PRÉFACE Jérôme Bastianelli
LES IMAGES P.86 SE PENSENT ENTRE ELLES
P.08
À TOI QUI P.10 APPARTIENT LE REGARD ?
Katia Kameli, Dayanita Singh, Ho Rui An, Dinh Q. Lê, Brook Andrew, Rosângela Rennó, Mariana Castillo Deball, Carlos Garaicoa
Christine Barthe
Entretiens avec les artistes : Christine Barthe, Marie Chênel, Annabelle Lacour et Anna Seiderer. Article concernant l’œuvre de Santu Mofokeng : Érika Nimis.
SIXSIXSIX Samuel Fosso
P.14
L’IMAGE P.18 EST-ELLE UN COUP D’ŒIL ARRÊTÉ ? Cinthya Soto, Lek Kiatsirikajorn, Daniela Edburg, Jo Ractliffe, Guy Tillim, José Luis Cuevas
HISTOIRES P.132 DES PAYSAGES
Sammy Baloji, Dinh Q. Lê, Mario García Torres, Heba Y. Amin, Gosette Lubondo, Shiraz Bayjoo
PASSAGES P.164 DANS LE TEMPS Yoshua Okón, Alexander Apóstol, José Alejandro Restrepo
ANNEXES
Œuvres présentées dans l’exposition non reproduites dans le catalogue Bibliographie
SE P.60 RECONNAÎTRE DANS UNE IMAGE Santu Mofokeng, Oscar Muñoz, Samuel Fosso, Che Onejoon
P.182
Biographies
SAMUEL FOSSO
Samuel Fosso SIXSIXSIX 2016 666 tirages Polaroïd® 24 × 19 cm Courtesy J.-M. Patras/Paris
Samuel Fosso a construit, depuis ses premiers autoportraits à la fin des années 1970, une œuvre où la transformation de sa propre apparence est primordiale. Il a considérablement approfondi le genre de l’autoportrait. Sa pratique toujours renouvelée lui a permis d’incarner des archétypes, des figures historiques, mais aussi de réinterpréter des épisodes difficiles de sa propre vie. On peut observer dans l’ensemble de son œuvre une oscillation entre des images de métamorphose et d’autres qui relèvent plutôt de modifications subtiles. La pièce monumentale dans laquelle il apparaît ici est réalisée sans maquillage ni accessoires. Centrée sur le visage de l’artiste, elle place le visiteur dans un face-à-face actif qui ne livre pas une clef de signification immédiate. Elle est ainsi une introduction à l’exposition sous une forme interrogative et ouverte aux interprétations. Dans cette forme du portrait où la photographie prédomine, qui regarde qui ?
CINTHYA SOTO
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Annabelle Lacour Où avez-vous étudié et quel est votre parcours ? Cinthya Soto Je suis née et j’ai grandi à Alajuela au Costa Rica. Après des études d’architecture pendant deux ans, j’ai déménagé à Quebradilla où j’habite encore aujourd’hui. J’y ai étudié les beaux-arts avec une spécialité en gravure. Dans le même temps, j’ai décidé de passer un diplôme de photographe afin de compléter mes connaissances. En 1999, je suis partie suivre des cours de réalisation cinématographique en Suisse. Voilà pour mon parcours technique et conceptuel. J’enseigne aujourd’hui l’histoire de l’art et la théorie de l’art à San José.
AL Pourquoi avez-vous décidé de devenir artiste ? Et pourquoi avoir choisi la photographie ? CS Je pense que l’une des choses que je préfère dans la photographie, c’est d’interroger la réalité. Ce que nous appelons la réalité est une perception plutôt instable et la photographie permet de recréer ou d’extraire des choses de cette notion. Dans mon travail, j’aime particulièrement évoquer le média, que ce soit en montrant le cadrage mais aussi l’appareil photo, à l’instar des pièces que vous avez dans la collection Paysage (re)trouvé : à la recherche du paradis perdu (2010-2011). Comme l’a dit Marshall McLuhan, “le média est le message”. J’accorde de l’importance au fait que la photographie soit une sélection, ce qui implique que l’on discrimine le reste. Donc une grande partie de mes travaux est liée à cette notion et au média en tant que tel.
