Ta foi t’a sauvé !
Pierre de la Chapelle
Chapitre 1 La Gorda Blanca « Heureux les affligés car ils seront consolés » (Mt 5,5) « La Gorda Blanca ». C’est le surnom de Blanche, l’ancienne prostituée du quartier « chaud » – par la violence, la drogue et la prostitution – de Bogota. Elle était corpulente, d’où ce surnom de « la Gorda », c’est‐à‐dire « la Grosse », et manifestait un caractère assez fort. D’une vie émaillée de violences et de larmes, elle a été délivrée progressivement grâce à l’amour, la patience et l’action efficace de Nohora Cruz, une femme étonnante et admirable, donnée à Dieu. Cette dernière a créé une fondation – la « Fundación Vida Nueva » – qui accueille depuis vingt ans de nombreuses femmes prostituées (et leurs enfants en bas âge), et leur offre une véritable réhabilitation physique, morale et spirituelle, en plus de l’apprentissage d’une activité rémunératrice (coiffure, artisanat, mode…).
En 2001, j’ai rencontré Blanche pour la première fois à Bogota. Après avoir visité les installations de la Fondation, j’ai participé avec mon épouse à un temps de prière avec quelques femmes accueillies là. Au fil des années, Blanche était devenue le bras droit de Nohora. Cette prière « communautaire » m’a bouleversé car je n’avais jamais entendu quelqu’un parler à Jésus avec une telle humilité, une telle tendresse, un tel amour. J’ai revu Blanche et Nohora lors de rencontres organisées au Chili, chaque année depuis mars 2006, avec des patrons, des pauvres, des riches, des prostituées en réhabilitation, des prêtres, religieux et religieuses, des jeunes… Rencontres organisées pendant trois jours, autour d’un thème évangélique développé par un intervenant extérieur. À cette occasion, Blanche et deux autres femmes colombiennes ont raconté au micro comment elles étaient entrées dans la prostitution et les souffrances qu’elles y avaient endurées, puis comment elles en étaient sorties après des années. J’ai été, là encore, bouleversé. D’ailleurs, beaucoup de personnes présentes (surtout des hommes) avaient des larmes dans les yeux en les écoutant et sont venues spontanément leur demander pardon au nom de tous les hommes qui les avaient avilies et violentées. Sans doute, en France, beaucoup de prostituées pourraient témoigner comme elles. Comment nos sociétés, qui se disent modernes, peuvent‐elles tolérer de telles humiliations, un tel mépris et une telle violence ? Après avoir donné leur témoignage, ces femmes m’ont demandé de prier pour elles, l’une après l’autre. Avec une 30
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amie qui a un charisme similaire au mien, nous avons commencé à prier devant la Croix de Jésus et nous les avons invitées à nommer puis bénir toutes les personnes qui leur ont fait du mal. La liste était impressionnante ! Nous avons prié ensuite afin que notre Père céleste, dans la présence aimante de Son Fils et la puissance de Son Esprit, leur apporte Sa paix et Sa miséricorde. Ce temps a été long et douloureux, il leur a permis de retrouver une grande paix intérieure, signe de guérison dans leur chemin de réhabilitation. Pendant le carême 2011, souffrant de sa corpulence, Blanche a voulu se faire opérer de l’intestin afin de perdre du poids, mais l’opération s’est révélée d’autant plus risquée que l’on a retrouvé une balle, restée en elle, souvenir des bagarres passées. Et elle est décédée. Dans son hommage posthume, Nohora a alors écrit au nom de la Fondation Vida Nueva : « Nous sommes sûres que la Gorda est entrée triomphalement dans le Royaume des Cieux, sa conversion fut réelle et son témoignage motif de transformation pour tous ceux et celles qui ont eu l’opportunité de la connaître. Sa mission allait beaucoup plus loin que la simple récupération des femmes qui tristement ont dû exercer la prostitution, elle leur apportait le Salut dans le bonheur d’une vie éternelle, d’une vie nouvelle […] Par Sa Parole, Jésus nous permet, dans notre actualité quotidienne, […] de comprendre ce qu’Il veut dire lorsqu’Il nous annonce que les prostituées et les publicains nous précéderont dans le Royaume des Cieux, à condition qu’ils acceptent de se convertir. Ce passage est la vie dans notre La Gorda Blanca
