Les Olmèques et les cultures du golfe du Mexique

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Les Olmèques

et les cultures du golfe du Mexique


Les Olmèques et les cultures de la côte du golfe du Mexique

Dominique Michelet

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Aire mésoaméricaine Côte du Golfe

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Carte générale de la région de la côte du golfe du Mexique indiquant tous les sites et lieux ayant fourni les objets présentés dans l’exposition.

1 Chak Pet 2 Ciudad Madero 3 Tamuín (Tamohi, El Consuelo) 4 Tamtoc 5 Ozuluama 6 Tempoal 7 El Naranjo 8 Tancama 9 Tecomaxóchitl 10 Chicontepec 11 Tuxpan 12 Huilocintla 13 Castillo de Teayo 14 El Tajín 15 Aparicio 16 Teotihuacan 17 Tlapacoya 18 Zazacatla 19 Tepatlaxco 20 La Joya 21 Cerro de las Mesas 22 Los Cerros 23 Nopiloa 24 El Zapotal 25 La Mojarra 26 Tres Zapotes (Hueyapan, Nestepe) 27 Matacapan 28 La Perla del Golfo 29 Piedra Parada 30 Laguna de los Cerros 31 Cruz del Milagro 32 Chiquipixta, Jaltipan 33 Cascajal 34 San Lorenzo 35 Loma del Zapote (El Azuzul) 36 Las Limas 37 Antonio Plaza 38 La Merced 39 El Manatí 40 Ojoshal 41 San Andrés 42 La Venta 43 Malpasito 44 Simojovel 45 La Encrucijada

En Mésoamérique, cette aire culturelle préhispanique d’environ un million de kilomètres carrés qui couvre la partie sud du Mexique d’aujourd’hui et le bord ouest de l’Amérique centrale, on considère que les premières sociétés complexes virent le jour au cours du deuxième millénaire avant notre ère. C’est alors en effet qu’apparurent, plus ou moins clairement, hiérarchies sociales et probables premières institutions politiques, systèmes économiques débordant le cadre de l’autosuffisance, croyances et pratiques religieuses partagées donnant lieu à des représentations symboliques. La mise au jour, en 1862, à l’ouest du massif des Tuxtlas, d’une sculpture figurant une tête humaine de grande taille (un mètre quarante-sept de hauteur : on parle de « tête colossale ») fut le premier acte de la découverte d’un monde culturel qui fut qualifié plus tard d’« olmèque ». Celui-ci fut d’ailleurs d’abord reconnu – par Marshall H. Saville (1929) – comme un simple style d’art et pas comme une culture. Ce style paraissait présent surtout dans le secteur sud de la côte du golfe du Mexique et était repérable notamment par la représentation, sur différents supports (sculptures de tailles diverses ou céramiques), de personnages apparemment hybrides : des hommes pourvus de certains traits de félins, au niveau de la bouche en particulier, comme on peut le voir, dans la présente exposition, entre autres sur le monument 52 de San Lorenzo (voir p. 120-121). Avant même la grande série de fouilles qui furent réalisées au cours des années 1940 et 1950 dans plusieurs des sites de la région du Golfe-sud sous l’égide de la Smithsonian Institution de Washington et de la National Geographic Society, mais aussi avant les débuts des datations chronométriques que permit l’invention du carbone 14, Alfonso Caso, l’un des fondateurs de l’archéologie mexicaine, eut une grande intuition quand il déclara, lors d’un congrès mémorable de la Société mexicaine d’anthropologie, en 1942 : « Cette grande culture [olmèque], que l’on trouve dans les niveaux anciens, est sans aucun doute la mère des autres cultures […]. » Le concept de « culture mère » appliqué aux Olmèques était né ! Il fut ensuite, mais assez longtemps après, vigoureusement contesté par des spécialistes d’autres régions de la Mésoamérique et de ses débuts en tant qu’aire culturelle (Sharer et Grove 1989). Leur opposition au concept d’une culture mère olmèque reposait sur le fait que plusieurs des régions où ils travaillaient étaient, à la même époque que sur la côte sud du Golfe, peuplées également par des sociétés complexes. D’où la proposition de l’existence de plusieurs « cultures sœurs » qui auraient été à l’origine des développements postérieurs de la Mésoamérique ou, comme l’exprima sous une forme un peu différente Christine Niederberger (1987), de la mise en place, vers 1200 av. J.-C., d’une culture panmésoaméricaine, née surtout sous l’effet d’échanges de biens et d’idées entre élites dirigeantes. En fait, comme l’ont écrit de bons auteurs (López Austin et López Luján 2012, p. 19), « si ce que signale Niederberger était exact, […] les sociétés de la région du Golfe […] constitueraient [néanmoins], de par leur développement sociopolitique singulier, le cas le plus évolué de la culture qui caractérisa le Préclassique moyen ». Il y a là effectivement une question de primauté en même temps qu’une question d’antériorité. De ce dernier point de vue, la trouvaille des éléments les plus anciens recueillis à El Manatí – voir, là aussi, l’exposition – fait remonter à 1600 av. J.-C. environ, chez les Olmèques, les premiers dépôts rituels dédiés à un élément fondamental : l’eau, en l’occurrence une source. Ces dépôts étaient constitués en particulier de haches polies en pierre verte

