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! ! Agressions!sexuelles! et! secrets!douloureux! ! Transformer!ces!épreuves! en!point!de!départ! ! ! !
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Jean8Louis!Lafont! !
! Chapitre!1! ! L’intouchable!famille!:! famille!je!vous!Haime...!
En introduction, évoquons rapidement l’utilisation des mots par les médias. Lorsque l’on touche aux agressions sexuelles et au tabou de l’inceste par exemple, certains mots font peur. Un mot peut alors en cacher un autre. Les médias préfèrent utiliser le mot pédophilie plutôt qu’inceste, ce qui permet à notre société de ne pas s’attaquer à l’intouchable famille. Le mot inceste brise en effet l’image de « havre de paix », habituellement associée à la famille. Le mot pédophilie véhicule une image auquel le public est habitué, à savoir un étranger sur le chemin de l’école qui propose à un enfant des bonbons et veut le faire monter dans sa voiture pour abuser de lui, voire le tuer. Si malheureusement ces situations peuvent arriver, elles restent très rares. L’inceste, en revanche, est très fréquent et 80% des infractions sexuelles sur mineurs sont commises au sein même de la famille. D’un côté, une grande prévention est faite auprès des enfants, on les met en
! garde envers cet étranger qui proposera des bonbons et à qui il faudra dire non ; d’un autre côté, aucune mise en garde et très peu de prévention sur le lieu de tous les dangers que peut être sa propre famille… Si les médias entretiennent une forme de secret, ce n’est pas par manque d’informations, mais s’attaquer fermement à l’image de la famille et au tabou des agressions sexuelles dans le cadre familial reste encore un défi.
Chaque!famille!anonyme!ou!célèbre!a!ses!secrets! Un président français, qui avait une fille cachée, a érigé ce secret de famille en secret d’Etat. Le secret recouvre bien des situations, de la grossesse non voulue au séjour en clinique psychiatrique transformé en « longues vacances ». Il peut couvrir un passage en prison ou une maladie vécue comme inavouable (psychose, suicide, violence pathologique, cure de désintoxication). Cacher son licenciement n’est pas rare non plus. Ou encore, combien de personnes homosexuelles cachent-elles à leur famille et leur entourage leur penchant ? Les secrets comme la séropositivité ou l’homosexualité sont souvent gardés par peur de se brouiller avec sa famille, de perdre son emploi, son logement ou ses amis. Dans l’adoption, beaucoup cachent aux enfants qu’ils ne sont pas les parents biologiques. C’est la même chose avec la procréation médicalement assistée, insémination par don de sperme ou naissance sous X. Et la liste n’est pas close.
Tous!les!secrets!sont7ils!nuisibles!?!! A cette question Serge Tisseron, dans « Secrets de famille, mode d’emploi »2, répond : « Les secrets de famille ne sont jamais bons. » -
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L’enfant n’est pas dupe de ces secrets. Françoise Dolto invitait souvent les parents à raconter devant leur petit
Serge Tisseron, « Secrets de famille, mode d'emploi », Poche 2007
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Agressions sexuelles et secrets douloureux
! enfant tous les secrets dont ils étaient détenteurs. Elle disait : « L’enfant a toujours l’intuition de son histoire. Si la vérité lui est dite, cette vérité le construit. » Les secrets doivent être dévoilés. -
L’enfant peut choisir de ne pas savoir. L’enfant souhaite appartenir à ceux qui l’élèvent. Pour ceux qui sont nés d’insémination artificielle ou d’inceste, la question de l’identité du père n’est jamais évoquée par les parents ni posée par l’enfant qui a compris qu’il existe un lourd secret lié à son origine. Il choisit de ne pas savoir et préfère dépendre de ceux qui l’aiment au quotidien et auxquels il s’attache.
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Les secrets sont bloqués. Dans les cas d’agressions sexuelles, les menaces, le chantage et la loyauté bloquent la parole des victimes. Malgré cela, il arrive toujours un temps et un âge qui permettent la confidence et la mise en lumière de ces secrets. Parler se fait tardivement, sauf dans le cas où la victime a la volonté de protéger son entourage et particulièrement les plus jeunes de la fratrie. Il y a un autre facteur qui explique que les victimes ne disent rien pendant un temps, c’est tout simplement qu’elles ignorent qu’il s’agit d’un crime.