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communauté et l’espérance avec laquelle les femmes accueillies avancent vers une Vie Nouvelle. Elles se reconnaissent aimées par Lui qui peut tout et retrouvent ainsi leur dignité de Filles de Dieu et Sœurs de Celui qui nous donne la vie. Ainsi nous avons célébré la Pâque de la Gorda Blanca. » La Gorda Blanca a été délivrée par Jésus de plusieurs « démons » – drogue, violences de toutes sortes, prostitution… – à l’exemple de Marie de Magdala. Elle a rencontré puis expérimenté l’amour infini de Jésus, cet amour qui accueille et écoute d’abord, sans juger ni condamner, puis qui pardonne. Alors Blanche a découvert, par Jésus, sa dignité et sa beauté, et s’est vue capable d’aimer, puis d’aider d’autres femmes à sortir de leurs propres « démons ». Jésus l’a guérie, sauvée puis mise en route afin de sauver d’autres femmes ! Quel chemin d’espérance pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui, souffrant d’addictions de toutes sortes et qui se voient enfermés dans les ténèbres jusqu’à la fin de leur existence ! Mais Jésus est là, présent en eux, et se montre par de petits signes, des rencontres par exemple. Il leur suffit de lever les yeux vers « la Lumière » pour connaître le chemin du Salut. Marie de Magdala est cette femme dont l’Évangile de Luc dit que d’elle « sont sortis sept démons » (Lc 8, 2). Elle vient de Magdala, lieu d’un campement de soldats romains. Elle y est connue comme Marie, la prostituée du camp romain. Dès qu’elle rencontre Jésus, elle est bouleversée, Le suit et Le sert avec humilité et amour au point de Lui oindre les pieds de ses larmes et d’un 32
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parfum de grand prix, puis de les essuyer avec ses cheveux (Jn 12). La maison s’emplit alors de l’odeur forte du nard. Ce geste peut paraître excessif et déraisonnable, mais c’est un geste de pur amour. Il provoque la critique de Judas et des disciples (Mt 25), puis l’éloge de Jésus (Lc 7, 3650) qui termine Son apostrophe publique en disant à Marie : « Tes péchés te sont remis », puis « Ta foi t’a sauvée ; va en paix ». Dans ce passage, Jésus parle de « Salut ». Un mot qui revient souvent au fil de ce livre. Il annonce même (Mt 26, 13) que la démarche de Marie « sera proclamée dans le monde entier », la confirmant et la bénissant ainsi dans sa beauté, son amour et sa dignité de femme. On retrouve Marie de Magdala au Golgotha. Elle est au pied de la Croix avec la Mère de Jésus. Dans les premières lueurs de la Résurrection, elle vient, seule, devant le tombeau. Désespérée, elle cherche le corps de Jésus. Marie cherche Jésus mais c’est Lui qui la trouve ; Il se révèle à elle en l’appelant par son nom : « Marie », la pardonnée et l’aimée. Elle s’écrie alors de tout l’amour de son être : « Rabbouni », c’estàdire Maître. Comme elle, ne cherchons‐nous pas Jésus sans cesse où Il n’est pas, idéalement dans notre immédiateté ou dans une représentation d’il y a deux mille ans ? Alors qu’Il est là, en nous et à côté de nous, dans la banalité de notre vie quotidienne. Il nous aime et nous pardonne, comme Il a aimé et pardonné à la « Gorda Blanca ». Souvent je me suis demandé pourquoi Jésus m’a appelé à ce ministère, alors La Gorda Blanca
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que j’approchais la soixantaine et après un passé qui est loin d’être exemplaire ! Alors j’ai pu goûter l’extrême compassion de Dieu qui ne choisit pas en fonction des mérites mais en fonction de notre docilité à son amour.