100 km

Les Olmèques et les cultures de la côte du golfe du Mexique

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Table chronologique

Préclassique initial Dates au radiocarbone non calibrées* 2000-1250 av. J.-C.

Côte nord du Golfe

Occupation : côte du Golfe (Santa Luisa) et vallée du fleuve Pánuco (Altamirano). Contacts avec la côte pacifique du Chiapas. Premières figurines.

Côte sud du Golfe

Premier dépôt à El Manatí : haches en jade, balles de caoutchouc. Première occupation à San Lorenzo.

Préclassique ancien 1250-900 av. J.-C. Préclassique moyen 900-400 av. J.-C. La Venta 2e capitale olmèque : architecture monumentale orthogonale, sculptures (94), offrandes massives ou non.

Trajectoires culturelles locales. Premières figurines animales à roues.

San Lorenzo 1re capitale olmèque : urbanisme, développement de la sculpture (129 pièces inventoriées). Influences olmèques à Santa Luisa dès 1150 av. J.-C., moins nettes au nord. Fin des contacts avec la côte pacifique du Chiapas.

Préclassique récent 400 av. J.-C.–100 apr. J.-C. Préclassique terminal ou Protoclassique 100-300 apr. J.-C.

Vie villageoise (Loma Real – Chak Pet).

Monde épi-olmèque. Tres Zapotes 3e capitale olmèque. Écriture, calendrier du Compte Long.

Relations avec Teotihuacan. Premier apogée de Tamtoc. Complexe jeu de balle-jougs-haches-palmes et décapitation. Cerro de las Mesas, capitale à l’ouest des Tuxtlas. Écriture isthmique et Compte Long (suite).

Classique ancien 300-600 apr. J.-C. Classique récent ou Épiclassique 600-1000 apr. J.-C.

Dynamisme de La Mixtequilla (El Zapotal). Sites zoques et mayas à l’est des Tuxtlas.

El Tajín contrôle la zone centre-nord du Veracuz. Bas-reliefs. Peintures murales (El Tajín, Las Higueras).

Cerro de las Mesas toujours dominant. Présence de Teotihuacan.

Organisation en chefferies, notamment El Pital. Contacts avec Teotihuacan.

Postclassique ancien 1000-1200 apr. J.-C. Postclassique récent 1200-1519 apr. J.-C.

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* Sur cette table comme dans tout le volume, on a choisi d'indiquer les dates établies selon la mesure du radiocarbone (dates ¹⁴C), même si celles-ci s'écartent parfois des âges réels (par exemple, 1500 av. J.-C. au radiocarbone équivaut à 1775 av. J.-C. en date réelle).

Totonaques sur la côte du Golfe, y compris à El Tajín. Conflits armés. Au nord, importance de Las Flores. Début de la statuaire tardive.

Apogée de la culture huastèque : riche statuaire, peintures murales, travail des coquillages… Importance de Cempoala à la veille de la Conquête.

Importance des Mayas Chontals (Putún) au Tabasco.

Chontals et Zoques, mais garnisons mexicas à Zimatán et Xicalango (tributs).


La Venta, une cité olmèque dans la plaine côtière du Tabasco

Rebecca B. González Lauck

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fig.4a La Venta : plan du centre du site.

