Poly 207 - Mars 2018

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N°207

MARS 2018

poly.fr

Magazine

BASQUIAT JEAN TEULÉ DOMINIQUE A DERRICK MAY STAN NORDEY

OLA maciejewska revisite LOIE FULLER aux giboulées



BRÈVES

THINKING

Attention événement : un artiste majeur de la scène contemporaine est accueilli au Schaulager (Münchenstein, en banlieue de Bâle) dans une exposition rétrospective monstre – la première depuis vingt ans – organisée en coopération avec le MoMA : Bruce Nauman : Disappearing Acts (17/03-26/08). On y découvre tout un spectre artistique qui engendre la réflexion chez le visiteur, films et performances vidéo, néons, dessins et autres sculptures ou installations.

© Christophe Hamm

© Bruce Nauman / 2017, ProLitteris, Zurich, photo: Tom Bisig, Basel

schaulager.org

SHOPPING Sex and Death by Murder and Suicide, 1985, Emanuel Hoffmann-Stiftung, Depositum in der Öffentlichen Kunstsammlung Basel

« Dans le domaine de l’Art, je suis un supermarché comme Lidl. On trouve de tout chez moi », se marre Raymond-Émile Waydelich. À la Städtische Galerie Lahr, une exposition monographique (18/03-22/04) revient sur 40 ans de création et rend hommage au protéiforme artiste alsacien, père de sympathiques bestioles dentues, éternel compagnon de Lydia Jacob, sa complice en création, et archéologue du futur (voir aussi Poly n°197 et sur poly.fr). kultur.lahr.de

Echoes Of Swing © Sascha Kletzsch

SWINGING C’est parti pour la 13e édition de Marckolswing (Salle des Fêtes de Marckolsheim, 15-17/03), festival de premier plan consacré au jazz classique, de la fin des années 1920 au début de la Guerre, du New Orleans jazz à l’ère des big bands. Ce n’est pas un hasard si la seconde partie des trois soirées est dédiée à la danse. Après le premier concert, on pousse tables et chaises pour laisser de la place aux lindy-hopeurs et autres swingueurs qui s’éclatent sur la musique d’un second groupe. Nouveauté, cette année : la soirée se poursuit jusqu’au bout de la nuit avec une troisième partie animée par Stephan Wuthe, un “record entertainer” – l’équivalent du DJ dans les années 1930 – et sa collection de 78 tours ! Du bondissant et pétillant groupe Echoes of Swing (15/03) aux espagnols de Très Bien ! (16/03) avec leur swing manouche percutant, en passant par le duo pianistique américano-italien Stephanie Trick / Paolo Alderighi (17/03), le jazz est dans tous ses états grâce à une programmation exigeante, excitante et éblouissante ! marckolswing.fr Poly 207

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BRÈVES

MÉTISSAGE

Watchful Peace, 1990 © John Howe

Alfredo Rodríguez © Anna Webber

VOYAGe

Dans le cadre du nancéien Manu Jazz Club a été convié l’Alfredo Rodríguez Trio (Théâtre de la Manufacture, 22/03). Autour du célèbre pianiste cubain découvert par Quincy Jones, le bassiste Munir Hossn et le batteur Michael Olivera proposent un aller simple en direction de La Havane, explorant leur récent CD Tocororo.

Il est l’un des plus grands dessinateurs actuels : John Howe est exposé au Cercle Cité de Luxembourg (jusqu’au 18/03) avec There and back again, visions de Tolkien et d’ailleurs. À la découverte du maître de l’heroic fantasy qui a largement contribué a imaginer les contours de l’esthétique des films de Peter Jackson.

theatre-manufacture.fr – nancyjazzpulsations.com

cerclecite.lu

Pour leur 14e édition, Les Heures musicales du Kochersberg – placées sous la direction artistique de Sébastien Lentz, corniste à l’OPS – proposent quatre rendez-vous à l’Espace Terminus (Truchtersheim) où les genres se mêlent, avec le répertoire classique comme pivot. On y croisera La Philharmonie de poche pour une excursion autour de la musique de films, de Cinecittà à Hollywood (18/03) et le Quintette Érasme accompagné du pianiste Romain Descharmes (24/03) pour un programme chambriste virevoltant. N’oublions pas l’imparable duo, entre Orient et Occident, formé par le saxophone de Franck Wolf et le koto – une cithare japonaise traditionnelle – de Mieko Miyazaki (07/04). Enfin, last but not least, Les Tromano (15/04) et leur grand bazar festif viendront clôturer l’affaire. Le violoniste Yorrick Troman, le contrebassiste Yann

La Philharmonie de Poche © Grégory Massat

BRASSAGE

Dubost et l’accordéoniste Daniel Troman explorent un répertoire kaléidoscopique allant de Piaf à Chostakovitch, via Piazzolla, Morricone ou encore la tradition klezmer !

hmko.fr Poly 207

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BRÈVES

CINQ SOIRÉES

Youn Sun Nah © Sung Yull Nah

Le Centre culturel Opderschmelz de Dudelange célèbre le 8 mars – Journée internationale des Droits de la Femme – à sa manière puisque le mois rassemble concerts et événements soulignant le rôle des femmes dans la création culturelle contemporaine. Sous l’intitulé We Love Girrrls se déploient cinq événements, une rencontre littéraire avec des écrivaines (20/03) et quatre concerts aux accents jazz, comme celui de la contrebassiste Sarah Murcia (06/03) qui, avec son groupe, revisite Never Mind the Bollocks des Sex Pistols ! Également au programme, le jazz franc et direct du Marly Marques 5Tet (14/03), le duo Claudia Solal / Benjamin Moussay (22/03) qui se balade à la croisée des genres (pop, musique électronique, improvisation, minimalisme, etc.) et la géniale vocaliste coréenne Youn Sun Nah (27/03). Cette dernière est une des nouvelles icônes du jazz avec sa voix puissante et mystérieuse que l’on découvre sur son nouvel album, She moves on. opderschmelz.lu

Un (long) Week-end de l’Art contemporain (16-18/03) dans toute la Région Grand Est : voilà ce que proposent les membres du réseau Versant Est comme Le Crac Alsace (où est visible Il pleut, tulipe, jusqu’au 13/05, en photo). Vernissages, performances, rencontres, visites en présence des artistes, lectures, ateliers artistiques dans une cinquantaine de lieux.

Simon Bergala, Chinensis Torulosa (LA), 2012, Courtesy de l’artiste

versantest.org

© DH Studio Dirk Holst

TROIS JOURS

DIX ANS Fleuron thermal de l’espace rhénan, le réseau des Karlsruher Bäder renferme un joyau qui célèbre son dixième anniversaire : l’Europabad (500 000 visiteurs par an). Un week-end festif (16-18/03) est proposé dans ce temple du loisir et du bien-être : jeux avec la géniale mascotte KAI le requin pour les petits, set de DJ Stean, escapades gastronomiques… C’est sûr, il faudra en être ! ka-europabad.de

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REPRODUCTION

Pchittt..., 1982-2017, © Blaise Adilon

Étienne Bossut, dans un langage proche du Pop art, réalise des moulages en polyester d’objets industriels et donc produits en grande série. Au Frac Franche-Comté (jusqu’au 20/05), il a notamment exposé le Remake… d’une Porsche de 1951, comme un hommage (ou un pied-denez) au ready made. L’artiste investit aussi le Musée des Beaux-Arts de Dole (09/03-03/06) avec d’autres détournements “plastiques” et sculpturaux. frac-franche-comte.fr musees-franchecomte.com

élection

Étienne Pressager, Partitions 001

La dynamique strasbourgeoise Anne-Sophie Kehr, qui a proposé de nombreuses lectures dans le cadre des Journées de l'Architecture, est la nouvelle présidente du Réseau des 33 Maisons de l’Architecture françaises. Félicitations ! Maître de conférence depuis une dizaine d’années à l’Ensas et cofondatrice du cabinet d’architecture et d’urbanisme Heintz-Kehr, elle connaît très bien le réseau et compte profiter de son mandat pour continuer à mener son combat consistant à « sensibiliser tous les citoyens à la poésie de l’architecture, dès le plus jeune âge ! » ma-lereseau.org

RÉUNION

INSPIRATION

Mathieu Copeland, Violaine Lochu, Yona Friedman, Edith Dekyndt, Delphine Coindet, etc. Tous ces artistes composent une grande Assemblée (jusqu’au 20/05) et participent à vaste exposition collective sous forme de parcours retraçant 25 ans d’histoire et de rencontres à la Synagogue de Delme.

Arts Premiers d’Afrique (Burkina-Faso, Togo, Mali ou Côte-d’Ivoire), mais également d’Océanie, sans oublier de très beaux meubles notamment venus d’Inde : voilà ce que vous pourrez découvrir (et acquérir) à la Salle des Fêtes de Lochwiller dans une jolie expo-vente (24 & 25/03).

cac-synagoguedelme.org

06 81 59 50 00 Poly 207

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sommaire

18 Entretien avec Stanislas Nordey autour de la création d’Anatoli Vassiliev

22 Dans Saïgon, Caroline Guiela Nguyen revisite avec pudeur l’his-

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toire de la diaspora vietnamienne

23 Bois impériaux, road-trip hanté signé Das Plateau 24 Marionnettes à fils ou numériques, jeux d’ombres et de reflets, mannequins, robots : voici venu le temps des Giboulées

31 Emmanuel Meirieu plonge dans l’univers des Naufragés de l’existence

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34 Théâtre optique d’anticipation pour Hikikomori – Le refuge 36 Du Titien au suspens hitchkockien, Marcos Morau présente Siena 38 Rencontre avec Dominique A autour de ses deux albums à venir 42 Francesco Tristano, Derrick May et l’ONL ensemble sur scène ! 45 Menuet mis en scène par Fabrice Murgia : un théâtre musical trouble et troublant

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46 Entretien avec Philipp Himmelmann qui monte Simon Boccanegra

54 Singes, esquimaux et freaks : les familles de Delphine Harrer 56 Pierre Gangloff dialogue avec les maîtres anciens 57 Boom for Real, ambitieuse rétrospective dédiée à Jean-Michel Basquiat

60 Stephen Shames, dans l’intimité des Black Panthers

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64 Jean Teulé revisite les danseurs fous de Strasbourg

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66 Un dernier pour la route : voyage viticole en Combi VW

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COUVERTURE À la fin du XIXe siècle, la danseuse américaine Loïe Fuller inventait la “Dancing Dress” : d’immenses voiles amples qu’elle faisait tournoyer en ondulations serpentines. Plus d’un siècle plus tard, la chorégraphe polonaise Ola Maciejewska (voir page 24), fascinée par son potentiel cinétique et hypnotique, construit des performances inspirées par cette pionnière de la danse moderne. Martin Argyroglo les a immortalisées en des clichés aux textures chatoyantes, révélant les flots ondulants du tissu animé par l’air déplacé par la danseuse. Ses photos se dégustent comme des œuvres à part entières, figeant le mouvement comme ÉtienneJules Marey, pour mieux le contempler. martin-argyroglo.com

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OURS · ILS FONT POLY

Ours Emmanuel Dosda

Il forge les mots, mixe les notes. Chic et choc, jamais toc. À Poly depuis une quinzaine d’années, son domaine de prédilection est au croisement du krautrock et des rayures de Buren.

Liste des collaborateurs d’un journal, d’une revue (Petit Robert)

Thomas Flagel

Théâtre des balkans, danse expérimentale, graffeurs sauvages, auteurs africains… Sa curiosité ne connaît pas de limites. Il nous fait partager ses découvertes dans Poly.

Sarah Maria Krein

Cette française de cœur qui vient d’outre-Rhin a plus d’un tour dans son sac : traduction, rédaction, corrections… Ajoutons “coaching des troupes en cas de coup de mou” pour compléter la liste des compétences de SMK.

Pochoir de C215 sur boîte aux lettres, Bayonne © Thomas Flagel

poly.fr RÉDACTION / GRAPHISME redaction@poly.fr – 03 90 22 93 49

Anaïs Guillon

Entre clics frénétiques et plaisanteries de baraque à frites, elle illumine le studio graphique de son rire atomique et maquette à la vitesse d’une Renault Captur lancée entre Strasbourg et Bietlenheim. Véridique !

Julien Schick

Il papote archi avec son copain Rudy, cherche des cèpes dans les forêts alsaciennes, se perd dans les sables de Namibie… Mais comment fait-il pour, en plus, diriger la publication de Poly ?

Directeur de la publication : Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Responsable de la rédaction : Hervé Lévy / herve.levy@poly.fr Rédacteurs Emmanuel Dosda / emmanuel.dosda@poly.fr Thomas Flagel / thomas.flagel@poly.fr Ont participé à ce numéro Amélie Deymier, Vincent Muller, Christian Pion, Pierre Reichert, Irina Schrag, Daniel Vogel, Cécile Walschaerts et Raphaël Zimmermann Graphistes Anaïs Guillon / anais.guillon@bkn.fr Luna Lazzarini / luna.lazzarini@bkn.fr Développement web Vianney Gross / vianney.gross@bkn.fr Maquette Blãs Alonso-Garcia en partenariat avec l'équipe de Poly

Éric Meyer

Ronchon et bon vivant. À son univers poétique d’objets en tôle amoureusement façonnés (chaussures, avions…) s’ajoute un autre, description acerbe et enlevée de notre monde contemporain, mis en lumière par la gravure. ericaerodyne.blogspot.com

Luna Lazzarini

D’origine romaine, elle injecte son “sourire soleil” dans le sombre studio graphique qu’elle illumine… Luna rêve en vert / blanc / rouge et songe souvent à la dolce vita italienne qu’elle voit résumée en un seul film : La Meglio gioventù.

Vincent Bourgin

Si vous avez ce magazine entre les mains, c’est grâce à lui : à la tête d’une team de diffuseurs de choc, Vincent livre Poly partout sur le territoire, en citant Ricky Hollywood dans le texte.

Administration, gestion, abonnements : 03 90 22 93 30 Mélissa Hufschmitt / melissa.hufschmitt@bkn.fr Diffusion : 03 90 22 93 32 Vincent Bourgin / vincent.bourgin@bkn.fr Contacts pub : 03 90 22 93 36 Julien Schick / julien.schick@bkn.fr Sarah Krein / sarah.krein@bkn.fr Rudy Chowrimootoo / rudy@bkn.fr Magazine mensuel édité par BKN / 03 90 22 93 30 S.à.R.L. au capital de 100 000 € 16 rue Édouard Teutsch – 67000 STRASBOURG Dépôt légal : février 2018 SIRET : 402 074 678 000 44 – ISSN 1956-9130 Impression : CE © Poly 2018. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. Tous droits de reproduction réservés. Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. COMMUNICATION BKN Éditeur / BKN Studio – bkn.fr

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edito

guignol’s band À

Par Hervé Lévy

Illustration d'éric Meyer pour Poly

l’heure où la Ministre de la Culture raye Charles Maurras de la liste des commémorations nationales – faisant fi de la différence entre célébration et commémoration – et où Jacques Chardonne en disparait subrepticement, son nom n’apparaissant plus sur le site, on est en droit de se demander si le meilleur moyen pour lutter contre les idées véhiculée par ces deux auteurs – nationalisme intégral et antisémitisme d’État pour le premier, tandis que le second a écrit Le Ciel de Nieflheim, où il exprime son amour pour le Troisième Reich – est de les faire passer à la trappe. Pour Maurras, « faire l’impasse sur son rôle, son impact, son existence, c’est se condamner à ne rien comprendre de l’histoire intellectuelle, morale et politique de ce pays pendant un demisiècle », assène Pierre Assouline avec qui on ne peut qu’être d’accord. Le questionnement est d’essence identique lorsque Gallimard, après de nombreuses et imbéciles pressions, suspend sine die son projet de réédition des pamphlets de Céline, en janvier, le même Céline dont une citation avait été gommée des murs de la Médiathèque

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Malraux de Strasbourg, il y a quelques années… Est-ce ainsi la meilleure manière de combattre les propos antisémites de Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres et Les Beaux draps ? Non, évidemment car les livres sont disponibles en deux clics, offerts à la lecture sans appareil critique, ni explications. Renoncer à les rééditer contribue à les nimber d’une aura qu’ils ne méritent pas. « Puisque je ne peux le trouver dans le commerce, c’est bien qu’il doit contenir une vérité qui dérange », s’imaginent certains. Aveuglés, les censeurs vont contre leurs intérêts. Au contraire, il faut diffuser, expliquer, commenter, débattre pour que le plus grand nombre soit en mesure de comprendre ce qui est en jeu. Faire disparaître Maurras ou Chardonne de la photo de famille de l’Histoire de France est stupide. Il est essentiel de se colleter avec la part sombre du XXe siècle de notre pays (et pas seulement celle de 1939-1945) et d’oser l’affronter pour en finir. Rappelons ici les mots de Marc Bloch dans son Apologie pour l’Histoire : « L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent ; elle compromet, dans le présent, l’action même. »



chroniques

© Jean Elliot Senior

SPLEEN SPINALIEN

ÉPOPÉE MÉDIÉVALE Connu pour ses polars made in Alsace, Le Verger édite également des romans : traduit de l’anglais par Marthe Mensah (Maître de conférences honoraire de l’Université de Reims), Il était une femme de Gloria Cigman vient de paraître. Préfacé, excusez du peu, par Emmanuel Le Roy Ladurie, ce pavé de 444 pages tient autant du roman d’amour que de la fresque historique. Spécialiste de la littérature médiévale, l’auteure a extrait un personnage des Contes de Canterbury, une des premières œuvres littéraires britanniques. Il s’agit d’Alison, née en 1337, au Nord-Est de Londres que son père décide d’élever comme un garçon, vu qu’il n’en a plus qu’un de vivant, et encore simplet ! Tel est le point de départ de l’odyssée d’une femme pas comme les autres dans le XIV e siècle européen. Un roman qui se dévore avec aisance, entraînant son lecteur dans des aventures picaresques. (H.L.) Paru au Verger (22 €) verger-editeur.fr

