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Le riche microbiome des récifs coralliens
Les analyses génomiques des quelque 5 000 échantillons collectés par la mission « Tara Pacific » sur les récifs coralliens du Pacifique révèlent un microbiome aussi riche que toute la biodiversité terrestre. Le microbiologiste Pierre Galand présente ces résultats étonnants.
intra-espèce de corail, nous avons prélevé les bactéries sur dix colonies par espèce. Pour le plancton, nous avons utilisé trois tailles de filtres pour séparer les bactéries libres (moins de 3 micromètres) du zooplancton et du phytoplancton, à proximité du corail, à la surface et à distance.
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Quels étaient vos objectifs lors de cette expédition de plus de deux ans avec la goélette Tara ?
Nous voulions cartographier la diversité de ces précieux écosystèmes, découvrir des zones écologiques aussi riches que le « triangle de corail » entre la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines, qui concentre la plus grande biodiversité marine du monde. Et voir si la biodiversité des récifs coralliens est en lien avec la diversité bactérienne.
Que savait-on de ce microbiome ?
La vision était parcellaire. Les récifs côtiers, situés entre 2 et 15 mètres de profondeur, sont la fabrique de la biodiversité marine : avec seulement 0,2 % de la surface du globe, ils abritent 32 % des espèces animales. On sait aussi que le corail est en symbiose avec des bactéries sans que l’on comprenne pourquoi. Avec le projet Tara Pacific, notre analyse, à l’échelle du Pacifique, avec un même protocole de séquençage de l’ADN, a établi un état des lieux précis des bactéries associées aux coraux, aux poissons qui y vivent et au plancton.
Quelle a été votre méthodologie ?
Tara a sillonné le Pacifique de mai 2016 à octobre 2018 et récolté 5 392 échantillons de microbiome dans 99 récifs coralliens de 32 îles de l’Amérique à l’Asie. Congelés à bord à – 80 °C, ces échantillons ont été envoyés par avion au génoscope du CEA. Dans un but de comparaison, nous avons ciblé les rares espèces présentes dans tout le Pacifique : trois coraux (Millepora platyphylla, Porites lobata et Pocillopora meandrina) qui di èrent par leur mode de vie et leur résilience ainsi que deux poissons (le chirurgien bagnard, Acanthurus triostegus, et l’idole mauve, Zanclus cornutus), l’un herbivore, l’autre carnivore. Pour vérifier la variabilité
Votre analyse microbiologique est d’une ampleur inédite…
Oui ! Impensable il y a dix ans… Nous avons séquencé l’équivalent de 50 000 génomes humains. Plus de 800 métagénomes et environ 540 000 portions d’ADN préalablement identifiées comme de bons marqueurs taxonomiques de bactéries. C’est beaucoup plus qu’on ne le pensait ! En extrapolant nos résultats à toutes les espèces connues de corail et de poissons du Pacifique, nous estimons que la biodiversité bactérienne de ces récifs coralliens du Pacifique est du même ordre que toute la biodiversité terrestre estimée. Quelles conclusions tirez-vous ?
Le plancton contient le plus grand nombre d’espèces bactériennes. La plupart des bactéries sont uniques à leur hôte que ce soit le plancton, les poissons ou le corail. Et le microbiome dépend du site. Mais ceux du Pacifique occidental, qui abrite une plus grande variété d’espèces de coraux que le Pacifique oriental, ne sont pas plus diversifiés. Nous n’avons pas trouvé de corrélation significative entre la température de l’eau de mer et la diversité des microbiomes. Ni de lien établi avec la biodiversité des récifs. Mais nous avons identifié trois nouvelles bactéries, abondantes partout, signe d’une coévolution pérenne, associées chacune à une espèce de corail. Et elles produisent l’indispensable vitamine B, ce qui pourrait être un des éléments de cette symbiose corail-bactérie. Plus largement, nous espérons identifier des bactéries indicatrices de l’état de santé des récifs pour certains déjà très dégradés, ou de l’environnement (température, salinité). n
, 2023.