AL Pouvez-vous nous expliquer vos méthodes ? Avez-vous une façon particulière d’utiliser la photographie ? CS Dans le cas des images de la série Paysage (re)trouvé, réalisées en Argentine, c’était pour moi un moyen de recréer comment les gens ont utilisé la photographie au cours de l’histoire. J’ai tout de suite écarté le numérique, parce que je souhaitais véritablement aborder les paysages comme on le faisait au xixe siècle. Je voulais expérimenter personnellement cette aventure, en utilisant un appareil photo argentique. Je désirais réaliser des images et des films sans passer par Photoshop. Parfois, faire un cliché pouvait prendre huit heures. Se concentrer sur un appareil photo 6 × 6 est très difficile, car si on décale l’équipement, même un tout petit peu, on n’a plus la même netteté. Afin d’obtenir cette incroyable précision de couleurs, je devais également changer la position des deux objectifs du Rolleiflex, car celui du haut n’a pas la correction de couleurs ou la perfection physique de celui du bas. Lorsque je préparais mon voyage, j’ai rencontré Victor Nasello à Buenos Aires, qui m’a aidée sur les aspects techniques de mon projet. AL Pour certains de vos autres travaux, vous avez pris plusieurs photos d’un même endroit afin de révéler ses multiples points de vue. Pouvez-vous nous expliquer l’idée derrière cette méthode ? CS Selon moi, la manière dont nous percevons les choses n’est pas la seule et unique façon de les appréhender. Peut-être ne le faisons-nous pas consciemment, mais nous changeons
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SE RECONNAÎTRE Santu Mofokeng, Oscar Munõz, Samuel Fosso, Che Onejoon
DANS
UNE IMAGE
SAMMY BALOJI
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Christine Barthe Comment décide-t-on ou comment ne décide-t-on pas de devenir artiste ? Sammy Baloji Ça se passe, je crois, dès l’école primaire, mais c’est de l’ordre de l’intérêt pour le dessin en fait… et la lecture des bandes dessinées pendant les études secondaires, une passion partagée avec des amis. C’est à cette période que nous avons créé un premier collectif avec en tête de faire des bd avec nos propres histoires, parce que la plupart des bd qu’on trouvait à l’école étaient plutôt belges, occidentales, et du coup c’était un peu difficile de se retrouver dedans, parce que ça ne parlait pas de la réalité congolaise… C’est donc à l’âge de quinze ans que nous avons commencé à concevoir des scénarios, à créer des bandes dessinées en fait. Après, il n’y avait pas d’imprimeries, ni de maisons d’édition… Donc, nous faisions des journées portes ouvertes où nous présentions nos travaux aux amis… Et le fait d’avoir ce collectif a permis à des artistes d’autres disciplines (l’audiovisuel, le théâtre…) de se joindre à nous. Tout ça devenait un club d’amis artistes… Plus ou moins des gens de la même génération, des jeunes. Ensuite, à l’université, j’ai suivi les cours du département d’information et de communication car il devait y avoir une option cinéma, mais qui n’a pas été créée… Et, donc, j’ai étudié les relations publiques, mais ça m’ennuyait… Entre-temps, comme je voulais faire du cinéma, je me suis intéressé à la photographie pour la question de la lumière, et je me suis dit : “Je vais apprendre aussi cette technique-là.” Évidemment, à l’université, les cours de sémiologie, d’analyse d’images nourrissaient les questions de création et de composition. Puis, j’ai décidé d’assister un photographe professionnel en labo, parce qu’à l’université c’était de la théorie mais pas de pratique. Ce qui m’a permis de me former comme photographe, et par la suite j’ai été pris comme bénévole au Centre culturel français, à l’Institut français. CB Le début avec le collectif est important, d’autant plus que cela a continué. SB Oui, quand on a commencé à atteindre le nombre d’une dizaine, il a fallu structurer tout ça, trouver des lieux de rencontre pour discuter des projets. Le club existe toujours d’ailleurs, mais par la suite j’ai quitté le collectif, et d’autres collectifs se sont créés autour de ce club. Mais nous restons en contact… CB Parlons de votre façon de travailler, de votre goût pour la recherche d’images, de la documentation, et de votre intérêt pour le collage, le montage, l’association… SB Ce n’est pas quelque chose de réfléchi dès le départ. Évidemment, pour les premières séries, je photographiais les rues et puis on faisait des collages, des assemblages. Déjà, quand je travaillais au Centre culturel français, le deal avec le directeur était de me donner accès aux appareils photos ou à l’ordinateur, et comme ça, je pouvais continuer mes recherches personnelles. Je pouvais travailler avec lui parce que c’était un passionné du patrimoine. Quand il est arrivé en mission à Lubumbashi, il était impressionné par l’architecture qui était là, mais qui était abandonnée, qui disparaissait. Il essayait de travailler avec des architectes ou des historiens de l’art sur l’architecture coloniale et aussi sur le patrimoine
HEBA Y. AMIN