C’est sur une élévation naturelle du Sud-Est du Mexique, à une quinzaine de kilomètres de la côte du Golfe, non loin du majestueux fleuve Tonalá, que les vestiges de cette ville antique ont été découverts. Notablement ancien (1200-400 av. J.-C.), le site de La Venta se distingue par son tracé strictement planifié, une architecture monumentale en terre, un corpus imposant de sculptures en pierre, des offrandes massives uniques dans le Mexique ancien, ainsi que des dizaines d’offrandes de taille plus réduite composées, entre autres, de superbes objets en jade. Tous ces vestiges témoignent de l’existence d’une société complexe et stratifiée, dont les canons culturels et l’idéologie singulière la différencient de nombre de ses contemporaines. Certains modèles culturels olmèques identifiés à La Venta ont toutefois été retrouvés dans d’autres régions du Mexique ancien, y compris après la disparition de la cité ; ils ont en effet été adoptés et adaptés par d’autres cultures. L'élévation naturelle sur laquelle La Venta est construite présente une altitude moyenne de vingt mètres et s’étend sur un peu plus de quatre kilomètres carrés. Les terres basses qui entourent cette sorte d’île sont inondées chaque année. Il s’agit d’un environnement essentiellement aquatique où l’on trouve rivières, ruisseaux, étangs, lagunes, marécages, mangroves et estuaires. Géologiquement la formation de ce territoire a commencé il y a au moins 7 millions d’années. Aujourd’hui, les précipitations y sont supérieures à deux mille millimètres par an, tandis que la température moyenne est de vingt-sept degrés, avec des maxima dépassant parfois les trente-six degrés. Cette zone tropicale humide était une sorte de paradis ; sa flore et sa faune abondantes offraient un large éventail d’espèces terrestres, aquatiques et aviaires pour l’alimentation humaine. La présence de maïs domestiqué sous forme de pollen datant de 5000 av. J.-C. constitue la preuve la plus ancienne d’occupation humaine dans la région. Les premiers indices de déboisement sont plus ou moins contemporains (vers 4800 av. J.-C.), tout comme la domestication du manioc (vers 4600 av. J.-C.). Pendant cette période, une étendue d’eau peu profonde séparait cette élévation naturelle de la côte. À partir de 3400 av. J.-C. et pendant un millénaire, cette lagune s’est sédimentée laissant la place à un estuaire, dans lequel la faune aquatique abondait. On y a en outre découvert des vestiges de graines et de fruits de tournesol domestiqué (vers 2600 av. J.-C.), de coton sauvage ou domestiqué (2500 av. J.-C.) et de cucurbitacées sauvages (vers 2400 av. J.-C.). La longue occupation du lieu nous porte à penser que les groupes humains qui l’ont habité sont parvenus, au fil des millénaires, à exploiter le milieu de façon optimale. Ils y ont développé une économie fondée sur la cueillette, la chasse et la pêche en même temps que sur l’agriculture, ce qui a permis de subvenir aux besoins de populations de plus en plus importantes. C’est dans ce contexte que s’est amorcée, au début du xiii siècle av. J.-C., la construction de la cité de La Venta, qui s’est maintenue pendant au moins huit cents ans. Les petits établissements situés alentour, au bord des rivières, fournissaient sans doute la cité en aliments : poissons d’eau douce et de mer, mollusques, tortues, oiseaux variés, crocodiles, cerfs et chiens, entre autres, sans oublier les produits agricoles issus des riches terres alluviales pouvant donner jusqu’à trois récoltes par an. Les cours d’eau devaient aussi jouer un rôle important en tant que voies de communication. Bien que nos connaissances sur l’histoire de La Venta présentent encore de grandes lacunes, nous pouvons à présent, grâce à l’ensemble des

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La Venta, une cité olmèque dans la plaine côtière du Tabasco

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Le Golfe et ses voisins de 900 apr. J.-C. à la Conquête

Gustavo Ramírez Castilla

fig.9a Sur la page 30 du Codex Borbonicus (fin du xve – début du xv e siècle), on aperçoit, autour des personnages centraux richement colorés, une danse de la fertilité exécutée par des Huastèques coiffés de leur bonnet conique caractéristique et tenant des phallus (postiches ?) en érection.

