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UN MONDE APRÈS LE CHROMOSOME Y ?

Les chromosomes sexuels humains, le X (à gauche) et le Y (à droite). Ce dernier est beaucoup plus petit et porte moins de gènes que les autres chromosomes.

Chez la plupart des mammifères modernes, le sexe biologique est déterminé par les chromosomes sexuels hérités des deux parents – un X de la mère, et un X ou Y du père. Plus particulièrement, c’est la présence ou l’absence du chromosome Y qui détermine si un individu sera mâle ou femelle. Or ce dernier, en pleine dégénérescence dans le génome humain, pourrait bien disparaître dans quelques millions d’années. Et entraîner la disparition de notre espèce ? Pas sûr, car la vie trouve toujours un moyen – parfois étonnant ! –de subsister. Son instrument ? L’évolution. Une équipe de biologistes, dirigée par Asato Kuroiwa, de l’université de Hokkaido, au Japon, vient de l’illustrer, en révélant comment deux espèces de rongeurs, qui ont déjà perdu leur chromosome Y, ont survécu à cet événement en maintenant une différenciation sexuelle.

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Le chromosome Y joue un rôle déterminant dans ce processus, car il abrite un gène architecte, SRY, responsable de la synthèse de la testostérone, et par extension du développement des testicules. Ce chromosome ne contient que très peu d’autres gènes – seulement une cinquantaine – contre près de neuf cents sur le chromosome X, lesquels sont responsables d’un large éventail de fonctions au sein de notre organisme. Le chromosome Y n’est donc pas fondamentalement indispensable à la vie pour notre espèce – les femmes se portent très bien sans lui – mais, en son absence, la capacité des humains à se reproduire et à faire prospérer leur espèce serait réduite à néant. Or ce chromosome est aujourd’hui très petit, atrophié, quand on estime qu’il faisait la même taille que son homologue X, il y a environ 160 millions d’années, chez les premiers mammifères. S’il devait continuer de se dégénérer au même rythme, ce que tout semble indiquer, il pourrait disparaître partout d’ici à 4,6 millions d’années seulement.

À gauche : © Asato Kuroiwa ; à droite : © M. Terao et al., PNAS, vol. 119 (49), article e2211574119, 2022

Cette dégénérescence trouve son origine dans le fait que le chromosome Y, contrairement à tous les autres, n’existe dans chaque individu qui le porte qu’en un seul exemplaire, transmis de père en fils. Cela signifie qu’il ne peut pas être soumis au phénomène de recombinaison génétique, un mécanisme naturel de brassage qui se produit dans et entre les chromosomes homologues à chaque génération et qui limite l’accumulation de mutations et la perte de fonction consécutive des gènes. Sans cet avantage, les gènes du chromosome Y dégénèrent jusqu’à être totalement perdus.

L’espoir demeure, cependant, comme le montrent les biologistes de l’université de Hokkaido. Ils se sont intéressés à deux groupes de rongeurs, et plus particulièrement à l’espèce Tokudaia osimensis, endémique de certaines îles japonaises, dans l’archipel Amami. Dans les années 1990, des chercheurs avaient découvert que tous les individus, mâles et femelles, ne portent chacun qu’un exemplaire du chromosome X, le chromosome Y et sa région SRY ayant disparu (mâles et femelles sont donc tous deux XO). Depuis trois décennies, les biologistes traquaient sans succès le mécanisme qui permet la différenciation sexuelle chez ces muridés.

L’équipe d’Asato Kuroiwa a analysé en profondeur le génome de ces rongeurs à la recherche de régions génétiques qui diffèrent entre mâles et femelles. Ils ont remarqué que la plupart des gènes du chromosome Y (non liés à la différenciation sexuelle) s’étaient relocalisés sur d’autres chromosomes, à l’exception de SRY, dont la trace n’a pas été retrouvée. En revanche, une différence notable agit comme un facteur de transcription pour le gène Sox9  : elle se lie à une séquence spécifique régulatrice à proximité du gène Sox9 et, grâce à cette proximité, augmente l’expression de ce gène dans les gonades indifférenciées, ce qui déclenche leur différenciation. a été remarquée entre mâles et femelles sur le chromosome 3, un autosome, c’està-dire un chromosome normalement non sexuel. Plus précisément, il s’agissait de la duplication d’une région, notée Enh14, composée de 17 000 paires de bases – les unités constitutives de la molécule d’ADN. Cette duplication est située sur le même chromosome et assez près d’un gène connu pour jouer un rôle dans le développement des organes génitaux masculins, le gène Sox9. Chez les mammifères qui ont un chromosome Y, le gène SRY produit une protéine (SRY) qui

Les biologistes estiment que la zone Enh14 dupliquée, cible d’un facteur de transcription encore à déterminer, jouerait le rôle de la protéine SRY, ce que semblent confirmer leurs expériences. En effet, introduite chez des souris, cette région dupliquée augmente l’activité de Sox9, ce qui indiquerait qu’elle permet à ce gène de fonctionner sans l’intervention du gène SRY manquant. Pour Asato Kuroiwa et ses collègues, le chromosome 3 devient ainsi un chromosome sexuel, les mâles étant les seuls porteurs de la version avec la région Enh14 dupliquée. Les chercheurs décrivent déjà des changements par rapport au chromosome 3 ancestral.

Il se pourrait donc bien que, d’ici à quelques millions d’années, la voie suivie par Tokudaia osimensis se retrouve chez d’autres mammifères. Et s’il subsistait des mâles humains dans ce lointain futur, ce serait peut-être grâce à un transfert des fonctions de différenciation sexuelle sur un nouveau chromosome. n

William Rowe-Pirra

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