RESCAPÉ DE LA MORT Entretien avec un homme d’affaires miraculé
Guy Maréchal Écrit en collaboration avec Paul Ohlott
CHAPITRE I Un coup de tonnerre dans un ciel bleu Ce jeudi 4 mai 2006 a été une belle journée. Thierry, mon associé, et moi, avons bien travaillé dans les magasins en ce premier mai. Je suis rentré de France où je réside, pour stimuler les troupes, et ma foi, on a fait un beau chiffre d’affaires dans nos trois points de vente situés au centre de Bruxelles. Il faut dire qu’ils sont ouverts trois cents soixante-deux jours par an, car c’est un quartier touristique connu des antiquaires et des chineurs du monde entier. - Et si on allait manger un morceau au « Globe » ? - Bonne idée ! Jean-Marc, tu viens avec nous ? Nous voilà partis avec Jean-Marc et son épouse, des amis qui tiennent un petit estaminet où nous avons l’habitude de manger un en-cas quand nous n’avons que peu de temps. Comme à l’habitude, très bon repas. Ah ! La cuisine bruxelloise ! Simple mais délicieuse. Le tout est toujours relevé d’une cuillerée d’amitié, d’une pincée de tendresse, saupoudré d’un peu d’humour et accompagné d’un excellent vin de Bordeaux.
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J’aime ces soirées dont la seule clé d’accès est la franche amitié entre des gens qui se respectent sans pour autant cesser de se taquiner l’un l’autre. Le pousse-café arrive, moment charnière entre un bon café et un retour tranquille vers ses pénates. C’est à mon tour de raconter une histoire drôle : « Vous connaissez celle du pasteur qui est appelé au chevet de l’un de ses paroissiens de 28 ans en phase terminale ? ». Je vous la raconte : - Bonjour pasteur ! - Bonjour Jean. - Dites-moi pasteur, est-ce qu’on joue au football au ciel ? - Mais je n’en sais rien !!!! - À quoi ça sert d’avoir un pasteur s’il ne connaît rien aux choses du ciel ? - Attends ! Je vais essayer de me renseigner. Je reviens demain. - Et le lendemain, le pasteur revient et dit à Jean : J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Je commence par laquelle ? - La bonne, pasteur. - On joue au football au ciel ! - Génial !! Et la mauvaise ? - Tu es sélectionné demain à quinze heures en équipe première. Mes amis rient de bon cœur. J’ignore encore que cette histoire est, en ce qui me concerne, presque prémonitoire… Il est environ une heure du matin quand j’entre dans le parking du vieux manoir où je réside lorsque je suis en Belgique. C’est un hôtel de sept chambres tenu par Marianne et sa maman, jeune patronne de quatre-vingt-six ans. Merveilleuse bâtisse du onzième siècle, cuisine du terroir, préparée avec amour. Ici, je suis comme l’enfant de la maison. Même les jours de fermeture, je sais où 22
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sont les clés et je viens y dormir. Je me sens bien dans ce coin de Belgique où j’ai passé sept des plus belles années de ma vie. Mais ce soir, je suis fatigué et pressé de rentrer, car demain, je reprends la voiture pour Dax. Plus de mille kilomètres en perspective. À peine couché, une vive douleur me traverse la tête pendant de longues minutes. Je suis interloqué et m’interroge sur ce qui m’arrive, mais la douleur s’atténue et finalement je m’endors. Dans la nuit, cette même douleur me réveillera à deux reprises, accompagnée de nausées. Quand je me lève, vers sept heures et demie ce vendredi 5 mai, je ne me sens pas très bien. Je prends ma douche, fais ma valise, charge la voiture, et je passe à la salle à manger. J’aime ce moment privilégié : le café préparé spécialement pour moi, car je ne l’aime que léger, le beurre de ferme, le pain cuit par la maman de Marianne, et le fromage en tranches de la Trappe à Chimay, ou le fromage crémeux de l’abbaye de Maredsous. Je mange doucement en décortiquant les nouvelles politiques et économiques du journal « Le Soir ». Un petit cigare. Et maintenant, c’est l’heure. Je vais juste serrer la main de mes deux amies. Au moment précis où j’entre dans la cuisine pour saluer Marianne et sa maman, je ressens à nouveau cette douleur horrible dans la tête, comme si quelqu’un m’y avait planté une hache, et essayait d’écarter les deux parties du crâne fendu. Je commence à prendre conscience de la gravité de la situation. Je demande un peu d’eau que je bois doucement. Je m’assieds par terre et je dis à Marianne : voici le numéro d’un ami médecin et voici celui de mon fils. Prévenez-les. Appelez une ambulance et dites-leur que je fais un AVC (Accident Vasculaire Cérébral). Une employée du Manoir, Anne-Marie, petite mais solide comme les femmes ardennaises peuvent l’être, m’aide à me relever et à retourner 23