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Les Totonaques descendent probablement de la Sierra Norte de Puebla vers la côte du Golfe vers 850 apr. J.-C. (Manrique cité dans García Márquez 2005) et s’établissent le long du littoral du Centre du Veracruz. Ils occupent alors la région de Papantla, même si El Tajín, dont les origines sont anciennes, continue à prospérer jusqu’en 1050 environ. Nous en savons très peu sur les Totonaques d’avant la Conquête. D’après certaines sources écrites, ils ont bâti les pyramides du Soleil et de la Lune à Teotihuacan, ce qui est peu vraisemblable. On pense que vers 1200, ils occupent Cempoala ainsi qu’une trentaine d’établissements de la Côte, dont Quiahuiztlan (García Márquez 2005, p.100). Cependant, les Chichimèques leur imposent probablement leur domination vers le début du xiv siècle, avant que les Mexicas ne les soumettent à leur tour. Cempoala et Quiahuiztlan ne semblent toutefois pas être directement tributaires de Tenochtitlan, mais de Tlacopan, comme l’affirme le Memorial de los pueblos de Tlacopan (García Márquez 2005, p. 145). Contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, des recherches récentes semblent indiquer que Cempoala n’est pas une ville totonaque, mais une enclave rassemblant trois groupes nahuas porteurs de traditions différentes : la culture chalchihuites récente, la culture maya-toltèque et la culture toltèque-cholultèque (García Márquez 2017). Le repeuplement du Nord de la région du Golfe, dans sa partie huastèque, est perceptible aux alentours de 700 apr. J.-C., notamment à travers l’implantation d’un petit village à l’architecture pour le moins étrange, Las Flores, dans ce qui est aujourd’hui la périphérie de la ville de Tampico : on y trouve des édifices en terre de plan circulaire recouverts d’une épaisse couche de chaux de coquillages qui leur donne probablement, sous l’effet des rayons du soleil, un aspect argenté. Sur les vingt-deux pyramides qui s’y trouvaient initialement, une seule a été conservée |fig.9b . On reconnaît ses bâtisseurs à des types de céramiques très particuliers, où prédominent des mortiers tripodes dont le fond est hachuré par des incisions linéaires délimitées par un cercle. Ces objets servent à broyer les aliments à l’aide d’un pilon, une petite pierre en forme de poire. Une épaisse bande horizontale de peinture rouge décore parfois ces mortiers jusqu’à mi-hauteur à l'extérieur et sur une partie de l’intérieur. D’autres poteries de facture plus fine sont ornées de grecques scalaires ou de volutes généralement monochromes, rouges ou brunes, sur la surface naturelle de l’argile. Ekholm 1944 décrit ces céramiques, dont il qualifie le type de Red on Buff (« rouge sur crème »). On a retrouvé à Las Flores des céramiques encore plus étranges rappelant des pièces mayas, notamment une belle céramique Blanco excavado (« blanc à décor champlevé »), un type dont on a récemment trouvé un exemplaire complet à Tula Xicocotitlán (État d’Hidalgo). Cette découverte confirme que le site de Las Flores est contemporain de celui de Tula, la capitale des Toltèques, et qu’il existe des contacts entre Tula et la Huasteca : ces contacts sont du reste évoqués dans les différents mythes concernant Quetzalcoatl, le roi-prêtre légendaire de Tula, tant sous sa forme humaine que divinisée. Roi fondateur de Tula, Ce Acatl Topiltzin Quetzalcoatl est identifié à Cuextécatl, le chef des Cuextèques, qui portent donc son nom. Selon le Codex de Florence (livre X, chapitre 29), Cuextécatl s’est enivré en buvant cinq tasses de pulque et s’est dénudé. C’est ainsi que la nudité serait devenue une caractéristique des Huastèques, par imitation de leur chef. D’après un autre mythe, le roi de Tula, après avoir bu cinq tasses de pulque, a couché avec sa sœur Quetzalpetatl. Honteux de sa faute, il s’est enfui au Tlillan Tlapallan, le « Lieu du Noir et du Rouge », que la légende situe sur

Le Golfe et ses voisins de 900 apr. J.-C. à la Conquête

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Le jeu de balle sur la côte du Golfe