Barbe drue et cheveux longs, Julien Bouchard, en ermite 2.0, s’est imposé une vie monacale durant quelques mois, reclus dans un vaste appartement le temps d’enregistrer son premier album solo, le bilingue Songs from la chambre. Ses onze titres ne sentent cependant pas le renfermé de son home-studio de fortune : l’orfèvre d’Épinal a convoqué ses idoles, Elliott Smith, les Beatles ou Grandaddy, pour composer des morceaux pop sans fausses notes et 100 regrets (le tube potentiel du disque : mais que font les programmateurs radio ?), fleurant la mélancolie d’Abbey Road, le rêve californien ou le sable chaud de Copacabana. Le long format d’un mélodiste doué, d’un one man band qui a su Prendre le temps d’un bénéfique isolement. (E.D.) Édité par Hot Puma Records (10 €) hotpumarecords.com En concert, vendredi 23 mars au Repère (Schirmeck) et samedi 24 mars à L’Espace culturel de Vendenheim (avec Claire Faravarjoo) bloodymarymusicandrecords.com

HEY TEACHER ! Deux gaillards brouillent les cartes et shakent l’histoire, plaçant la Tour de l’Europe en lieu et place de l’Empire State Building, confondant le bicorne de Bonaparte et la casquette de Guru, Pink Floyd et le Wu-Tang, Mulhouse District et NYC ! DJ Scribe, du 6.8., et Napoleon Da Legend, de Brooklyn, brisent The Wall entre la France et les États-Unis, convient la voix soul de la strasbourgeoise Lexy ou l’expertise de Jimmy Jay pour un maxi old cool qui casse la baraque. (E.D.) Édité par Médiapop records (10 € le vinyle) mediapop-records.fr

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chroniques

LA SCIENCE DES RÊVES

CHAUD-FROID Ancien prof aux Arts déco strasbourgeois, le prolifique Gaëtan Dorémus publie un nouvel album jeunesse (dès 3 ans) au Rouergue. Tout doux invite à la découverte du froid (le bleu) et du chaud (le rouge) sur les pas d’un ours victime de la fonte des glaces. Abandonnant son igloo cosy, il erre sur la banquise, traverse villes et paysages avant de trouver l’amour d’une oursonne, en haut d’une colline. Tout en contrastes thermiques et chromatiques, la finesse du trait de l’auteur regorge de détails, pour le plaisir des grands et de leurs petits. (T.F.) Paru au Rouergue (15 €) lerouergue.com

Les éditions strasbourgeoises La Dernière goutte poursuivent leur passionnant travail de défrichage de la littérature sudaméricaine en traduisant le premier roman de l’argentin Miguel A. Semán. Une écriture incisive, aux élans grandiloquents tempérés de langage crasse des bas-fonds à la Bukowski qui mélange fantastique et polar. Le Musée des rêves prend place au début des années 1980, en pleine dictature. La guerre des Malouines sert de diversion à la junte au pouvoir et à sa répression pour tenter d’étouffer une mystérieuse libération de rêves collectés par un groupe informel auquel se trouve mêlé Rodolfo, payé par l’étrange Mendívez pour lui en raconter un chaque semaine. Dans le putride climat de dénonciations et d’enlèvements régnant alors en Argentine, ce regroupement hétéroclite – et donc subversif – de joueurs de foot et de loosers errant la nuit au milieu des fous, des SDF et des putes, recopie des bribes d’imaginaire dans des livres d’occasion pour diffuser une dose d’utopie et de poésie dans tout le pays. Un acte de résistance allant au delà de l’amour et du sensé dans une célébration grandiose de la liberté. (T.F.) Édité par La Dernière goutte (20 €) ladernieregoutte.fr

BIZARRE LOVE TRIANGLE Voilà un essai fulgurant signé Bernard Baas qui brosse le portrait de Fiebig, le peintre au couteau, rappelant que le Letton (1885-1953) installé en Alsace pour soigner son jeune fils, est un artiste majeur. Maître mélancolique des couleurs et des formes, oscillant souvent entre figuration et abstraction avec des réminiscences impressionnistes et expressionnistes, “l’ermite du Taennchel” avait sa propre géométrie où le triangle – rappelant aussi le couteau dont il se servait – tenait une place centrale comme le montrent les quelques illustration (hélas en noir et blanc) du livre. À la lumière des écrits de Kandinsky et de Kojève se (re)découvre un créateur qui n’a pas encore la place qu’il mérite dans l’Histoire de l’Art. (H.L.) Publié cher Hermann (20 €) editions-hermann.fr

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THÉÂTRE

l’homme révolté Anatoli Vassiliev retrouve Valérie Dréville1 pour Le Récit d’un homme inconnu. Une sombre nouvelle de Tchekhov où un terroriste révolutionnaire, incarné par Stanislas Nordey, se laisse séduire par une femme libre. Entretien avec le directeur-acteur du TNS.

Par Thomas Flagel Photos de répétition de Jean-Louis Fernandez

Au Théâtre national de Strasbourg, du 8 au 21 mars tns.fr Rencontre avec l’équipe artistique, samedi 17 mars à 14h30 à la Librairie Kléber (Strasbourg) À la MC93 (Bobigny), du 27 mars au 8 avril dans le cadre de la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville mc93.com

Lire Fendre l’humanité en deux, dans Poly n°197 ou sur poly.fr, autour de l’incandescent MédéeMatériau recréé l’an passé 2 Anarchiste révolutionnaire dont la pensée inspira notamment Nestor Makhno 1

Anatoli Vassiliev est connu pour ne faire travailler les comédiens dans la scénographie qu’au dernier moment, privilégiant la recherche et l’esprit de répétition à un spectacle figé. Qu’en est-il ? C’est le cas et c’est passionnant, car le principe de Vassiliev – rester tout le temps en répétition en essayant de garder le plus longtemps possible un rapport de recherche – est celui de l’exigence absolue. On travaille précisément sur ce qu’il nomme des études. Il choisit des situations du Récit et d’autres qui sont proches dans un autre matériau, par exemple Platonov, pour que nous ne planchions surtout pas sur les mots de la pièce afin qu’on ne les abime pas, mais qu’on explore toutes les facettes de l’imaginaire. Son adaptation de la nouvelle de Tchekhov est venue ensuite et on se rapproche de plus en plus du texte final. Nous sommes à moins de trois semaines de la première et nous n’avons toujours pas eu le droit d’apprendre une ligne. J’ai par exemple

un monologue énorme de sept pages au milieu du spectacle que je ne peux pas apprendre ! Il veut d’abord qu’on analyse, creuse, mette nos propres mots dessus en remplaçant ceux de Tchekhov, excite notre imaginaire à un endroit qui nous brûle… Et Vassiliev ne laisse rien passer ! Il vous pousse dans vos retranchements, vous cherche partout et tout le temps ? Il débusque tout ce que nous fabriquons. Et un acteur fabrique beaucoup ! Nous faisons énormément semblant, même lorsqu’on affirme le contraire… Il est obsédé par ça, totalement intransigeant à cet endroit. Cela passe par la méthode russe, qu’il revendique. Le travail sur le corps est important avec un training quotidien qui se répercutera dans le spectacle avec une corporalité puissante. C’est comme un camp de rééducation : il part du principe que les acteurs aussi bons soient-ils, sont paresseux, ont des facilités, se laissent aller, ne travaillent pas suffisamment… Ce qui est vrai ! Finalement il met peu en scène la pièce jusqu’à maintenant. A-t-il déjà tout en tête ? Il est à un moment de son chemin, comme Claude Régy ou Manoel de Oliveira, où il n’a plus grand chose à se prouver. La question de la mise en scène n’est pas ce qui l’intéresse le plus. Il a pensé à beaucoup de choses, le dispositif notamment mais là aussi, il sait être surprenant. Nous pensions qu’il avait tout en tête par rapport à nos précédentes expériences de travail avec lui. Mais il nous dit qu’il veut prendre plus de risques et donc pas tout construire avant, pour laisser de l’espace à ce qui va arriver, notamment une forme d’improvisation au plateau durant les repré-

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sentations. Son envie est de nous donner une forme de canevas qu’il appelle la “composition” : il prend une scène et la divise en fragments. Le premier parle des rêves d’un homme qui veut partir à la campagne, le second de la liberté… C’est cette architecture détaillée qu’il nous demande de suivre. Nous sommes à la fois très cadrés et en même temps il ne veut pas nous diriger à proprement parler. Pas nous dire comment dire. C’est formidablement mystérieux. Il a quelque chose en tête mais ne vous le livre pas ? Tout à fait, c’est sa pédagogie, extrêmement perturbante. Au début, je ne comprenais rien ! Il égare, noie le poisson, donne des éléments pour que les acteurs se responsabilisent et qu’ils perdent leurs habitudes. Vassiliev parle d’une exploration du terrorisme et des convictions humaines… Il a une connaissance pointue de Tchekhov et fouille dans tout ce qui a été coupé par l’auteur, ce qui procure pas mal de munitions, non présentes dans la version éditée, qui sont réinjectées dans le spectacle. Et derrière, il tire le fil du terrorisme, le cœur de la pièce pour lui. La figure de mon personnage et celle d’Orlov étant deux doubles de la même génération et de la même classe sociale : l’un a choisi le confort et la vie bourgeoise d’un haut fonctionnaire frivole, l’autre la protestation et le terrorisme. Finalement, la nouvelle raconte que les deux finissent au même point. L’inconnu renonce au terrorisme et veut vivre. Qu’est-ce que cela raconte de cette génération ? « Pourquoi sommes-nous tous si fatigués ? Pourquoi à l’âge de 30-35 ans avons-nous tout abandonné ? » demande-t-il. Cette question de l’engagement me parle tout particulièrement. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, un peu comme L’Inconnu, alors

que politiquement j’étais quelqu’un de très activiste, j’ai choisi de privilégier la vie et le théâtre par rapport à mon engagement ? L’Inconnu avance masqué, cachant sa véritable identité pour se faire embaucher chez Orlov, afin d’atteindre son père qui est un homme d’état, voire tenter de l’assassiner. Est-ce assumé dans la pièce ou plus ambigu ? Vassiliev assume très fortement un intérêt premier pour la question du terrorisme à ce moment-là de l’histoire russe. Nous avons dû lire les mémoires de Kropotkine2 et Le Cheval blème, journal d’un terroriste de Boris Savinkov. Il explique que Tchekhov ne pouvait pas écrire cela de façon plus visible à cause de la censure mais que c’est ce qu’il voulait raconter : la tentation de la terreur chez cette génération d’aristocrates et la fatigue qui en a gagné certains. Il ne me parle que de cela, tout le temps. Je joue un tueur, quelqu’un de dangereux, même si dans la nouvelle c’est adouci. La scénographie envahit la salle Koltès dans des proportions inhabituelles… Vassiliev a voulu recréer le théâtre grec donc les sièges de l’orchestre ont été enlevés et nous avons reconstruit une sorte d’agora. Une grande toile indique Venise ou SaintPétersbourg. Ce sont ses intuitions, qui sont loin d’être faciles à réaliser car on pensait cela infaisable au départ, mais je trouve important de laisser de tels espaces de possibles. Plus personne ne veut produire des artistes comme lui, dit “difficiles”, en France. Ce qui est absurde : un grand artiste est, par définition, un peu difficile ! Ce sera une véritable expérience pour le spectateur, comme pour nous.

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théâtre

écrin de mots

© Benoît Linder

Les Actuelles, mini festival des Taps dédié à des mises en voix de pièces contemporaines, fête sa XXe édition. Initié par Olivier Chapelet, le déroulé de ces cinq soirées consacrées aux écrits d’auteurs vivants a évolué avec le temps. Le comité de lecture, dirigé par les artistes associés Aude Koegler et Yann Siptrott, sélectionne les textes que le duo attribue à un directeur de lecture (souvent comédien ou metteur en scène) et un musicien. Depuis quelques années, les élèves de l’atelier de scénographie de la Haute École des Arts du Rhin conçoivent l’espace, de la place du public à celle des interprètes et musiciens, avec pour contrainte de signer aussi trois ambiances lumineuses (entrée du public, lecture et débat). Chaque soirée se poursuit avec un long temps d’échange entre spectateurs, artistes et auteur durant lequel se savoure une création culinaire signée Olivier Meyer (chef du Kuirado), touche d’inspiration gustative en lien avec l’œuvre présentée. Notre coup de cœur cette année va à Delta Charlie Delta de Michel Simonot (24/03) autour de la mort de Zyed et Bouna, deux ados s’étant réfugiés dans un transformateur EDF par peur de la police en 2005. Puissant et touchant. (T.F.) Au Taps Laiterie (Strasbourg), du 20 au 24 mars taps.strasbourg.eu

en marge

Au Centre culturel Jean L’Hôte (Neuves-Maisons), vendredi 16 mars, au Théâtre Jacques Brel (Talange), samedi 17 mars, au Carreau (Forbach), mardi 20 mars dans le cadre du Festival Migration, au Centre culturel Pablo Picasso (Homécourt), mercredi 21 mars, au Centre culturel Jean Ferrat (Longlaville), vendredi 23 mars et au Théâtre municipal de Thionville, vendredi 6 avril ophelia-theatre.fr

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© Laurence Fragnol

Ils viennent des favelas de Recife au Brésil, sont des anciens enfants des rues du Togo ou de Marrakech. Ils ont fui les bombes syriennes et livrent, avec la rage et la colère de l’impuissance, un formidable cri du cœur balayant clichés et idées toutes faites. Tête haute, leur langue maternelle n’empêche pas de comprendre que la vie bruisse et nait au milieu de leurs gouffres amers. Que la douleur du monde n’est pas une fin. Que le partage rebat les cartes et nous unit au-delà de tous les possibles. Laurent Poncelet réunit ces corps débordant d’énergie brute, ces voix avides de dire, cette souffrance qui gronde sous la peau dans Les Bords du monde, pièce coup de poing mêlant danse, théâtre et rythmes gnawas, avec une touche de magie noire qui donne la chair de poule… (I.S.)



as tears go by Révélation du dernier festival d’Avignon, le Saïgon de Caroline Guiela Nguyen revisite avec pudeur 40 ans d’histoire de la diaspora vietnamienne par le prisme de petites gens. Par Thomas Flagel Photo de Jean-Louis Fernandez

Au Théâtre Dijon Bourgogne, du 6 au 9 mars tdb-cdn.com Au CDN de Besançon FrancheComté, mercredi 25 et jeudi 26 avril cdn-besancon.fr

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a cuisine est là, repaire des femmes, repère des anciens. S’y prépare le Pho pour réchauffer les cœurs, à Saïgon en 1956, comme à Paris en 1996 où la diaspora de Viet-kieû obtient enfin le droit au retour au pays natal. Une scénographie panoramique à la déco kitsch (avec cuisine ouverte, bar et alignement de chaises et tables en métal, podium pour karaoké) et aux lumières criardes touchant à l’obsession chromatique façon Wong Kar-wai avec lequel Caroline Guiela Nguyen partage un amour du silence dans la contemplation introspective gorgée d’émotions. Fille d’une Vietnamienne exilée en France et d’un pied-noir, elle signe un mélodrame débordant de larmes et de pudeur, de tristesse et de mélancolie, de renoncements et de vies balayées par l’histoire mais surtout, par de petits choix aux immenses conséquences nourrissant d’éternels regrets. Une tragédie commune à la France et au Vietnam, des dégâts d’une décolonisation forcée par la défaite en Indochine (la disparition des réquisitionnés de 1939 comme le fils de Marie-Antoinette, patronne du restaurant) aux chimères d’un pays riche offrant forcément un avenir meilleur (Linh rêvant d’Europe avec son amant, jeune soldat aussi paumé que mythomane). L’ancienne métropole est aussi un exil forcé pour échapper aux représailles des purs parmi les révolutionnaires qui se chargeront de punir les

accointances passées avec les anciens colons, à l’instar du jeune Hao qui eut le malheur de chanter en français dans ce restaurant pour gagner de quoi survivre. Le décor porte en lui ces paillettes clinquantes mais désuètes qui ne s’agitent que pour la fête du Têt, le karaoké apportant une mélancolie doucereuse à toutes les oreilles. La metteuse en scène, passée par l’École du TNS, croise les époques et la nostalgie de ceux qui se sont aimés et perdus. Avec une chronologie non linéaire, elle manie l’art du théâtre en faisant se télescoper morts et vivants, qui se font face sans se voir, se répondent sans s’entendre. Quatre heures dans les profondeurs intimes du drame de lignées coupées de leur histoire. Du Vietnam au 13e arrondissement de Paris, se donnent à ressentir leur culture du non-dit, vaine protection pour déracinés en mal de réponses, la vie cloisonnée de la communauté, les destins brisés et tus, les larmes incessantes. Ce récit choral déborde de sensibilité, de silences pesants marqués au fer rouge par l’absence de révolte d’êtres échoués depuis trop longtemps sur les rivages d’une vie subie après un périple involontaire. Incapable de prendre en main leur destin, submergés par la bile de la nostalgie et les remords aigres de l’écume de jours aussi heureux qu’anciens. Une génération perdue, murée dans la tristesse d’un silence insoutenable pour leurs descendants.