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dans ma chambre. L’effort est surhumain. Je m’étends sur le lit. Je suis au bord de la syncope et je hurle de douleur. Les pompiers comprennent immédiatement que le cas est très grave. Ils s’interrogent : comment ce malade sait-il que c’est un AVC ? Est-il médecin ? Marianne répond par la négative, avant de s’effondrer. Pour elle et pour sa maman, je suis un peu l’ami fidèle. Et après ce qu’elles viennent de voir et les commentaires des pompiers, il y a peu d’espoir. Assises dans la cuisine, les mains sur les oreilles pour ne plus entendre, elles perçoivent quand même mes hurlements. « Ma tête, ma tête »… J’ai horriblement mal à la tête. L’ambulance arrive à l’hôpital de Chimay, mais j’ai perdu connaissance. Les médecins, déjà prévenus, sont sur le qui-vive. Ils bloquent l’ambulance, procèdent à deux heures d’examens approfondis et concluent que le cas est tellement grave qu’il faut me transférer vers un hôpital mieux équipé, l’Hôpital civil de Charleroi. L’ambulance repart, sirènes hurlantes. Entre-temps, Chimay a envoyé les résultats par courrier électronique vers Charleroi. Une équipe de neuf neurochirurgiens examinent attentivement les clichés. Sept d’entre eux concluent qu’il n’y a plus rien à faire. Verdict implacable ! Accident vasculaire cérébral avec très forte hémorragie artérielle méningée du tronc cérébral. Pour le public averti, il s’agit d’une hémorragie sousarachnoïdienne, forme la plus grave de ce type d’attaque. Le cerveau baigne dans le sang. Aux yeux des neurochirurgiens, le patient que je suis est irrécupérable et sera probablement mort à l’arrivée de l’ambulance. Cependant, deux médecins, le chef de service, une femme qui comptait parmi les meilleures de sa promotion, et un autre collègue, suggèrent qu’il faut tout tenter. Consulté, le vieux professeur d’université qui a formé la plupart des médecins de cette équipe, conseille lui aussi de suivre l’avis du chef de service. La décision est prise immédiatement de tenter une trépanation. Les médecins attendent l’ambulance dehors. Quand j’arrive, ils constatent que je suis
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en train d’étouffer. La chef de service décide alors de pratiquer immédiatement une trachéotomie. Après ce premier épisode dramatique sur le parking de l’hôpital, c’est l’opération. Elle est délicate, mais je tiens le coup. Les médecins m’enlèvent toutefois de la tête un litre et demi de sang. Et dans les douze jours qui vont suivre, je subirai deux autres trépanations. Les médecins restent très prudents quant à l’issue finale… Bien que je sois dans un coma très profond, je suis très agité et les médecins se voient contraints de m’attacher dans le lit. Mais cela ne suffisant pas à me calmer, après quelques jours de grande nervosité, ils décident d’opter pour la méthode forte en pratiquant des injections de curare. Pendant les quarante prochains jours, je serai comme une momie. Pour le corps médical, je suis en vie, et pourtant l’espoir s’amenuise de jour en jour. Comme ils l’expliquent à mes proches, même si, par extraordinaire, je me réveille, ce sera probablement dans un état lamentable. Hémiplégique au mieux, tétraplégique probablement, aveugle peut-être. Si je reviens à moi, il faudra me réapprendre à parler et à marcher. Le tableau est apocalyptique pour les amis et la famille, qui n’entretiennent pratiquement plus d’espoir… Un choc et des larmes Le 27 mai 2006, bien loin de la Belgique, sous le chaud soleil des Landes, Gaël fête ses vingt-et-un ans avec sa mère, son frère et quelques amis. Laissant la bande à leurs échanges amicaux, Brigitte va préparer le café. C’est alors qu’elle découvre un message sur son téléphone portable (qu’elle oublie souvent sur un meuble au gré de ses activités domestiques). « Bonjour Brigitte. C’est Edmond, le pasteur. Je viens d’avoir des nouvelles de Guy. Il est en Belgique, dans le coma. Mais pour l’instant, je n’en sais pas plus. Appelle sa cousine Christine. Elle pourra te donner de plus amples informations ».