Éric Taladoire

Le jeu de balle mésoaméricain est un rituel religieux associé à la fertilité et à la renaissance végétale. Par le jeu, on reproduit magiquement la mort des graines sous terre, la venue de la pluie, la croissance du maïs et des plantes nourricières. Il a donc une signification cosmologique qui associe l’inframonde souterrain, lieu de mort et de renouveau, le monde des hommes (les joueurs et les dirigeants) et le monde céleste, d’où vient la pluie fertilisante. C’est l’une des raisons qui justifient son importance, la localisation des terrains au centre de nombreux sites et l’implication des gouvernants dans l’accomplissement du rituel, puisqu’ils portent la responsabilité de la prospérité de la communauté. Alors que la côte du golfe du Mexique, qui couvre, stricto sensu, les États du Tabasco, du Veracruz et du Tamaulipas, est depuis longtemps considérée comme une région clé pour l’étude du jeu, curieusement, en 1981, le nombre de terrains connus s’élevait à peine à trente et un exemples au Veracruz et une vingtaine dans la Huasteca au sens large, c’est-à-dire bien au-delà du seul Tamaulipas. La Huasteca est en effet une région culturelle qui couvre le Nord du Veracruz, le Sud du Tamaulipas et les régions limitrophes des États de Puebla, San Luis Potosi et Hidalgo. En 2019, ces totaux atteignent respectivement trois cent quatre-vingt-un et trente et un exemples. Cette extraordinaire augmentation s’explique avant tout par une récente intensification des recherches au Veracruz, dont beaucoup sont encore loin d’avoir révélé tous leurs résultats (Daneels, Donner et Hernández Arana 2018). De plus, la définition de l’aire de la côte du Golfe a aussi évolué et inclut désormais des sites comme Cantona dont l’appartenance culturelle était loin d’être établie (García Cook et Zamora Rivera 2010). En réalité, tout portait à faire de cette région un foyer majeur pour l’étude de cette tradition mésoaméricaine. Le jeu de balle est un rituel qui oppose deux équipes de plusieurs joueurs sur un terrain construit délimité principalement par deux édifices parallèles constitués d’une succession de plans inclinés destinés à ramener la balle vers l’allée centrale, un espace allongé et étroit où évoluent les principaux joueurs |fig.11a+b. De nombreux terrains ont des extrémités ouvertes, d’autres comprennent des zones terminales fermées où se trouvent d’autres participants dont le rôle serait d’empêcher la balle de sortir et de la renvoyer vers l’allée. Le jeu consiste à se renvoyer la lourde balle de caoutchouc d’un camp à l’autre, sans la laisser tomber à terre ni la toucher avec la main, le pied ou la tête. Étant donné le poids de la balle, deux à trois kilos, ces interdits sont plus une mesure de prudence qu’un impératif ludique. En guise de protection, les joueurs portent souvent des gants pour protéger leurs mains lorsqu’ils se jettent à terre et de gros ceinturons pour amortir les coups. On a souvent supposé que le Sud de la côte du Golfe, producteur de caoutchouc, était à l’origine de ce jeu. Le nom même de la civilisation olmèque, dérivé du náhuatl Olmeca, « peuples du pays du caoutchouc », le reflète, même si c’est un anachronisme puisque le terme « Olmèques » a d’abord désigné les occupants postclassiques, désormais qualifiés d’« Olmèques historiques ». C’est principalement de la côte du Golfe que provenait le tribut de seize mille balles de caoutchouc versé à l’Empire aztèque à la veille de la conquête espagnole. Il serait d’ailleurs erroné de penser que ce tribut ne servait qu’à fabriquer des balles pour le jeu : le caoutchouc avait de multiples usages, rituels aussi bien que pratiques.

fig.11a

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Terrain de jeu de balle, El Tajín.