Chaque année, durant mon séjour au Chili, je vais à Valparaiso visiter des prostituées, accueillies dans un Centre de réhabilitation assez discret afin d’éviter le chantage et les représailles possibles de proxénètes. Ce Centre est dirigé par une religieuse, sœur Patricia Beltran, dite « Patty ». Détruit lors du tremblement de terre de février 2010, il a été reconstruit. Elle a alors tenu à ce que, dans la nouvelle chapelle, Jésus ne soit pas montré crucifié, mais ressuscité, c’est‐à‐dire sans la Croix. Patty m’en a donné la raison : « Ces femmes souffrent déjà assez, alors montrons‐leur un Christ ressuscité ». Quelques‐unes d’entre elles ont été invitées aux rassemblements cités plus haut et je les ai vues participer activement à toutes les activités proposées. Certaines m’ont demandé de prier pour elles, ce que j’ai fait avec l’aide de la sœur Patty, et puis, j’ai continué de façon plus large en allant dans leur Centre. Je suis arrivé dans une salle où nous attendaient une vingtaine de femmes. Chacune s’est présentée brièvement puis nous avons prié. J’avoue que je me suis senti bien pauvre et démuni en écoutant ces femmes et j’ai beaucoup demandé à l’Esprit Saint de me conduire. 34
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Je me souviens en particulier de trois d’entre elles : la première, Clara, désirait sortir de son addiction à la drogue ; nous avons longuement prié ensemble devant la Croix de Jésus. Elle a abandonné la drogue pendant six mois avant de rechuter ; je ne l’ai jamais revue. La seconde, Josefina, m’a demandé de prier afin d’être libérée de ses doutes et surtout du dégoût d’elle‐même qui imprégnait sa peau. La troisième, Maria, était encore prostituée et souffrait de honte et de mépris d’elle‐même au point de se haïr et de se voir irrécupérable. Que sont‐elles devenues ? Je ne sais. Lors du temps de prière vécu ensemble dans la chapelle du Centre, devant le Christ ressuscité, j’ai évoqué le fait de nommer devant Jésus les personnes qui leur ont fait ou qui leur font encore du mal. Je savais que j’abordais là un domaine très douloureux de leur vie, je leur ai parlé alors de la prière du « Notre Père » (Lc 11, 3) dans laquelle Jésus nous invite à demander le pardon de notre Père « comme nous pardonnons à ceux qui nous ont fait du mal ». Elles ne pouvaient pas les nommer à haute voix, alors nous avons pris un temps de silence, elles les ont nommés dans leur cœur et, avec la sœur Patty, j’ai dit une prière pour ces personnes. Quand je les ai quittées, elles m’ont demandé de continuer à prier pour elles, ce que je fais au même titre que toutes les personnes citées dans ce livre. Ce témoignage nous fait toucher de nouveau à l’amour infini de Jésus. Il ne pose aucune condition ni préalable pour aimer. Il aime d’abord… et d’abord les pauvres de notre société actuelle, les méprisés de notre regard, les rejetés de notre morale et les exclus du progrès. La Gorda Blanca
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En regardant et en écoutant ces femmes, j’avais l’impression d’assister à la rencontre entre Jésus et la femme adultère (Jn 8). On ne sait même pas son nom, simplement que, méprisée par les scribes et les Pharisiens, elle est « jetée » aux pieds de Jésus. Quel contraste étonnant entre elle, transie de honte et de peur, et Jésus qui, calmement et silencieusement, se met à écrire avec un doigt sur le sol ! Après les avoir écoutés, Il lève la tête et dit aux accusateurs : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Alors ceuxci partent discrètement l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés ! La Tradition voulait en effet que ce soit le plus âgé qui jette la première pierre. Et Jésus dit : « Femme, où sontils ? Personne ne t’a condamnée ? Moi non plus, Je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus ». Jésus ne juge pas la Gorda Blanca, Clara, Josefina, Maria, et tant d’autres ! Comme à la femme adultère, Il pardonne d’abord, Il est proche d’elles, Il leur révèle leur beauté intérieure ! Il vient les libérer, les sauver et leur apprendre à aimer du seul véritable amour.
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De la même façon, dans la parabole du fils prodigue (Lc 15, 20), le Père attend son fils, parti dilapider sa part d’héritage dans une vie dissolue. Et, dit le récit, « en le voyant revenir de loin, son Père se précipite, court se jeter à son cou et l’embrasse tendrement ». Comme visàvis des femmes évoquées dans ce chapitre, il ne le juge pas et prépare une fête en disant : « Mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! ». Ces textes sont des hymnes magnifiques à la tendresse et à la compassion de Dieu. Comment nous comportonsnous Ta foi t’a sauvé !
