle. Les Allemands prirent une place prépondérante dans l’achat de vignoble de Champagne comme en témoigne les patronymes actuels des grandes maisons de négoce qui existent toujours comme Deutz, Krug ou Roederer.
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Poly 203
Novembre 17
20 ans
La méthode champenoise s’exporta d’ailleurs rapidement en Bourgogne et dans le Wurtemberg, tandis qu’au milieu du XIXe, une grande quantité des raisins achetés pour l’élaboration du Champagne venait de Moselle et permettait aux maisons de maintenir un prix d’achat le plus bas possible. Les révoltes des vignerons champenois y mettront bon ordre jusqu’à l’obtention d’une origine purement régionale des raisins dans l’AOC. Le Champagne, fortement sucré à sa naissance, dut attendre la fin du XIXe pour connaître l’émergence de cuvées brut, de nos jours largement dominantes. Nous vivons actuellement une transformation en profondeur de l’offre, une multitude de petits propriétaires récoltants élaborant eux-mêmes leurs vins et développant une approche du terroir par un choix judicieux de parcelles et d’encépagement originaux. Même si le poids des grandes marques demeure déterminant, en particulier à l’export, les amateurs de vins exigeants n’hésitent plus à découvrir de nouveaux producteurs indépendants d’une région dont les vignes sont de plus en plus conduites en bio et biodynamie. Le résultat ? Des breuvages longilignes, racés, à la minéralité précise et salivante. À vos coupes !
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération
Entre pétillements bondissants et douceur assumée, l’histoire du Champagne est pleine de rebondissements et nos voisins allemands y ont joué un rôle prépondérant !