THÉÂTRE

au bout de la route Avec Bois impériaux1, le collectif Das Plateau nous embarque dans le road-trip hanté de la jeune auteure Pauline Peyrade. Une création peuplée de jeux optiques et de contaminations d’images. Par Thomas Flagel Photo de Flavie Trichet-Lespagnol

À La Comédie de Reims, du 15 au 23 mars lacomediedereims.fr dasplateau.net

1 Pièce précédée de Ctrl-X, publiée aux Solitaires Intempestifs en 2016 solitairesintempestifs.com 2 Lire notre article sur la création d’Il faut beaucoup aimer les hommes d’après le roman de Marie Darrieussecq dans Poly n°193 ou sur poly.fr

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u déclenchement de l’écriture, un fait divers à la Bonnie & Clyde. Celui de Florence Rey, étudiante en Lettres de 19 ans, et son compagnon Audry Maupin, braqueurs d’une nuit, lancés dans une course poursuite avec prise d’otages en plein Paris. Cinq personnes seront tuées. Outre les débats passionnés sur leurs motivations et la violence de leur geste façon Natural Born Killers d’Oliver Stone, la France de 1994 était frappée par le silence de la jeune fille, seule rescapée. La fascination pour son visage enfantin, pommette droite égratignée, entrait dans la légende. Pauline Peyrade s’imagine d’abord le couple continuant sa fuite. Le cocktail détonnant nuit, armes et voiture l’emmenant dans des contrées étranges. Son imaginaire le transforma en duo frère-sœur, aux échanges structurés par l’habitacle. S’égrènent les minutes, défilent les noms sur les panneaux de signalisation en parallèle des discussions hachées, et l’on comprend petit à petit que le frère, psychotique, est conduit dans une institution par sa sœur, qui se mue en objet de fantasme du téléphone rose pour ramener de quoi vivre. Une sorte de long plan séquence, très cinématographique, évoquant la folie et la détresse de la maladie. La difficulté de l’amour aussi. « Deux enfants perdus qui roulent dans une sorte de drame social façon frères Dardenne », explique Céleste Germe,

metteuse en scène séduite par « l’écriture vive, tendue, le suspens de thriller » dont on ne peut que taire l’intrigue. Pour ce conte sur notre monde laissant au bord de la route ceux qui peinent à conduire droit et rester dans les lignes, Das Plateau2 poursuit sa recherche de nouveaux modes narratifs, aptes à faire circuler le spectateur dans des sensations. Une sorte de palais des glaces mélangeant différents dispositifs optiques (diorama, pepper’s ghost, vitres et miroirs sans tain) fragmentent la réalité et diffractent l’espace, plongeant le spectateur dans des univers vertigineux façon Yayoi Kusama, avec apparitions de spectres et dédoublements infinis. Des abîmes rendant indémêlable la réalité des actions, renforcés par un travail sonore mélangeant le grain des voix et leur harmonie jusqu’à une troublante confusion. Énigmatique et mystérieuse se veut Bois impériaux, traversée du noir et de forêts peuplées d’éclats de rêves furtifs contaminés par des images invasives. Un trajet qui se termine devant le rayon bonbons d’une station service dans un rapprochement inconscient avec Hansel et Gretel. On y glisse avec la douceur d’un narcoleptique comme dans la brutalité d’un coup de frein. Ainsi en va-t-il de la vision kaléidoscopique de « l’extraordinaire beauté d’une jeunesse cassée par la violence du monde ».

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who’s next Accueillant 27 compagnies de 14 pays, Les Giboulées offrent un état des lieux de la création actuelle, fortement marquée par l’innovation technologique. Tour d’horizon, par genres, de la biennale internationale Corps-Objet-Image.

Par Thomas Flagel

Dans différents lieux de Strasbourg, du 16 au 24 mars tjp-strasbourg.com

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arionnettes à fils hautes comme une pomme, pantins augmentés et modélisés en 3D, matières mouvantes, jeux d’ombres et de surfaces triturant la réalité, robots et imprimantes 3D, installations monumentales dans l’espace public : l’édition 2018 des Giboulées portée par le TJP fait feu de tout bois.

Innovations technologiques 2.0. Bousculant les limites du spectacle vivant, Joris Mathieu1, invente le théâtre déambulatoire sans humains avec Artefact (17 & 18/03, Espace K, dès 14 ans). Dans cette fable en Fab Lab pour imprimantes 3D et bras articulé en guise de comédiens, les spectateurs munis d’écouteurs sont conviés à un dialogue futuriste entre un personnage et une Intelligence Artificielle désireuse de faire du théâtre. Ce ballet mécanique, mais 24

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non moins virtuose, rempli de sonnets de Shakespeare et d’absurde beckettien, réfléchit l’avenir de l’humanité à l’aune du développement technologique exponentiel. L’israélien Amit Drori livrera pour sa part le fruit de cinq années de développement de ses “Electro-Monsters”, singes robotisés peuplant Monkeys (16 & 17/03, TJP, dès 9 ans). Questionnant les limites du vivant, cette création mondiale explore l’anthropomorphisme de créatures qui s’aiment, se battent et se donnent la vie quand il ne vouent pas une adoration sans bornes à leur propre Dieu. Ces primates-androïdes auraient-ils autant d’humanité que nous ? Exploration de matières. Passé par l’Atelier de Scénographie des Arts déco strasbourgeois, Itzel Palomo crée, avec son frère Silvio, un solo


FESTIVAL

performatif aux frontières des arts visuels et du théâtre. Appel d’air (23/03, TJP, dès 12 ans) explore les méandres de la mémoire dans un étirement du temps. Sur écran translucide, il utilise des focus optiques et des effets de flou distanciant les souvenirs intimes qu’il y projette. Pantins de taille humaine, fruits géants aux couleurs vives et à la texture de piñatas évoquent une enfance qui demeure impalpable et impénétrable. Il plongera de l’autre côté du miroir, traversant cette mince frontière où se confondent réalité, souvenir et imaginaire grâce à une scénographie organique. Artiste choyé du TJP, le plasticien et performeur Tim Spooner signe son nouvel ovni, de concert avec la metteure en scène Anne Ayçoberry. The Pulverised Palace (22 & 24/03, TJP, dès 12 ans) se veut une exploration de la “maison de la poussière” décrite dans l’épopée de Gilgamesh. Un récit sumérien sur tablettes d’argile du troisième millénaire avant notre ère, pour partie effacé. L’artiste anglais s’intéresse à ce lieu proche des enfers et au cycle récurrent de la perte, par l’effondrement ou la destruction violente, de ce que les humains bâtissent. Singulières performances. LOIE FULLER: RESEARCH (17/03, Mamcs), qui orne la Une de Poly, est née de la fascination pour le potentiel cinétique et hypnotique des “Dancing Dress” inventées fin XIXe par la danseuse américaine Loïe Fuller. Plus d’un siècle plus tard, la chorégraphe polonaise Ola Maciejewska s’inspire de cette pionnière de la danse moderne et de ses immenses voiles amples qui tournoient en ondulations serpentines grâce à d’invisibles bâtons. Autre objet à la plastique intrigante, Floe (24/03, Parvis du Théâtre de Hautepierre), amas d’icebergs morcelés qui émergent dans l’espace public. Jean-Baptiste André explore cette œuvre scénographique conçue par le plasticien Vincent Lamouroux en confrontant son corps aux arrêtes anguleuses de blocs grandioses d’un blanc immaculé qui perturbent l’architecture environnante. L’onirisme évanescent de cet explorateur urbain du Grand Nord invite à une rêverie contemplative. D’étranges contrées il est aussi question dans Terres invisibles (23 & 24/03, TJP, dès 14 ans). Sandrina Lindgren et Ishmael Falke utilisent leur corps comme des paysages pour figurines miniatures, dont le parcours chaotique d’exil est filmé en direct par de mini-caméras. Bruits de combats, traque d’une famille dans des montagnes de genoux par un hélicoptère de la taille d’une boite d’allumettes, errance d’une embarcation de fortune sur une mer de ventre… Ce qui ressemble à jeu d’enfant conte les drames ordinaires de milliers de déplacés qui, tous, tentent de sauver leur peau.

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Croisements de langages. Dans Arde brillante en los bosques de la noche (20-22/03, Maillon-Wacken, dès 15 ans), l’argentin Mariano Pensotti construit une triple narration au récit emboité à la manière d’une poupée russe, recourant à autant de médiums : marionnettes à fils, théâtre et film. Nous y suivons le destin d’une professeure d’université enseignant la Révolution russe à Buenos Aires, une jeune femme s’engageant dans la lutte armée en faveur de la libération de prisonniers en Amérique latine et une journaliste de talk-show politique. Toutes sont reliées par la figure emblématique d’Alexandra Kollontaï, révolutionnaire soviétique et féministe. Reprenant les idées formelles de l’avantgarde russe (représentation du corps en conflit, dichotomie entre statut de spectateur et d’acteur de l’Histoire, contrôle politique du corps par le pouvoir), le metteur en scène invite à repenser l’héritage de la révolution de 1917 à travers la célèbre question de Lénine : « Que faire ? » Last but not least, Renaud Herbin présente Open the owl 2 (22-24/03, TJP, dès 10 ans), créée au dernier Festival mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières. Le directeur du TJP y met en scène les personnages miniatures d’une pièce de répertoire slovène de 1936. Il a confié à la romancière Célia Houdart une réécriture du récit original Sovji grad – Le Château des hiboux. Métamorphose, ruse, imposture dans une quête du pouvoir, la réalité des êtres s’y modifie sans cesse, à l’instar de l’espace d’un castelet minuscule qui s’ouvre et laisse voyager le spectateur, à son gré, dans une déambulation libre. Travellings latéraux et projections vidéo démultiplient les points de vue sur l’histoire et le regard de superbes marionnettes recréées d’après les originales.

Légendes 1. Arde brillante en los bosques de la noche © Dorothea Tuch 2. Appel d’air © Gauthier Sibillat

Le metteur en scène présente un autre de ses spectacles, au Granit de Belfort, voir page 34

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2 Lire Emportés par la foule, dans Poly n°201 ou sur poly.fr

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THÉÂTRE

infernal sunshine Dans Tentative de disparition dont elle signe texte et mise en scène, Charlotte Lagrange évoque la difficulté d’être au monde d’une idéaliste à travers les souvenirs de son compagnon.

Par Thomas Flagel Photos de Christophe Reynaud de Lage

À La Castine (Reichshoffen), mercredi 14 mars lacastine.com À La MAC Robert Lieb (Bischwiller), jeudi 15 mars mac-bischwiller.fr Au Château des Rohan (Saverne), jeudi 5 avril espace-rohan.org À La Saline (Soultz-sousForêts), vendredi 6 avril la-saline.fr scenes-du-nord.fr

1 Lire La Vague dans Poly n°162 ou sur poly.fr 2 Voir Au-dessous du volcan dans Poly n°182 ou sur poly.fr

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pparaître c’est rester un appât pour les êtres. La vie dans le monde et sa comédie humaine à jouer par tous. Son corolaire de masques et – d’insupportables – compromissions menaçant chacun de se perdre. Charlotte Lagrange poursuit un sillon de créations dans lequel l’intime se voit violenté par le politique et le collectif. Après l’engrenage de L’Âge des poissons1 et le poids des mécanismes de la dette comme de l’héritage familial d’Aux Suivants2, sa nouvelle pièce, toute en sensibilité, évoque l’impossible refuge dans la disparition. Celle d’Alice quittant Reza. Dans un superbe plan séquence où la lumière découpe et reconfigure une succession d’espaces, de lieux (appartement, jetée, club) et de temporalités, nous plongeons dans un long flashback hantant le jeune homme. Des accrocs de couple, insignifiants au premier abord, mais qui construisent un gouffre de désaccords profonds qu’il ressasse sans cesse, jusqu’à l’obsession. De leur rencontre au « Dégage », lâché à bout de nerfs, excédé par l’insupportable silence dans lequel sa compagne s’est lentement murée. Elle rêve d’une chimère, s’effacer pour ne plus porter en elle le néant de leurs existences dénuées de sens qui la happe comme un sable mouvant. Rythmé crescendo par la musique live de Samuel Favart-Mikcha, cette longue séquence fait rayonner les fidèles comédiens de la compagnie La Chair du Monde, Jonas

Marmy livrant avec dépouillement ses failles, sa tristesse et son amour dévorant pour Julie Palmier qui lui échappe, inexorablement. Charlotte Lagrange fait preuve d’une belle maîtrise, œuvrant par touches d’intensités dans une grande confiance au jeu et aux codes convoqués avec ses comédiens, lancés dans des boucles obsessionnelles, entre pragmatisme réaliste de l’un et bouffées d’indignation sur le sort des naufragés de la migration pour l’autre. Tout finit par éclater, troublant un peu plus le démêlage entre réalité et idées noires d’un espace mental. Extérieur nuit. Le sol laqué réfléchit les reflets de néons crus et un tapis de neige blanche en fond de scène découpe une ruelle dans laquelle erre Alice dont les vitres déformantes reflètent un fantôme incapable de repartir à zéro. En voix off, les messages laissés sur son répondeur par ses proches la culpabilisent autant qu’ils la raccrochent à sa condition. Les entendelle vraiment ? Ou s’imagine-t-elle, dans sa disparition intérieure, ce qu’ils pensent de sa fuite ? Est-on si sûr d’être sorti de la tempête sous le crâne d’un Reza, coincé dans un deuil impossible, fantasmant son parcours à partir des traces qu’elle éparpille, de l’Autriche à la Méditerranée ? Reste la pluie sur le visage, le vent sur la peau, le regard d’inconnus. Ce besoin inextinguible de l’autre pour exister, même dans un enfer…



space oddity Gaël Leveugle se jette à corps perdu dans Loretta Strong, monologue génial et grotesquement fou de Copi, qui met le corps d’une spationaute en pièces pour mieux nous l’offrir en pâture.

Par Thomas Flagel Photo d’Éric Didym

À l’Espace 110 (Illzach) dans le cadre des Régionales et de la Quinzaine de la danse (avec le concours de La Filature de Mulhouse), mardi 20 mars espace110.org lafilature.org culture-alsace.org

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aúl Damonte Botana, dit Copi, n’est pas qu’une icône gay morte du sida en 1987, chantre de l’irrévérence et de la provocation, du mélange des genres, du foutre et du rire poussé dans toute sa démesure. Sa Loretta Strong, il la jouait peint en vert, le sexe en rouge, ou encore habillé en sirène par Saint-Laurent dans une performance à plus ou moins long cours. Gaël Leveugle s’empare de cette histoire loufoque : une spationaute ayant assassiné celui qui l’accompagne tente de joindre la Terre au téléphone. Quelqu’un aurait oublié de brancher l’oxygène et voilà qu’une Linda lui apprend l’explosion de sa planète d’origine. « Copi s’attaque au corps dans toutes ses dimensions : viol par des hommes-singes, fécondation de Loretta par des rats et accouchement de ratons aux yeux saphirs », rappelle le metteur en scène / performer. « Elle s’enfonce des frigos par les orifices… Il assaille toute l’identité, lui qui vivait le drame du corps par l’exil de son argentine natale. Je pense qu’il est vital aujourd’hui, pour échapper au conditionnement de l’esthétique du marketing, de proposer une esthétique de l’expérience. » Totalement nu dans un cube aux arêtes métalliques, les

sons trafiqués par un logiciel algorithmique réalisant des boucles aléatoires, les motifs de lumière diffus malaxent le corps en rendant l’espace dense et complexe. Simple délire de junkie cyberpunk ? « Pas si simple, même si l’on retrouve des objets du quotidien de Copi dans le texte (frigo, anorak…) et qu’on connait son amour des psychotropes. Loretta Strong fonctionne comme un ensemble de dentelles et mantras qui explosent et se recomposent, une sorte de schizophrénie chimique jetant de soi sur un autre corps en divers éclats. Il nous invite à un carnage des horizons habituels de l’imaginaire collectif du corps me poussant à chercher à renouer avec un théâtre d’avant le diktat du naturalisme et de Stanislavski. Je cherche à proposer une autre expérience physique pour dépasser nos préjugés. » Altérer l’évidence, jeter le trouble, évoquer la mort, le désespoir, l’enfermement dans une valse en trois temps : un tableau vivant composé d’objets sous vide, Loretta tuant Steve Morton et les pétrifiantes impressions corporelles d’une chair traversée par les fantasmes d’un texte farcesque mais non moins fascinant.



