Musée du quai Branly – Jacques Chirac
A.R. Penck Leonce Raphael Agbodjelou Jean-Michel Alberola Alun Be
Sous la direction de Philippe Dagen
Alun Be
Steve Bandoma
Steve Bandoma
Jean-Michel Basquiat
Jean-Michel Basquiat
James Brown
James Brown
Seyni Awa Camara
Seyni Awa Camara
Jake et Dinos Chapman
Jake et Dinos Chapman
Chéri Samba
Chéri Samba
Antoni Clavé
Antoni Clavé
Calixte Dakpogan
Calixte Dakpogan
Hervé Di Rosa
Hervé Di Rosa
Gloria Friedmann David Hammons Romuald Hazoumè
I S B N 9 7 8 -2 -0 7 -2 8 9 2 4 8 -6
Jean-Michel Alberola
Kader Attia
John Edmonds
G 0 4 1 5 8
Leonce Raphael Agbodjelou
Kader Attia
Kifouli Dossou
42 €
A.R. Penck
Ex Afri ca
Kifouli Dossou John Edmonds Gloria Friedmann David Hammons Romuald Hazoumè
Bertrand Lavier
Bertrand Lavier
Jean-Jacques Lebel
Jean-Jacques Lebel
Gonçalo Mabunda
Gonçalo Mabunda
Emo de Medeiros
Emo de Medeiros
Théo Mercier
Théo Mercier
Annette Messager
Annette Messager
Myriam Mihindou
Myriam Mihindou
ORLAN
ORLAN
Nazanin Pouyandeh
Nazanin Pouyandeh
Sarkis
Sarkis
Franck Scurti
Franck Scurti
Pascale Marthine Tayou
Pascale Marthine Tayou
Pathy Tshindele
Pathy Tshindele
Françoise Vergier
Gallimard
Gallimard
Françoise Vergier
À tous les artistes vivants participant à l’exposition ont été posées plusieurs questions, auxquelles ils étaient invités à répondre sous la forme et dans la longueur qui leur convenaient. Ces questions étaient précédées d’un rappel du propos de l’exposition : « Montrer en quoi les arts africains que l’on peut dire aujourd’hui classiques demeurent présents et actifs dans la création actuelle. Alors qu’une exposition telle que “Primitivism” (Museum of Modern Art, New York, 1984) les réduisait au rôle de modèles formels pour les avant-gardes occidentales de la première moitié du xxe siècle, qui appartiennent désormais au passé, ces œuvres sont toujours vivantes aujourd’hui, dans notre présent. Elles le sont à travers vos propres créations, directement ou indirectement, et c’est ce que “Ex Africa” entend établir en vous réunissant, en plaçant vos œuvres en résonance entre elles, en présentant au public tous les usages et réactivations que vous en faites. Toutes les formes de création plastique sont concernées, la seule limite étant celle de la date : des années 1980 à nos jours. » Les réponses reçues ont été classées par ordre alphabétique des artistes. Certaines respectent l’ordre des questions, d’autres s’en affranchissent.
Philippe Dagen
Pages 1 à 6 Photographies des salles de l’exposition «Primitivism», Museum of Modern Art, New York, 1984
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LEONCE RAPHAEL AGBODJELOU Quels ont été vos premiers rapports avec les arts anciens d’Afrique? Comment les avez-vous découverts, dans quelles circonstances biographiques?
Je vis au Bénin et j’y suis entouré de toutes sortes de pièces d’art africain. Tout petit, j’ai côtoyé beaucoup de sculpteurs du côté de ma famille maternelle. J’étais souvent avec eux pendant mes vacances. Ils sculptaient des masques Guélédé et des Boccio, qui étaient ensuite vendus sur les marchés. J’ai grandi au milieu des cérémonies des Egungun. Je baigne dedans depuis mon enfance. C’est mon monde, c’est ma culture.
Vos relations avec eux sont-elles aujourd’hui régulières ou plutôt épisodiques? En collectionnez-vous, par exemple? Allez-vous dans les musées où ils sont conservés? Quelle place occupent-ils dans votre musée imaginaire?