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Annabelle Lacour Où avez-vous étudié et quel est votre parcours ? Heba Y. Amin J’ai grandi au Caire, mais j’ai étudié aux États-Unis. Une bourse d’études m’a conduit dans une université d’arts libéraux (Liberal Arts College). J’ai donc fait toutes mes études et passé mon diplôme d’art dans l’université du Minnesota. Je suis restée là-bas pendant onze ans, puis je suis rentrée en Égypte. Actuellement, je travaille et j’enseigne à Berlin. AL Quand et pourquoi avez-vous décidé de devenir artiste ? HYA Je n’ai jamais décidé d’être artiste. Ce n’est pas vraiment une décision. C’est la façon dont je me suis toujours exprimée en fonction de ma façon de voir le monde. AL Parlez-nous de la façon dont vous travaillez. Avez-vous des méthodes spécifiques ? HYA Ce qui est intéressant, c’est que j’ai étudié la peinture, et qu’actuellement, c’est le seul médium que je n’utilise pas. Je trouve que les distinctions entre médiums, tels qu’ils sont enseignés aujourd’hui dans les écoles d’art, sont plutôt désuètes. Le bagage le plus utile qui m’a été donné pendant mes études d’art est la pensée critique. Une compétence qui n’est pas à l’ordre du jour dans l’enseignement universitaire d’aujourd’hui, alors que, dans l’environnement politique actuel, nous en avons plus que jamais besoin. Je suis également une trajectoire universitaire, donc je mène de front ces deux carrières qui se chevauchent très souvent. Mon travail s’appuie sur des travaux de recherche et d’investigation, car je suis soucieuse d’avoir un discours engagé. Je me plonge dans des sujets et des histoires qui m’intéressent et je passe un temps infini à me documenter, souvent pendant des années. On pourrait même dire que mon véritable médium, c’est la recherche, que c’est l’élément essentiel de mon travail. Cette façon de travailler est devenue compliquée, parce qu’il n’y a ni début ni fin aux projets que je réalise et que cela me prend énormément de temps, ce qui n’est pas adapté au monde de l’art à grande vitesse. AL Diriez-vous que tous vos travaux sont inachevés ? HYA Oui, ils sont inachevés, dans le sens où je peux toujours les développer davantage. C’est pour cette raison que mes travaux sont considérés comme des “projets-cadres”, des projets évolutifs, comprenant d’autres sous-projets. Je présume que cela m’offre la flexibilité de poursuivre une trajectoire de recherche en particulier. Je peux faire une itération de mon œuvre et, des années après, je peux décider d’y ajouter quelque chose. AL Votre travail a été exposé à l’international. En fonction du pays, avez-vous remarqué des différences dans la perception de vos œuvres par le public ou les médias ? HYA Absolument. Il était important pour moi d’être représentée par une galerie des pays du Sud, parce qu’ils comprennent ce qui est en jeu et dans quel genre de travail je dois m’engager en cette période précaire. Les artistes des pays du Sud travaillant en Europe doivent souvent parler de leur identité dans leurs œuvres, que ce soit pour relayer l’impact
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toujours existant du colonialisme, pour combler des lacunes de l’histoire ou pour proposer des récits alternatifs. J’ai à cœur de toucher un public large, bien au-delà de la bulle du milieu de l’art. Par quels mécanismes pouvons-nous renverser les récits médiatiques et attirer l’attention sur les questions importantes ? J’essaie vraiment de trouver la manière dont je peux me servir des médias comme outils pour attirer l’attention sur les problématiques que mon œuvre aborde, plus que sur l’art proprement dit. En 2015, par exemple, j’ai effectué une intervention pour la série télévisée américaine Homeland. Cette intervention – des graffitis subversifs en arabe – a ouvert le débat sur les stéréotypes dangereux produits par l’industrie du divertissement et ses répercussions sur les gens. À cette occasion, j’ai pris la mesure du pouvoir potentiel de l’art et de ses stratégies pour s’infiltrer dans la conscience d’un public. Alors, comment pouvons-nous l’utiliser pour aborder la manière dont les personnes marginalisées ont été lésées et leurs histoires effacées ? C’est une voie dans laquelle beaucoup d’artistes s’engagent aujourd’hui. AL Est-ce important pour vous d’exposer, ici en France, des travaux qui traitent de sujets comme l’histoire coloniale et la migration contemporaine ? HYA Oui, c’est très important. Ce sont des sujets qui façonnent les disparités raciales et économiques, encore à l’œuvre aujourd’hui. Il existe de nombreux récits qui n’ont jamais été racontés et qui expliquent la situation contemporaine. Les problèmes actuels, comme la prétendue crise migratoire, ne se produisent pas ex nihilo. Nous devons relayer le fait qu’il s’agit d’un reliquat du colonialisme et que les siècles d’exploitation nous ont conduits aux conflits actuels. Nous devons faire face à cette absurdité, ce fantasme qui consiste à penser que nous pouvons maintenir des sociétés homogénéisées dans un monde néolibéral et mondialisé. Il est nécessaire de mieux comprendre le contexte dans lequel nous vivons, et je pense que les médias de masse font peu pour contextualiser cela. Je considère donc l’art comme un espace possible pour combler ces lacunes.