Le jeu de balle sur la côte du Golfe

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présents successivement à Cacaxtla et Cholula, ils ont pris une part décisive dans la formation du style artistique mixteca-puebla, qui réunit d’anciennes traditions artistiques. « Nous pouvons affirmer l’existence d’une forte relation entre l’art de Teotihuacan, l’art zapotèque et la tradition mixteca-puebla » (Yanigisawa 2005, p. 106). Principal centre de ce style artistique, la zone archéologique olmèque-xicallanca de Cholula a laissé d’innombrables vestiges d’écriture sous forme de codex, de céramiques et de peintures murales. La tradition mixteca-puebla était donc un style « international », ouvert à différentes langues, à l’instar de son écriture associée ; elle a servi de nouvelle plateforme, comme précédemment le système épi-olmèque et le style de Teotihuacan. C’est au cours de ce nouvel essor que s’est développé l’art huastèque, sur une base linguistique teenek, mais également plurilingue ; cet art huastèque a à son tour apporté sa contribution à l’art et l’écriture des Nahua aztèques, qui ont également rénové le style toltèque, par exemple à Castillo de Teayo, où des créateurs, sous la domination aztèque, ont intégré le style huastèque et celui du précédent essor artistique du Veracruz. On peut citer l’exemple du monument 4 de Castillo de Teayo, qui commémore la guerre des Mexicas contre Tetzapotitlan entre 1479 et 1480. Il s’agit d’un bloc de grès de près de trois mètres de haut, gravé en relief et incisé, qui se trouve en face de la pyramide principale de Castillo de Teayo, édifice dont on se demande encore si la forme est toltèque ou mexica. La stèle proclame toutefois, sans doute aucun, la domination des Nahua de la vallée de Mexico, locuteurs de la variante nahua occidentale et conquérants des traditions artistiques millénaires qui ont accompagné le développement des écritures mésoaméricaines. Membres de la Triple Alliance (Excan Tlatoloyan), les Aztèques faisaient partie des groupes de population qui ont migré de l’Ouest du Mexique et qu’on a nommés les Chichimèques. Certains sont d’abord arrivés à Tula, puis dans la vallée de Mexico, d’où ils se sont dispersés vers Cholula et Tlaxcala, avant de s’installer dans l’État actuel du Veracruz. Ils parlaient la variante du nahua occidental. D’autres groupes qui formaient la Triple Alliance aztèque ont fondé de grandes métropoles comme Tenochtitlan, développant un nahua « urbain », mélange des dialectes oriental et occidental ; il est possible qu’ils se soient également établis dans la zone du Golfe. Sur le Haut Plateau central mexicain, les Nahua et d’autres groupes ont reconfiguré les anciennes traditions scripturales mésoaméricaines, qui avaient été regroupées dans le style mixteca-puebla : la nouvelle plateforme a affronté des problèmes similaires à ceux des époques passées, comme l’ouverture ou non à d’autres langues, le caractère esthétique et l’expression du temps, du pouvoir, de la guerre et des fruits de la victoire (main-d’œuvre, sang, tributs en nature). Les Aztèques n’imaginaient pas leur fin abrupte, mais ils l’ont consignée dans de nombreux codex au cours de la dernière guerre, qui a commencé en 1-Roseau, année de naissance de Ce Acatl. En 1519, les Castillans, alors qu’ils cherchaient de la nourriture dans une colonie aztèque proche de l’actuel port de Veracruz, ont trouvé « beaucoup de livres dans leur papier, plié à la façon des torchons de Castille » (Díaz del Castillo 1986, p. 85). Il s’agissait de codex dans lesquels se trouvaient certainement réunies des traditions scripturales historiques que l’évêque Juan de Palafox, en visite pastorale dans la Sierra de Zongolica, a encore pu observer en 1643, ultimes signes sur la côte du Golfe de millénaires d’art et d’écriture.

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fig.12f La stèle de La Mojarra (Veracruz) représente, avec ses plus de 600 glyphes, l’inscription la plus longue connue à ce jour sur la côte du Golfe. Elle est pourvue de deux dates correspondant aux années 146 et 156 apr. J.-C. Museo de Antropología de Xalapa, Universidad Veracruzana, 49 P.J. 16052. fig.12e La stèle de Piedra Labrada (Veracruz) et son inscription (Classique récent ?). Museo de Antropología de Xalapa, Universidad Veracruzana, 49 P.J. 321.