Mes relations avec ces œuvres sont régulières et même quotidiennes puisque je vis parmi elles. Je ne les collectionne pas, mais ces pièces font partie de ma vie. Je côtoie des collectionneurs et comme je suis photographe, il m’arrive de réaliser des photos de leur collection. Ces pièces proviennent principalement de l’Afrique de l’Ouest, mais aussi de tout le continent, Nigeria, Gabon, Mali, République démocratique du Congo, Angola, etc. Ces pièces sont mon domaine, je suis donc familiarisé avec l’art africain. Je vais également régulièrement dans les musées locaux, ce sont de petits musées privés ou publics. Tout le monde m’y connaît bien. Je fais des photos pour eux. Je loue parfois des masques pour ma production photographique personnelle. Ces pièces d’art de productions anciennes ou actuelles occupent mon esprit puisque c’est mon travail.
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Faire allusion à l’art à partir de mon enfance est une mission de fouille difficile. C’est comme aller à la recherche de l’aiguille légendaire qui niche paisiblement au cœur d’une botte de foin posée au sommet du mont Cameroun. L’art tel que défini par des épithètes d’ici est donc cette chose curieuse qui comme une clé passe-partout ouvrirait toutes les portes des paradis et enfers en un tour de main. Au fil de mon enfance, j’ai vu naître des scènes magiques dans l’écho des contes du fou de la cour, j’ai couru pour de vrai avec ma tranche d’âge autour de la case de pailles, j’ai entendu mes ancêtres annoncer des grands chantiers invitant chacun à porter sa part de bouse pour aider à la construction des tours, j’ai vu des hommes et des femmes bâtir les mains nues des ponts de pieux et de lianes. L’acte de faire ne s’appelait point « art » car comme s’interrogeait le père de mon père, le livre des rêves a-t-il besoin de labels pour servir sa part de bouffée d’air aux esprits de la forêt ? Ma mémoire me rappelle avec clarté ces milliers d’agents agitateurs, acteurs coupeurs ou tailleurs de bois, creuseurs de terres aux mains tachées d’argile, ces faiseurs de choses censées être utiles ou insensées, banales ou curieuses selon les contextes… Ai-je bien noté la précision de votre première question : Quels ont été vos premiers rapports avec les arts anciens d’Afrique ? Je suis allé sur la tombe de ma mère pour en savoir
plus et sa réponse m’a posé d’autres questions : Mon fils, – C’est quoi l’art ? – C’est quoi « arts anciens d’Afrique » ? Ne sachant quoi lui dire, je me suis empressé de me compliquer la vie à chercher et à expliquer mon tout sur tout ce que c’était « l’Afrique » ou « Afrique » ? ou « arts anciens » ou « arts anciens d’Afrique » ? ou … « anciens des Afriques » ? d’où émergea un autre embouteillage d’interrogations. Mille et une nuits de fouilles plus tard au crible des définitions sur l’art, l’Afrique et ses déclinaisons multiples, je décidai finalement de me cacher dans mon confort de raseur de murs hypocrite, faux-cul qui sera finalement réveillé et aveuglé par l’explosion subite de la solide case des convictions à l’orée du jour, assis seul interrogatif sur le parvis du village face à ce bordel, essayant de sortir du labyrinthe des « arts premiers », « arts nègres », « arts anciens d’Afrique », « arts classiques », « art authentique », « art véritable »… « art originel » dans un océan de bavardages où personne n’écoutait plus personne dans le chaos. Faire profil bas face à toutes ces étiquettes est donc devenu une posture, une quête où mon esthétique se façonna progressivement par l’admiration que je porte avec amour aux vestiges du passé, par sa contemplation que je manipule avec une certaine perversion afin que mon adoration ne soit pas dogmatique. La Contemplation. J’écoute le beat de sa voix silencieuse qui s’impose à mon intelligence comme une ruche d’évaluation et d’élévation des profondeurs de mes problématiques contemporaines. La Manipulation. Ces objets du passé sont mes invités spéciaux aux rendez-vous où chevauchent rituels, us et coutumes ancestraux ici où le secret est culte de l’occulte. L’Adoration. Tourner autour de l’autel des dieux maîtres des traditions est une répétition salutaire pour donner la parole à la communauté qui parle de la magie par l’écriture nouvelle en hommage à la poésie des espèces. La Perversion. Cet objet-là est un fétiche qui a trouvé sa place sur l’étagère des transactions. Elle est comparée et s’impose ici et là à l’étalage sous le joug des valeurs perverses qui en réalité est nécessaire pour sa survie. Je ne suis pas collectionneur de l’impossible, de ce que je ne peux pas saisir. Comment oserais-je ranger des esprits ou des cultes qui dépassent mon entendement ? J’aime le risque, mais celui-là est d’un ordre supérieur à ma force et m’attaquer à elle ne peut se faire que par ce que
