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Chaleur, travail, rendement Optimiser les machines quantiques

Appliquer la science des machines à vapeur aux technologies quantiques : l’idée semble sortir d’un roman de science-fiction. Et pourtant, des physiciens développent une nouvelle branche de recherche à la confluence de la thermodynamique et de la mécanique quantique.

L’ESSENTIEL

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> Des chercheurs adaptent au monde quantique les lois de la thermodynamique, née avec la révolution industrielle et les machines à vapeur.

> L’objectif est de développer des outils pour étudier ordinateurs, communication et information quantiques d’un point de vue énergétique.

> Une application possible est la conception de moteurs qui reposent sur des processus quantiques et produisent du travail, voire des réfrigérateurs quantiques.

L’AUTRICE

NICOLE YUNGER HALPERN physicienne théorienne à l’université du Maryland, aux États-Unis.

Alors qu’il ne restait que quelques heures avant l’aube et que l’usine ne se réveille en crachant de la fumée, Rosalind se pressait dans les rues de Londres emmitouflée dans sa cape. Soudain, un bruit assourdissant fit trembler les murs de briques. En levant les yeux, elle fut saisie de stupeur. Un gigantesque dirigeable oblong dominait le ciel de la ville. Mellator avait lancé son attaque contre la cité… Bienvenue dans le genre steampunk, qui s’est développé depuis une trentaine d’années en littérature, au cinéma et dans les arts graphiques. Les histoires steampunk se déroulent dans des villes brumeuses et polluées de l’Angleterre de la première révolution industrielle et du Far West américain. Les innovations de cette époque côtoient des technologies futuristes (robots, machines à remonter le temps, etc.). La juxtaposition de l’ancien et du nouveau crée une atmosphère de romantisme et d’aventure.

De la même façon que le steampunk mêle les idées de la science-fiction au style victorien, un domaine moderne de la physique que j’appelle le « steampunk quantique » commence à unir de façon concrète la technologie du XXIe siècle aux principes scientifiques du XIXe siècle. Mes collègues et moi travaillons ainsi à l’intersection de trois domaines : la physique quantique, la théorie de l’information et la thermodynamique. Notre objectif est d’actualiser les lois de la thermodynamique – l’étude du travail, de la chaleur et de l’efficacité – pour répondre aux exigences des expériences, des technologies et des théories les plus récentes.

En partant de problèmes pratiques sur le rendement des moteurs à vapeur et des pompes pour extraire l’eau des mines, les savants du XIXe siècle ont été amenés à se poser des questions bien plus fondamentales, qui ont donné naissance à la thermodynamique. Cette science a permis le développement de la révolution industrielle. Mais les défis à relever sont passés des locomotives à vapeur à des systèmes minuscules, comme des moteurs nanométriques ou des réfrigérateurs les plus petits qu’il soit possible d’imaginer. À ces échelles, il est devenu indispensable d’adapter les concepts thermodynamiques traditionnels tels que la chaleur, le travail et l’équilibre aux lois du monde quantique.

La thermodynamique décrit les systèmes comprenant un très grand nombre de particules (de l’ordre de 1023, un 1 suivi de 23 zéros), comme dans un système à vapeur. Elle manipule des grandeurs macroscopiques moyennées sur l’ensemble des particules : la température, la pression, le volume et l’énergie. L’énergie échangée dans ces systèmes est classée en deux catégories, le travail et la chaleur. Le travail est une énergie bien organisée et utilisable dans un but précis, comme faire tourner les roues d’une voiture. La chaleur est l’énergie du mouvement aléatoire, de l’agitation des particules.