AL Pouvez-vous nous parler plus précisément de votre travail de 2016, The Earth is an Imperfected Ellipsoid ? Pouvez-vous nous expliquer le point de départ de ce projet ? HYA The Earth is an Imperfected Ellipsoid est un projet qui se penche sur l’histoire de l’optique et des outils de visualisation utilisés par les systèmes coloniaux. Ce projet examine en particulier la manière dont la mobilité des corps est contrôlée par des systèmes de surveillance et de contrôle du territoire. Il critique notamment la façon dont les médias occidentaux présentent la migration actuelle comme une crise européenne. En 2014, j’ai effectué un voyage en Afrique de l’Ouest, en suivant des itinéraires migratoires historiques et contemporains. Pendant ce voyage, je devais mettre en lumière certains écrits Histoires historiques qui pourraient aider à expliquer la situation, sans faire le récit d’une migration des paysages éprouvante vécue par d’autres et en leur nom.
YOSHUA OKÓN
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Christine Barthe Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous devenu artiste ? Yoshua Okón Je n’ai jamais envisagé d’autre option. Il se trouve que j’ai eu cette idée et que je n’ai jamais changé d’avis. Bien entendu, mon point de vue sur l’art ou sur ce qu’est un artiste s’est radicalement modifié avec le temps… Après une courte période à l’enap, qui fait partie de l’unam, à Mexico, en 1990, je suis allé à Montréal au Canada pour obtenir une licence en beaux-arts. J’ai commencé par faire de la peinture, avant d’évoluer vers d’autres médias. Puis, je suis rentré au Mexique en décembre 1993 et j’ai cofondé le lieu associatif La Panaderia, où je pense avoir appris davantage qu’à l’école. Finalement je suis parti à ucla à Los Angeles pour passer un master (mfa) entre 2000 et 2002. CB D’accord. Avez-vous une méthode de travail particulière ? YO Oui, en général, mes idées sont très spontanées et très inspirées de ma vie de tous les jours. Dans les premières étapes, je compte beaucoup sur l’intuition. Ces idées sont des points de départ, à partir desquelles j’entame des recherches sur le thème qui m’intéresse. Ensuite, je démarre la conceptualisation ou je commence à penser à des formes spécifiques, à faire des croquis et à développer tout cela jusqu’à ce que j’en sois satisfait. Enfin, il y a la production, qui est un processus en soi, et l’installation. CB Parlons de l’importance de la performance, et aussi de la part d’improvisation et de manipulation dans votre processus de création. YO Beaucoup de mes travaux sont des formes hybrides qui mélangent performance, vidéo et installation. Sur ce, tous ces médiums sont de même importance. Je crée des scénarios, dans lesquels il y a une tension entre ce qui est planifié, écrit à l’avance, la trame fictive, et des éléments trouvés, hors de mon contrôle, qui se déroulent en temps réel – la part documentaire en quelque sorte. Ces scénarios sont filmés, puis présentés comme des installations vidéo. Je collabore toujours avec des gens qui ne sont pas des comédiens ou avec des personnes qui jouent leur propre rôle dans des scénarios semi-fictionnels. Il y a donc évidemment un certain degré de manipulation de ma part, mais aussi une part d’incertitude qui permet une forme de liberté dans la façon dont les gens jouent ou se représentent eux-mêmes. En conséquence de ces tensions entre fiction et documentaire, l’esprit du public essaie constamment de comprendre où est la frontière entre manipulation et réalité. Vous êtes toujours en train de définir jusqu’à quel point ce que vous regardez est “réel”. Et ce processus en lui-même me plaît parce qu’il encourage l’observateur à participer de façon active et créative. Au fond, ce qui m’intéresse c’est d’inciter le public à repenser certaines de ses propres notions de ce qu’est la réalité. Nous avons souvent une idée conventionnelle de la réalité, qui est en général héritée ou transmise par les médias. Un objectif important de ma pratique artistique, indépendamment du résultat, est que chaque spectateur fasse l’expérience de repenser certaines de ces notions.