visàvis de nos propres enfants, lorsqu’ils ne correspondent pas à ce que nous voudrions qu’ils soient ? En évoquant Nohora (dans le premier témoignage) et la sœur Patty (dans le second), ces femmes qui ont donné leur vie pour soulager les souffrances des méprisées de la terre, je suis très touché par leur compassion, leur amour total, leur désintéressement, même si les deux restent assez exigeantes avec les femmes qu’elles accueillent. Elles me renvoient vers le témoignage suivant2 : incarcéré à la prison de Fresnes, un SDF, âgé d’environ 80 ans, avait été condamné à une lourde peine de prison pour le meurtre d’un ami, un autre SDF, commis en pleine ébriété. Effondré par cet acte, il s’isolait, se murait dans un silence profond – augmenté par une certaine surdité – et se négligeait totalement, au point d’être d’une saleté repoussante. Pour l’aider à se remettre debout, l’administration le plaça dans la cellule d’un autre détenu (un de mes amis) dont le charisme de compassion était connu. Celui‐ci l’accueillit avec douceur, lui parla, l’aida à se déshabiller, rangea ses vêtements (plus tard, il les lava) puis, tout naturellement, il lui enleva ses chaussures et ses chaussettes. Découvrant de nombreuses plaies, il lui lava les pieds et lui coupa les ongles. Alors cet 2 Cité dans mon livre « Le bonheur est avec Dieu » La Gorda Blanca
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homme fondit en larmes et raconta toute son histoire, commençant ainsi une lente remontée… De même, dans la parabole du bon Samaritain (Lc 10, 2937), Jésus nous enseigne la compassion. Si j’actualisais ce texte aujourd’hui, je le raconterais ainsi : un homme revient chez lui depuis la gare voisine du RER ; il est agressé, tombe et reste couché par terre, sanguinolent. Des personnes passent, regardent sans s’arrêter, d’autres détournent la tête en passant. Seul s’arrête un étranger, qui parle au blessé, le relève et l’accompagne dans une pharmacie, puis le ramène chez lui en prenant bien soin que quelqu’un lui donne une boisson chaude et l’aide à se coucher. Le lendemain, il revient même prendre des nouvelles… Voilà comment se manifeste la compassion de Dieu. Ce témoignage de compassion gratuite nous renvoie vers notre vie quotidienne : lorsque nous sommes témoins d’agressions, que faisonsnous ? Passonsnous notre chemin, détournonsnous le regard ou, au moins, prionsnous pour la victime et ses agresseurs ? Sujet difficile mais concret de méditation. Plus simplement, croisonsnous le regard de ceux que nous rencontrons, ceux qui quémandent dans la rue ? Récemment, dans un couvent dominicain de New York, le responsable des novices a envoyé vingt d’entre eux traverser un quartier de la ville pour rejoindre un autre lieu. Sur le chemin, un acteur jouait le rôle d’un homme blessé, couché et demandant de l’aide. Un seul des novices s’est arrêté pour proposer de l’aide à cet homme ! 38
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Remarque : chaque année depuis 2007, je suis invité pendant deux semaines au Chili et j’y prie pour des malades (plusieurs guérisons relatées dans ce livre ont eu lieu là‐bas). J’ai vécu en Amérique latine, il y a près de trente ans, mais j’ai bien oublié mon espagnol. De ce fait, lors de mon premier séjour, je comprenais difficilement les paroles des personnes pour qui je priais, d’autant que leur émotion rendait parfois la conversation peu audible, en particulier les femmes que je viens d’évoquer. De plus, je ressentais moi‐ même beaucoup de difficulté à leur traduire de façon exacte les paroles que je recevais (en français !) pendant ma prière, et il s’est avéré très difficile de demander à la personne qui priait avec moi de faire une traduction simultanée. Alors, les années suivantes, avant et pendant mon séjour, j’ai demandé à l’Esprit Saint de me donner un charisme de traduction simultanée. Et bien, je peux attester qu’à ma grande surprise, je l’ai reçu ! N’estce pas une illustration de la Pentecôte (Actes 2, 113) durant laquelle la foule présente s’interroge en écoutant les apôtres ? « La multitude se rassembla et fut confondue : chacun les entendait parler en son propre idiome… “Nous les entendons publier dans notre langue les merveilles de Dieu ! ” »
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Sommaire Préface....................................................................................................................................13 Introduction........................................................................................................................17 Chapitre 1 La Gorda Blanca...............................................................................29 Chapitre 2 Béatrice................................................................................................... 41 Chapitre 3 Isabella...................................................................................................... 51 Chapitre 4 Rosine ......................................................................................................63 Chapitre 5 Guillaume................................................................................................71 Chapitre 6 Véronique............................................................................................ 79 Chapitre 7 Marguerite............................................................................................85 Chapitre 8 Marie-Agnès......................................................................................95 Chapitre 9 Le peuple de Dieu en marche vers son Salut…99 Chapitre 10 « Ta foi t’a sauvé(e) … »......................................................113 Annexe – « L’effet placebo ».........................................................................119 Du même auteur .........................................................................................................123