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Les secrets sont mis aux oubliettes de la mémoire. Il arrive que la mémoire soit en pause pendant un temps. L’amnésie peut prendre différentes formes. Celle qui nous intéresse concerne les « trous de mémoire » sur des périodes déterminées de la vie de l’individu. Elle empêche de se souvenir d’un fait ou d’un passé récent. C’est ce qui se passe au cours des traumatismes psychologiques violents : on oublie pour... oublier. On peut donc parler de fonction positive de l’oubli de certaines situations. L’oubli a parfois une fonction reposante ou anesthésiante. Les souvenirs finissent par Chapitre 1 – L’intouchable famille
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! revenir comme un boomerang. Les déclencheurs sont nombreux ; les thérapies et la relation d’aide, par exemple, sont des contextes favorables pour ranimer ces périodes « oubliées ». -
Le secret de Polichinelle. Tout le monde est au courant, mais personne ne parle ni n’évoque le sujet... Dans le cas d’inceste par exemple, c’est une forme d’acceptation pour éviter l’explosion de la cellule familiale. Il y a un double message permanent qui est donné : « je sais », et « je fais comme si je ne savais pas ». Pour la victime, c’est le désarroi total.
Les!séquelles! Dans le cas des agressions sexuelles, le silence est un facteur important de séquelles. Selon une étude réalisée auprès d’un échantillon de quelque 800 adultes québécois des deux sexes, près de 25% des victimes d’abus sexuels dans l’enfance ne révèlent jamais les sévices qu’elles ont subis. Le taux de non-divulgation est de 16% chez les femmes et de plus du double chez les hommes. Cette donnée inquiète Mireille Cyr, professeur à l’Université de Montréal, Département de psychologie. Ses projets de recherche portent sur les enfants et les adolescents agressés sexuellement : « Le nombre de victimes qui ne parlent jamais ou qui tardent à parler de leur agression est donc très élevé. Cela est malheureux puisque, plus on met du temps à dévoiler la situation, plus elle dure et plus les séquelles sont importantes », souligne-t-elle. Plus l’abuseur est proche, plus le silence dure longtemps. Les victimes sont plus portées à dénoncer ces gestes lorsque l’agresseur est quelqu’un d’inconnu. D’après les statistiques, les agressions graves sont commises par des personnes proches dans 85% des cas. « Lorsque l’abus se passe au sein de la famille, on sait que ça dure plus longtemps et que les séquelles seront plus vives. Et, dans de telles situations, 30
Agressions sexuelles et secrets douloureux
! les abus sont habituellement accompagnés de violences physiques et psychologiques », précise-t-elle. Pour la chercheuse, il apparaît donc essentiel d’amener les enfants à dévoiler rapidement les gestes d’abus dont ils sont victimes et de les aider à témoigner.
Chapitre 1 – L’intouchable famille
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! Sommaire! ! Remerciements ............................................................................ 11! Préface d’Isabelle Aubry ............................................................. 13! Recommandations ....................................................................... 15! Introduction ................................................................................. 21! Chapitre 1 L’intouchable famille : famille je vous Haime......... 27! Chapitre 2 Sortir du silence ........................................................ 33! Chapitre 3 Des parents responsables .......................................... 39! Chapitre 4 Quelle éducation donner ? ........................................ 45! Chapitre 5 L’enfant abusé .......................................................... 49! Chapitre 6 Influence de la pornographie .................................... 51! Chapitre 7 Comment aider ?....................................................... 61! Chapitre 8 Quelles guérisons attendre ? ..................................... 69! Chapitre 9 Vers une politique des soins spécialisés des victimes d’inceste ...................................................................................... 73! Chapitre 10 Quelques chiffres.................................................... 75! Chapitre 11 Quelques définitions............................................... 79! Chapitre 12 Des agresseurs responsables ! ................................ 83! Chapitre 13 Exemples de secrets douloureux ............................ 87! Chapitre 14 Exemples d’agressions sexuelles.......................... 105! Chapitre 15 Traumatismes et conséquences............................. 125! Chapitre 16 Le dépôt de plainte ............................................... 133! Chapitre 17 Les infractions sexuelles....................................... 141! Chapitre 18 La non-assistance à personne en danger............... 149! Chapitre 19 Pardonner ?........................................................... 153! Chapitre 20 Plaisir et délices de la sexualité ............................ 159! Chapitre 21 Conclure pour bien démarrer................................ 163! Chapitre 22 Ressources et adresses utiles ................................ 171!