THÉÂTRE

salauds de pauvres Dans Nénesse, un quatuor d’acteurs dirigé par Jean-Louis Martinelli s’empare de la scène de La Manufacture, plongeant le public dans une farce politique jubilatoire.

Par Cécile Walschaerts Photo de Pascal Victor

Au Théâtre de La Manufacture (Nancy), du 13 au 16 mars theatre-manufacture.fr

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iminué par un accident vasculaire cérébral, Nénesse, un ancien légionnaire, vit avec sa compagne Gina, au chômage. Afin de payer leurs impôts, ils décident d’installer un préfabriqué dans leur appartement et de le louer à deux sans-papiers pour 500 € par mois. Voilà le pitch d’une pièce terriblement cocasse mise en scène par Jean-Louis Martinelli qui s’attaque, une nou-

velle fois, aux mots d’Aziz Chouaki, un auteur qu’il a découvert lorsqu’il dirigeait le Théâtre national de Strasbourg dont l’écriture coup de poing déride les zygomatiques avec poésie et provocation. « La pièce regroupe tous les maux qui nous occupent, mais l’objectif est d’en faire une farce. Oui, les pauvres peuvent s’enrichir sur le dos des pauvres. Nénesse est une espèce de bouffon. Il a installé un container dans son appartement pour le louer à des sans-papiers et, bien sûr, l’histoire tourne mal », explique Jean-Louis Martinelli. Ce qui l’intéresse « est de mettre chacun face à ses propres ambiguïtés et à ses fermetures. Je crois qu’aujourd’hui le rire est extrêmement nécessaire. Il concentre toute la vitalité du théâtre et nous sauve du misérabilisme. Un auteur comme Aziz Chouaki nous renvoie à nous-mêmes dans un éclat de rire moquant nos travers. » Autour du personnage de « réactionnaire radical » de Nénesse, interprété par Olivier Marchal, Christine Citti est Gina, jadis amoureuse de lui, aujourd’hui condamnée aux petits boulots pour tenter d’assurer le quotidien. Hammou Gaïa incarne Goran, ancien boxeur, migrant en route pour Calais, tandis que Geoffroy Thiebaut tient le rôle d’Aurélien, devenu sans-papier faute d’avoir pu fournir l’acte de naissance de son père ayant fui la Russie de Staline. « C’est rare de rencontrer un quatuor d’acteurs comme celui-là. J’éprouve un réel plaisir à les mettre en scène, à les voir exercer leur art et à observer la jubilation du texte qui s’opère. C’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de monter ce texte, pour purger nos passions, pour aller regarder là où cela ne nous intéresse pas forcément. Nénesse a un côté fracassé. Il est un personnage en survie qui se raconte des histoires pour supporter le peu qui lui reste à vivre. Avec Gina, ce sont des “sans-dents”. Ils appartiennent à cette France que l’on ne veut pas voir », conclut Jean-Louis Martinelli.

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mémorial pour fracassés Dans sa nouvelle création, Emmanuel Meirieu s’intéresse aux Naufragés de Patrick Declerck. Un regard acéré et bouleversant, clinique et politique sur la condition des clochards. Par Thomas Flagel Photo d’Emmanuel Meirieu

À La Comédie de l’Est (Colmar), du 27 au 29 mars comedie-est.com Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation du 29 mars

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n collier antipuces pour chien au poignet. Un autre à la cheville. De la poudre contre la gale. De vieux vêtements sur lesquels il verse une bouteille de mauvais vin. Patrick Declerck a 26 ans lorsqu’il se prépare à s’immerger comme ethnographe dans le quotidien des marginaux et des SDF pour découvrir de l’intérieur leur quotidien et leurs conditions d’accueil dans les centres d’aide. Il passera 15 ans à les suivre de la rue aux hébergements d’urgence, créant et pratiquant la première consultation psychanalytique au Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre. Le plus gros de France. 750 lits, une morgue et un cimetière. « Il est allé au front comme un infirmier de guerre, proposant une médecine de riches – la psychanalyse – aux gens les plus en rupture de la société », raconte Emmanuel Meirieu, qui n’a « eu aucun mal à être convaincu » par le comédien François Cottrelle lorsqu’il lui a parlé de ce projet. Ensemble, ils travaillent l’adaptation du livre de Declerck, paru en 2002, mélange de descriptions cliniques, d’ethnologie, d’analyse des politiques mises en place et de témoignages de rencontres comme de moments de vie aux frontières du sublime et de l’insoutenable. « J’ai aidé à les soigner. Je pense en avoir soulagé plusieurs. Je sais n’en avoir guéri aucun » écrit-il sans ambages. Dans cette somme, le duo s’est attelé à construire une histoire linéaire où l’on suit un personnage pour lequel on redoute et

espère avec empathie. Le tout sans rien adoucir du propos. Ainsi suit-on l’enquête autour de Raymond, qui s’est laissé mourir à l’arrêt de bus situé à 15 mètres du Centre. Dans la peau du psychanalyste, François Cottrelle cherche son corps disparu qu’on ne trouve nulle part, découvre les étapes de sa clochardisation. Il comprend la responsabilité des travailleurs sociaux qui ont rêvé trop grand pour lui, dénonce le logiciel de la réinsertion et de la toute puissante valeur travail érigée en graal de la profession. « Je souscris à son attaque de la valeur sociale », assume Emmanuel Meirieu. « Il l’interroge à une époque où plus personne ne la met en doute. Sa démonstration est brillante sur une question pour le moins complexe. » La violence du désespoir saute à la gorge, comme celle du système, des flics qui ricanent devant des coïts avinés dans les bus de ramassage, aux gifles et aux coups des surveillants de Nanterre, jusqu’au « caractère saisonnier de l’aide humanitaire qui tue ». Le metteur en scène se défend de tout aspect pamphlétaire : « Declerck attaque les échecs et les impasses de l’institution, pas celle des individus, soignants et autres, pour lesquels j’ai moi-même le plus grand respect. Je ne recherche pas l’âpreté mais l’émotion et la compassion par la construction d’un écrin à cette matière humaine : des gros plans vidéos des comédiens projetés en grand ou de vraies images tournées au Centre. »

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théâtre

La nouvelle pièce de L’Amicale de production – dont vous avez pu découvrir Germinal et Un Faible degré d’originalité cette saison (voir Poly n°202 ou sur poly.fr) – se veut tout autant scénique que radiophonique. On traversera le pont une fois rendus à la rivière réunit trois médiums amateurs auto-proclamés techniciens cosmiques pour une traversée nécessitant la participation active du public confortablement installé chez lui, streamant une fausse radiodiffusion du spectacle ! Si personne ne joue le jeu à distance, les bûches électriques censées réchauffer les comédiens perdus en pleine cambrousse à proximité d’un vieux tracteur resteront éteintes. Mieux, certains de leur messages défileront sur un écran dans une interaction prenant d’assaut la représentation. Le “vrai” public ne sera pas en reste : il pourra composer un numéro et mettre son Smartphone sur haut-parleur, accepter (ou refuser) de participer aux invitation de Brigade, le personnage principal de cette virée aux confins des limites de l’implication du spectateur dans la construction d’une fiction lo-fi. Aussi tentante pour les uns – nous nous octroyons si peu le droit de sortir des codes de la représentation – que repoussante pour d’autres – suivre les consignes d’un comédien c’est encore obéir à des codes, simplement déplacés, mais bien peu bravaches. (T.F.)

© Simon Gosselin

power to the people

À La Scène numérique (Montbéliard), du 7 au 10 mars mascenenationale.com Atelier Web-Radio au Studio du Théâtre de Montbéliard, samedi 10 mars (11h-13h) Écoutez gratuitement le spectacle depuis chez vous et intervenez chaque soir de représentation en vous connectant à http://ontraverseralepont.com

neuf cercles Après avoir tourné autour de la Revue Macabre, Aurélien Richard poursuit son exploration des états de corps en s’inspirant de La Divine comédie de Dante et de l’incarnation possible découlant de sa lecture. Fasciné par les chemins menant à l’abandon, à la sensation de se perdre, sans pour autant se noyer dans l’abîme, il imagine une traversée des neuf cercles de l’Enfer comme autant d’épreuves chorégraphiques confrontées à des musiques et traversées par des figures féminines (Rita Hayworth, Bronislava Nijinska, Nana Mouskouri…). Ce qui devait être un solo de Mié Coquempot s’est mué en duo, activé par les dessins de Botticelli accompagnant le chef-d’œuvre de Dante. Le vocabulaire de gestes et de postures s’en trouve plus que nourri. Imbibé. Dévoré. Dévorant. Dévastateur. Jusqu’à l’os, dans les profondeurs de l’âme humaine, de sa souffrance à sa renaissance. (I.S.) Au Cirque (Reims), mardi 13 et mercredi 14 mars manege-reims.eu

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THÉÂTRE

les pieds dans l’plat Le théâtre à la sauce dijonnaise façon 26 000 couverts nous mène dans les répétitions d’un spectacle de rue – au titre indigeste – autour de la mort. Pourtant, aucun doute, vous en reprendrez une part…

Par Daniel Vogel Photos de Christophe Raynaud de Lage

Au Théâtre Edwige Feuillère (Vesoul), mardi 13 mars theatre-edwige-feuillere.fr Au Théâtre de la Madeleine (Troyes), jeudi 15 mars theatredelamadeleine.com Au Théâtre de la Rotonde (Thaon-les-Vosges), mardi 20 mars scenes-vosges.com 26000couverts.org

À

bien y réfléchir, et puisque vous soulevez la question, il faudra quand même trouver un titre un peu plus percutant / ou La sortie de résidence. Vingtsept mots pour le plus long de l’histoire des titres au théâtre, telle est la première facétie des 26 000 couverts, troupe qui depuis une vingtaine d’années défie les cadres imposés du spectacle vivant. Après avoir inventé le Premier championnat de France de n’importe quoi, la première Manif de droite en lien avec les attaques frontales contre le régime des intermittents en 2003, dynamité le shakespearien Beaucoup de bruit pour rien, tâté du music-hall avec L’Idéal Club, voilà qu’ils invitent le public à une vraie-fausse sortie de résidence. Ne vous inquiétez pas, pas d’alarme incendie au déclenchement intempestif, mais un florilège de situations pseudo improvisées tendance millième degré. Il y aura des morts stupides tirées de la vraie vie (dans un fast-food par exemple), d’autres liées aux légendes urbaines et aux superstitions collant aux basques des comédiens, des avatars de la grande faucheuse et des collages temporels

reliant cet autre monde que certaines cultures contemplent droit dans les yeux (des danses macabres du Moyen-Âge à la Fête des Morts mexicaine) et de l’impro, beaucoup d’impro. De la vraie et de la fausse, surtout de la fausse. Dans leurs costumes loufoques, les quatorze interprètes sont réunis pour la répétition d’un spectacle (qui est le spectacle en soi) de rue (il y est destiné même si nous sommes dans une salle). Leur manière à eux de parler de la liberté et de la vie, de créer un espace où s’amuser, se poser des questions avec simplicité et concrétude sans avoir peur de laisser les acteurs “nus” comme dans une véritable sortie de résidence avec des idées bricolées dans un produit non-fini demandant une fine écoute. Pour se rattraper au public comme ils peuvent, les 26 000 couverts recherchent sa complicité, le ferrent à grand renfort d’humour farouche et dévoilent tout ce qui est normalement tu et caché : les ficelles du jeu et des situations, le pastiche des genres (horreur, polar…), les désaccords au sein de l’équipe… Histoire de mettre tout le monde d’accord.

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THÉÂTRE

black mirror

Avec son fascinant théâtre optique et un dispositif sonore permettant trois versions simultanées de sa fable d’anticipation, Joris Mathieu signe Hikikomori – Le refuge : le présent d’un futur inquiétant. Par Thomas Flagel Photo de Nicolas Boudier

Au Granit (Belfort), mercredi 14 mars legranit.org

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C

omme dans Black Mirror, la dystopie technologique créée par Netflix, Joris Mathieu invente une époque pas si lointaine dans laquelle nous serions tous équipés de casques enregistrant l’activité cérébrale, permettant – rêve de toute dictature – de suivre à distance ce qui se déroule dans la vie de celui qui le porte. La dimension politique se joue dans une cellule familiale : Nils, jeune garçon vivant mal son adolescence, rentre chez lui, jette son casque sur la table du salon avant de s’enfermer dans sa chambre et de refuser d’en sortir. Ainsi débute Hikikomori – Le refuge, du nom de cette psychopathologie sociale dont la traduction du japonais signifie “repli sur soi”. Au lieu de se diriger vers sa chambre pour voir ce qui lui arrive, ses parents, inquiets, se jettent sur son casque abandonné, se connectant aux enregistrements de ses souvenirs. Cette incroyable absence de pudeur, le public est invité à la vivre au plus près. À l’entrée du spectacle, chacun a reçu, selon son âge, un casque audio diffusant simultanément trois histoires différentes. La voix de la mère guide les 8-10 ans dans un conte philosophique murmuré au pied de la porte de son antre sur les pas d’un enfant cherchant un refuge pour s’abriter des dangers du monde. Nils raconte aux 11-14 ans ses relations avec ses parents à cette drôle

d’époque où les fratries sont reliées par une sorte de cordon ombilical virtuel omniscient, empêchant toute intimité. La déconnexion et l’enfermement apparaissent alors comme la seule solution pour échapper au contrôle permanent et la conservation d’une certaine santé mentale, d’individualité et de liberté. Enfin, les plus de 15 ans vivent l’intrigue par l’expérience du père, l’un des derniers artisans d’une société hyper connectée. Face aux souvenirs de son fils, se mélangent réalité et fiction dans une perte des repères chère à tout amateur de psychotropes technoïdes et de SF débridée. Pour inviter le public à suivre ainsi des points de vue subjectifs, Joris Mathieu s’appuie sur une scénographie unique dans laquelle tout le monde voit la même chose sans que ce qui se joue n’ait le même sens. Cette triple contextualisation sonore porte en elle les germes d’une expérimentation critique de la communication familiale et « d’affrontements entre le monde commun, celui dans lequel nous vivons tous, et les mondes singuliers, ceux dont nous sommes les créateurs et aussi le centre » confie le metteur en scène. « Finalement, c’est la construction d’une société faite d’images et de communications nouvelles que nous étudions et surtout la place que ce monde réserve à chaque individu. » Si petite soit-elle…



DANSE

faire sienne Deux ans après Portland, l’enfant prodige de la danse espagnole, Marcos Morau, et sa compagnie La Veronal, sont de retour à Strasbourg avec Siena, pièce maîtresse d’un décalogue géographique initié en 2011.

Par Amélie Deymier

Au Maillon-Wacken (Strasbourg) du 27 au 29 mars (en partenariat avec Pôle Sud) maillon.eu pole-sud.fr laveronal.com

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L

a Veronal. Demandez à Marcos Morau pourquoi il a donné à sa compagnie de danse le nom d’un barbiturique, il vous répondra que c’est à cause du suicide de Virginia Woolf… Ainsi va la vie dans la tête de cet artiste trentenaire hyperactif, à qui l’on doit pas moins de 25 pièces en 13 ans. Dans Siena (2013), réflexion sur la représentation des corps de la Renaissance à nos jours, le Catalan imagine un espace muséal. Huit interprètes androgynes y évoluent en tenue d’escrimeurs devant La Vénus d’Urbin de Titien au format XXL. Lascive et imperturbable, elle regarde les spectateurs droit dans les yeux. Ici, tout est affaire de point de vue. Point de vue de cette femme qui regarde la Vénus au début du spectacle. Point de vue de l’homme qui observe la scène. Point de vue des danseurs et de leurs corps réels ou représentés, morts ou vivants. Sans oublier le point de vue d’un spectateur

résolument au travail, poussé à questionner sans cesse la nature de ce qu’il voit. « Let’s go look behind the painting » dit une voix de femme. Ironie poétique, Vénus disparaît pour faire place à une scène de funérailles toute en profondeur. Une fenêtre ouverte sur un autre monde investi par la troupe de danseurs-performeurs qui entre littéralement dans le tableau, mettant ainsi en question la tension entre le réel et sa représentation. Une déconstruction du rapport que l’Homme entretient avec lui-même, son corps et son image. Le tout rythmé par une bande son dans laquelle l’opéra italien et les airs folkloriques appuient des atmosphères hitchcockiennes. Qu’est-ce que l’Art ? Comment le regarde-ton ? Dans cette pièce créée en Italie, avec pour muse la ville de Sienne, l’art plastique devient vivant… ou inversement.