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PASCALE MARTHINE TAYOU
Toujours Afrique apporte quelque chose de nouveau
Quelles relations, aujourd’hui, de l’art contemporain aux arts anciens d’Afrique ? Voilà une question que posent de diverses manières les œuvres réunies dans l’exposition « Ex Africa », et à laquelle elles apportent des réponses différentes. Mais toutes convergent à montrer qu’un patrimoine, cela se défait, cela se triture, cela se recompose, cela se réinvente continûment. Pour toujours produire du neuf. Semper aliquid novi, dira-t-on dans la langue de Pline l’Ancien. C’est au naturaliste romain Gaius Plinius Secundus que l’on doit en effet de pouvoir citer à propos de l’Afrique cette déclaration, dont une partie sert de titre à l’exposition : ex Africa semper aliquid novi. Autrement dit : « il y a toujours quelque chose de neuf qui nous vient d’Afrique ». Le poète et penseur sénégalais Léopold Sédar Senghor a souvent cité ce propos, parfois sous la forme suivante, dans la traduction de Rabelais : « toujours Afrique apporte quelque chose de nouveau ». Nouveauté du monstre On reviendra à Senghor car l’exposition « Ex Africa » y invite. Mais arrêtons-nous à la phrase de Pline l’Ancien. Pour rappeler d’abord qu’il n’en est pas l’auteur puisqu’il écrit dans son traité d’Histoire naturelle qu’il la tient d’Aristote. Pour tout de suite ajouter qu’elle n’est pas d’Aristote non plus puisque ce dernier, dans le passage de son Histoire des animaux auquel Pline fait référence, indique qu’il s’agit là d’un proverbe grec. Et comme pour tout proverbe, personne ne sait jamais très bien ni quelle en est l’origine ni même quel en est le propos.
Souleymane Bachir Diagne
On notera qu’Aristote, et à sa suite Pline l’Ancien, décide d’une signification éthologique du dicton lorsqu’il explique que celui-ci fait référence au fait que la terre africaine, qu’il appelle la Libye, de l’une des synecdoques employées par les Anciens pour parler de ce qu’ils connaissaient alors du continent, est naturellement productrice d’animaux fabuleux, fruits des croisements les plus improbables. C’est ainsi que, selon le Stagirite, la sécheresse et le manque d’eau ont fait de quelques très rares points d’eau, en « Libye », des lieux où des espèces différentes se sont trouvées dans la nécessité de faire société et de s’accoupler en faisant fi de l’ordre naturel. Voilà pourquoi l’exemple par excellence du « nouveau », c’est-à-dire du fabuleux, que l’Afrique toujours apporte est le produit du croisement entre le lion et la panthère. Le « nouveau » africain dont Aristote réduit la signification à la biologie et à l’éthologie, bien loin d’être la profusion de vie et de créativité que voudra y voir Senghor, n’est ici que le monstrueux,
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Hervé Di Rosa, Les fétiches, 2007
Hervé Di Rosa, La contre-attaque Bamoun, 2004
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ORLAN, Self-hybridations africaines. Masque triple Ogoni, Nigeria et visage mutant de femme franco-europĂŠenne, 2002
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ORLAN, Self-hybridations africaines. Masque de notable Kom du Cameroun et visage d’artiste euro-mondiale, 2002
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Romuald Hazoumè,
Romuald Hazoumè,
Iroquois, 2010
Pic à seau, 2015
Tcho – Tcho, 2015
Barbe à papa, 2018
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John Edmonds, Tête d’homme, 2018 Modernity, 2018
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ACTIVATIONS
Steve Bandoma, Ôte-toi de là (série: Zaïre), 2018
Sarkis, On the Breaking Bad’s wallpaper between the Cry and the Masks, 2014
Emo de Medeiros, Électrofétiches, St Philco, 2019 St Menhit, 2010 St Anjet, 2020 St Théia, 2017 St Mut, 2019 St Rehtnap, 2019 St Sebbb, 2016 St Inanna, 2017 St Anur, 2019 St Montu, 2019
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Leonce Raphael Agbodjelou, Code noir, 2014
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Théo Mercier, Extension trahison (Ibibio, Nigeria), 2020
Théo Mercier,
Extension trahison (Boulou, Cameroun), 2020
Extension trahison (Bamileke, Cameroun), 2020 Extension trahison (Fang, Gabon), 2020
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Pathy Tshindele, Sans titre, série «It’s My Kings», 2012
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EX AFRICA SEMPER ALIQUID NOVI « Toujours Afrique apporte quelque chose de nouveau » Pline l’Ancien