CHANGEMENT D’ÉCHELLE

Les nouvelles technologies impliquent des systèmes de très petites échelles, avec peu de particules qui manifestent des comportements quantiques. La théorie quantique prédit certains phénomènes absents des systèmes macroscopiques. Par exemple, les particules quantiques peuvent être intriquées : leurs propriétés sont corrélées d’une façon si forte que la physique classique n’est pas en mesure d’en rendre compte. Si vous intriquez deux atomes, leurs propriétés individuelles sont fondamentalement indéterminées, seules les propriétés de la paire sont définies. Mais, dès que vous réalisez une mesure sur un atome, son état devient déterminé, et instantanément celui de l’autre atome aussi, même si celui-ci se trouve à l’autre bout du continent. L’intrication ne permet pas de transmettre de l’information plus vite que la lumière, mais elle a de nombreuses applications comme communiquer des données de façon sécurisée. Ce domaine de recherche constitue la théorie quantique de l’information. Autre application de l’intrication : les ordinateurs quantiques. Ces systèmes mêlent la théorie quantique de l’information et la thermodynamique. Google, IBM et d’autres institutions travaillent d’arrache-pied à la construction de ces machines, qui seraient capables de briser certains systèmes de chiffrement (notamment ceux fondés sur la décomposition de grands nombres en leurs facteurs premiers) et de modéliser certains matériaux bien plus vite que n’importe quel ordinateur classique. Cependant, la plupart des systèmes d’informatique quantique doivent être refroidis à une température proche du zéro absolu. Or refroidir revient à dissiper de la chaleur, une quantité thermodynamique. Sauf que les ordinateurs quantiques ne ressemblent en rien aux moteurs pour lesquels la thermodynamique a été développée.

Les efforts visant à appliquer les concepts thermodynamiques aux systèmes quantiques remontent au milieu du XXe siècle, lorsque Joseph Geusic, Eric Schulz-DuBois et Derrick Scovil, des laboratoires Bell, ont proposé le premier moteur quantique, fabriqué à partir d’un maser, qui fonctionne comme un laser mais libère de la lumière microondes. Plus tard, Ronnie Kosloff, de l’université hébraïque de Jérusalem, et ses collègues ont contribué à faire des moteurs quantiques une discipline à part entière. Le développement de la thermodynamique quantique a conduit les théoriciens comme Marlan Scully, à l’université Princeton, Seth Lloyd, à l’université Rockefeller, ou Christopher Jarzynski, maintenant à l’université du Maryland, à redéfinir certains concepts de la thermodynamique classique pour les adapter à ces nouveaux systèmes.

Ces avancées ne sont pas uniquement théoriques. Tout comme la thermodynamique traditionnelle a permis de décrire la physique des moteurs à vapeur, nos efforts en thermodynamique quantique peuvent nous aider à développer de nouvelles machines quantiques – notamment des moteurs. Les moteurs quantiques inventés jusqu’ici par les expérimentateurs reposent sur des photons, des systèmes électroniques et des qubits supraconducteurs (circuits quantiques dans lesquels le courant peut circuler éternellement sans se dissiper, car la résistance électrique y est nulle).

Exp Rience De Pens E

Récemment, j’ai imaginé un concept de moteur quantique avec Christopher White, alors à l’université du Maryland, Sarang Gopalakrishnan, alors à la City University de New York, et Gil Refael, de Caltech (Institut de technologie de Californie). En tant que théoriciens, nous avons initialement conçu le moteur comme une simple expérience de pensée. Mais nous avons ensuite imaginé comment des scientifiques et des ingénieurs pourraient en construire une version réelle. Par exemple, en refroidissant des atomes, puis en les piégeant et en les manipulant avec des lasers.

Notre moteur s’appuie sur une phase de la matière particulière, faisant intervenir un comportement quantique d’un ensemble de particules et nommée MBL (pour many-body localization). Des particules peuvent se trouver dans cette phase si elles se repoussent les unes les autres, et sont séparées par des niveaux d’énergie très différents. Dans un système quantique usuel, les densités de probabilité de présence s’étalent progressivement et donc les particules ne sont plus localisées et interagissent. Dans la MBL, la localisation persiste longtemps. Une conséquence directe est qu’un tel système n’atteint jamais l’équilibre thermique.

En effet, dans un système sans cette forte contrainte de localisation, les particules explorent rapidement tout l’espace disponible, de manière aléatoire. Par exemple dans un réservoir contenant de la vapeur d’eau, la température

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