© Arthur Pequin

© Julian Mommert

sélection scènes

2

1

Rien à aborder Dans cette première création commune, les chorégraphes Abdoulaye Konaté et Myriam Soulanges retracent la rencontre entre leurs corps, leurs parcours, leurs gestuelles. Ils donnent forme à ce moment primordial où tout est possible, dans un duo qui exprime opposition, symétrie et union. Dans le cadre de la saison des Régionales. 10/03, Salle polyvalente (La Broque) 16/03, Relais culturel Pierre Schielé (Thann) 27/03, Le Brassin (Schiltigheim) culture-alsace.org

Zvizdal Le collectif Berlin livre le portrait poignant d’un couple d’octogénaires continuant de vivre non loin de Tchernobyl depuis la catastrophe (voir Poly n°204 ou sur poly.fr). 13 & 14/03, Kaserne (Bâle) kaserne-basel.ch

15/03, Théâtre en Bois (Thionville) nest-theatre.fr

Aphrod(it) Entre théâtre et danse, un comédien s’empare des paroles de Sarah Kane et d’Angelica Liddell sur le genre et sur l’amour : qu’est-ce qu’être aimé ? Comment aimer ? Et avec quel corps ? Comment dépasser les notions de féminité et de masculinité si parfaites que l’on nous propose comme modèles ? 16/03, Salle Europe (Colmar) salle-europe.colmar.fr

Les Amours d’Alexandre et de Roxane / Don Juan Gluck est à l’honneur avec deux ballets présentés dans des chorégraphies signées Laurence Bolsigner-May. 16-18/03, Opéra-Théâtre (Metz) opera.metzmetropole.fr

Jeanne de Songe L’histoire d’une costumière renommée, héritière d’une bobine de fil d’argent. Dans son atelier, tout en travaillant, elle aime s’inventer des histoires à dormir debout : elle anime ses costumes, des objets et s’en amuse. Dès 6 ans. 14/03, Espace Rohan (Saverne) espace-rohan.org

Respire La respiration est le fil rouge de ce spectacle de cirque jeune public réunissant un acteur, un acrobate et une pianiste dont les improvisations inspirent des envols, comme un défi à l’équilibre et à notre sérénité. 19-22/03, L’Espace (Besançon) scenenationaledebesancon.fr

Le Pas de Bême L’Objecteur de Michel Vinaver a inspiré ce spectacle au metteur en scène Adrien Béal. Autour d’une aire de jeu vide, dans un dispositif quadrifrontal intégrant les spectateurs, se déploie l’histoire d’un adolescent qui, sans raison apparente, ne rend à ses profs que des copies blanches. 14-16/03, Le Réservoir (Lunéville) lameridienne-luneville.fr

La Bonne éducation

au nid pour une représentation… avant un nouveau départ en tournée.

The Great Tamer

(1)

À la découverte du cirque onirique du chorégraphe star Dimitris Papaioannou : les corps deviennent des champs de bataille, interagissent avec des matières premières, se fondent en êtres hybrides, donnent naissance à des illusions d’optique. 29/03, Grand Théâtre (Luxembourg) theatres.lu

(2)

Dépoussiérant Labiche, la mise en scène signée Jean Boillot créée en octobre 2016 (voir Poly n°191 ou sur poly.fr) revient Poly 207

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la vie devant a Dominique A sort deux albums en 2018 : un électrique suivi d’un intimiste. Rencontre avec celui qui ressent un pincement au cœur lorsqu’il songe à cette période où il avait Toute Latitude, « toute la vie, aucun engagement d’aucune sorte ». Par Emmanuel Dosda Photo de Vincent Delerm

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ans son livre Regarder l’océan (Stock, 2015), il voit « un trait de soleil s’infiltrer et se diffuser sur une portion de mur » de sa maison de vacances : un souvenir d’enfant de dix ans qui l’a « retourné », « plus jamais quitté »… et qui revient sous forme de « grains de poussière phosphores-

cents » observés sur un sentier dans Désert d’hiver, titre de Toute Latitude. Un phénomène naturel insignifiant, un « micro-événement » capable de fasciner un gamin… moins un grand gaillard ayant une dizaine d’albums à son actif, une riche carrière derrière lui et bien des rejetons dans le domaine de la chan-


musique

comme une nostalgie trop tenace. Les nouvelles compos d’A rappellent le synthétique La Fossette (1992) et font écho à ses débuts, surtout lorsqu’il parle de La Mort d’un oiseau auquel il semble avoir désiré couper le sifflet. « Je n’ai pas voulu tuer Le Courage des oiseaux », se défend-il face au cadavre de la pauvre bête à plumes. Il ne faut pas souhaiter le mort de ses propres tubes… « J’avais envie de raconter une histoire simple sur un petit riff presque malien, de glisser cette réflexion un peu naïve sur l’idée de faire le mal, sans métaphore ni affect. » Mais avec une froideur eighties, glaciale comme un couplet de Joy Division. Un même frisson frisquet nous envahit quand Dominique A, dans un registre spoken word, invite ses hôtes à visiter un Corps de ferme à l’abandon appartenant à un satire « qui passait ses nerfs sur ses vaches, sur ses fils et sur le commis qui vivait audessus de l’étable ». Gosse, il traînait dans ce lieu puant et effrayant avec ses copains, avant d’écouter Police en boucle et de décrypter la pochette du 45 tours de Can’t Stand Losing You montrant un pendu sur un bloc de glace, dans un « cynisme new wave ». Il a adopté le chant / parlé, parfois susurré, sur un bon tiers du disque, sacrifiant ainsi la mélodie afin que l’attention de l’auditeur se pose sur le texte et les textures sonores, les rêverb’ et échos de voix. Le grain.

son made in France. Sa jeunesse s’est envolée avec sa faculté d’émerveillement devant les choses simples. L’époque où il prenait le temps de contempler l’infiniment petit est révolue et son regard s’est « déplacé ailleurs », confie l’auteur de La Mémoire neuve (1995). Pourtant, en écrivant, ses sensations passées « reviennent à la surface », preuve qu’elles n’ont pas été totalement « diluées dans [s]es souvenirs ». Le morceau Toute Latitude, gorgé de mélancolie, est le titre le plus évident, le plus « mansetien, voire souchonien » de l’album. Une chanson, à écouter sous la douche le matin ou le soir dans le vent glacé, qui baigne dans la lumière rassurante d’une période révolue avant de plonger dans un passé mystifié, inquiétant comme un sombre sous-bois, dangereux

Le premier morceau de Toute Latitude s’intitule Cycle et ça n’est pas un hasard : le disque est né d’une envie de revenir à l’électricité, « de rouvrir une porte » vers La Fossette et ses sonorités synthétiques, de s’éloigner un temps des instruments nobles, des cordes et du « format chanson ». Cycle utilise d’ailleurs un réemploi, une mélodie auto-plagiée datant de l’époque de Vers des lueurs (2012). Rien ne se perd, tout se transforme pour le musicien sortant un album selon une « vraie régularité, un rythme immuable », tous les deux ans à la même période, en contrebraquant en fonction du précédent. Pour « casser le cadre » et sortir de la routine, Dominique A édite deux albums cette année, chacun accompagné d’une tournée : avec son groupe dans des clubs et salles rock pour le premier, en solo acoustique dans des théâtres ou autres lieux feutrés pour le second. Deux facettes d’un musicien qui « assume ce tiraillement », revendiquant la nécessité de se « décentrer ».

Toute Latitude (sortie le 9 mars) et La Fragilité (sortie le 5 octobre), édités par Cinq7 cinq7.com dominiquea.com

Au Moloco (Audincourt), vendredi 30 mars lemoloco.com À La Philharmonie de Paris, samedi 14 et dimanche 15 avril philharmoniedeparis.fr À La Laiterie Strasbourg, jeudi 31 mai artefact.org

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MUSIQUE

qu’est-ce qu’on attend pour foudre le feu ? Costard trois pièces, large cravate et petites moustaches, Feu! Chatterton a customisé la chanson française de Ferré avec un premier album gouailleur et accrocheur. Le quintet livre sa suite en citant Christophe, la trap music et le krautrock orageux. Entretien avec Arthur Teboul, chanteur.

Par Emmanuel Dosda Photo de Sacha Teboul

À L’Autre Canal (Nancy), vendredi 16 mars (avec Catastrophe, dans le cadre de Fair : Le Tour) À Den Atelier (Luxembourg), samedi 17 mars À La Rodia (Besançon), mercredi 4 avril (dans le cadre de Fair : Le Tour) Au Bataclan (Paris), du 9 au 11 avril Au Noumatrouff (Mulhouse), vendredi 27 avril À La Laiterie (Strasbourg), mercredi 16 mai À La Vapeur (Dijon), jeudi 17 mai

Édité par Barclay (sortie le 9 mars) universalmusic.fr

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J’ai dû avoir recours à mon Petit Robert de 1993 pour trouver la définition du titre de votre nouvel album, L’Oiseleur. Ce choix ne va pas aider à vous défaire d’une image rétro qui vous colle à la peau… Vous exagérez, je suis sûr que la réponse est sur Wikipédia ! L’oiseleur est en effet un métier oublié : le chasseur d’oiseaux n’est pas forcément malveillant, cherchant à capturer les volatiles pour les soigner. Il s’agit d’un titre évocateur, à l’image de nos morceaux qui décrivent des paysages aux contours flous, ouverts aux divagations des auditeurs. Beaucoup sont traversés par un oiseau qui symbolise l’instant fugace qu’on essaie de capter. Il peut s’agir d’une forme, d’une couleur, du parfum d’un figuier ou d’agrumes…

retrouver un bon rythme intérieur. Avec cet album, nous avons construit un refuge, rejoint une terre promise. Votre hargne se diluant dans l’alcool ou votre noyade dans un regard profond : ce disque est une bouffée d’air où l’élément liquide est très présent. Pourquoi ? J’ai écrit les textes le long de la Méditerranée, notamment à Naples : l’album ressemble à une cartographie avec jardins, volcans et ruines. C’est une île qui a encore beaucoup de secrets, un lieu fantasmé, un eldorado du Sud où se côtoient l’amour et la mort, les vagues échouant sur la plage et les alignements de crânes du cimetière des Fontanelle.

Qu’est ce que L’Oiseau foudroyé sur le troisième morceau ? Sur un rivage italien, après un orage, j’ai vu un pigeon titubant. Il était en train de mourir et m’a fait éprouver une réelle et étrange tendresse pour lui. J’ai interprété cette vision de manière mystique : que fait ce type d’oiseau au bord de la mer ? Pourquoi ce volatile transpercé par les rayons du soleil m’apparaît-il avec ses blessures mises en pleine lumière ? L’album parle de l’absence, des béances que l’on ne voit pas, mais qui sont présentes partout et cet animal mourant m’évoque cette idée.

Comme sur votre premier long format, votre voix reste au premier plan, mais la musique et les textures semblent être le fruit de recherches et expérimentations, surtout à l’écoute de La Fenêtre, presque kraftwerkien… Nous avons ressenti une réelle frustration à la sortie de notre premier album, n’étant pas allés au bout de nos ambitions au niveau du son. Il a fallut prendre le temps de se perdre. « Let’s Get Lost » comme dirait Chet Baker. Notre quintet a, par exemple, longuement appris à apprivoiser de nouveaux instruments comme le synthétiseur : une vraie jouissance, une ouverture vers d’autres possibles !

L’Oiseleur est-il une ode à l’errance, à l’oisiveté ? Exactement, nous avons commencé à tourner bien en amont de la sortie d’Ici le jour (a tout enseveli), fin 2015. Durant cette période d’action nous tentions de maintenir nos têtes à la surface et avons ressenti le besoin de

On songe toujours à Ferré et Aznavour lorsqu’on écoute votre disque, mais aussi à Christophe, voire à Orelsan, avec L’ivresse, son phrasé hip-hop, sa production… Avant Feu! Chatterton, nous faisions du rap au lycée ! Sur L’Oiseleur, nous voulions déli-


bérément réaliser un titre trap, façon Young Thug ou Migos, avec une boîte à rythmes TR808 et des sons vaporeux actuels. C’est notre culture ! L’Oiseleur a été enregistré à Paris, pour prendre le pouls de la ville, mais il ressemble davantage à « une trouble

rêverie » qu’à un recueil de chansons réalistes… C’est un compliment, merci ! Notre précédent album racontait un incendie, un naufrage, une relation humaine de manière assez factuelle tandis qu’ici, nous nous sommes attachés à l’infime et impalpable vibration qui peut tout faire basculer. Poly 207

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musique

bach to techno Francesco Tristano accompagne sur scène le légendaire pionnier de la techno, Derrick May, avec l’Orchestre national de Lorraine. Le musicien luxembourgeois confie sa passion pour « la vibration », une main sur son piano, l’autre branchée sur 220 volts.

Par Emmanuel Dosda Photo de Francesco Tristano par Marie Staggat

Derrick May, l’ONL, Francesco Tristano et Dzijan Emin, à la BAM (Metz), samedi 24 mars trinitaires-bam.fr orchestrenational-lorraine.fr Derrick May, à La Laiterie (Strasbourg), samedi 17 mars artefact.org

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vec son dernier album, Piano Circle Songs, Francesco Tristano est retourné à ses premières gammes, aux blanches et aux noires. À la mélancolie d’un Debussy ou d’un Ravel. Signé sur le label electro InFiné (Rone, Bachar Mar-Khalifé ou Aufgang), le jeune homme a édité l’an passé un disque sans boîte à rythmes, 100% piano, chez Sony Classical. Un album solo, comprenant quelques duos et même un… Monologue for Two avec le trublion Chilly Gonzales. Le disque “tourne” autour de la notion de cercle, « la forme géométrique la plus parfaite », avec sa ritournelle mélodique revenant comme un leitmotiv. Un LP apaisé, éloigné des dance-floors, intimiste, enregistré avec des micros posés au plus près des cordes, où l’« on entend le claquement des ongles sur le clavier ». Francesco, qui cherchait à « ame-

ner l’auditeur dans l’instrument », évoque « une expérience sensorielle » à l’exemple de Third Haiku, voulu comme « une calligraphie se déroulant, un pinceau dessinant un idéogramme ». Piano Circle Songs est une parenthèse enchantée et impressionniste dédicacée à ses trois jeunes enfants ayant rempli le rôle de premiers spectateurs : une mélodie vibrante reprise en chœur par le trio de bambins = une bonne idée à garder. Bien dans son époque, Francesco Tristano passe de la moiteur des clubs à Deutsche Grammophon, des basses puissantes aux notes de John Cage, des synthés et boîtes à rythmes à l’épure pianistique. Bizarre, vous avez dit bizarre ? « Bach est très présent dans ma vie, j’en joue chaque jour et m’incline devant ce qu’on nomme “la mélodie infinie” à


son sujet. » Selon Francesco, le nerd du clavecin, très au fait des avancées techniques, n’est rien moins que « l’inventeur de la techno » ! Les frontières s’effritent (ceux qui ont assisté aux récentes prestations de Nils Frahm comprendront) et le Luxembourgeois vénère autant les Variations Goldberg de Gould que les compos minimalistes du berlinois Moritz von Oswald, la « pop star » Mozart que le raver Jean-Séb’, Jeff Mils, Richie Hawtin que Carl Craig dont il a ré-agencé quelques titres pour être interprétées par l’orchestre Les Siècles dans une version symphonique. Le résultat se nomme Versus et c’est passionnant. Francesco Tristano a récemment collaboré avec un autre géant de la techno : Derrick May. La transcription de ses « tubes » fut cette fois réalisée par Dzijan Emin, chef macédonien atypique à « l’énergie balkanique » qui s’est

saisi de compositions répétitives, faites de boucles, pour les traduire, sans les trahir, en langage symphonique. À Metz, l’Orchestre national de Lorraine entrera en scène pour « une grande fête » néo-classique rassemblant une centaine de musiciens, le « charismatique » Derrick May aux synthés et claviers et Francesco Tristano au piano qui jouera « librement », n’hésitant pas à s’« échapper de la structure ». La techno, musique un temps méprisée car jugée « destinée aux gays et drogués », suit un chemin identique au jazz, « musique d’esclaves et d’alcooliques », et devient fréquentable, allant même jusqu’à pousser la lourde porte de palais réservés à Mahler, Beethoven ou Wagner. Les cloisons tombent, l’émotion demeure.