Écritures anciennes sur la côte du Golfe

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Les Olmèques

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La civilisation olmèque s’est développée dans la plaine côtière du golfe du Mexique entre 1700 et 400 av. J.-C. et a profondément marqué l’histoire culturelle du Mexique ancien. Cette culture se reconnaît immédiatement à son style sculptural unique, dont les représentants majeurs sont les spectaculaires têtes colossales et les superbes artéfacts de jade qu’elle a produits. Ses villes et villages, bâtis en terre, présentent à la fois des édifices monumentaux et de vastes zones résidentielles. Dans ces terres tropicales inondables de basse altitude regorgeant de ressources naturelles (flore et faune), l’humidité ambiante a favorisé le développement de l’agriculture, entraînant l’installation pérenne de populations hétérogènes et hiérarchisées. Celles-ci se sont organisées en sociétés complexes et spécialisées dont tous les aspects sociaux, politiques et économiques ne sont pas encore bien connus. L’influence de la civilisation olmèque dans le temps et dans l’espace est remarquable puisqu’elle dépasse largement la seule côte du Golfe : des sites et des objets de style olmèque ont été retrouvés dans les régions du Guerrero, du Morelos, du Mexique central, du Chiapas et jusqu’au Guatemala et au Costa Rica. Des reliques de style olmèque ont d’ailleurs continué à être utilisées comme offrandes au cours des siècles qui ont suivi la disparition de cette civilisation et jusqu’à l’arrivée des conquistadors espagnols en 1519. Indubitablement, les voies d’approvisionnement en produits exotiques tels que le jade ont permis d’instaurer des échanges dynamiques et réciproques de biens et d’idées avec d’autres peuples, proches ou éloignés, favorisant la création de codes et de canons qui se sont transmis à nombre de civilisations mésoaméricaines.

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Tête colossale Tête colossale n°4, monument 4, site de San LorenzoTenochtitlan (Veracruz, Mexique) 1200-900 av. J.-C. Basalte 183 × 123 × 112 cm Museo de Antropología de Xalapa – Universidad Veracruzana 49 P.J. 336

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Depuis la découverte d’une première tête colossale olmèque en 1862 – le monument A de Tres Zapotes –, seize têtes de plus ont été trouvées dans les trois grandes capitales que furent San Lorenzo (dix exemplaires), La Venta (quatre) et Tres Zapotes (deux), mais d’autres pourraient encore être mises au jour. Même si l’on a pu parler, au sein de ce corpus, de styles plus ou moins différents (selon les lieux notamment), ces têtes constituent bel et bien un même type de figuration : il s’agit très vraisemblablement de portraits de dirigeants que distinguent entre eux le rendu des traits du visage et, surtout, la décoration du casque en matériau souple (du cuir ?) que tous portent. On a pu observer par ailleurs que certaines têtes proviennent du recyclage de monuments désignés d’abord comme des autels et qui étaient en fait plutôt des trônes. On note aussi que plusieurs de ces têtes montrent des marques de mutilation qui ont peut-être visé à faire disparaître symboliquement les personnages représentés et/ou le pouvoir qu’ils exerçaient. La tête ou monument 4 de San Lorenzo, découverte en 1946 par l’équipe que dirigeait Matthew W. Stirling, est remarquable par la qualité de son exécution. Comme sur la tête (ou monument) 3 du même site, le bas du casque est orné de quatre rangs d’une sorte de corde, horizontaux et jointifs, ornementation que recouvre, sur la moitié droite, un ensemble de sept rubans verticaux provenant de trois espèces de glands placés au sommet, par ailleurs très lisse, du casque. À droite, on voit l’oreille et son ornement, tandis que l’oreille gauche est dissimulée derrière un élément souple tombant du casque.


Langues et ĂŠcritures

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L’« Adolescent huastèque », figure masculine debout avec personnage porté dans le dos Site de Tamohi (San Luis Potosí, Mexique) 1000-1521 Grès 144 × 39,4 × 17,8 cm Museo Nacional de Antropología, Ville de Mexico 10-3156

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Dans l’abondante statuaire de la Huasteca du Postclassique (1000-1521),  l’«Adolescent huastèque », découvert en 1917 sur le site de Tamuín (Tamohi), occupe une place à part, même si au moins une autre sculpture d’un jeune adulte masculin (l’« Adolescent de Jalpan ») possède une allure proche : debout, le bras droit replié vers la poitrine et le gauche le long du corps, mais légèrement incurvé. Toutefois, l’« Adolescent huastèque » se distingue par plusieurs traits qui lui sont spécifiques : il est représenté parfaitement nu, avec une bonne partie du corps couverte de symboles tatoués (sa moitié droite, sa nuque ainsi que son épaule et son poignet gauches). Parmi ces dessins, le signe désignant le jade (deux cercles concentriques), c’est-à-dire ce qui est précieux par excellence, et celui qui représente l’épi de maïs, autrement dit l’image de la fécondité, sont très présents et semblent indiquer que l’individu statufié est le dieu du maïs. Mais l’élément sans doute le plus important est la présence, dans le dos du personnage, d’un petit être humain porté comme un enfant, même s’il s’agit plutôt d’un adulte en miniature. C’est là un motif connu également ailleurs et notamment sur la sculpture 3 trouvée au pied de la pyramide des Niches à El Tajín (voir p. 168-169). Or un mythe recueilli par Alain Ichon (1969) chez les Totonaques du Nord raconte comment le dieu du maïs s’en fut rechercher son père mort – les morts prennent une forme miniature – dans le royaume du dieu Tonnerre pour le ressusciter et lui faire partager la vie civilisée (sédentaire et agricole), ce à quoi le père ressuscité ne put se résoudre.