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Folle d’inquiétude, tel un boxeur surpris par un crochet au menton, Brigitte titube. Elle a l’impression que le sol se dérobe sous ses pieds. Mais qu’estil arrivé ? A-t-il eu un accident de voiture ? A-t-il voulu en finir avec la vie ? Quand cela s’est-il passé ? Elle me sentait assez découragé depuis plusieurs mois, car je n’arrivais pas à assumer notre séparation qui remontait pourtant à presque deux ans. La procédure de divorce était en cours. - Allo Christine ? Que s’est-il passé ? - Guy a fait un AVC le 5 mai. On l’a trépané trois fois en treize jours. Il est dans le coma, dans un état désespéré. Les médecins ne lui laissent pratiquement plus aucune chance. Il a besoin de toi… Allo ? Allo ?... Brigitte m’imagine étendu dans la cour de ce petit manoir ardennais qu’elle connaît bien. Elle s’en veut déjà de m’avoir laissé seul. Elle se rappelle certains mots de ma cousine qu’elle n’a pas saisis, écrasée par la surprise, la douleur, l’inquiétude, la panique. Qu’est-ce qu’on lui a planté dans la gorge ? Quand elle réalise que les médecins ont pratiqué une trachéotomie, Brigitte monte les escaliers, comme un automate, ferme la porte à clé, se réfugie sur son lit. Elle hurle : « Non Seigneur, ne me le prends pas !! Si tu me le rends, je te promets que nous revivrons ensemble ». Sa respiration se fait plus saccadée. Des larmes coulent, sur ses joues creusées par le chagrin. « Pas ça !!! »… On frappe à la porte, mais elle ne veut voir personne. Elle veut rester seule, apprivoiser sa douleur, l’exorciser. Elle mettra deux longues heures à se ressaisir. Quand les amis hébétés auront quitté la petite maison, elle viendra expliquer à ses deux fils le drame qui se déroule en Belgique. Quelques jours plus tard, elle téléphone de nouveau à Christine. « Tu sais Brigitte, d’après les médecins, c’est fini. Il n’y a plus rien à faire. Ils nous
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parlent de débrancher prochainement les machines. Mais moi je sais. Dieu me l’a révélé. Rien n’est fini ! ». Ah, cette cousine, quel phénomène !! Un franc-parler à vous glacer sur place, une diplomatie éléphantesque, mais un cœur en or. Pratiquement chaque jour, quand je suis seul sur ce lit de mort, Christine reste près de moi, me parle, guette le moindre mouvement, et prie avec ferveur. Un jour, alors que je ne bouge plus depuis plusieurs semaines et que la plupart des membres de ma famille se sont résolus à une issue fatale, Christine appelle Brigitte pour lui demander de me parler, en espérant que je l’entendrai dans mon coma. - Je vais lui mettre le téléphone sur l’oreille. Tu vas lui parler. - Mais il est toujours dans le coma ? - Oui, mais tu vas lui parler. Dieu m’a révélé qu’il avait besoin de toi. C’est toi qu’il veut ! Brigitte ne comprend pas tout mais s’exécute. « Bébé, c’est moi. Je suis sûre que tu m’entends. Bats-toi ! Ne me laisse pas. Sors de là. Je t’aime tant »… Brigitte est effrayée. Pour seule réponse, elle n’entend que le bruit des machines qui me maintiennent artificiellement en vie. Et ce bruit ressemble à un roulement de vagues déchaînées qui vont tout engloutir sur leur passage. « Donne-moi la main. Fais l’effort de me suivre. Suis-moi. Ne m’abandonne pas. Viens. Tu m’as toujours promis de ne jamais m’abandonner. Qui va veiller sur moi ? Je t’en prie. Fais un signe si tu m’entends ». C’est alors que Christine exulte de joie : « Brigitte ! C’est incroyable !! Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais il a réagi ». Christine ne peut retenir son
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émotion. Sa gorge est si serrée que les mots ne sortent que difficilement. « Brigitte ! Il t’entend. Des larmes coulent sur son visage. C’est incroyable ! ». Désormais, il n’était plus question de me débrancher... ces quelques larmes m’ont assurément sauvé la vie.
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Table des matières Remerciements ....................................................................... 7 Préface ................................................................................... 9 Les auteurs ............................................................................. 13 Introduction ............................................................................ 15 PREMIÈRE PARTIE ..................................................................... CHAPITRE I Un coup de tonnerre dans un ciel bleu ...................................... CHAPITRE II Miracles en série… .................................................................. CHAPITRE III Quand Dieu s’impose enfin… ................................................... CHAPITRE IV Aux frontières de la mort .........................................................
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ALBUM PHOTOS ...................................................................... 63 DEUXIÈME PARTIE .................................................................... CHAPITRE I Business et artères mortelles ..................................................... CHAPITRE II Mon « aventure » avec Bernard Tapie ........................................ CHAPITRE III Un drôle de patron ! ................................................................ CHAPITRE IV Confronté à la mafia ................................................................ CHAPITRE V Des affaires à l’appel missionnaire ............................................
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ANNEXES ................................................................................ 115 POSTFACE ............................................................................... 123