Piano Circle Songs, édité par Sony Classical sonyclassical.com

Versus de Carl Craig (avec Francesco Tristano), édité par InFiné infine-music.com

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festival

à vos bretelles ! En deux décennies, Le Printemps des Bretelles est devenu l’un des plus grands festivals de France consacré à l’accordéon, pas uniquement celui des bals populaires, mais de tous les genres et univers musicaux. Par Cécile Walschaerts Photo de Sylvain Gripoix (Les Fouteurs de Joie) À L’Illiade et dans plus d’une vingtaine de lieux (IllkirchGraffenstaden), du 16 au 25 mars printempsdesbretelles.com

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C’

est une tradition. Avec le retour des beaux jours, le Printemps des Bretelles s’empare de la région de Strasbourg. À Illkirch-Graffenstaden, restaurants, bars, hôtels, clubs sportifs… sont à la fête, accueillant des musiciens, professionnels et amateurs, et des spectateurs nombreux, puisqu’ils étaient plus de 12 000, l’année passée. Créée à l’initiative de Jean-Louis Kircher, directeur de L’Illiade, la manifestation redonne une place de choix à un instrument hybride qui peut débarquer dans le pop-rock,

le jazz, la musique classique et le plus souvent… là où nous l’attendons le moins. Au fil des années, l’événement est devenu un exigeant dénicheur de pépites – Claudio Capéo s’y produisait dans les bars avant de combler les Zéniths de France – et a su créer une véritable dynamique auprès des aficionados de l’accordéon ou des jeunes, qui se remettent à pianoter l’instrument à soufflet. « Après vingt ans, nous nous sommes bien sûr posés la question du renouveau du festival », explique Élodie Morlaes, qui a participé à la programmation 2018 au sein de l’équipe de L’Illiade. « L’idée a été d’explorer nos archives et de reprendre la longue liste de celles et ceux que nous avions accueillis pour monter une exposition inédite. Elle proposera des photographies, des documents ou des partitions que le public ne voit jamais. L’envers du décor et l’histoire de l’instrument se dévoilent. » Parce que l’accordéon se joue partout, de l’Amérique du Sud à l’Europe de l’Est, en passant par l’Irlande ou le Maghreb, la programmation du Printemps offre un incroyable bain de jouvence multiculturel et déjoue les idées reçues. On y trouve notamment les néerlandais d’Amsterdam Klezmer Band qui brassent la tradition musicale instrumentale des Juifs ashkénazes avec le rock ou le jazz, des représentants de la nouvelle scène française avec le groupe Debout sur le zinc aux rythmes rock, tziganes et orientaux, l’intimité acoustique et poétique des Fouteurs de joie, mais aussi de la variété avec Florence Absolu. Citons également une carte blanche à l’Académie musicale de France et la présence du colombien Antonio Rivas et du dominicain Joaquin Diaz en soirée d’ouverture, avec le groupe bavarois Heimatdamisch. « Nous voulons représenter tous les styles musicaux et, pour cela, nous nous déplaçons chaque année dans de nombreux festivals, en restant curieux et en faisant parfois des paris osés sur des groupes ou des musiciens aux influences multiples », résume-t-elle.


la valse à trois temps Menuet consiste en la répétition d’une même histoire trois fois, vue sous des angles différents. À partir du roman de Boon, le compositeur Daan Janssens et le metteur en scène Fabrice Murgia ont créé une tragédie intimiste. Par Hervé Lévy Photo de Kurt Van der Elst

Au Maillon-Wacken (Strasbourg), mercredi 14 et jeudi 15 mars maillon.eu Au Grand Théâtre (Luxembourg), mardi 20 et mercredi 21 mars theatres.lu

Un des plus grands écrivains d’outre-Quiévrain à qui l’on doit notamment Le Chagrin des Belges. Lire Mort d’un vieux lion solitaire dans Poly n°132 ou sur poly.fr

1

2 Voir Poly n°155 ou sur poly.fr. Lisez d’autres papiers sur des pièces de Fabrice Murgia, Le Chagrin des ogres (Poly n°133), Daral Shaga (Poly n°171) et Children of nowhere (Poly n°177)

«J

e ne connaissais pas Louis Paul Boon, écrivain belge s’exprimant en néerlandais », admet le metteur en scène Fabrice Murgia : « Lorsque le compositeur Daan Janssens m’a passé son roman Menuet, j’ai été subjugué par un auteur de la trempe d’Hugo Claus1. » Scrupuleusement respectée par le metteur en scène, la trame narrative ressemble à une valse à trois temps faite d’autant de monologues narrant la même histoire prenant, chacun, un point de vue différent : celui d’un homme travaillant dans une cave frigorifique, de sa femme, devenue une ménagère dont il se désintéresse de plus en plus, et d’une très jeune bonne qui l’excite. Rappelant les protagonistes de plusieurs de ses précédentes pièces, Ghost Road2 ou Exils, ces personnages « sont dans une profonde solitude au milieu de la société. Le sort de chacun se joue dans un court moment de vie. Ils se livrent à une introspection, plongeant au plus profond de leur être, en explorant les recoins les plus sombres. » Sur ces trajectoires humaines – avec une dramaturgie signée de la directrice du Maillon Barbara Engelhardt –, Daan Janssens a composé une

partition où les voix chantées expriment les monologues intérieurs, dans laquelle il mêle des instruments aux sonorités graves (hautbois, contrebasse, etc.) à quelques touches électroniques. « Menuet débute avec l’histoire de l’homme. Elle se répète avec un autre point de vue. Chaque fois, des éléments d’information nouveaux sont apportés aux spectateurs », explique Fabrice Murgia pour qui l’enjeu a été de rendre cette histoire à trois reprises : « Les ambiances sont différentes, le décor change avec la perspective. L’homme, par exemple, est assis sur son canapé et n’en bouge guère. » La vidéo ponctue les scènes faisant découvrir des êtres évoluant « aux frontières de la normalités. Leurs discours chantés sont des perceptions intérieures. On découvre ainsi un type attiré par les faits divers morbides et collectionnant les coupures de journaux. D’une certaine manière cela le remet dans une norme : constater que son voisin a tué quelqu’un et l’a découpé en morceaux lui fait penser qu’il est lui-même normal. » Poly 207

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dans le labyrinthe À l’Opéra de Dijon, Philipp Himmelmann installe Simon Boccanegra dans la contemporanéité. Entretien avec le metteur en scène allemand autour du chef-d’œuvre de Verdi oscillant entre histoire d’amour et intrigue politique.

Par Hervé Lévy Photo de répétition de Gilles Abegg / Opéra de Dijon

À l’Opéra (Dijon), du 14 au 22 mars opera-dijon.fr La pré-générale de Simon Boccanegra est ouverte gratuitement aux étudiants, samedi 10 mars (sur inscription) Rencontre avec les artistes à l’issue de la représentation du dimanche 18 mars

Aida à la Deutsche Oper am Rhein, Don Carlos à la Staatsoper de Berlin, Macbeth à la Semperoper de Dresde… Verdi est un de vos compositeurs préférés. Qu’aimez-vous chez lui ? Le caractère théâtral de sa musique est extraordinaire, conférant à l’action une dimension nouvelle et un caractère éminemment dramatique. Si ses œuvres de jeunesse sont très “spectaculaires”, celles que vous citez permettent de plonger au plus profond des personnages, la musique possédant ainsi une grande dimension psychologique. Et l’on retrouve cela dans Simon Boccanegra. Pour vous, quel est le thème principal de l’opéra : l’amour ou le politique ? Les deux sont aussi importants l’un que l’autre. Simon combat avant tout pour son amour au début de l’opéra, mais, au fond, essaie de trouver un nouveau sens à sa vie dans l’action politique, en tentant de réconcilier une Italie déchirée. Sa volonté première est d’oublier la mort de son aimée, Maria. Cet événement est le noyau de toute l’action… Absolument ! Il est le point de départ de tout.

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Sans lui, il ne se serait rien passé, ce qui n’est pas toujours compris lorsqu’on regarde Simon Boccanegra : alors, nous le montrons de manière très forte, avant que l’opéra commence et y faisons sans cesse référence, au fil des actes. Dans quel cadre avez-vous installé l’opéra ? Nous avons construit un palais aux murs impénétrables dans lequel on ne sait jamais qui est derrière la porte, dans lequel il n’y a aucun espace privé. Dans ce monde où tout est public, il n’existe aucune retraite possible. Ce décor semble figé et solide, mais il est mouvant. C’est un labyrinthe, mais un labyrinthe toujours en mouvement qui ne laisse aucun espace pour respirer et qui, au final, interdit de sortir. Un autre thème de votre mise en scène est la mer… Elle est un espace de nostalgie pour Simon – un ancien marin – qui aspire à y revenir : en cela, les flots sont toujours présents. Il se tourne vers eux comme dans un rêve éveillé, cherchant un lieu où disparaître.


FESTIVAL

big in japan L’Opéra national du Rhin organise la première édition, consacrée au Japon, du pluridisciplinaire Festival Arsmondo. Sa directrice, Eva Kleinitz nous en dévoile l’esprit et la programmation.

Par Hervé Lévy Photo de Klara Beck

À l’Opéra, au Cinéma Odyssée, à l’Université, etc. (Strasbourg) et à La Filature (Mulhouse), du 2 mars au 15 avril festival-arsmondo.eu operanationaldurhin.eu Rencontre avec Le chef Paul Daniel et le metteur en scène Amon Miyamoto, à la Librairie Kléber (Strasbourg), mardi 20 mars à 18h librairie-kleber.com

Comment est née l’idée d’un festival dont l’objet consiste en une exploration artistique d’un pays ? Strasbourg est une ville où il y a tant d’institutions culturelles fortes que j’avais envie de renforcer les liens existant entre elles et, en même temps, je souhaitais montrer que l’opéra ce n’est pas que l’Europe. L’événement permet aussi de rappeler qu’il s’agit d’un art pluridisciplinaire ne se limitant pas au chant et à la musique. Ce voyage au Japon ressemble à un petit souffle de printemps. Vous avez choisi de présenter Le Pavillon d’or, opéra de Toshiro Mayuzumi (21/03-03/04, Opéra de Strasbourg, 13 & 15/04, La Filature de Mulhouse) adapté du roman de Yukio Mishima : que pouvez-vous nous en dire ? Au centre de l’opéra, il y a un jeune moine bouddhiste qui met le feu à un temple de

Kyoto, le Pavillon d’or. Le chœur, second protagoniste essentiel, va prendre plusieurs positions : il est dans sa tête, le poussant à ce geste fou, mais commente aussi ce qui se passe. La musique d’essence cinématographique – au bon sens du terme ! – rappelle souvent Stravinsky ou Strauss auxquels seraient rajoutés des instruments typiquement japonais, comme le shakuhachi. Autour de cet opéra, comment s’est construite la programmation ? Nous avons installé un dialogue avec nombre d’acteurs culturels autour du Japon, programmant, par exemple, un concert de l’Ensemble Linea (28/03, Opéra) autour de la création contemporaine nippone, un festival de cinéma à L’Odyssée, un colloque dédié à Haruki Murakami (Université, 15 & 16/03). Nous aurons aussi un concours de cosplay sur la scène de l’Opéra (25/03) : cela permettra d’attirer de nouveaux publics. Souvenons-nous de l’année passée et du concert de métal ! Le lien est manifeste en outre avec nos ateliers, puisque tous les participants réalisent eux-mêmes leurs costumes. Vous avez aussi invité la “diva des townships”, Pumeza Matshikiza (22/03, Opéra)… Elle nous propose un véritable tour du monde avec Venezia de Reynaldo Hahn, les Canciones Clásicas Españolas de Fernando J. Obradors, des chansons populaires sud-africaines ou encore In Heaven’s River, pièce aux accents japonais de Benjamin Kahn et Judith Charron. C’est un récital pour les oreilles curieuses ! Quel est votre coup de cœur au sein de la programmation ? Je suis très impatiente de voir Fil blanc de la cascade (10/03, L’Odyssée), un film muet de Kenji Mizoguchi donné avec la musique live de Misato Mochizuki qui a créé une partition pour l’accompagner. Poly 207

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festival

so french En partenariat avec le Palazzetto Bru Zane, L’Arsenal nous fait plonger au cœur du XIXe avec cette deuxième édition de son Voyage musical au siècle romantique à la tonalité très française. Au menu, une soirée Lalo / Brahms / Beethoven (avec son Triple Concerto pour violon, violoncelle et piano interprété par les trois virtuoses que sont Lena Neudauer, Xavier Phillips et François-Frédéric Guy) en compagnie de la Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken Kaiserslautern dirigée par Christoph Poppen (23/03). Pour le reste, le programme est 100% français avec une soirée Gounod gothique (24/03) en compagnie de Hervé Niquet et du Chœur de la Radio flamande et Plaisirs d’amours (25/03). L’occasion de découvrir le timbre chaleureux, la belle présence scénique et la voix d’or de la soprano Sandrine Piau (accompagnée par Le Concert de la Loge dirigé par Julien Chauvin) dans des pièces de Massenet, Saint-Saëns, Bizet, Ravel, Dubois, Duparc ou encore Godard placées sous le signe de Cupidon. (H.L.)

Sandrine Piau © Sandrine Expilly / Naïve

À L’Arsenal (Metz), du 23 au 25 mars arsenal-metz.fr

berlin calling

Sir Simon Rattle © Monika Rittershaus

Un feu d’artifice de musique avec près d’une trentaine de rendez-vous : tel est le menu du dernier Festival de Pâques auquel prendra part Sir Simon Rattle qui quittera la direction des Berliner Philharmoniker – aujourd’hui dans le Top 3 des orchestres de la planète – à la fin de la saison, remplacé par Kirill Petrenko. Pour ses adieux il a choisi Parsifal, ultime opéra de Wagner (24 & 30/03 et 02/04) et quintessence du génie du compositeur, présenté dans une mise en scène de Dieter Dorn avec, comme à l’accoutumée, une distribution de très haut niveau. Autre rendez-vous opératique, La Finta giardiniera de Mozart sera donnée dans la bonbonnière du Théâtre (25 & 28/03 et 01/04). Pour le reste, les grands noms s’alignent comme à la parade dans une prog’ cumulant les superlatifs avec le pianiste Krystian Zimerman (27/03 & 01/01), la mezzo Elīna Garanča dans les Sieben frühe Lieder de Berg (25/03) ou encore les chefs Daniel Harding (26/03) et Iván Fischer (31/03). What else ? (H.L.) Au Festspielhaus (Baden-Baden), du 24 mars au 2 avril festspielhaus.de

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sélection musique DRAME et sa transe dramatique et Human Fly pour un set aussi la flippant que La Mouche de Cronenberg ! 28/03, Les Trinitaires (Metz) trinitaires-bam.fr

Chloé 2 La DJette a fait danser les filles et les garçons au Pulp parisien, travaillé pour le ciné ou offert des relectures de Steve Reich. Endless Revisions, son troisième album, sorti sur son label Lumière Noire, est une expérience immersive dans les profondeurs d’une electro deep qu’on a hâte de découvrir en live.

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Musique de nuit Sous la baguette d’Hartmut Haenchen, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg donnera la Symphonie n° 7 “Chant de la nuit” de Mahler. 01 & 02/03, PMC (Strasbourg) philharmonique-strasbourg.eu

29/03, La Laiterie (Strasbourg) artefact.org 2

© Alexandre Guirkinger

Bagarre Dans son (fight) club, le collectif arty mixe techno gabber et rap fracassé. Aïe, Bagarre cogne dur, fort et entre dans le game en distribuant claques et gnons en béton armé à tous ceux qui restent accoudés au bar. Il va y avoir des morts sur le dance-floor… Préparez les civières ! 08/03, La Laiterie (Strasbourg) – artefact.org 29/03, La Vapeur (Dijon) – lavapeur.com 10/04, La Cigale (Paris) – lacigale.fr

Hair Ambiance flower power à Karlsruhe : Let the Sunshine In ! 11-20/03, Badisches Staatstheater (Karlsruhe) staatstheater.karlsruhe.de

Orchestre de Paris Un top chef (Daniel Harding) et Antoine Tamestit, altiste au zénith pour le Concerto de Jörg Widmann : voilà alléchant menu complété par des pièces de Schumann. 12/03, La Philharmonie (Luxembourg) philharmonie.lu

Un Bal masqué La femme aime d’un amour interdit. Mais une herbe magique va peut-être pouvoir sauver la mère, racheter l’épouse : tel est le résumé de cet opéra de Verdi mis en scène par Waut Koeken. 25/03-05/04, Opéra national de Lorraine (Nancy) opera-national-lorraine.fr

Zombie Zombie 1 Soirée carpenterienne en perspective avec une fantastique affiche mêlant Zombie Zombie et son electro-kraut-SF, Poly 207

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© Xbo

la mort lui va si mal Dans le cadre des Rencontres de l’illustration de Strasbourg, Central Vapeur convie les plus valeureux à pénétrer Dans les coulisses de la Grande Dévoreuse.