Femmes et hommes du Golfe

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Buste Site d’El Manatí (Veracruz, Mexique) 1200-800 av. J.-C. Bois 35,1 × 18,1 × 16,2 cm Museo Nacional de Antropología, Ville de Mexico 10-609240

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La troisième phase de dépôt à El Manatí, dénommée Macayal, du nom d’un site olmèque voisin (1400-1200 – 1200-1000 av. J.-C. environ), est naturellement la première à avoir été mise au jour, et c’est elle qui a eu le plus grand retentissement. En effet, le dépôt contenait, entre autres, de nombreux éléments organiques, végétaux en particulier, bien préservés grâce au caractère anaérobie du lieu. Il y avait ainsi des brassées de plantes qui avaient été liées et peut-être enveloppées, des bâtons taillés, interprétés comme des sceptres, ainsi que plusieurs dizaines de sculptures en bois taillées dans du kapokier (Ceiba pentandra L.) ou du jobo (Spondias mombin L.) et représentant des hauts de corps humain mesurant environ cinquante centimètres. Les têtes à forte déformation crânienne, nez large et bouche aux commissures tombantes sont bien dans la tradition des représentations anthropomorphes olmèques ; très semblables entre elles, mais se distinguant par quelques détails, elles représentent, pour plusieurs commentateurs, des individus différents et peut-être des ancêtres (voir l’offrande 4 de La Venta, postérieure en date, p. 112-115). Plusieurs de ces bustes, mais pas tous, avaient été regroupés et, associés parfois à d’autres éléments, placés dans une même enveloppe. L’existence de plusieurs groupes invite à imaginer une série de rituels répétés dans le temps plutôt qu’une cérémonie unique. Avec les objets déjà mentionnés, on a aussi retrouvé des os isolés et au moins deux squelettes complets de petits enfants, vraisemblablement sacrifiés, des haches, des pendentifs, des ornements d’oreilles, des boules d’hématite, trois couteaux en obsidienne et en silex avec manche en bitume et, ici encore, des balles en caoutchouc.

Offrandes


Dalle décorée d’une tête aux traits de félins Monument 1, site de La Merced (Veracruz, Mexique) 1200-900 av. J.-C. (dépôt 3e épisode) Serpentinite 73 × 42 × 9,5 cm Centro INAH Veracruz (proyecto Manatí) 10-650860

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Le monument 1 de La Merced, une impressionnante dalle de serpentinite de plus de soixante-dix centimètres de haut finement taillée en très bas relief sur l’une de ses grandes faces, étonne par sa position dans le niveau supérieur des dépôts trouvés sur le site. De fait, c’est le moment où les haches placées en offrande sont, elles, les plus sommaires. Ce contraste peut cependant s’expliquer par le dépôt tardif d’une sculpture réalisée à date ancienne et conservée un certain temps. La représentation elle-même est celle d’une tête aux traits félins, de face, avec un élément a priori facile à interpréter, la fente au sommet et au centre de son crâne d’où émerge un végétal en train de pousser – ou un épi de maïs. Joralemon (1971), qui a tenté de reconstituer le panthéon olmèque, est généralement bien suivi dans sa reconnaissance du dieu du maïs chez cette population. La présence, aux quatre coins du visage, de symboles présentant une simple indentation centrale au sommet d’un rectangle lisse pourrait bien être une illustration de l’idée de la démultiplication aux quatre orients (reprenant l’image du centre elle-même) des puissances divines. De fait, cette partition en quatre ou en cinq des puissances qui régissent l’univers a constitué un principe – d’origine cosmologique – de toutes les visions du monde en Mésoamérique jusqu’à la Conquête et même au-delà.

Offrandes

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Offrandes

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