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CB Cela veut donc dire que vous prenez le risque d’un malentendu… YO Je pense que les récits conventionnels et prédominants sont pleins de malentendus. Des malentendus parfois voulus. Je souhaite utiliser l’art pour repenser et questionner certaines de ces histoires. Donc, oui, il y a un risque de mauvaise interprétation, ou que les gens refusent de remettre en cause leurs idées, mais c’est aussi une opportunité pour mieux comprendre la complexité du monde. L’art peut stimuler un processus de pensée créative, libre et critique, un processus pour développer notre propre interprétation de la réalité, sans le filtre des médias. CB La première des pièces exposées s’intitule Coyoteria. Était-ce initialement une performance ou une installation ? YO Au départ, Coyoteria a été conçue comme une installation vidéo. La performance originelle a été filmée, sans public. Mais après sa présentation on m’a demandé à plusieurs reprises de la présenter comme une performance en live lors du vernissage. Et j’ai accepté parce que j’ai trouvé que cela fonctionnait bien aussi comme performance. Le point de départ de Coyoteria est à la croisée de deux textes que j’ai lus presque en même temps. Et il y a quelque chose de très ironique dans leur opposition. Le premier est le livre de Miguel León-Portilla de 1959, La Vision de los vencidos, qui est une compilation de textes rédigés par les Aztèques juste après la conquête espagnole au xvie siècle. Il y est fait référence aux Espagnols comme à des coyotes. Dans de nombreuses cultures amérindiennes, et notamment aztèques, cet animal est le symbole de l’escroc. C’est logique qu’ils aient utilisé ce terme pour désigner les Espagnols, qui les ont floués en leur faisant croire que leurs intentions étaient pacifiques, pour finalement les attaquer pendant la cérémonie de bienvenue au moment où les guerriers aztèques dansaient. Juste après, j’ai lu un texte sur la performance de Joseph Beuys, I Like America and America Likes Me, performance réalisée à la Galerie René Block à New York en 1974, dans laquelle il utilise le coyote comme un symbole de spiritualité dans l’Amérique précolombienne. En résumé, le coyote symbolise deux opposés dans ces deux textes : d’un côté, l’avidité du conquérant européen ; de l’autre, la spiritualité amérindienne. Dans le Mexique d’aujourd’hui, le terme de “coyote” est toujours utilisé pour faire référence à un intermédiaire qui monte des affaires louches. Ce serait, par exemple, la personne qui fait passer la frontière à des migrants sans papiers ou qui corrompt les autorités. Le terme a donc conservé sa connotation négative de quelqu’un de corrompu, avide, malhonnête, à qui l’on ne peut pas faire confiance. Comme à Mexico, on peut embaucher des “coyotes” devant certains bâtiments officiels, j’ai décidé d’en engager un et je lui ai demandé de reproduire la performance de Beuys. Voilà le contexte de cette pièce.
Passages CB Et les différents types d’objets présents dans l’œuvre, comme le clairon ou le bâton dans le temps de police, comment sont-ils reliés à l’œuvre de Beuys ?
José Alejandro Restrepo Paso del Quindío I (installation et détails) 1992 Installation vidéo, son The Museum of Fine Arts, Houston, Museum purchase funded by the Caribbean Art Fund and the Caroline Wiess Law Accessions Endowment Fund, 2013.186
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Alexander von Humboldt (1769-1859) Passage du Quindiu 1810 Folio : « Vues des Cordillères et monumens des peuples indigènes de l’Amérique », planche 5 Collège de France – Bibliothèque patrimoniale Inv. PP191067954