Par Emmanuel Dosda

À Maison de la Région (Strasbourg), du 15 au 30 mars grandest.fr iahmesetlagrandedevoreuse. blogspot.fr centralvapeur.org

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exposition de la Maison de la Région présente de manière didactique la (longue) démarche de Claire Sichez et Marine Rivoal, auteures d’un court-métrage qui nous plonge dans l’Égypte ancienne et dans l’Au-delà : Iâhmès et la Grande Dévoreuse. Les créatrices se sont inspirées du Livre des Morts, réalisant d’abord une série de gravures, point de départ à un film de quatorze minutes (produit par Xbo) ayant nécessité quatre ans d’un minutieux travail artisanal et rassemblant une trentaine de techniciens ! Ce bijou animé en stop-motion, conçu en papier découpé, conte l’histoire d’un

garçonnet de dix ans refusant son tragique destin, l’opposition du pauvre Iâhmès face à la Grande faucheuse. Technique de l’image par image, réalisation des différents pantins et du décor, mise en place du story-board : l’expo dévoile tous les secrets de fabrication de ce court-métrage, diffusé pour l’occasion. 3e Rencontres de l’illustration de Strasbourg (avec le Salon Central Vapeur à la Salle de la Bourse, Tom Gauld au Musée historique, expo de dessins de Vincent Vanoli à la Bibliothèque de l’ESPE, BATTLESTAR V, affrontement live entre illustrateurs à coups de dessins au Star Saint-Exupéry), du 15 au 25 mars strasbourgillustration.eu



exposition

signes Le Frac Alsace invite à contempler des Phénomènes naturels rassemblés en une exposition belle comme une aile d’oiseau déployée, commissionnée par Felizitas Diering, sa nouvelle directrice.

Par Emmanuel Dosda

Au Frac Alsace (Sélestat), jusqu’au 27 mai culture-alsace.org

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ancienne directrice de la manifestation trinationale d’art contemporain Régionale nous présente sa première expo au Frac, entre une monumentale photographie en noir et blanc de Balthasar Burkhard – une Aile de faucon en gros plan – et une Demi-lune de Marc Couturier semblant luire dans un ciel zébré de nuages. Elle a pris

ses fonctions il y a une poignée de semaines à peine et, pour se familiariser avec une vaste collection, a parcouru les rayonnages des réserves avant de définir une thématique dédiée aux Phénomènes et mêlant des artistes considérés comme des observateurs qui « regardent leur environnement, étudient le réel et subliment la nature ». Nos contem-


exposition

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porains voient des images en permanence, un coucher de soleil sur Instagram ou un sommet montagneux sur Facebook. Felizitas Diering place ici le public face à « la matérialité » des phénomènes, à travers une sélection d’œuvres exposées de manière « muséale » afin qu’elles puissent « respirer », se répondant sans empiéter l’une sur l’autre. La visite commence avec la série Natural History Part I – Mushrooms de Cy Twombly, mêlant techniques de l’estampe et du collage. Des planches scientifico-poétiques qui introduisit à merveille l’exposition car faisant directement écho aux cabinets de curiosités, « à l’origine de la collection », et soulignant « l’interdépendance entre nature et culture » en combinant coupes de champignons et représentations de sujets picturaux classiques comme Léda et le Cygne. Il s’agit d’une des premières acquisitions du Frac Alsace, en

1983 : un habile clin d’œil à ce qui n’est pas un ensemble poussiéreux d’œuvres rangées dans de sombres réserves, mais « un écosystème vivant »… parfois fragile, s’il s’agit du travail de Jan Fabre. L’homme de théâtre et plasticien fasciné par les métamorphoses kafkaïennes, les insectes à carapace et la « méticulosité flamande », a lié un sacrum humain et une verticale composée de multiples scarabées agglomérés les uns aux autres, signifiant que le coléoptère, « mémoire de la terre », fait partie d’une espèce très résistante présente bien avant l’Homme. Phénomènes invite à l’humilité. Confronté à l’infiniment grand ou au microscopique, il faut se faire tout petits devant une nature intimidante, notamment un étrange paysage lunaire, une image cosmique – mais trompeuse – de Pierre Savatier, des planètes dans l’immensité galactique… s’avérant être une constellation de minuscules Gouttes d’eau agrandies. L’exposition impose la modestie. Si un homme ne peut pas déplacer une montagne, la nature si ! Ainsi Adrien Misika a réalisé une vidéo (Sailing Stones) documentant un étrange phénomène du parc national de Death Valley, en filmant de lourdes pierres posées sur un lac asséché en une série de plans fixes. Seule la poussière se soulevant lorsque souffle le vent permet de remarquer qu’il ne s’agit pas de photos, mais d’images en mouvement. Nous ne voyons pas les roches bouger, mais les longues marques laissées derrière elles, comme des traces de reptiles sur un sol sableux. Comment est-ce possible ? Farce ? Fake ? Œuvre de land art ? Miracle ? Muettes, Agnès, Barbara, Brenda, Laura et Marie (les petits noms affectueusement données aux gros cailloux) ont bien des secrets qu’elles refusent de nous livrer.

Légendes 1. Pierre Savatier, Gouttes d’eau (grande) #2, 2002, Collection Frac Alsace 2. Adrien Missika, Sailing Stones, 2011, Collection Frac Alsace

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une histoire de familles Delphine Harrer entraîne le visiteur sur la Banquise : à Colmar, elle a rassemblé une étrange galerie de portraits où s’ébattent esquimaux et explorateurs polaires, mais aussi macaques, freaks et autres tatoués.

Par Hervé Lévy Photos de Mathieu Bertola

À l’Espace d’Art Contemporain André Malraux (Colmar), du 24 mars au 27 mai colmar.fr delphineharrer.com Depuis 1996, L’Espace d’Art Contemporain André Malraux est un lieu d’exposition lié à l’École municipale d’Arts plastiques de Colmar qui ouvre ses portes au public samedi 17 et dimanche 18 mars

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ne citation de Beuys pour accueillir le visiteur, comme un incipit donnant quelques clefs d’une exposition rétrospective consacrée à Delphine Harrer, ancienne pensionnaire des Arts déco de Strasbourg (1987-1992), où ses maîtres furent Claude Lapointe et Roger Dale : « Je n’ai jamais été d’avis que le stade de notre civilisation doive être jugé négativement. Je me détourne, certes, mais je cherche également à élargir ce qui existe en le faisant éclater vers l’avant. De cette façon, de vieux contenus mythiques redeviennent actuels. » Voilà le point de départ d’une installation

picturale occupant tout le rez-de-chaussée de l’Espace d’Art Contemporain André Malraux. L’artiste strasbourgeoise a reconstitué le camp de base d’une expédition polaire avec tente années 1930, lit pliant, bottes fourrées, accumulation de bouteilles d’eau, carnets, échantillons scientifiques, etc. Fascinée par l’arctique et l’antarctique, Delphine n’y a pas (encore) été mais a eu envie d’y plonger le visiteur. Il n’y a pas âme qui vive. L’endroit semble abandonné. Est inquiétant. Les présences humaines ? Il faut les chercher sur les murs, où sont accrochés d’immenses tableaux de deux mètres par un représentant quatre


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esquimaux, Tyee (le vieux chef), Wakiza (un guerrier d’une trentaine d’années), Tala (une femme dont le patronyme signifie louve) et Nita (un enfant au sexe encore indéterminé). Le visiteur découvre également l’équipe scientifique au grand complet, le guide (Amarok), le capitaine du bateau, un scientifique ou encore un technicien, dont les noms n’étaient pas encore déterminés lors de notre rencontre. Dans ses portraits sont perceptibles les influences majeures de la plasticienne, d’Egon Schiele à Tim Burton, et sa jubilation à « dessiner des poils et des cheveux. Ces lignes, ces hachures me fascinent : quand je les fais, je suis dans un état méditatif. ». Et là elle a été servie ! De sacrées tignasses et des manteaux velus ornés d’immenses cols en fourrure forment un univers chaleureux qui s’oppose au froid ambiant… Avec ces portraits polaires, Delphine Harrer a imaginé une nouvelle famille qui vient s’ajouter à celles – dont chaque membre a été pourvu d’un petit nom – qu’elle avait déjà mises au monde. Cette rétrospective peuple l’espace d’exposition, au premier étage. Ils sont tous

là. Le visiteur croise ainsi les Tatoués (2015), corps vieillissants ornés de bouquets multicolores, de dragons de yakuzas ou de phrases plus ou moins poétiques. On y retrouve des silhouettes connues, l’Abbé Pierre ou William S. Burroughs, et d’autres, anonymes : « Je crée des personnages, mélangeant des gens existants que je croise tous les jours au café, et d’autres que j’ai inventés. Ma tête est une immense banque d’images. » Se découvrent également quelques Tibétains (2017), des catcheurs et autres lutteurs des Années folles (2013) ou encore la série Barnum (2012) oscillant entre univers du cirque et Freaks version Tod Browning : Igor le géant sympa mais vaguement inquiétant, Joséphine Boisdechene, la femme à barbe, Rita & Greta, les sœurs siamoises ou encore les lilliputiens Hans et Frida. Notre (gros) coup de cœur ? Les Monkeys (2015) : Felicity, Glenn, Peter et les autres. Inspirés de La Planète des singes, les macaques, représentés sur fond bleu, qui évoquent curieusement Bernard Buffet, sont d’une élégance folle avec leurs costumes classieux, robes sexy et autres fume-cigarette. Humains, tellement humains.

Je crée des personnages, mélangeant des gens existants que je croise tous les jours au café, et d’autres que j’ai inventés. Ma tête est une immense banque d’images.

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maîtres anciens Avec (Re)naissances, l’artiste alsacien Pierre Gangloff investit l’Abbaye des Prémontrés : quelque cinquante peintures, dessins et gravures invitent à un voyage entre hier et aujourd’hui. Par Hervé Lévy

À l’Abbaye des Prémontrés (Pont-à-Mousson), jusqu’au 15 avril abbaye-premontres.com Pierre Gangloff exposera d’autres œuvres par la suite à la Forteresse de Châtel-surMoselle (01/09-01/11) et au Musée du Pays de Hanau de Bouxwiller (12/09-12/11) pierre-gangloff.fr

Légende Le Jugement de Salomon, 2013 © Abbaye des Prémontrés

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i on peut le dire, pourquoi s’embêter à le peindre ? » Pierre Gangloff nous accueille avec la célèbre phrase de Francis Bacon, belle définition de son credo et clef d’entrée dans un univers où, bien souvent, les corps rappellent curieusement la solitude métaphysique des œuvres du Britannique. Au fil des années, des médiums (allant de la cendre à la terre, en passant par les traditionnels acryliques ou huiles) et des supports – « Jamais de toile ! Trop molle et flexible, mais des matières qui résistent, papier, bois, acier rouillé… » –, il a tissé des liens étroits avec de grands textes (L’Énéide, La Divine comédie…) et l’histoire de la peinture, dialoguant dans ses compositions avec Rubens, Grünewald, Géricault (Le Radeau de la Méduse l’obsède), Lodovico Carracci et sa saisissante Flagellation de 1590, Delacroix ou encore Poussin. « Je me suis forgé à leur contact », explique ce complet autodidacte : « Arpenter le Louvre, il n’y a pas mieux pour vous fouetter les sens et l’esprit. » Comme certains compositeurs, il extrait un fragment d’une toile préexistante, le fait passer par un processus de décontextualisation / recontextualisation pour qu’il renaisse sous une autre

forme. Du “modèle” on retrouve une élégante réminiscence picturale, une trace transfigurée. Depuis longtemps, Pierre Gangloff a délaissé les murs immaculés du white cube des galeries pour s’emparer d’endroits où le passé s’est stratifié. Il affectionne les surfaces d’exposition pleines d’aspérités qui entrent en résonance avec celles de ses œuvres : « Le lieu de l’accrochage est primordial, il faut que quelque chose se passe entre l’espace et le tableau », explique-t-il. Dans l’Abbaye, le visiteur croise des figures bibliques (un vibrant et inquiétant Jugement de Salomon), des personnages mythologiques (séduisantes Amazones dont les “marges symphoniques” sont emplies de personnages jaillissant du néant comme dans les eaux-fortes de Félix Buhot) ou des héros historiques. À cette dernière catégorie appartient Léonidas aux Thermopyles : dans la composition du peintre installé à Reichshoffen, on reconnaît bien celle de la célèbre toile de David, mais tel un alchimiste il a transmuté la rigide peinture d’histoire en étonnante évanescence, lui (re)donnant vie d’une nouvelle manière.


exposition

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violent playground Replacer Jean-Michel Basquiat dans un contexte culturel plus large : tel est l’objet de Boom for Real, ambitieuse exposition présentée à Francfort. Par Hervé Lévy

À la Schirn Kunsthalle (Francfort-sur-le-Main), jusqu’au 27 mai schirn.de

Légendes 1. Jean-Michel Basquiat, 1981 © Licensed by Artestar, New York 2. Rammellzee vs. K-Rob par JeanMichel Basquiat, ‘Beat Bop’ 1983, Vinyl record and slip cover, Collection de Jennifer Von Holstein © VG Bild-Kunst Bonn, 2018 & The Estate of Jean-Michel Basquiat, Licensed by Artestar, New York

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ne centaine de pièces pour retracer une trajectoire météorique. Existence brisée, un jour de 1988, à 27 printemps. Overdose. Même pas dix ans de carrière. Il est paradoxal de découvrir des œuvres nées dans (et de) la rue sur les cimaises immaculées d’un musée. Une exposition consacrée à Jean-Michel Basquiat ressemble néanmoins toujours à un coup de poing à l’estomac. Organisée thématiquement, celle-ci – réalisée en coopération avec le Barbican Centre de Londres – met en lumière le contexte dans lequel ses travaux ont vu le jour et comment ils ont été reçus. À côté des toiles se découvrent en effet dessins, carnets de notes, films, photographies signées Henry Flynt des graffs politiques réalisés à la fin des seventies avec Al Diaz sous le pseudo SAMO© ou encore musiques comme l’album hip-hop Beat Bop qu’il a produit en 1983 sur son label Tartown avec K-Rob et Rammellzee. Tout cela rappelle que l’artiste ne fut pas que peintre, mais aussi performer, acteur, poète, DJ ou musicien, jouant de la clarinette et du synthé au sein de Gray. Le visiteur plonge ainsi dans une époque et un univers : la scène underground post-punk de Lower Manhattan.

De (très) grands formats grouillants de créatures squelettiques et grimaçantes, des frigos peints (Fun Fridge, 1982), des toiles rafistolées, des planches de palissade comme support ou alors un morceau de métal de plus de deux mètres où est inscrit, à la bombe, « NEWYORK NEWAVE » (ici montré pour la première fois depuis 1980), le génial King Zulu (1986) où éclate son amour de la zik : Basquiat s’empare d’un matériau brut pour créer une imagerie qu’on croirait sortie d’un cauchemar d’enfant. Derrière cette mythologie urbaine criarde pointe une violente attaque contre l’univers bourgeois, même s’il fut rapidement reconnu par le monde de l’Art, sous l’impulsion notamment de son ami Andy Warhol (avec qui il bossa dans des œuvres à quatre mains comme Arm and Hammer II où se côtoient leurs deux esthétiques). Ne fut-il pas, par exemple, le plus jeune participant à la Documenta de Kassel en 1982 aux côtés de Joseph Beuys, Anselm Kiefer, Gerhard Richter et Cy Twombly ? Basquiat récupéré ? Peutêtre. Même si sa puissance de feu ironique et sa pulsation vitale rendent à jamais cette fascinante figure de l’underground… irrécupérable. Poly 207

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expériences artistiques Dans The Live Creature, la commissaire Soledad Gutiérrez rassemble plusieurs plasticiens autour des connections possibles entre éducation et pratique artistique. Par Raphaël Zimmermann Photo de Sébastien Bozon

À La Kunsthalle (Mulhouse), jusqu’au 29 avril kunsthallemulhouse.com Workshop d’Aimée Zito Lema, samedi 17 mars (10h-13h, gratuit sur inscription)

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vec pour référence le livre de John Dewey, L’Art comme expérience paru en 1934 – le titre de l’exposition en est issu – Soledad Gutiérrez désire explorer le lien entre expériences du quotidien, de quelque nature qu’elles soient, et expériences esthétiques dans la réception ou la création d’une œuvre plastique. Le philosophe écrivait en effet qu’il importe de « montrer que les théories qui isolent l’art et l’appréciation qu’on en a en les plaçant dans un monde à part, coupé de tout autre mode d’expérience, ne sont pas inhérentes à son contenu même, mais apparaissent en raison de diverses conditions. » Dans The Live Creature, la commissaire a ainsi souhaité présenter différents types de projets : les premiers « explorent les liens entre l’éducation artistique et la pratique de l’art ». Ainsi Other Ways d’Allan Kaprow, ici réactivé (où des élèves et leurs profs sont conviés à travailler à partir de happenings) ou Object of Learning / Subject of Study, installation d’Anna Craycroft aux enjeux multiples évoquant une salle de classe colorée.

