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Les rêves une fenêtre sur notre santé mentale ?

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PICORER À

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Le fait d’agir réellement durant ses rêves est l’un des signes les plus précoces de maladies neurodégénératives comme celle de Parkinson. Un trouble qui offre une occasion unique d’agir tôt pour retarder l’apparition des symptômes.

Alan Alda courait pour sauver sa vie. Mais l’acteur, surtout connu pour son rôle dans la série télévisée M*A*S*H, n’était pas sur un plateau La menace était réelle – ou du moins la percevaitil comme telle Aussi, quand il vit un sac de pommes de terre devant lui, il s’en saisit et le jeta sur son agresseur Soudain, la scène changea Il se trouvait dans sa chambre, sortant brusquement du sommeil, et le sac de pommes de terre était un oreiller qu’il venait de jeter sur sa femme.

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Le fait de mimer ses rêves est la marque d’un trouble qui se produit pendant le sommeil paradoxal Nommé « trouble comportemental en sommeil paradoxal » (TCSP), il touche environ 0,5 à 1,25 % de la population générale et est plus fréquemment signalé chez des adultes âgés , en particulier des hommes En plus d’être dangereux pour les rêveurs et leurs partenaires, le TCSP est parfois le signe avant- coureur d’une maladie neurodégénérative, principalement de la famille des synucléinopathies – des maladies où une protéine, l’alpha-synucléine, forme des amas toxiques dans le cerveau

Toutes les activités nocturnes ne relèvent pas d’un TCSP Le somnambulisme et la somniloquie, qui surviennent plus souvent pendant l’enfance et l’adolescence , ont lieu pendant le sommeil lent, une autre phase du cycle du sommeil. Cette di ff érence est clairement perceptible dans un laboratoire du sommeil, où les cliniciens ont les outils pour distinguer les di ff érents stades du cycle et ainsi repérer durant lequel une personne bouge Le TCSP n’est pas non plus toujours associé à une synucléinopathie : il arrive que certains médicaments le déclenchent, comme les antidépresseurs, ou qu’il soit causé par d’autres pathologies comme la narcolepsie ou une tumeur du tronc cérébral. Lorsque le TCSP survient en l’absence de ces autres explications, le risque de maladie future est élevé Certaines études épidémiologiques suggèrent qu’une personne ayant cette pathologie présente un risque de plus de 80 % de développer une maladie neurodégénérative. Cette maladie se manifeste en moyenne dans les dix à quinze ans suivant l’apparition du rêve agité, qui en serait le premier signe

L’une des pathologies les plus courantes associées au TCSP est la maladie de Parkinson, principalement caractérisée par une perte progressive du contrôle moteur Une autre est la maladie à corps de Lewy, dans laquelle de petits amas d’alpha-synucléine appelés « corps de Lewy » s’accumulent dans le cerveau, perturbant les mouvements et la cognition. Un troisième type de synucléinopathie , l’atrophie multisystématisée, affecte à la fois les mouvements et les fonctions autonomes comme la digestion. Le TCSP est l’un des signes avantcoureurs les plus forts d’une future synucléinopathie, plus prédictif que d’autres marqueurs précoces tels que la constipation chronique et la diminution de l’odorat.

Les récits de rêves agités par des personnes atteintes de la maladie de Parkinson remontent à la découverte de la maladie elle-même Dans sa description originale, An Essay on the Shaking Palsy (Essai sur la paralysie tremblante), publiée en 1817, le médecin britannique James Parkinson écrivait déjà : « Des mouvements tremblants des membres se produisent pendant le sommeil et augmentent jusqu’à ce qu’ils réveillent le patient, souvent avec beaucoup d’agitation et de frayeur » Mais malgré des rapports similaires au cours des deux siècles suivants, le lien entre les rêves et la maladie est resté obscur – à tel point qu’Alan Alda a dû convaincre son neurologue de lui prescrire une analyse à la recherche de la maladie de Parkinson après avoir découvert l’existence de ce lien dans un article de 2015.

L’imagerie cérébrale a confirmé les soupçons de l’acteur : il avait la maladie de Parkinson

Il a partagé son expérience avec le public « parce que je pensais que toute personne présentant un symptôme, même inhabituel, aurait ainsi une longueur d’avance pour faire face à la nature progressive de la maladie, explique-t-il. Plus on s’y attaque tôt, plus on a de chances d’en repousser les symptômes ».

Au cours des dernières années, la sensibilisation au TCSP et la compréhension de son lien avec les synucléinopathies se sont améliorées

L’étude de ce lien donne aux chercheurs des idées pour intervenir précocement Ces progrès contribuent à une meilleure connaissance de la phase dite « prodromique » de la maladie de Parkinson et d’autres pathologies neurodégénératives , c’est- à - dire la période où des signes préliminaires apparaissent , mais où aucun diagnostic définitif n’a encore été posé Parmi les indices précoces de la maladie de Parkinson , « le TCSP est spécial , déclare Daniela Berg, neurologue à l’hôpital universitaire du Schleswig - Holstein , en Allemagne C’est le marqueur clinique prodromique le plus fort dont nous disposons »

Des R Ves Sans Frein Moteur

Ray Merrell, un homme de 66 ans vivant dans le New Jersey, a commencé à mimer ses rêves il y a environ quinze ans Son monde onirique s’est rempli d’action , comme « quelque chose que l’on regarderait à la télévision », explique Ray Merrell Il se retrouvait souvent soit poursuivi par une personne, un animal ou autre chose , soit en train de les poursuivre Dans le monde réel, Ray Merrell se débattait, donnait des coups de pied et sautait du lit Au point parfois de se faire mal Ou de blesser sa femme...

Chez les personnes atteintes de TCSP, les freins qui, normalement, les immobilisent pendant le sommeil paradoxal – le stade le plus étroitement lié au rêve – sont levés. (On rêve aussi pendant le sommeil lent, mais les rêves pendant le sommeil paradoxal sont plus longs, plus vifs et plus étranges). Dans les années 1950 et 1960, le neuroscientifique français Michel Jouvet a mené une série d’expériences qui ont révélé à quel point les mouvements non bloqués pendant le sommeil paradoxal sont chaotiques En créant des lésions dans le tronc cérébral de chats, Jouvet a inhibé l’atonie musculaire qui se produit chez de nombreuses espèces pendant le sommeil paradoxal Les chats qui avaient subi la procédure agissaient normalement lorsqu’ils étaient éveillés, mais se mettaient à rôder, taper, mordre, jouer ou se toiletter par intermittence lorsqu’ils dormaient. Et ce tout en restant profondément endormis De plus, leurs actions pendant le sommeil étaient souvent différentes de leurs habitudes à l’état de veille Des félins « toujours très amicaux lorsqu’ils étaient éveillés » devenaient agressifs pendant le sommeil paradoxal

À la fin des années 1980, Carlos Schenck, psychiatre à l’université du Minnesota, aux États-Unis, et ses collègues ont publié les premiers rapports de cas de TCSP Les patients décrivaient des rêves violents et des comportements agressifs pendant le sommeil qui contrastaient fortement avec leur nature non violente lorsqu’ils étaient éveillés – ce qui faisait écho à la documentation de Jouvet sur les félins. Un patient, par exemple, a raconté avoir rêvé qu’un motocycliste essayait de le percuter sur l’autoroute Il s’est retourné pour donner un coup de pied à la moto – et s’est réveillé lorsque son

L’acteur américain Alan Alda sensibilise les gens à la maladie de Parkinson et à ses premiers symptômes afin de leur donner une longueur d’avance pour affronter cette pathologie.

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