Autre piste de réflexion, « l’artisanat comme moyen de se référer au monde ». Dans les œuvres de Teresa Lanceta, la dichotomie caricaturale entre art populaire et art pur – dont la ligne de partage passe par le caractère “utile” ou non de l’objet produit – vole en éclats : avec ses somptueuse pièces tissées se rencontrent techniques ancestrales des femmes de l’Atlas et discours conceptuels. Le parcours se poursuit avec une réflexion sur « le corps comme sujet de transmission » (Score for Mother and Child, fascinantes vidéos d’Aimée Zito Lema montrant une chorégraphie entre une mère et sa fille) et « l’influence de l’environnement urbain qui nous entoure » avec White Paper : Land, Law and the Imaginary d’Adelita Husni-Bey. Un questionnement critique sur la notion juridique de propriété aux Pays-Bas, en Égypte et en Espagne visant à montrer la toute puissance de la spéculation immobilière qui broie les droits humains les plus élémentaires. Chaque œuvre exposée interroge ainsi le visiteur, le poussant à en disséquer les enjeux.



black power Idées révolutionnaires et volonté d’auto-détermination, La Chambre présente un florilège de photos prises par Stephen Shames à partir de 1967 dans l’intimité des Black Panthers. Par Thomas Flagel Photo de Stephen Shames lors des funérailles de George Jackson à Oakland le 28 août 1971, courtesy Steven Kasher Gallery

À La Chambre (Strasbourg), du 3 mars au 15 avril la-chambre.org Projection de Free Angela and All Political Prisoners de Shola Lynch au cinéma Star (Strasbourg), vendredi 2 mars à 20h30

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ctobre 1966. Malcolm X est déjà tombé sous les balles à Harlem. James Brown chante Say it loud, I’m black and I’m proud et la ségrégation raciale vit ses dernières heures légales. Le Black Panthers Party for Self-Defense porté par Bobby Seale et Huey P. Newton allait marquer les esprits. Art du look et de la mise en scène : bérets noirs et longues vestes de cuir. Armes visibles et patrouilles de surveillance des agissements de la police pour mettre fin aux brutalités et aux bavures. Coupe afro et fierté noire. Après la tentation du retour en Afrique de Marcus Garvey, la voie de la non-violence de Martin Luther King et l’égalitarisme dénonçant la violence raciale de l’impérialisme d’un Malcolm X bien décidé à ne pas tendre l’autre joue, c’est à Oakland que naissent les Black Panthers. Stephen Shames est alors un jeune étudiant de 19 ans. Introduit par Bobby Seale, il documente à sa manière le foisonnement de cette organisation que le pouvoir américain et le FBI ont tenté de discréditer en la noyautant de l’intérieur, en emprisonnant ses cadres et intellectuels quand elle ne les éliminait

pas (Fred Hampton, George Jackson…). De nombreuses photographies témoignent des marches et manifestations de protestation au son des « Free Huey » et « Free Angela » Davis dont la silhouette, coupe afro et harangue le poing levé traverse, depuis, les époques. Trop souvent réduit à ses démonstrations de force, armes au poing, ses atours martiaux et ses collusions avec des voyous, le Black Panther Party défendait activement un programme social et politique réclamant liberté et justice pour tous, qu’elles soient politiques ou économiques. L’ancrage tant social qu’éducatif ajouté à la volonté de donner un cadre à une communauté pauvre et délaissée se retrouvent dans le regard de Stephen Shames qui passa sept années à leurs côtés : déjeuners gratuits pour les enfants, programme de distribution de nourriture et d’habits aux plus pauvres, cours dispensés aux afro-américains… Au cœur de la folie des sixties, entre guerre du Vietnam, mouvement hippie, déferlement de drogue, libération de la femme et explosion des carcans familiaux, ils voulaient donner le pouvoir au peuple.



EXPOSITION

Un parcours dans toute la cité et ses environs en 45 lieux d’exposition – de la galerie au centre commercial, du restaurant à la Maison de la Région – accueillant 80 artistes. Voilà défini l’esprit de la deuxième édition de Strasbourg art Photography, manifestation 100% gratuite organisée par le très dynamique Ryo Tomo. Structuré en plusieurs sections thématiques (La Vie des gens, Les Mains, etc.), l’événement est l’occasion découvrir une intense diversité de propositions, artistes du coin que l’on connaît bien (le dark universe de Benoît Linder, les expérimentations de Valérie Graftieaux…) comme photographes du monde entier. Parmi eux, les clichés humanistes de l’algérienne Nora Zaïr, le saisissant journal de voyage de Gianni Giosue dans les zones touchées par le tsunami qui a frappé le Japon en 2011 ou encore la

aux sources

Une centaine de pièces sont regroupées pour mettre en lumière un aspect mal connu de l’œuvre de Pierre Paul Rubens (1577-1640) : sous-titrée La Force de la métamorphose, cette exposition explore en effet l’univers artistique qui inspira un peintre dont sont montrés 31 toiles et 23 dessins. Ses influences vont de la sculpture antique – avec un marbre romain représentant un centaure à l’air sauvage, chevauché par un mignonnet Cupidon – aux artistes bien connus, comme Titien (avec une extatique représentation de Vénus et Adonis) et Tintoret, ou oubliés, tel Hendrik 62

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© Benoît Linder

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série Consolation de la canadienne Melissa Decaire. Notre coup de cœur ? Les images mécanistes, glacées et répétitives de Pierre Ferrenbach. (H.L.) Dans tout Strasbourg, du 1er au 31 mars strasbourg-artphotography.fr

Rubens, Tête de Méduse, 1617 / 1618 Kunsthistorisches Museum de Vienne © KHMMuseumsverband

Goltzius. Le visiteur entre dans l’atelier d’un créateur qui dialogue avec ses prédécesseurs (mais aussi ses contemporains) : il connaît leurs œuvres, les a étudiées… et les transfigure dans des compositions éminemment personnelles. En témoigne la confrontation de toiles au nombre desquelles figure une saisissante Tête de Méduse, un Jugement de Pâris aérien, tout en délicatesse, ou une frappante Mise au tombeau du Christ. (H.L.) Au Städel Museum (Francfort-sur-le-Main), jusqu’au 21 mai staedelmuseum.de


sélection expos

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Abraham Bloemaert, Cupidon visitant Psyché la nuit, vers 1590, MNHA © MNHA / Tom Lucas

Courbet et la Fédération des artistes sous la Commune Avec des œuvres de Courbet et des membres de la Fédération, des documents d’archives et des témoignages de Communards, voilà un aperçu de cet essai de refondation de l’administration des musées, de l’enseignement de l’art et des commandes publiques. Jusqu’au 23/04, Musée Gustave Courbet (Ornans) musee-courbet.fr

Vous me rappelez quelqu’un Cette première proposition signée de la nouvelle directrice des lieux, Fanny Gonella, est un prologue permettant de faire connaissance. Elle prend la forme d’une rencontre entre deux entités : la collection du Frac et son dernier projet présenté en Allemagne, où elle dirigeait la Künstlerhaus de Brême. Jusqu’au 17/06, Frac Lorraine (Metz) fraclorraine.org

Overlay Une exposition hors les murs de la Synagogue de Delme : des artistes se laissent traverser par l’univers singulier de la cristallerie pour produire des œuvres qui lui font écho. Jusqu’au 18/06, La Grande Place, musée du cristal (Saint-Louis-lès-Bitche) cac-synagoguedelme.org

L’Univers des figurines Sont rassemblées plus de 2 500 pièces réparties dans une trentaine de décors : soldats de papier, plomb, bois ou étain, mais également célèbres Playmobil, moins connus Play Big ou Lego. Jusqu’au 09/09, Musée du Jouet (Colmar) museejouet.com

Drama and Tenderness

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Karin Sander, Identities on Display, 2013

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© Tom Gauld / Éditions 2024

Exposer l’exposition

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Cette mise en abyme permet une belle réflexion sur la notion d’exposition avec un retour en arrière, un état des lieux de la situation présente et un regard vers l’avenir. 02/03-17/06, Kunsthalle (Baden-Baden) kunsthalle-baden-baden.de

Robots et autres accidents

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Avec son humour so british, Tom Gauld croque le monde qui l’entoure en jouant à saute-moutons entre les époques et les genres. 16/03-29/04, Musée historique (Strasbourg) musees.strasbourg.eu

Du Grand Tour au tour opérateur Une présentation qui fait la part belle aux malles et autres nécessaires de voyage du XVIIIe siècle à nos jours, évoquant aussi les différents circuits touristiques depuis le “Grand Tour” jusqu’à la démocratisation du tourisme. 17/03- 29/12/2019, Musée du bagage (Haguenau) museedubagage.com

John Hilliard Depuis plus de quarante ans, il développe une démarche conceptuelle qui remet en question les normes du langage et les pratiques photographiques, interrogeant le processus de fabrication des images. 21/03-19/05, La Filature (Mulhouse) lafilature.org

Hans Geisen À la découverte du trait acerbe du caricaturiste helvète qui œuvra au sein de la Basler Zeitung. 24/03-17/06, Cartoonmuseum (Bâle) cartoonmuseum.ch

Sous-titrée Flemish, Spanish and Italian Art of the Baroque, cette confrontation passionnante mêle des œuvres d’artistes flamands comme Rubens, Van Dyck et Jordaens avec des maîtres espagnols et italiens dont Murillo, Ribera ou encore Zurbaran (entrée libre). Jusqu’au 01/10, MNHA (Luxembourg) mnha.lu Poly 207

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GASTRONOMIE

danse macabre

À partir d’un épisode qui s’est déroulé au début du XVIe siècle, Jean Teulé a écrit Entrez dans la danse : sur la piste des “ravers” fous de Strasbourg ! Par Hervé Lévy Photo de Vincent Muller

Paru chez Julliard (18,50 €) lisez.com/julliard Une exposition sur ce phénomène débutera en octobre au Musée de l’Œuvre Notre-Dame (Strasbourg). Une flash mob est prévue dans ce cadre : les danseurs, fous, le retour ! musees.strasbourg.eu

Ouvrage de John Waller édité à La Nuée bleue (voir Poly n°186 ou sur poly.fr) – nueebleue.com

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2 Roman d’Emmanuel Viau paru au Signe – editionsdusigne.fr

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A

près un ouvrage scientifique, Les Danseurs fous de Strasbourg1 et un autre roman tout juste paru, Les Légions furieuses2, voilà un nouveau texte sur un phénomène décidément inspirant : une épidémie de danse collective en 1518, à Strasbourg. Avec Entrez dans la danse, le spécialiste ès incongruités historiques (Mangez-le si vous voulez narrant un cas d’anthropologie collective en 1870, Fleur de tonnerre, la destinée d’une empoisonneuse bretonne au XIXe siècle, etc.) frappe à nouveau. Jean Téulé a été fasciné par cette « affaire d’absolue désespérance. Les gens n’ont plus rien, ils meurent de faim, alors que les greniers de l’Église sont pleins à craquer de céréales, de salaisons, de bière… Ils auraient pu se révolter, tout casser et voler la bouffe : ils ne l’ont pas fait parce qu’ils étaient au fond du trou. Pour se révolter, il faut un reste d’espoir. Alors, ils se sont mis à danser, danser et encore danser, jusqu’à en crever par centaines. » Autour de cet épisode, le romancier a cons-​ truit une trame narrative avec des person-

nages comme « le patient zéro, Enneline Troffea – j’ai choisi ce prénom parce que c’était celui de la femme de Gutenberg, le nom de famille, lui, est bien celui de la première danseuse – qui balance son enfant à l’eau au début du livre parce qu’elle ne peut plus le nourrir et parce qu’elle ne veut pas le bouffer comme l’ont déjà fait certains. » Dans son style truculent, oscillant entre lyrisme truffé de mots d’époque et argot bien contemporain fourré aux références drolatiques (bravo pour Et tu danses avec lui de C. Jérôme), Jean Teulé narre le développement de cette épidémie jusqu’à sa conclusion… au cours d’un pèlerinage à la Grotte de Saint-Guy, près de Saverne, dont l’écrivain donne sa version, pas très catholique, mais assez probable. Reste qu’à une époque où des pots de Nutella bradés créent l’émeute, le texte prend une étrange résonance : « Je fais semblant d’écrire des romans historiques pour parler d’aujourd’hui. Bientôt les gens se mettront peut-être à danser », glisse Jean Teulé, midépité, mi-amusé.


GASTRONOMIE

LE GOÛT DE LA CERISe

C’est le seul changement du Michelin 2018 en Alsace : une Étoile surprise pour La Merise située à Laubach (à quelques encablures de Haguenau), établissement qui a ouvert il y a un peu plus d’un an. Voilà que le guide rouge nous refait le coup d’Esprit terroir en récompensant Christelle (en salle) et Cédric Deckert (au piano) qui travaillèrent tous deux à L’Arnsbourg période Jean-Georges Klein, un mentor dont l’influence est perceptible dans les assiettes. Cette sauvage cerise mérite une visite ! lamerise.alsace

LE CHÂTEAU DE VERRE

Tout frais étoilé, le restaurant nancéien de Patrick Fréchin (dont on avait découvert la maestria au Grand Hôtel de la Reine, place Stanislas et, auparavant, au Grenier à Sel) se nomme Transparence. Logique, puisque les tables offrent une vue imprenable sur la cuisine où sont imaginés des plats virevoltants à l’image d’un tournedos de filet de bœuf lorrain au jus de racines. restaurant-transparence.fr

IN THE MOOD FOR LOVE

LOST IN TRANSLATION

Témoignant du tropisme nippon du Michelin, une première Étoile décernée à Takashi Kinoshita (qui est notamment passé par les cuisines de L’Élysée) officiant au Château de Courban vient récompenser une adresse phare de Côte-d’Or. Dans un cadre d’une intense élégance, se déploie une gastronomie d’un beau raffinement. chateaudecourban.com

Lorsqu’on ouvre un restaurant à Saint-Amour-Bellevue (Saône-et-Loire), il semble logique de le nommer Au 14 février. Ce qui est attendu s’arrête là, puisque la cuisine du chef japonais Masafumi Hamano – tout juste récompensée d’une deuxième Étoile au Guide Michelin – est pleine de surprises, surfant sur une vague qui glisse délicatement entre Orient et Occident. L’Épisode 35 de cette fascinante épopée sera lancé le 22 mars puisque les menus, qui changent très souvent, sont numérotés ! sa-au14fevrier.com Poly 207

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UN DERNIER POUR LA ROUTE

la vie en combi Par Christian Pion

Bourguignon, héritier spirituel d’une famille qui consacre sa vie au vin depuis trois générations, alsacien d’adoption, fan de cuisine, convivial par nature, Christian Pion partage avec nous ses découvertes, son enthousiasme et ses coups de gueule. vino-varlot.fr

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riginaire de Dijon, Paul Varlot est arrivé en Alsace en 2013 pour s’occuper de l’accueil des visiteurs au domaine de Dusenbach, près de Ribeauvillé. Cette première expérience, au contact des amateurs et des vins, lui donne le goût de la région, de ses paysages variés et des terroirs pour lesquels il se passionne. Il aime en parler et en expliquer le style et les couleurs. Nostalgique d’un passé où liberté et voyage se conjuguaient à la perfection dans un véhicule mythique, symbole vintage d’une évasion tout en douceur, il achète, en 2016, un Combi Volkswagen de 1979, en Suède, entièrement rénové avec sièges en cuir d’époque et carrosserie rutilante. Un véhicule pimpant avec ses formes féminines, aux vitres généreuses qui invite aux déambulations tranquilles, aux découvertes au coin du chemin, aux arrêts fréquents. Il semble dédié à une forme de vagabondage contemplatif et de lâcher prise. Le Combi brise immédiatement la glace, crée un lien entre les passagers et leur guide, avec le sentiment partagé d’un voyage qui réveille en chacun, souvenirs enfouis et émotions. Paul vous mène alors, à l’écoute de votre tem-

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po, à la découverte de vignerons singuliers, qu’il choisit en fonction de leur humanité et des histoires qu’ils ont à cœur de vous conter. Témoignages qui expliquent souvent mieux que le verre en main, le style des vins que vous dégusterez. Les vignerons choisis librement par Paul au gré de ses propres découvertes, ont l’accueil généreux et du temps à vous consacrer. Le road trip est organisé sur une demi-journée (80 € par personne) ou une journée entière (149 € par personne). Après une discussion avec Paul, il s’adaptera à vos envies, s’arrêtant ensuite volontiers au détour d’une route, pour parler du sol qui façonne le vigneron et la vigne, contant l’histoire sans laquelle il est difficile d’appréhender l’esprit du lieu. Il profite d’un arrêt face à un panorama remarquable pour partager avec vous, café, thé, morceau de kougelhof… Le déjeuner est proposé dans un restaurant convivial qui met en avant la cuisine de terroir, quand ce n’est pas un pique-nique dans les vignes, si la saison le permet. Cette escapade est une douce parenthèse dans notre monde trépidant et offre une découverte singulière et unique du vignoble alsacien à l’écoute de sa diversité !

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération

Rencontre avec un jeune entrepreneur fondateur de Vino Varlot qui propose de vous emmener dans son antique Combi Volkswagen découvrir le vignoble alsacien. Roulez jeunesse !




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